Chapitre XVII. Les résultats économiques
p. 421-485
Texte intégral
INTRODUCTION
1Au terme de cette étude se pose le problème du bilan économique de trente années de colonisation. D’ores et déjà, du côté concessionnaire, nous savons qu’il fut très faible. La plupart des compagnies disparurent ou se transformèrent avant la fin de la période. Parmi celles qui subsistèrent, deux seulement méritent d’être retenues. La Cie Forestière jouissait d’un monopole sur le caoutchouc, qu’elle exploita au maximum. Malheureusement, le produit était sans avenir. La cueillette imposée dans l’arrière-pays, faute d’autre chose, en vertu du privilège et à la faveur des abus de la Société, joua le rôle d’un frein : quand le caoutchouc fut définitivement balayé par la tourmente de la grande crise, quand les réserves d’ivoire, produit cher mais rare, eurent été à peu près épuisées, on put enfin voir apparaître, dans les régions délivrées, des expériences nouvelles dont certaines, tel le coton de l’Oubangui-Chari-Tchad, étaient appelées à marquer durablement le pays. La Cie des frères Tréchot présentait un bilan plus satisfaisant : en plein rendement vers 1928, elle pouvait s’enorgueillir d’assurer à elle seule la quasi-totalité des exportations d’huile de palme de la colonie, en dépit d’une industrialisation encore très modérée.
2Mais le seul élément positif de la période fut le triomphe de l’okoumé au Gabon. Apparemment, les anciennes Compagnies n’y jouèrent aucun rôle. En fait, par le transfert au moins partiel de leurs privilèges sur de vastes concessions forestières, elles participèrent au mouvement soit directement, comme la S.A.F.I.A., soit en cédant leurs droits à de nouveaux exploitants qui, entre 1920 et 1930, modifièrent profondément l’économie du Gabon.
3Quant au reste du pays, il s’ouvrit à une économie de traite sans envergure en raison de l’insuffisance des produits. Il y eut beaucoup de tentatives faites parfois par des particuliers, plus souvent par l’Administration : café, cacao, riz, arachides, coton... Presque toutes échouèrent, parce qu’elles étaient mal préparées, peu suivies, et n’avaient pas grand débouché ; mais aussi parce que la population, trop peu nombreuse et déjà épuisée par vingt années d’un régime déprédateur, était incapable d’en assurer le déroulement. L’effort de guerre, les cultures obligatoires, les recrutements forcés de travailleurs en faveur des entreprises privées ou des chantiers du Congo-Océan et les effets de l’inflation (avilissement du pouvoir d’achat accentué par les hausses de la capitation) favorisèrent les déplacements de population et la désorganisation des rythmes vivriers générateurs, à leur tour, de famines et parfois de révoltes qui agirent comme autant d’entraves à l’essor du pays.
I. L’IVOIRE
4Nous n’insisterons guère sur l’ivoire, produit de luxe dont le faible volume limitait la portée économique. Certes, il fut, au moins jusqu’à la première guerre mondiale, une source appréciable de profit pour les concessionnaires, qui pratiquèrent avantageusement pour ce faire le trafic des armes de traite prohibées, seule marchandise longtemps acceptée par les Africains dans ce commerce1. Nous avons vu comment l’ivoire permit à la C.F.H.C. de subsister tant bien que mal en attendant l’essor de l’huile de palme2. Après 1920, son exploitation facilita, de la même manière, la liquidation progressive de la Cie des Sultanats qui s’était par ailleurs mise en sommeil3.
5Mais ces deux Sociétés, avec chacune une exportation annuelle presque toujours supérieure à 25 t comptaient parmi les plus gros producteurs. Les autres se partageaient le reste — produisant rarement plus de 2 ou 3 t4. Même en escomptant des bénéfices de l’ordre de 163 %, avec un bénéfice net au kilo supérieur à 10 frs, cela ne constitua jamais qu’une ressource d’appoint5. Elle avait néanmoins le mérite d’être régulière : les fluctuations de prix furent toujours faibles et, à la différence du caoutchouc qui chuta après la guerre, la hausse fut même assez régulière, de 1901 (18,87 frs le kilo) à 1914 (26,97 frs le kilo) et au-delà. Bien que les taux de 1920 (105 frs le kilo), redevables au retour de la vogue des produits de luxe après les années de privation de la guerre, fussent restés ensuite inégalés, les exportations d’ivoire se maintinrent assez régulièrement jusqu’à la fin de la décennie.
6On trouvait l’éléphant un peu partout. Mais son habitat préféré était la zone comprise, au Moyen-Congo, entre l’Alima et la Lobaye, et la partie orientale de l’Oubangui-Chari (M’Bomou et haute Kotto), où un fort groupe de chasseurs européens employait des équipes d’Africains munis de permis spéciaux, qui chassaient l’éléphant au fusil, à la sagaie ou au piège6. Les prix d’achat ne dépassèrent pas, avant la guerre, 3 à 10 frs le kilo, suivant la grosseur des pointes. Seule la C.F.H.C. continua ensuite de pratiquer ces tarifs, passés ailleurs à 15 et 22 frs et jusqu’à 100 frs à Brazzaville pour les pointes supérieures à 20 kg7. Mais l’industrie décrût avec l’épuisement progressif des réserves, révélé par la proportion, plus forte chaque année, d’escravelles et de petites pointes (inférieures à 10 kg), ce qui incita l’État à réglementer de plus en plus sévèrement la chasse aux éléphants8. Les chiffres tombèrent au-dessous de 100 t après 1925 et ne cessèrent plus de décroître.
II. LE CAOUTCHOUC
1. L’exploitation du caoutchouc
7Le caoutchouc du Congo était exploité depuis les années 1880 sous deux formes principales : les arbres et les lianes. Le travail, relativement facile lorsqu’il s’agissait des irehs, groupés en peuplement assez denses, était pénible lorsqu’il fallait exploiter des lianes situées dans des fourrés marécageux, souvent à plusieurs heures de marche du village9. L’arbre le plus commun était le Funtumia elastica ou ireh, abondant sur les hauts plateaux. Les Africains avaient coutume d’abattre les arbres pour pratiquer une incision circulaire tous les 50 cm et recueillir le latex dans une feuille placée au-dessous10. Quant aux lianes, c’était surtout en zone sylvestre la Landolphia kleini et la Landolphia owariensis, en savane la Landolphia tholonii. Coupées en fagots de 50 à 60 cm de longueur, elles étaient disposées sur un chantier légèrement incliné et le latex était recueilli dans un collecteur, bambou ou tige creuse qui l’amenait au récipient11. Certains concessionnaires et surtout l’Administration s’efforcèrent de transformer ces méthodes qui épuisaient les richesses avoisinant les villages : on apprit aux Africains à saigner méthodiquement les irehs par des incisions en « arêtes de poisson », de la base du tronc jusqu’aux premières branches. Exploités de façon trop intensive, les arbres ne mouraient pas mais pouvaient être « séchés » pour une longue période12. Quant à la coupe des lianes, interdite en Afrique occidentale, elle demeura au contraire assez répandue au Congo, bien qu’une saignée en cercles eût permis de les préserver.
8Abandonnée la plupart du temps aux Africains, la fabrication du caoutchouc était rudimentaire. La coagulation se faisait au feu ou à l’aide d’un liquide acide ou ammoniacal : citron, issangui (fruit d’un arbuste local) ou urine. Dans certaines régions, comme la Sangha, la répulsion des Africains à produire le caoutchouc tenait à leur ignorance de le préparer autrement que par un procédé long et douloureux, puisqu’ils s’enduisaient le corps de latex et le laissaient ainsi sécher pour l’arracher ensuite13. Les concessionnaires s’efforcèrent de répandre l’usage de l’eau bouillante qui permettait une meilleure conservation. Pour obtenir un produit uniforme, l’Administration fit confectionner et distribuer localement des moules en bois14. Le caoutchouc était traditionnellement commercialisé sous forme de boules, parfois de boudins15. On lui substitua progressivement des plaques ou crêpes qui, en favorisant la dessication de la gomme, éliminaient les parties fermentées et poisseuses, et surtout évitaient la fraude de matières étrangères glissées dans la masse. Au Gabon, pour stimuler le producteur, une différence de 50 centimes par kilo fut prévue en 1916 entre le taux de rétrocession du caoutchouc en boules et celui du caoutchouc en crêpes16.
9La production fut toujours laissée aux mains des Africains : les Sociétés se bornaient à acheter ce qu’ils leur apportaient de leur propre mouvement ou sur les instances de l’Administration pour acquitter l’impôt. Les projets d’exploitation directe n’aboutirent jamais. La C.F.H.C. fit une expérience limitée dans la Mossaka et le Kouyou, en utilisant des équipes de travailleurs attachés à ses factoreries. Le gérant demandait aux chefs deux ou trois hommes par village, les rassemblait par groupes de trente ou quarante travailleurs confiés à la direction d’un capita. Celui-ci s’installait avec sa famille dans un village central. Chacun des membres de son équipe répartis alentour, ordinairement dans leur village d’origine, produisaient lentement deux, trois ou quatre kilos de caoutchouc. Le mois écoulé, le capita rassemblait ses hommes et rentrait avec eux à la factorerie, où chacun était payé au prix du moment (75 centimes à 1 fr le kilo). C’est seulement là où les équipes étaient surveillées que la production atteignait six, sept et même huit kilos par homme et par mois17. La Ngoko-Sangha se mit à engager, en 1917, quelques récolteurs réguliers avec un contrat de travail aux pièces pour six mois18. Mais le projet méthodique mis sur pied par la Cie Forestière à l’époque de sa création fut bientôt abandonné.
10La C.F.S.O. avait en effet entrepris de déterminer dans la forêt les sites intéressants réservés à l’exploitation directe. Les équipes regroupaient une centaine de travailleurs sous la direction de quinze agents. En s’orientant à la boussole, ils avaient ouvert les sentiers de reconnaissance dans le sens des parallèles. Les zones riches devaient être partagées par des voies de cheminement en carrés d’un kilomètre de côté. Le tracé des diagonales déterminerait quatre blocs triangulaires de 25 ha chacun, répartis autour d’un carrefour central.
11Le premier objectif était de dégager ainsi quatre superficies forestières de 10 000 ha chacune, divisées en lots réguliers par 500 km de sentiers. Puis les arbres à exploiter seraient reliés par des layons d’aménagement sinueux, enserrant le peuplement qu’un récolteur pouvait saigner utilement en une journée de travail. Le centre de l’exploitation serait installé au milieu de la zone la plus riche de chaque aménagement : on y trouverait les habitations permanentes des travailleurs, les appareils de coagulations, les séchoirs, les magasins d’approvisionnement général et les plantations vivrières. A se fier aux comptes rendus faits chaque année devant les actionnaires, les aménagements forestiers étaient menés bon train : au 1er septembre 1912, la C.F.S.O. faisait état de 7 997 km de percées d’exploitation à travers 74 100 ha. Les sentiers de cheminement effectués auraient permis d’inventorier 1 587 123 arbres et lianes, soit une densité de 21 à l’hectare (arbres : 75 %, lianes : 25 %)19. Dix-sept aménagements étaient près d’être terminés, donnant droit en 1920, à l’expiration de la convention d’affermage, à 170 000 ha en toute propriété. En 1913, la C.F.S.O. affirmait de ce fait avoir quintuplé sa production par exploitation directe20 :
12Mais, dès 1914, en raison d’un bilan pour la troisième fois déficitaire, la compagnie annonçait la réorganisation de l’exploitation. Des « mesures prises pour la diminution du personnel » devaient comprimer les frais généraux. L’effort porta désormais sur l’expansion commerciale : on ne mentionna plus d’aménagements forestiers. La seule expérience sérieuse d’exploitation directe ne fut pas le fait d’un concessionnaire. Il s’agissait cette fois-ci du « caoutchouc d’herbes » produit, pour sa majeure partie, entre Léfini, Congo et Gabon et en Oubangui-Chari, en dehors des territoires concédés. Ce caoutchouc, d’abord extrait par rouissage et pilonnage des rhizomes de certaines lianes (notamment la Landolphia tholonii), était livré par les Africains avec des impuretés telles qu’il était assez mal coté sur le marché. Les racines, exposées pendant quelques jours au soleil, étaient coupées en morceaux de 15 à 20 cm de long groupés par fagots et plongés dans l’eau une demi-douzaine de jours pour en ramollir l’écorce. Les rhizomes étaient alors frappés violemment avec une petite massue de bois sur une pierre plate et dure. Le latex ainsi extrait était roulé en boules de 1 cm de diamètre. Après cuisson, leur juxtaposition formait des galettes, de 20 cm sur 10 et 4 cm d’épaisseur, livrées aux traitants21.
13Le pilonnage à la main exigeait une somme de travail hors de proportion avec le prix offert, car les débris d’écorce, qu’il était impossible d’éliminer sur place faute d’un outillage approprié, imposaient en Europe un laminage plusieurs fois répété22. Deux usines entreprirent à Brazzaville de débarrasser le produit de son humidité et de ses impuretés : Dinis et Nevèze au Djoué (Société d’Exploitation des Caoutchoucs du Congo), et les Messageries Fluviales du Congo à Brazzaville. Celle-ci traitait en moyenne 4 t de gomme par mois (soit un produit marchand de 2 t) bien qu’elle eût une capacité deux fois supérieure (300 kg par jour). Une troisième entreprise se proposait au même moment de pratiquer dans le Boula N’Tangou l’extraction directe de la gomme, les Africains se bornant à l’approvisionnement en racines23. Mais la production du caoutchouc d’herbes, limitée à une centaine de tonnes annuelles (1351 en 1910, 105 en 1911), connut un sort incertain. En 1913, à la suite de la crise, les usines cessèrent leur activité. L’exploitation reprit très localement en 1925 en raison d’une hausse exceptionnelle, notamment en Oubangui-Chari où les irehs n’existaient qu’au sud de Bangui et où les lianes étaient en voie d’épuisement. Le produit, qui trouvait acquéreur en 1922 à 50 centimes seulement, en 1923 à 2 frs le kilo, fut alors payé jusqu’à 5 et 10 frs, sauf par la C.F.S.O.24
2. Les plantations de caoutchouc
14Pour pallier l’épuisement de la principale richesse de la colonie, les Sociétés devaient assurer pendant la durée de leur contrat la plantation et l’entretien de cent cinquante caoutchoutiers par tonne de gomme exportée. Malgré le succès rapide des plantations de Malaisie et d’Indochine qui annonçait à brève échéance la condamnation du caoutchouc sauvage sur le marché mondial, il est surprenant de constater l’évidente mauvaise volonté des concessionnaires en ce domaine. En Asie, en effet, les premiers essais d’essences laticifères avaient eu lieu dès 1876 à Ceylan, à partir de graines de l’Hevea brasiliensis (caoutchouc dit Para)25. Les résultats, médiocres, furent en revanche couronnés de succès à Singapour. Les arbres plantés entre 1876 et 1878 commencèrent vers 1887 de fournir des graines à la péninsule malaise. A partir de 1896-97, alertés par la baisse du prix du café qui soulignait les dangers de la monoculture, les planteurs s’y intéressèrent. En 1902, environ cinq mille hectares portaient un million et demi d’hévéas. Leur nombre atteignit sept millions fin 1906 (dont trois à Ceylan, trois à Java, Sumatra et le reste des Indes Néerlandaises). Un dixième seulement de ces arbres parvint à l’âge de sept à huit ans, celui d’un rendement partiel.
15Le caoutchouc de plantation fournit 1 500 t en 1907. Les États malais représentaient une part encore réduite mais à la progression rapide :
16Le plein rapport commença à la dixième année, alors que le Para du Brésil assurait encore la quasi-totalité de la production mondiale26. Dès le début du siècle, on était donc en mesure de prédire l’évolution. Le colon gabonais William Guynet tira le 6 mars 1906 le signal d’alarme :
« Vous n’êtes pas sans savoir qu’à Ceylan, aux Indes Néerlandaises, sur tous les points les mieux choisis et de l’accès le plus facile [...], de vastes plantations se créent [...]. Dans dix ans, quinze ans, vingt ans, quand toutes ces plantations produiront et seront exploitées méthodiquement, n’est-il pas sage de prévoir une surproduction du caoutchouc et une diminution dans les prix ? »27
17L’Union Congolaise situait en 1915 la maturité des arbres, avec une production de l’ordre de 7 000 t issues de 30 000 ha seulement.
18L’essor fut plus rapide de plusieurs années :
19Le caoutchouc de plantation, qui ne représentait encore en 1910 que 12 % de la consommation, tenait près de la moitié du marché trois ans plus tard et 57 % en 191428. Après la guerre, il assura la quasi-totalité du marché (91,6 % en 1923, 97 % en 1934)29. Le Congo français, avec un maximum de 2 à 3 000 t, était un producteur mineur. Mais le caoutchouc y constituait alors la seule ressource. On s’explique donc mal le scepticisme, voire l’apathie des milieux coloniaux alors que même les voisins belges s’engageaient avec énergie sur la voie des plantations : au Congo Belge, le roi avait obligé dès 1899 les récolteurs (agents de l’État ou des Sociétés et particuliers) à établir des plantations d’arbres et de lianes à latex (à raison de 150 pieds minimum par tonne obtenue) sous peine d’une amende variant de 100 à 10 000 frs et de dix jours à six mois d’emprisonnement30. A partir de 1910 furent ouvertes deux cents plantations de lianes à caoutchouc, encouragées par des mesures détaxation prises à l’encontre du caoutchouc de cueillette. Elles rapportèrent annuellement jusqu’à 300 %31.
20Apparemment, les efforts ne manquèrent pas au Congo français, surtout lorsque en 1909, à la suite des inspections de contrôle, les compagnies furent sommées de rattraper leur arriéré. Au Gabon, seule la Cie du Fernan-Vaz expérimenta les essences les plus diverses : céaras, irehs, lianes, ficus, castilloas « et même hévéas », espèce qui paraissait pourtant « s’accommoder parfaitement au climat humide » du pays. Mais, au Moyen-Congo, les plantations surpassèrent, en un an, celles des cinq années précédentes32. Les pépinières et plantations de funtumias, hévéas, manihots et surtout irehs suscitèrent des commentaires favorables de l’Administration33.
21En Oubangui-Chari-Tchad, malgré un sol peu favorable et un climat trop chaud et trop sec, la Cie des Sultanats employait officiellement 136 ouvriers sur 133 hectares. La Cie du Kouango en faisait travailler 28034. La Mobaye, probablement sous l’impulsion d’un administrateur belge qui participait également à la Société Belge de Plantations, avait toujours manifesté beaucoup de bonne volonté en ce domaine35.
22Mais, dès l’année suivante, on s’aperçut de la vanité de ces activités. Les Sociétés avaient agi davantage « par le désir de se mettre en règle que par l’idée de faire œuvre sérieuse et durable »36. Les plantations avaient été faites à la hâte, sans examen préalable. La plupart des agents s’étaient contentés de faire nettoyer et débroussailler à la veille du passage du délégué de l’Administration.
23Le seul but était de justifier du nombre de pieds exigés sans se soucier de l’avenir des entreprises : sur certaines concessions, l’état d’entretien laissait à désirer au point que des plantations ne purent être retrouvées au moment des constats annuels37 : « Chaque année, l’annonce d’un prochain constat administratif motivait seul la mise en terre hâtive de milliers de jeunes plants destinés à figurer sur l’inventaire, puis à disparaître faute de soins quelques jours après. »38
24L’argument de la rentabilité immédiate ne tenait pas, puisque des plantations de bonne venue auraient procuré des revenus appréciables aux Sociétés bien avant la fin de leur concession. Plus sérieux sont ceux du manque de main-d’œuvre et de capacité technique. Le Ministère s’était efforcé de lancer en 1900 une enquête sur le Manihot Glaziovii (céara), plant apparemment vigoureux et prolifique, pour déterminer son extension au Congo, sa date d’introduction, la nature et l’exposition des terrains qui le portaient, les conditions de sa stérilité, etc.39 Le fait est que l’on ne connaissait à peu près rien ni des sols d’Afrique équatoriale, ni des exigences des plants que l’on voulait y adapter. Même les notions sur le climat étaient approximatives. Certaines Sociétés songèrent bien à utiliser les expériences en cours : depuis 1904, la Cie des Sultanats avait remis à ses agents des instructions sur la culture de l’ireh. En 1912, elle envoya en Malaisie un technicien qui rédigea un rapport détaillé de son voyage40. Mais, faute de compétences, ses avis demeurèrent lettre morte. La menace brandie contre les agents de supprimer leur commission s’ils n’entretenaient pas convenablement les plantations n’était guère prise au sérieux41. Ni les Européens ni, à plus forte raison, la main-d’œuvre africaine ne possédaient le bagage agronomique nécessaire. On préférait les peuplements de Manihot (céara), plus vigoureux et de belle venue, mais qui produisaient un latex aqueux de peu de valeur. Des employés ignorants les plantaient n’importe où et n’importe comment : la densité à l’hectare variait de 500 à 2 475 pieds, alors que les études du Jardin d’Essai d’Eala (Congo Belge) avaient conclu à un nombre maximum de 400 pieds à l’hectare42. Le choix des emplacements était défectueux (par commodité, le plus près possible de la factorerie), la mise en place des jeunes plants souvent trop tardive — parfois même en début de saison sèche. A Sémio et Djema (Haut-Oubangui), les irehs avaient été fixés sur le flanc de coteaux rocailleux, où la roche-mère affleurait à moins de 35 cm ; au sud de la concession, on déplorait en 1912 la lenteur de la croissance de l’Hevea brasiliensis qui supportait mal, et pour cause, les rigueurs de la sécheresse. Bref, après dix années d’effort, on ne put que dresser un bilan de faillite : « En somme... un échec complet, et si [l’opération] doit se résoudre en un simple dénombrement sans augmenter la production, elle n’a aucune raison d’être. »43
25Aussi, lorsque, en 1910, le Gouvernement conclut un nouvel accord avec la Cie Forestière Sangha-Oubangui, renonça-t-il à l’obligation des plantations. Le seul engagement de la Société fut dorénavant d’assurer, sans autre précision, le remplacement des espèces abattues. Mais elle abandonna plus ou moins les 444 000 sujets déjà replantés sur sa concession, sauvés seulement d’une prompte disparition en vue de réserver l’attribution définitive des terres « mises en valeur »44.
26Au prix de frais relativement élevés, on avait au total planté en vain plus d’un million de pieds45. Une fois encore, ce gâchis résultait de la politique à courte vue des Sociétés, de leur réticence à investir, bref de leur pénurie de capitaux et de leur inaptitude à en susciter. Faute d’un produit de remplacement, l’Administration reprit à son compte, au lendemain de la guerre, l’œuvre avortée des concessionnaires. Pour pallier l’épuisement des lianes et la dépréciation du caoutchouc de cueillette, on entreprit enfin l’étude systématique des plants brésiliens. Le céara fut choisi pour sa croissance rapide. En 1916, le chef de la colonie avait ordonné la propagation de cette essence qui fit dorénavant partie des cultures obligatoires imposées aux villageois. 132 t furent extraites en 1925 des seuls peuplements récemment créés en Oubangui-Chari dans la Circonscription de la Ouaka et la Subdivision de Foroumbala46. Les plantations de céara permirent dès lors aux Africains de se soustraire aux exigences des compagnies, puisque celles-ci n’avaient droit qu’au caoutchouc « de brousse ». Le commerce en était prospère au passage de Gide, qui assista au marché mensuel de Fort-Sibut :
« Affluence des indigènes. Ils apportent, dans de grands paniers, leur récolte de caoutchouc de céaras dont les récentes plantations, grâce à l’initiative de Lamblin, couvrent les régions en bordure des routes47 [...]. Il a ainsi rendu aux indigènes et, partant, à la colonie, un aussi grand service que par l’établissement de son réseau routier. »48
27Il était trop tard, face à la configuration nouvelle du marché mondial des caoutchoucs. C’était cependant la preuve que, même avec des moyens limités, même dans une zone peu favorable, même dans un contexte de sous-peuplement, des efforts ordonnés pouvaient assurer presque immédiatement des résultats.
3. L’évolution de la production
28L’argument maintes fois repris par les concessionnaires fut que l’avenir économique du pays reposait entre leurs mains grâce à leurs efforts pour intensifier la production du caoutchouc. Mais ceci resterait à prouver : le caoutchouc avait été de longue date un produit d’échanges, au même titre que l’ivoire, le « bois rouge » (de teinture) et naguère les esclaves. A l’arrivée des Européens dans le pays, le volume exporté par le courtage traditionnel (monté brusquement à plus de 1 000 t en 1883, au moment de la prise de possession du pays par la troisième mission de Brazza) n’était pas de beaucoup inférieur à la moyenne annuelle assurée ultérieurement.
29Les exportations baissèrent seulement dans les premières années d’occupation, à la suite des mesures restrictives imposées à la navigation et au commerce en faveur des transports administratifs.
30Certes, on le voit par le graphique ci-dessus, la création des concessions doubla momentanément la production, qui passa de 600 t à la fin du xixe siècle à 1 200 t en 1904. Mais elle plafonna en 1907 avec un peu moins de 2 000 t, soit seulement la moitié de la production de l’A.O.F. à la même époque. Si elle retrouva ce chiffre en 1916 et en 1920, ce fut à la suite de l’effort de guerre (avec un maximum de près de 3 000 t en 191749), parce qu’il n’y avait pas en A.E.F. de produit de remplacement, et surtout sous l’impulsion du commerce libre, dont la production doubla entre 1906 et 1912 (de 200 à 400 t) et ne cessa de croître ensuite, à mesure que les sociétés concessionnaires s’effaçaient du marché50.
31La confrontation, malheureusement fragmentaire, des exportations concessionnaires et des exportations générales, confirme qu’après un effort modéré de mise en route, entre 1900 et 1905, les Sociétés atteignirent dès le départ leur rythme de croisière (1 100 à 1 300 t51) . C’était le seuil au-delà duquel, pour faire progresser la production, il fallait renoncer au système : non pas tellement consentir des frais d’investissements considérables, mais à tout le moins étudier le marché, améliorer la qualité des stocks, élever les prix d’achat, accepter la loi de l’offre et de la demande. Beaucoup ne purent s’y résoudre. D’où la disparition, par exemple, de la Cie des Sultanats et la chute des exportations concessionnaires.
4. La fluctuation des cours
32II est juste de souligner que le régime concessionnaire n’était pas seul responsable : les compagnies souffrirent surtout de n’exploiter qu’un seul produit, le caoutchouc de cueillette, étroitement soumis aux fluctuations du marché qui subit localement la concurrence sévère du Congo de Léopold et qui, de surcroît, connut sur le plan mondial une dépréciation irréversible précisément au moment où, après avoir stagné pendant une dizaine d’années, la consommation s’accroissait.
33La vogue du caoutchouc correspondit, on le sait, à l’essor de l’industrie des pneumatiques lié aux progrès de la construction automobile. Les tonnages du produit passés sur le marché d’Anvers, débouché de la côte occidentale d’Afrique, sont à cet égard révélateurs :
34Au Congo français, le caoutchouc avait démarré plus tard que dans l’État Indépendant. La production se ressentit seulement en 1903, et surtout en 1904, de l’apparition du régime concessionnaire. Or, dès 1907, le coup d’arrêt fut donné par la crise industrielle américaine, corollaire de la crise financière. Les cours s’effondrèrent au milieu de l’année. La production qui avait jusqu’alors suivi la hausse des prix accusa la baisse avec un retard de quelques mois, délai inévitable entre la récolte et les ventes en Europe. D’où une chute des exportations de 500 t l’année suivante (de 1 933 à 1 441 t) lorsque, les prix ayant baissé de 50 %, les concessionnaires refusèrent aux producteurs la rémunération en marchandises à laquelle ils avaient jusqu’alors été habitués.
35La reprise favorisa à nouveau l’essor du caoutchouc. Les cours furent maxima en 1910 (25,50 frs par kilo52). Mais en 1913, de nouveau, ils s’effondrèrent. L’avilissement provenait cette fois-ci de l’apport de meilleure qualité des plantations d’Extrême-Orient :
36Alors que les plantations sud-asiatiques entraient dans une ère de prospérité53, en Afrique française la production s’écroula. Celle d’A.O.F. passa de 4 000 à 2 500 t, puis à 770 t seulement en 1920. Celle d’A.E.F. se maintint faute de mieux, les Africains restant tenus d’accepter les tarifs draconiens des concessionnaires, seule ressource dont ils pussent disposer pour acquitter le montant d’un impôt augmenté au même moment. Jusqu’en 1920 le gonflement de la production fut artificiellement maintenu en raison de l’effort de guerre : grâce aux mesures du gouvernement
« pour obtenir de l’indigène un travail plus en rapport avec ses moyens et les nécessités du moment, [les agents des Sociétés], encouragés et aidés par les fonctionnaires locaux obéissant à des ordres supérieurs et au sentiment de leur devoir, n’ont pas ménagé leurs efforts »54.
37Mais le cours se releva seulement vers la fin du troisième trimestre 1919, passant progressivement de 5 et 6 frs à un peu plus de 10 frs (prix maximum) avant de fléchir à nouveau à moins de 6 frs un an plus tard55, et même 3 frs à la fin de l’année56.
38La crise des années 20 acheva de désorganiser le marché. A partir de cette date, même les dividendes des Sociétés de Malaisie tombèrent à 3,2 et même à 2,1 %. Car la consommation n’avait pas suivi le rythme de la production, qui décupla de 1910 à 1930, avec l’arrivée sur le marché, entre 1920 et 1925, de l’énorme apport des plantations qu’on avait multipliées cinq ans plus tôt57. On mesure l’évolution en songeant que le prix de vente du caoutchouc sylvestre était passé, en moins de dix ans et en dépit de la hausse des prix, de 12 à 15 frs germinal à moins de 6 frs, valeur proche du prix de revient. Le mouvement était irréversible : le prix du caoutchouc, sur le marché de Londres, s’abaissa par rapport à la base 100 en 1913 à 65 en 1926 et à 13 en 1930. Les bénéfices exorbitants d’avant-guerre étaient révolus.
39Plusieurs Sociétés donnèrent l’ordre de suspendre les achats aux Africains ou, du moins, de répondre au refus du Gouvernement général d’abaisser le taux de rétrocession par le rejet du produit versé au titre de l’impôt. La Cie des Sultanats avait stoppé ses ventes dès la fin de 1920, et cessa toute opération sur le caoutchouc en 192158. La S.H.O. arrêta ses achats en mars de la même année59. La Kotto fit de même60 et menaça de suspendre également le commerce d’ivoire. La C.F.H.C. cessa sa production jusqu’en 192361. Les exportations tombèrent à 710 t en 1922. Les Sociétés suscitèrent une série d’articles contre le taux abusif des droits de sortie en période de marasme62, alors que le Gouverneur général d’Indochine accordait à ses planteurs des primes à l’exportation et que certains négociants commissionnaires de Paris (Alcan) réduisaient leur part de moitié pour aider les exploitants d’A.E.F.63
40Les récoltes reprirent en 1923 et les cours atteignirent de nouveau un niveau inespéré. Les Anglais, en effet, pour conjurer la crise en limitant une production qui menaçait de s’enfler d’année en année, mirent en application le « Plan Stevenson » qui prévoyait une restriction volontaire des exportations par le stockage de 40 % du caoutchouc. Les effets s’en firent sentir dès 1925 : le prix du caoutchouc remonta de 95 %. En même temps, la hausse de la livre sterling entraîna pour la France des taux très rémunérateurs sur la vente des produits, en raison d’opérations de change particulièrement bénéficiaires. En 1926 encore, Gide vit à Fort-Sibut cinq commerçants acquérir la totalité de la récolte locale à 7,50 frs le kilo, « ce qui peut paraître un prix fort raisonnable à l’indigène, qui ne vendait le caoutchouc, récemment encore, que 3 frs ». Mais les enchères pouvaient monter jusqu’à 18 frs le kilo et les cours s’élevèrent à Kinshasa jusqu’à 30 et 40 frs64. Le caoutchouc de la Cie Forestière trouva preneur jusqu’à 48 frs le kilo65. La courbe du prix moyen de vente du caoutchouc des Sultanats reflète les fluctuations de la période66.
41La hausse ne dura pas, car les planteurs des Compagnies néerlandaises avaient refusé d’adhérer au Plan Stevenson. En outre, les Américains s’en trouvèrent finalement lésés : l’industrie automobile souffrait de voir le prix du caoutchouc doubler en une seule année. Aussi, vers 1928, cette politique fut-elle abandonnée. Au mouvement de hausse succéda un effritement des cours. De 1925 à 1928 les prix s’abaissèrent progressivement de 65 à 21 frs le kilo. Ils tombèrent même à 9 frs avec la libération des stocks accumulés en Malaisie. Le krach de 1929 acheva d’effondrer les cours. En 1930 le caoutchouc se vendait 3,50 frs ; en 1932 il ne valait plus que 1,25 fr le kilo67.
42La crise prit dans les colonies les proportions d’une calamité. L’effondrement des cours entraîna l’arrêt total des achats aux Africains. Ceux-ci, déjà appauvris, soumis sans le savoir aux aléas du marché mondial, sombrèrent dans le dénuement. Les exportations de produits furent presque totalement supprimées et les postes d’achat fermés. Le caoutchouc de cueillette, tombé à moins de 500 t, connut seulement un renouveau exceptionnel à l’époque de la seconde guerre mondiale. Mais la production se réduisait à 50 t seulement en 194668.
5. Les producteurs africains
43Face à la consommation mondiale (900 000 t en 1939), la production du Congo apparaît dans toute sa médiocrité. On ne peut que s’étonner de la démesure des efforts tentés par l’Administration et des souffrances endurées par les populations pour un si piètre résultat.
44Si le caoutchouc de cueillette se maintint si tardivement, c’est, répétons-le, parce que dans de nombreuses régions les Africains ne disposaient guère d’autres ressources pour acquitter l’impôt. Dès lors, la question se pose de déterminer quelle somme d’efforts leur était imposée pour la récolte. On sait que, pour obtenir un kilo de caoutchouc, un bon travailleur devait effectuer quatre jours de travail continu. En fait, laissé à lui-même, l’Africain produisait environ 4 kg par mois. Le maximum atteint sous surveillance dans le même temps était de 8 kg. Jusqu’à la guerre, la taxe de capitation se montait à 5 frs et le caoutchouc était payé au producteur jusqu’à 2 et 3 frs par les commerçants libres, mais seulement 1 fr, et plus souvent 60 à 80 cenimes par le concessionnaire. A supposer que tous les hommes adultes en état de travailler se fussent livrés à ce travail, l’Africain effectuait en moyenne, pour ce faire, au moins un mois, plus souvent un mois et demi ou même deux mois de travail sur la concession. C’était probablement un maximum. Si l’on estime à deux millions et demi environ la population totale (Gabon, Moyen-Congo et Oubangui-Chari) touchée par la capitation, si l’on ajoute que le nombre moyen de personnes par ménage (homme plus femme plus enfants) était de l’ordre de cinq69, on s’aperçoit qu’un travailleur produisait en moyenne (pour un total de 2 000 t) 4 kg de caoutchouc par an. Ce chiffre est confirmé par des sondages plus localisés : le Moyen-Congo, terrain privilégié des concessionnaires, exportait en année moyenne 600 t de caoutchouc. Le recensement de 1913, approximatif mais révélateur du nombre d’habitants alors touchés par la capitation, estimait la population à 957 000 habitants, dont 115 200 adultes masculins en âge de travailler70. Un calcul identique au précédent donne une production annuelle moyenne de 5,2 kg par homme, équivalant à la quantité exigée pour acquitter l’impôt. Si l’on tient compte du fait que certains produits de remplacement (comme les palmistes) commençaient tout juste d’apparaître, la production correspondait à l’impôt augmenté d’un léger supplément : soit que les concessionnaires eussent réussi à l’imposer par la contrainte, soit plutôt que les habitants eussent éprouvé par eux-mêmes le besoin de disposer d’un minimum d’argent nécessaire à leurs achats.
45Autrement dit, la production du caoutchouc était étroitement redevable à l’impôt de capitation. Sans cette obligation, elle serait probablement demeurée à peu près nulle. L’effort demandé n’était certes pas négligeable. Mais il n’apparaît pas excessif : le rapport d’enquête de 1905 était probablement dans le vrai, qui incriminait, moins que la perception elle-même, peu aimée mais acceptée sans troubles majeurs, les méthodes de contrainte utilisées par les concessionnaires qui transformaient en brimade insupportable une obligation au demeurant tolérable71.
46Cependant, tous les Africains ne se livraient pas au travail du caoutchouc. Dans certaines régions, il existait d’autres ressources. Ainsi, au Gabon, les hommes trouvèrent-ils chaque jour davantage à s’employer sur les chantiers forestiers, dans les plantations de la côte (café, cacao, etc.) ou au service des Européens. Avec 400 000 habitants environ, et une production moyenne annuelle de 3 à 400 t avant guerre, la récolte par homme tomba à seulement un kilo. Même pendant la guerre, malgré le programme d’intensification de la production prévu par la circulaire du 13 février 1915 et appliqué surtout l’année suivante, les exportations furent médiocres72. Ensuite, en raison de l’essor de l’okoumé, le caoutchouc disparut progressivement.
47Les exportations par ports, pour les années connues, étaient les suivantes (en tonnes) :
48En Oubangui-Chari, en raison de conditions naturelles généralement défavorables, la Cie des Sultanats et la Cie du Kouango assuraient à elles seules la plus grande part de la production :
49De la même façon, au Moyen-Congo, la production du caoutchouc, progressivement remplacée par la traite des palmistes, se maintint surtout sur le territoire de la Cie Forestière. En 1923, celle-ci produisait 458 t sur un total de 607, contre 271 seulement au commerce libre73.
50Après 1920, le nombre des travailleurs du caoutchouc décrut sensiblement pour une production moyenne totale d’environ 1 500 t par an, donc supérieure à la période précédente. Sauf en cas d’expériences limitées de cultures obligatoires (comme pour les rhizomes en Oubangui-Chari), les récolteurs se cantonnèrent dans les zones encore concédées. Leurs conditions de vie s’aggravèrent : pour un prix d’achat nominalement resté le même, l’écart avec la valeur payée avant-guerre atteignit parfois, en raison de l’inflation, le rapport de 1 à 1674. Or, dans le même temps, le taux de la capitation était passé de 5 à 10 ou même 15 frs. L’Africain, tenu de travailler trois ou quatre fois plus longtemps pour acquitter sa contribution, devait alors fournir environ trois mois de travail à titre gratuit. En même temps, les conditions de la production devenaient de plus en plus pénibles, à mesure que l’épuisement des peuplements situés à proximité des villages, attesté par de multiples témoignages, le contraignait de s’éloigner de plus en plus loin et de plus en plus longtemps de son domicile, pour vivre en forêt ou au milieu de fourrés marécageux souvent infestés de mouches tsé-tsé. Aux conditions sanitaires détestables s’ajoutaient les difficultés de l’approvisionnement en vivres et l’obligation de porter sur de longues distances le produit récolté. Le tout accroissait encore la durée de son absence. S’il désirait en outre mettre de côté le pécule indispensable à l’acquisition de quelques objets de première nécessité, son effort, prolongé cinq, six mois ou même davantage, devenait bien supérieur à celui d’avant-guerre, pour un pouvoir d’achat très inférieur. Autrement dit, alors que la moyenne du travail fourni par individu avait augmenté sur la concession et que les exportations s’étaient accrues en conséquence, le producteur n’en retirait aucun avantage, bien au contraire.
51Le travail du caoutchouc, fardeau naguère pesant mais supportable, était devenu localement un fléau qui accablait des populations exaspérées par la vanité de leurs efforts. C’est ainsi qu’à juste titre le perçut en pays baya André Gide, qui évoquait le
« régime abominable imposé aux indigènes par les Grandes Compagnies concessionnaires [...]. La situation faite aux indigènes, aux ‘saigneurs de caoutchouc’ comme on les appelle, par telle ou telle de ces compagnies, [l’est] pour le seul profit, pour le seul enrichissement de quelques actionnaires.
Qu’est-ce que ces grandes compagnies, en échange, ont fait pour le pays ? Rien. [...] Elles l’ont exploité [...], saigné, pressuré comme une orange dont on va bientôt rejeter la peau vide. »75
52Le caoutchouc congolais, fruit d’une politique concessionnaire périmée, sans même profiter au négociant européen en raison de la dépréciation des cours et de son volume insignifiant face à la production mondiale, était maintenu seulement au nom de la nécessité d’un impôt dérisoire. Les méfaits de cette exploitation furent sans commune mesure avec les résultats obtenus.
III. LA NAISSANCE D’UNE INDUSTRIE : LE BOIS
1. L’essor de la production
53L’exploitation du bois n’était pas inconnue au Congo : les échanges traditionnels exportaient depuis longtemps le « bois rouge » ou padouk (« bois corail » ou bois de santal) appelé Kaulla sur le fleuve et utilisé en teinturerie76. Sur la côte, notamment dans la forêt de Mayumba, il était connu depuis les débuts de la traite : l’abbé Proyart le citait en 177677. Il était commercialisé dans la cuvette congolaise sous forme de bûchettes de 10 cm de long sur 3 à 4 cm de section78.
54A la fin du xixe siècle commença de se développer la recherche des essences exotiques : ébène, acajous et autres bois d’ébénisterie considérés comme précieux. Les difficultés de l’abattage et du transport limitaient les opérations sur ce produit lourd et encombrant dont l’exploitation se cantonnait le long des cours d’eau et surtout à proximité de la côte : en 1903, sur une exportation totale de 13 800 t, l’Oubangui- Chari fournissait seulement 1 305 t, dont 1 110 sous forme de bois de teinture, et seulement 5 t d’okoumé79.
55L’okoumé, qui a fait depuis lors la richesse du Gabon, apparut à l’extrême fin du siècle80. La première bille parvint à Glass (village de Libreville) en juillet 1889, remorquée par des piroguiers Fang81. Sur les instances du Lieutenant-gouverneur du Gabon Charles de Chavannes, le directeur en Afrique de la S.H.O., Sajoux, ne put refuser à la colonie, dont il était membre du Conseil d’administration, l’expérience d’envoyer en France un premier échantillon de 7 à 8 t. Le lot se vendit bien. Daumas fonda aussitôt les plus grands espoirs sur « le bois de koumé [sic] [...], cette nouvelle branche d’affaires [...] qui commence et qui n’est pas encore dans les mains de tout le monde ». Il prévoyait de constituer « immédiatement de larges approvisionnements sur place » et de substituer au transport par vapeur, au fret très élevé de 35 frs la tonne, des chargements par voilier, beaucoup moins chers82. Mais les courtiers du Havre, orientés vers les bois du nord et du Canada, se liguèrent contre lui et le second envoi se vendit aux enchères 28 frs la tonne seulement. Le commerce du bois d’okoumé s’en trouva en France retardé de vingt ans.
56Ce bois tendre et léger était celui d’un arbre magnifique, de 30 à 40 m de haut (Ancoumea Klaineana Pierre), dont le fût, d’un diamètre atteignant 1,50 m, s’élève d’un seul jet au-dessus de larges contreforts. Il se rencontre communément au Gabon où, en raison de conditions écologiques favorables, il représente l’élément caractéristique de la forêt secondaire : essence de lumière qui porte ses premiers rameaux à 25 ou 30 m du sol, l’okoumé pousse à la faveur des défrichements dans les clairières ou les savanes protégées par des écrans forestiers. Parfaitement adapté au climat équatorial, il se contente d’une insolation réduite et aime l’air humide, mais sa floraison d’octobre exige d’être précédée d’une brève saison sèche. Aussi croît-il, de préférence, à proximité de la côte, autour des lacs ou dans les vallées83.
57Les Africains le recherchaient pour sa résine odoriférante dont ils faisaient des torches, et utilisaient son tronc régulier et facile à travailler pour creuser leurs pirogues. Les Européens apprécièrent son bois rosé à grain fin, dont la faible densité (0,45) facilitait l’évacuation par flottage. Il fut d’abord employé par les Allemands comme bois d’ébénisterie bon marché, susceptible de rendre les mêmes services que le sapin ou le peuplier, surtout dans les industries du transport : cloisons de wagons, roufs de navires, carrosseries automobiles, etc.84 La production d’okoumé, médiocre au départ, prit rapidement la première place : 5 000 t en 1902, près de 8 000 en 1905, 45 000 en 1907, 53 000 en 1908, 33 000 seulement en 1909, mais déjà 91 000 en 1911 sur un chiffre total de 102 000 t de bois exporté85. Mais, bien qu’il eût été dès 1892 introduit dans les statistiques douanières, l’okoumé fit longtemps des apparitions intermittentes dans les publications annuelles qui détaillaient par ailleurs complaisamment bois de teinture, acajou ou ébène. Même après la guerre, alors que l’okoumé occupait désormais une place de choix sur le marché international des bois coloniaux (381 000 t en 1930), les statistiques coloniales ne le mentionnèrent pas nommément86. On ne prit que lentement conscience, en effet, du rôle majeur qui lui était imparti.
58En France, on s’était préoccupé tardivement d’inventorier les possibilités sylvestres du Gabon, dont la forêt couvrait pourtant plus de la moitié du territoire (140 000 km2 environ). La première enquête sérieuse fut celle de la mission Salesses (le constructeur de la voie ferrée de Conakry au Niger) effectuée pour le compte des grandes compagnies de chemin de fer87. L’examen systématique des bois fut entrepris par l’Administration à l’occasion de l’effort de guerre : une mission d’économie forestière coloniale eut pour objet de surveiller l’exécution des marchés passés pour fournitures de bois au service du Génie, mais aussi, à cette occasion, de prospecter les ressources sylvestres88. Les bois gabonais usuels furent dorénavant dotés d’un nom scientifique et d’un seul nom en langue indigène. Une quarantaine d’espèces furent retenues comme susceptibles d’utilisation immédiate. L’ouvrage décisif d’Auguste Chevalier — qui avait remonté le Congo en 1902 et parcouru le Gabon en 1912 — parut en 1916. Il fut progressivement suivi d’autres études89.
59En 1916, on en était encore à chercher un débouché pour la production locale90. Le marché de l’okoumé, presque exclusivement écoulé à Hambourg, avait été anéanti par la guerre. Aux restrictions de la navigation s’ajoutaient les hausses du fret : la Cie des Chargeurs Réunis avait augmenté son tarif de 25 % et exigeait le paiement d’avances, impossible à envisager pour un produit aussi lourd91. Les exportations tombèrent dès le début des hostilités : 130 000 t en 1913, 4 000 seulement en 1916. Pour sortir de la crise, la colonie songea d’abord à fournir des traverses de chemin de fer à usage militaire. Le Lieutenant-gouverneur estimait en 1916 pouvoir assurer 10 000 traverses en trois mois92. Mais le palétuvier prôné par la S.H.O. et les bois durs proposés par la S.A.F.I.A., la C.C.A.E.F. et l’Administration de l’Estuaire ne figuraient pas sur la liste des essences admises au nombre des bois à traverses93. Une première livraison de 1 000 t, destinée à « expérimenter nos essences [afin de] substituer nos bois coloniaux aux bois étrangers », fut effectuée fin 191694.
60La même année, le Département de la Guerre avait fait connaître ses besoins en bois de construction d’essences tendres. Les commerçants du Gabon proposèrent d’assurer 50 000 t en trois mois, puis 7 000 t mensuelles. Mais les prix demeuraient élevés : de 21 à 40 frs la tonne d’okoumé95, de 30 à 50 frs la tonne de bois dur96. Les exploitants de la zone côtière méridionale étaient plus exigeants encore ; en raison de la précarité de l’embarquement des bois au travers de la barre, la S.A.F.I.A. offrait la tonne à 60 frs prise sur la plage de Nyanga, sans risquer la livraison sous palan. De même, la traverse prise sur place revenait au moins à 4,75, frs, plus souvent à 6,50 frs pièce97. L’Administration avait intérêt à s’adresser directement aux Africains qui livraient déjà à la S.A.I.O. (Société Agricole et Industrielle de l’Ogooué) ou à la S.H.O. des traverses bien faites pour 4 à 4,50 frs seulement.
61C’est l’aviation qui détermina le vrai démarrage de l’okoumé. Pour la première fois, deux commerçants de Port-Gentil livrèrent en 1916, l’un (Peyrebère) 1 500 t à la maison Leroy, l’autre (Galland) 600 t à la maison Gourde et Pelvy98, destinées à l’aéronautique militaire. Les exportations ne reprirent sérieusement qu’après 1920 : avec la mise au point des techniques de déroulage et l’industrie du contre-plaqué, la courbe des exportations s’accrut assez régulièrement jusqu’à la crise de 1930. Le chiffre de cette année-là (380 000 t) ne fut dépassé à nouveau que par celui de l’année exceptionnelle de 1937 (407 000 t).
62Les essences précieuses, naguère seules exploitées, furent délaissées. Leur densité rendait difficile une évacuation interdite par flottage (sinon de façon aléatoire et limitée, en faisant remorquer quelques billes par les radeaux d’okoumé). Leur dureté rebutait les bûcherons africains et aurait exigé des installations de sciage onéreuses auxquelles les Sociétés se refusaient. Enfin leur écoulement était rendu problématique par un marché déjà organisé vers d’autres bois coloniaux. Les exportations de « bois divers » cessèrent progressivement de s’accroître, puis chutèrent même de moitié après 1908 (de 16 000 à 8 000 t)99. Elles oscillèrent après la guerre de 10 000 à 20 000 t au maximum100.
2. Les conditions d’exploitation avant la première guerre mondiale
63La colonie s’était précocement efforcée de réglementer l’industrie forestière. L’exploitation était régie par le décret du 28 mars 1899, complété par une série d’arrêtés101. La coupe, subordonnée à un permis personnel et temporaire de l’administrateur, émanant du Lieutenant-gouverneur si elle était inférieure à 200 ha, du Gouverneur général dans le cas contraire, devait se faire de proche en proche, et les parties exploitées étaient mises en réserve jusqu’à nouvelle décision. Une série de restrictions visait à réserver l’avenir et à protéger la forêt d’une exploitation trop intensive. Il était interdit d’abattre les espèces productrices de gommes et résines, d’écorces tanifères ou tinctoriales, mais aussi les arbres trop jeunes (de moins d’un mètre de diamètre), mesure complétée en 1911 par la définition des dimensions des billes exportables102. On ne pouvait non plus défricher sans autorisation une superficie supérieure à 400 ha, ni déboiser les versants trop inclinés (plus de 35 %) sujets à érosion, ou tout autre terrain réservé par l’Administration. Enfin, devant la fureur d’abattre au plus près et au moins cher, on avait protégé les environs de Brazzaville103.
64Certaines obligations, comme celle de mettre en terre, dans les forêts à essences vaguement définies « de grande valeur », un nombre de pieds au moins double de celui des troncs abattus, furent encore moins respectées que les clauses de plantations d’arbres à latex. L’absence d’un personnel technique qualifié distinct du personnel d’exploration rendait la mesure inapplicable. Elle fut remplacée en 1920 par une taxe de repeuplement (1,50 à 2 frs par mètre cube de bois exporté) destinée à financer un service forestier compétent, seul capable de poursuivre une tâche de cette envergure104. Mais les repeuplements systématiques d’okoumé ne sont apparus au Gabon qu’à une date toute récente105. En revanche, tout forestier devait enregistrer chaque arbre abattu, repéré par l’empreinte d’un marteau portant la marque de l’exploitation, et tenir à jour le registre des expéditions, avec la mention du poids et du volume obtenus, etc.
65En fait, ces instructions servirent peu jusqu’à la guerre. Comme les autres produits de la colonie, le bois était fourni par la traite de préférence à l’exploitation directe. La forêt équatoriale est en effet très hétérogène ; il est rare de rencontrer un gisement d’okoumé supérieur à deux arbres à l’hectare, ou même trois pour deux hectares. Tant que l’outillage demeura rudimentaire, le forestier préféra donc s’en remettre aux Africains pour repérer les arbres, les abattre et même les évacuer. Les procédés ne différaient guère de ceux utilisés pour la fabrication des pirogues106. Tout se faisait à la main. Le seul outil d’importation d’abord généralisé fut la hache, qui servait à l’abattage pratiqué par des bûcherons haut perchés sur un fragile échafaudage de branches au-dessus des digitations du tronc puis, une fois écroulé l’arbre géant, au tronçonnage sur place, un mois plus tard environ. Les billes étaient nécessairement débitées assez courtes (de 2,50 à 4 m de long) mais pesaient pourtant jusqu’à 4 t. Elles étaient roulées par une quinzaine d’hommes au moins, armés de lianes et de leviers (les mirombos), longues perches de bois dur, sur des plateaux de rondins (les irondes) qui facilitaient le glissement jusqu’au bord de la rivière, le long de chemins de roulage qu’il fallait déblayer sur une dizaine de mètres de largeur. Aussi devait-on parfois compter une demi-journée pour progresser d’une centaine de mètres seulement. Enfin la bille, guidée de la berge ou par une équipe de piroguiers, était entraînée par le courant jusqu’au lieu de rassemblement.
« Là, les radeaux étaient formés — billes attachées par des lianes sur des perches —, et ils descendaient au fil de l’eau, guidés par quelques Noirs. A l’aval, il devenait possible de former de grands radeaux de 20 ou 30 billes, solidement amarrées sur de gros bambous. Les indigènes en nivelaient le dessus avec de la terre et des écorces. Ils y construisaient des cases, et parfois tout un village — une quarantaine de personnes — y menait pendant plusieurs semaines, au gré des eaux, une existence insouciante. On s’arrêtait la nuit. Lorsque la marée supprimait le courant, en jetant à l’avant du radeau une grosse pierre retenue par une liane, il devenait possible d’avancer lentement en tirant ensuite sur la liane. 11 fallait un bon mois pour descendre de Lambaréné au Cap Lopez. »107
66Le travail était dur et les accidents fréquents. Parfois le radeau, échoué, devait être halé de la rive. D’autres fois, si les eaux n’étaient pas assez hautes, il fallait lancer les billes une à une à travers les rapides, avant de les recueillir dans le sable et de reconstituer le train en aval. Il est remarquable de noter que ce procédé primitif était encore utilisé en 1965 par la S.H.O. : la Société avait affermé à la poignée de traditionnels piroguiers okandé vivant encore sur les bords de l’Ogooué (80 environ) le soin de faire franchir les chutes de Booué aux grumes du chantier Lélédi situé en amont, en attendant la construction d’une route qui permît de contourner le fleuve.
67L’absence d’exploitation directe expliquait la rareté de l’outillage. A de rares exceptions près, il n’existait même pas de scieries, les Africains débitant eux-mêmes le bois. Cependant, en 1904, un colon (Delon) avait installé au Cap Lopez une scierie à vapeur. Une autre fut mise en service à Libreville par les Travaux Publics pour façonner les billes d’okoumé et fabriquer sur place les planches et madriers nécessaires108. La Société Gabonaise d’Entreprise et de Transports, filiale de la S.H.O., installa en 1910 au Cap Lopez une scierie mécanique et un atelier d’équarrissage pour les billes. Mais son matériel était mal adapté au travail de l’okoumé109. Les premières tentatives sérieuses eurent seulement lieu après la guerre : des scieries à vapeur furent installées par Broët à Port-Gentil, la C.C.A.E.F. à Libreville, Gillet à N’Jégoué dans les grands lacs, enfin par la mission protestante à N’Gomo sur l’Ogooué110. Au Moyen-Congo, l’absence de voies d’eau flottables pour amener à la côte des trains de bois et les tarifs élevés du chemin de fer belge permettaient seulement l’exportation de quelques essences riches, en billes de faibles dimensions111. Il était indispensable de débiter les bois sur place. Pourtant, les tentatives furent timides. Les Messageries Fluviales du Congo établirent en 1911 un atelier bien outillé : scie verticale à cinq lames, scies circulaires et à ruban, raboteuse, tour, etc. Mais il servait seulement à façonner quelques beaux meubles en bois « exotiques », de même que la scierie installée par le colon Ferrière à Bouba sur la Léfini112.
68Le seul exemple d’exploitation industrielle du bois était à cette époque d’usage strictement interne : pour faciliter l’approvisionnement en combustible des vapeurs circulant sur les fleuves, la colonie créa en 1900 une série de postes à bois situés en moyenne à un jour de marche les uns des autres, destinés à remplacer les anciennes équipes de coupeurs transportés à bord qui approvisionnaient le bateau tout le long de la route, mais aussi retardaient sa progression, quinze à vingt coupeurs permettant seulement d’assurer quotidiennement huit à dix heures de marche sur vingt-quatre113. Soumis à une autorisation administrative accordée contre une taxe annuelle fixe de 600 frs114, les postes à bois, pour lesquels aucun périmètre n’était imposé aux bénéficiaires, donnèrent lieu à un commerce lucratif et créèrent localement un marché de l’emploi, puisque les coupeurs (une quinzaine par poste) étaient engagés à 7 frs par mois, plus une ration de 5 centimes par jour. La carte 31 permet d’en apprécier la fréquence.
69Avant la première guerre mondiale, les seules grandes concessions forestières furent celles reconnues aux anciennes sociétés concessionnaires de la côte gabonaise ou de la région des lacs. La zone de 5 km de profondeur en bordure des lagunes de Setté-Cama et d’Iguela accordée le 22 juin 1910 au groupe Du Vivier de Streel115 avait un accès facile à la mer par les rades foraines qui jalonnaient la côte jusqu’à Nyanga et Mayumba. Mais l’obstacle majeur était l’absence de moyens d’évacuation ; peu de cargos faisaient escale au large d’une côte d’approche malaisée où le grand problème était de remorquer les radeaux à travers la barre ; vents et courants chassaient les trains de bois vers le large ou rejetaient les billes une à une sur la grève, où nombreuses sont celles que l’on voit encore aujourd’hui à demi enfouies dans le sable : la S.A.F.I.A. n’exportait guère, en année moyenne, plus de 2 à 3 000 t de bois.
70La politique suivie par les grandes compagnies fut de céder leurs droits à des exploitants libres rompus aux techniques de la traite traditionnelle. La S.A.F.I.A. revendit en novembre 1914 à Ving, négociant à Bongo, son privilège d’exploitation des bois dans le Rembo. La Société des Factoreries de Ndjolé donna naissance à la C.E.F.A. (Cie d’Entreprises Forestières Africaines). La Société de l’Ogooué-Ngounié céda, de même, à Quillard (déjà concessionnaire dans les lacs sous le nom de G. Anciaux et Cie), contre 110 000 frs, l’ensemble des avantages que lui avait accordés la convention du 8 septembre 1911 autour du lac Ezanga. Mais Quillard, mobilisé en août 1914, dut confier la gérance de son entreprise à la S.H.O. qui ferma les factoreries et s’en remit au système des traitants. Ceux-ci faisaient également la loi sur la côte nord, dans l’estuaire du Gabon, dans la région des lacs autour de Lambaréné, zone facilement reliée au Cap Lopez par l’Ogooué, enfin sur la côte méridionale où les bois de la forêt du Mayombé aboutissaient au bas Kouilou et à la rade de Loango.
71La première entreprise à tenter une exploitation rationnelle fut celle de Peyrebère qui, secondé par deux Européens, obtint fin 1913 un permis de 10 000 ha sur le lac Oguémoué pour une période de dix ans renouvelable116. Tandis que les autres titulaires de permis se contentaient encore d’exploiter les arbres proches de l’eau, il fit repérer systématiquement les peuplements d’okoumé sur une profondeur de 4 km.
72Les arbres à abattre, choisis de belle venue et pas trop jeunes, étaient marqués et coupés au fur et à mesure. Une voie Decauville (apparemment la première du genre) reliait le chantier au lac et enlevait les bois débités.
3. L’essor d’après-guerre
73On commençait en effet à constater que l’exploitation « sauvage » n’allait pas sans inconvénients. Les billes coupées sans discernement étaient souvent mal présentées et de qualité inférieure. Les Africains avaient de plus en plus tendance à abattre les arbres les moins lourds — donc trop jeunes — au fur et à mesure que s’épuisaient les peuplements les plus proches des rivières. Lorsque cette possibilité leur fut ôtée (par la normalisation, en 1911, des billes autorisées à l’exportation), les chemins de roulage s’allongèrent démesurément, jusqu’à 15 km, distance moyenne des chantiers à la rivière sur les concessions du Consortium en 1929117.
74Au lendemain de la guerre, les exploitants songèrent à intensifier la production en créant leurs propres entreprises. La construction de voies Decauville, formées d’éléments aisément transportables de cinq mètres de long, transforma les conditions de l’exploitation. On vit dès lors apparaître les premiers chantiers modernes, sous une forme qui ne se modifia guère avant la fin de la période. Le forestier, après avoir repéré le peuplement qui l’intéressait et obtenu sa concession, choisissait le tracé de la voie principale en fonction des impératifs de l’évacuation et installait les épis secondaires, déplacés au fur et à mesure de l’exploitation118. Les autres opérations continuèrent longtemps de s’effectuer à la main : abattage et tronçonnage, halage jusqu’à la voie ferrée, chargement des billes sur les wagonnets à l’aide de plans inclinés, progression des trains de bois, confection des radeaux. Vers la fin de la période seulement, les premiers wagons furent remorqués par locotracteurs. Sur le fleuve furent mis en service, d’abord par la S.H.O. et la C.E.F.A., de petites remorques à moteur ou à vapeur qui permirent de constituer des radeaux de plus en plus pesants (de 1 000 à 1 200 t)119. Mais l’abattage resta le fait de tâcherons payés à la pièce, pour lesquels on avait renoncé à adapter des scies mécaniques, encombrantes, trop fragiles et difficiles à maîtriser en fin d’opération. Cependant, à la veille de la seconde guerre mondiale, apparurent les tracteurs qui, en prenant en charge le débardage de fûts entiers, allaient achever de transformer l’exploitation. Alors seulement s’effacèrent progressivement, à la faveur de la débâcle provoquée par la crise de 1930, les petites entreprises de « coupeurs de bois », incapables, en dépit de bénéfices considérables, d’assurer les investissements nécessaires en techniciens et en matériel spécialisé (bulldozers caterpillars, grues, filins d’acier, camions-grumiers, etc.).
75Vers 1928, l’entreprise la mieux équipée était celle du Consortium des Grands Réseaux Français, énorme exploitation employant une quarantaine d’Européens et 1 500 Africains. Certes, les résultats n’égalaient pas encore ceux que l’on avait escomptés. La mise en œuvre des installations projetées aurait exigé au moins 4 000 à 4 500 manœuvres. La production de 36 000 t restait modeste. Elle permettait cependant une exportation de 8 000 t en rondins et surtout de 18 000 t de sciages divers (traverses, plateaux, etc.)120. Car le Consortium avait enfin inauguré dans la colonie l’industrie du bois. L’objet même de son exploitation l’exigeait, puisque le transport maritime des bois en grumes équivalait à lui seul la valeur des traverses qu’on en eût tiré en France. La scierie comportait trois groupes de machines : des scies alternatives à une lame traitaient les grumes de plus de 1,20 m de diamètre. Les équarris et les grumes de moindre dimension étaient acheminés vers le second groupe de scies à lames multiples, qui les transformaient en plateaux de 15 cm d’épaisseur. Les meilleurs étaient délignés et expédiés en France comme bois d’industrie. Les autres étaient débités en traverses par le troisième groupe de machines (quatre grandes scies circulaires canadiennes). Des scies annexes utilisaient les chutes pour en faire des madriers, des chevrons et des planches destinées à la consommation locale.
76L’entretien du matériel avait nécessité la création d’un atelier mécanique comportant fonderie, forge, ateliers d’ajustage et de tôlerie. Le tout couvrait plus de 10 000 m2. La force motrice utilisée était de 500 CV (plus 200 CV de machines auxiliaires ou de secours). La Société exploitait 25 km de voie Decauville. Elle possédait cinq locomotives et une centaine de wagons. Le débardage se faisait à l’aide d’une dizaine de treuils forestiers d’une puissance de 30 à 60 CV. Les bois débités et les billes non flottables étaient halés sur chalands par 3 remorqueurs (de 50, 80 et 150 CV), deux embarcations à moteur (de 15 CV), sans compter divers « boats » et pirogues. Le chargement se faisait le long d’un wharf en ciment armé capable de recevoir simultanément deux chalands et un radeau, et desservi par deux grues à vapeur de quatre tonnes121. C’était à cette date, pour le Gabon, un équipement exceptionnel.
77Sur des bases plus modestes, la Société Gillet dans l’Estuaire, la Cie Commerciale de l’Afrique Équatoriale Française (C.C.A.E.F.) à Owendo, la Forestière Sangha-Oubangui à Mayumba et la C.E.F.A. s’industrialisèrent progressivement122. En l925, on estimait à 600 000 frs au minimum la mise de fonds nécessaire à ce type d’exploitation qui exigeait un personnel qualifié et un matériel considérable : chefs de chantiers et de ravitaillement, de cultures vivrières, comptables, mécaniciens, rails Decauville, appareils de traction, remorqueurs et chalands123. Mais toutes les transitions n’en continuèrent pas moins d’exister. Lasserre signalait, en 1955, une Société qui, à côté d’un débardage au caterpillar, pratiquait encore le chargement des billes au mirombo124. Ce maintien tenace des traditions jusqu’à une date récente est en partie dû au fait que la plupart des grosses affaires actuelles sont issues des plus anciennes Compagnies. Les chantiers les plus importants du Gabon demeurent ceux du Consortium Forestier et Maritime de la S.N.C.F. (environ 80 000 ha au sud de l’Estuaire) résultant des 180 000 ha de la concession Salesses. La C.C.A.E.F., depuis 1909 associée à Quillard, avait reçu pour sa part 74 584 ha ramenés ensuite à 53 475. Elle tenait toujours, en 1953, la tête des exportateurs de l’Office des Bois, avec près de 25 000 t par an. La Société Forestière d’Ezanga (S.F.E.) possède encore 20 000 ha entre Ezanga et Oguémoué125. Enfin la S.H.O.-Bois assure aujourd’hui, avec quatre chantiers ouverts dans la « seconde zone »126, un chiffre d’affaires supérieur à celui de l’ensemble des comptoirs de la S.H.O.-Commerce127.
78L’industrie des bois du Gabon prit donc sa configuration définitive dans la décennie 1920-1930. C’est alors, à partir de la montée des cours de 1924, que se produisit la ruée sur les concessions forestières. Beaucoup de colons, employés de Sociétés ou agents d’exploitants en fin ou en rupture de contrat, fonctionnaires en retraite ou en disponibilité, etc., enthousiasmés par le récit de fortunes rapidement constituées avec de faibles moyens, s’installèrent un peu partout, souvent pour le compte de Sociétés plus importantes qui leur avaient fourni, sous forme d’avances en nature, vivres de base et petit matériel. Le nombre des demandes de permis était élevé, et le total des coupes accordées s’accrut rapidement, surtout à partir de 1924128.
79Le centre de l’exploitation fut d’abord le Cap Lopez et la région des lacs, favorisée par la densité des voies d’eau, zone forestière aujourd’hui épuisée mais qui connut avant la seconde guerre mondiale sa période de plus grande prospérité : le croquis des concessions exploitées en 1925, qui couvraient toute la région de façon extrêmement dense, est à cet égard révélateur129.
80Il devenait urgent de fixer avec plus de netteté les règles présidant à l’obtention d’un permis. La tentation de la grande concession était encore très forte. La première entreprise sérieuse d’après-guerre était depuis 1920 le Consortium des Grands Réseaux Français qui avait obtenu, à la suite des prospections du Gouverneur Salesses, deux concessions trentenaires de 75 000 ha chacune, sur toutes les essences exploitables130. Cet énorme privilège, qui rappelait étonnamment l’ancienne politique concessionnaire, avait pour origine, comme en 1898, une initiative gouvernementale. Les Ministres des Colonies et des Travaux publics (G. Doumergue et M. Sembat), cédant aux instances du Gouvernement local pour sortir le Gabon de l’impasse où l’avait jeté la désorganisation du marché de Hambourg, avaient pris le parti d’allécher par ces avantages substantiels les capitaux métropolitains : les directeurs des Réseaux avaient accepté, à ce prix seulement, de risquer au Gabon une expérience qu’ils avaient refusée en Côte d’Ivoire dont l’Administration s’était montrée moins généreuse. Mais, à la suite du rush sur l’okoumé, on ne vit plus l’intérêt d’aliéner d’aussi vastes étendues, cette politique n’ayant une fois de plus pas répondu, du moins dans les premières années, à l’attente de ses promoteurs. Les règles de l’exploitation furent précisées par l’arrêté du 19 septembre 1924 remanié en 1926-1928131.
81On distingua trois types de permis : le chantier, la coupe et la concession. Le chantier, un seul lot de 100 à 500 ha (1 000 ha en 1927) renouvelable pendant cinq ans, était en principe réservé aux exploitants autochtones dépourvus de moyens financiers La coupe (2 500 ha) était accordée à tout Européen ou, cas exceptionnel, à un Africain qui justifiait d’un cautionnement de 2 500 frs et présentait des « garanties suffisantes » à l’Administration. Elle était également annuelle, mais renouvelable dix fois, à condition de donner lieu à une exportation minimum de 500 t (puis 750 t) par an. Enfin, la concession temporaire de coupe était, sous une forme réduite, l’héritière des grandes concessions : attribuée en un ou deux lots de 5 à 10 000 ha (30 000 ha en 1927), elle était réservée aux Français — individus ou Sociétés. Sa durée ne pouvait excéder vingt-cinq ans, mais elle était renouvelable si les normes d’exportation, calculées sur la base de 200, puis 300 t par mille hectares, étaient respectées. Enfin la construction d’une voie Decauville donnait droit à 10 000 ha (puis en 1927 à 30 000) supplémentaires.
82Dans tous les cas, les redevances dues à l’État demeuraient limitées. L’obtention du permis était subordonnée au paiement d’un droit proportionnel à la surface, fixé à 0,25 fr par hectare (il fut remplacé, en 1927, par une caution, un peu plus élevée, de 5 000 frs pour les coupes et de 2 000 frs par mille hectares de concession). Le forestier acquittait en sus une redevance annuelle fixe et une taxe de peuplement transformée en 1927 en une taxe d’abattage adaptée à la catégorie de l’arbre132. C’était un système beaucoup moins rémunérateur pour l’État que celui adopté ultérieurement pour mettre à profit les offres élevées de Sociétés concurrentes dont l’industrialisation et la concentration ne firent que progresser : l’adjudication des droits de coupe au début de chaque année, après affichage des demandeurs133.
83Pour pallier l’accroissement des contestations occasionnées par la multiplication des concessions, une circulaire du Gouvernement enjoignit en 1926 aux bénéficiaires de délimiter, avant toute exploitation, leur territoire par un chemin de forêt de 3 m de large134. Certaines zones furent en effet littéralement prises d’assaut par les forestiers. En 1928, les surfaces concédées atteignaient 1 045 ha, répartis comme suit135 :
4. Rentabilité
84Ce fut l’âge d’or de l’économie forestière. Les « vieux Gabonais » coupeurs de bois se souviennent encore avec émotion de l’ancien temps. Ces hommes étaient de véritables aventuriers, qui affrontaient des conditions de vie excessivement dures. Enserrés par la forêt sur un chantier relié seulement au monde extérieur par quelques pirogues ou des pistes forestières au prix de marches harassantes excédant souvent plusieurs dizaines de kilomètres, ils devaient se suffire à eux-mêmes durant de longues semaines, mal protégés des dangers tropicaux (parasites, dysenterie, serpents, tsé-tsé, etc.), exposés aux tentations de la solitude (whisky, « ménagères », pouvoir despotique sur leurs hommes). Aussi faisaient-ils parfois en ville, à Port-Gentil, Mayumba, Pointe-Noire et surtout Lambaréné, de mémorables « dégagements » (banquets, beuveries, femmes, jeux) où il n’était pas rare de les voir dilapider en quelques jours une fortune durement gagnée.
85Car les bénéfices de l’exploitation étaient à la mesure des risques encourus. Le commerce de l’okoumé s’affirmait de plus en plus rentable. Avec l’extension du marché du contreplaqué, le prix moyen de vente en Europe ne cessa de s’élever. La tonne d’okoumé, offerte pour 30 à 60 frs en 1916, passa à 90 frs au lendemain de la guerre puis à 180, à 525136 et jusqu’à 7 et 800 frs au plus haut137, avant de retomber à 250 frs à la veille de la crise138.
86Un bon radeau pouvait rapporter de 3 à 400 frs. Les bénéfices étaient considérables puisque la bille, achetée 5 frs aux Africains, était revendue jusqu’à 150 frs aux exportateurs139. A ce prix, un forestier qui avait eu la chance de repérer un bon « gisement » se devait de faire fortune en quelques années.
87On comprend dès lors la stagnation, ou même le recul au Gabon des autres types d’activité. Les expériences de plantations tentées depuis la fin du siècle précédent furent abandonnées. Les exportations de palmistes, qui semblaient démarrer en 1915, reculèrent. Celles de cacao ou de café restèrent négligeables. Quant au caoutchouc, il disparut du marché : toutes les anciennes entreprises se reconvertirent vers les chantiers forestiers. Comme la plupart des pays d’outre-mer, le Gabon se condamna pour des années à la mono-exploitation.
88Le mouvement fut volontiers suivi par les Africains, qui ne répugnaient pas à une tâche harassante mais susceptible de leur assurer des revenus appréciables : la vente d’une bille équivalait à la taxe de capitation d’un individu. Elle mobilisait certes un très grand nombre d’hommes, mais une équipe bien entraînée pouvait effectuer un travail considérable. Cependant, après 1920, la coupe familiale ou villageoise disparut ; dans le but de protéger les peuplements et de réserver les droits des forestiers concessionnaires les collectivités locales perdirent la liberté d’abattre sans autorisation les bois pour le commerce et furent placées sous le régime du droit commun : « Ainsi est supprimée la liberté, qui jusqu’ici leur avait été inconsidérément laissée, d’abattre à tort et à travers et, pour parler sans euphémisme, de saccager la forêt. »140
89Le résultat fut d’éliminer les exploitants africains, qui ne possédaient ni la formation technique, ni la capacité financière à l’obtention d’un permis. Les équipes n’en furent pas dispersées pour autant. Mais elles travaillèrent dorénavant pour le compte d’un Européen qui leur permettait localement d’abattre le bois sur une portion de sa concession, à condition d’en être le seul bénéficiaire. Puis, au fur et à mesure du progrès des techniques, les Africains trouvèrent à s’engager sur les chantiers où le travail ne manquait pas. Jusqu’à la fin de la période, la faible mécanisation exigea autour de chaque tronc d’okoumé de véritables « grappes humaines hérissées de leviers »141. En ce pays sous-peuplé, le problème de la main-d’œuvre était posé. Il est très difficile d’estimer le nombre de travailleurs mobilisés par l’exploitation forestière. Il fut probablement proche de la saturation. Dès 1926, le Gouverneur général Antonetti avertissait les exploitants que :
« le nombre des chantiers, coupes, concessions temporaires de coupe, concédés nécessitait déjà une main-d’œuvre supérieure à celle que pouvait fournir la colonie [et que] tout nouvel exploitant ouvrirait ses chantiers à ses risques et périls et en sachant bien qu’il s’exposait à ne pas trouver sur place la main-d’œuvre nécessaire à son entreprise. »142
90On comprend dès lors les plaintes perpétuelles des Européens sur le manque de main-d’œuvre du Gabon, non seulement dans le domaine forestier, mais à tous les emplois : il fut notamment impossible, très tôt, d’y recruter des porteurs, que l’on devait faire venir à grands frais de régions excentriques, Loango ou Bakongo143.
91Essayons quelques approximations : étant donné la part faite aux hypothèses rendues inévitables par le caractère fragmentaire de la documentation, les chiffres n’ont évidemment pas grande valeur. Mais à force de multiplier les expériences d’interprétation, il est possible de cerner certains problèmes, et d’approcher au moins un ordre de grandeur. Compte tenu du nombre fort élevé des journaliers sans contrat et des quelques chiffres connus sur les engagés, on peut estimer le nombre total des travailleurs à 12 ou 15 000 environ employés à longueur d’année144.
92Les contrats étaient de deux ans et il y avait fréquemment des désertions. Quant aux journaliers, ils étaient caractérisés par leur instabilité. Autrement dit, la rotation du travail s’effectuait rapidement sur la totalité des quelque 60 000 Gabonais adultes en âge de travailler145 ; elle correspondait à une durée moyenne de présence sur les chantiers de trois mois par homme — sans compter le temps exigé par un trajet, généralement long et pénible (un ou deux mois par an), entre le lieu d’emploi et le pays d’origine : certaines entreprises allaient recruter, sur les suggestions de l’Administration, jusqu’à Ouesso, à 1 000 km de Libreville146.
93Autrement dit, dès cette époque, toute la population du Gabon ressentit les effets de l’exploitation forestière. La plupart des hommes, attirés par le salaire offert, se déplaçaient de fort loin (mouvement qui ne fait que s’accentuer de nos jours). Les riverains, en effet, répugnèrent à s’éloigner de l’eau à mesure que les chantiers, grâce aux voies Decauville, s’enfoncèrent dans la forêt. Ils préféraient sous-traiter l’acheminement des radeaux jusqu’à la côte, travail relativement très bien rémunéré147. Les bûcherons étaient des hommes de l’intérieur : de la Ngounié, du haut Ogooué, du Woleu-Ntem148. Beaucoup étaient engagés d’autorité par des recruteurs plus ou moins réguliers. Un grand nombre d’entre eux, à l’expiration de leur contrat, se refusèrent à réintégrer leur village d’origine et constituèrent une population flottante de 6 à 7 000 individus, hors de leur cadre social, qui entraient plus ou moins clandestinement au service de coupeurs heureux de se procurer une main-d’œuvre de ce fait peu exigeante en matière de salaire. D’autres avaient gagné le pays d’eux-mêmes pour se faire embaucher sur place comme journaliers.
94Mais beaucoup aussi avaient essayé de fuir les chantiers sur lesquels la survie était aléatoire. Selon les contrats de travail le ravitaillement des bûcherons incombait à l’exploitant. Mais, surtout dans les débuts, la ration-type de 1 200 g par jour de tubercules, bananes ou maïs frais, ou de 500 g de riz, manioc fumé ou farine de manioc, n’était guère respectée149. Après la guerre cependant, les exploitants furent tenus d’entretenir un approvisionnement de vivres de réserve et d’en assurer le renouvellement. L’équipement sanitaire surtout était inexistant : maladie du sommeil, paludisme, affections parasitaires exercèrent d’autant plus leurs ravages que les travailleurs, déracinés, désorientés, tenus de fournir un effort inhabituel et souvent au-dessus de leurs forces, n’avaient ni le temps, ni le courage de reconstituer au campement une vie comparable à celle du village. Les contrats de travail constituaient seulement des engagements personnels, qui ne s’étendaient pas aux familles. En principe, l’engagé venait seul, et seul il était à l’expiration de son temps rapatrié par les soins de son employeur dans sa circonscription d’origine. Aussi les hommes vivaient-ils sur les chantiers dans des conditions anormales. Une proportion trop faible de femmes ne permettait pas à la vie familiale de se constituer et favorisait le développement de la prostitution et des maladies vénériennes. En 1933, l’administrateur Le Testu estimait que « sur les 10 000 hommes engagés annuellement autrefois, la moitié à peu près était perdue pour la colonie »150. Vers 1950 encore, la S.H.O.-Bois comptait une trentaine de décès annuels sur un chantier de 140 ouvriers (soit un total de 200 personnes environ)151.
95A la fin de la période, seul le Consortium Forestier, en raison de la concentration de sa main-d’œuvre (15 000 employés), possédait un équipement à peu près satisfaisant. Les villages de Foulenzem et de Makobé, où étaient regroupés les deux tiers de l’effectif, étaient pourvus d’un service d’eau, puisée par pompage électrique dans un torrent voisin et distribuée à des bornes-fontaines par une canalisation de 7 km de long.
96En raison des grosses quantités exigées, la majeure partie des vivres était importée : riz de Guinée, de Madagascar, du Congo, d’Indochine ; arachides du Sénégal, maïs du Dahomey, poisson salé de Mauritanie ou d’Angola, huile de palme du Cameroun ou du Dahomey. Mais la Société avait également mis 200 ha en culture : taros, patates, maïs, bananes et manioc. Elle était surtout la seule à justifier d’un service médical organisé, avec un médecin, des infirmiers, un hôpital de 170 lits et quelques postes de secours, grâce auxquels tout nouvel arrivant, soumis à un examen, était traité dans la mesure du possible152.
97Mais la plupart des coupeurs ne pouvaient assumer de telles charges. Aussi les conditions de vie du manœuvre africain furent-elles, vraisemblablement de façon assez durable, pires que dans son village natal.
98Reste à déterminer, en revanche, dans quelle mesure le pouvoir d’achat des Gabonais fut amélioré par le travail forestier. Parce que le produit était riche et rémunérateur en Europe, il ne se comparait pas, en effet, au caoutchouc, dont nous avons évoqué les ravages en Afrique. Mais les lacunes documentaires sont telles qu’en dépit de l’intérêt de ce problème il est difficile d’avancer plus que des hypothèses.
99Quel était le gain d’un salarié travaillant à longueur d’année sur un chantier ?
100En 1915, la S.A.F.I.A. payait ses manœuvres 15 frs par mois. Les Sociétés Sargos et Ancel consentaient un salaire quotidien de 50 centimes (soit également 15 frs par mois) plus une ration en nature. La Société des Plantations de Mayumba étageait ses salaires de 10 à 30 frs par mois, payés partie en argent, partie en marchandises153. Après 1920, le salaire minimum des travailleurs fut successivement arrêté au Gabon à 20 frs, puis en 1925 à 30 frs, et en 1928 à 40 frs par mois154.
101Ce « minimum » fut-il souvent dépassé ? Aussi étrange que cela puisse paraître, aucun document privé ne chiffre avec précision le salaire des bûcherons, et les renseignements recueillis sur place sont trop vagues, quant aux dates, pour être d’un grand secours. Gageons seulement que les bûcherons, gens de l’intérieur, étaient assurément moins rémunérés que les riverains convoyeurs de radeaux mentionnés ci-dessus, qui n’auraient pas, sinon, tant rechigné à s’engager en forêt : ceux-ci, avec un salaire d’une centaine de francs par voyage, bénéficiaient, de l’avis unanime des témoignages, d’un régime exceptionnel.
102Géraud, directeur du Consortium, estimait qu’un travailleur revenait à 5 frs par jour tout compris (salaire, mais aussi nourriture, logement, installations médicales et sanitaires, et frais généraux) : la rémunération proprement dite n’aurait donc pas excédé, en 1928, un maximum probable de 1 à 2 frs par homme et par jour, compte tenu des exagérations usuelles des entrepreneurs, toujours prêts à enfler leurs charges. Un salaire mensuel moyen de l’ordre de 50 frs à la fin de la période paraît donc bien correspondre à la réalité. Même à 20 frs par mois, le travailleur était assez facilement en mesure de payer son impôt155. Celui-ci équivalait, au début de la décennie, à un peu moins d’un mois de travail : 23 jours, tombés à 18 jours à la veille de la crise. Les disponibilités complémentaires étaient donc appréciables. Certes, l’ouvrier avait tôt fait « de laisser l’argent à la factorerie la plus proche qui est généralement celle de l’entreprise156. Conserves, cotonnades, lunettes noires, chapeaux mous de couleur, dames-jeannes de vin, possibilité de payer l’impôt au Commandant, voilà ce que le manœuvre retire de son travail. »157
103Mais il serait également souhaitable de connaître, avec plus de précision, dès cette époque, les répercussions du travail salarié sur des institutions traditionnelles telles que la dot : on sait que celle-ci, chez les Fang, est montée en flèche avec l’expansion de l’économie monétaire158. Le problème fut seulement effleuré dans les enquêtes de l’époque. Une étude approfondie sur place, que nous n’avons pas eu le loisir d’entreprendre, permettrait peut-être de situer plus précisément dans le temps l’origine de cette inflation.
104Par ailleurs, les travailleurs recrutés sur contrat restèrent longtemps la minorité. Que gagnaient les journaliers et les tâcherons ? Lasserre évoque, malheureusement sans référence, le prix de 5 frs la bille de traite livrée au commerçant en 1925, chiffre qui semblerait correspondre aux données orales que nous avons pu recueillir sur place. Il resterait à évaluer la productivité du travailleur gabonais. En comptant environ vingt-cinq ouvriers par tronc abattu (5 à 61 en moyenne), il aurait fallu mobiliser, pour exporter 200 000 t (ou 40 000 fûts), un million d’individus. Puisque le Gabon comptait seulement 60 000 travailleurs, chacun était censé participer à la production de quelque seize à dix-sept troncs : en inversant les données, disons qu’un homme devait assumer à lui seul un peu moins d’un okoumé par an. Notons, en passant, qu’à 5 frs la bille (et quatre ou cinq billes par fût) le travail du bois, rapporté à l’ensemble de la population gabonaise (dont une fraction relativement négligeable, au service des Européens, disposait d’autres ressources) correspondrait, encore une fois, au montant de la capitation augmenté d’un léger supplément destiné à l’achat des marchandises étrangères.
105En fait, il n’y avait pas 60 000 travailleurs permanents, mais quelque 15 000 assurant une certaine rotation. Autrement dit, chaque travailleur participait à la production de soixante-six troncs par an — ce qui donne un rythme d’un okoumé par semaine par groupe de vingt-cinq hommes et une production moyenne annuelle de trois okoumés par homme : le chiffre a au moins le mérite de rejoindre celui d’un chef d’entreprise de l’époque, qui estimait le rendement annuel moyen d’un travailleur gabonais à 15 t159.
106En résumé, le tâcheron moyen se serait assuré environ 75 frs dans son année. Le salarié pouvait gagner de 200 à 500 frs par an, et peut-être davantage : on s’explique dès lors le progrès contemporain de la consommation de biens d’importation, traduit par l’essor des sociétés commerciales, et l’attirance que ne manquait pas d’exercer sur des populations même lointaines l’engagement sur les exploitations forestières, surtout lorsque, de surcroît, il permettait d’échapper au recrutement forcé vers les chantiers du Congo-Océan.
107Démarrage incontestable de l’économie moderne, progrès du pouvoir d’achat, mais stagnation ou recul des conditions de vie, ainsi pourrait se définir la période pour le Gabon. Comme le constatait encore Lasserre en 1955 :
« Si l’on met dans la balance avantages et inconvénients sociaux, il faut bien constater que, le plus souvent, c’est le plateau des avantages qui est le plus léger. Mais les 300 000 tonnes d’okoumé qui sortent chaque année des chantiers se chargent de rétablir l’équilibre. »160
IV. UNE TENTATIVE PROMETTEUSE MAIS SANS LENDEMAIN : L’HUILE DE PALME
108L’huile de palme et les palmistes comptèrent parmi les produits qui permirent progressivement aux Africains d’échapper à la contrainte du caoutchouc. Ils constituaient depuis longtemps un élément non négligeable des échanges traditionnels. On trouvait le palmier à l’état naturel un peu partout, en forêt ou dans la brousse, sur les sols rocheux aussi bien que dans les terrains marécageux. Les palmistes étaient exportés bruts du Gabon. A la fin du xixe siècle, 150 t d’huile et 7 à 800 t de palmistes sortaient annuellement du pays, en sus d’une production, difficile à évaluer, consacrée à la consommation locale. L’arbre y existait en effet en grande quantité dans les rivières Como et Remboué (estuaire du Gabon) aussi bien que sur l’Ogooué ou dans la région des lacs. Les Fang connaissaient la plante et la respectaient dans leurs débroussements. Au Moyen-Congo, l’huile était commercialisée autour des palmeraies naturelles d’Ouesso et dans le pays des lagunes, en basse Sangha et en basse Mossaka, entre N’Counda et Mongoumba. Apportée en pirogues jusqu’à Brazzaville, elle était utilisée surtout pour la nourriture des travailleurs.
109On rencontrait l’arbre sous deux formes : le palmier bambou (rafia vinifera), appelé Aleu-Okoa au Gabon, était un épineux de petite taille qui présentait ses régimes à la base. Mais le plus fréquent et le plus recherché était l’Eloeis guineensis, plus vigoureux dans les bas-fonds humides de la cuvette congolaise ou les galeries forestières du pays bakongo, arbre de futaie au tronc noueux surmonté d’un bouquet de branches à la naissance desquelles se trouvaient les régimes. Il se reproduisait facilement par semis naturel et pouvait donner son premier régime vers la quatrième année, dès que le tronc commençait de se dessiner, mais surtout à partir de sept ou huit ans. Un palmier adulte fournissait une dizaine de régimes, soit 40 à 50 kg de fruits. Un régime de 13 kg assurait 1,100 kg d’amandes et un litre et demi d’huile161.
110L’exploitation était tout entière aux mains des villageois qui cueillaient les régimes à complète maturité, en détachaient les noix rouges et en extrayaient l’huile de façon primitive162 : les fruits étaient mis à bouillir dans de grandes marmites jusqu’à ce que la pulpe (sarcocarpe) fibreuse et riche en huile se détachât facilement. Ils étaient alors jetés dans un mortier creusé dans un tronc d’arbre, puis triturés à l’aide d’un pilon en bois dur. La masse, reportée dans une marmite, était soumise à ébullition. L’huile qui venait à la surface était retirée au fur et à mesure. Les noyaux (« coknut » ou « coconote ») mis à part étaient exposés au soleil une grande semaine, ou parfois soumis à un feu doux, afin de séparer l’amande qui adhérait fortement à l’enveloppe. Puis ils étaient concassés à la main un à un entre deux pierres et l’huile de « palmiste » était extraite à chaud :
« On pile [la graine] dans un mortier avec le manche du pilon qui offre si peu de surface que la coque dure fuit de côté tandis que son enveloppe froissée se détache. Elle forme bientôt une étoupe couleur safran qui, pressée entre les doigts, laisse échapper son huile. Les femmes qui se livrent à ce travail se récompensent en chiquant le tourteau. »163
111Dans un premier temps, l’intervention concessionnaire eut pour effet de désorganiser les circuits existants. Les exportations tombèrent de moitié entre 1896 et 1912. Le marché restait cependant entretenu par les capitaines de navire qui achetaient le produit aux escales, et l’Administration se préoccupa précocement d’en encourager la commercialisation. Le Lieutenant-gouverneur du Gabon publia dès 1904 une circulaire « relative à l’exploitation des amandes et de l’huile de palme »164 recommandant de protéger les peuplements naturels et d’inciter les villageois à imiter ceux des « Rivières d’huile » du Dahomey, de la Côte d’Ivoire et du Cameroun qui écoulaient leur production sur les marchés d’Europe.
112L’idée fut seulement reprise en 1913 au Moyen-Congo ; à la suite de la crise du caoutchouc, la colonie voulut non seulement faciliter l’écoulement vers les centres urbains, mais aussi provoquer la fabrication en grand. Elle obtint de la Cie des Messageries Fluviales un tarif réduit de transport (20 frs la tonne d’huile d’un point quelconque des rives de l’Oubangui ou du Congo à Brazzaville), et fit entrer les palmiers dans la catégorie des cultures obligatoires : deux millions de graines furent mises en terre dans la Circonscription du Djoué (environs de Brazzaville). Fin 1914, on estimait à 700 000 le nombre de sujets de belle venue165. Sous l’impulsion des fonctionnaires, les exportations démarrèrent : de près de 18 t en mai 1914, elles atteignirent 22 t en juin et 28,5 t en juillet. De 1914 à 1915, les exportations du Moyen-Congo passèrent de 6 à 43 t d’huile et de 162 à 558 t de palmistes.
113L’essor fut enrayé par la guerre, bien que l’Administration se fût efforcée de relancer, à propos des palmistes, le régime concessionnaire : un arrêté local réglementa l’exploitation des palmiers sur les terres « vacantes et sans maître » sous la forme de concessions accordant, contre une redevance annuelle fixe, « le droit exclusif de jouissance, d’exploitation et de culture du sol et de ses produits, sous réserve des droits coutumiers des indigènes »166. Ceux-ci pouvaient continuer, sur toute l’étendue des palmeraies, exception faite de celles aménagées de façon permanente par le concessionnaire, la cueillette des autres produits naturels167.
114La mesure fut peu utilisée, car les colons pratiquaient la traite de préférence à l’exploitation directe. Mais tout fut modifié, quelques années plus tard, par la mise au point de la margarine qui allait devenir un des principaux débouchés de l’huile de palme168.
115La C.F.H.C. prit la relève. Nous avons vu, en évoquant l’histoire de cette compagnie, comment elle se convertit aux palmistes à la veille de la guerre de 1914. Ses plantations firent un bond après 1921 et l’industrialisation de l’exploitation se précisa vers la fin de la période. Il est juste de noter qu’en ce domaine la C.F.H.C. avait été précédée par les Sociétés gabonaises : dès 1912, la C.P.K.N. avait fait une première expérience à Kakamoeka en édifiant une usine pour le traitement des palmistes. Mais comme elle avait renoncé à son ébauche d’exploitation directe pour se consacrer aux opérations commerciales, la matière première n’avait pas été fournie par les villageois en quantité suffisante. Les machines avaient été démontées et transportées dans les établissements Lever du Congo Belge en décembre 1913 et janvier 1914169. La S.A.F.I.A. avait connu des déboires analogues avec son huilerie à vapeur de Ningué-Sika. L’installation, jumelée à celle d’une scierie et protégée par de vastes hangars métalliques, était prévue pour fonctionner à partir des déchets de l’exploitation. Les régimes apportés de la plantation étaient entassés dans un engrenage qui les divisait et éliminait les parties inutilisables. Soumises à la chaleur et à l’humidité, les noix passaient dans des presses hydrauliques ; l’huile extraite était dirigée vers de grands réservoirs d’épuration, et l’amande, séparée mécaniquement de sa gangue, était expédiée en Europe. Mais l’ensemble, qui fonctionnait très au-dessous de sa capacité, ne fut pas rentable170.
116En revanche, deux commerçants libres établis sur le territoire de la C.F.S.O., Audier et Marchand, avaient installé à Manfouti une huilerie qui leur donnait toute satisfaction171. C’est seulement après la guerre que la C.F.H.C. s’engagea avec prudence dans une voie analogue. Avec, en 1923, 1 475 t de palmistes (sur 5 550) et plus de 200 t d’huile (sur 231), c’était le principal exportateur du Moyen-Congo. Ce fut aussi la seule compagnie concessionnaire qui tenta ce trafic : les essais de la C.P.K.N., pourtant filiale de Lever, n’avaient pas été concluants.
117Mais le caractère rudimentaire des établissements industriels rendait timide l’accroissement de la production d’huile. Le problème était que la transformation en huile devait avoir lieu le plus rapidement possible après la cueillette. Comme, en revanche, les palmistes étaient facilement transportables, l’essor se porta sur l’exportation du produit brut.
118Au total, la production commercialisée plafonna rapidement. Aucun progrès ne fut apparemment réalisé de 1917 (8 500 t de palmistes) à 1928 (8 653 t). Au Moyen-Congo, dans le même temps, les exportations diminuèrent même de 2 000 t, une fois stoppé l’effort de guerre de l’Administration (7 770 t en 1917, 5 553 t en 1920, 5 566 t en 1928). Même constatation au Gabon où l’exploitation forestière était plus rentable (1 500 t de palmistes en 1916, 1 172 seulement en 1928, rien en 1944).
119Ce maigre bilan résultait des procédés utilisés : même la C.F.H.C. pratiqua peu l’exploitation directe. Il n’y eut guère de plantations méthodiques avant une date tardive. Nous avons vu comment, en 1935, à l’issue de la crise dont elle souffrait depuis cinq ans, la C.F.H.B.C. se prononça officiellement pour le retour à la traite traditionnelle. L’essentiel de la production continuait de provenir de la traite villageoise. Le trafic était aux mains de commerçants libres qui, grâce aux entrepôts qu’ils avaient installés le long des fleuves, concentraient de place en place les amandes achetées par petits lots au gré de l’apport des producteurs et exportées lorsqu’elles atteignaient un volume suffisant.
120Comme les autres matières premières d’exportation, les palmistes connurent des fluctuations de prix considérables. Mais celles-ci n’apparurent pas au Congo avant la guerre car cet article, limité au commerce traditionnel, ne subissait pas encore localement les contrecoups du marché mondial. Le prix de 15 centimes (pour un cours moyen en Europe de 60 centimes le kilo d’huile ou de palmiste172) était alors jugé suffisant pour « rémunérer l’indigène de ses peines, puisque le même article donne, dans la Circonscription des Bakougnis, lieu à exportation vers la colonie portugaise de Cabinda, dont les traitants ne le paient que 0,10 franc »173.
121En 1913, au début de ses efforts pour encourager la production, l’Administration avait offert d’acheter l’huile 30 centimes le kilo174. En 1914, l’Alima acheta 1 500 l d’huile à 25 centimes. Les tarifs de la C.F.H.C. étaient également de 25 centimes le litre d’huile et 20 centimes le kilo de palmistes175. Mais elle ne se gênait pas pour revendre le produit à d’autres Africains dans les régions limitrophes entre 60 centimes et 1 fr le litre176. Après la guerre, les prix s’effondrèrent en 1920-1922 à 9 centimes177. En zone concédée, ils remontèrent ensuite péniblement à 12 centimes, et n’excédèrent pas 15 centimes le kilo de palmistes ou 20 centimes le litre d’huile, alors que ceux-ci étaient montés sur le marché mondial jusqu’à 2 frs le kilo178. Mais c’était les tarifs les plus bas pratiqués dans le pays et, d’une région à l’autre, ils pouvaient varier dans la proportion de 1 à 5, selon que le pays était plus ou moins ouvert au numéraire179. Au plus fort de la crise, les prix d’achat n’étaient pas tombés à Kinshasa au-dessous de 25 centimes. Dans la colonie, ils atteignirent ensuite dans certaines régions 60 centimes, et jusqu’à 1,20 fr le kilo à Brazzaville180. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le marché des oléagineux échappât aux colons qui s’obstinaient à rebuter la clientèle africaine par des offres aussi peu engageantes. La place de Brazzaville puis le nouveau marché de Bangui tombèrent entre les mains de firmes étrangères plus dynamiques et déjà solidement implantées au Congo Belge : la société Lever Brothers, qui exploitait 720 000 ha de palmiers eloeis et bambou au Congo Belge et détenait la première place à Kinshasa, s’installa dans la capitale et racheta à Bangui, par l’intermédiaire de la Société d’Entreprises Commerciales du Congo Belge, les anciens territoires Ruet et Cie. Malgré leurs protestations et leurs efforts, les compagnies françaises, C.F.S.O. et Cie des Sultanats, furent évincées181. Même la C.F.H.C. faillit passer sous le contrôle de la puissante firme britannique.
122Mais en définitive, l’exploitation du palmier à huile représentait au Congo peu de chose. Même dans la période ultérieure, les exportations progressèrent à peine. Celles des palmistes n’augmentèrent même pas (8 143 t en 1944, dont 746 seulement d’Oubangui-Chari). Seul l’essor de l’huile de palme (4 101 t en 1944, dont plus de 3 000 en provenance de la Likouala et de l’Alima-Léfini) traduisait un timide effort d’industrialisation. Le maître d’œuvre en demeura, jusqu’à sa liquidation dans les années 60, la C.F.H.B.C., héritée de la concession Tréchot, qui assurait 70 % de la production d’oléagineux de l’A.E.F. et exportait 50 % de l’huile et 30 % des amandes182. Mais c’était insignifiant face à la production du Congo Belge et, à plus forte raison, du Dahomey et du Nigeria183.
123Le seul mérite de cette exploitation, en dépit du despotisme de certaines entreprises (comme la C.F.H.C.), fut de permettre localement aux Africains d’échapper, au moins partiellement, à la contrainte du caoutchouc184. Dans les régions productrices, Likouala-Mossaka, mais aussi Lobaye et pays Bakongo, puis à partir de 1922, en Oubangui-Chari (autour des marchés de Mobaye, Ouango et Bimbo près de Bangui), l’huile et les palmistes représentaient un appoint appréciable, qui fournissait aux populations l’occasion de se faire un peu d’argent frais. Certes, cet avantage ne doit pas être exagéré : à 10 ou 15 centimes le kilo le villageois devait fournir, avant la guerre de 1914, de 35 à 50 kg d’amandes pour acquitter son impôt. Mais, à la différence du caoutchouc, la situation s’améliora sensiblement après la guerre. A supposer même une taxe de capitation de 10 frs, elle était désormais acquittée (du moins hors des zones concédées) contre une dizaine de kilos seulement d’un produit plus accessible en raison des progrès apportés à l’entretien des plantations autour des villages. Dorénavant, les boutiques des négociants s’installèrent de préférence dans les zones de traite des palmistes, signe de régions moins démunies où les habitants disposaient du minimum nécessaire à l’alimentation du commerce.
V. L’AMORCE D’UNE ÉCONOMIE DE PLANTATION : LES CULTURES D’EXPORTATION
1. Le café
124Les autres productions congolaises restèrent à l’état embryonnaire. Au début de l’occupation du territoire, les colons, persuadés de la richesse du pays, avaient expérimenté des plantations de caféiers sur le littoral et le long des fleuves. Ils étaient encouragés par la présence à l’état naturel, un peu partout dans le pays, d’une variété locale, le café du Kouilou. A la fin du xixe siècle, le Gabon produisait une quarantaine de tonnes par an185. Mais la crise qui se prolongea de 1905 à 1909 découragea les planteurs. Malgré une hausse ultérieure (les prix triplèrent en 1910) qui leur fit multiplier les déclarations d’intention186, ils ne tentèrent jamais sur une grande échelle l’exploitation d’un produit de qualité ordinaire, auquel les acheteurs préféraient l’Arabica du Brésil.
125A la veille de la guerre, on comptait au Gabon seulement quatorze plantations européennes dont les 250 000 plants n’étaient guère entretenus187. Suivant la nature du sol et l’âge de l’arbuste, un pied peut donner de 300 à 1 500 g de café. Si tous les arbres avaient été en bon état, la production aurait dû atteindre, au minimum, quelque 75 t. On était loin du compte avec un total de 33 t seulement en 1913, une des meilleures années, soit une moyenne de 132 g par pied.
126Au Moyen-Congo, où l’on rencontrait le café sauvage dans les îles et les plaines inondées de l’Oubangui, du Congo et de la Sangha, la Cie de l’Alimaïenne s’était essayée, sans résultat, à sa culture. Un exploitant libre (Audier) avait tenté d’adapter des plants Robusta à Dongou sur l’Oubangui ; un autre, Ferrière, avait entrepris une plantation près de Brazzaville ; un dernier (Derouet) faisait des essais dans le pays Bakougni ; enfin l’Administration s’attribuait cinq cents pieds dans la Circonscription des Bakongo188.
127Tout ceci était négligeable. Le café, apparu seulement en 1920 dans les statistiques du Moyen-Congo189, en 1922 dans celles de l’Oubangui-Chari190, représentait un volume dérisoire. C’est d’abord au Gabon, après la crise de la guerre surtout sensible en 1917 sur le marché mondial, que se développa un peu, dans les zones fermées à l’exploitation du bois, la production du café favorisée par de hauts cours de 1921 à 1928, avant qu’ils ne chutent à nouveau lors de la grande crise. Les Européens s’étant presque tous reconvertis vers les chantiers forestiers, le produit provenait dorénavant, pour sa quasi-totalité, des plantations villageoises où « les indigènes avaient été dressés à la récolte et à la préparation des graines »191. On estimait en effet qu’un Africain pouvait recueillir en un jour 10 à 11 kg de baies fraîches, dont la vente représentait pour lui une des rares sources possibles d’argent liquide.
128Au Moyen-Congo, il n’existait pratiquement plus de plantations privées. Les deux concessions Sargos et Ancel (cette dernière d’ailleurs en faillite depuis 1922) étaient héritées du Gabon. Deux compagnies concessionnaires seulement s’étaient essayé au café, l’Ongomo et la C.F.H.C. Le reste appartenait aux missions religieuses (trois plantations) ou, en majeure partie, était le fait de l’Administration (sept plantations).
129En Oubangui-Chari, des plantations furent entreprises un peu partout en 1924- 1925, sur l’initiative de l’administrateur, à l’aide de graines de jeunes plants prélevés dans les galeries forestières192. Les premiers résultats s’en firent sentir à l’extrême fin de la décennie :
130Mais, mises à part les expériences de la C.F.S.O., les initiatives individuelles européennes y furent inexistantes. Le démarrage, en 1934, fut certes redevable aux plantations de la Cie Forestière qui assurait alors une grande part de la production (208 t en 1934-35). Mais, très vite, les « cultures indigènes » prirent le pas sur celles de la Société193.
131Le fait saillant de l’après-guerre fut donc la tendance à l’abandon de l’exploitation directe d’un produit condamné par la supériorité du café brésilien, mais aussi l’apparition de l’économie de traite, résolument encouragée par le Gouvernement local. Dès cette époque, la vente du café procurait aux Africains une ressource d’appoint qui incita les sociétés commerciales à installer dans les régions productrices (Ogooué, sud du Woleu-Ntem, Oubangui-Chari) quelques boutiques susceptibles de faire des affaires à la saison de la traite. Ce fut, notamment, la politique de la S.H.O. dans la région de Franceville et de l’Ouhamé-Nana dans l’Oubangui- Chari.
2. Le cacao
132Le cacao avait également suscité les espoirs des colons au début du siècle. C’était, en effet, la plante apparemment la mieux adaptée au climat équatorial du Gabon par ses exigences très précises : température moyenne de 24° avec des écarts aussi faibles que possible, humidité constante et protection assurée par des plantes d’ombrage (bananiers et manioc dans sa jeunesse, acajous ou manguiers ensuite). La graine avait été introduite en 1887 par Brazza lui-même au Jardin d’Essai de Libreville et les plantations s’étaient développées autour de Libreville, le long de l’Ogooué, du Kouilou et même dans le Mayombé, en dépit de l’altitude peu favorable à l’arbuste. Les premières cultures avaient été entreprises en 1889 par la N.A.H.V. au Cayo, près de la rivière Loémé. Puis, en 1892, Janselme s’était installé dans l’Ile aux Perroquets, au fond de l’Estuaire du Gabon, dont il fit une plantation modèle194.
133Mais c’est surtout à partir de 1898 que furent lancées la plupart des plantations. La carte de Chalot, en 1905, fait état de quarante-deux emplacements, pour lesquels les colons auraient investi 2 300 frs par hectare productif pour l’entretien de la main-d’œuvre195. A raison de 625 cacaoyers par hectare, l’exploitation aurait dû assurer des revenus rémunérateurs au cours de 1 000 à 2 000 frs la tonne en 1906, si le rendement avait atteint la production ailleurs normale d’un kilo de fèves par arbre.
134A la veille de la guerre, vingt-quatre plantations européennes s’étaient confirmées, sur lesquelles étaient déclarés plus de 900 000 cacaoyers196.
135Parallèlement, l’Administration s’était efforcée d’organiser la culture indigène orientée vers la traite. Dans l’État voisin du Congo Indépendant, le système des « cultures gouvernementales » avait été introduit dès la fin du xixe siècle197. Les chefs reconnus par le Gouvernement étaient tenus d’établir sur les terres vacantes, appartenant à l’État, dans les régions soumises à leur autorité, des plantations de cacao et de café dont l’étendue était à déterminer par le commissaire du district d’après la densité de la population et sur la base du 20e de la somme de travail qu’elle pouvait fournir. Les cultures obligatoires ne furent imposées au Congo français qu’une dizaine d’années plus tard. Mais, dès 1904, le Lieutenant-gouverneur du Gabon publia des « Instructions pratiques concernant la culture du cacaoyer par les villages indigènes, source de prospérité et de richesse dont chacun sera certainement appelé à bénéficier, commerçants, colons et planteurs, qui ne manqueront pas d’acheter directement aux producteurs indigènes, en vue de l’exportation, les fruits de leur travail »198. On apprit aux villageois à utiliser les terrains déjà débroussés pour les cultures vivrières en semant les graines entre chaque bananier, à récolter les cabosses à la maturité et, à défaut de céder le produit brut aux commerçants de la région, à briser les cabosses, à laisser fermenter les fèves pendant cinq à six jours pour leur faire perdre leur âcreté, puis à les laver et les sécher au soleil pour éviter la moisissure.
136En 1911, la colonie du Gabon estimait avoir fait tripler les plantations africaines en trois ans, et atteint le chiffre d’un million et demi de pieds de cacaoyers. Malgré les pertes considérables et l’exagération de chiffres gonflés par des administrateurs soucieux de faire apprécier leur activité, l’effort était loin d’être négligeable199. On s’attendait à voir les cacaoyers atteindre leur plein rendement à partir de 1915. Ce fut effectivement la première année où la production excéda 200 t, mais on était encore loin des 1 000 t prévues dans les rapports. L’effort fut stoppé par les progrès de l’okoumé et la pénurie de main-d’œuvre. Il reprit seulement après la guerre au nord du pays, dans le Woleu-Ntem, aux confins du Cameroun. La première expérience y remontait à 1920200. Elle fut développée à partir de 1925 et les cacaoyères villageoises se multiplièrent chaque fois qu’un administrateur énergique prit la tête du pays, notamment en 1928 et 1933201. C’était en effet l’époque où la crise des bois paralysait l’économie gabonaise : délivré de la tâche épuisante d’approvisionner en hommes et en vivres la zone côtière, le Woleu-Ntem mit à profit le marasme pour donner à son économie une orientation nouvelle202. Malgré la tentation encore sensible d’encourager les entreprises européennes, les quelques concessions accordées (quatorze en 1931, dont trois à des Sociétés) furent bientôt abandonnées203. L’essor du cacao au Woleu-Ntem, postérieur à notre période, fut entièrement le fait de l’Administration, dont les injonctions répétées imposèrent aux villageois l’extension de plantations qui commencèrent de produire en 1933.
137Il en alla de même au Moyen-Congo où, à l’exception des anciennes cacaoyères du Kouilou, les premières expériences eurent lieu vers la même époque204. Elles furent parfois le fait de sociétés concessionnaires (Ongomo, C.F.S.O. et C.F.H.C.), mais plus souvent et sur une plus vaste échelle l’œuvre de l’Administration :
138Comme pour le café, les villageois, convaincus par le démarrage contemporain des plantations voisines du Cameroun, se plièrent sans trop de réticences aux initiatives autoritaire de l’Administration, dès lors qu’elles paraissaient pouvoir leur assurer, sans effort excessif, un peu d’argent205. Il n’en reste pas moins que la production de cacao du Congo demeura longtemps très médiocre et en retard sur celle de ses voisins : en 1930, les exportations atteignaient déjà 2 500 t au Cameroun (6 000 t en 1932) ; enl938, le Congo Belge exportait pour sa part 1 300 t. Que dire si l’on compare à la Gold Coast, où pourtant les premiers plants avaient été introduits un an seulement avant ceux du Gabon (en 1886). Mais, dans la colonie britannique, l’exportation avait démarré en flèche : 350 kg en 1891, 5 000 t dix ans plus tard et 175 000 t en 1920, mille fois plus qu’au Gabon (126 t). Sans doute faut-il en A.E.F. incriminer, une fois de plus, le manque d’hommes, tous requis au même moment par l’exploitation forestière, plus sûre et plus rentable : leur absence interdit longtemps dans le pays la prolifération des petits planteurs qui essaimèrent partout ailleurs.
3. Le coton
139Le cotonnier, arbuste des pays chauds et humides ou irrigués, n’était pas inconnu au Congo. Il existait à l’état sauvage dans le Kouilou-Niari (région des Bakougni, Louessé, Bouenza) et dans la Mossaka. Dans toute la moitié nord du pays, on connaissait deux variétés : le cotonnier foulbé, à fibre courte et laineuse très solide, que l’on rencontre encore à l’est du Tchad, et le cotonnier à fibre longue, naguère répandu au Mayo-Kébi et probablement originaire du Nigeria206. Au Soudan anglo-égyptien, la culture irriguée du coton avait été introduite en 1904. Au Cameroun, les Allemands avaient fait des essais de coton local, amélioré à la station agricole de Pittoa.
140Au Congo Belge, l’obligation des champs de coton (en culture sèche) fut entreprise très tôt et compta parmi les charges les plus lourdes et les plus redoutées de la paysannerie207. La Cotonco, qui reprit les usines d’égrenage de l’État, fut créée en février 1920 par la Société Générale assistée d’un groupe bancaire et reçut l’année suivante le monopole de l’achat du coton qu’elle garda presque intégralement jusqu’en 1947.
141Du côté français, l’Association Cotonnière Équatoriale s’était constituée dès 1905 dans le but d’introduire la culture dans le pays. Mais ses efforts furent contrariés sur les confins du Cameroun par les modifications de frontière en 1911, puis par les opérations militaires.
142Les premiers essais de l’Administration remontaient à la veille de la première guerre mondiale : les villageois de la Circonscription des Bakougnis furent encouragés en 1913 par le prix d’achat officiel de 50, puis de 60 centimes le kilo de bourre égrenée208. 600 ha furent plantés. La récolte atteignit l’année suivante 450 kg. Un échantillon donna lieu à l’avis favorable d’un expert du Havre qui l’estima vendable à 1,40 fr le kilo209.
143Mais une très forte sécheresse sur le plateau Koukouya autour de Djamballa et dans le reste du pays batéké anéantit ces espoirs. La tentative fut reprise pendant la guerre dans la plaine du Niari à Loudima : 300 ha furent plantés en 1915-1916, à raison de 800 pieds à l’hectare. De nouveau la récolte fut décevante : 2,5 t alors qu’on en escomptait dix fois plus.
144L’Institut Colonial de Paris et de Marseille jugea le produit de bonne qualité, mais les industriels lui reprochaient sa couleur beurrée qui exigeait un blanchiment supplémentaire. Il n’en fut pas moins estimé cette fois-ci à 2,70 frs le kilo rendu à Marseille210.
145Après la guerre, il subsistait seulement de ces rares essais quelques champs, dans la haute Sangha autour de Nola (1 675 pieds)211, aux confins du Cameroun à Fort-Soufflay, Sembé et Souanké (600 pieds)212, et à Etoumbi sur la concession des frères Tréchot. Les administrateurs eurent beau jeu d’incriminer la mauvaise volonté des paysans qui refusaient leurs soins aux plantations en dépit des « bénéfices qu’ils retireront un jour de leurs efforts »213. Mais l’instabilité des fonctionnaires, l’irrégularité des fournitures de semence et surtout le peu d’attention prêtée aux exigences climatiques de la plante condamnèrent par avance ces efforts intermittents214. Le dernier du genre fut tenté par le groupe Al-Ké-Lé en 1925-1926. L’essai eut lieu dans la Circonscription de Djamballa. Il fut catastrophique.
146La Société distribua des graines aux villageois. L’Administration fut chargée de mettre à la disposition de son agent de culture la main-d’œuvre nécessaire. Sur 78 ha, la récolte fut de 3 t de coton brut (12,8 kg de coton égrené à l’hectare, payé 1,50 fr le kilo). Le nombre de journées de travail exigé, non compris la cueillette et le transport au centre d’achat, fut de 23 000 — ce qui donnait, par travailleur, un salaire journalier, sans ration, de 0,198 fr. Au surplus, la Société, qui avait négligé de se procurer des graines désinfectées, propagea dans la région des parasites dont les plants étaient auparavant indemnes. L’Al-Ké-Lé renonça)215.
147Dans le nord et l’est de l’Oubangui-Chari et au Tchad, la culture du coton était ancienne, mais elle avait été progressivement délaissée avec l’arrivée sur les marchés locaux des étoffes européennes. Cependant les Foulbé de Binder et de Maroua, imités par les Moundang de Léré, en tiraient encore leur principale industrie, en tissant le gabak sous forme d’étroites bandes d’étoffes qui servaient à façonner les pagnes (en 1933, le kilo de coton était acheté sur le marché de Maroua trois fois plus cher que par la société cotonnière qui en offrait seulement 70 centimes)216.
148Comme pour le cacao du Woleu-Ntem, les expériences reprirent à l’imitation d’un État voisin, en l’occurrence à la suite du succès connu par les plantations belges. Les premiers efforts, timides, furent pratiqués sans grande méthode après la mission Bruneau de Laborie, en 1921. En bordure du Mayo-Kebi et du lac de Léré, le capitaine Delingette fit semer, sur 500 ha non inondés, la variété utilisée par les Foulbé de Maroua. Les résultats furent encourageants : sur 3 ha, les plants atteignirent 1,60 m et la récolte, en novembre-décembre, connut un rendement d’une tonne de coton-graines à l’hectare217. Dès 1919, un commerçant de Fort-Lamy avait importé quatre égreneuses, trois manèges et une presse. En 1923, la Société Centre Afrique disposait à Léré d’une plantation et de quatre égreneuses à main. Une sécheresse excessive ruina le tout en 1924. C’est alors qu’à l’instigation de l’administrateur Éboué les firmes commerciales de l’Oubangui-Chari, cette fois-ci désireuses de s’assurer l’achat et l’égrenage du coton, entreprirent d’ensemencer 1 800 ha dans le Mbomou à partir de graines achetées au Congo Belge. Une saison très favorable, avec des pluies aux époques qui convenaient, assura une récolte exceptionnelle de 585 t de coton-graines218. Après deux années de stagnation, la culture prit son essor à partir de 1928, étendue progressivement, en dépit de la crise, à l’ensemble des territoires aujourd’hui producteurs219.
149L’exemple fut suivi au Tchad à partir des régions limitrophes du Moyen-Chari, puis dans le Logone où la production dépassa 2 000 t dès 1933, et le Mayo-Kebi. En même temps apparurent les premières installations industrielles d’égrenage220.
150La colonie avait progressivement mis au point une législation codifiée en 1927-1928221, inspirée de l’expérience du Congo Belge222. Elle prévoyait la création d’usines à égrener évitant de transporter le produit brut, le contrôle rigoureux de la sélection des semences afin de préserver leur valeur commerciale, et une réglementation sévère de la culture pour lutter contre le développement des parasites. Le respect de ces mesures supposait le contrôle du marché à la production. Aussi posa-t-on en principe l’interdiction d’achat du coton brut ou égrené sans une autorisation spéciale du gouverneur, accordée chaque année aux seules entreprises convenablement équipées. Mais pour éviter qu’une entente des acheteurs, facile à réaliser sous ce régime de concurrence restreinte, ne portât préjudice aux producteurs, un prix minimum d’achat fut annuellement fixé par le Gouverneur.
151Enfin, pour favoriser la création d’installations mécaniques supposant l’immobilisation de capitaux importants, on adopta, à l’instar du Congo Belge, une politique de zones à privilège pour le monopole de l’achat du coton, comme la C.F.H.B.C. devait le solliciter peu après pour les palmistes223. Les Sociétés cotonnières assuraient l’installation d’usines locales d’égrenage et recevaient l’autorisation de créer des brûleries (à condition de réserver 40 % des graines aux semis de l’année suivante), moyennant une garantie d’achat de 80 % au moins d’une récolte que l’Administration s’engageait de son côté à encourager.
152La première de ces Sociétés privilégiées fut, dès 1925, l’ex-compagnie concessionnaire de l’Ouhamé-Nana224. L’entreprise s’engageait à traiter sur place, avec des égreneuses à main, le coton qui lui serait réservé sur les récoltes du Bas-M’Bomou225. Mais les graines achetées au Congo Belge avaient été mal sélectionnées et les égreneuses, mal réglées, donnèrent un produit médiocre. Enfin la compagnie s’obstinait à acheter le coton égrené — dont le prix officiel variait de 1 à 1,25 fr — 50 centimes seulement au producteur. Ce n’est qu’après 1930 que l’Ouhamé-Nana, devenue Comouna, entreprit sérieusement l’exploitation cotonnière226.
153La Cie Cotonnière Équatoriale Française (Cotonfran) exerçait, depuis 1926, ses activités au Tchad et, en Oubangui-Chari, autour de Bouali, Fort-Sibut, Dekoa et Batangafo227.
154La Société Textile Africaine (Texaf, Lagache frères et Cie de Renaix, Belgique) dont le siège social était à Kinshasa, sollicita également en 1926 le droit d’acheter du coton brut en A.E.F., afin d’alimenter la filature qu’elle projetait de créer à Léopoldville. Deux conventions lui accordèrent, moyennant la construction de deux usines, le monopole d’achat pour cinq ans autour de Fort-Crampel, des M’Brés, de Bozoum et de Lia. Le reste de l’Oubangui-Chari fut ensuite réservé à la Cotonaf et à la Cotoubangui228.
155Autrement dit, c’est à la fin de la période, précisément au moment où s’annonçait la crise de surproduction qui sévit depuis 1925 et entraîna jusqu’à la seconde guerre mondiale une dépréciation continue du produit, que furent posés les premiers jalons de l’extension des grandes zones actuelles de production229. C’est qu’au moment où le caoutchouc de cueillette disparaissait définitivement du marché, et en dépit des difficultés d’évacuation, le coton représentait enfin pour les populations de la région, à raison d’un franc le kilo de coton-graines, le moyen de se procurer l’argent de la capitation230.
156Il y eut bien quelques révoltes ouvertes de villages contre une culture parfois maladroitement introduite, comme en pays Toubouri, où le chef de subdivision fit faire de grandes plantations collectives, dites localement « plantations je-m’en-fous231 ; elles étaient à ses yeux le seul moyen d’obtenir un rendement important, et le travail de plantation s’effectua sous ses yeux232. Mais ailleurs, dans les régions déjà familiarisées avec le coton qui trouva généralement place, sans heurt, dans le cycle cultural traditionnel étalé sur quatre ans (1. coton, au lieu de sésame et pois ; 2. mil ; 3. repousses de mil et légumineuses ; 4. jachère ou manioc) cette culture, qui exigeait beaucoup de soins et de grandes dépenses de main-d’œuvre, fut entreprise sur de petits lopins à proximité des cases. Seuls les travaux de défrichement, d’assolement et de plantation étaient le fait du village tout entier. Mais les champs furent aussitôt partagés de façon que chaque famille prît un intérêt particulier à les soigner233. On abandonna aussi le système d’achat discutable suivant lequel chaque cultivateur devait transporter sa récolte jusqu’au marché où elle était rassemblée et comptabilisée par village tandis que la somme due était, suivant la coutume, versée au chef et que le villageois devait attendre une répartition ultérieure, parfois hypothétique. Le paiement fut dorénavant fait à chacun, avec une ristourne proportionnelle versée au chef (10 à 15 centimes sur 1 à 1,25 fr par kilo), car il restait indispensable de maintenir son autorité et de l’intéresser à la production : la présence d’un chef traditionnel redouté facilitait toujours l’introduction de la plante, comme chez les populations Mosseye qui obtinrent en 1932/1933 un rendement moyen de 150 à 200 kg de coton-graines à l’hectare.
157Pour toutes ces raisons, le coton apparut à ces paysans frustes comme le premier élément d’une culture intensive, susceptible d’assurer un revenu minimum au plus grand nombre possible.
158Après le début de la récolte, en novembre, les marchés s’ouvraient de décembre à mars. Hommes et femmes de la famille transportaient chacun un panier jusqu’au centre d’achat, sur des distances parfois considérables car leur nombre fut réduit au début : on en comptait dix-sept au Mayo-Kebi enl937 qui regroupaient la production des villages à la ronde, acheminée ensuite vers les usines d’égrenage234. Malgré l’effort imposé, le coton avait rempli dans ces régions l’objectif recherché : réussir l’introduction d’une plante commercialisable qui puisse, comme l’arachide l’avait fait au Sénégal, faire participer le pays à une économie de marché en favorisant, par l’usage de la monnaie, l’abandon de l’impôt en nature et l’apparition de besoins nouveaux que le commerce s’empresserait de satisfaire. C’est pourquoi, en l’absence d’autres ressources, la commercialisation du coton, qui allait bouleverser toutes les traditions agricoles lentement élaborées d’emprise du sol, de rotation et de durée des jachères, fut maintenue à bout de bras par l’État à l’époque même où l’on incitait partout ailleurs les producteurs à réduire les superficies cultivées.
4. Produits annexes
159Les autres tentatives de cueillette ou de culture ne dépassèrent pas le stade expérimental. On fonda quelque temps des espoirs sur la gomme copal, que le Congo Belge exportait en quantité pour l’utiliser dans l’industrie des vernis. Le Gabon avait fourni, au début du siècle, une vingtaine de tonnes par an, mais la ressource s’était rapidement épuisée235. Au Moyen-Congo, la C.F.H.C. fit en 1911 l’essai d’un envoi de copal fossile, variété la plus recherchée car la plus belle. Mais elle était rare. Pendant la guerre, on enjoignit d’intensifier la récolte. Les exportations passèrent de 8,8 t en 1914 à 711 en 1915, grâce au prélèvement de la résine par incision dans l’écorce du copalier, mais surtout au ramassage du produit semi-fossile au pied des arbres, enfoui sous des détritus organiques, la vase ou l’eau des marigots de la forêt236. La cueillette reprit après 1920 dans la zone forestière voisine de Bangui237. On exporta aussi un peu de piassava, fibre de palmier utilisée en brosserie238, de l’écorce de palétuvier et des raphias.
160Le Raphia vinifera, que les Fang appelaient Antou, existe en grande quantité au Gabon. Les Africains s’en servaient pour de multiples usages : les feuilles jeunes pour la confection de fibres de raphia et, une fois développées, pour la couverture des cases ; le pétiole, employé dans les charpentes, était vendu sous le nom de bambou. C’est de la partie engainante et aplatie de ce pétiole, pourrie dans l’eau, qu’était retiré le piassava. Enfin le vin de palme était obtenu par incision à la base du régime.
161A côté du cacao et du café, les planteurs du Gabon firent des essais de vanilliers : en 1915 Balincourt et Sajoux déclaraient à Mina 3 000 pieds, Rousselot à Orembi (au confluent de l’Ogooué) 250 pieds (30 ares). La plus belle plantation était celle de Bruchard à La Peyrie, qui prépara 800 kg de vanille en 1914, 1 t en 1915239.
162Ces produits, qui ne fournirent jamais qu’un apport mineur, disparurent pour la plupart après la guerre, balayés par le triomphe du bois. Quant à la culture du tabac, pratiquée depuis longtemps un peu partout dans la colonie, elle n’eut jamais d’autres débouchés que la consommation locale. Le tabac faisait pourtant l’objet, sur certains points, d’une véritable industrie. Très abondant sur les bords du Niari, il était vendu 1 fr par petits paquets de trois à quatre feuilles sur tous les marchés Bakongo. Le « tabac batéké » surtout était connu dans toute l’Afrique équatoriale. Préparé en rouleaux, avec des feuilles simplement séchées et très légèrement fumées, il était consommé en totalité par les Africains240. Les essais d’acclimatement de tabacs étrangers, à partir de graines de la Havane, notamment au nord de l’Alima (région d’Ewo), ne donnèrent aucun résultat.
163Les dernières expériences notables furent, au Moyen-Congo et en Oubangui-Chari, la culture du ricin. L’huile extraite des graines de cet arbuste, qui poussait partout à l’état sporadique et entrait dans la pharmacopée traditionnelle, était utilisée dans l’aéronautique et fut à cet effet classée pendant la guerre parmi les produits indispensables à la Défense Nationale. Quand l’ordre vint d’intensifier la production, les subdivisions de l’ouest (Loudima, Sibiti, Mindouli) fournirent quelques centaines de kilos de semence au pays d’entre Alima et Léfini, où un administrateur énergique fit mettre en culture, dès le premier essai, plus d’un million d’hectares241. Mais les mécomptes furent répétés : l’aéronautique cessa ses achats en 1919. La C.F.H.C. monopolisa à son gré le marché ; enfin, une chenille se mit à ravager les plantations. Les Africains continuèrent cependant de pratiquer cette culture d’appoint, de même qu’en Oubangui-Chari qui, en 1921, exportait 124 t de graines. Dans ce dernier pays apparut, vers la même époque, la traite du sésame en graines (124 t en 1922, 445 en 1924, 515 en 1925)242. Mais ces expériences échouèrent faute de moyens de transport243.
VI. LE PROBLÈME DES SUBSISTANCES : LES CULTURES VIVRIÈRES
164Attentifs à la moindre production susceptible d’être exportée avec profit, les Européens délaissèrent en revanche les cultures destinées à la consommation locale. Ils avaient pourtant la charge de nourrir une main-d’œuvre qui, dès qu’elle était un peu nombreuse, trouvait difficilement à s’approvisionner sur place, en raison de l’inexpérience des villages environnants à prévoir un surplus à leur propres besoins. Les contrats de travail stipulaient le taux quotidien de la ration. Mais, en dépit de la loi, ils furent longtemps délaissés en faveur d’engagements à la journée issus d’une simple convention verbale, qui échappaient à tout contrôle. En outre, la ration était souvent payée en marchandises, à charge pour l’ouvrier d’en assurer lui-même l’échange contre des vivres dont la rareté entraînait souvent la cherté244. Lorsque après la guerre la ration fut obligatoirement versée en nature245, les entreprises firent volontiers appel à l’importation massive de riz, malgré les réticences d’une population peu disposée à modifier ses habitudes alimentaires : les Africains, qui ne savaient pas le préparer, le consommaient mal cuit et lui attribuaient, non sans raison, nombre de leurs troubles de santé.
165Le problème était grave lorsque des ouvriers travaillaient groupés sur un chantier éloigné de leur village d’origine. Ce fut souvent le cas pour la cueillette du caoutchouc. Lorsque au début de son contrat la Cie Forestière s’essaya à l’exploitation directe, elle songea un moment à organiser des plantations. Elle déclarait en 1911 une centaine d’hectares de manioc246. Mais le projet tomba et elle en revint à la traite. De la même façon, la Cie Minière du Congo Français entretenait à M’Bamou une plantation de 5 ha destinée à ses ouvriers. Il y eut aussi, dans les régions où les vivres — manioc, huile de palme, vin de bambou, poisson séché — faisaient depuis longtemps l’objet d’échanges traditionnels, des tentatives à but lucratif pour annexer ce commerce. A cet effet, la C.F.H.C. fit planter en 1911 3 ha en haricots, 7 ha d’arachides et 7 de maïs. Un de ses anciens agents (Delaye) entretenait en 1914 dans la Likouala 9 ha de manioc et de patates247. Même chose sur les bords du Congo où les commerçants approvisionnaient les bateaux aux escales248, et surtout aux environs de Brazzaville où le marché ne cessait de s’étendre249. Tout cela fut abandonné après la guerre, à l’exception des plantations et des jardins potagers entretenus autour des établissements missionnaires250.
166On s’en remit dorénavant aux villageois, encadrés plus ou moins énergiquement par les fonctionnaires locaux. Les méthodes de culture restaient primitives : le paysan, après avoir préparé le terrain par l’abattage des arbres moyens et l’incendie de la petite brousse et des branchages, en laissant sans y toucher les arbres de forte dimension, confiait à la terre vierge, en même temps, ses boutures de manioc, ses graines de maïs, ses arachides ou ses tiges de patate, sans ordre, souvent dans un fouillis de branches que l’incendie n’avait pas entièrement consumées. La terre ne subissait aucun labourage préliminaire, ni le moindre défrichement. Avec une petite houe à manche coudé, généralement fabriquée sur place, les femmes raclaient légèrement le sol pour ramener en tas une couche d’humus enrichie de cendres. C’est là qu’était placé le grain ou la bouture. A la première pluie, la semence entrait en végétation. On opérait alors, de temps en temps, un léger sarclage pour que les jeunes pousses ne soient pas envahies par la brousse. Le manioc commençait à donner au bout de douze à quinze mois ; mais les autres produits étaient récoltés après trois ou quatre mois seulement, et de nombreux semis étaient faits jusqu’au ramassage complet du manioc. Puis on abandonnait le champ — qui avait porté en moyenne par hectare, en forêt, 50 ares de manioc, 30 de bananiers, 15 de maïs et 15 de produits divers, pois, patates, ignames, etc.
167Il existait deux espèces de manioc : l’une, douce et inoffensive, à tige verte, l’autre, amère et vénéneuse, à tige rouge. Le doux se consommait cru, après avoir été pelé. L’autre exigeait une série de soins : le tubercule, épluché, était mis à fermenter dans l’eau pendant trois ou quatre jours, afin d’en éliminer la substance toxique. Dans certaines régions, il était vendu aussitôt. Plus fréquemment, il était après rouissage bouilli et transformé en une pâte affectant tantôt la forme d’un pain (chicouangue du Kouyou et des Bakongo), tantôt celle d’un bâton.
168Chez les Likouba, qui approvisionnaient les deux rives du Congo, le prix du panier de racines lavées et rouies variait suivant le poids, de 50 centimes à 2,50 frs avant la guerre251. Dans le Kouyou, le panier de 5 kg de tubercules préparés était vendu de 15 à 25 centimes ; transformé en pains (à raison d’une trentaine de chicouangue par panier) il était cédé aux vapeurs 15 centimes les trois. C’était donc un commerce rémunérateur, autant pour les riverains que pour les équipages qui revendaient une partie de leur chargement à Bangui et surtout à Brazzaville. Aussi les Batéké et les Mbochi furent-ils parmi les rares populations à ne pas se montrer rétives aux injonctions des fonctionnaires pour accroître les superficies plantées. La capitale était ravitaillée, à l’ouest, par le pays Bakongo dont certains villages, comme Kinkala, lui servaient de fournisseurs attirés. Ce trafic n’a d’ailleurs fait que se développer depuis lors, au fur et à mesure de la croissance de l’agglomération.
169L’autre élément fondamental de l’alimentation était la banane, surtout la banane plantain, consommée verte après avoir été rôtie ou bouillie. Le reste ne constituait que des cultures d’appoint, et les efforts faits pour en accroître la production et surtout la vente furent rarement couronnés de succès.
170Les premières directives de l’Administration remontaient aux années 1910 : les chefs de circonscription reçurent alors mission de promouvoir partout les cultures de manioc, bananiers, patates, maïs, mil et sésame, et accessoirement d’arachides et de courges252, autour des postes administratifs, pour approvisionner les compagnies de tirailleurs mais aussi pour remédier à la disette de vivres dont souffrait, surtout dans le Pool, une population de plus en plus mouvante, dont l’afflux vers le chef-lieu commençait de poser avec acuité le problème du ravitaillement. Fait significatif, les cultures maraîchères, jusqu’alors pratiquées exclusivement par trois anciens déportés annamites sur une concession de 15 ha, commencèrent de se développer en 1912. Un colon mauricien s’installa cette année-là près du village batéké de M’Pila, et approvisionna régulièrement le marché à partir de 1913253. Son exemple fut bientôt suivi par les villageois environnants dont certains avaient fait leur apprentissage sur le potager de la municipalité (rive droite de la M’Foa)254.
171Ailleurs, les résultats furent décevants. Des semences de maïs furent envoyées en 1911 dans la Likouala255. Deux ans plus tard, la production dépassait les besoins des tirailleurs d’Impfondo et d’Epena qui le consommaient grillé en quantité256. Le maïs se répandit aussi autour de Brazzaville où il servait à faire de la farine bouillie257. En 1915, du mil, acheté aux Haoussa de Yanghéré, fut introduit à Ouesso, en pleine forêt. Mais sa culture fut surtout encouragée sur le plateau batéké. On essaya aussi, sans grand succès, de développer un trafic d’arachides entre le pays bakongo et Brazzaville. Quant au riz, qui constituait de plus en plus la base de la ration allouée aux travailleurs, la colonie était obligée d’en importer de grandes quantités du Congo Belge258. Les essais réitérés de son introduction au Gabon ou au Moyen-Congo ne furent guère concluants259.
172Il n’y eut d’effort véritable que pendant la guerre : le programme d’intensification de la production, fixé par la circulaire du 13 février 1915, fut appliqué avec énergie260. Tous les villages durent organiser le débroussement et l’ensemencement de superficies considérables. Le quart seulement de la production était laissé à la consommation locale, le reste était réquisitionné pour la vente261. Le produit servit à nourrir les troupes concentrées à Brazzaville et surtout à Libreville, à la suite du recrutement de tirailleurs locaux, ou à ravitailler la colonne des soldats et des porteurs massée à la frontière du Cameroun et dans la Sangha. Dans le cadre de l’effort de guerre, on alla jusqu’à commettre, comme en A.O.F., la grave erreur d’exporter des vivres : en 1915, le Moyen-Congo fournit 210 t de manioc262. Ces ventes autoritaires se poursuivirent dans la décennie suivante pour approvisionner les chantiers du chemin de fer. Aussi, en 1925-1926, donna-t-on l’ordre d’intensifier en Oubangui- Chari la culture du mil et d’y expérimenter celle du riz partout où le transport par voie d’eau était possible. Une usine de décorticage fut même crée à Bangui263.
173Le bilan fut négatif. Les cultures nouvelles, maladroitement introduites, étaient mal accueillie par des villageois attachés à leurs plantations traditionnelles mais aussi rétifs à en accroître la superficie puisque leur récolte, pourtant si nécessaire sur place, devait leur échapper. Dans le Kouilou et le Haut-Ogooué, puis à partir de 1920 dans le Woleu-Ntem, la rareté des vivres provoqua des famines catastrophiques et prolongées dont nous analyserons les éléments dans le prochain chapitre. A la résistance passive de la population s’ajouta la pénurie de la main-d’œuvre de plus en plus requise, après 1920, à d’autres tâches : chantier ferroviaire du C.F.C.O., exploitations forestières du Gabon, cueillette de caoutchouc sur le territoire de la C.F.S.O., cultures d’exportations partout ailleurs.
174Le tableau des superficies mises en culture dressé par l’Administration présente des chiffres évidemment très contestables. Mais leur confrontation présente au moins un intérêt : celui de constater qu’en dépit des commentaires optimistes fournis, chaque année, par les fonctionnaires sur l’extension des cultures vivrières, les progrès enregistrés furent très modestes.
175C’est que l’agriculture, entièrement aux mains des Africains, n’avait connu aucune amélioration technique. Le travail du défrichement ou du déboisement, traditionnellement effectué par les hommes, exigeait un effort qu’ils n’avaient souvent plus le temps de fournir : les soins culturaux, généralement réservés aux femmes qui faisaient tout à la main, s’apparentaient au jardinage264 :
« Dans ces conditions [concluait en 1925, en Oubangui-Chari, un fonctionnaire désabusé], on voit combien sont lourdes les obligations qu’imposent à l’indigène les exigences que nous manifestons quant à l’extension des cultures [...]. Déjà la circonscription de la Ouham, principal fournisseur de denrées alimentaires, semble avoir atteint son rendement maximum. Il est nécessaire d’envisager dès aujourd’hui l’application de procédés moins primitifs que ceux actuellement en usage. »265
CONCLUSION
176Si l’on excepte les quelques plantations de la C.F.H.C. et les premiers essais de la Cie Forestière-Plantations, les compagnies concessionnaires ne participèrent pas, dans leur forme primitive, à la mise en valeur du pays. Mais elles surent utiliser leurs anciens privilèges pour bénéficier, en première place, des possibilités offertes par les ressources nouvelles : attribution de vastes concessions forestières ou utilisation de leur vieux réseau de factoreries pour drainer les produits de la traite. Elles firent aussi place à de nouveaux venus. Mais, sauf pour le bois, suffisamment rémunérateur pour justifier de sérieux investissements, les colons, anciens ou nouveaux, restèrent fidèles aux principes de l’économie commerciale : immobiliser le moins de capitaux possible et utiliser au maximum les résultats d’une politique de contrainte dont on laissait à l’administration la charge d’assumer les modalités et les frais (perception de l’impôt, obligation des cultures, recrutement des travailleurs).
177Faute de capitaux, de moyens techniques, de personnel compétent et surtout de main-d’œuvre en nombre suffisant, le pays fut condamné partout à l’exportation d’un seul objet, le plus rentable, pour la production duquel, par le biais de la capitation, fut réquisitionnée la quasi-totalité de la population en âge de travailler. Ce fut exceptionnellement, au Gabon, une richesse réelle, l’okoumé. Ailleurs, il s’agissait le plus souvent d’un pis-aller, condamné à terme comme le caoutchouc sylvestre de la Cie Forestière, ou protégé artificiellement faute d’une autre ressource comme le coton de l’Oubangui-Chari-Tchad. Dans tous les cas, les grandes lignes de l’évolution ultérieure étaient en place quand éclata la crise de 1930. Le marasme qui sévit ensuite et dont l’économie mondiale commença seulement d’émerger en 1935, à la veille de la guerre, entrava le développement. A peu d’exceptions près, les exportations du Congo étaient en 1938 analogues, sinon inférieures à celles atteintes dix ans auparavant, au point d’euphorie le plus haut de l’entre-deux-guerres. Celles qui progressèrent (le cacao, le coton) le firent dans la foulée d’efforts entrepris durant la période précédente.
178La décennie 1920-1930 fut déterminante au Congo : par la liquidation du système concessionnaire traditionnel, par la fièvre d’expansion des exploitants forestiers, la constitution des premiers grands chantiers et le développement du salariat, enfin par la mise en place des structures définitives de l’économie de traite qui assurait la collecte et la vente des produits agricoles, elle décida pour une vingtaine d’années de la physionomie économique du Congo colonial. De ce fait, l’effort imposé à une population déjà décimée par l’exploitation antérieure fut démesuré. La multiplication des cultures obligatoires intervenait en même temps que les recrutements massifs en faveur des forestiers auxquels s’ajoutaient, un peu partout dans le pays, ceux destinés aux chantiers du chemin de fer. La période, tout en portant les germes de l’économie ultérieure, fut aussi celle des plus grandes souffrances de la population : les contraintes se firent plus pesantes. La mise au travail se généralisa. L’usage de l’argent également mais l’inflation tendit souvent à abaisser le pouvoir d’achat. La durée du travail s’allongea. Les cultures vivrières furent les premières à pâtir de l’épuisement de la main-d’œuvre : d’où les famines, d’une ampleur probablement jamais atteinte auparavant où rien n’avait encore à ce point menacé le fragile équilibre établi entre l’homme et la nature, et les révoltes les plus sérieuses qu’ait connu le territoire. Le bilan fut d’aggraver encore, pour un temps, un dépeuplement nocif au développement ultérieur du pays.
Notes de bas de page
1 Voir p. 148.
2 Voir pp. 352-353.
3 Voir pp. 346-347.
4 Exportation d’ivoire des sociétés concessionnaires du Moyen-Congo (en tonnes) :
Même la Cie Forestière Sangha-Oubangui exporta peu d’ivoire, sauf dans les premières années (en tonnes) :
5 A. Poskin, Bilans congolais, Bruxelles, 1900, pp. 18-19.
6 Dans la Ngoko-Sangha, l’ivoire provenait exclusivement d’achats aux chasseurs babinga qui opéraient dans les forêts marécageuses de la Kandoko, d’Ikelemba ou de la Bokiba. Rapport sur la situation économique de la Sangha, 1911, Mission Périquet, Aix, 2 D.
7 Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, Aix, 4 (2) D.
8 Théoriquement, la Convention internationale de Londres, conclue le 19 mai 1900 entre l’Allemagne, l’Espagne, l’État Indépendant du Congo, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et le Portugal, visait à empêcher le massacre sans contrôle et assurer la conservation des espèces animales vivant à l’état sauvage dans les possessions africaines. L’arrêté du 1er juil. 1904 avait interdit au Congo français la vente et l’exportation des pointes d’ivoire inférieures à 2 kg. M.C. à U.C.F., 30 janv. 1905, Conc., XXV-D (1).
A la différence des États voisins, la réglementation sur la chasse, qui interdisait en principe de tuer les jeunes bêtes, n’avait pas encore limité le nombre des éléphants que le permis commercial donnait le droit d’abattre. Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, Arch. C.G.T.A.E., Brazzaville.
9 Les lianes viennent en effet comme des arbustes, dix à vingt sujets se dégageant en taillis d’une souche principale.
10 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, Aix, 4 (2) D.
11 Méthode utilisée par la C.F.H.C. Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit.
12 Une liane pouvait supporter cinq à six incisions. [207], pp. 34-35, et Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op. cit.
13 Rapport de H. Bonassiès, administrateur de la Sangha, J.O.C.F., 1er déc. 1899, p. 8.
14 Gabon, Rapport d’ensemble, 1916, Aix, 4 (1) D.
15 Au Gabon, les boules avaient 5 à 6 cm de diamètre (mais seulement 1 à 2 cm dans la Ngounié) ; elle étaient arrondies et déformées par leur séjour en factorerie. Les plus belles étaient brunes et non poisseuses. Les plus altérées, noirâtres et agglomérées entre elles. A la coupe, on trouvait un caoutchouc dense et blanc nacré. Gabon, Rapport d’ensemble, 2e sem. 1904, [333], p. 77. Les boudins étaient produits sur le territoire de la Ngoko-Sangha voisin du Cameroun. Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit.
16 Arrêté du 8 déc. 1915. Gabon, Rapport d’ensemble, 1916, op. cit.
17 Équipe de Lakakoua sous la surveillance de l’agent Furet ou de N’Dollé sous la dépendance de l’agent de Mossaka. Le caoutchouc était payé 1 fr le kilo, en argent. Moyen- Congo, R.G., S.C, 1914, Aix, 8 Q.
18 A partir de 1918, 71 travailleurs furent recrutés dans la Subdivision de Soufflay, 15 dans celle de Sembé, 95 à Souanké. Nouveau-Cameroun, Rapport, 1 e r trim. 1918, Aix, 5 D.
19 Comptes rendus à l’Assemblée générale annuelle, 16 mai 1911 (Assemblée extraordinaire), et 7 nov. 1911 (bilan de l’exercice 1910), Arch. C.F.S.O.
20 Compte rendu à l’Assemblée générale, 30 déc. 1914 (exercice 1913), Arch. C.F.S.O.
21 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1911, Aix, 4 (2) D.
22 Moyen-Congo, R.G., S.C., 1914, op. cit.
23 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1911, op. cit.
24 Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
25 Graines fournies par l’intermédiaire du Jardin botanique de Kew (Londres) au Jardin de Paradenja à Ceylan. [207], p. 36.
26 En valeur, plus de quatre millions de livres en 1904, contre 626 600 pour la Côte occidentale d’Afrique et seulement 214 000 pour la presqu’île de Malacca. Conseil général à Liverpool à A.E., Liverpool, 26 oct. 1905, Conc. XXV-B(3).
27 [207], p. 50.
28 Exactement 11,9 % en 1910 et 56,9 % en 1914. Cie des Sultanats du Haut-Oubangui, Assemblée générale, 1914, Arch. Crédit Lyonnais.
29 Perpillou [46], p. 160.
30 Décret du 5 janvier 1899. Poskin, op. cit., p. 20.
31 Cependant, leur situation restait précaire à cause du coût des transports et surtout du manque de main-d’œuvre, dont l’abondance faisait en revanche la fortune des plantations sud-asiatiques. Aussi les plantations congolaises firent-elles retour à la forêt vierge lors de l’effondrement des cours en 1920. Merlier [185], p. 74.
32 153 500 pieds existaient au 31 déc. 1908, 354 882 au 31 déc. 1909. On avait donc planté, pour la seule année 1909, 201 882 pieds. R.G., S.C., 1909, Conc., IV-9.
33 La Lobaye employait 57 ouvriers sur deux plantations de 53 ha. La Haute-Sangha avait créé des pépinières « importantes » confiées à une main-d’œuvre « nombreuse et bien dirigée ». La Société des Factoreries de Ndjolé était en voie de réussir le repiquage de 5 500 funtumias en deux plantations de 500 ha chacune. L’Ongomo avait aménagé la forêt sur 15 ha en faisant pratiquer par dix ouvriers permanents des sentiers de pénétration et 2 500 boutures de lianes. La Cie Française du Congo avait confié à une trentaine d’ouvriers 12 200 plants d’irehs et une pépinière de 10 000 sujets. La Sangha Équatoriale avait planté 27 ha en irehs. Seules les sept plantations de la Ngoko-Sangha (« dont une seule mérite d’être comptée, et encore, à cause de la rareté de la main-d’œuvre, le tiers des irehs [...] a disparu ») étaient jugées sévèrement. R.G., S.C, 1909, op. cit.
34 L’Ouhamé-Nana avait une seule plantation en bon état, à Nana. La Société Bretonne du Congo, avec dix ouvriers permanents, entretenait trois plantations et une pépinière d’irehs. Ibid.
35 En 1902, 5 000 pieds d’arbres à caoutchouc avaient été mis en terre sur 15 ha autour de Mowanda, et 30 000 en pépinière. Van Grunderbeck, directeur en Afrique, à G.G., 1902, Conc., XXVII-A. Le long de la rivière Bangui, la Société avait planté 30 000 lianes dans la partie boisée, et 100 000 pieds d’irehs en pépinière. Enquête de l’administrateur du Haut- Oubangui, 20 mars 1902, ibid. Le tout avait été abandonné en 1903, mais de nouveaux agents firent dégager quelques arbres autour de Mowanda en 1905 (12 à 1 300 pieds saccagés par une taille mal comprise). La dernière reprise datait de 1908 : on dénombrait alors environ 10 000 lianes débroussaillées et 18 ha en huit blocs, plantés de 3 500 irehs de quelques mois à sept ans (ces derniers de 5 à 7 m de haut et de 30 à 60 cm de circonférence). Mobaye, Rapport d’inspection, 1908, Conc., XXVII-A.
36 R.G., S.C, 1909, op. cit.
37 R.G., S.C, 1910, Conc., IV-9.
38 Gabon, Rapport annuel, 1911, Aix, 4 (1) D.
39 M.C à C.G., dépêche ministérielle sur le Manihot glaziovii, Jardin colonial, Nogent-sur- Marne, 10 juil. 1900, J.O.C.F., 1er nov. 1900.
40 Conc. XXIX(2)-A(4).
41 S.S.S., 1908, Conc., XXLX(2)-A(4).
42 R.G., S.C., 1910, op. cit.
43 R.G., S.C., 1912, Conc., IV-9.
44 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1911, op. cit.
45 La Cie des Sultanats, par exemple, affirmait avoir dépensé 400 000 frs pour ses plantations condamnées par avance par l’absence de conditions naturelles favorables. Au total, 1 084 628 pieds étaient dénombrés au 31 janv. 1910, contre 1 314 398 pieds qui auraient dû être mis en terre, compte tenu du tonnage exporté par les Sociétés. Théoriquement, le déficit était donc très faible. R.G., S.C., 1910, op. cit.
46 Production de la région :
« Aujourd’hui, l’œuvre est en bonne voie, et la plupart des régions possèdent de vastes plantations de céara qui commencent à fournir de très importantes ressources aux villages qui les ont créées [...]. La création des plantations de céara a le mérite considérable de laisser le natif à son foyer. Il trouve à proximité immédiate de chez lui la plantation dont les produits lui fournissent la matière d’un profitable trafic sans qu’il ait à s’infliger des peines et privations qui lui répugnent à bon droit [...]. Les indigènes se sont rendu compte des gains qu’ils en retirent et font ce travail volontiers. » Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
47 Gide [165], pp. 56-57.
48 Ibid., p. 79.
49 Angoulvant [57], p. 52.
50 Après 1920, en revanche, le caoutchouc fut abandonné par les commerçants libres en raison de sa faible rentabilité. La C.F.S.O. exerça dorénavant un monopole de fait.
51 Exportations de caoutchouc des compagnies concessionnaires, S.H.O. et C.P.K.N. non comprises (en tonnes) :
R.G., S.C., 1909 à 1912, op. cit., et R.G., S.C., 1915, Arch. Pointe-Noire.
52 Le prix moyen de vente du caoutchouc de la Cie du Kouango fut en 1910 de 15,74 frs (minimum 12,125 frs, maximum : 23,225 frs) ; en 1911, de 10,44 frs. Assemblée générale annuelle, Arch. Crédit Lyonnais.
53 De 1913 à 1919, bien que la consommation eût triplé, le prix de vente du caoutchouc de plantation ne cessa de monter. Douze Compagnies britanniques distribuèrent, pendant près de dix ans, des dividendes supérieurs à 117 %. C’était le meilleur placement que l’on pût faire. Certaines Compagnies attribuaient jusqu’à 225 % dans les affaires de Malaisie. Perpillou [46], p. 161.
54 Société du Kouango, Assemblée générale annuelle, 1916, Arch. Crédit Lyonnais.
55 Vigneras, sous-directeur délégué du Département des Colonies près les sociétés concessionnaires, à M.C., Paris, 29 déc. 1920, Conc., XXV-B (1).
56 « Il y a dix-huit mois, le caoutchouc type Sangha-Oubangui se vendait couramment six francs ; la colonie considérait qu’il valait 3 frs au départ de Brazzaville [...]. Depuis 5/6 mois, les cours ont fléchi brutalement. Ces derniers temps, les quelques tonnes de caoutchouc écoulées d’A.E.F. se sont vendues à moins de 3 frs. » G.G. honoraire Angoulvant, Commissaire général de l’Exposition coloniale interalliée, à M.C., 9 sept. 1921, Conc., XXV-B(l).
57 D’autant que les États-Unis avaient mis au point dans la période de guerre des procédés de régénération des vieux pneus, qui leur permettaient d’économiser 40 % de leurs importations de caoutchouc neuf. Perpillou [46].
58 Cours moyen de ses caoutchoucs en 1920 : 7,03 frs ; en 1921 : 3,58 frs ; en 1922 : 3,53 frs ; en 1923 : 7,55 frs. Assemblées générales annuelles, Arch. Crédit Lyonnais.
59 S.H.O. à M.C, 9 mars 1921, en raison de l’effondrement du cours, passé de trois shillings en 1919 à deux en 1920 et un seulement en 1921. Conc., XXV-B(l).
60 Le prix de revient du caoutchouc était de 6,25 frs en Europe, alors qu’il était difficile à vendre 4 frs. Kotto au G.G. et à M.C., 26 févr. 1921, Conc., XXV-B(l).
61 Assemblée générale annuelle, Arch. Crédit Lyonnais.
62 « Une crise en A.E.F. », Annales Coloniales, 9 mars 1921. M. Marchain, « En Afrique Équatoriale. La poule aux œufs d’or. On est en train de la tuer... et on ne tardera pas à le regretter », Dépêche Coloniale, 7 mars 1921. Il est vrai que ces droits (qui contribuaient à faire vivre la colonie) étaient beaucoup plus élevés qu’au Congo Belge :
63 G.G. Honoraire Angoulvant à M.C., 9 sept. 1921, Conc., XXV-B(l).
64 Gide [165], p. 57.
65 J. Weber, Assemblée générale des actionnaires, C.F.S.O., 24 mars 1931, Arch. C.F.S.O.
66 Voir p. 347.
67 La crise fut réduite en 1934 par les accords signés entre les principaux producteurs : Grande-Bretagne, Pays-Bas, Indochine et Siam, qui prescrivaient des indemnités compensatrices au profit des planteurs qui consentiraient à réduire leur production au-dessous d’un contingent maximum. La mesure était encore en usage à la veille de la guerre. Elle permit de faire tomber, pour la première fois en 1935, la production un peu au-dessous de la consommation afin de liquider les stocks. Perpillou [46], p. 163.
68 Production de la C.F.S.O., Assemblée générale annuelle, Arch. C.F.S.O.
69 Chiffre correspondant à l’enquête démographique du Gabon, 1960-1961, dans la N’Gounié-Nyanga.
70 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op, cit.
71 Rapport de la commission d’enquête du Congo, Paris, 1907, p. 37.
72 Gabon, Rapport d’ensemble, 1916, Aix, 4 (1) D.
73 Détail de la production de caoutchouc, Moyen-Congo, 1923 (en tonnes) :
Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit.
74 Le kilo était payé de 75 centimes à 1 fr dans l’intérieur. Ibid. Souvent les prix avaient même baissé : la Ngoko-Sangha était passée de 2 frs en 1912 à 1 fr le kilo sec en 1918. Situation économique de la Sangha, Missions Cottes et Périquet, 1911, Aix, 2 D, et Nouveau Cameroun, Rapport du 1er trim. 1918, Aix, 5 D. Les prix d’achat reflétèrent la hausse seulement à partir de 1925. Mais les concessionnaires la réduisirent au minimum : le caoutchouc de liane fut payé en 1925 jusqu’à 5 et 10 frs le kilo en Oubangui-Chari, sauf par la C.F.S.O. Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
75 Gide [165], p. 78.
76 Ptecocarpus soyauxii Taub. Il avait à peu près les mêmes usages que le bois de campêche. Lasserre [258], Raponda-Walker et R. Sillans, Les plantes utiles du Gabon, Paris, 1959, pp. 259-260.
77 Proyart, Histoire de Loango, Kakongo et autres royaumes d’Afrique, Paris, 1776, chap. V.
78 Lettre de Dolisie à Ch. de Chavannes, Congo-Alima, 4 avr. 1885, B.N. 12808.
79 Exportations de bois de l’Oubangui-Chari*.
(en tonnes)
*[16].
80 Il fut d’abord mentionné dans une notice de J.L. de Lanessan, publiée en 1885 à l’occasion de la foire d’Anvers.
81 Chavannes [242] et Lasserre [258], p. 119.
82 Damnas à Timon, lettre « très confidentielle », 9 févr. 1893, Conc., L(3).
83 Lasserre [258], p. 11.
84 Gabon, Rapport d’ensemble, 2e sem. 1904, [359], pp. 72-74.
85 [16] (en tonnes) :
Le régime concessionnaire en A.E.F., 1900-1910, Aix, 8 Q.
86 Les tableaux distinguaient seulement les « bois d’ébénisterie » et les « bois communs », avec des chiffres dont les fluctuations aberrantes, d’une année sur l’autre, provenaient de l’incertitude où l’on était de la place à donner à l’okoumé : « bois d’ébénisterie » jusqu’en 1925, il disparut l’année suivante pour réapparaître en 1927 dans la colonne « bois communs ».
87 Gabon, Rapport général, 1915-1916, Aix, 4 (1) D.
88 Mission dirigée par le capitaine des Eaux et Forêts Bertin, annoncée par un télégramme du G.G., 26 oct. 1916, ibid. La mission reconnut, tant au Gabon qu’au Cameroun et en Côte d’Ivoire, plus de 70 millions de mètres cubes de bois. Angoulvant [57], p. 56.
89 Chevalier [244], 1916 ; E. Perrot, Les bois du Gabon, Paris, 1921, 96 p. ; Fabre [251], 1926 ; Géraud [252], 1928 ; Bertin [226], 1919 et 1929 ; Heitz [255], 1943.
90 E. Camentron, « Les bois coloniaux : mesures préconisées pour accroître leurs débouchés [...] suggérées par l’examen des échantillons présentés à la Foire de Bordeaux », La Petite Gironde, 26 oct. 1917.
91 La compagnie exigeait par exemple 60 à 70 000 frs d’avance pour 1 200 t de bois que, faute de liquidités, la S.A.F.I.A. laissait pourrir sur la plage de Setté-Cama. Les exportations de la S.A.F.I.A. tombèrent de 3 000 t en 1913, à 1646 t en 1914, et 56 seulement en 1915. Rapport du chef de la Circonscription de Bongo, Gabon, R.G., S.C., 1914-1915, Arch. Pointe-Noire.
92 Dépêche du 11 mars 1916, Gabon, Rapport d’ensemble, 1916, op. cit.
93 Instructions ministérielles, févr. 1916, ibid. Le commandant Bonnet, directeur de l’École du Chemin de Fer, fit alors expérimenter la résistance à l’arrachement des bois de la maison Gillet et de la S.H.O.
94 Gabon, Rapport d’ensemble, 1916, op. cit.
95 Les prix offerts pour l’okoumé variaient de 21 à 38 frs la tonne en grumes, et de 25 à 40 frs la tonne équarrie. Mais le prix de 21 frs la tonne rendue à Port-Gentil sous palan, inférieur au prix de revient, ne s’expliquait que par le désir d’écouler un stock déjà abattu et resté invendu. Ibid.
96 En grumes ou en rondins. Ibid.
97 La S.A.I.O. s’engageait à livrer 600 t de traverses par mois à 6,50 frs la traverse prise sur place. En revanche, la maison Meyer déclarait pouvoir les livrer à Port-Gentil à 4,75 frs pièce. Ibid.
98 Ces commandes furent expédiées au moyen de réquisitions de priorité, par les paquebots des Chargeurs Réunis. Mais les difficultés de navigation issues de la guerre firent traîner les livraisons d’août à décembre. Ibid.
99 Les exportations d’ébène, de 200 t en 1902, tombèrent à 496 t seulement en 1911. L’évolution économique des possessions françaises de l’Afrique équatoriale, 1913, p. 17, cité par Sautter [117], p. 248.
100 Très exceptionnellement, 28 000 et 30 000 t en 1937 et 1938.
101 Décret du 28 mars 1899, B.O.C., p. 338. Arrêtés du 20 nov. 1902, 28 nov. 1907 et 1er avr. 1908.
102 Décrets du 14 avr. 1904 et surtout du 25 sept. 1911.
103 Décret du 1 e r sept. 1899, interdisant les coupes de bois de futaie dans les terrains non encore concédés des environs de Brazzaville, sur une profondeur de 4 km du village M’Bama au village M’Pila. B.O.C., 1899, p. 1194.
104 Angoulvant [57], p. 57-58.
105 Le programme de reboisement en forêt dense fut mis sur pied dans les années 60. Au 31 décembre 1964, la superficie plantée était de 13 000 ha. Le rythme devait passer de 2 000 à 3 000 ha par an à partir du 1er janv. 1966. Note de P. Toussaint-Morlet, Conservateur des Eaux et Forêts, Ministère des Eaux et Forêts, Gabon, 1965.
106 Les descriptions de Lasserre [258], pp. 14-15, et Sautter [117], pp. 763-765, évoquent de façon très vivante les techniques rudimentaires utilisées, et observées par Schweitzer [362].
107 Lasserre [258], pp. 14-15.
108 Le matériel, arrivé depuis plusieurs années, fut utilisé seulement en 1904 par les soins du Lieutenant-gouverneur. Gabon, Rapport d’ensemble, 2e sem. 1904, op. cit., p. 73.
109 Gabon, Rapport annuel, 1911, op. cit., et R.G., S.C., 1912, Conc., IV-9.
110 Fabre [251], p. 121.
111 La Cie des Messageries Fluviales accepta, en 1913, de les descendre à tarif réduit jusqu’à Brazzaville à condition qu’elles fussent expédiées sous forme de plateaux inférieurs à 300 kg. Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op. cit.
112 La scierie des Messageries fut transférée en 1913 sur la concession Mélèze à M’Pila.
113 Lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo, arrêtés du 1er oct. et du 1er nov. 1900, J.O.C.F. Mais le système des coupeurs à la tâche subsista tardivement.
114 Moyen-Congo, Arrêté du 6 déc. 1902, et Rapport annuel, 1915, Aix, 4 (2) D.
115 Convention approuvée le 24 févr. 1911. Conc., IV-9.
116 Arrêté du G.G., 4 nov. 1913. Gabon, R.G., S.C, 1914-1915, op. cit.
117 Géraud [252], p. 7.
118 Lasserre [258], p. 16.
119 Fabre [251], p. 110.
120 Chiffre donné par le directeur général de l’entreprise (Géraud [252]) mais apparemment non enregistré par les statistiques officielles, qui indiquaient en 1931 (première année où les sciages furent publiés) une exportation de seulement 600 t sciées d’okoumé et de 1 000 t d’autres essences (en 1937 : 2 600 t sciées d’okoumé et 7 500 t d’autres essences). Annuaire de l’A.E.F. [12]. La différence vient probablement du fait que les sciages n’étaient pas exportés (bien que le mot fût utilisé par Géraud) mais écoulés sur place, notamment pour les travaux du chemin de fer Congo-Océan.
121 Géraud [253].
122 Angoulvant [57], p. 57.
123 Fabre [251], p. 106.
124 La Société Agricole du Gabon, qui fournissait alors 12 000 t par an. Lasserre [258].
125 Sautter [117], p. 763.
126 Zone de l’arrière-pays mise en réserve en 1931 et ouverte à l’exploitation depuis 1961, le progrès des moyens techniques ayant accru les possibilités d’évacuation des bois.
127 Ces quatre chantiers employaient chacun cent vingt travailleurs environ. Témoignage du directeur de la S.H.O.-Bois, recueilli à Ndjolé, nov. 1965.
128 Géraud [253], pp. 16-17 et 37.
129 Fabre [251], pp. 72-73, et Lasserre [258], p. 15.
130 Décret du 19 juil. 1920. Le capital à investir était estimé à 20 millions, dont 5 réservés au fonds de roulement. Géraud [253], pp. 4-5.
131 Arrêtés locaux réglementant l’exploitation des bois et forêts de l’Oubangui-Chari, 26 oct. 1926 ; du Gabon, 28 nov. 1927 ; et du Moyen-Congo, 9 juil. 1928. Conc., LXV.
132 La redevance territoriale était fixée depuis 1923 à 50 centimes par hectare et la taxe de repeuplement à 2,50 ou 3 frs par mètre cube, suivant les essences. Arrêté du 29 nov. 1923, Libreville. Fabre [251], pp. 160-161.
133 Les lots de 500 ha restèrent réservés aux petits forestiers. Les moyens et gros exploitants pouvaient enchérir, pour un ou deux lots, dans les catégories 2 500, 10 000 et 25 000 ha. Lasserre [258], p. 23.
134 Fabre [251], p. 107. Le problème fut résolu ultérieurement en dissociant du permis de coupe proprement dit un permis préliminaire d’exploration autorisant le forestier à rechercher, puis à délimiter lui-même sa concession en menant ses prospections sur une surface double de celle qui lui avait été adjugée.
135 Ce qui ne signifie évidemment pas que la totalité en était exploitée. Géraud [253], p. 34. En 1950, on comptait au Gabon 150 permis anciens (1 117 077 ha) et 41 expirés ou renouvelés dans l’année (198 927 ha).
136 Sautter [117], p. 767.
137 J. Weber, Président de la C.F.S.O., Assemblée générale du 24 mars 1931, Arch. C.F.S.O.
138 Une idée des cours est donnée par la valeur globale des exportations (en dépit des variations parfois étonnantes des chiffres d’une année sur l’autre) estimée en principe au prix moyen de vente en Europe, mais aux cours les plus faibles, généralement avec un décalage d’un an, pour permettre de calculer le montant des taxes douanières [15] :
139 Prix de 1925, Lasserre [258], p. 15.
140 Angoulvant [57], p. 57.
141 Lasserre [258].
142 Avis inséré au J.O.A.E.F., 1er juin 1926, réitéré dans les mêmes termes le 1er déc. 1927
143 « Le portage à dos d’homme est presque inconnu aujourd’hui au Gabon. Ainsi à Libreville, lorsqu’un agent de l’Administration doit se déplacer pour effectuer une tournée, on est obligé d’employer pour son transport et celui de ses bagages une équipe de prisonniers, aucun indigène libre ne consentant à s’engager pour ce service. » Gabon, Rapport d’ensemble, 2e sem. 1904, op. cit., p. 93.
144 Un des rares chiffres connus à l’époque est celui des 6 000 engagés de la Subdivision de Lambaréné, recensée en 1926. L’administrateur Le Testu estimait le chiffre total des engagés à 10 000 environ. Sautter [117], pp. 769 et 856. Le directeur général du Consortium multipliait ce chiffre par deux. Géraud [253], p. 31.
145 Environ 1/5e d’une population totale de 400 000 habitants. Cette estimation grossière rejoint celle tentée par Géraud en 1928. Sur une population totale maximum de 400 000 habitants, il comptait 40 % d’enfants, 30 % de femmes et 30 % d’hommes, soit 120 000 environ. Pour avoir « le nombre d’hommes valides de 17 à 35 ans », il restait à défalquer les vieillards, les infirmes, les indisponibles, les réfractaires à l’autorité ou ceux auxquels leurs occupations ne permettaient pas de s’absenter longuement du village. [253], p. 28.
146 Géraud [252], pp. 23-24.
147 En 1924, les convoyeurs touchaient de 130 à 175 frs par homme pour un travail de dix à douze jours (Bas-Ogooué, Rapport mensuel, mai 1924, cité par Sautter [117], p. 766). Le chiffre est confirmé par un témoignage de 1925, d’après lequel la descente d’un radeau d’une cinquantaine de billes, conduite par une équipe de huit à neuf hommes, revenait à 1 000 frs environ (soit une moyenne, un peu inférieure, de 110 à 125 frs par homme). Ce chiffre de dix à douze jours de travail doit cependant être au moins triplé, si l’on ajoute la durée du voyage nécessaire aux bûcherons pour regagner leur pays. L’absence totale devait durer deux mois. Fabre [251], p. 110.
148 Les chantiers Quillard engageaient de nombreux Eshira autour du lac Ezanga (Bas-Ogooué, Rapport annuel, 1923, cité par Sautter [117], p. 771). En 1921, sur 2 167 travailleurs engagés sur les chantiers, 939 étaient originaires du Woleu-Ntem (Gabon, Rapport politique, 1921). En 1925, dans la Subdivision d’Oyem, un millier environ d’adultes étaient absents (Woleu-Ntem, Rapport du 2e trim. 1925). En 1928, 450 travailleurs provenaient du Canton de Doumandzou (Okano, Rapport du 1er trim. 1929). Dans la décennie 1921-1930, un tiers au moins des jeunes adultes du Woleu-Ntem travaillaient au-dehors. Renseignements glanés par Sautter [117], pp. 853-854.
149 Arrêtés du 5 déc. 1921 cité par Sautter [117], p. 854.
150 Rapport inédit sur le Woleu-Ntem, cité par Sautter [117], p. 856.
151 Témoignage du directeur en Afrique de la Société, recueilli à Ndjolé, nov. 1965.
152 Sur 525 travailleurs examinés par le Consortium, plus de 86 % des sujets souffraient de maladies parasitaires. Dr Lafuente, « Les parasites intestinaux du Gabon », Bulletin de la Société de Pathologie Exotique, XLI, n° 9-10, pp. 588-591.
153 Gabon, R.G., S.C., 1914-1915, op. cit.
154 Arrêtés des 24 déc. 1923, J.O.A.E.F., 1924, p. 43 ; 20 oct. 1924, J.O.A.E.F., 1924 p. 738 ; 20 sept. 1928, J.O.A.E.F., 1928, p. 1202. Le salaire gabonais minimum pour 1929 était de 40 frs si le travailleur était recruté dans sa circonscription d’origine, de 50 frs partout ailleurs. Cependant, le salaire minimum de la zone d’exploitation forestière (Cap Lopez, Lambaréné et Libreville), considérée comme riche, était dans tous les cas de 50 frs par mois. Les mariniers, mieux payés, avaient droit à 60 frs. Ibid.
155 L’impôt décapitation s’élevait au Gabon, dans la zone forestière (Subdivisions de Libreville, Port-Gentil, Owendo et Chinchoua) à 15 frs en 1923, à 20 frs en 1926 et à 30 frs en 1929. Arrêtés du 21 oct. 1922, du 31 oct. 1925 et du 20 sept. 1928 : J.O.A.E.F., 15 déc. 1922 ; 1925, pp. 697-698 ; et 1928, p. 1137.
156 La S.H.O. estimait en 1965 que les 3/4 au moins de la paye de ses bûcherons (de 9 à 12 000 frs C.F.A. par mois, jusqu’à 15 000 frs avec les primes) revenaient dans les jours qui suivaient à la Société, par le truchement de la boutique S.H.O.-Commerce située sur chaque chantier de la S.H.O.-Bois. Témoignage du directeur en Afrique de la Société, recueilli à Ndjolé, nov. 1965.
157 Lasserre [258], p. 32.
158 « Le cours de la dot moyenne ayant subi des hausses excessives aux années de prospérité du commerce des bois d’okoumé, beaucoup de pauvres gens ne trouvent à se marier qu’en quittant le village pour se livrer aux Blancs comme mercenaires de la coupe des bois. » Rapport de 1931 cité par Balandier [62], pp. 178 et 194.
159 Géraud [253], p. 7.
160 Lasserre [258], p. 32.
161 Le régime de palmier bambou donnait seulement un litre. Expériences du Jardin d’Essai de Libreville, Gabon, Rapport d’ensemble, 2e sem. 1904, op. cit., pp. 79-80, et Moyen-Congo, Rapport annuel, 1915, op. cit.
162 Rapport 1904, op. cit., p. 80, et Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, Aix, 4 (2) D.
163 Gide [165], p. 52.
164 Libreville, 31 déc. 1904, [359], pp. 80-81.
165 Les feux de brousse ayant détruit une grande partie de ces plantations obligatoires, il fut ordonné de les entreprendre dorénavant soit sur de récentes plantations de manioc (déjà débroussaillées) soit près des villages par pépinières transplantées à 18 mois ou 2 ans. Moyen-Congo, R.G., S.C., 1914, op. cit.
166 Les permis d’exploitation étaient prévus pour des Sociétés françaises, sur 10 000 ha au maximum, pour deux périodes consécutives de quinze ans chacune, à l’issue desquelles ils pouvaient être transformés en titre de propriété. Arrêté du 30 juil. 1914, Moyen-Congo, Rapport annuel, 1915, op. cit.
167 Soit « l’exploitation des produits naturels autres que ceux du palmier à huile, pour la satisfaction de leurs besoins ou pour les industries traditionnelles portant sur le bois de chauffage, le bois de construction, la fabrication de pirogues, d’objets nécessaires à l’habitation et d’instruments de travail ». Ibid.
168 Les premières recherches sur les graines oléagineuses furent menées par Mège-Mouriès en 1869. Mais il fallut adapter de nouveaux procédés de raffinage des huiles végétales fluides. Le pas décisif fut franchi en 1910, avec la découverte de l’hydrogénation des graisses, qui permettait d’élever leur point de fusion tout en augmentant la résistance des huiles au rancissement. La margarine, plaquette éditée par la Chambre Syndicale de la Margarine, Paris, 1950.
169 Gabon, R.G., S.C., 1914-1915, op. cit.
170 28 t d’huile non raffinée en 1913-14, 16 t d’huile épurée l’année suivante. Ibid.
171 Elle comportait deux grandes chaudières, un égouttoir, une machine à dépulper mécaniquement et un pressoir. L’huile était traitée à chaud ou à froid. Les 80 t de noix traitées en 1912 avaient été aisément écoulées. R.G., S.C., 1912, Conc. IV-9.
172 Gabon, Rapport d’ensemble, 2e sem. 1904, op. cit., p. 80, et R.G., S.C., 1912, op. cit. Le négociant européen était donc assuré, compte tenu d’un prix d’achat au producteur de 125 à 150 frs la tonne et de frais de manutention et de fabrication d’environ 75 frs, d’une marge de l’ordre de 500 frs, largement suffisante pour assurer la charge des transports et un bénéfice raisonnable.
173 15 centimes était le prix offert par les Messageries Fluviales du Congo. Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op. cit.
174 Ibid.
175 Moyen-Congo, R.G., S.C., 1914, op. cit.
176 R.G., S.C., 1912, op. cit. La S.H.O. obtint la même année de faire abaisser sur son territoire le taux de rétrocession des palmistes à 10 centimes seulement (dans les circonscriptions des Adoumas et du Haut-Ogooué), à 15 centimes partout ailleurs.
177 G.G. Angoulvant, Commission des Concessions Coloniales, 6 juil. 1920, Conc., XXV-B(2).
178 Prix payé par la C.F.H.C., Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit.
179 Taux de rétrocession du kilo de palmistes en 1921 au Gabon :
– 50 Centimes : Côte, Libreville, Port-Gentil.
– 45 Setté-Cama, Mayumba, Bongo
– 40 Eshiras, Moulla, Booué
– 30 Nyanga
– 20 Lastourville, Koula-Moutou
– 10 Franceville, Kouadembé, M’Bigou
Arrêté du Lieutenant-gouverneur du Gabon, 17 nov. 1920, J.O.C.F., 15 janv. 1921.
180 Prix des palmistes, Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit. Après la reprise en 1925, en Oubangui-Chari les prix s’étaient élevés au cours de l’année de 35 à 60 centimes le kilo de palmistes et de 50 centimes à 1,50 fr le kilo d’huile. Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
181 La C.F.S.O. avait racheté à Brazzaville les établissements commerciaux Afrique et Congo, héritiers des Messageries Fluviales et traditionnellement attachés, à ce titre, au commerce des palmistes sur le fleuve. La Cie des Sultanats avait fait de même à Bangui par l’intermédiaire de sa filiale la Cie de Navigation et de Transport Congo-Oubangui (C.N.T.C.O.) et s’était assurés contre Lever les comptoirs de Ruet et Cordebard. J. Weber, Président de la C.F.S.O., à Vigneras, sous-directeur délégué du Département près les sociétés concessionnaires, 31 mars 1919, et Superville, directeur de la Cie des Sultanats et de la Cie du Kouango français, à Vigneras, 20 mars 1919, Conc., XXV-C.
182 Le Monde des affaires de 1830 à nos jours, Paris, S.E.D.E., 1952, p. 499.
183 L’Afrique noire produisait dans les années 50 (y compris pour la consommation locale) environ 800 000 t de palmistes, dont (en tonnes) :
Estimation de la F.A.O.
L’Afrique d’expression française (A.O.F., A.E.F., Togo et Cameroun) exportait à la même époque (1955) 22 000 t d’huile de palme (contre une consommation locale de près de 90 000 t) et 58 000 t de palmistes. Chronique d’Outre-Mer, juil.-août 1957.
184 En 1923, au Moyen-Congo, il avait été récolté environ :
– 1 500 t en Likouala-Mossaka
– 1 500 t dans la Lobaye
– 100 t dans la zone du chemin de fer (pays bakongo à l’ouest de Brazzaville).
Rapport économique, op. cit.
185 Sur une production mondiale de 930 000 t en 1900 (2, 1 millions de tonnes en 1900).
186 Gabon, Rapport annuel, 1911, op. cit.
187 Gabon, R.G., S.C., 1914-1915, op. cit.
188 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1915, op. cit., et R.G., S.C., 1914, op. cit.
189 Très mal faites, celles-ci sont inutilisables : passant d’une année sur l’autre de 25 t (1920) à 800 ou 600 kg (1921 et 1922) pour revenir à 26 t en 1923, à 2 t seulement en 1924..., elles englobent parfois une part de la production gabonaise, notamment celle des concessions Ancel et Sargos du Kouilou, situées sur la côte méridionale dans le territoire cédé en 1922 seulement au Moyen-Congo [15].
190 Exportations de l’Oubangui-Chari*.
(en tonnes)
*Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
191 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op. cit.
192 Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
193 La confrontation des chiffres est difficile, car les plantations de la C.F.S.O. n’étaient pas seulement situées en Oubangui-Chari (il y en avait également au Cameroun) et sa production était évaluée par campagne de traite et non par année. Elle donne cependant un ordre de grandeur :
Exportations de café de la C.F.S.O.
(en tonnes)
194 La meilleure du Gabon, avec 30 t annuelles durant la période 1898-1904, 20 t en 1914 (plantation vieillissante, 38 ha, 28 000 pieds). Gabon, R.G., S.C., 1914-1915, op. cit.
195 Prix de revient moyen d’un hectare de cacaoyers au moment où il commence à produire (salaire de la main-d’œuvre) :
Chalot et Luc [241], p. 53.
196 Soit, à 3 000 pieds par hectare, une surface plantée d’environ 300 ha seulement. Les anciennes cacaoyères étaient en effet surchargées, ce qui entravait leur développement. La densité optimum est aujourd’hui de 2 000 à 2 500 arbres par hectare. On consultera, pour plus de précisions, la carte des concessions du Kouilou-Niairi en 1914, publiée par Vennetier [322], p. 87. L’auteur étudie également les tentatives avortées de plantation au début du siècle (N.A.H.V., Saubat-Lalanne, Ancel Seitz et Sargos), pp. 203-211. Liste des plantations à la veille de la guerre : Gabon, R.G., S.C., 1914-1915, op. cit.
197 Arrêté royal du 30 avr. 1897, Poskin, op. cit., p. 24.
198 Gabon, Rapport d’ensemble, 2e sem. 1904, op. cit., pp. 67-69.
199 Le pays devait donc porter au total, vers cette époque, environ deux millions de pieds, compte tenu des pertes certainement importantes, car les arbustes exigent beaucoup de soins (taille annuelle, sarclage de la plantation, lutte contre les maladies parasitaires), rarement assurés au Gabon en raison du manque de compétence, de personnel et de capitaux. Cela donnerait, avec une production maximale de 204 t en 1915, un rendement, très faible, de 200 g de fèves par arbre (alors que le rendement moyen d’un arbre adulte bien soigné est de l’ordre de 1 kg de fèves sèches).
200 Sous l’impulsion du capitaine Raffali, administrateur de la circonscription du Woleu-Ntem. Woleu-Ntem, Rapport du 2e trim. 1925, cité par Sautter [117], pp. 894-895.
201 Ibid., p. 894.
202 Ibid., p. 843.
203 Ibid., p. 895.
204 Moyen-Congo. Exportation de cacao en fèves*.(en tonnes)
*[15].
205 En 1935, le kilo de cacao était acheté en moyenne 75 centimes au producteur. Sautter [117], p. 903.
206 Cabot [437], pp. 168-169.
207 En 1931, dans le territoire de Libenge en Oubangui, chaque homme adulte valide devait cultiver entre 10 et 20 ares de coton. Merlier [185], p. 81. E. Leplae, La crise agricole coloniale et les phases du développement de l’agriculture dans le Congo central, I.R.C.B., Section Sc. Nat. et Méd., 1932, 31 p.
208 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op. cit.
209 Moyen-Congo, R.G., S.C, 1914, op. cit.
210 Estimation de la maison « Les fils de Giraud frères », Marseille. Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit.
211 Chefs Goungourou, Barondo et Bongo. Ibid.
212 Plantations administratives. Ibid.
213 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op. cit.
214 Le cotonnier nécessite beaucoup d’eau mais à certaines époques seulement, plutôt sous orme d’averses abondantes que de pluies continuelles de type équatorial, dangereuses dès que les fleurs sont écloses et que les graines commencent à mûrir.
215 Rapport du chef de la circonscription, 15 oct. 1926, cité par l’inspecteur Barthes, Rapport en vue de réunir des éléments de documentation sur la culture du coton en A.E.F., 25 mars 1929, Aix, 3 D.
216 Cabot [437], p. 172.
217 Une fois encore, l’échantillon fut alors apprécié sur le marché du Havre, 15 nov. 1921, Ibid.
218 Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
219 Au passage de Gide, les plantations de la subdivision de Ouango couvraient à elles seules 275 ha. La première récolte avait donné 44 t. 3,5 t de graines suffisaient à ensemencer 300 ha. Gide [165], p. 59.
220 On comptait en Oubangui-Chari-Tchad, en 1934, 57 usines d’égrenage (dont 5 groupes mobiles) comportant 59 égreneurs (soit 2 870 scies, contre 5 880 en 1956). Annuaire statistique de l’A.E.F. [12], p. 105.
221 Oubangui-Chari : arrêté du Lieutenant-gouverneur, 17 févr. 1927, J.O.A.E.F., 15 déc. 1927. Tchad : arrêté du Lieutenant-gouverneur, 5 mai 1928, ibid., 15 oct. 1928.
222 Décret du 1er août 1921, Bruxelles.
223 Décrets-lois sur les conventions accordant le privilège, 5 mai 1928.
224 G.G.A.E.F. au Lieutenant-gouverneur de l’Oubangui-Chari, 1er avr, 1925, et télégramme du même au même, 8 août 1925, cités par Barthes, op. cit.
225 Ouhamé-Nana au G.G.A.E.F., 20 oct. 1925, et réponse du G.G., 4 nov., ibid.
226 Auparavant, elle s’était surtout manifestée par sa mauvaise volonté à encourager cette culture auprès des villageois, qu’elle craignait de voir par ce biais échapper à son emprise. L’analyse des péripéties de cette impéritie est faite par Dampierre [247].
227 Société d’abord constituée sous le nom de Société des Cotons du Congo en septembre 1926, avec un capital initial d’un million de francs. Elle reçut par convention du 13 juin
1927, avec addendum du 28 mars 1928, le privilège d’achat pour sept ans. Elle s’était également fait céder, fin 1926, les droits que l’ex-G.G. Augagneur arguait de contrats passés avec un certain nombre de chefs, aux termes desquels il se serait engagé à acheter le coton de leur territoire. Barthes, ibid.
228 Cabot [437], pp. 168-169.
229 En 1950-51, la production de coton-graines au Tchad fut respectivement de 8 000 t dans le Moyen-Chari, 18 000 t dans le Logone et 15 000 au Mayo-Kébi. Annuaire statistique de l’A.E.F. [12], p. 108.
230 Le prix d’achat au producteur tomba, à partir de 1931, à 90 centimes, puis 70 et même 60 centimes le kilo avant de remonter à 1 fr seulement à la veille de la seconde guerre mondiale. Ibid., p. 107.
231 Gide [165], p. 59.
232 Rapport du Chef de Circonscription du Mayo-Kebi, 5 mai 1933, cité par Cabot [437], p. 172.
233 Gide [165], pp. 59-60.
234 Cabot [437], p. 184.
235 Exportations du Gabon.
(en tonnes)
236 Moyen-Congo, Rapports annuels, 1911 à 1915, op. cit.
237 Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
238 Exportations du Gabon.
(en tonnes)
239 Gabon, R.G., S.C., 1914-1915, op. cit.
240 Un rapport de 1923 évaluait la production à 205 t. Aix, 4 (2) D.
241 L’administrateur Mounié. Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit.
242 Cet oléagineux était en moyenne payé au producteur de 50 à 85 centimes le kilo.
243 Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
244 Le décret du 28 mai 1907 sur les contrats de travail prévoyait une ration de manioc, riz ou bananes et de viande ou poisson, suivant les ressources du pays, allouée en nature ou en espèces (art. 11). Elle n’en continua pas moins à être fréquemment payée en marchandises.
245 A partir de 1926, l’exploitant forestier devait fournir une attestation prouvant qu’il possédait, pour ses permis de coupe, une étendue de cultures vivrières suffisantes pour lui permettre de nourrir normalement la moitié de son personnel. Fabre [251], p. 93.
246 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1911, op. cit.
247 Factoreries de Botongo et d’Epena sur la Likouala-aux-Herbes, et de Loukoléla sur le Congo. Moyen-Congo, R.G., S.C, 1914, op. cit.
248 Audier et Marchand possédaient une plantation de 100 ha de manioc et de mais à Donjou (Ibenga-Motaba). Dans le pays Batéké, le Portugais Gomes entretenait 200 ha de manioc et de maïs à Ngabé sur le Congo. Ibid.
249 Les Messageries Fluviales contrôlaient 3 ha pour les besoins de l’hôtel Afrique et Congo. Le Portugais Diniz exploitait un peu de manioc sur le Djoué. Le Français Derouet possédait 140 ha à Kialou (Circonscription du Djoué). Ibid.
250 Le P. Augouard déclarait, en 1914, 200 ha dans la Likouala (à Liranga), 10 dans l’Iben-ga-Motaba (à Bétou), 5 à Saint-Joseph de Linzolo près de Brazzaville et 18 en pays Bakongo (à M’Bamou) où la mission protestante suédoise entretenait également 10 ha à Madaia et Musana. Si l’on excepte les plantations des missions, aucune culture vivrière ne fut plus signalée au Moyen-Congo sur concession européenne après 1920. Moyen-Congo, Rapport économique, 1923, op. cit.
251 Le petit panier : 0,50 fr. Le moyen (15 à 18 kg) : 1 fr.
Le grand (environ 35 kg) : 2,50 frs.
Soit en moyenne 6 à 7 centimes le kilo. Moyen-Congo, Rapport annuel, 1915, op. cit.
252 Les graines de courge servaient à faire dans la Sangha une pâte qui se vendait bien en pays Bakongo et sur le marché de Brazzaville. Moyen-Congo, Rapport annuel, 1911, op. cit.
253 Année où il s’établit sur la rive gauche de la Tsiéma. Moyen-Congo, Rapport annuel, 1913, op. cit.
254 Ibid.
255 Ibid., 1911.
256 Ibid., 1913.
257 Ibid., 1915.
258 En 1915 surtout, on eut recours au riz des Falls pour approvisionner les colonnes expéditionnaires. Ibid.
259 Le riz est resté à l’ordre du jour, puisqu’en 1965 une importante équipe d’agronomes chinois a étudié les moyens de créer des rizières à Impfondo sur le Moyen-Congo.
260 Le Gabon et la guerre, Rapport annuel, 1916, Aix, 4 (1) D.
261 Moyen-Congo, Rapport annuel, 1915, op. cit.
262 Les exportations de manioc du Congo français provenaient en majeure partie des zones productrices traditionnelles du Pays des rivières, où les administrateurs vantaient l’abondance du produit. [15] et [16] :
Moyen-Congo et Oubangui-Chari. Exportations de manioc.
(en tonnes)
263 Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
264 Dans quelques rares régions, comme dans le nord-ouest de l’Oubangui-Chari (Subdivisions de Kouti et de Batangafo) et chez les Sara du Moyen-Chari, la culture était pratiquée par les hommes. Oubangui-Chari, Rapport économique, 1925, op. cit.
265 Ibid. Quant à l’élevage, au nord, dans les pays tchadiens, il était encore entièrement laissé aux mains des Africains. Au sud, il faut noter, dans l’île de Mbamou (Stanley-Pool), en pleine zone de tsé-tsé, l’expérience tentée à partir de 1910 par la Société Commerciale et Agricole d’Alimentation du Bas-Congo, qui prit la relève de la Société Franco-Belge d’Alimentation du Congo : son troupeau de bovins, de 75 têtes en 1912, passa à 207 en 1912 et à 350 en 1913, année où la Société vendit au Congo Belge dix bœufs pesant ensemble 4,6 t. Moyen-Congo, R.G., S.C., 1913, op. cit.
Notes de fin
1 D’après les sources britanniques. [207].
2 Perpillou [46], p. 160.
3 Statistiques commerciales, G., IX-9.
4 « D’après les statistiques d’une grande maison anglaise », Assemblée générale annuelle de la Cie des Sultanats, 1914, Arch. Crédit Lyonnais.
5 Rapport sur le marché du caoutchouc de Bordeaux, 1905, Conc., XXV-B (3).
6 J. Weber, administrateur-directeur général de la C.F.S.O., Note sur la crise du caoutchouc, 6 nov. 1913, Conc., XXV-B.
7 Les années manquantes correspondent à celles où les exportations sont données conjointement à celles de l’Oubangui-Chari-Tchad. Chiffres extraits de [16], complétés par [198] et les Rapports généraux sur les mêmes Sociétés, 1909 à 1912, Conc., IV-9.
8 Y compris les exportations de la C.F.S.O. (issues principalement du territoire cédé à l’Allemagne).
9 Exportations de la C.F.S.O., caoutchouc originaire du Moyen-Congo. Assemblée générale de la Société, Arch. Crédit Lyonnais.
10 Chiffres tirés de [15] et [16], complétés par [198] et les Rapports généraux sur les mêmes Sociétés, 1909 à 1912, Conc., IV-9. Ces chiffres sont d’ailleurs faussés du fait qu’ils désignent non la production gabonaise, mais les exportations faites à partir des ports : Libreville, Cap Lopez, Setté-Cama et Loango (ce dernier jusqu’en 1922, époque de son rattachement au Moyen-Congo). Certaines estimations trop fortes sont donc à rejeter car elles englobent la production congolaise écoulée par le Gabon, ainsi celles reprises par [16], 1907 :
11 Assemblées générales annuelles des Sociétés, Arch. Crédit Lyonnais. Le chiffre total des exportations du caoutchouc d’Oubangui-Chari n’est pas distingué de celui du Moyen-Congo.
12 [16].
On confrontera cette liste à celle dressée d’après l’Annuaire statistique de l’A.E.F. [12]. Voir graphique 15, p. 445.
13 61 500 ha en 1925, dont : 38 800 en pleine production, 13 100 en demi-production, 9 600 jeunes assurant une production de 5,8 t (soit une moyenne de 130 g de café par arbre adulte). Moyen-Congo, Rapport économique, 1925, op. cit.
14 Moyen-Congo, Rapport économique, 1925, op. cit.
15 Annuaire statistique de l’A.E.F. [12].
16 Les exportations furent de 10 000 t en 1965.
17 Moyen-Congo, Rapport économique, 1925, op. cit.
18 Annuaire statistique de l’A.E.F. [12], p. 110.
19 En 1950-51, la production totale (26 000 t) se répartit ainsi qu’il suit : Komo-Gri-bingui : 4 300 t ; Ouham-Pendé : 5 000 t ; Ouham : 4 300 t ; Ouaka-Kotto : 10 000 t ; M’Bomou : 2 600 t ; Lobaye : 186 t ; Ombella M’Poko : 22 t. Les grandes zones de production sont restées les premières mises en culture. Ibid.
20 Moyen-Congo. Rapports annuels, Aix, 4 (2) D.
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