Atypota : pour en finir avec l’aniconisme
Atypota: to break away from aniconism
p. 333-350
Résumés
Dans le vocabulaire de la figuration des dieux, le terme « aniconisme » – qui n’est pas attesté en grec classique – est parfois utilisé de manière abusive ; on montre en quoi et on propose de lui préférer, quand il s’agit de figurations non anthropomorphiques, le terme atupotos, dérivé de tupos dont on analyse le sens technique s’agissant de la production d’images. On élargit ensuite cette analyse au travail du technicien par excellence qu’est Dédale, et à son mode d’action.
Among the words used by scholars to discuss the ways of representing the gods, ‘aniconism’–an unattested word in classical Greek–is often used in an inappropriate way. This paper shows why, and suggests to use instead, when discussing non anthropomorphic figuration, the term atupotos, based on tupos, whose technical meaning is briefly analysed regarding the production of images. This analysis is then extended to the work of the technician ‘par excellence’: Daedalus and his way of working.
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Mots-clés : figuration, Dédale, tupos, sculpture, fabrique des dieux
Keywords : figuration, Daedalus, tupos, sculpture, fabrication of gods
Texte intégral
1Revenir sur l’aniconisme c’est, sans aucun doute, enfoncer une porte largement ouverte. L’inadéquation de ce terme avec la représentation des dieux grecs a été démontrée. Millette Gaifman en a repéré l’apparition au xixe siècle chez Overbeck, qui invente l’adjectif aniconique, inexistant dans l’Antiquité, à partir de l’adjectif verbal aneikonistos, utilisé par les auteurs chrétiens pour désigner l’irreprésentabilité du divin1. Récemment Carmine Pisano a remarquablement fait le point sur la question2. Que reste–il alors à dire de plus ? Pour les deux auteurs de la présente étude il reste un livre « rentré », un dossier consistant, fruit de trois ans de séminaires consacrés à ce problème3. Diverses considérations nous ont empêchés de passer à l’acte… éditorial. Mais en rouvrant ce dossier, redevenu d’actualité, nous y avons relevé quelques points qui nous semblent mériter d’être repris en complément à la question. Ce sont ces réflexions que nous souhaitons présenter ici, avant de revenir sur Dédale pour mettre en perspective ce faiseur d’images divines.
2Pour ce faire il est nécessaire de rappeler les données initiales.
3Les historiens des religions appliquent le terme aniconisme aux religions qui refusent une figuration de la divinité. C’est le cas des cultures sémites, juive et arabe, en particulier. C’est aussi le cas du bouddhisme avant l’hindouisme et avant sa rencontre avec la culture grecque, qui produira l’art « gréco-bouddhique ». Cet emploi est cohérent. Le mot aniconisme, composé du mot eikôn précédé d’un alpha privatif, peut signifier « sans image ». Dans les religions dites « aniconiques », l’absence de représentation divine prend généralement la forme d’un interdit, qui peut s’appliquer également à la représentation humaine.
4Laissons de côté les contextes historiques de l’emploi de cette notion, qui s’instaure toujours a posteriori. Signalons cependant que dans l’histoire du christianisme, lors des périodes iconoclastes de l’église d’Orient, le mot aniconisme n’apparaît pas. Il n’est pas présent dans les textes byzantins. De fait ce n’est pas un mot grec. C’est un terme daté du xixe siècle qui, s’il ne pose pas problème lorsqu’il est associé à la notion d’interdit religieux, est souvent utilisé avec le sens de non figuratif et même de non anthropomorphe. C’est là un emploi beaucoup plus contestable.
5Les hellénistes, archéologues et historiens d’art, ont en effet utilisé couramment, jusqu’à une époque récente, le substantif aniconisme et l’adjectif aniconique pour qualifier plusieurs catégories de représentations divines.
6Prenons l’exemple des figures funéraires de Cyrène. Ces effigies féminines tronquées, plus ou moins voilées, installées sur des tombes ou dans les niches des édifices, sont caractérisées par l’absence de traits du visage. Nez, yeux, bouche, oreilles ne sont ni modelés ni peints. Elles constituent une série qui suit l’évolution stylistique de l’art grec, et qui parallèlement comporte des figures dotées de visages complets. Dans les années 1950-1960 tant Luigi Beschi que François Chamoux parlent d’aniconisme à propos de ces statues… « en tant que survivance d’un état primitif et local, antérieur à l’arrivée des Grecs4 ». Le terme aprosôpia, attesté en grec tardif, conviendrait mieux pour qualifier l’occultation de la face d’une déesse des morts, traditionnellement associée, dans les représentations grecques, avec l’invisibilité5.
7En 2005 encore, Jean-Jacques Maffre désigne ces figures comme « aniconiques, c’est à dire sans visage » et ajoute : « ou plus exactement pourvues d’un visage entièrement lisse, encadré par la seule chevelure, sans aucun détail morphologique, ni oreilles, ni nez, ni bouche, ni menton »6. L’auteur, conscient de l’impropriété du terme aniconique, l’utilise par habitude et corrige cet emploi sans toutefois y renoncer.
Le Dictionnaire des Antiquités et la version française de l’aniconisme
8De fait le terme est conventionnel en France depuis le Dictionnaire des Antiquités publié sous la direction de Daremberg et Saglio de 1877 à 1917. Il ne figure pourtant pas dans les premiers volumes, mais seulement à partir de l’article Statua de Charles Picard, qui établit ainsi une doxa destinée à perdurer dans la littérature archéologique française. Il vaut la peine de s’y arrêter brièvement, ne serait-ce que parce que la mise en ligne du Daremberg, fort bienvenue par ailleurs, remet en circulation des théories discutables et largement dépassées. Comme on le sait l’entreprise éditoriale initiée par le médecin Charles Daremberg, fort du succès de la publication des médecins grecs, commence par un projet élaboré dès le milieu du xixe siècle qui fait l’objet d’un premier contrat avec la maison Hachette en 1855. Ce n’est qu’en 1877 que le premier volume du Dictionnaire sera mis en vente et accessible au public. Sans entrer dans le détail de cette entreprise complexe, on notera que l’ouvrage connaît 20 ans de décalage entre sa conception et le début de sa publication. Il faudra encore 40 ans avant de boucler l’œuvre, le dernier fascicule paraissant en 19177. On ne sera donc pas surpris de trouver dans le dictionnaire, dès le premier volume, des thèses anciennes concernant l’histoire des représentations figurées et de la statuaire. L’idée d’une évolution de l’art, qui va du primitif informe vers l’anthropomorphisme des dieux, mise en place dans son histoire de l’art par Winckelmann8, qui s’appuie sur Pausanias, est reprise comme allant de soi par les divers auteurs qui ont à traiter du sujet.
9Ainsi François Lenormant, ouvre l’article Baetylia en ces termes : « Une des formes primitives des cultes idolâtriques a été la litholâtrie. On la retrouve dans l’état de barbarie chez presque toutes les races humaines » et il poursuit : « Une pierre informe dressée fut un des objets dont on se servit pour représenter la divinité et offrir un signe sensible aux adorations », plus loin il développe la thèse évolutionniste :
Un premier progrès consista à ne plus laisser brute la pierre que l’on dressait pour en faire une idole, mais à la tailler plus ou moins grossièrement pour lui donner une forme régulière d’un symbolisme très simple […] Cette notion symbolique fit conserver les simulacres de ce genre en beaucoup d’endroits, même après qu’on sut faire des statues.
10Cette dernière remarque a son importance, car elle fait du matériel archaïsant qui illustre cette thèse non pas une réinvention du passé, comme on peut le penser, mais une survivance d’un temps primitif et barbare, bien loin de la noblesse du monde Grec classique.
11Les mêmes thèses se trouvent déjà sous la plume d’Edmond Saglio, dans l’article argoi lithoi, qui débute ainsi :
Nom donné […] aux pierres non travaillées (a, ergoi) auxquelles les anciennes populations de la Grèce rendaient un culte. Elles tinrent lieu d’idoles avant la naissance de l’art, et conservèrent, en beaucoup d’endroits, même dans les âges postérieurs, la vénération dont elles étaient en possession de temps immémorial.
12L’article est accompagné entre autres, à la figure 500, de la reproduction d’une monnaie d’Ambracie, que l’on retrouve dans l’article Baetylia, comme figure 735, et qui réapparaît, figure 6587, dans l’article Statua, paru en 1911, rédigé par le jeune Charles Picard. C’est dans ce long et important article que la théorie primitiviste se retrouve accompagnée du terme « aniconique » alors que Lenormant ne parlait que d’informe :
Origine des statues. – En Grèce, le principe créateur de la statuaire est d’origine religieuse ; les premiers sculpteurs d’idoles ne visent pas à satisfaire quelque instinct esthétique, mais obéissent plutôt au besoin inconscient d’élucider la notion divine par l’image. C’est une des raisons pour lesquelles la plastique débute assez tard […] Avant la période d’existence de la statue, on adore les dieux comme des forces le plus souvent invisibles… Les souvenirs de cette époque de croyance subsisteront assez tard […] À cette période tout à fait primitive succède la période aniconique, où la statue n’existe pas véritablement, mais se pressent sous les formes de plus en plus anthropomorphiques du symbole.
13La monnaie d’Ambracie trouve sa place à ce point de l’article, avec cette fois la légende « Apollon en pilier d’Ambracie9 ».
14Charles Picard, qui a beaucoup écrit et couvert un vaste champ de recherches, tant du côté de l’archéologie que de l’art ou de la religion, revient à plusieurs reprises sur cette théorie des origines de la sculpture. En 1923, dans un manuel d’histoire de l’art consacré à la Sculpture Antique10 il reprend ce schéma explicatif, qu’il développe dix ans plus tard, en 1932, avec une perspective différente, dans un livre au titre explicite : Les Origines du polythéisme hellénique. L’ère homérique, paru chez le même éditeur. Opposant le caractère mythique des dieux, tels que décrits chez Homère, à l’apparition tardive de la sculpture, il écrit :
C’est ce besoin magique qui va créer la statue ; mais il est populaire, né dans les basses classes des envahisseurs, et ainsi verra-t-on reparaître quelques temps, à côté, toutes les formes de « l’aniconisme » barbare, « pélasgique » ; les premiers xoana se dégagent plus ou moins mal du bétyle, du pilier, de l’arbre sacré. La grossièreté de leurs formes nouvelles contraste avec le caractère raffiné des productions littéraires, et cela fait conjecturer que, tandis que l’épopée homérique devait avoir eu sans doute son origine dans les exigences d’une aristocratie riche et noble, dont elle reflète les actions, c’est au goût des plus incultes que fut dû, à son origine, l’art plastique recommençant11.
15La même opposition entre l’épopée aristocratique et une sculpture encore grossière, d’origine populaire est reprise en 1935 dans le Manuel d’archéologie grecque : la Sculpture I, période archaïque, et ce qui était conjecture en 1932 devient une doxa dans ce manuel qui ne sera remplacé que 60 ans plus tard, par celui signé de Claude Rolley. Solidement ancrée dans le savoir partagé des archéologues de langue française, l’opposition entre art et religion se retrouve dans la table analytique des matières qui fut ajoutée au Daremberg en 1929. Les entrées du dictionnaire étant faites de mots latins ou grecs, il a paru utile de regrouper ces termes selon des rubriques thématiques. C’est ainsi que les termes agalma, caelatura, imago, sculptura, statua sont rangés dans la section 8 : « Beaux-Arts 3° : sculpture », tandis que les termes arbores sacrae, argoi lithoi, baetylia se trouvent dans la section 6 : « Religion, cultes et fêtes : croyances, superstitions ». L’autorité du Daremberg-Saglio, par sa masse imposante et son ambition documentaire, a longtemps fait passer pour scientifiquement fondé par les textes et les documents figurés un système interprétatif que rien ne vient confirmer sous cette forme ; les théories des origines, primitivistes, parfois racistes quand il s’agit d’extraire la Grèce du monde barbare ou oriental, ne renseignent que sur ceux qui les soutiennent, et sur leur époque. Cet apparent bon sens a fait l’objet d’un large consensus dans le monde francophone, et il fallait être suisse pour pouvoir contredire l’autorité savante de Charles Picard, directeur de l’Institut d’art et d’archéologie, après avoir été directeur de l’École française d’Athènes, rédacteur de la Revue Archéologique ainsi que de la Revue d’Histoire des Religions. Seul Waldemar Deonna fait entendre une voix dissonante, dans le premier volume de son Dédale. Rappelant le schéma évolutionniste de Picard, il utilise à son tour le terme « aniconique » sans le critiquer, mais il en réfute la valeur historique. Ainsi écrit-il :
Peut-on admettre qu’entre l’idole aniconique de pierre ou de bois et la statue il y ait une filiation nécessaire, et que la dernière soit sortie de la première par une sorte d’évolution logique, accentuant progressivement l’aspect anthropomorphique ? C’est là une très vieille théorie, encore généralement admise aujourd’hui […] Nous ne croyons pas que l’on puisse transformer ce lien logique entre la forme aniconique et la forme humaine en une réalité chronologique. Dès les temps les plus anciens les images aniconiques et iconiques coexistent12.
16On le voit, le terme aniconique a la vie dure et même lorsqu’il s’oppose à l’évolutionnisme ambiant Deonna n’échappe pas à l’aniconisme.
Des divinités sans façon
17Comme l’a montré Milette Gaifman, c’est l’archéologue allemand Johannes Adolf Overbeck qui le premier utilise et, de fait, invente l’adjectif aniconique13. En un premier temps, en 1864, cet auteur désigne par vorikonische, soit pré-iconique, une phase de la statuaire attestée en Orient par les bétyles. Puis, en 1871, il applique, pour la Grèce, l’expression anikonische Zeit, époque aniconique, à un moment d’impossibilité, voire de refus, de représentation du divin. Cette période, précédant l’âge iconique, aboutirait, au terme d’une évolution, à la figuration anthropomorphe des dieux14. Pour utiliser ce terme Overbeck se réclame de Clément d’Alexandrie15. C’est ce qu’analyse en détail Carmine Pisano. Le polémiste chrétien disserte sur le thème de l’irreprésentabilité de Dieu, conception que, dit-il, les Grecs auraient connue, en l’empruntant à la Bible. Ce qui nous intéresse est l’emploi par Clément du terme aneikonistos, adjectif verbal d’un verbe aneikonizô, non attesté par ailleurs, et forme négative d’eikonizô, « représenter, figurer ». Le sens « irreprésentable » est cohérent. Quelques siècles plus tard, ajoute Carmine Pisano, l’évêque de Thessalonique, Eustathe, dans son Commentaire à l’Iliade (IV, 742), applique ce même adjectif, aneikonistos, au substantif lithos, pour opposer des aneikonistoi lithoi aux agalmata qui leur auraient succédé. Le contexte permet de comprendre que le rhéteur chrétien donne aux aneikonistoi lithoi un sens proche des argoi lithoi de Pausanias, soit des pierres brutes, a-ergoi non travaillées. En l’occurrence des pierres non–imagées. Le savant rhéteur opère ainsi un glissement de sens, ôtant à l’adjectif verbal sa valeur de possibilité et le transformant en épithète marquant l’état. Peut-on conclure de cette utilisation d’aneikonistos que l’adjectif *aneikonikos – que l’on attendrait – n’existe vraiment pas ? Toujours est-il que ces deux auteurs chrétiens ont autorisé Overbeck à inventer le terme, et ses suiveurs à se réclamer des « Grecs » en général pour parler de « représentation aniconique16 ».
18*Aneikonikos, donc, n’est pas attesté en grec. Et s’il existait, il ne signifierait pas « non figuratif ». Car l’adjectif eikonikos, dont *aneikonikos serait la négation, est lui, bien attesté. Mais, s’il n’est pas étranger au domaine de la représentation, son sens est différent.
19Prenons quelques exemples. Tout d’abord ceux qui concernent des artefacts figuratifs.
20Soit, chez Pline, en latin traduit du grec, l’adjectif iconicus pour qualifier les statues des athlètes victorieux à Olympie. Les triples vainqueurs avaient droit à des statues « ex membris ipsorum similitudine expressa, quas iconicas vocant17 ». L’expression est d’autant plus délicate à traduire que la notion de ressemblance – similitudine – est culturelle et varie selon les époques. Tous les vainqueurs ont droit à une statue, dit Pline, mais les triples vainqueurs bénéficient d’un supplément de « ressemblance ». Dans l’expression de leur posture, sans doute, spécifique de chaque sport, mais bien codifiée.
21La même épithète est utilisée pour qualifier les « portraits » des généraux combattants à Marathon, un tableau du peintre Panaenus, frère de Phidias18. Quels que soient les critères de cette ressemblance, l’adjectif iconicus s’inscrit de toute évidence dans le champ de la similitude.
22Mais c’est bien un mot grec. Plutarque l’utilise à propos d’une statue érigée dans le trésor des Acanthiens à Delphes. Cet andrias de marbre est identifiable comme eikonikos de Lysandre, « car il porte une longue chevelure et une barbe épaisse à l’ancienne19 ». Les critères de cette « iconicité » sont les caractéristiques d’une mode, davantage que des traits personnels.
23Une tout autre forme d’art reçoit cette appellation dans une épigramme satirique de Lucillius20, le défi que se lancent un peintre et un avoué afin de réaliser la copie conforme d’une quittance. C’est l’avoué qui se révèle le plus performant dans l’exécution de cette imitation parfaite – eikonikê.
24Ressemblance et non pas figuration : tel est le champ sémantique de l’adjectif eikonikos, dont la forme négative n’est pas attestée.
25Le hasard nous a fait rencontrer un terme grec pouvant exprimer la notion de non figuratif, que la tradition récente affecte au terme aniconique.
26Dans un « beau livre » consacré au site de Petra, deux archéologues italiennes, Maria Giulia Amadasi Guzzo et Eugenia Equini Schneider21, citent la Souda22 à propos de la divinité nabatéenne Dushara. Voici le texte dans sa traduction française :
C’est le dieu Arès à Petra d’Arabie… L’idole est une pierre noire, quadrangulaire et aniconique (τὸ δὲ ἄγαλμα λίθος ἐστὶ μέλας, τετράγωνος, ἀτύπωτος). Sa hauteur est de 4 pieds et sa largeur de 2 pieds. Elle repose sur une base recouverte d’or. Ils lui offrent des sacrifices […].
27L’épithète aniconique surgissant dans la traduction d’un texte, tardif certes, mais grec, nous a incités à consulter l’original.
28L’agalma23 du dieu nabatéen, assimilé ici à Arès, consiste, selon la Souda, en une pierre noire, quadrangulaire24 et atupôtos : tel est le terme qui a été traduit par aniconique. Un composé négatif d’un adjectif dérivé du mot tupos, initialement « coup, empreinte ». Le sens du dérivé s’explicite aisément : est atupôtos ce qui n’a pas subi de tupos.
29Le mot n’a pas été inventé par l’encyclopédie byzantine du xe siècle de notre ère. On le rencontre dans un texte bien connu d’Élien25 consacré à l’immaturité des petits de l’ourse. La chose que l’ourse met au monde, un thauma, est « un paquet de viande, une ébauche indistincte et informe » : c’est ainsi qu’Arnaud Zucker traduit ἄσημόν τε καὶ ἀτύπωτον καὶ ἄμορφον. Encadré par asêmon, indistinct, sans signification et amorphon, sans forme, atupôton indique l’absence de façonnage. D’autant plus qu’Élien poursuit :
[L’ourse] chérit et reconnait son petit, le réchauffe entre ses cuisses, le lisse avec la langue et façonne ses articulations – ἐκτυποῖ ἐς ἄρθρα et peu à peu lui donne forme ἐκμορφοῖ –, si bien qu’en le voyant on peut dire que c’est le petit d’une ourse.
30L’opposition des termes négatifs en a– et des composés en ek– qui marquent une évolution à partir d’un point de départ, confère à l’adjectif atupôton, comme à amorphon, une connotation de manque. C’est du « pas encore façonné ».
31Cette valeur est encore plus marquée dans un texte, également bien connu, de Plutarque26 qui, à propos du dilemme de l’œuf et de la poule, évoque la progression qui mène l’être vivant du germe à l’être animé. Ce processus naturel – phusis – est comparé à celui des « technai qui façonnent des choses d’abord atupôta et amorpha et ensuite articulent chaque objet selon leur formes » αἱ τέχναι πρῶτον ἀτύπωτα καὶ ἄμορφα πλάττουσιν, εἶθ᾽ὕστερον ἕκαστα τοῖς εἴδεσι διαρθροῦσιν. La comparaison rend explicite le recours à un modèle de pensée technique pour rendre compte d’un fait biologique. L’atupôton se définit, dans une perspective future, par rapport à ce qui sera tupôton. Notons que dans cette description d’un travail technique, ici le modelage, le premier degré est déjà une ébauche grossière, un premier état, un morceau de matériau délimité ; comme le paquet de viande mis au monde par l’ourse, animal traditionnellement « culturel », fortement anthropomorphisé dans bien des sociétés27.
32L’atupôtos est une notion technique. Sa négation est parallèle à celle du composé a-ergos qui qualifie les argoi lithoi que Pausanias oppose aux agalmata sun technê, qui, coexistant parfois dans un sanctuaire, sont également vénérées, mais portent la marque de « temps plus anciens »28.
33Si la dimension chronologique est bien présente dans cette opposition, c’est autant celle du déroulement d’un travail, un façonnage, que le contraste entre deux états, passé et présent.
34Rien dans tout cela ne peut justifier l’aniconique. Le critère grec est d’ordre technique. Et il est intéressant d’explorer, dans le champ plus général de l’ergon et de la technê, la spécificité du tupos. Comme terme technique, tupos a fait l’objet de nombreuses discussions dans le détail desquelles on n’entrera pas ici29. On peut retenir l’essentiel, avec Chantraine30. Le terme tupos implique l’idée de frapper, d’imprimer ; dérivé du verbe tuptô, il désigne soit l’empreinte en creux, soit en saillie, imprimée ou repoussée, laissée sur une matière réceptrice par un objet qui lui donne forme. Cet objet peut lui-même être également nommé tupos.
35On trouve ainsi le terme tupos appliqué à un sceau ou à la marque que laisse le sceau sur l’argile ou sur la cire31 ; parallèlement, s’agissant de monnaies, le type monétaire est appelé tupos pour désigner l’image qui figure sur un coin ; Lucien évoque le changeur qui n’accepte que des monnaies « frappées au bon coin, ἀκριβῆ τὸν τύπον32 ». C’est également un terme qui s’applique à une impression ou à un moulage, au décor d’un bouclier33. Hérodote emploie tupos pour décrire un sarcophage égyptien en bois : ξύλινον τύπον ἀνθρωποειδέα34, et Aristote précise que les viscères des serpents prennent la forme de leur corps « καθάπερ ἐν τύπῳ35 », où le terme tupos prend le sens de « moule ».
36On a souvent généralisé la valeur d’image en relief pour l’appliquer à des bas-reliefs sculptés, comme on le lit par exemple sur un relief votif d’Olbia36. Une inscription bilingue de Palerme annonce : « Ici on sculpte et on grave des stèles », Στῆλαι ἐνθάδε τυποῦνται καὶ χαράσσονται37.
37D’autres formulations mettent en évidence le fait que le tupos se situe au départ d’un processus en deux temps. C’est le cas de l’inscription que l’on peut lire, en double exemplaire, sur une paire d’hermès d’Erennianos, découverts à Dion. Les deux hermès sont identiques et portent tous deux la même inscription :
Un tupos en deux exemplaires,
et pour les deux une seule forme.
Tous deux, tels que tu nous vois, nous sommes
Erennianos.
Εἶς τύπος ἐν δοιοῖσι
καὶ ἀμφοτέροις μία μορφὴ
οἱ δύο δ᾽ὡς ὁρᾷς ἐσμεν
Ἐρεννιανός38.
38Le tupos est ici le modèle qui donne forme aux deux hermès.
39Une opération analogue est en jeu sur un miroir en plomb d’époque impériale découvert en Bulgarie et publié par Dan Dana39. Le revers du miroir porte un bref texte inscrit « en miroir » c’est à dire rétrograde : « τύπ̣ο|ν ἔχ|ω, je porte l’image ». Ici tupos désigne l’image sur le miroir, qui résulte de la projection d’un modèle sur la surface métallique.
40Ainsi tupos implique la perception en deux temps de la production de l’image : modèle, moule, outil qui imprime ou qui repousse, le tupos occupe dans le vocabulaire de l’image une place à part, qui met l’accent sur l’engendrement de l’image. Ce qui nous incite à prolonger ce propos en revenant sur le processus de fabrication des images de dieux, et à son inventeur Dédale.
Dédale. Des dieux faits main
41Daedalus deorum simulacra primus fecit, peut-on lire dans une liste d’inventeurs dressée par Hygin. De son côté, Apollodore désigne l’artisan comme le prôtos agalmatôn euretês40.
42L’Athénien Dédale, de la lignée royale des Métionides, est dit fils tantôt de Métion, de Palamaon, ou d’Eupalamos, ascendance qui unit l’intelligence pratique à l’habileté manuelle. On lui attribue l’invention d’outils, dont la doloire ou herminette, pelekus ou skeparnon. Plus amplement, Pline qui en donne la liste, attribue à l’artisan le travail de la matière : « fabricam materiariam Daedalus (invenit)41 ». L’adjectif materiarius, un quasi hapax, pourrait limiter son champ d’intervention au travail du bois. Mais Diodore ajoute à la fabrication des statues, tên tôn agalmatôn kataskeuên, le travail de la pierre, lithourgia42. Sur bois et sur pierre, Dédale est un adepte du tupos et il se dote d’instruments appropriés à la fabrication des premières statues divines43.
43Cette tradition légendaire place l’ancêtre supposé de la sculpture grecque dans une position symétrique, sur le plan figuratif, de celle des poiêtai qui, selon Hérodote, ont révélé la figure des dieux, εἴδεα αὐτῶν σημήναντες. Soient Homère et Hésiode. On s’en souvient, « ce sont eux qui, dans leurs poèmes, ont fixé pour les Grecs une théogonie, ont attribué aux dieux leurs surnoms, réparti entre eux les honneurs et les compétences (τέχνας), et signifié leurs figures44. »
44Dédale n’est pas seulement crédité de l’invention de la statue. Diodore lui attribue les innovations majeures de la statuaire grecque. « Le premier il donna des yeux (aux statues), sépara leurs jambes, et étendit leurs mains45. » Le thème de l’ouverture des yeux de statues – qui fait écho à des pratiques rituelles46 – s’inscrit dans le champ des représentations grecques de la vue, caractérisées par la réciprocité du visuel : voir, c’est être vu. Donner des yeux aux statues des dieux c’est les rendre voyants et visibles à la fois, et visibles en tant que voyants. C’est activer la communication visuelle avec les hommes. Il en va de même pour les jambes écartées et avancées, les bras décollés du corps et tendus. Si ces traits correspondent de fait à des particularités de la statuaire archaïque (conçues comme un progrès), ils s’entendent en même temps comme une mise en marche des dieux dans le monde et une volonté de contact. De là viennent, explique Diodore, les légendes de la prodigieuse mobilité des statues de Dédale qu’il fallait attacher pour les empêcher de s’enfuir. En créant des statues quasi vivantes, la technê donne vie aux dieux et les anime. Les artistes révèlent aux humains l’existence des dieux en modelant leurs figures pour les faire voir, comme de leur côté les poètes font entendre leurs noms et leurs histoires dans leurs chants.
45Le fait que Dédale soit crédité tantôt de l’invention, tantôt des progrès de la statuaire, par des auteurs différents, ne doit pas être pensé comme une contradiction mais bien plutôt comme une contraction47. Il est « à la fois » et « en même temps » l’inventeur et l’animateur de la figure divine, l’auteur de son insertion dans le monde. Tout se passe comme si la totalité des versions de la légende racontait en bloc la naissance de l’image divine, selon un schème que l’on retrouve chez Ovide, lorsqu’il relate la re-création de l’espèce humaine, après le déluge, par Deucalion et Pyrrha, jetant derrière eux des pierres qui s’amollissent et prennent forme jusqu’à prendre figure humaine48.
46Ce processus, déclenché par un vouloir divin, décrit comme automatique, est comparé à la fabrication d’une statue de marbre (v. 405). Et l’ensemble du passage raconte effectivement une création de statues, opération (sur)naturelle dans le cas de Deucalion et Pyrrha, culturelle et technique par façonnage, dans la comparaison.
47Ce même schéma est aussi, sur un plan temporel plus étendu, celui qu’utilise Pausanias pour retracer ou construire l’histoire de l’image divine, en partant des argoi lithoi (aergoi) bruts et non travaillés pour passer au xoana (xeô, râcler), puis aux agalmata, terme qui ne relève pas de la technique.
48Selon Sarah Morris, la figure de Dédale sculpteur est une invention de l’Athènes classique, liée à l’invention de Thésée, figure du roi unificateur et démocrate. L’adjonction de la sculpture aux compétences de Dédale serait contemporaine du développement de la statuaire classique et de son histoire qui se construit alors49.
49La perspective de Sarah Morris se veut « historique ». Elle historicise le mythe en le débitant en tranches chronologiques, rattachées à des périodes différentes. Elle n’a pas tort. Son but est surtout de mettre en lumière la part orientale ou proche-orientale de la culture grecque. Et elle insiste sur la stratégie athénienne de gommage de cet apport extérieur. Sa démonstration est convaincante, mais il faut aussi envisager le mythe de façon plus globale. Il est incontestable que les multiples aspects de la figure de Dédale ont été mis en relief à des époques différentes. Interviennent aussi les questions d’attestation.
50Il nous semble cependant que tout est en germe dans le noyau ou dans la matrice du mythe qui remonte, on le sait, bien plus haut que les ve ou ive siècles athéniens.
51Sans aller jusqu’à la période mycénienne, où le nom de Dédale est attesté en linéaire B par un terme qui semble se référer à une localisation dadarejode, il est indispensable de rappeler la première apparition du héros, chez Homère50.
52La dernière séquence du décor du bouclier, en cours de fabrication par Héphaïstos, est consacrée à la description d’un choros « semblable à celui que Dédale a façonné » : le verbe êskêsen désigne un travail technique. Mais lequel ? demande Chantraine, qui cite le travail de la laine, celui du métal ou une construction, faisant référence aux premiers emplois, nécessairement homériques. Cette polysémie ne permet pas de résoudre la question que pose le choros de Dédale : construction architecturale, telle qu’a voulu la localiser Evans à Cnossos, ou figuration ciselée d’une danse, analogue à ce qu’Héphaïstos cisèle sur le bouclier ; cette dernière séquence étant introduite par le verbe poikillô.
53Le mot ποίκιλλε marque un changement dans la narration, car les autres verbes désignant le travail du dieu artisan sont poiêse (en…poiêse) en…etithei, « il y fait, il y met ». Rappelons qu’il y a dû faire dans tithêmi : la forme ethêke (pas utilisée ici) correspondant au latin fecit.
54Et l’ensemble du décor est désigné, au vers 478, par le participe daidalôn, seule occurrence de ce verbe dans l’Iliade, où le substantif daidala est fréquent (ici encore au vers 482) ainsi que les adjectifs dérivés. La comparaison du travail d’Héphaïstos avec celui d’un mortel a étonné, voire choqué les commentateurs dès l’Antiquité. Elle confirme le statut de daidalon du bouclier décoré : le travail d’Héphaïstos consiste à dédaliser.
55L’épisode du Bouclier sera défini comme ekphrasis de fabrication, description d’action. On a souvent indiqué que cette séquence forme comme une figure en abyme de l’Iliade. De fait cet objet verbal représente le monde entier.
56Les séquences figuratives du monde des hommes sont encadrées par deux images cosmiques : à partir du vers 482, Héphaïstos « y met » la terre, le ciel, la mer, le soleil et les astres ; puis il boucle son ouvrage avec le cercle de l’Océan qui entoure le monde des hommes (v. 607).
57Dans le monde des hommes, l’épisode de la cité assiégée rappelle le siège de Troie. Le dieu Artisan y place, à la tête d’un contingent de guerriers, deux divinités. Ce sont Arès et Athéna, tous deux en or, portant des armes et des vêtements d’or. En tant que dieux ils sont plus grands, les mortels plus petits. Ils sont en marche (v. 516-519).
58L’artisan, en fabriquant cet immense daidalon, figure quasi cosmique, y « a fait » – en..poiêse – donc aussi des dieux, combattants parmi les hommes, et tous sont « comme des mortels vivants » (ὥς τε ζωοὶ βροτοί, v. 539). Mais leur matière et l’écart avec les humains les désignent comme des super-artefacts. Un degré de plus dans l’artefact d’ensemble. Ces sur-artefacts d’or sont animés, ils marchent avec les hommes. Image saisissante que Pindare saura reprendre, en évoquant les Rhodiens chez qui, « par le don que la déesse a accordé à leurs mains, les chemins portaient des œuvres semblables à des vivants en marche51 ».
59Cet ouvrage, Héphaïstos le réalise avec ses outils, hopla (v. 412), marteau et pince qu’il prend en main cheiri (v. 476), et aussi avec ses soufflets, phusai (v. 470).
60Le dieu donne de sa personne, il transpire, hidrôonta (v. 372), il peine, poneito (v. 380). Lorsqu’il accueille Thétis, il essuie avec une éponge son visage, ses deux bras, son cou puissant, sa poitrine velue (v. 414). Son corps est son premier outil de travail, ou plus exactement la partie supérieure de son corps, son thorax, mal étayé par ses jambes grêles et boiteuses. Et quand il se remet au travail, c’est avec ses prapidessi iduiêisi qu’il fabrique le décor (v. 380). Mazon traduit cette expression par « savants pensers », Philippe Brunet par « sages pensers », etc. Les prapides désignent le diaphragme. Avec les phrenes, les poumons, ils sont considérés à l’époque archaïque comme le siège des émotions, des sentiments, voire de la pensée. Cette conception thorakocentriste, illustrée par Empédocle, sera remplacée par la conception céphalocentriste, après migration des composantes de la conscience depuis la cage thoracique vers la tête.
61Quant au qualificatif iduia, il possède la valeur initialement visuelle d’eidos, qui devient le savoir. Héphaïstos travaille avec son « diaphragme visionnaire52 ». Il puise son inspiration dans la boite à images de son thorax. Les prapides, le diaphragme, qui met en marche les poumons pour produire le souffle, est chez l’Artisan divin redoublé, extériorisé par les soufflets qu’il pousse à l’action. Son diaphragme visionnaire est le lieu d’inspiration du créateur d’images. C’est là une conception « aédique » : l’aède, le chanteur travaille avec sa voix, son souffle, et doit lui aussi avoir du coffre53.
62Dans l’ekphrasis du bouclier, le poète décrit le processus de création d’images – que lui-même reçoit de la Muse « qui voit tout », en mettant en scène l’Artisan, qui, comme lui, travaille avec des « poumons visionnaires ». Un Artisan divin certes, mais dont l’ouvrage est comparé à celui de Dédale, un mortel, comme l’est l’aède. La dernière séquence de ce daidalon, introduite par un changement de verbe – poikille – évoque un choros, comparé à celui que Dédale a fabriqué pour Ariane à Cnossos. Choros polysémique : dans le contexte crétois de la légende, Dédale est architecte, mais aussi maître de danse, lors de l’escale à Délos avec les rescapés du labyrinthe.
63La scène décrite est une œuvre esthétique totale : musicale et dansée, une performance sonore et spectaculaire, dont les sinuosités sont comparées au tour de potier, autre invention de Dédale ou de son neveu Talos. Accompagnée de surcroît du chant d’un aède divin54, qui souligne la qualité synesthésique du bouclier, œuvre exemplairement verbale et figurative.
64L’ekphrasis du bouclier se termine par le mot poiêtoio (v. 608) ; adjectif qualifiant l’artefact sakeos puka poiêtoio : le bouclier densément fabriqué : c’est du bien fait. Ce génitif d’un adjectif poiêtos, pourra quelques siècles plus tard être entendu comme un génitif de poiêtes, et comme une signature du Poéitès : le bouclier d’Héphaïstos pourra se lire comme le Bouclier du Poète, soit Homère.
65L’importance des allusions à Dédale, encadrant la fabrication du Bouclier d’Héphaïstos, l’artisan divin comparé à un artiste humain, symétrique du poète, qui se dit souvent divin, n’a pas échappé à Phidias, qui sur le bouclier de son Athéna s’est représenté en Dédale, ancêtre des sculpteurs et inventeur de l’art de manufacturer les dieux pour les faire voir.
66Cette conception de l’invention de l’agalma qui rend les dieux visibles aux hommes et connus d’eux, est une conception démiurgique : tout provient de l’activité de dêmiourgoi, poètes et artistes. Elle semble avoir été largement partagée. Platon lui-même souligne que Socrate est fils de sculpteur et descendant de Dédale.
67Les dieux existent (sauf pour quelques athées), mais si les poètes et les artistes ne mettent pas la main à la pâte, ils restent agnôstoi. Il faut savoir les voir, les dire et les montrer en les fabriquant. C’est le témoignage d’une grande confiance en l’humain et ses capacités, manuelles et intellectuelles, en un mot poïétiques. C’est aussi ce que rappelle, par exemple l’image de l’artisan, sculptant un hermès calé sur ses genoux, au médaillon d’une coupe attribuée à Épiktétos (fig. 1)55.
Fig. 1 : Médaillon d’une coupe attribuée à Épiktétos.

Copenhague Musée National VIII967.
D’après Shapiro 1989, pl. 57a.
68Rappelons ce que dit Xénophane :
Si les bœufs et les chevaux avaient des mains et pouvaient dessiner comme le font les hommes, ils donneraient aux dieux des corps pareils aux leurs, les chevaux les mettant sous la figure de chevaux, les bœufs sous la figure de bœufs56.
69Cette réflexion, destinée à critiquer l’anthropomorphisme, dit aussi que tout est dans les mains, dans le pouvoir de fabriquer, de dessiner ou de façonner.
70L’homme a des mains. Si les Grecs ont des dieux bien manufacturés, c’est qu’« ils ne sont pas des bœufs ».
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Gaifman 2010 et 2012, p. 18-22.
2 Pisano 2019.
3 Cf. Annuaire de l’EHESS, années 2004-2005, p. 352 ; 2005-2006, p. 323-324 ; 2006-2007, p. 345.
4 Chamoux 1953, p. 293-299 ; Beschi 1972.
5 Cf. Frontisi-Ducroux 2008 et 2016.
6 Maffre 2002.
7 Voir dans Anabases 4, 2006, p. 157-258, le dossier consacré au Daremberg-Saglio, ainsi que Gourevitch 2009.
8 Winckelmann [1764] 2005, p. 73-76.
9 À comparer avec les légendes des figures 500 (Argoi lithoi) : « Apollon Agieus » ; et 735 (Baetylia) : « Pierre conique d’Apollon Agieus, à Ambracie ».
10 Picard 1923.
11 Picard 1932, p. 103.
12 Deonna 1930, p. 52-53
13 Gaifman 2012, p. 18.
14 Overbeck 1864.
15 Ibid., p. 154 ; Clément d’Alexandrie, Stromates I, 24, 163, 6. Cf. Gaifman 2012, p. 19.
16 Rolley 1994, p. 25 : « […] représentation non figurative de matérialisation d’une divinité : on parle alors, à la suite des Grecs, de représentation ‘aniconique’. »
17 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle XXXIV, 16.
18 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle XXXV, 57.
19 Plutarque, Lysandre 1, 1.
20 Anthologie Palatine XI, 233.
21 Amadasi Guzzo, Equini Schneider 1997, p. 82.
22 Souda, s.v. Θεὺς Ἄρης (éd. A. Adler). Cf. Gaifman 2012, p. 117, qui traduit ἀτύπωτος par « unchiseled ».
23 Nous ne revenons pas ici sur la traduction par « idole » du terme agalma. Nous en avons ailleurs dénoncé l’impropriété : Frontisi-Ducroux 1990.
24 Le défilé rocheux qui mène à l’entrée du site de Petra porte sur sa paroi des niches abritant des représentations qui juxtaposent un grossier quadrilatère et un buste anthropomorphe : on est tenté d’y voir du « bilinguisme » figuratif, parallèle au bilinguisme verbal et religieux des Nabatéens.
25 Élien, La personnalité des Animaux II, 19, trad. Arnaud Zucker, Paris, 2001.
26 Propos de table II, 3, 2 = Moralia 636B.
27 Cf. par exemple Pastoureau 2007.
28 Pausanias, IX, 24, 3 et VII, 22, 4. Cf. Pirenne-Delforge 2008, p. 272.
29 Voir sur ce point Roux 1961 ; Pollitt 1974, p. 272-293.
30 Chantraine 1968-1980, s. v. τύπτω.
31 Théophraste, De Sensu 51 : τὴν ἐντύπωσιν οἶον εἰ ἐκμάξειας εἰς κηρόν ; cf. Pollitt 1974, p. 274, no 30.
32 Lucien, Comment on écrit l’histoire 10 ; cf. Hesychius, s.v. Κυζικηνοὶ στατῆρες : πρόσωπον δὲ ἦν γυναικὸς ὁ τύπος.
33 Euripide, Phéniciennes 1130.
34 Hérodote, II, 86.
35 Aristote, Parties des animaux IV, 1, 676b9.
36 van Straten, 1995, catalogue R150, p. 312, fig. 108.
37 IG XIV 297 ; BE132, 2019, no 139.
38 Pandermalis 1999, p. 157-158.
39 Dana à paraître. Merci à Dan Dana de nous avoir communiqué son texte.
40 Hygin, 274 ; Apollodore, III, 15, 8-9.
41 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle VII, 198.
42 Diodore, IV, 76.
43 Cf. Frontisi-Ducroux [1975] 2000.
44 Hérodote, II 53, traduction Pirenne-Delforge 2020, p. 79.
45 Diodore, IV, 76, 3.
46 Cf. Deonna 1935.
47 Cf. Frontisi-Ducroux [1975] 2000, postface.
48 Métamorphoses I, 400-415.
49 Morris 1992.
50 Pour la mention en linéaire B, voir Frontisi-Ducroux 1975, p. 25, n. 28 ; pour Dédale chez Homère, cf. Iliade XVIII, 592.
51 Pindare, Olympiques VII, 52.
52 Sur ce point voir Frontisi-Ducroux, 2002.
53 Cf. l’amphore du peintre de Berlin à New York (56.171.38) où le citharède chante, tête en arrière, torse bombé, diaphragme dilaté. On notera que les imagiers ont limité la difformité d’Héphaïstos à ses pieds tordus ou inversés (par exemple sur le vase François, Florence 4200) sans mettre l’accent comme chez Homère sur son poitrail.
54 Au vers 604, souvent athétisé ; cf. le commentaire de Brunet 2010 ad loc.
55 Copenhague Musée National VIII967 ; ARV2 75/59 ; BAPD 200586.
56 Xénophane B15 Diels Kranz = Clément d’Alexandrie, Stromates V, 110.
Auteurs
Collège de France, ANHIMA UMR 8210
EHESS, ANHIMA UMR 8210
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Des femmes en action
L'individu et la fonction en Grèce antique
Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet (dir.)
2013