Chapitre V. Les grands espaces ouralo-altaïques
p. 203-225
Texte intégral
1A l’angle nord-est du monde musulman1, dans ces steppes qui rayonnent autour de la mer d’Aral, loin, très loin, jusqu’à la Chine et à la Russie des grands fleuves2, des peuples, turcs en leur énorme majorité, vont et viennent. L’Islam, comme on le verra au dernier chapitre de ce livre, s’essaie à les contenir : par la force ou par les progrès d’une foi que ses marchands exportent avec le reste. Mais il lui arrive de faire plus encore : ces étrangers, il les accueille à l’intérieur de ses frontières, par peuplades entières ou par contingents d’esclaves qui s’en vont grossir les armées des souverains, califes en tête3.
Où l’homme est mieux connu que son pays
2Depuis qu’on a pris l’habitude de former avec ces immigrés, ces transplantés, la « vieille garde » des troupes ou le noyau de cohortes prétoriennes, un thème s’est installé dans la littérature arabe, que Ǧāhiẓ, encore lui, orchestre : le Turc est courageux, le Turc est simple, le Turc est fidèle au pays natal4. Mais sans doute faut-il regarder l’autre côté du décor, celui que l’histoire, du reste, campa le premier, à savoir : l’impatience de toute une société livrée, par la raison de l’ordre public ou d’État, à ces mercenaires d’emblée si insupportables qu’en 221/836, déjà, un calife fondait toute une ville, Sāmarrā, pour les soustraire aux provocations, tentations et propagandes de toutes sortes, que Bagdad nourrissait trop bien5.
3Étrangers sans l’être, tels, au fond, apparaissent les Turcs. Ainsi s’explique que le merveilleux tienne ici moins de place que sur d’autres pans de terres non musulmanes. Et aussi, que les nouvelles du dehors soient apportées, non seulement, comme ailleurs, par des Musulmans gagnés à l’aventure6, mais encore, le plus simplement du monde, par l’étranger lui-même, installé comme chez lui en plein cœur du monde musulman : tel, pour Ibn Hawqal, Abu Ishāq Ibrāhīmb. Alptekīn, informateur parfaitement qualifié et de surcroît, ce qui ne gâte rien, fort haut placé dans la hiérarchie : l’oncle maternel du grand Maḥmūd de Ġazna, pas moins7.
4On ne s’étonnera pas que les textes8 répugnent parfois à séparer, dans leurs descriptions, le pays turc de celui qui n’en constitue souvent, après tout, que la version musulmane, depuis les bords orientaux de la Caspienne jusqu’aux hautes vallées de l’Amu-Darya et du Sir-Darya. L’interpénétration des deux mondes, à travers la guerre ou les commerces de paix, complique d’autant plus les choses que les Turcs, nomades, bougent, et ne sont pas toujours là où on avait coutume de les attendre. L’établissement de la carte, vital pour les nécessités de la défense, est ici hasardeux, fluctuant : avant de savoir s’il existe un type du Turc, et lequel, force est de savoir quels Turcs existent, et où. Mais comment procéder quand, d’auteur à auteur, de décennie à décennie, les choses changent ? Le plus simple, tout en respectant la diachronie nécessaire en pareil sujet, est de demander l’information de base au tableau le plus complet, à celui qui émane, avec les Hudûd al-’ālam, de ce monde iranien, principal intéressé en l’affaire, et dont le conflit avec Touran anime l’histoire et la conscience épique de régions entières de l’Orient9.
5Cette connaissance géographique morcelée, prélude indispensable à l’étude d’un monde turc global, sera menée d’est en ouest, depuis les massifs de l’Altaï jusqu’aux marges de l’Oural. Sur ces terres souvent mal connues, nos guides au moins sont sûrs et ne nous égareront pas : les admirables travaux de Barthold et de Minorsky10, pour ne parler que de ceux-là, traceront devant nous les chemins. Mais d’ores et déjà, on peut dire que ce pays turc et ceux qui l’habitent, au delà des horizons lointains découverts à partir d’une frontière mouvante, sont moins bien connus que le Turc installé à l’intérieur de l’Islam, le Turc de l’histoire musulmane, tel qu’elle le vit, le subit ou le décrit : toutes choses qui nous échappent, ne relevant pas de nos textes. Consolons-nous pourtant, et rassurons-nous : si l’homme, l’homme historique, est, en cette occasion, mieux connu que sa terre, il n’est pas resté tout à fait muet, devant ses contemporains et devant nous, sur sa patrie perdue.
A l’est, avec les Turcs des montagnes : les Tuġuzġuz
6Selon la classification adoptée par Minorsky à la lumière des Ḥudūd al-’ālam11, un premier grand groupe de peuples se situe à l’est12, accroché aux hautes terres du Tien-chan et de l’Altaï (fig. 24). Les plus célèbres de tous sont des Uyghurs, aux affinités mongoles : les Tuġuzġuz (Toquz-Oghuz)13. Depuis le bassin de l’Orkhon, au sud du lac Baïkal, où Tamīm b. Bahr al-Muttawwi’ī visita, sans doute entre 143/760 et 184/800, le peuple uyghur au complet, une partie de celui-ci a glissé, dans les années 246/860, jusqu’à l’est du Tien-chan : c’est là que nos sources, tout en gardant quelques traces confuses des anciens souvenirs, situent les Tuġuzġuz. Des régions montagneuses bordant, au nord et à l’est, le lac Ayskuk (l’Issi-kul), ils s’étendent, en gros, vers le sud-est, présents, au moins sous la forme de raids, jusque dans les villes qui s’échelonnent le long de la route menant de Kāšǧar à Hotān. Leurs voisins principaux se nomment Qarluq (Halluh), vers le sud-ouest, et, vers le nord, Kirghiz (Hirhīz) et Kīmāk. Mais d’autres voisins, plus nébuleux, du bout du monde ceux-là, se dessinent à l’horizon des Tuġuzġuz : Océan (mer Environnante), Gog et Magog, et au nord, dit Maqdisī, des terres froides, désertes, inconnues (où nous pouvons voir, nous, taïga et toundra).
7C’est vers le centre de l’Asie, finalement, que les choses sont le moins confuses : le désert (disons : de Mongolie) sépare les Tuġuzġuz du reste du continent. Sépare, vraiment ? En réalité, certains semblent les distinguer du monde turc proprement dit pour les intégrer à la mouvance tibétaine ou chinoise : situation que consacrent des alliances entre familles royales et, en 264/878, l’appel au secours lancé par l’empereur de Chine lors de la rébellion de Huang-Tch’ao14. C’est que les Tuġuzġuz représentent une force considérable : guerriers valeureux, ils sont proclamés « Arabes des Turcs ».
8Peuple nombreux, pays vaste : fait de hautes terres battues par la neige ou la pluie, celui-ci s’étendrait sur 1 000 X 500 parasanges, soit plus de 16 millions de km2, ou, selon d’autres, sur 40-45 jours ou 3 mois de marche partagés à peu près également, quand on vient de l’Islam, entre un paysage de solitudes, de rivières et d’herbages courus par d’innombrables troupeaux, sans autres installations que celles de la poste turque, et, lui faisant suite, un sol cultivé où les villages — tentes et huttes de feutre — s’égrènent sans interruption. C’est dans cette dernière zone que se situeraient la résidence du roi (le Uyġurẖān), sa tente d’or qu’on verrait à cinq parasanges à la ronde, le palais gardé par neuf cents hommes et, près d’un lac, la capitale, animée et commerçante, enclose dans une muraille aux onze portes de fer.
9La description de cette ville, qui est celle que vit Tamīm, se retrouve, plus ou moins altérée, chez quelques-uns de nos auteurs15. Dans l’ensemble, pourtant, elle cède le pas à des données plus récentes, où d’autres villes, à peine moins mystérieuses, émergent de ces lointains pays du Tien-chan et, plus au nord, du Tarbaghataï dominant la vallée de l’Irtych Noir ; le cœur du domaine Tuġuzġuz, incontestablement, c’est le premier de ces deux massifs, là où se trouve le roi : à Sīrāngkat (Kao-tch’ang)16 et Panǧīkaṯ, sa résidence d’été.
A l’est, avec les Turcs des montagnes : les Qarluq
10Les Qarluq (Harluh, Halluh)17, autre grande tribu, jouxtent les Tuġuzġuz sur leur flanc occidental. Leurs démêlés avec eux sont anciens, et dans ce Tien-chan de l’ouest, où les Qarluq ont été refoulés par la pression uyghure, la place manque : sans parler des Tuġuzġuz, il faut en découdre aussi avec les Yagmā, les Tuẖs, les Šigil et, pour peu qu’on pousse vers le nord, avec les Kirghiz.
11A l’est, donc, les Qarluq, qui s’étendent, le long de la dépression désertique du Tarim, sur le pays d’Os et, au delà, vers les Tuġuzġuz, contribuent, avec leurs frères rivaux, Yaġmā ou Tuġuzġuz, à rendre précaires les positions chinoises du triangle Kušā-Kāšgar-Hotān. Vers le nord, ce sont la vallée du Chu et les abords du lac Balkach qui marquent les limites qarluq, aux approches des mouvances kirghize et kīmāk. A l’ouest, les régions de Ṭarāz et d’Isfīğāb (Isbīǧāb), en rive droite du Sir-Darya, constituent comme la plaque tournante des relations, guerrières ou commerciales, entre trois mondes : quarluq, Ġuzz et musulman. Vers le sud, enfin, le Fergāna, dont toutes les villes se hérissent de citadelles, est la dernière avancée de l’Islam : les Qarluq se rencontrent, nous dit-on, au delà des montagnes d’Ozgand, la cité-frontière. Et pourtant, certains groupes qarluq, plus ou moins désignés sous le terme de Yabāġū, ont glissé à l’intérieur même de l’Islam, dans la région d’Ozgand précisément, ou même plus loin encore, jusqu’au Ṭuẖāristān supérieur18.
12Le centre du pays qarluq, c’est donc le nord du Tien-chan occidental, château d’eau qui dépêche, à l’ouest, le Narin en direction du système hydrographique du Sir-Darya, et vers le Tarim, à l’est, l’Aq-ṣu. L’hiver, pourtant, les Qarluq glissent vers l’ouest, dans la région de Kasrā-bās, près de Ṭarāz. L’été venu, ils regagnent leurs « repaires »19 montagnards, qui font partie du « toit du monde »20 et se parent pour eux des séductions de l’eau et de la verdure : tout au moins dans ce Ferġāna qu’ils partagent avec l’Islam, les Qarluq, nous dit-on, cueillent à discrétion, hors de toutes les entraves de la propriété, les noix, les raisins, les pommes, la rose et la violette21. Ainsi la haute Asie jette-t-elle son masque sévère pour devenir refuge presque idyllique, où les bêtes aussi foisonnent : chameaux, ânes, moutons, chevaux et animaux à fourrure ; où les lacs fournissent à profusion le sel indispensable22 ; où les hommes, supérieurement beaux et grands, « sociables et presque civilisés »23, s’adonnent aux activités agricoles, pastorales ou du commerce, dans un paysage de vastes prairies, piquetées de tentes ou de huttes recouvertes de feutre (et parfois réputées incombustibles) : car, même convertis à l’occasion, les Qarluq « ne construisent pas », ayant sur ce point « conservé leurs habitudes »24 : claire référence à un Islam qui se définit d’instinct comme une civilisation de bâtisseurs.
13Au reste les Qarluq maintiennent-ils, dans un autre domaine encore, leur spécificité turque : par les qualités guerrières de leur race. Sous leur aménité, ils restent volontiers brigands et razzieurs, maintenant haut la devise du courage turc, particulièrement dans ces régions du sud de l’Issi-kul, où dix d’entre eux « valent cent [autres] Qarluq »25. Parfois présumés descendant des Huns Hephtalites26 et disputant l’appellation de Turkmènes aux Ġuzz27, les Qarluq relèvent d’un souverain nommé yabġū28 : titre qui semble leur avoir appartenu de façon privilégiée sinon exclusive, puisque d’autres populations turques le connaissent, tout en réservant celui de ẖāqān à la royauté suprême.
A l’est, avec les Turcs des montagnes : Yaġmā, Šigil, Tuẖs
14Les Yaġmā, les Šigil et les Tuẖs s’imbriquent dans les territoires évoqués jusqu’ici. Les premiers29, ni plus ni moins qu’une branche des Tuġuzġuz, s’étendent depuis les deux rives du Narin jusqu’aux approches septentrionales de Kāšǧar, qui constituent, avec le village d’Artus, la partie essentielle de la mouvance de la tribu. Celle-ci, au demeurant, est complexe : elle recouvrirait, en réalité, 1 700 clans ; et diffuse aussi : on trouve des Yaġmā en plein pays qarluq et même au delà, jusque dans le bassin de l’Ili : indice d’une progression qui va bientôt gagner également vers l’ouest, avec les bassins du Chu et du Sir-Darya30.
15Autre indice de cet essor futur : ce peuple qu’on nous présente comme riche en hommes et en armes, soudé autour de ses princes et moins enclin à l’agriculture qu’à la poursuite du gibier ou à la guerre, est en train d’organiser sa puissance à travers une dynastie d’origine Tuġuzġuz ou qarluq31, d’où sortira, à la fin du ive/xe siècle, celle des Ilek-hāns ou Qarahānides32.
16Les Šigil33, peut-être une tribu d’ascendance qarluq, se sont taillé plusieurs domaines, dont les deux plus importants se situent entre le lac de l’Issi-kul et l’Ili, d’une part, et sur les rivages sud-ouest du même lac, d’autre part. A propos de ce peuple, nos données sont maigres et parfois contradictoires : retenons-en au moins qu’il est nombreux, aimable, et que son mode de vie, essentiellement pastoral, rappelle celui de ses voisins.
17Les Tuẖs (ou Tuẖsī) sont les survivants d’une vaste confédération : celle des Türgiš, d’où le nom de Turkas sous lequel ils sont parfois désignés34. Ici, la diachronie reprend tous ses droits, nos textes se partageant entre les données les plus récentes et les souvenirs de l’ancienne puissance türgiš, avant que les Qarluq assurent sur elle une suprématie politique allant de pair avec l’occupation des meilleures terres : d’Ibn Hurdādbeh, Ya’qūbī, Ibn al-Faqīh et Qudāma, qui parlent des Türgiš et de leur ẖāqān35, à Iṣṭaẖrī et Ibn Hawqal, qui ignorent complètement cette tribu, le chemin parcouru se lit assez facilement.
18Entre ces deux traditions, toutefois, s’intercale celle de Gayhānī, reprise par les Ḥudūd36, qui réserve encore leur place à des groupes tuẖs survivant sans doute dans une certaine autonomie. Leur habitat principal semble couvrir, concurremment avec les Qarluq, une partie de la rive nord du Chu et des montagnes séparant son bassin de celui de l’Ili. Le pays tuẖs nous est présenté comme riche en herbages, et nous en connaissons déjà le décor : des troupeaux de chevaux et de moutons, des animaux à fourrure, sans oublier, bien sûr, les hommes, les nomades aux tentes ou huttes habillées de feutre. Mais l’impression dominante est celle d’un peuple relativement peu nombreux37, parfois à l’étroit38, pourtant, et sans villes : seule émerge un peu, de la description, la bourgade de Suyāb.
A l’est, avec les Turcs des montagnes : les Kirghiz
19D’une tout autre dimension apparaît le peuple des Kirghiz (Qirġiz, Hirhīz)39. Même si certains de ses éléments poussent jusqu’en plein pays Tuġuzġuz ou qarluq, il reste très au delà, très au nord des régions étudiées. A l’ouest, la mouvance kirghize vient voisiner avec les Tuġuzġuz et, par une de ses tribus, sensiblement individualisée, celle des Kistīm, avec une partie des Qarluq, et de Kīmāk40. A l’est, une autre peuplade, celle des Fūrī (ou Qurī), qui semble elle aussi avoir creusé l’écart avec les autres Kirghiz41, s’étend jusqu’au lac Baïkal. Le cœur du pays, ce sont les monts de l’Altaï et surtout la haute vallée de l’Iénisséi, où est installée la résidence du roi (ẖāqān).
20Peuple qui touche au bout du monde, plus encore que les Tuġuzġuz, les Kirghiz nous sont donnés comme voisins de l’Océan et des terres inhabitées de ce grand Nord que le froid absolu interdit aux hommes. Dans leur pays de hautes montagnes, riches en minerais mais sans village ni ville à l’exception de la résidence royale, les Kirghiz accusent d’incontestables traits de sauvagerie : sans loi ni pitié, avec leurs visages rudes et leurs cheveux rares, ils nomadisent, commercent à la rigueur42, mais surtout chassent ou guerroient comme des bêtes fauves. Les Fūrī seraient même anthropophages, suspendraient leurs morts à des branches pour les y laisser se décomposer, et s’accoupleraient, comme les animaux, à quatre pattes43.
A l’ouest, avec les Turcs des plaines : Kīmāk et Qipcaq
21Avec les Kīmāk44, nous glissons vers les steppes de la Sibérie occidentale, vers les horizons des premiers grands fleuves russes sortis des reliefs apaisés de l’Oural (fig. 25). La haute montagne ne fera plus partie du paysage : un dernier regard sur elle, sur l’Altaï encore, dont les pentes à l’est, marquent la fin des campements kirghiz, et nous voici dans la vallée de l’Irtych, centre d’un immense territoire dont les contours s’estompent dans le flou.
22Les déplacements historiques ou saisonniers font en effet, de ces populations kīmāk, des nomades particulièrement remuants : « été comme hiver »45, ils bougent, passant d’un pâturage à l’autre, déplaçant, plus que leurs autres frères turcs encore, leurs troupeaux et leurs habitations abritées de feutre, au hasard des sources et des prairies où prédomine une sorte de luzerne46 : bref, ils « suivent l’herbe »47. Pas de ville, sauf pour le roi, mais des clans, une multitude de clans, et onze tribus principales48 gouvernées par voie héréditaire, leurs chefs relevant du souverain suprême, le ẖāqān.
23Tout donne ici l’image d’un peuple puissant et supérieurement rompu à la vie errante ; tout, et jusqu’à la nourriture : laitages en été, viande séchée l’hiver. Alors, comment s’étonner d’un pareil appétit d’espace ? Au nord, sans doute, les terres froides et sans vie opposent, aux Kīmāk comme aux Kirghiz, un obstacle infranchissable. Mais ailleurs ! Les voici au sud, razziant les villages de leurs voisins Tuġuzġuz ; au sud-ouest où, par la région d’Isfīgāb et de Fārāb, ils entrent en contact tout à la fois avec l’Islam, les Qarluq et les Ġuzz : contacts guerriers, on s’en doute49, mais parfois aussi pacifiques, les Ġuzz au moins semblant leur réserver chez eux certains pâturages d’hiver. A l’ouest enfin, sait-on seulement où les Kīmāk finissent50 ? Le fait qu’on ne les distingue pas toujours des Qipcaq, mais aussi les confusions fréquentes entre les trois systèmes hydrographiques Volga-Kama, Oural (Yayiq)-Emha et Irtych, contribuent à brouiller les contours de ce que, plus qu’ailleurs, il faut bien appeler mouvance ; mouvance territoriale, soit, mais tout aussi bien culturelle : kirghiz ou Ġuzz notamment, les voisins des Kīmāk partagent avec eux certains traits de mœurs ou attitudes vestimentaires.
24Plus que tout cela, il faut y revenir : l’espace. Longue est la route au pays Kīmāk. Quatre auteurs au moins soulignent l’immense distance de quatre-vingts jours — pour un cavalier, et à bonne allure encore ! — qui sépare la résidence royale des possessions musulmanes en rive droite du Sir-Darya51, le tout dans des solitudes où, sans provisions de route, l’audacieux est condamné à périr.
25L’impression d’immensité s’accroît si, comme on l’a indiqué un peu plus haut, on entend ce pays en son sens le plus vaste, avec son prolongement qipcaq. Car les Qipcaq (Hifšāh) ne sont qu’une branche de l’arbre Kīmāk, lequel pousserait ainsi sa ramure, toujours au long des terres inhabitées du grand Nord, jusqu’aux confins méridionaux de l’Oural. Pourtant, tout en soulignant cette parenté, nos textes relèvent la distinction : les Qipcaq ont pour eux leur nom, leur habitat propres, leur méchanceté accusée. Autant de raisons pour que, sans les séparer tout à fait des Kīmāk, on leur réserve une place à part dans le groupe : place qu’ils vont bientôt se tailler de toute façon, en courant l’histoire pour leur propre compte, sous les noms de Comans ou de Polovtses52.
A l’ouest, avec les Turcs des plaines : les Bašğirt
26Arrêtons-nous aux lisières du monde de la Volga : autre monde, autre chapitre de ce livre. Ces lisières sont tenues, à l’ouest des Qipcaq, par le peuple des Bašğirt (Bašğirt, Basgird), dénommé aussi Magyar (Maǧġariyya)53. La confusion joue sur deux plans : ethniquement, les Bašğirt, turcs en effet54, devraient se distinguer des Magyars, hongrois ; territorialement, les premiers peuplent le sud de l’Oural, dans la boucle du fleuve désigné sous ce même nom ou celui de Yayiq, sur le territoire actuel des Basqir55, tandis que les seconds se situent beaucoup plus loin vers le sud-ouest, dans les parages septentrionaux de la mer Noire.
27Les premiers seuls nous intéressent ici, et nous les isolerons des Magyars dans la mesure où nos sources nous le permettent. A vrai dire, la confusion qu’elles entretiennent parfois entre les deux peuples est peut-être le reflet de vieux souvenirs, quand les deux peuples, à défaut d’origine commune, partageaient au moins un même habitat, peut-être les pays de la moyenne Volga.
28Un fait au moins est certain : dans leur coude de l’Oural, les Bašğirt sont voisins des Bulgares (Bulgār) installés au confluent Volga-Kama ; mais leurs patrouilles poussent aussi jusqu’au delà de l’Emba, ce qui les fait toucher, vers le sud, à un autre peuple : celui des Cuzz. Il ne semble pas toutefois que nous soyons en présence de tribus nombreuses ni massives : croyons-en même s’ils exagèrent, Iṣṭaẖrī et Ibn Hawqal56, qui nous parlent de 2 000 hommes, du reste soumis à la suzeraineté bulgare, et vivant pauvrement : impénétrables comme leurs forêts, ils sont les plus cruels, les plus sales des Turcs, et mangent les poux.
A l’ouest, avec les Turcs des plaines : les Petchénègues
29On ne percevra jamais mieux, dans nos textes, la mobilité de l’histoire nomade qu’avec les Petchénègues (Baǧnäk, Bağānāk)57. La date essentielle nous est donnée par les sources byzantines : vers 889-893, les Petchénègues, installés entre Volga et Oural (Yayiq), doivent laisser la place aux Ġuzz. Ils glissent vers l’ouest, jusqu’au nord de la mer d’Azov, d’où ils délogent à leur tour les Magyars.
30Pourquoi, dès lors, parler ici des Petchénègues, quand leur place est au chapitre suivant, avec les autres peuples de la Volga et de la mer Noire ? En réalité, nous ne faisons que suivre nos auteurs. Les uns respectent purement et simplement l’histoire qui leur est présente, tel Ibn Fadlān : il rencontre les Petchénègues — disons plutôt : des Petchénègues — au sud du Yayiq et, ne passant qu’un jour auprès d’eux, note du moins quelques traits notables : ils sont bruns, se rasent la barbe et, surtout, vivent dans une pauvreté qui contraste avec l’opulence des 6uzz : les événement de 887-893 se lisent, on le voit, sur ces rescapés demeurés en place58.
31Mais il y a plus : d’autres auteurs59, eux, refusent tout net la diachronie : en plein xe siècle, ils nous décrivent comme vivant simultanément à l’est et à l’ouest de la Volga deux peuples petchénègues, et celui de l’est, qui seul nous intéresse pour l’instant, nous est présenté, de toute évidence, sous les traits de la puissance qui était la sienne au siècle précédent. Et considérable sans doute : car ces Turcs60, qu’on nous dit purement nomades, sans villes, obéissant à un roi émané de leur peuple, donc libres de toute vassalité, sans pitié aucune, ont dû s’étendre, en amont, jusqu’en rive droite de la moyenne Volga et, vers le sud, au delà de l’Emba. C’est la guerre, une guerre qu’ils soutenaient — ou, comme disent nos textes : qu’ils soutiennent — avec tous leurs voisins, qui les aura finalement chassés de leur premier domaine. Mais il faut croire que ce fracas des armes évoqué par Mas’ūdī aux approches de la mer d’Aral dut laisser bien des traces dans les souvenirs des peuples pour que, sur cette carte du ive/xe siècle où l’on ne pouvait lire, entre Volga et Yayiq, que le nom des Ġuzz et d’eux seuls, l’autre nom, celui des premiers occupants, n’ait pu s’effacer tout à fait.
A l’ouest, avec les Turcs des plaines : les Ġuzz ; demi-vérités d’une frontière
32Dernière tribu de l’ouest, mais la plus grande peut-être, en tout cas celle qui va bientôt, avec l’épopée salğūqide, prendre en mains — et chez lui — les destinées de l’Islam oriental : les Ġuzz (Oġuz)61. Nos textes les localisent assez bien : depuis la rive gauche de la Volga, où ils succèdent aux Petchénègues62, ils vont, par delà l’Oural (Yayiq), l’Emba63 et les steppes de l’Ust-Urt, jusqu’aux approches du Gurğān, à l’angle sud-est de la Caspienne. Ils encerclent le Buwārizm, ce poste avancé de la politique et de la culture musulmanes, et, vers l’est, s’étendent le long de l’Islam, selon une vaste courbe64 qui les mène en rive droite du Sir-Darya, au contact des Qarluq et des Kīmāk. Ils tournent ensuite vers le nord, en bordure de la mer d’Aral, où ils ont les Bašğirt pour voisins.
33Dans ce vaste domaine, la nomenclature insiste sur quelques points privilégiés. Aux rivages de la Caspienne, la presqu’île de Siyāh-Kuh, la « montagne noire », a subi l’occupation d’un clan Ġuzz pendant la première moitié du ive/xe siècle. Éminente position que ce doigt pointé vers le large : les Turcs s’y font pilleurs d’épaves65. Plus près de l’Islam, aux confins du Gurğān ou, mieux, du Dihistān qui en constitue la marche (tagr) septentrionale, un couvent fortifié (ribāt) marque le point extrême de l’avance Ġuzz : très précisément, dans l’angle formé par le cours inférieur de l’Atrek et la rive de la mer. Encore Ibn Hawqal ajoute-t-il ici, au texte d’Iṣṭabrī qui nous présentait le « ribāt de Dihistān » comme une vraie ville, cette phrase révélatrice : « elle a malheureusement bu le poison du désordre, qui l’a affaiblie » : dans cette décadence, les Ġuzz compteraient-ils pour rien66 ? Vers la Caspienne, en tout cas, on nous parle, en fait de Dihistān, d’une « langue de terre s’avançant en mer », avec une baie bien abritée et une grosse bourgade de pêcheurs : est-ce la même presqu’île — une île rattachée à la terre par un de ses « coins » — que les Ḥudūd al-’ālam évoquent dans un tout autre paysage, solitude à peine troublée par quelques pêcheurs (mais il n’est plus question de bourgade), par quelques chasseurs de pélicans ou de faucons ? Rendons-nous à l’évidence : la toponymie nous promène ici de l’embouchure de l’Atrek à l’actuelle baie de Krasnovodsk (ou de Balkhan), le long de rivages où le nom de Dihistān sonne comme celui d’une frontière mouvante, capricieuse sous l’obstination du Turc à l’affût67.
34Remontons vers le nord-est, au delà d’un autre ribāt, Farāv (Farāwa)68. Nous arriverons à une autre région privilégiée de notre nomenclature : le Huwārizm. Le désert, nous dit-on, l’isole entièrement du Hurāsān et de la Transoxiane musulmans, mais dans ce désert, les Ġuzz rôdent, qui lui donnent leur nom. On les voit jusque dans le cœur du pays, en ces deux villes rivales de Gurgāniyya (Gurganǧ) et de Kāt, qui, de part et d’autre de l’Amu-Darya, se disputent les titres d’emporium du pays Ġuzz, porte du Turkestan Ġuzz, rendez-vous des marchands Ġuzz. Pas de doute : tous ces pays de la mer d’Aral subissent très fortement la pression turque, qui se développe en tenaille de part et d’autre du grand lac69, à partir des positions tenues plus au nord, notamment sur le cours inférieur du Sir-Darya, à al-Qaryat al-hadīta (le nouveau Bourg, Dih-i naw), en aval de l’actuelle Kasalinsk. Nous parlions un peu plus haut de frontière mouvante, indécise. Que dire alors de celle-ci ? Les Ġuzz, parfois, accueillent chez eux, on l’a vu, certains groupes kīmāk70, et là même où réside, en hiver, le souverain Ġuzz, à al-Qaryat al-hadīta, vit à demeure une colonie musulmane vassale. Encore la paix semble-t-elle précaire, puisque Iṣṭaẖrī et Ibn Hawqal nous informent que le ravitaillement n’est reçu, par le fleuve, qu’autant que le permet la trêve entre Musulmans et Turcs71.
35Mais comment situer l’Islam ? Dans tous ces parages orientaux de la mer d’Aral vivent des Musulmans sujets du souverain Ġuzz72. Qui seraient-ils, sinon des Turcs ? A l’est, en tout cas, la situation est claire. Un coup d’œil sur la frontière : elle court, selon nos textes, depuis le Huwārizm et la mer d’Aral, vers les approches de Merv, Buhārā, Samarqand et Zāmīn, cette dernière sur la route du Fergāna ; elle tourne ensuite à angle droit vers le nord, puisque nous retrouvons les Ġuzz en lisière de deux régions (et villes)-frontières de l’Islam : Isfīğāb, où ce voisinage les voit associés aux Qarluq73, et Fārāb (Bārāb, Pārāb), où ils tiennent compagnie, cette fois, aux Kīmāk74.
36Donc, tout est clair, et la frontière nette. Et pourtant... Voici deux petites villes de la région de Fārāb : Sutkand et Ṣabrān (Ṣawrān). Là se réunissent, pour passer les traités de trêve ou les transactions du commerce, des Ġuzz et des Qarluq, dont certains sont convertis : au total, un millier de ces fameuses huttes feutrées, qui traduisent bien, face à l’Islam politique, la pression turque, mais témoignent aussi que ce même Islam a su gagner, comme apostolat, ces mêmes tribus qui lorgnent ses limites territoriales75. Alors, où est la vraie frontière ?
Les Ġuzz, seuls vrais Turcs des plaines, peut-être
37A regarder cette frontière, même mouvante, de la Caspienne au Sir-Darya, un fait saute aux yeux : l’avance Ġuzz vient hésiter au pied de la montagne ou devant les oasis de son piémont : Merv, Buhārā, Samarqand. Comme jadis celle des Arabes, elle semble vouée à la steppe et s’apaiser devant les grands obstacles du relief76. En réalité, avec ses hommes et ses bêtes mieux adaptés aux climats rudes que ceux de sa devancière, elle attend son heure77.
38Pour l’instant, c’est un fait, elle colle à la steppe, et à la steppe sèche. Cette uniformité de l’habitat Ġuzz assure son originalité par rapport à toutes les tribus dites de plaine que nous avons vues jusqu’ici et qui, toutes, diversifiaient un peu ce caractère soit par l’appartenance à la forêt, comme les Bašğirt, soit par un reste de participation aux reliefs montagneux, même adoucis : dernières pentes de l’Altaï occidental pour les Kīmāk, Oural méridional, d’est en ouest, pour les Qipcaq, les Bašğirt encore et les Petchénègues.
39De la steppe Ġuzz, plate et « sans montagne », tantôt aride et pauvre en puits, tantôt plus avenante, dans le Siyāh-Kūh et en Transoxiane surtout, où le bétail abonde, c’est le froid, d’abord, que nos auteurs retiennent, le froid avec son cortège de neige, le froid jusqu’en été, quand, sur les bords de la mer d’Aral, les fourrés de roseaux abritent encore des paquets de glace. Et si l’on parle hiver, les grands fleuves eux-mêmes, Amu-Darya et Sir-Darya, n’y résistent pas : mulets et chameaux passent sans encombre, à pleine charge, sur ces pont gelés ininterrompus78.
40C’est que rien n’arrête, il faut le dire, le nomadisme impénitent des 6uzz. « Hiver comme été », ils vont. Les fleuves une fois libérés, ils les franchissent en y lançant d’abord leurs bêtes, les hommes suivant dans des canots en peau de chameau, sortes de baquets démesurés où peuvent tenir de quatre à six personnes, avec leur matériel, et qu’on dirige à l’aide de rames de bouleau79. Ce nomadisme n’est, on s’en doute, que la forme anodine de la razzia, voire de la guerre déclarée. Impatients avec leurs voisins, prompts au coup de main suivi d’une retraite, tels apparaissent les Ġuzz. L’Islam en sait quelque chose, lui qui, de trêves en attaques-surprises, se heurte à leur hostilité têtue : ils susciteront notamment des incidents multiples à l’ambassade d’Ibn Fadlān qui traverse leur territoire pour se rendre chez les Bulgares80.
41Et cependant, le nomadisme n’épuise pas toute l’activité des Ġuzz. Sans parler des bénéfices qu’ils tirent de la protection des caravanes qui vont et viennent entre les pays de la Volga et le Huwārizm, ou entre le Huwārizm et le Gurğān, ils commercent, on l’a dit, par une série de petites villes aux lisières de l’Islam81, où ils viennent exporter, vers la Transoxiane et le Hurāsān, les esclaves, les moutons (les meilleurs et les plus fins, paraît-il), les fourrures et les arcs82. Ainsi se dessine le contact du Ġuzz et du sédentaire. Davantage même : car enfin, le Ġuzz est-il toujours nomade ? En fait, turcs ou résidus d’anciennes populations soumises, certains groupes semblent connaître un habitat fixe. Le trait, dira-t-on, est contesté par la plupart de nos textes, lesquels insistent sur la spécificité nomade et l’absence d’agglomérations en dehors de celles que constituent les campements83. Mais Mas’ūdī, lui, nous donne les Ġuzz pour citadins autant que nomades, et Abu Dulaf Mis’ar parle d’une ville bâtie de pierre, de bois et de roseaux84. Aucun doute : ces bourgades qu’on a évoquées plus haut85, sur le cours inférieur du Sir-Darya, sont bien des « établissements urbains », et non d’éphémères installations liées au hasard des pâtures : l’archéologie, aujourd’hui, en fait foi86.
42Ces Ġuzz ou, comme on dit déjà, ces Turkmènes87, se distinguent de leurs frères turcs — mais ne le dit-on pas finalement à propos de tous ? — par leur vaillance. Autres traits distinctifs, plus sérieux sans doute : leurs yeux sont petits, et leur taille courte 3. Ils gardent la moustache, mais s’épilent le reste du visage, et peut-être est-ce mieux ainsi, car, nous dit-on, l’un d’eux, qui s’était laissé quelque barbe au menton, avait, sous son gros manteau de poil, tout bonnement l’air d’un bouc88. Affreusement sales, ils gardent sur eux, sans jamais les quitter, leurs vêtements de lin ou de fourrure (mais pas de laine), peu à peu transformés en guenilles. Malveillants, querelleurs, redoutables, ils se répartissent en trois hordes : Hauts, Bas et Moyens. Nombreux et bien organisés, ils constituent, autour de leurs chefs, un immense réservoir de combativité en attente, et les escarmouches qu’ils mènent contre l’Islam, pourtant réputé, en ces confins, aussi brave qu’eux, ne sont que la répétition générale d’une autre scène qui se jouera lorsque l’un d’eux, le Salğūqide Tugrilbeg, entrera à Nīsābūr en 429/1038, coiffé du turban iranien, mais par ailleurs si « nomade » par sa tenue : pantalons, chaussures de feutre et, bien visibles au long du bras, l’arc et les flèches, symboles du nouveau pouvoir89.
D’autres Turcs, en ordre dispersé
43D’autres noms apparaissent dans nos textes, mais épisodiques, ou mal localisés, ou encore tout à fait incertains. Celui de Gfr a été attribué plus haut aux Šigil ou, mieux, aux Magyars90. Baǧnä (peut-être aussi Nagā, Bagā) désigne simplement une tribu Ġuzz : les Câpni91. Buġrāǧ réfère, en fait, à Bugrā-hān, titre des Qaraljānides92. Les Htlh d’Abū Dulaf Mis’ar peuvent se lire aussi : Hutlug, ce qui renverrait à une ville khazare, tête de pont en territoire Ġuzz, sur la rive orientale de la Volga93.
44Les Barshāniyya de Mas’ūdī94 sont évidemment les Turcs de la région du haut Barsljān, au sud du lac de l’Issi-kul : Šigil ? Qarluq ? Baddiyya95, Nūkarda96 et Adkui (Adkis, Arkus)97 sont résolument énigmatiques.
45Turcs du dehors, mais aussi, déjà, Turcs du dedans : l’histoire nous l’enseigne. Et nos textes ? S’ils font leur place à ces populations particulières vivant en deçà des frontières de l’Islam, ils ne prennent pas toujours la peine de les habiller du nom de turques, ou en habillent d’autres qui ne le sont pas98. Souvenons-nous, d’abord, du Ṭuẖāristān, où ont pénétré les Qarluq99. Plus à l’est, au Pamir, cette frange des franges de l’Islam, les noms de deux pays, le Šiġnān (Šuġnān) et le Waẖān (Waẖẖān), nous sont parfois donnés comme ceux de peuplades turques100. Entre Pamir et Ṭuẖāristān, vers le nord, les régions du Cagāniyān (Ṣaġāniyān) et du Huttal abritent d’autres Turcs, les Kngīna, auxquels sont associés les Kmīgī, tous, en réalité, survivants de vieilles populations, Huns Hephtalites, peut-être, et Saka101. Les Ayġān (ou Abġān) de Mas’ūdī sont sans doute les Afghans (Afġān)102. Restent enfin les Halaǧ : graphie indécise que celle-ci103, et qui prête à confusion, notamment, avec les Hallub (Qarluq). Les vrais Halaǧ, en tout cas, sont installés loin à l’intérieur des terres de l’Islam ; turcs ou hephtalites, et ancêtres probables de la tribu des Galzay, ils occupent une vaste région, le Gūr, au cœur de l’actuel pays d’Afghanistan104.
46Encore ne sommes-nous pas tout à fait au bout : quand on saura que les Tibétains sont parfois considérés eux aussi comme des Turcs105, on aura une idée de l’ampleur et de la diversité de ce monde de l’Asie centrale que le Turc, comme on voudra, résume, symbolise ou domine. Mais pour l’Islam, on prendra de nouveau conscience d’un fait majeur : ces tribus de l’intérieur qu’il ne digère qu’à demi106 illustrent, tout comme celles qui se situent au dehors du monde musulman, l’étonnante plasticité de la frontière. Face au Turc qu’il combat, asservit ou convertit, où commence, où finit l’Islam ? Et quelles sont ses vraies limites ? Celles de la foi musulmane ou celle du monde musulman qui traduit, sur la carte, la religion enfin installée, politiquement et territorialement ?
Le pays turc
47S’il fallait résumer le Turc tel que le voit l’Islam des iiie/ixe-ive/xe siècles, nul doute qu’on s’adresserait à Ya’qūbī107 : « Qui dit Turcs dit quantité de races et de territoires : Qarluq, Tuġuzġuz, Turkas, Kīmāk, Ġuzz. A chaque race son territoire à part, l’une combattant l’autre. Pas d’installations fixes108 ni fortifiées : ils logent sous des yourtes109 turques, à côtes, assujetties de brides110 en cuir de bœuf ou autre111, et couvertes de feutre. Ils excellent à fabriquer celui-ci, puisqu’aussi bien ils s’en vêtent. Au Turkistan, pas de cultures : rien que du millet112. Ils se nourrissent du lait des juments, dont ils mangent aussi la viande, encore que leur alimentation carnée vienne principalement du gibier. Le fer étant rare, ils fabriquent leurs flèches avec des os. Ils enserrent le pays du Hurāsān et y portent, de toutes parts, la guerre et les incursions. »
48Ce texte ne fait pas autre chose que rassembler quelques-uns des traits essentiels du pays turc, tels qu’on les a esquissés, chemin faisant, au hasard des tribus. Ceux-là, et d’autres qu’on évoquera maintenant, composent une fresque dont il faudra dégager l’architecture113. Et tout d’abord, à côté de la steppe ou de la prairie envahissantes, avec leurs herbes sauvages ou cultivées114, la grande forêt sibérienne ne se dessine que fort peu : à peine nous parle-t-on de grands arbres115, en général, et, quand on veut être plus précis, de bois, de bois utile : tamaris (ou saxaoul), bouleau, érable peut-être116. Comme en Afrique on le voit, la forêt recule à l’horizon des textes : voyageur ou écrivain, on s’arrête à ses lisières. Rien qui indique qu’elle soit perçue en tant qu’espace original, forme naturelle d’un paysage. Ustensiles, outils, combustible, elle n’arrive à nous, dépecée et vestigiale, que par la voie intéressée de la culture, qui pour elle signifie mort.
49Et les bêtes ? Les clivages, ici, seraient beaucoup plus subtils, et se recouperaient parfois les uns les autres : il y aurait au moins l’étrange et le connu, le sauvage et le domestique, l’utile et l’inutile, le commun et le rare, le consommé et l’exporté, et même le vivant et le fossile117. Inutile et sauvage, par exemple, le serpent, sans plus de précisions118. Utile et domestique, en revanche, tout le cortège des troupeaux : chevaux, bovins, chèvres, ânes, moutons, chameaux119. Mais ici, plusieurs traits spécifiques sont à relever : d’abord, un animal domestique sans doute, ou du moins domestiqué à l’occasion, mais étranger au monde musulman : le yak (ġizgāv)120. Ensuite, le chameau, le chameau de Bactriane ou, comme disent nos textes, turc : dénomination suffisante pour évoquer le chameau à deux bosses, qui, pour être connu en Islam, s’éloigne tout de même du modèle commun, le dromadaire121.
50Autre spécificité de ce bestiaire domestique : l’exportation des ovins, pour leur chair, extrêmement fine, ou pour leur peau, d’un noir, d’un rouge ou d’un blanc soutenu122. La culture, il est vrai, a bien son mot à dire là-dedans : car la coutume turque est d’égorger tous les agneaux de lait à partir de la troisième mise bas. Mais la véritable, la grande raison, est naturelle : elle tient à la santé des espèces fouettée par la vigueur du climat. Si les moutons, par exemple, ont d’immenses queues traînant à terre, et si les brebis ou les chèvres sont aussi prolifiques que les chiennes, c’est parce que tous, nuit et jour, paissent une herbe excellente123. L’herbe ou la neige ? En réalité, nous dit Ibn Fadlān124, chez les Petchénègues, les moutons ne sont jamais aussi maigres que l’été, où l’herbe est à nu, ni aussi dodus que l’hiver, quand ils doivent, pour la trouver, gratter de leurs pattes la neige, et même se contenter de celle-ci, qui a la vertu de les engraisser.
51Exportés en quantités massives vers l’Islam, voici les animaux à fourrure : renard noir, renard rouge, renard corsac, hermine, martre, petit-gris, zibeline et castor125. Ils voisinent avec les faucons blancs126 et la corne de hutuww, c’est-à-dire du rhinocéros nordique ou du mammouth, dont les gisements fossiles alimentent peut-être le mythe de la licorne127. Enfin, pour clore cette revue du bestiaire, deux autres espèces utiles et sauvages : le poisson des rivières, nourriture principale des Bašğirt128, et les cervidés, traqués pour leurs bois129.
52Tout ce monde, grand ou petit, se meut dans un paysage contrasté, où pourtant, chaque fois, l’un des deux termes est plus particulièrement mis en évidence. De la montagne et de la plaine, par exemple, c’est la première qui soulève la curiosité de Qudāma, avec ses escarpements enneigés où marcher tout un jour s’avère impossible130 ; au contraire, Ishāq b. al-Husayn préfère évoquer de grands pays plats où courent les chevaux sauvages131, et Ibn Fadlān les solitudes d’où la montagne est absente autant que l’homme132. Mêmes oppositions dans le climat, dont les rigueurs forcent les hommes à se cacher dans des tanières : pour se préserver de la chaleur, dit Maqdisī133, du froid selon Ishāq134.
53Qui des deux a raison ? A lire nos auteurs, aucun doute : c’est Ishāq. Tout comme la chaleur et la proximité du soleil sont la marque de l’Afrique, sa discrétion lointaine et le froid qui l’accompagne envahissent les horizons de l’Asie centrale et, avec eux, ceux de nos textes : l’aridité des steppes chauffées à blanc, qui ne soulève pas, et pour cause, l’étonnement des gens de l’Islam, ne pèse pas lourd135 devant l’ahurissante insolence d’un hiver qu’on dirait éternel. « Au delà du soixante-sixième degré nord, écrit Hamdānī136, la distance se creuse avec la course du soleil, le froid se fait excessif, et l’on n’en finit jamais avec la neige, la glace, le gel, le verglas, le givre, la froidure, la bise et les frimas, toutes choses qui compromettent la croissance des plantes et des êtres vivants137. » Les Hudûd, plus laconiques, notent : « il neige ou pleut sans arrêt »138. Quant à Ibn Fadlān, qui s’est frotté et piqué à ces désagréments, il en donne, à lui tout seul, un véritable florilège : fleuves pris sur une épaisseur de dix-sept empans, feu conçu comme la plus haute forme de l’accueil, hommes et bêtes statufiés, rues désertées, barbes gelées au sortir du bain, joue que la nuit glaciale colle à l’oreiller, citernes éclatées malgré les pelisses dont on les recouvre, terre crevassée en de véritables ravines, arbres fendus, chameaux enfonçant jusqu’à mi-patte dans la neige, lourdeur des vêtements où l’on s’engonce sans pouvoir faire ensuite le moindre geste, bref un froid « d’enfer »139. Mais quoi ! Il faut bien s’en accommoder et même, quand on est turc, en rire140.
L’homme turc
54Ces tribus diverses, ces paysages contrastés portent cependant un nom unique : Turcs pour les hommes, Turkestan (ou Touran) pour la terre141. Hommes du nord, les Turcs relèvent de l’ancienne Scythie (Usqātiyā) de la tradition grecque, soit, pour l’essentiel, du septième climat : ils en débordent cependant, à la fois au sud, vers le sixième, et au nord, vers les terrae incognitae de la cartographie142.
55Le Cancer est leur signe, et leur planète, Mars143. Plus que toute autre influence, pourtant, celle d’un soleil par trop discret, par trop lointain, les marque, eux et leur pays. Le froid insatiable blanchit les pelages des animaux, limite leur croissance, raccourcissant par exemple les pattes des chameaux, interdisant même toute vie à certaines espèces : insectes ou vermine144. Quant aux hommes, l’humidité et l’absence d’un ensoleillement digne de ce nom épaississent les peaux, lissent les chevelures, rapetissent les yeux, tassent les cous, mais soufflent les chairs — surtout au visage et aux articulations, lesquelles finissent par se dessiner en creux — et poussent le sang à certains endroits du corps, où il vient couperoser la blancheur du teint. Pire encore : le froid réduit la prolificité de l’espèce145. Mais écoutons Mas’ūdī146, qui résume à grands traits ce tableau peu engageant : « Le caractère d’uniformité que l’on rencontre dans l’aspect extérieur de la race turque s’explique par la régularité d’un climat constamment froid ; de là le type égal et uniforme de cette race147... Sous l’empire de ce climat glacial, où l’humidité du corps ne peut s’évaporer, faute de chaleur, les Turcs deviennent gras et mous ; leur caractère offre beaucoup d’analogie avec celui des femmes. A cause de leur tempérament froid et des principes humides qui y dominent, ils manifestent peu de désirs sexuels et n’ont par conséquent qu’un petit nombre d’enfants148... Chez les femmes, l’embonpoint et l’humidité diminuent la force d’attraction de la semence par les organes de la génération. C’est le froid qui donne à cette race un teint rougeâtre149... car l’effet d’un froid persistant est de colorer en rouge ce qui est blanc ; il suffit, pour s’en convaincre, de voir comment un froid rigoureux rougit le bout des doigts, les lèvres et le nez. »
56Avantage de cette complexion : qui dit mou dit souple. Le Turc ignore l’ennui des articulations roides, des échines figées. Tel le Parthe de l’antiquité, il peut se retourner à cent quatre-vingts degrés pour décocher une flèche meurtrière150. Le vieux thème du tireur émérite, « dans le mille »151, se renforce donc à des considérations « savantes », mais tout aussi bien à l’observation directe (‘iyān) : Ibn Fadlān voit tel cavalier, « comme une oie volait par là, pousser son cheval, bander l’arc, tirer et abattre l’oiseau »152.
57Autre influence du climat, que l’on a déjà pressentie : l’aptitude à la guerre est, d’abord, amour de la guerre. Le Turc, comme son pays, est sauvage, le Turc est belliqueux : pas une page des Hudûd al-’ ālam qui ne note scrupuleusement ces traits153, synonymes de courage et d’endurance : bref — et jusqu’à l’impiété — tout le contraire du confort, matériel ou moral154. La tradition vient consacrer ces vertus ambiguës : le roi des Turcs est celui des bêtes féroces, ou des bêtes tout court, ou encore, quant on veut bien corriger, des chevaux : le tout, dit Mas’ūdī, « parce qu’aucun prince de la terre n’a sous ses ordres des guerriers plus valeureux ni plus disposés à répandre le sang, et qu’aucun d’eux ne possède un plus grand nombre de chevaux »155.
58Tel qu’il est, ce roi vient au quatrième rang parmi les souverains du monde, après ceux de Babylone, de l’Inde et de la Chine, mais avant celui de Byzance. En tout cas, comme un grand roi qu’il est, il porte un titre : ẖāqān, Uyġurhā156. Ses sujets sont présents au partage du monde en sept peuples, aux côtés des Arabes, des Byzantins, des Abyssins, des Indiens, des Chinois et de Gog-Magog157. Pour les superficies, le domaine turc, avec 850 000 parasanges carrées158, se situe dans les Etats moyens. Plus précisément encore : si nos analyses sont exactes159, le rapport de cette surface à une population qu’on ne nous définit, au total, ni comme clairsemée, ni comme surabondante160, est la confirmation majeure de ce statut intermédiaire du Turc sur la carte du monde.
59Même situation pour la généalogie : les Turcs descendent de Japhet, qui vaut moins que Sem, l’ancêtre des Arabes, mais mieux que Cham, celui des Noirs161. Il n’est pas jusqu’au barrage de Gog et Magog qui ne constitue, lui aussi, un signe ambigu. Sans doute le nom même de Turcs (Turk), où la lexicologie arabe veut lire la racine trk (abandonner), donne-t-il à entendre que ce peuple a été laissé en deçà de la muraille où Alexandre enferma Gog et Magog, du maléfice desquels il voulait protéger le reste de l’humanité, ou plutôt l’humanité véritable. Les Turcs, donc, furent laissés en dehors de l’entreprise : laissés, ou laissés pour compte, négligés, oubliés ? Mais, à l’inverse, les couper de Gog et Magog auxquels une ethnologie traditionnelle les apparente en effet, n’était-ce pas, justement, leur conférer un statut d’homme, d’hommes normaux162 ?
60Les qualités et les défauts, enfin : non plus constatés dans la réalité des choses, mais distribués lors du partage du monde, octroyés de décret royal ou divin. Là encore, les Turcs ont reçu le pour et le contre. Pour : la furūsiyya, autrement dit les techniques du cavalier ; contre : la déloyauté163. Au total, une position obstinément moyenne, que la tradition persane, avec Ibn al-Faqīh, transcrit en forme d’équation : 1 Iranien = 2 Daylemites = 5 Turcs = 10 Byzantins = 15 Arabes = 30 Indiens164.
La vie quotidienne
61Le moment n’est pas encore venu de rassembler nos données dans l’image-type du Turc tel que le voit l’Islam. Il manque notamment, au tableau de la société turque évoquée tribu par tribu, quelques touches essentielles.
62Parfois commerçant, agriculteur même, mais surtout nomade et pasteur : tel on a décrit le Turc, et tel l’évoque, par la litote, Ibn Hurdādbeh : à elle toute, l’Asie centrale compte seize villes165. Mais qui dit nomade ne dit pas forcément étrange ou inquiétant, surtout pour des gens culturellement rompus à la tradition arabe du désert166. On peut bien penser, pourtant, que la fréquence, la régularité des notations, sont des indices d’intérêt. Et de fait, tout, ici, le suscite : la forme ronde des tentes, le feutre envahissant167 et, plus encore que l’ampleur de déplacements touchant des peuples entiers, leur permanence dans le temps, un peu comme si le nomadisme, ailleurs lié à la monotonie des climats arides, voyait, chez les Turcs, s’exaspérer ses nécessités et ses misères avec le brutal contraste des saisons168.
63Les Turcs mettent du feutre partout : sur leurs habitations, mais aussi sur eux : concurremment avec le lin et surtout les fourrures, il constitue l’ossature du système vestimentaire169. La pelisse (pustīn), volontiers longue, se double de cuir, s’enfouit, par grand froid, dans des couvertures fourrées. Au pire, dit Ibn Fadlān, l’homme, sur son chameau juché, reste immobile sous tant de couches superposées : un pantalon simple, un pantalon fourré, un gilet (qurtaq), un caftan (hiftān), une pelisse (pustīn), une tunique de feutre (lubbāda), un passe-montagne (littéralement : un bonnet, burnus) ne laissant voir que les yeux, et enfin, aux pieds, des chaussons (rān) dans des bottes de chagrin (huff kīmuht), le tout enfoui dans une seconde paire de bottes170.
64Derrière tant d’apprêts, rien ne serait plus faux que d’imaginer le luxe. Car ces défenses si nécessaires tombent parfois en lambeaux, même chez les Ġuzz qui, pourtant, passent pour riches, disons : pour moins pauvres171. La nourriture s’inscrit dans cette même loi de modestie : un peu de millet, du gibier, surtout du lait de jument, du poisson aussi ; la viande, séchée, constitue les réserves de l’hiver172. Peu de soins de toilette : on n’entretient pas la barbe, on la rase, et la moustache avec, à l’occasion, ce qui donne au Turc un air d’eunuque ou, on l’a dit, de bouc pour peu qu’il néglige quelques poils au menton173. La lumière elle-même, dans la hutte ou la tente, semble précaire : les flambeaux s’éteignent faute de combustible ou par négligence, et c’est la lueur d’une pierre phosphorescente qui prend le relais174.
65Heureusement, il y a la guerre, qui compense d’un coup toute cette existence quotidienne au ras d’une terre trop souvent parcimonieuse. Grande affaire de la vie, presque de la vie quotidienne, justement, la guerre est toujours là, à portée de flèche175. A volonté, le Turc nous y est peint comme chevaleresque, laissant la vie sauve aux prisonniers et aux blessés, ou d’une sauvagerie sans nom, collectionnant les têtes, salant et mangeant les cadavres ennemis176.
La coutume familiale
66A travers la famille, cellule essentielle de la tribu, se perçoit fort bien le caractère symétriquement précaire et solide du groupe. Précaire sur le terrain physique : les luttes incessantes de tribu à tribu ne sont pas seules à compromettre l’équilibre biologique collectif ; les maladies, aussi, s’en mêlent. Que faire alors, sinon préserver la santé de tous par l’éloignement de l’individu touché ? Noble, il habitera une tente isolé où, servi par ses seuls esclaves, il attendra le trépas ou la guérison ; pauvre, on l’abandonnera à lui-même, en pleine nature177.
67Si la maladie rompt le pacte de la solidarité, la mort, sous quelque visage qu’elle advienne, le renoue. Brûlé là, inhumé ailleurs, le défunt entraîne avec lui ses serviteurs, enterrés vivants, et ses montures, sacrifiées sur le tumulus178. Ici, un beau texte, plus vivant, plus précis que tout autre : celui qu’Ibn Fadlān écrivit sous la dictée de ses informateurs turcs, ou peut-être en spectateur de quelques-uns au moins de ces rites179. Au creux d’une grande fosse simulant sa demeure, le mort est assis, habillé, ceinture bouclée et arc en bandoulière, une coupe de lait fermenté en main180. A ses pieds, tout son mobilier, dont un récipient de bois, plein du même lait. Ces rites achevés, un plafond est construit sur la fosse et une sorte de coupole, en argile, vient couronner le tout.
68Suit l’immolation des chevaux : cent, deux cents peut-être, jusqu’à extinction du troupeau entier. La tribu en mange la chair, sauf têtes, pieds, queues et peaux, tous suspendus en haut de perches tandis qu’une rumeur s’élève en l’honneur du défunt : « Ce sont là ses chevaux, qu’il montera pour aller en paradis. » Si le disparu fut brave et causa mort d’homme, on sculpte autant de statuettes de bois qu’il fit de victimes, et on les place sur sa tombe : « Ce sont là ses esclaves, qui le serviront en paradis. »
69Parfois, le rite se raffine d’un certain retard : un jour ou deux, et l’âme du mort s’impatiente, qui attend ses chevaux dans l’au-delà. Un sage, un vieillard, sermonne alors la tribu : « J’ai vu notre mort en songe, et que m’a-t-il dit ? Que ses compagnons l’ont devancé, que sous ses pieds lassés de tant les suivre, des plaies ont éclaté, et qu’il est finalement resté en arrière, seul. » La tribu répare son retard, immole les chevaux, expose leurs dépouilles. Un jour ou deux encore et, par la voix du sage, le mort revient dire : « Que ma famille et mes amis sachent que j’ai rejoint ceux qui m’avaient distancé, et réparé toute ma fatigue. »
70Mais les guerriers sont-ils seuls à survivre matériellement, dans un Walhalla tout bruissant de leurs courses ? En fait, à travers eux, eux les plus dignes de la représenter, c’est la tribu entière qui mire ici son propre rêve d’éternité. Encore la défense contre la mort n’est-elle que la forme la plus élaborée, mais non la seule, de toute une coutume familiale qui, jusque dans ses manifestations les plus modestes, tend à assurer la permanence du groupe.
71Fondement de l’institution : le mariage. Il suppose un don en nature fait au père ou tuteur de la fiancée : chameaux, chevaux, vêtements surtout. Moyennant quoi, le prétendant est admis à « emporter » sa femme chez lui : simulacre de rapt qui semble, en réalité, ne pas intervenir tout de suite, et ne consacrer qu’un état de fait : car, dès la présentation de ses cadeaux, le fiancé entre non seulement dans l’habitation familiale de sa promise, mais même, tout naturellement, dans l’intimité de celle-ci, sous les yeux de ses parents181.
72Cette liberté des mœurs, qui choquait, on s’en doute, un observateur musulman, n’est qu’un exemple parmi d’autres des manières désinvoltes de la femme turque. Elle ne se voile pas ! Et encore, s’il ne s’agissait que du visage ! Ibn Fadlān, horrifié, déclare qu’ « elle ne cache à personne aucune partie de son corps » ; et de raconter qu’un jour, reçu chez un Turc, il vit l’épouse de celui-ci, au beau milieu de la conversation, relever ses jupes et se gratter le sexe. Effroi du Musulman. C’est à lui de se voiler la face, en soupirant : « Dieu nous pardonne ! » Le Turc, lui, se met à rire, mais le rire est celui du sage : « Explique, dit-il à l’interprète, que si ma femme découvre son sexe à la vue de tous, elle le garde hors d’atteinte et en interdit l’accès. Cela vaut mieux que de le cacher tout en le laissant prendre182. »
73L’essentiel, c’est que le mariage tienne. Et il tient. Strictement monogamique, il ne s’assortit, contrairement à la coutume musulmane, d’aucune possibilité de répudiation (ṭalāq) de l’épouse. L’adultère, presque inconnu, est sévèrement puni, par le feu ou le supplice de l’écartèlement, d’un symbolisme sauvage : chaque coupable est attaché aux branches de deux arbres voisins, rapprochés à force pour la circonstance. Il n’est besoin que de les libérer pour que, en revenant d’un coup à leur position initiale, elles « ouvrent le corps en deux »183.
74Défendre le mariage, tout est là : contre la perturbation sociale née de l’adultère, mais aussi contre l’égarement homosexuel de l’instinct biologique, sévèrement puni184, et, enfin, contre le dépérissement même du groupe familial par la mort : une sorte de « lévirat » prévoit que la veuve épouse obligatoirement le fils aîné du défunt si ce fils est issu d’un premier lit185. Seul péril, peut-être, que la coutume turque n’ait pas réussi à écarter : la disparition du groupe dans la misère, à cause de l’amour immodéré du jeu186.
Société et religion : entre l’unité et l’éparpillement
75Peut-on parler d’une société turque ? Et d’abord, parle-t-on turc ? Aucun doute à ce sujet : linguistiquement, le clivage s’institue entre le groupe turc d’Asie centrale, d’un côté, et, de l’autre, le groupe sino-tibétain, à l’est, le groupe khazar, à l’ouest ; à l’intérieur du système turc, au contraire, les différences de tribu à tribu n’empêchent pas la parenté, et même l’unité, linguistique187.
76D’autres similitudes apparaissent, tenant cette fois à l’organisation du corps social : la poste, avec ses relais188, mais surtout le contraste qui se fait jour entre une autorité centrale, incarnée par le souverain, et la liberté des groupes. Par delà ces grandes tribus que l’on nous a dépeintes comme volontiers hostiles les unes aux autres, l’ensemble de la famille turque nous est quelquefois donné comme relevant — ou ayant jadis relevé —, de fait ou de droit, d’un souverain commun, « le ẖāqān des Turcs », d’origine qarluq ou Tuġuzġuz, si couvert d’or et de soie qu’il ne saurait, dit la légende, se montrer à ses sujets, sous peine de leur faire perdre la vue189.
77Mais c’est surtout à l’intérieur de la tribu elle-même qu’apparaît le contraste signalé. D’un côté, au mieux, un système de vice-royautés ou de lieutenances, avec titulatures appropriées et, parfois, fiefs héréditaires ; au pire, un pouvoir extraordinairement dispersé, de clan à clan, ou une pratique de consultation généralisée, qui laisse droit de veto au plus vil ou au plus misérable190. De l’autre côté, un chef unique : uyġurhān, yabġū, plus souvent ẖāqān191.
78Le monde des dieux reproduit, comme on peut s’y attendre, celui des hommes. Un principe essentiel s’y dessine parfois, sous des influences étrangères : ainsi le feu192, le dualisme universel de Manès193, le christianisme (nestorien)194, le bouddhisme195, le judaïsme196 ou même l’Islam, bien marginal, il est vrai, et de pure façade197. Plus intéressante est l’apparition, même timide, de la divinité suprême du ciel turco-mongol : Tengri198. Quoi qu’il en soit, au-dessous ou même en dehors de toute autorité souveraine, voici le monde de l’idolâtrie, de la superstition et de la magie. On le cherchera, d’abord, dans ces médecins-sorciers qui semblent détenir, chez les Ġuzz, un pouvoir quasi absolu199 ; mais aussi, dans une pierre fameuse, qui donne la pluie200 ; ou encore, dans la divination par le feu, privilège royal : à l’invocation du souverain, la flamme répond par sa couleur : le vert est signe d’abondance, le blanc de famine, le rouge de sang, le jaune d’épidémie, le noir de mort ou de lointain voyage : il est vrai que, dans ce dernier cas, la décision du roi prévient la liberté du destin, car il préfère s’équiper et prendre la route201.
79L’équation turc = païen, qui revient à l’envi sous la plume de nos auteurs, s’accompagne de quelques précisions : on adore le soleil, les étoiles, l’arc-en-ciel et l’occident, les serpents, les poissons, les grues202 et, de façon générale, tout ce qui procure plaisir ou richesse : en bref, l’idolâtrie fait du Turc un « âne égaré », sans raison ni religion203. D’où l’aberrante pratique de la prosternation profane204, l’emploi du mot de Seigneur pour les hommes, au mépris du Dieu oublié205, l’horreur de l’eau, liée à la méconnaissance de toute pureté rituelle206, ou le culte voué à de petits talismans de bois en forme de phallus, selon le principe que, « né de cette chose, on ne saurait se reconnaître d’autre Créateur »207.
80Religion ou religiosité ? Pur animisme ou recherche d’un divin encore inaccessible, que seul l’Islam est en mesure de donner ? Écoutons Ibn Fadlān, à propos des Bašğirt208 : « Il en est qui prétendent avoir douze
81Seigneurs : pour l’hiver, l’été, la pluie, le vent, les arbres, les hommes, les montures, l’eau, la nuit, le jour, la mort et la terre. Plus grand qu’eux tous, le Seigneur qui est au ciel leur est toutefois uni, accordé ; et chacun d’eux à son tour se trouve satisfait de l’action de son associé. » Et le Musulman de conclure en se récriant : « Dieu, le Très-Haut, dépasse de très haut tout ce que disent les égarés ! »
Le Turc face au monde
82Sans doute le Musulman a-t-il raison, mais l’orgueil du croyant l’empêche d’aller au delà de la notation même, si exacte soit-elle. Or, celle-ci, comme en fait foi le terme d’associé (šarīk), organise le monde par paires (exemple : hiver-été), qui, par ailleurs, ne sauraient être conçues dans l’absolu de la création, mais bien, au contraire, dans leur relation avec l’individu, et dans cette relation seule209. Le rapport du croyant aux forces naturelles relève donc de formulations binaires, soit, par exemple, pour l’hiver et l’été : face à l’hiver, face à l’été, et face au binôme hiver-été, dont les deux termes sont eux-mêmes en relation d’opposition et de complémentarité210 :
83individu — hiver || individu — été || individu — hiver/été. Le système, au total, comporte trois termes dont un seul (l’individu) peut être, à volonté, en relation avec chacun des deux autres ou ces deux autres ensemble, tandis que l’hiver ou l’été ne peuvent se relier qu’à un — et un seul — des deux termes restants.
84Vient ensuite la succession même des binômes211. Ici encore, l’organisation est patente : nous avons, d’une part, les deux catégories suivantes :
85nuit — jour
86mort — vie (terre)
87qui forment l’ensemble du temps vécu, et :
88été — hiver
89pluie — vent
90qui forment l’ensemble du temps climatique. Système deux fois binaire, donc, encore que les deux ensembles s’organisent différemment, si l’on veut bien admettre, d’un côté, que nuit = mort, jour = vie, tandis que, de l’autre, pluie et vent entretiennent une relation privilégiée avec l’hiver, soit, au total :
91Restent les quatre autres termes : arbres, hommes, montures212, eau. Le respect du texte213 et les résultats déjà acquis nous font un devoir d’admettre cet ordre de présentation — et donc l’organisation en deux binômes successifs — comme pertinents, et pertinents par rapport au principe de la relation de ces termes avec l’individu. Dès lors, l’arbre s’oppose à l’homme en ce que, inanimé, il est susceptible d’exploitation :
92Quant aux montures, êtres animés, elles sont susceptibles d’une exploitation double, dans l’ordre de la nature (nourriture)214 et de la culture (cuir), tandis que l’eau, inanimée, n’est susceptible d’être exploitée que dans l’ordre de la nature (boisson)215 :
93Mais, si le système est cohérent, ces quatre termes doivent à leur tour, comme dans les deux groupes du temps vécu et du temps climatique, entrer en relation les uns avec les autres. Constatons tout d’abord qu’ils constituent en effet, à tous quatre, la catégorie du temps occupé : occupé à la nourriture, au vêtement, à la relation avec les semblables. D’autre part, arbre et eau constituent, on l’a noté, la catégorie de l’inanimé, homme et monture celle de l’animé, avec, chaque fois, la même nuance quantitative (du plus animé au moins animé) :
94Homme > monture > arbre > eau.
95Quant à l’exploitation, elle est, selon les cas, exclue (homme), requise (monture) ou éventuelle : on n’utilise pas tous les arbres, on ne boit pas toutes les eaux. Si nous remarquons par ailleurs que l’arbre peut être utilisé dans les deux ordres de la nature (économie de cueillette) et de la culture (usages du bois), nous aurons le tableau suivant :
96Note216
97D’où il est clair que l’homme est le seul élément qui soit toujours extrême217 ; être animé par excellence, il est le moins susceptible de devenir objet d’une exploitation, ce qui est une autre façon de poser qu’il est, à l’inverse, sujet, et sujet d’une communication218. Il s’oppose donc à tous les autres éléments du groupe, ce qui revient à présenter ainsi la catégorie du temps occupé :
98Système binaire, donc, mais raffiné par la constitution d’autres binômes à partir des binômes premiers, les binômes seconds pouvant être fondés eux-mêmes soit sur la parité (exemple : nuit-mort et jour-vie (terre) à partir de nuit-jour et mort-vie), soit sur une disparité qui, rompant l’équilibre de deux groupes binaires, fait intervenir, avec la série 1-3, un élément ternaire, comme dans :
99arbre | homme || monture | eau => homme || arbre | monture | eau ou encore dans :
100hiver | été || pluie | vent => été || hiver | pluie | vent.
101Mais, de même qu’il peut être sollicité de faire une place au principe ternaire, le binôme peut tout aussi bien, à l’inverse, être tiré du côté de l’unité. Unité, d’abord, on l’a vu, que celle d’ego, de l’individu dans ses rapports avec chaque binôme on l’un des deux termes de celui-ci. Mais aussi, unité suprême que celle du Seigneur du ciel, qui entretient, avec les binômes ou leurs termes pris un à un, le même genre de relations.
102Est-ce à dire que le système binaire soit contesté ? Certainement pas. D’une part, ego et le Seigneur souverain constituent, à eux deux, un autre binôme fondé sur l’homologie des relations qu’ils entretiennent avec les autres éléments, par exemple :
103D’autre part, l’intervention de groupes ternaires revient peut-être à constituer, à partir de binômes équilibrés et symétriques, d’autres binômes, dissymétriques ceux-là puisque de type 1-3219, mais non à contester l’existence du système binaire en soi. De la même façon, chacun des trois groupes de temps dégagés par l’analyse (temps vécu, temps climatique, temps occupé) se distingue des deux autres par l’institution de binômes dissymétriques sans doute, mais enfin de binômes, par exemple :
104et chacun de ces temps, à son tour, est impliqué, avec ego ou le Seigneur, dans une relation de type binaire : rien, en définitive, qui soit ternaire de principe. En d’autres termes, c’est le binaire qui est au centre du système ; s’il ménage, en son sein même, des apparentements de type ternaire, ceux-ci peuvent toujours se considérer dans la binarité, et s’il s’enserre entre les deux principes unitaires de l’ego et du Seigneur, ceux-ci — par le fait même qu’ils ne peuvent se définir en d’autres termes qu’en ceux de la relation : entre eux deux ou entre chacun d’eux et telle ou telle pièce du système — s’intègrent eux aussi à l’armature binaire principielle (fig. 26).
105Tout se passe donc comme si l’imago mundi des Bašğirt se fondait sur une dynamique, sur le retour constant à un dualisme fondamental qui serait l’expression d’un équilibre à conquérir perpétuellement sur les écarts et les tentations créés par l’un ou le multiple. On verra un peu plus loin que cette attitude n’est pas sans analogie avec l’image que l’Islam, de son côté, se fait du Turc.
(en grisé : la zone de l’individu (ego) ; en blanc : la zone du Seigneur suprême. Chacune des deux zones est contiguë à l’autre et à chacun des douze éléments (par les côtés ou les sommets des triangles curvilignes, dans ce dernier cas). A l’intérieur des trois ensembles (temps vécu, temps climatique, temps occupé), le trait plein isole les oppositions de base)
Du commerce à la guerre
106On a déjà évoqué le caractère ambigu des relations que les tribus voisines du monde musulman entretiennent avec lui : paix ou guerre, commerce ou rapine. La tradition vient consacrer cette ambiguïté : d’une part, un hadīt conseille à l’Islam, par la voix de son Prophète, de laisser le Turc tranquille si lui-même le reste220. Mais d’autres observent que, lors de la fondation de la Ka’ba, Dieu, inspirant la prière d’Abraham, a bien pris soin de tenir les Turcs à l’écart du Temple221.
107D’un côté, donc, le commerce qui approvisionne l’Islam en produits de luxe ou de première nécessité : bois, corne, sel ammoniac, cire, colle de poisson, armes, vêtements, cuir, bétail sur pied, miel, faucons, mais surtout musc, fourrures et esclaves222. Ces derniers, recherchés par les cours et armées princières, depuis le Hurāsān jusqu’à Bagdad, sont « les plus beaux de tout l’univers, et rien ne saurait leur être comparé... pour ce qui est de leur physique comme de leur valeur marchande. » Ainsi s’exprime Ibn Hawqal, qui ajoute : « Plus d’une fois, j’ai vu vendre, au Hurāsān, un esclave trois mille dinars, tandis que, nulle part sur la terre, je n’ai eu l’occasion de constater des prix aussi élevés pour des esclaves, jeunes gens ou jeunes filles, qu’ils fussent d’origine grecque ou nés de l’esclavage. Non, cela ne s’est jamais entendu dire, à moins qu’il ne s’agît de musiciens doués d’un talent extraordinaire et d’une pratique consommée223. »
108Mais l’esclave, pas plus que tout autre objet de commerce, n’est turc à tout coup. L’Asie centrale en effet fonctionne comme une immense plaque tournante par où se redistribuent, jusqu’au monde musulman, des produits de provenances diverses, depuis la Chine, le Tibet ou l’Inde du Nord jusqu’à l’Europe orientale224. L’organisation des circuits commerciaux est donc, dans ces conditions, une pièce essentielle de la société turque. Sans doute le danger d’une « protection » abusivement imposée aux caravanes se fait-il jour ici ou là, mais il est, semble-t-il, lié organiquement à l’anarchisme latent des individus du groupe225. La pratique courante tourne, justement, cet individualisme au profit du système commercial, chaque marchand musulman étant tenu de se choisir, en pays turc, un répondant et hôte qui, en contrepartie de quelques cadeaux en nature, l’héberge et lui prête chameaux, chevaux ou argent en cas de besoin226.
109Ainsi va la curiosité des marchands de l’Islam : les pratiques, les périls et, de façon générale, les circonstances du commerce ne leur importent pas moins que son tracé, que ses routes227. Alors, porté par l’intérêt du jour, on souligne non seulement la redistribution des produits qui s’organise autour de la mer d’Aral et du Huwārizm228, ou encore la proportion élevée de commerçants dans telle tribu turque229, mais aussi l’allure lente des caravanes230 : car, plus que tout autre, l’obstacle majeur est celui de la montagne. Ici, nul fleuve pour passer, comme en Chine231 ; ou plutôt des fleuves, oui, mais qui ne font qu’ajouter une barrière à celles du relief et du climat232. Ibn Hurdādbeh233 s’étend quelque peu sur ces hautes terres où seul le commerce fait trouver des routes. Dans les vallées reculées où le (jayhūn (Oxus, Amu-Darya), « coulant entre des rochers démesurés et des blocs immenses » auxquels il arrache des « écailles » d’or, refuse de porter les bateaux et ne tolère d’être franchi que par les habitués des lieux, il faut des hommes bâtis à chaux et à sable234 pour assurer le salut des caravanes. Ils sont porteurs, cheminant en file indienne, charge de soixante livres235 au dos, sur des sentiers où les deux pieds côte à côte ne peuvent trouver place, au-dessus du gouffre toujours prêt ; mais ils sont aussi les intermédiaires obligés avec les tribus turques de la montagne, maîtresses des passes menant à la lointaine Chine ou aux pays de l’Indus.
110Conquis de haute lutte sur une nature hostile, le commerce n’en est pas quitte pour autant : il lui faut aussi venir à bout des turbulences humaines. Même de paix, l’horizon s’assombrit sous les exigences de l’impôt : en argent, mais aussi en bêtes, et même en hommes236. Sans doute la soumission à l’impôt implique-t-elle que ces Turcs-là au moins appartiennent à l’Islam, donc à la paix237. Mais cet Islam, on le voit, les lance sur la voie de la chasse aux esclaves, chez leurs frères restés en dehors du monde musulman. Pire : même chez eux, parfois. Car, Dieu mis à part, qui reconnaît toujours les siens, comment distinguer un Turc musulman d’un Turc païen ? Les Turcs du Huwārizm islamisé razzient couramment, nous dit Muqaddasī238, leurs mécréants de voisins et en arrivaient même, dans le feu de l’action, à incorporer au lot des esclaves quelques-uns de leurs propres frères en religion. Tant et si bien qu’il leur fallut, en modelant le crâne de leurs jeunes enfants, s’assurer de les sauver ainsi, pour l’avenir, d’une confusion toujours possible : au jeu cruel de l’asservissement, tel se prend qui croyait prendre.
111Les besoins de l’esclavage relancent donc, même en pleine paix, ces bruits de guerre latente que viennent rappeler, d’un bout à l’autre de la frontière, les citadelles des régions bordières (ṯuġūr) et les couvents fortifiés (ribāṭ-s), si nombreux qu’on en perd et le compte et le nom : le « ribāt d’Un Tel » (ribāt fulān), dira Ibn Hurdādbeh239. La description de cette défense relève du monde de l’Islam, et n’interviendra que plus loin240. N’en retenons ici que la représentation du Turc comme ennemi d’élite et du Musulman, persan (ẖurāsānien) ou turc lui-même (huwārizmien), comme le seul adversaire digne de lui : « Pour ce qui est du courage et de la vaillance241, l’Islam ne connaît pas de région qui tienne, mieux que celle-là, sa partie dans la guerre sainte... ni non plus — il est superflu de le dire — de zone de guerre où l’ennemi soit aussi vaillant242 que le Turc243. »
Conclusion : le Turc et l’Islam
112Il est temps maintenant de rassembler ces images. Le regroupement est facile, du reste, attendu qu’il s’opère à tout coup sous le signe éminent de l’ambiguïté : nul trait collecté auquel ne s’oppose le trait symétrique ou antagoniste, comme en fait foi le tableau suivant :
113Pays :
114montagnes ≠ plaines
115prairies gorgées d’eau ≠ steppes arides
116froid intense ≠ chaleur torride
117Ethnologie :
118laideur ≠ beauté
119complexion molle ≠ comportement viril et guerrier
120Organisation sociale :
121langue commune ≠ langues diverses
122dénomination commune ≠ aires et peuplades diverses
123(Turcs, Turkestan)
124cohésion turque
125(un chef unique, au moins dans le passe) ≠ guerres inter-tribales
126cohésion tribale
127(hiérarchie et chefs de tribus) ≠ anarchisme individuel
128pasteurs nomades ≠ sédentaires commerçants ou agriculteurs
129activités de guerre ≠ activités de paix
130razzieurs ≠ razziés
131sévérité de la coutume ≠ liberté (ou innocence) des mœurs
132animisme ≠ monothéisme (dieu Tengri)
133sauvages ≠ civilisés
134Rapports avec l’Islam :
135habitent en dehors ≠ intégrés dans les frontières du monde musulman
136païens ≠ convertis
137en guerre ≠ en paix
138Aucune de ces oppositions ne doit néanmoins s’entendre comme conduisant à un système figé, rigoureusement articulé autour d’une césure médiane. Bien au contraire, c’est une situation d’équilibre, et rien de plus, que tendent à traduire les formules en question. La dichotomie qu’elles expriment peut, tout en se maintenant dans le principe, être sollicitée en deux sens opposés ; par exemple, vers le multiple :
139ou, à l’inverse, vers l’unité : l’aridité, la chaleur sont infiniment moins notées, on l’a dit, que l’humidité et le froid, elles tendent à s’effacer dans le paysage :
140froid intense > chaleur torride
141humidité > aridité.
142De la même façon, c’est la complexion molle qui, en donnant au Turc sa souplesse, lui permet d’être le plus agile et le plus redoutable des tireurs à l’arc : par quoi elle rejoint le thème du comportement guerrier, décidément dominant :
143comportement guerrier ≠ complexion molle ⇒ comportement guerrier.
144Or, on a vu comment le système binaire, avec les mêmes fluctuations maîtrisées, structurait tel ou tel aspect du monde turc, mais cette fois vu par le Turc lui-même : le cas de la religion était particulièrement éclairant, mais nul doute qu’il n’était pas le seul : le langage, par exemple, aurait pu conduire à des conclusions identiques244. Mais si une dichotomie de principe guide ainsi à la fois et la représentation du Turc par lui-même et celle du Turc par l’Islam, s’agit-il d’une simple coïncidence, ou les deux visions, dans leur ambiguïté même, entretiennent-elles une relation interne ? Et si oui, laquelle ?
145Maqdisī245 se fait l’écho de la peur du Turc : déjà, le Prophète aurait prévu que la victoire de Touran marquerait le déclin de l’Islam et l’approche des derniers temps. Or, ce thème du déclin se retrouve chez Ǧāhiẓ246, mais dans une tout autre optique, car il s’agit cette fois du Turc et non plus de l’Islam : si les Tuġuzġuz, nous dit-on, ont perdu la suprématie qu’ils détenaient jadis sur le monde de l’Asie centrale, ils doivent s’en prendre à l’essor, chez eux, d’un manichéisme défini comme plus amollissant encore que la religion du Christ.
146De nouveau, l’organisation binaire structure parallèlement la présentation du Turc chez lui et la représentation du Turc par l’Islam : essor du manichéisme : déclin turc :: essor turc : déclin de l’Islam. Mais ici, la formulation touche le cœur même du débat posé à travers ces symétries, balancements, dualités ou antagonismes ; elle livre l’interrogation dernière, la plus inquiète, celle qui, peut-être, n’ose pas dire son nom, ni s’exprimer autrement que par des images chaque fois réversibles. Car enfin, à travers le terme commun du Turc, ce que les deux formules posent, c’est bien l’existence de l’Islam ou sa ruine, ici symbolisée par le dualisme impie des manichéens. L’essor turc en effet implique, d’un côté, le déclin de l’Islam, de l’autre, en vertu de la première proposition renversée :
147essor du manichéisme : déclin turc ⇒ déclin du manichéisme : essor turc, un manichéisme pantelant, soit une place à prendre pour une autre religion : et pourquoi pas, justement, par l’Islam247 ?
148Dans sa Risāla fī manāqib at-Turk (Des mérites des Turcs), Ǧāhiẓ trahit bien, quoi qu’il en ait, l’inquiétude du monde musulman devant ces nouveaux venus. Leur violence248 émeut, mais plus encore leur résistance à l’assimilation : l’attachement au pays natal (al-hanīn ilä l-watan), thème rebattu de l’adab, ne traduit pas ici une simple nostalgie ; il emporte, au contraire, de redoutables conséquences. Car le Turc fait passer la cohésion de son groupe, même installé au cœur de l’Irak, avant son appartenance à la communauté (umma) de l’Islam249. Et pourtant...
149Oui, pourtant, malgré ces traits qui, vertus en soi, sont autant de germes de mort pour la paix et l’unité de l’Islam, le Turc n’est pas antipathique jusqu’au bout. Signe éminent : à l’orgueil avec lequel il porte sa pauvreté, à la liberté qui le rapproche de « l’oiseau indifférent au lendemain »250, l’Arabe se reconnaît en lui, comme de frère à frère : « les Turcs sont les Arabes du monde non-arabe »251. Sans doute dira-t-on que ce signe, a priori rassurant puisque invoquant l’ethnie majeure de l’Islam, ne répond que par la bande à la question primordiale, qui est, précisément, celle de l’Islam lui-même, et non de telle ou telle de ses ethnies, fût-elle privilégiée. Voici donc qui va davantage au cœur du problème : si, dans la répartition des qualités entre nations, la guerre est l’apanage du Turc252, cette violence impliquée n’autorise pas à désespérer de son aptitude à se discipliner, à se civiliser, puisque les contacts entre peuples entraînent les imprégnations et initiations réciproques253.
150Mais peut-être n’est-il pas besoin d’attendre jusque-là, peut-être prendra-t-on finalement le Turc comme il est, ou du moins comme il est encore. Le luxe de détails avec lequel on nous présente ses qualités guerrières ne va pas sans le sentiment des services qu’elles pourraient rendre pour peu que l’Islam sache les « récupérer » à son propre usage254. Or, Ǧāhiẓ a sur ce sujet une phrase peut-être décisive : dès qu’on parle dit-il, hippologie, hippisme ou hippiatrie, le Turc est « une umma à lui tout seul255 ». Ne nous y trompons pas : sur un sujet aussi brûlant256, Ǧāhiẓ, qui s’y connaît et s’y complaît257, sait bien qu’il ne peut s’avancer que masqué. Aussi bien est-ce la forme, plus que le contenu, qui porte ici la pensée essentielle, la phrase gravitant autour de l’illustration au moins autant que du sujet traité, autour de la relation Turc-umma au moins autant que de la relation Turc-cheval. Car c’est bien d’umma qu’il s’agit finalement, et derrière la prudence de la métaphore, le problème posé se formule ainsi : ce Turc violent et guerrier, qui n’a que trop tendance à recréer son propre groupe au sein de l’umma musulmane, pourquoi ne pas, tout à la fois, élargir sa nostalgie et canaliser son impatience en lui proposant hardiment l’umma tout entière comme horizon à rêver et à défendre ? La proposition ainsi suggérée se renforce258 à une autre, qui, formulée sans ambages celle-là, fait fort bien figure d’argument pour une réponse positive. Le Turc est le gardien inébranlable de la stabilité religieuse et politique259, du sunnisme pour tout dire, dont on sait qu’une des préoccupations majeures est la cohésion de l’umma (encore elle), laquelle umma s’incarne légalement en ce calife de Bagdad dont le Turc constitue la garde. Il faudrait, on en conviendra, moins de présomptions et de convergences pour nous inviter, devant ce Turc qu’on nous présente — fût-ce sur un propos mineur — comme une image d’umma, à ne pas en rester précisément au niveau de l’image.
151Au delà de l’image en effet, c’est toute une histoire qui s’ébauche, avant que le ve/xie siècle la voie se réaliser. Elle a nom, cette histoire, prise en charge des destinées de l’Islam par le Turc et, par le Turc, essor du sunnisme. Même formulée avec une discrétion que nous trouvons peut-être, à bon compte il est vrai, excessive, les intuitions ğāḥiziennes ne s’y étaient pas trompées. Ce que les Arabes d’avant l’Islam, eux-mêmes peu préoccupés de sciences théoriques ou de travail manuel260, furent dans la première phase de l’expansion musulmane, pourquoi les Turcs ne seraient-ils pas appelés à le devenir après eux ? Tout comme l’Arabie païenne de la Ǧàhiliyya attendait le message qui devait donner à sa turbulence une discipline en même temps que son sens et sa dimension véritables, ainsi le monde turc, tel que le pressentait Ǧāhiẓ, attendait lui aussi que l’Islam donnât un champ mondial à sa mobilité impatiente de frontières.
152Sans doute l’intellectuel devançait-il son siècle : on a dit, en commençant, à quel point le Turc était insupportable aux masses irakiennes. S’étonnera-t-on, dans ce cas, que nos textes — ici le pour261, ici le contre — reflètent les hésitations du monde musulman face à son propre destin portant désormais le visage du Turc ? L’Islam pouvait se récrier devant telle coutume turque, sans oublier qu’avant lui l’Arabie n’offrait pas un spectacle si radicalement différent ; le Musulman se déclarait intrépide face au Turc, mais en reconnaissant que l’adversaire le valait bien ; l’homme « qui venait du froid » était aussi, comme l’Arabe, un fils de la steppe torride ; et le prétorien de Bagdad vivait, il n’y avait pas si longtemps encore, comme jadis l’Arabe, en amoureux de la liberté, une liberté au secours de laquelle vole, signe des signes, l’authentique poésie : « Le Turc, c’est tout un monde de hennissements, de poussière, de chevaux éperonnés, de vent claquant sur les habits et les armes, un rythme de sabots, un peuple qui, poursuivant, attrape, et, poursuivi, échappe262. »
153Ainsi l’Islam263, face au Turc, se reconnaît ou se récuse : car pour celui qui la vit, l’histoire, avant d’être histoire, n’est qu’aventure, et donc hésitation. Toute la vision contrastée que reflètent nos textes264 s’explique par le débat douloureux d’un Islam en mutation, qui interroge le Turc, à volonté, comme un barbare étranger ou un frère possible : ce qu’il est déjà, en effet, dans l’histoire de cet Islam dont nos auteurs écrivent la géographie. Face au Turc doué, dit Ǧāhiẓ en plaisantant265, de deux paires d’yeux, l’Islam lui aussi accommode sa vision, selon les cas, pour regarder derrière, au nom de la tradition, ou vers un avenir dans lequel le Turc réclame sa place, peut-être pour le bien de l’umma.
154Sur la carte du monde comme dans ses relations avec l’Islam, le Turc a donc un statut intermédiaire266. Étranger sans l’être, habitant du dehors et du dedans, il se pose un peu, vis-à-vis de l’Islam, comme le Barbare vis-à-vis de la romanité : mêmes problèmes, mêmes ambiguïtés267. La comparaison, toutefois, ne saurait être poussée jusqu’à son terme : quand le Goth, pour parler plus précisément de lui, fait irruption dans la romanité il est l’étranger absolu, du bout du monde, et qui vient de trop loin. Son histoire devenant, du fait d’une trop grande marge spatiale et culturelle, « un impossible rattrapage » — fût-ce au prix du légendaire accouru à la rescousse — elle n’offre en définitive au Goth que le choix entre l’exclusion totale dans les brumes du Nord ou la romanisation pure et simple, et en lui faisant perdre ainsi « toute épaisseur historique » et « toute identité politique », elle préserve, au terme de sa course, « la vraie histoire romaine de l’invasion fabuleuse des Goths ».
155Le Turc, lui, est un Goth à l’envers. Contrairement à ce qui se passait pour les étrangers véritables, ceux de l’Extrême-Orient ou de l’Afrique, le légendaire, le merveilleux (‘ağīb) ne tiennent dans sa description que peu de place, ou pas du tout. Pourquoi ? C’est que le Turc, justement, n’est pas tout à fait un étranger, ni un être du bout du monde268 : au pire, un barbare, mais voisin, au mieux un hôte, turbulent peut-être, mais enfin un hôte islamisé et dont l’exemple peut toucher ses frères encore séparés. Loin d’exprimer un impossible rattrapage, la représentation du Turc, transcrite en forme de propositions rigoureusement binaires, reproduit la confrontation, le conflit, le dialogue ou la complémentarité, bref une partie qui se joue à deux et dans laquelle le Turc garde et gardera ensuite toute son originalité et tout son poids ; elle révèle, cette représentation, l’histoire continuée et véridique de l’Islam269, en osmose avec la nouvelle et véridique histoire des Turcs, ou encore, si l’on préfère : contrairement à la démarche de la culture romaine, elle prépare la vraie histoire de l’Islam à l’invasion non moins vraie de Touran.
156Nous disions, en concluant sur une autre Asie, celle de l’Extrême-Orient, que les Indiens et les Chinois étaient, au mieux, comme des Musulmans à qui la grâce aurait manqué, en traduisant ainsi la coupure radicale que l’Islam installait alors, dans sa représentation du monde, entre lui et autrui : il n’y avait pas, comme nous le disions, de banlieue de l’Islam. Mais en Asie centrale, peut-être existe-t-elle à travers le Turc qui chevauche la frontière, converti ici et païen ailleurs. Sur lui, étranger à mi-chemin de l’Islam, ou Musulman déjà, mais résistant à l’assimilation, nul doute que l’Islam, cette fois, n’appelle la grâce. Mais il le fait par la force des choses, incertain qu’il est des vues de Dieu sur ce Turc souhaité comme serviteur de l’Islam et peut-être, déjà, pressenti et redouté comme son futur maître. Car, de la grâce, l’histoire — et d’abord celle qu’on vit — ne suit pas toujours les cheminements, ni n’épouse toujours les desseins.
Notes de bas de page
1 Le système de transcription adopté pour les noms turcs s’inspirera des règles en usage chez les orientalistes, à l’exception de quelques noms mieux connus, pour lesquels on suivra la graphie française.
2 Sur cette position stratégique pour le commerce du temps, cf. M. Lombard, L’Islam dans sa première grandeur, op. cit., p. 47 sq.
3 YA’Q, 255-256, HAW, 452, 468, 471. Byzance aussi les connaît à ce titre : RST, 121, 124.
4 Ǧāhiẓ, Risāla itā Fath b. ẖāqān fī mandqib at-Turk, op. cit., passim.
5 Un écho de ces tensions dans MAS (t), 64, par exemple.
6 Par exemple Tamīm b. Bahr al-Muttawwi’ī (cf. Ḥud, 268-270 et passim), Sallām, Abu Dulaf Mis’ar et surtout Ibn Fadlān (pour les Ġuzz et les Petchénègues) : sur ces trois derniers voyageurs, cf. Géographie J, p. XVIII-XIX et 132-145.
7 HAW, 14-15, 162, et W. Barthold-C. Cahen, « AIp-Takīn », dans El (2), t. I, p. 433.
8 Le cas le plus net est celui de l’école dite de Balbī : Iṣṭabrī, Ibn Hawqal et Muqaddasī.
9 Autre raison de s’appuyer au départ sur les Ḥudūd : l’ouvrage est, avec celui d’Ibn Hawqal, le plus tardif parmi tous ceux qui, à l’époque considérée, consacrent de substantiels développements aux Turcs : il fait en quelque sorte le point avant ce ve/xie siècle qui verra le tableau se modifier considérablement.
10 W. Barthold, Turkestan down to the Mongol invasion, Londres, 1928 (réimpr. 1958), dont les données sont reprises et réétudiées, avec tant d’autres, par Minorsky dans son édition des Ḥudûd. Cf. aussi Marquart, Erānsahr, op. cit.
11 . Elle n’est pas factice, en ce sens qu’elle suit l’ordre même de présentation des tribus par les Ḥudûd : ceux-ci la détenaient implicitement, et Minorsky n’a fait que la souligner.
12 Plus exactement, selon Minorsky [Ḥud, 263), sud-est (entendez, compte tenu de la répartition de l’ensemble des peuples turcs : par rapport à une sorte de diagonale du pays turc courant de l’angle sud-est de la Caspienne au bassin moyen de l’Ob).
13 W. Barthold, « Toghuzghuz », dans El, t. IV, p. 848-849, et J. Hamilton, « Toquz oghuz et On-Uyghur » dans Journal Asiatique, CCL/1 (1962), p. 23-64, cité dans C. Cahen, « Ghuzz », dans El (2), t. II, p. 1132-1133. Les notations qui vont suivre sont extraites de : TAM (dans Yāqūt, II, 24), Rel, § 73 (et n. 1), HUR, 30, 31, YA’Q, 295, FAQ, 328, 329, RST, 98, SlR. 77, 87, 93, QUD, 206, 208 i. /.-209, 262 (avec données empruntées à TAM), 263, MAS (p), § 312, 326, 327, 333, 396,1117,1366, (t), 39, 95 (et n. 3), 120, MIS (a), 11-12, IST, 17,18, HAW, 9,11,14, 15, Ḥud, 52, 54, 62, 80, 82-85, 92-98, 195-196, 207, 227, 232, 263-277 (pour les p. 268-269, voir la remarque de la p. 481), 287, 352, 481.
14 A moins qu’il ne s’agisse — malgré le nom de Tuġuzġuz qui apparaît dans cette histoire (et qui renvoie aux Uyghurs de l’ouest : ceux du Tienchan) — des Uyghurs de l’est, les plus nombreux : ceux-là, à partir de l’Orkhon, se sont établis dans le Kan-su, à l’articulation des bassins moyen et supérieur du fleuve Jaune. On notera à ce propos que MAS (p), § 333, en reprenant le texte de SIR, 77 (lequel déclare du reste, au passage, que Chinois et Tuġuzġuz sont voisins), fait disparaître, au profit de « Uyġurẖān », l’expression « roi des Tuġuzġuz » employée par son prédécesseur. Dès lors, on peut se demander si le nom de la ville de Kūšān (Kao-tch’ang) (MAS (p), § 312, 396), dont il sera question ici même, un peu plus bas, ne peut pas renvoyer à une ville du Kan-su (cf. Ḥud, 85, 230, 232). Mais il est vrai que MAS (p), ibid., déclare que la région de Kūšān est située entre le Hurāsān et la Chine, et c’est de Mdo, dans la région de Botān (Ḥud, 259-260), que l’empereur, réfugié là, lance son appel au secours. Tout cela est bien incertain, mais laisse entendre peut-être que, à travers ces confusions mêmes, les textes musulmans ont gardé le souvenir confus de l’origine commune des Uyghurs du Tien-chan et de leurs frères de l’est (cf. Ḥud, 267).
15 Voir le relevé des emprunts dans le tableau donné par Ḥud, 268.
16 Au nom chinois de Kao-tch’ang correspond la graphie Kūšān, source de nombreuses confusions : cf. supra, p. 206, n. 2, et Ḥud, 230, 232, 233, 271.
17 Sur eux, cf. W. Barthold, dans El, t. II, p. 812-813. Les renseignements ci-après (sauf pour la sous-tribu des Yabāgū, qui fera l’objet d’une annotation spéciale un peu plus loin) sont extraits de : HUR, 28, 31, QUD, 205, 262, 264, FAQ, 329, RST, 92, MIS (a), 13 (corriger (cf. infra, p. 224, n. 10) la graphie Hazlag en Harluh), MAS (p), § 312-313, 1119 (comparer avec Ḥud, 348), (t), 120, 245 (où « mer de Ǧurǧān » (appellation ordinaire de la Caspienne) renvoie en fait au « lac de Gur-gāniyya » (la mer d’Aral : la suite du texte confirme d’ailleurs cette interprétation), que Mas’ūdī fait du reste communiquer avec la précédente : cf. B. Spuler, dans El (2), t. I, p. 627), IST, 17-19, 161 (où il faut comprendre que les Qarluq, joints ici aux Ġuzz, sont impliqués seulement au début de l’énumération des pays indiqués ; même remarque pour HAW, 459), 163, 165-166, 185 (n. 4), 186 (n. 1), 187, 192 (on rectifiera (cf. infra, p. 224, n. 10), partout où elle apparaît, la graphie Hazla-giyya en Harlubiyya), HAW, 11, 14-15, 35 i. f., 459, 464, 467, 474, 509, 511~ 513-514, 525 i. f. (sur la région des confins indiqués par ces deux dernières références, cf. IST, 186, n. 1, 187, W. Barthold, « Farghāna », dans El, t. II, p. 68 (1) (W. Barthold-B. Spuler, dans El (2), t. II, p. 810 (1)), et Ḥud, 356 (61-62)), MUQ, 272, 274, 275, Ḥud, 54, 62, 72-73, 80, 83, 85-86, 92, 94-99, 108, 111 (n. 5), 112, 116, 119, 184, 222, 227, 232, 234, 264-267, 270, 272, 276, 280, 286-298, 300-301, 311, 338, 347-348, 355, 358, 482, HUW (m), 110.
18 Ḥud, 108, 116, 211, 278 (n. 1), 287 i. f.-289, 293, 338. Et peut-être les Qarluq ont-ils poussé plus loin encore : MAS (p), § 1119 (Ḥud, 348).
19 Ḥud, 97.
20 Nous reprenons ici l’expression contemporaine employée pour l’Himalaya, compte tenu de ce que HAW, 168, inclut expressément les montagnes du pays qarluq dans la grande dorsale montagneuse qui court d’un bout à l’autre du monde (supra, p. 134-135) ; même conception pour la dorsale « sableuse » qui la double (supra, p. 135) : HAW, 35 i. f.
21 Ces notations idylliques sont développées à partir de traits réels : cf. F. Grenard, Haute-Asie, t. VIII de la Géographie Universelle, Paris, 1929, p. 299.
22 Ḥud, 54, 184.
23 Ḥud, 97.
24 IST, 186, n. 1, HAW, 511 ; Ḥud, 97, parle de villages et même de villes, mais sans plus de précision.
25 QUD, 264 (interprété selon les indications de Ḥud, 287 (n. 2) et 293).
26 HUW (m), 110, Ḥud, 362 ; sur les Hephtalites, cf. A. D. H. Bivar, « Hayāṭila », dans El (2), t. III, p. 312-313.
27 MUQ, 274-275, dit notamment que « le roi des Turkmènes » envoie régulièrement des présents à Isfīgāb : on doit évidemment penser d’abord aux voisins des Qarluq, les Ġuzz, à qui cette appellation est principalement donnée, mais il n’est pas exclu qu’elle puisse s’appliquer aussi aux Qarluq : cf. Maḥmūd Kāšǧarī, cité par W. Barthold, dans El, II, p. 812 (2), t. IV, p. 944 (1), 951 (2) : sur la signification du mot, cf. Barthold, dans El, t. IV, loc. cit., et Ḥud, 311 i. f.
28 HUR, 16, Ḥud, 95, 97, 98, 275, 288, 297, 298 (ğabūya), 303, 304, 312, 482 (zabgū).
29 Ḥud, 62, 73, 83, 95-98, 195, 260, 270, 278-281, 290, 301.
30 Ḥud, 278, 280 (n. 1).
31 Ḥud, 280 (et n. 2).
32 Cf. E. Bosworth, dans El (2), t. III, p. 1140 sq.
33 Ou Cigil. Cf. W. Barthold, dans El, t. IV, p. 951 (2), HUR, 31 (et n. h : mais il s’agit peut-être, en réalité, des Magyars : cf. Ḥud, 319, n. 2), MIS (a), 8, Ḥud, 54, 83, 97-99, 184, 291, 297-300, 319, 482.
34 HUR, 29, 31, YA’Q, 295, FAQ, 329, QUD, 206 (cf. Ḥud, 301), Ḥud, 62, 83, 97-99, 195-196, 264, 268, 278, 285, 287-288, 291, 297-304, 317, 347, et W. Barthold, dans El, t. IV, p. 951 (2).
35 La graphie hésite entre Trkš, Trkšy et Trky, mais la désignation des Türgiš n’est pas douteuse : cf. Ḥud, 301, n. 3.
36 Où l’on trouve toutefois aussi des données sur l’essor qarluq au détriment des Türgiš : Ḥud, 301.
37 Les chiffres donnés par Ḥud, 99, ne supportent pas la comparaison avec ceux qui concernent, en même temps que d’autres indications plus générales, les Tuguzguz, les Qarluq ou les Yagmà : ibid., 94-96, 97-98.
38 « Un petit pays », nous dit-on à propos de l’habitat de deux clans : Ḥud, 99.
39 . Cf. W. Barthold, dans El, t. II, p. 1084-1086, HUR, 31, YA’Q, 365-366, FAQ, 329, MIS (a), 12, MAQ, IV, 61, 91-92, IST, 18, 130, 162, 174, HAW, 14-15, 393, 445, 465, 488, Ḥud, 52, 62, 66, 75, 80, 82-84, 94, 96-100, 179, 195-196, 202, 215-216, 264-265, 270, 282-286, 293 i. f.-294, 297, 305, 316, 347.
40 Ḥud, 97 : leur langage s’apparente à celui des Qarluq et leur vêtement à celui des Kīmāk.
41 Dans le domaine du langage notamment : Ḥud, 97.
42 MAQ, IV, 61, est le seul à signaler des arbres et des champs cultivés.
43 Ḥud, 97, 283, MAQ, IV, 91-92.
44 Cf. W. Barthold, dans El, t. II, p. 1068, TAM, loc. cit., HUR, 28, 31, YA’Q, 295, FAQ, 328, QUD, 205, 209, 262, MAS (p), § 226, 313, (t), 93, 120, 245 (voir supra, p. 208, n. 3), IST, 18, 130, HAW, 14, 393, MUQ, 274, Ḥud, 66, 68, 75, 81, 83, 94-97, 99-101, 180, 202, 204, 215-216, 222, 283, 301, 304-310, 312, 316-317, 437 (n. 1) (sur les Yīġūr, Yūġūr, Kīmāk-Yīġūr, MAS (p), § 226, Ḥud, 180, 215 (et n. 3), 310, 312 (n. 1)).
45 Ḥud, 99.
46 Cf. E. Ghaleb, op. cit., t. II, p. 274 (s. v. qatl) ; dans les pays de la mer Rouge méridionale, le mot désigne, on le sait, une plante dont la feuille, mâchée, constitue une sorte de stupéfiant ou d’hallucinogène ; mais ici, la traduction classique par « luzerne » s’impose en fonction du contexte.
47 HUR, 31.
48 Ḥud, 100 (mais les affinités tatares [Cf. Ḥud, 304) ne sont pas indiquées dans nos sources).
49 Explicitement évoqués par MAS (t), 245 (sur la localisation, cf. supra, p. 208, n. 3). Pour l’Islam, cf. MUQ, 274.
50 Tout à fait à l’est, ils semblent aller jusqu’à l’Ob (mais les sources de notre période n’en font pas mention : cf. Ḥud, 305, n. 3).
51 HUR, 28, FAQ, 328, QUD, 209, 262, Ḥud, 100 (le premier semblant bien être la source des trois autres, et la ténacité de l’emprunt confirmant, on le voit, l’intérêt porté au thème).
52 Sur les Qipëaq, cf. W. Barthold, dans El (2), t. II, p. 1081-1082, HUR, 31, FAQ, 329, Ḥud, 75, 83, 99, 101, 180, 216, 284-285, 304-306, 310, 314-317, 347.
53 Cf. Z. V. Togan, dans El (2), t. I, p. 1107-1109. Nos sources mêlant souvent, comme on le dira un peu plus loin, les renseignements relatifs aux Bašğirt et aux Magyars, nous donnons ci-après, en unifiant la notation en ce sens, les références pour les deux peuples : HUR, 31 (cf. Ḥud, 319, n. 1), RST, 142-143, FAD, 107-108, MAS (p), § 280, 313, 493 ( ?), (t), 245 (sur la localisation, cf. supra, p. 208, n. 3), IST, 131 i. /.-132, HAW, 199 i. f., 396, 398, Ḥud, 76, 83, 101, 162, 217, 305, 312-313, 315, 317-324, 424, 437, 442, 458-459, 465-469, 471. Sur les proto-Magyars, cf. le livre d’I. Boba (cité infra, p. 300, n. 3, et 331, n. 3).
54 Donnés comme tels par nos sources et par Z. V. Togan, op. cit. ; Minorsky (dans Ḥud, 318) hésite entre Turcs et Finno-Ougriens.
55 On nous objectera qu’il ne s’agit pas de Turcs « des plaines », comme l’indique le titre du présent développement. Mais, sans parler de l’impossible comparaison entre l’Oural et les massifs de l’Asie centrale où nous avons rangé les Turcs « des montagnes », nous dirons un peu plus loin que les Bašğirt poussent aussi en direction des steppes de la Caspienne et de la mer d’Aral.
56 Car leur tableau offre au moins un indice de sérieux ; ils sont les seuls à distinguer et à localiser clairement les « deux sortes de Bašğirt » (= Bašğirt et Magyars).
57 HUB, 31, FAQ, 329, BST, 142 (cf. Ḥud, 319 i. f.-320), FAD, 106-107 (l’opulence des Ġuzz est en fait toute relative : il est dit, ibid., 91, que ceux-ci vivent dans la misère, et cela renforce d’autant ce qui nous est dit de la misère de leurs voisins), MIS (a), 8, MAS (p), § 493 ( ?), explicité dans (t), 245 (texte, 160 : cf. Ḥud, 315, n. 1 ; sur la localisation des événements aux steppes de la mer d’Aral, cf. supra, p. 208, n. 3), Ḥud, 75-76, 83, 101, 159, 160, 162, 216-217, 305, 312-317, 437, 458-459, et F. Bajraktarevic, dans El, t. III, p. 1107-1108. On a pu ici, contrairement à ce qui se passait pour les Bašğirt et les Magyars, isoler les références relatives aux Petchénègues de la région Volga-Oural de celles qui concernent les Petchénègues de la mer d’Azov : cf. infra, ce qui est dit sur cette distinction, laquelle est clairement marquée chez nos auteurs.
58 La référence de HUR (simple mention des Petchénègues dans une énumération des peuples turcs, reprise, avec quelques variantes, par FAQ) doit évidemment s’entendre, compte tenu du fait qu’Ibn Hurdādbeh compose au me/ixe siècle, comme renvoyant elle aussi aux Petchénègues de la région Volga-Oural (tout comme MIS (a), qui compose au ive/xe siècle, mais dont l’itinéraire, fort suspect au demeurant (cf. V. Minorsky, dans El (2), t. I, p. 119) ne peut pas prétendre avoir touché les Petchénègues de la mer d’Azov). A l’inverse, IST et HAW ne connaissent que ces derniers.
59 RST, MAS et Ḥud.
60 . Maḥmūd Kāšǧarī (cité dans Bajraktarevié, op. cit.) fait d’eux, à l’origine, un rameau des Ġuzz.
61 Cf. C. Cahen, dans El (2), t. II, p. 1132-1136, et HUR, 31, 37, 39, YA’Q, 295, QUD, 202, FAQ, 329, RST, 140, FAD, 91-105, MIS (a), 11, MAS (p), § 224, 313, 455 (« autres tribus turques nomades »), 458, 1119, (t), 90, 93, 120, 245, IST, 18, 128, 130, 131, 145, 154, 157-158, 161, 163, 168, 169 i. f.-170, 186 (n. 1), HAW, 14-15, 347, 383, 393, 396, 426, 445, 452, 459, 464, 467, 477, 480-481, 504, 511-512, MUQ, 274, 286, Ḥud, 53, 60, 72, 75, 80-81, 83, 97, 100-102, 112, 119, 121-122, 133-134, 162, 216, 305-306, 311-312, 314, 317, 344.
62 Ils sont ainsi devenus voisins des Bulgares et des Khazars, que nous retrouverons au chapitre suivant.
63 C. Cahen, dans El (2), op. cit., étend le territoire Ġuzz, au nord-est, jusqu’au cours supérieur de l’Irtych, en se fondant sur MAS (t), 93, qui parle des Kīmāk et des Ġuzz vivant sur les rives de l’Irtych Noir et de l’Irtych Blana. Mais est-ce bien possible ? Dans le passage de MAS (p), § 226, qui est à l’origine du texte de (t) cité ici, l’éditeur, C. Pellat, a corrigé Ġuzz en Gûr (sur cette « tribu », cf. infra, p. 225), se fondant en cela sur une évidence : la confusion entre divers systèmes hydrographiques (cf. supra, p. 214) fait que Mas’ūdī renvoie sans doute, en (p) et en (t), non pas à l’Irtych, mais à l’Oural (Yayiq) et à l’Emba : cf. Ḥud, 75 et 215-216.
64 L’expression (‘alà (t-) taqwīs) est tirée d’IST, 161 (HAW, 459), le thème de cette localisation se trouvant aussi dans IST, 18 (HAW, 14-15).
65 Cf. W. Barthold, « Mangishlak », dans El, t. III, p. 258-259, IST, 128-129, HAW, 347 (le Siyāh-Kūh étant présenté comme le prolongement du Caucase, de ce côté-ci de la Caspienne, et comme un chaînon du système montagneux universel : cf. références supra, p. 209, n. 3), 388-389, 393-394 (groupes khazars également réfugiés au Siyāh-Kūh), Ijiud, 60, 193. La presqu’île est désignée sous le terme de gazīra (île, ou presqu’île, ou tout pays isolé par la mer, un fleuve, un désert) par Ḥud, qui la présente dans un tableau d’ensemble des différentes îles du monde. La région, du reste, a servi de refuge à d’autres groupes turcs : cf. HAW, 393-394.
66 IST, 125 (le ribāt nous est dit simplement avoir une chaire (minbar), indice d’une mosquée assez importante ; un manuscrit ajoute, ibid., n. 14, les termes de « petite ville », mais en brouillant les données sur la situation du ribāt, localisé au bord de la mer) ; HAW, 383, insiste sur le peuplement de la ville, avant de conclure dans les termes rapportés ici.
67 Sur le ribāt, le port et le pays de Dihistān en général, cf. V. Minorsky, « Mesh-hed-i Misriyân », dans El, t. III, p. 545-546 (où le ribāt est localisé, d’après Muqad-dasī, à l’intérieur des terres), B. Spuler, « Dihistân », dans El (2), t. II, p. 260-261, QUD, 261 (parages du Ǧurǧân), RST, 150, IST, 125, 128, HAW, 383, 388 t. f., 398, MUQ, 312, 358, 367, 372, Ḥud, 60, 133, 193, 385-386.
68 Correspondant à l’actuelle Qizil-Arvat : IST, 154, HAW, 445, MUQ, 320, Ḥud, 133-134, 386.
69 IST, 169 i. f. (repris par HAW, 480) nous dit que les Ġuzz circulent normalement, d’un côté de la mer, jusqu’à Gurganǧ (rive gauche de l’Amu-Darya) et, de l’autre, jusqu’à Qaryat Farātakīn (Barātāgīn, Qaratigīn), en rive droite du fleuve et à un jour de marche de la mer d’Aral. Sur ce dernier lieu, cf. Ḥud, 122, 371, et Barthold, Turkestan, p. 146, 151 (avec références complémentaires et discussion sur l’emplacement exact du site) ; à ne pas confondre avec le ribāt de Qarātagīn, dans la région d’Isfigàb : Barthold, op. cit., p. 176. Semblablement, le Bourg neuf (cf. un peu plus loin), signalé également par RST, 92, ne doit pas être confondu avec un autre Bourg neuf (Navīgkat), dans le bassin du Tarim celui-là : Ḥud, 86, 234-235.
70 Supra, p. 213.
71 Sur l’ensemble des parages de la mer d’Aral traités dans ce développement, cf. MAS (p), § 223, IST, 145, 157, 168, 169, HAW, 426, 452, 477-478, 480, 512, MUQ, 286, Ḥud, 80-81, 121-122, 306, 308, 312, 370-371, et B. Spuler, « Gurgandj », dans El (2), t. II, p. 1168-1169.
72 IST,186 (n. 1), HAW, 512.
73 IST, 161, HAW, 459 (avec la remarque faite supra, p. 208, n. 3, à propos des mêmes références).
74 Supra, p. 213. Sur tous ces confins islamo-Ġuzz, cf. QUD, 202, IST, 161, 163, 186 (n. 1), HAW, 459, 464, 467, 504, 512, Ḥud, 72, 112, 118-119, 122, 306, 358, Barthold, Turkestan, p. 165-167, 175-178.
75 IST, 186 (n. 1), HAW, 511, MUQ, 274, Ḥud, 119.
76 Et aussi, pour un temps du moins, devant ceux de la civilisation sédentaire, comme les Arabes encore, mais pré-islamiques cette fois.
77 Cf. de Planhol, op. cit., 39 sq. et passim.
78 FAÇ, 89, MAS (p), § 458, IST, 128, 157, 161, 170, 186 (n. 1), HAW, 389, 452, 464, 481, 512.
79 FAD, 91, 105, MAS (p), § 224, Ḥud, 100 ; sur le hadank (bouleau ? peuplier-tremble ?), cf. infra, p. 226, n. 6, Dozy, Supplément, t. I, p. 355 (comparer avec P. Carrière, « Asie », dans Encyclopaedia Universalis, t. II, p. 568-569).
80 MAS (p), § 458, FAD, 103-104 (trad., 79), 100-101. C. Cahen (dans El (2), op. cil.) insiste sur l’association « d’intérêt et de politique » qui semble lier les Ġuzz aux Bulgares ; d’où la suspicion envers le rapprochement islamo-bulgare que se propose l’ambassade à laquelle participe Ibn Fadlān. Semblablement, les Ġuzz essaient, par leurs incursions contre le Huwārizm (Ḥud, 100 i. /.) et les Khazars, de l’autre côté de la Volga (MAS, loc. cit.), de compromettre les liaisons signalées par C. Cahen entre ces deux pays (on corrigera, dans l’article d’El (2) signalé, p. 1133 (2), 1. 22, « mer Caspienne » en « mer d’Aral »).
81 Cf. supra, p. 220, l’ensemble du système étant coiffé par les deux grandes villes de Gurganǧ et de Kāt [supra, p. 219).
82 MAS (p), § 455, IST, 157-158, 168, HAW, 452, 477 i. f., Ḥud, 100 (marchands nombreux), MUQ, 325.
83 FAD, 91, Ḥud, 100 (qui est le plus formel dans cette négation, oubliant que Dih-i naw, ibid., 122, est cité comme résidence d’hiver du roi des Ġuzz ; mais il est vrai que cette citation est faite dans le cadre d’une liste des marches de Transoxiane, ce qui permet, bien artificiellement, de considérer que cette agglomération ne relève pas du monde turc proprement dit). Quant aux « huttes de bois recouvertes de feutre » (IST, 186, n. 1, HAW, 511, trad., 489 : il s’agit des environs de Sutkand, évoqués supra, p. 220), on remarquera qu’elles restent si liées à une économie pastorale (prairies) qu’elles inspirent cette conclusion : Ġuzz ou Qarluq (cf. supra, p. 210), les Turcs, même devenus musulmans, « ne construisent pas, ayant conservé leurs habitudes ». Mais surtout, le refus de la sédentarité au sens plein du terme s’éclaire tout à fait si l’on se réfère à l’original arabe : en fait de « huttes », le texte d’Istabri-Ibn Hawqal a le mot de harkāhāt (pl. arabe du persan hargāh : tente ronde).
84 MAS (p), § 224, MIS (a), 11.
85 Supra, p. 220.
86 Cahen, dans El (2), op. cit. Comparer avec HUR, 31 i. f. (les Turcs ont 16 villes au total) et WAṢ, 124 (les Turcs ont villes et forteresses).
87 MAS (p), § 224, 313.
88 FAD, 100-101.
89 FAD, 92, 103, MIS (a), 11, IST, 161, 170, HAW, 464, 481 i. f., Ḥud, 100. Sur l’entrée de Tugrilbeg à Nīsābūr, cf. Bayhaqī (Abu I-Fadl Muhammad b. Husayn), cité dans Barthold, Turkestan, p. 306, n. 1.
90 Supra, p. 211, n. 4, et 214, n. 4.
91 MIS (a), 7, MAS (p), § 280, 493, (t), 245 (Yagnī), Ḥud, 469 (n. 3), 471.
92 MIS (a), 9, Ḥud, 278 (et n. 5)-280, et supra, p. 211. Cf. aussi ( ?) le nom d’un lao, le Bagrāš-kul, à 200 km environ au sud-ouest de Turfan.
93 MIS (a), 14, Ḥud, 162, 454. Il s’agirait de la partie orientale de la ville d’Atil, sur la Volga ; sur les Khazars, cf. chapitre suivant.
94 MAS (p), § 313.
95 MAS (p), § 313.
96 MAS (p), § 493 (et n. 1) (t), 245, Ḥud, 469. Peut-être s’agit-il des Magyars, sous leur nom de Bazkard (infra, p. 316 : cf. MAS (p), trad., § 910, n. 2.
97 HUR, 31, FAQ, 329, Ḥud, 347, W. Barthold, « Turks », dans El, t. IV, p. 952 (2).
98 On ne considérera ici ces populations (dans le texte et les notes) qu’autant qu’elles sont expressément signalées comme turques (ou apparentées aux Turcs) par nos textes. Quant à leur description, elle devra trouver sa place à l’intérieur de celle du monde musulman : il ne s’agit pas, ici, d’ « étranger » proprement dit.
99 Supra, p. 209.
100 Pour le Wafaān, cf. MAS (t), 95, et V. Minorsky, dans El, t. IV, p. 1162.Pour le Signān, YA’Q, 292 (Siqinān), HUR, 173 (Siqinān), 178 (« Turcs nommés Sakīna), 179 (Sikinān), RST, 89 (Siqinān), V. Minorsky, dans El, t. IV, p. 404-406, et Ḥud, 349-350, 363 (et n. 2)-364. IST, 167 (et n. 3 : corriger Safīna en Saqina), et HAW, 467, 476, parlent de Siqinān (Saqīna, Siqiniyya) comme pays de Turcs infidèles qui habitent au delà du Huttal et du Fergāna.
101 MUQ, 283, Ḥud, 120, 361-362, Barthold, Turkestan, index, et B. Spuler, « Caghâniyân », dans El (2), t. II, p. 1-2. Sur les Hephtalites (Hayāṭila), qui ont donné leur nom à la région du Haytal, cf. A. D. H. Bivar, dans El (2), t. III, p. 312-313, et Ḥud, 288, 301, 327, 340, 347, 362. Huttal, quant à lui, est donné par MAS (p), § 312, comme le nom d’un des peuples qui, avec les Turcs et d’autres descendants de Japhet, prirent la direction du « nord-est » lors du partage du monde entre les différents rameaux de la postérité de Noé.
102 MAS (t), 95 (MAS (p), § 225, ne parle pas des Abgàn comme de Turcs), Ḥud, 91, 349 (n. 2).
103 Hlğ, Hrlğ (cf. Ḥud, 347-348), Hzlğ (cf. supra, p. 208, n. 3), Hrlh, Hllh.
104 HUR, 28, 31, IST, 141, 146, 157, HAW, 419, 426, 452, Ḥud, 108 (n. 1), 111, 286, 338, 347-348, R. N. Frye, « Ghalzay », dans El (2), t. II, p. 1024, et W. Bar-thold, « Khaladj », dans El, t. II, p. 928.
105 HUR, 31 (repris dans FAQ, 329 ; peu sûr : le Tibet, selon la ponctuation que l’on adopte, peut être considéré comme peuplade turque, ou, concurremment avec la Chine, comme pays voisin des Tuġuzġuz), MIS (a), 10 (description du Tibet avec les autres pays turcs), MAS (p), § 314 (descendants de Japhet, comme les Turcs), 1117, (t), 95 (explicitement Turcs), Ḥud, 92-93 (traits spécifiques : ẖāqān (cf. aussi HUR, 16), économie pastorale, habitations couvertes de feutre ; mais la description est séparée de celle des pays turcs) ; cf. aussi supra, p. 206. Sur le Tibet, cf. supra, chap. III, p. 82 et 102.
106 IST, 141 (HAW, 419) nous dit par exemple que les Halag sont installés dans le Gūr (centre de l’Afghanistan actuel), pour ajouter ensuite (IST, 153, HAW, 444) : « c’est une terre d’infidèles, et si nous la mentionnons au sein [des pays] de l’Islam, c’est uniquement parce qu’on y trouve [quelques] Musulmans. »
107 YA’Q, 295.
108 G. Wiet (op. cit., p. 113) traduit manāzil par « gîtes d’étape », mais la négation de ces « gîtes » semble en contradiction avec l’existence d’une poste (infra, p. 238). Chez FAQ, 6, le nomadisme prend d’autres couleurs : on nous parle de huttes portées par des chariots que tirent des bœufs.
109 Littéralement : des tentes rondes (qibāb).
110 Littéralement : « dont les agrafes (masdmīr : clous) sont des lanières de cuir de... » (masdmīruhā suyūrun min gulūd...). C’est l’existence d’une armature, d’un bâti (de bois sans doute : cf., pour les Khazars, infra, p. 265, n. 1), pour la grande tente ronde, qui explique que nos textes la considèrent parfois comme une sorte, d’installation fixe, distinguée, en tout cas, de la tente proprement dite, laquelle est vraisemblablement de dimensions plus modestes (cf. Ḥud, 95 et passim, et infra, pour les Khazars, p. 291, n. 7) ; sur le mot de hargāh (harkāh), cf. supra, p. 222, n. 4 ; sur l’habitat turco-mongol, cf. J. Auboyer, dans Histoire Générale des Civilisations, t. III, Paris, 1965, p. 323.
111 Ainsi traduisons-nous, en accentuant le vague du texte, le mot de dawābb : bêtes de selle ou de charge. G. Wiet, loc. cit., précise par « cheval ».
112 Le texte dit : ad-duhn iva huwa al-ğāwars ; duhn signifie effectivement le millet [cf. supra, p. 187, n. 1), tout comme feâwars (persan g avers). C’est, en réalité, le sarrasin qui semble être la grande céréale de l’Asie centrale (cf. M. Sorre, op. cit., t. I, p. 240-241) : une de ses espèces est du reste appelée « sarrasin de Tartarie ». Mais le texte n’autorise pas une telle interprétation : il s’agit bien d’une graminée, et plus précisément d’une miliacée : cf. Desmaisons, Dictionnaire persan-français, t. III, p. 182. Le ğāwars est cité aussi par FAD, 86.
113 Pour une bonne information d’ensemble sur la flore et la faune d’Asie centrale, cf. F. Grenard, Haute Asie, p. 250, 256, 260-261, 263-264, 290, 298-299.
114 Supra, n. 2.
115 FAD, 86, et supra, p. 216 (à propos des Bašğirt).
116 Sur le ṭāg, cf. FAD, 83 i. f. (pays de la mer d’Aral, Ǧurǧāniyya : cf. supra, p. 219 ; mais il s’agit bien du pays Ġuzz en général : cf. ibid., p. 96-97, sur les visites réciproques des Turcs et des Musulmans du Huwārizm), 90 : le ṭāg est donné, sans plus de précision, comme bois à brûler : hafab. Il est un décalque de ṭāg, tâh, tâq, tazg ou tug, que le Dictionnaire persan-français de Desmaisons (op. cit., t. I, p. 450, 454, 455, 490, 541) donne comme synonymes de l’arabe gadā, une tamariscinée dans laquelle Ghaleb (op. cit., t. II, p. 209, s. v. nom d’unité gadāt) voit plus précisément le tamaris de Syrie. M. Canard, lui (FAD, trad., n. 78), pense au saxaoul (sur les tamaris et saxaouls d’Asie centrale (relevant, à vrai dire, d’isolats forestiers de steppe plutôt que de la forêt proprement dite), cf. P. Carrière, « Asie », dans Encyclopaedia Universalis, t. II, p. 569 (3), et F. Grenard, Haute Asie, p. 266, 270, 289). Toutefois, la désignation du ṭāg comme bois à brûler, et son nom même, font penser à un autre arbre, le fagak (Desmaisons, op. cit., t. II, p. 554), que F. Grenard décrit en ces termes, côte à côte avec le tamaris justement, mais pour la région du Lob-nor il est vrai : « curieux arbre que celui-là (le toghrak résineux, populus suaveolens ou diversifolia), frondaison maigre et terne..., rameaux tors et noueux, bois si poreux qu’il se sature de sable. La forêt arrête la poudre de loess transportée par le vent, la fixe, provoque ainsi l’exhaussement du terrain et sa propre mort. Les parties enfouies de la tige jouent le rôle des racines, celles-ci s’allongent de plus on plus, l’humidité s’éloigne, les branches, cassantes comme du verre, tombent, les troncs desséchés ne sont plus que des nids de poussière. Le détournement fréquent des cours d’eau accélère le dépérissement des bois, et les cimetières de squelettes végétaux sont un des spectacles les plus habituels et les plus étranges du pays. Mais les jeunes générations se développent à côté, en sorte que les forêts ressemblent aux villes indigènes, où la cité de cendre des trépassés se déploie au large près de celle des vivants » (Haute Asie, p. 305 et pl. LVIII-B ; souligné par nous). Sur le hadank, hadank, hadang (bouleau ?), cf. FAÇ, 105, cité supra, p. 221, n. 4 (et trad., n. 155, p. 82, et 234, p. 205), HAW, 465 (trad., p. 448 : peuplier blanc : cité à propos de la Transoxiane en général), et Ḥud, 96. Quant au mot de halang, halang (érable ?), il apparaît dans Ḥud, 96, mais pas dans la Risâla d’Ibn Fadlān, du moins à propos des Turcs (il est cité seulement à propos des Bulgares : FAD, 128 i. /.-129). On ne peut tout de même l’éliminer complètement, le traducteur, M. Canard, signalant fort justement qu’il est parfois difficile, dans l’ensemble du texte, de choisir entre hadang et halang : cf. FAD, trad., n. 234 et 267.
117 Outre les références données ci-après, on renverra globalement à toutes celles qui ont été consignées à l’occasion de la description des tribus.
118 QUD, 205, MAQ, IV, 60, Ḥud, 96.
119 HUR, 179, SIR, 77, YA’Q, 295, FAQ, 295, 329, FAD, 86, 105-107, ISH, 462, IST, 161, HAW, 161-162, 464, Ḥud, 94-97, 99-100. Sur le ‘ilg, pl. ‘ulûg, cf. infra, p. 246, n. 9.
120 Ou gajgâv, gajgâv (la vache à soies ? cf. Desmaisons, Dictionnaire persan-français, t. II, p. 744, t. III, p. 211) : Ḥud, 94.
121 FAQ, 295, FAD, 86, 105 (et trad., n. 154). A noter que, sauf erreur de notre part, le collectif buht et l’adjectif buhti, qui désignent d’ordinaire en arabe le chameau de Bactriane, n’apparaissent pas souvent dans nos textes : cf. IST, 157 HAW, 450.
122 Supra, p. 222, et HAW, 161-162.
123 Le thème des brebis ou chèvres turques fécondes autant que les chiennes est un thème A’adab : cf. FAQ, 329 (avec notation sur la queue des moutons). Le mérite de HAW, 161-162, n’est pas de donner, sans vergogne, le fait comme peu connu, il est de lui chercher une explication naturelle.
124 FAD, 106-107.
125 GAH (t), 159, FAQ, 255, 329, IST, 162, HAW, 465, 482, Ḥud, 94-97, 99. La terminologie pose quelques problèmes : fanak (ordinairement fennec, renard du Sahara) désigne ici le renard dit de Tartarie ou corsac : cf. Dozy, op. cit., t. II, p. 285 ; dalaq (belette, fouine) peut renvoyer à la zibeline ; le pluriel huzûz (sg. hazz) désigne, au propre, le pelage d’un animal aquatique (ou aimant l’eau) : castor (cf. Desmaisons, op. cit., t. I, p. 762, I1AW, trad., 463), mais peut-être aussi loutre, ou vison ? Reste le renard « rayé » dont parle Ḥud, 94 : on pourrait penser, ici encore, au renard corsao dont la queue est en effet striée de noir ou de gris (cf. Ghaleb, op. cit., t. I, p. 240), mais le texte de Ḥud distingue ce renard rayé du corsao (fanak), qu’il cite ensuite ; est-ce le chien viverrin (nyctereutes procyonoides) ? L’animal, originaire de Chine, a étendu son habitat vers l’ouest (or, le texte de Ḥud porte, justement, sur les Turcs les plus proches de la Chine : les Tuġuzġuz) ; c’est un canidé, comme le renard, et sa fourrure, comme le rappelle sa qualification de viverrin, ressemble à celle, tachetée et rayée, des civettes. Mais peut-être doit-on songer, tout simplement, sous cette appellation de « rayée », à la bande plus foncée que certaines variétés de renards, dites croisées, portent au long de l’échiné.
126 GAH (t), 160 ; pour la Transoxiane en général, HAW, 465 (IST, 162, sans précision de couleur).
127 FAQ, 329, IST, 162, HAW, 465 (ces deux derniers à propos de la Transoxiane en général), Ḥud, 94, 96, 97 ; sur le hutuww, cf. M. Canard (FAÇ, trad., n. 271), Barthold, Turkestan, p. 272, n. 2 (la corne peut être aussi, dans d’autres contextes, de morse ou de narval), et G. Wiet (HAW, trad., 448, n. 1398, avec références complémentaires). F. Grenard (Haute Asie, p. 265) signale lui aussi ces gisements fossiles. Bîrûnī (cité dans FAD, loc. cit.) penche pour la corne d’un bovidé du pays kirghiz.
128 Ḥud, 101.
129 Ḥud, 95 : surû-i gavazn : la corne du gavazn. Ce dernier nom, dans la composition duquel entre le mot de gāv (bœuf), est traduit par vache-biche (Desmaisons, op. cit., t. III, p. 238) ou par daim (ibid., t. III, p. 182, s. v. gāvezn) ; il est rapproché de gevez (cerf : ibid., t. III, p. 238) et de gāv kuhî, littéralement : bœuf de montagne (ibid., t. III, p. 181, traduit par : espèce d’antilope, vache-biche). Tout cela nous renvoie, sans trop de précision, aux antilopidés ou cervidés d’Asie centrale : d’un côté, par exemple, le saīga (mais il vit plutôt dans la steppe, près de la Caspienne et de la Volga) ou le takin (takang), effectivement montagnard et dont l’apparence est celle d’un bovin, de l’autre le chevreuil, le cerf (V. Minorsky, dans Ḥud, loc. cit., traduit par « hart ») ou l’élan. A noter enfin, à propos du bestiaire, les thèmes du gibier et de la chasse, qu’on a relevés chemin faisant : un exemple (chasse à l’oie sauvage) dans FAD, 103 (cité infra, p. 232).
130 QUD, 208 ; cf. aussi HUR, 178, et HAW, 14-15.
131 ISH, 462.
132 FAD, 89 ; cf. aussi MAQ, IV, 60.
133 MAQ, IV, 60.
134 ISH, loc. cit. ; il s’agit sans doute, comme chez MAQ, de références à des habitations troglodytiques : cf. F. Grenard, op. cit., pl. LIV-D, et p. 307.
135 Elle ne fait guère qu’affleurer dans la mention des déserts (par ex. QUD, 245, Ḥud, 53, 81, IST, 128, 168, HAW 388-389, 477) ou des sables (cf. supra, p. 209, n. 3). La notation la plus explicite porte sur le désert des Ġuzz : du sable et, en guise d’eau, rien que des puits : IST, 157, HAW, 452.
136 HAM, 10.
137 Le texte arabe accumule les thèmes intensifs en fa’īt : galīd, darīb, Safīf, saqī’, qarls, balīl.
138 Ḥud, 95 ; cf. MIS (a), 39 : dans le désert du Huwārizm, pas de neige, mais la pluie, sans fin (dā’im).
139 FAD, 83-89 (avec le mot de zamharīr, un des supplices infernaux, le « froid qui brûle » : Coran, LXXVI, 13), qui rénove, par l’observation directe (‘iyân) ce thème d’adab qu’est le froid au Huwārizm [cf. TA’À, 129).
140 FAD, 89-90.
141 Le mot de Tūrān apparaît dans le titre royal donné par la tradition iranienne au souverain turc : Tūrān-sāh (HUR, 17). Celui de Turkistān se trouve dans YA’Q, 292, 295 (cité supra, p. 225-226.)
142 HUR, 155, FAQ, 6-7, RST, 98, MAS (p), § 189, et supra, p. 60.
143 MAS (p), loc. cit.
144 FAQ, 6, MAS (p), § 369.
145 FAQ, 6 (à noter que la prolificité réduite des hommes est symétrique de celle, accusée, de certaines espèces animales : supra, p. 228. L’expression muttarikū l-wugūh pose un problème : est-ce la viiie forme de la racine trk ? Mais ces visages « abandonnés » (sans soin ?) n’ont rien à faire avec ce qui suit : li galabati l-bardi ‘alayhim : à cause de l’emprise du froid sur eux. Il semble préférable de penser à la viiie forme de la racine wrk, dénominative de wark (hanche) : il s’agirait donc de visages « pleins comme des hanches », rebondis, mafflus ; or, les chairs abondantes et molles sont signalées à l’envi, par les auteurs cités ci-après, comme un des traits caractéristiques de la race, et MAS (t), 39, parle expressément de « visages arrondis istadârat wugūhuhum, dit le texte arabe), RST, 101-102, FAD, 106 (les Petchénègues sont bruns de teint), MAS (p), § 314, 369, 1337, 1361, (t), 39, MUQ, 294.
146 MAS (p), § 1361.
147 Le texte ajoute : « la même ressemblance existe chez les Égyptiens, et tient à une cause analogue. » Entendons, par « cause » : l’uniformité du climat (mais ici, dans le chaud). On notera par ailleurs, à propos de ce même texte de Mas’ūdī, l’insistance sur la vision uniforme du monde turc : elle justifierait, à elle seule, qu’on lui ait réservé un chapitre spécial.
148 Le texte introduit ici une parenthèse de l’ordre de la culture : « l’exercice continuel du cheval étant peut-être aussi la cause de l’affaiblissement des désirs amoureux. »
149 Le texte ajoute : « comme nous l’avons déjà dit » (MAS (p), § 1337).
150 MAS (p), § 1337, (t), 39.
151 . FAQ, 329 : rumāt al-hadaq, expression que Mas’ūdī reprend à propos des Nubiens : cf. supra, p. 193, n. 10. Sur les qualités du Turc en selle, cf. Ǧāhiẓ, Risâla ild Fath b. ẖāqān..., pass. (extraits dans J. Sauvaget, Historiens arabes, p. 7-10). Sur le thème Turc = archer, cf. aussi TA’À, 124.
152 FAD, 103.
153 Ḥud, 94 sq. Pour la liaison homme-pays-climat sur ce point, cf. MAS (t), 39. A noter que la guerre est l’apanage du Turc (cf. un passage révélateur dans FAQ, 299,1. 7-8), notamment dans la répartition des aptitudes entre les peuples du monde : références supra, p. 66, n. 6.
154 FAQ, 316, repris, avec quelques variantes, dans MUQ, 294.
155 SIR, 87, FAQ, 136, MAS (p), § 396.
156 HUR, 16-17 (avec, également, la titulature Tūrān-sāh), MAS (p), § 395-396, et supra, p. 61-62 (et n. 1, avec références).
157 FAQ, 5 ; autre répartition chez MAS (t), 112 sq., et aussi (quadripartite) chez FAQ, 197 ; sur ces thèmes, cf. supra, p. 60, n. 1-2.
158 MAS (p), § 1366, qui distingue entre le domaine des Tuġuzġuz (1000 x 500) et celui « du ẖāqān des Turcs » (Ġuzz ? 700 X 500).
159 Voir références supra, p. 201, n. 6.
160 Les renseignements donnés pour les tribus oscillent, on l’a vu, entre groupes infimes ou importants : il n’y a rien là, en tout cas, qui rappelle la plantureuse démographie chinoise ou, à l’inverse, comme pour l’Afrique, les terres vides d’hommes.
161 MAS (p), § 311 sq., 1117 (cf. HUR, 15), et supra, p. 142.
162 FAQ, 299, où tout cela se lit fort clairement ; sur Gog et Magog, cf. infra, chap. IX. Sur la transition ethnique des Turcs à Gog et Magog, cf. MAS (t), 39 i. f.
163 On peut penser que furūsiyya englobe aussi la déontologie du chevalier (cf. une notation dans ce registre, infra, p. 235). A ce compte, on pourrait parler ici (FAQ, 197, 330 : cité supra, p. 66, n. 4) de contradiction (encore que la littérature A’adab soit friande de ce genre d’oppositions) : d’où la tentation de prendre furūsiyya dans son sens strictement technique (rassemblant les notions d’équitation et d’hippiatrie), le sens de « chevalerie » ne s’affirmant que plus tard (cf. notamment D. Ayalon, dans EI (2), t. II, p. 976 (2)). Pourtant, le texte de FAQ, 197, semble bien trop ambigu pour qu’on tranche avec assurance : l’Inde y reçoit l’intelligence (fitna) et Byzance la sind’a (techniques et habileté de l’artisan). On avouera qu’un classement semble nous être suggéré entre qualités intellectuelles (Inde), manuelles (Byzance) et morales (Turcs), le tout réuni dans l’Iran, qui prétend assumer l’ensemble : l’acception strictement technique de furūsiyya, à laquelle il faut bien donner la préférence pour des raisons historiques, réduit singulièrement, semble-t-il, la portée de la revendication persane. Sur le partage des qualités et des défauts entre les peuples, cf. supra, p. 66.
164 FAQ, 196-197.
165 HUR, 31 i. f. (repris dans FAQ, 329). Sur l’historicité de ces villes, cf. supra, p. 222-223.
166 Cf. FAD, 91, à propos des Ġuzz : « ils s’installent et décampent ; on voit leurs tentes ici et ailleurs, comme font les Bédouins en déplacement. »
167 TAM, loc. cit., HUR, 31, FAD, 85, 91, 101, supra, p. 225, n. 5-7, et 226, n. 1, et, de façon générale, les indications déjà données pour les tribus.
168 Même un Iranien comme l’auteur des Ḥudûd al-’ālam ne manque de souligner que ce nomadisme se fait hiver comme été : Ḥud, 94, 99 (deux fois), 100. Autre trait étonnant : la tente, l’habitation nomade par excellence, n’est pas seule en cause : elle s’associe à la « hutte », elle aussi couverte de feutre (sur cette association, cf. Ḥud, 95, 96 i. f., 99) et s’efface même parfois à son profit (ibid., 99 i. f. et 100, pour des populations dont le nomadisme est souligné). Mais il est vrai que ces « huttes » ne sont peut-être, après tout, que les grandes tentes rondes, les yourtes : cf. supra, p. 222, n. 4, 225, n. 7.
169 YA’Q, 295, RST, 149, FAD, 85, 101, MIS (a), 11, MAQ, IV, 91-92, WAṢ, 124.
170 RST, 149, FAD, 86-87 (trad., 64, n. 91), HAW, 397.
171 FAD, 102-103 ; sur la « richesse » Ġuzz, cf. supra, p. 216 (et n. 4) et 222.
172 YA’Q, 295, MIS (a), 11 (viande crue), Ḥud, 100-101.
173 FAD, 100-101 (cité supra, p. 223), 103, 106, 108.
174 MIS (a), 12 (qui reste, il est vrai, peu clair sur la raison qui fait qu’on laisse brûler les flambeaux jusqu’à épuisement du combustible).
175 Cf. supra, p. 232 et passim (panorama des tribus).
176 Sur l’armement, cf. YA’Q, 295 (pointes de flèches en os), MIS (a), 9 (armement de bonne qualité) ; sur les mœurs guerrières, cf. FAD, 108, MAQ, IV, 9, 91.
177 FAD, 99 (trad., 75, n. 131).
178 MAQ, IV, 10, Ḥud, 96.
179 FAD, 99-100 (trad., 75-76). Quelques-unes de ces pratiques ne sont pas sans analogie avec celles qu’on étudiera au chapitre suivant, à propos des Russes notamment.
180 Littéralement : boisson fermentée (nabīd), ici : koumis, lait de jument fermenté : cf. FAD, trad., 75, n. 133.
181 FAD, 93-94.
182 FAD, 92.
183 FAD, 93 ; les renseignements fournis par MIS (a) sont variables et parfois même suspects : p. 14, il déclare qu’il n’y a pas de remariage après la mort du conjoint (cf. avec infra, sur une sorte de « lévirat ») ; ibid. : l’adultère est puni du feu (cf. avec p. 13, où l’adultère est dit licite : c’est ici, à l’évidence, une extrapolation à partir de la notation selon laquelle la corruption (faslād) est manifeste chez les femmes : incontestablement, Abu Dulaf Mis’ar n’a pas su distinguer, contrairement à Ibn Fadlān, entre l’apparence (la liberté des mœurs) et la rigueur de la règle).
184 FAD, 96-97 (mort ou très forte amende).
185 FAD 94 (trad., 70, n. 113), 101 i. f. C’est sans doute l’incompréhension de coutumes de ce genre qui fait broder MIS (a), 8, sur le thème de l’inceste (avec le mot de maḥārim, femmes « tabou », révélateur d’une conscience musulmane).
186 MIS (a), 13 : on joue ses chameaux, mais aussi sa femme, sa fille, sa sœur ou sa mère. L’outrance de la notation est d’autant plus suspecte (d’où notre « peut-être ») que le thème des dangers du jeu est fort rebattu : cf., pour l’Extrême-Orient, supra, p. 115. Sur la réalité du système familial et tribal turc, cf. J. Cuisenier, « Parenté et organisation sociale dans le domaine turc », dans Annales ESC, XXVII (4-5), juillet-octobre 1972, p. 923-948.
187 MAQ, IV, 91-92, IST, 18, 130, HAW, 14, 393, Ḥud, 97.
188 TAM, loc. cit., HUR, 29, QUD, 202, 206. Sur YA’Q, 295, cf. supra, p. 225, n. 5.
189 QUD, 206, MAS (p), § 312, 313, 396, Ḥud, 94, WAṢ, 124-125 ; MAQ, IV, 61, fait relever nominalement tous les Turcs de l’empereur de Chine. Le thème du souverain unique se renforce à celui de la présence du « roi des Turcs » parmi les grands monarques du monde : supra, p. 232.
190 HUR, 41, FAD, 91, 101 (trad., 73 (n. 124) et 76-77), Ḥud, 95, 99, 100, 101, et C. Cahen, « Ghuzz », dans El (2), t. II, p. 1133 (2).
191 TAM, loc. cit., HUR, 16, 40-41, FAQ, 328, QUD, 209, FAD, 101 (trad., 76, n. 137), MAS (p), § 312, 313, 396, MAQ, IV, 61, Ḥud, 95-97, 100, 287-288 ; MIS (a), 9, soutient que les Buġrāğ (supra, p. 223) sont gouvernés par un roi « de la famille de ‘Alī » : infra, n. 11.
192 Sur le culte du feu et les Zoroastriens (Magūs), cf. TAM, loc. cit., HUR, 31, QUD, 262, Ḥud, 95, 96, WAṢ, 124.
193 GĀH (a), 185 (cf. Ḥud, 267-268), HUR, 31, QUD, 262, FAQ, 329, RST, 139-140 (peu clair), MAS (p), § 312, 326 (avec exemples de dualismes dérivés du dualisme fondamental lumière-ténèbres), MAQ, I, 133, IV, 60.
194 MIS (a), 8, MAQ, IV, 9, 60, Ḥud, 95.
195 MAQ, IV, 9 (certains Turcs, bouddhistes, ont le « Livre des Tibétains », d’autres celui des Sogdiens, d’autres enfin des Livres à eux).
196 WAṢ, 124.
197 FAD, 92-93 (caractère superficiel de la sahāda et autres formules musulmanes) ; MIS (a), 9, dit que, chez les Buġrāǧ, soumis à un roi « de la famille de ‘Alī » (supra, n. 5), ‘Alī est tenu pour le dieu des Arabes et Zayd pour leur roi ; les Ġuzz (MIS (a), 11) sont déclarés non idolâtres, sans plus ; les Kirghiz (MIS (a), 12) auraient, eux, un lieu de culte (bayt ‘ibāda), une langue rituelle et des doctrines religieuses (littéralement, ra’y wa nazar : opinion personnelle et étude spéculative).
198 FAD, 92 (trad., 68), MAQ, I, 57 ; cf. M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, 1953, p. 65.
199 Ḥud, 100.
200 TAM, loc. cit., FAQ, 329, MAQ, IV, 90 (la pierre provient d’une montagne pour le passage de laquelle il faut envelopper les sabots des montures de feutre ou de laine, sous peine de les voir soulever une poussière qui retomberait en pluie).
201 WAṢ, 215.
202 FAD, 109, MIS (a), 7-8, 11, MAQ, IV, 60, ISH, 462, Ḥud, 95, 99, 100, WAṢ, 124.
203 La formule est de FAD, 91. Sur l’idolâtrie systématique, cf. Ḥud, 100 (à rapprocher de ce qui est dit pour l’Afrique : cf. supra, p. 196-197).
204 FAD, 98.
205 FAD, 91, trad., 66 (n. 98), 68.
206 FAD, 92, 94. Signalée aussi : l’ignorance de l’égorgement rituel des victimes : FAD, 951
207 FAD, 108.
208 FAD, 108-109, trad., 85.
209 Le texte arabe souligne cette relation, avec tahu : à lui (le locuteur) sont douze Seigneurs.
210 On notera, ici et par la suite, toutes les relations (d’opposition, de complémentarité, etc.) par un trait simple.
211 Le manuscrit de l’original, ici très mutilé, ne comporte que six noms (hiver, eau, nuit, jour, mort, terre), mais Yāqūt (I, 323) donne heureusement le texte complet (restitué en conséquence dans les éditions de la Risāla d’Ibn Fadlān), tout en portant le nombre des Seigneurs à treize (alors que c’est celui de douze qui figure indubitablement dans le texte d’Ibn Fadlān, sur ce point non mutilé : cf. FAD, 108, n. 8) : sentant bien, en effet, l’organisation de ces forces par binômes, Yāqūt, a ajouté la vie hayāl, avec ta’ marbū (a, et non hay(y)āt, avec ta’, comme l’écrit l’éditeur de FAD, 109, n. 1) pour répondre à la mort, sans voir que c’était, à l’évidence, la terre (nourricière) qui remplissait cet office : le traducteur de la Risāla a repris (p. 85) cette adjonction à son compte. Sur les problèmes posés par l’état du présent passage, cf. également infra, p. 241, n. 2.
212 Le mot de dawdāb, distinct de celui de hayawān (animaux en général), doit s’entendre ici au sens de bêtes domestiquées, que l’on monte ; M. Canard (FAI) trad., 85) traduit par : chevaux.
213 Sommes-nous sûrs qu’entre hiver et eau, termes qui encadrent la lacune du texte d’Ibn Fadlān, Yāqūt a bien suivi l’ordre de l’original ? A première vue, on est tenté de créer l’ensemble de l’animé (hommes-montures) face à celui de l’inanimé (arbres-eau). Mais le principe de la lectio difficilior doit s’imposer au sociologue comme il s’impose à l’éditeur de textes.
214 Cf. supra, p. 234 (lait de jument). La viande séchée et le poisson (difficilement consommé cru) nous rapprochent de la culture, avec l’intervention d’une préparation, si minime soit-elle.
215 Elle ne sert pas à la toilette, les Bašğirt étant « les plus sales de tous les Turcs » (FAD, 107 i. f.).
216 Le signe entre parenthèses tempère celui qui précède : l’homme est plus animé que la monture, l’arbre moins inanimé que l’eau.
217 L’eau est extrême dans l’inanimé, mais non extrême dans l’ordre de l’exploitation ; la monture est extrême dans l’ordre de l’exploitation, mais non extrême dans l’ordre de l’animé ; l’arbre est non extrême dans les deux ordres. L’homme, au contraire, est extrême dans les deux ordres : il est le plus animé et pas du tout exploité (cf. la note suivante).
218 Il n’est pas du tout question d’esclaves dans les textes.
219 Autre type de binôme dissymétrique, où 3 représente cette fois non plus un des termes du binôme, mais le total de deux termes : la relation individu -— couple d’éléments, exemple : individu — hiver/été, ou encore la relation entre les trois catégories de temps (ci-après).
220 QUD, 262 i. f., FAQ, 316.
221 Et aussi les Byzantins (Rūm) : RST, 27 i. f. ; dans FAQ, 19, les Turcs sont remplacés par les Persans.
222 GĀH (t), 159-160, HUR, 31, YA’Q, 365, IST, 161, 162, 192, HAW, 161-162, 452, 464, 465, 468, 471, 481-482, 525, MUQ, 325, Ḥud, 94-97, 99, TA’A, 128. Ces références portent sur des objets de commerce, explicitement donnés comme exportés vers l’Islam (plus rarement, exportés du monde musulman vers les pays turcs), et non pas sur de simples produits du monde turc.
223 HAW, 452, 468, 471.
224 HAW, 482, note par exemple que les Turcs vendent aussi des esclaves d’origine bulgare, khazare ou slave ; GĀH et MUQ, loc. cit., mettent en lumière le rôle redistributeur du Huwārizm, notamment (pour MUQ) en matière de produits bulgares. A noter que l’Extrême-Orient, présent à l’horizon des marchands puisqu’on nous indique les itinéraires qui se dirigent vers lui (cf. infra, références, p. 246, n. 2), est infiniment moins représenté par ses produits : une notation comme celle de YA’Q, 364 i. f., sur l’importation de musc du Tibet au Hurāsān (donc par l’intermédiaire turc) fait figure d’exception.
225 L’exemple donné par FAD, 98-99 (trad., 74) est patent à cet égard. Le Turc qui menace la caravane et à qui les chefs de celle-ci représentent qu’ils sont mandatés par le chef local (kūderkīn) répond qu’il « chie sur la barbe du kūderkīn. » Autre notation de ces « protections », mais exercées cette fois par la collectivité tribale dans MAS (p), § 455 (cité supra, p. 222, n. 3).
226 FAD, 94-96 (trad., 70-73).
227 Sur celles-ci, étudiées dans les travaux de Barthold, Minorsky ou Lombard, op. cit., cf. HUR, 25, 27-30, 155, 178-179, YA’Q, 364, QUD, 202, 205-206, 208-209, 262, FAQ, 327-329, MAS (p), § 455, (t), 245, HAW, 477, 504, 511, MUQ, 286, 341 sq., Ḥud, 97-100.
228 MAS (t), 245, HAW, 477.
229 Ḥud, 100.
230 Cinq fois plus lente que celle de la poste turque (15 jours là où celle-ci en met 3) : QUD, 206.
231 Cf. supra, p. 87-88.
232 Ces dernières renforcées elles-mêmes dans le sens du fabuleux : cf. supra, p. 239, n. 3.
233 HUR, 178-179. Cf. aussi QUD, 208 i. f.
234 Hommes gros et robustes : ‘ulūğ, sg. ‘ilğ, qui désigne, au propre, une sorte d’âne sauvage de grande taille et pourrait, dans ce cas, renvoyer aux hémiones d’Asie centrale (de type kiang (khiang) ou djiggetaï) effectivement employés comme bêtes de somme dans les caravanes. Mais le texte, ici, ne laisse aucun doute : c’est bien de « sherpas » qu’il s’agit.
235 Trente mann, dit le texte, le mann valant le double de la livre (ratl), elle-même très variable : cf. bibl. dans MUQ, trad., p. 212 (n. 280) et 221 (n. 38).
236 HUR, 37 i. f. (avec indication de prix : un prisonnier esclave = 300 dirhems)-38, FAQ, 328-329.
237 Le texte de HUR, loc. cit. (repris, avec quelques variantes, par FAQ, loc. cit.), parle (p. 38) des impôts en argent frappant les villes (madā’in) turques relevant des États sâmânides (eux-mêmes dépendant alors de l’autorité tāhiride), puis (p. 39) de l’impôt (harāğ) frappant l’ensemble des terres de la mouvance tāhiride : 44 846 000 dirhems, 13 montures, 2 000 têtes de petit bétail, 2 000 esclaves Ġuzz, et diverses prestations en nature. On voit qu’il s’agit bien, d’un côté, de Turcs vivant dans le monde musulman, et imposés en cette qualité, et, de l’autre, de Turcs vivant en dehors (Ġuzz) et à ce titre razziés. Il est logique de lier les uns aux autres, chasseurs contre chassés : ce que fait précisément, à propos des Turos du Huwārizm, le texte de Muqaddasī qu’on cite ci-après.
238 MUQ, 285-286.
239 HUR, 178.
240 Infra, chap. XI.
241 La notion de vaillance est rendue par l’image de l’épine (šawka) : on remarquera qu’elle est employée concurremment pour l’Islam et son adversaire.
242 Cf. n. 6 de la page précédente.
243 HAW, 467 ; cf. aussi FAQ, 316, HAW, 481 i. /., MUQ, 294.
244 Le cas du système religieux est le plus net, en ce sens qu’il est présenté (supra, p. 239 i. f) parle Turc (Bašğirt) lui-même ; mais, pour être moins nets, d’autres cas pourraient être évoqués, dont celui du langage : quand nos auteurs (cités supra, p. 238, n. 1) parlent de ces problèmes, est-ce à leur propre connaissance de la langue turque qu’ils se réfèrent ou, plus probablement, à un de ces informateurs qu’évoque par exemple Ibn Hawqal (supra, p. 204) ? Cf. aussi, pour un autre cas possible, la réflexion, tournant autour de la dualité morale-mœurs, faite par le Turo que visite Ibn Fadlān (supra, p. 236-237).
245 MAQ, II, 154.
246 GĀH (a), 185 i. f. (cité supra, p. 238, n. 7).
247 On objectera que ce n’est pas l’Islam qui est ruiné par l’essor du manichéisme, dans l’époque révolue à laquelle Ǧāhiẓ fait allusion. Mais le fait même que Ǧāhiẓ ne précise pas la religion au détriment de laquelle s’est opérée la montée du manichéisme est extrêmement éclairant : car il réserve tous les droits de la diachronie. Entre l’époque dont Ǧāhiẓ parle, antérieure à celle où il écrit, et celle-ci, un phénomène majeur s’est produit : la croissance de l’Islam dans les régions peuplées par les Turcs. Si donc, à un affaiblissement turc passé, en relation avec un affaiblissement de la religion du temps, correspond, à l’époque de Ǧāhiẓ, un essor turc dont il est témoin, cet essor n’implique pas forcément la remontée d’une vieille religion déjà moribonde dans le passé (et non précisée), mais plutôt la montée d’une religion nouvelle promue entre-temps par l’histoire : et c’est bien, comme on le dira un peu plus loin, l’avenir de l’Islam qui est au centre de la Risāla.
248 Op. cit., p. 37 : le pillage est leur seul principe d’action : « le Turc aimerait mieux devoir une pension à la violence qu’un royaume à la libéralité, et il ne peut trouver de plaisir à une nourriture que si elle a été objet de chasse ou butin de guerre. »
249 Op. cit., p. 41 (cité et traduit dans Grunebaum, Islam médiéval, p. 228-229).
250 Op. cit., p. 26.
251 Wa hum A’rāb al-’Agam (littéralement : ils sont les Arabes nomades des non-Arabes), dit la Risāla, p. 45. L’emploi du terme A’rāb (au lieu de ‘Arab) n’enlève rien à la comparaison : pour évoquer le nomadisme turc, ce n’est pas au pur concept de nomadisme (badw) que se réfère Gāhi ?, mais bien à un nomadisme d’allure arabe. Sur une formule voisine, cf. supra, p. 208.
252 Comme l’artisanat à la Chine ou la science aux Byzantins : cité supra, p. 66, n. 6.
253 Op. cit., p. 20, 43-46 et passim.
254 Le titre complet de la Risāla fait du reste allusion, à lui seul, à cette situation de défenseur de l’Islam, qui est celle du Turc en tant que soldat du calife de Bagdad : Risāla ilä Fath b. ẖāqān fī manāqib at-Turk wa ‘āmmat ğund al-hilāfa (Épître à F. b. fj. sur les mérites des Turcs et de la troupe califienne).
255 Op. cit., p. 31.
256 Il va tout à fait à contre-courant de larges secteurs de l’opinion publique : cf. supra, p. 204.
257 Il aime en effet les causes difficiles (on a vu, à propos de l’Afrique, sa défense des Noirs), d’autant plus difficiles qu’elles sont liées à des questions d’actualité : de même que la Risāla sur les Noirs reçoit, par certains côtés, valeur singulière d’avertissement dans l’éclairage de la révolte zanǧ du bas Irak qui éclate en 255/868, quelques mois à peine après la mort de Gāhi ?, de même, comme on va le dire, sa réflexion sur les capacités turques préfigure, pour l’époque, où il écrit, l’histoire à venir de l’Islam.
258 Autre présomption : des mots employés par Ǧāhiẓ à propos de l’attitude du Turc vis-à-vis de sa monture, deux au moins sont à double sens et peuvent s’appliquer à une société humaine : rā’ī (pasteur ou gouvernant) et sā’is (palefrenier ou dirigeant).
259 Op. cit., p. 42-43.
260 Cf. la comparaison Arabes-Turos dans la Risāla, op. cit., p. 44-46.
261 C’est ici le lieu de se souvenir du poids littéraire de Ǧāhiẓ, comme modèle pour les écrivains postérieurs : cf. Géographie I, 37 et passim.
262 Risāla, op. cit., p. 34.
263 On se rappellera à ce propos que la géographie arabo-musulmane des iiie/ixe et ive/xe siècles est, presque exclusivement, d’origine et d’inspiration orientales : il est donc normal qu’elle regarde surtout le « barbare » du côté de l’Orient (cf. aussi infra, chap. IX, à propos de Gog et Magog). Cet « orientalisme », d’autre part, a été assez fortement influencé par l’héritage iranien (cf. Géographie I, p. 339 i. f. et passim) : de ce point de vue, l’aptitude à penser par couples, dont le Kalīla, par exemple, offre tant de preuves, a pu faciliter (mais faciliter seulement, sans l’expliquer au fond) la vision dichotomique dans laquelle s’est coulée l’image du Turc.
264 Il serait facile, de ce point de vue, de reprendre en entier, au niveau de l’Islam en général ou de son incarnation arabe, la liste des propositions antithétiques formulée supra, p. 248-249 : comme le monde turc, l’Islam a une dénomination commune, l’Islam précisément, mais cette dénomination est religieuse, non ethnique (^t Turcs, Turkestan) ; l’Arabie peut se comparer, pour le conflit anarchie-cohésion, au monde turc, mais pas l’Islam, qui revendique d’être un rassemblement dans une même umma ; aux langues diverses du monde musulman s’oppose l’arabe, langue de communication, mais d’un autre ordre (grâce à la religion) ; en revanche, l’Arabie de la Gāhiliyya avait sa koinè, qui peut se considérer, face aux parlera d’une partie au moins de la Péninsule, comme le turc « commun » face aux langages des tribus, etc.
265 Op. cit., p. 28.
266 Supra, p. 232-233.
267 Cf., pour les Goths, G. Dagron et L. Marin, « Discours utopique et récit des origines », dans Annales ESC, XXVI (1971), p. 290 sq. Le parallélisme des situations vaut d’être souligné : cf. notamment, p. 291 : « l’empereur hésite (face à l’Italie gouvernée par les Goths) entre le système de la régence et la reconquête pure et simple [cf. la situation du califat vis-à-vis des prétoriens turcs] ; le régent barbare (le Goth) [le prétorien turc] hésite, face au pouvoir impérial [califien], entre la loyauté et la rébellion, face à la romanité [au monde arabo-musulman] entre son attirance pour la culture et le nationalisme germanique [turc] qui le lie à son peuple ; les Romains [les Musulmans] hésitent entre une résistance aux Barbares [aux Turcs], reconnue vaine, et une collaboration jugée contre nature. » Des correspondances de détail sont également à relever : l’historien des Goths, Jordanès, signale un trait (le tir à l’arc vers l’arrière, buste retourné) que nous avons relevé (supra, p. 231) chez les Turcs : cf. MAS (t), 39, n. 1.
268 Même si certains Turcs sont en contact avec le bout du monde (supra, p. 206 et 212), ils ne sont pas du bout du monde : ils y touchent simplement à cause de l’étendue de leur territoire. Les vrais peuples du bout du monde sont ici les peuples mythiques comme Gog et Magog, voisins des Turcs (supra, p. 206).
269 A preuve le fait que, malgré l’éclosion ou la résurrection des cultures nationales (turque, persane), l’arabe continuera d’y jouer un rôle majeur.
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