Chapitre IV. L’Afrique Noire, ou un continent entrevu
p. 127-202
Texte intégral
1L’Afrique : un mystère à peu près total pour l’antiquité classique1. Mais un mystère attirant, au moins pour ceux qui veulent trafiquer d’or, d’ivoire, d’esclaves ou de fauves. L’Islam, quand il s’installe dans l’histoire, recueille à la fois les incertitudes d’une vieille tradition livresque ou légendaire et les inquiétudes des gens d’affaires, que soutiennent, à l’occasion, les politiques2.
Des savants péremptoires et des marchands tenaces
2L’héritage antique est représenté par Ptolémée (fig. 19), qui dessine la carte du continent d’une main résolue, voire imaginative, et par Galien, dont l’autorité cautionne une ethnographie stéréotypée de la race noire3 En face, ceux qui entendent voir les choses de leurs yeux : les marchands d’abord, arabes et persans4. Ici encore, l’Islam hérite d’un passé, mais ce passé, il le relance, l’amplifie : la création des villes, les besoins de leurs riches et de leurs princes en produits de luxe et en esclaves, développent la prospection des rivages de l’océan Indien et l’exploration de l’Afrique soudanaise.
3Et cependant, le grand continent garde ses mystères. Celui-ci d’abord : l’accentuation du trafic ne fait pas notablement progresser la carte de la connaissance5. Le fait est particulièrement frappant à l’est : comment, pourquoi cette expérience de la mer et de ses rivages6 se traduit-elle par des notions aussi embryonnaires que figées ? Et cet autre mystère : pourquoi les marins s’en sont-ils tenus aux routes qu’ils pratiquaient, pourquoi n’ont-ils jamais eu l’idée de dépasser leurs limites, les parages du Mozambique, de pousser vers ce qui serait un jour le cap de Bonne Espérance ? Bien sûr, les raisons techniques demeurent : habituée au régime des moussons, cette navigation s’essouffle avec elles, à la hauteur du Mozambique précisément. Mais ce ne sont là que raisons secondes, qui s’expliqueraient à leur tour par la force de l’habitude, je veux dire du commerce, avec l’horizon limité du profit. Ainsi comprendrait-on que les marchands se soient estimés assez riches pour ne pas éprouver le désir d’aller plus loin encore, et aussi, sur un autre plan, qu’ils aient tenu à garder secrets, à l’abri de concurrents éventuels, les parages où ils faisaient fortune7. Mais alors, pourquoi cette mentalité aurait-elle eu cours ici, en Afrique, alors qu’au nord de ce même océan, toute une littérature technique, à l’usage des marins et des marchands, voyait le jour avec la Relation et le Kitāb at-tabaṣṣur bi t- ṭiğāra, pour ne parler que d’eux ? Et puis, nous savons bien que le profit appelle le profit, que, s’il y a un terme aux vents, il n’y en a pas à l’appétit des hommes. Ce qui se faisait au souffle de la mousson pouvait fort bien se poursuivre au jour le jour, au gré des vents locaux, par le cabotage. A quoi l’on pourra répondre, il est vrai, que nos textes semblent référer, justement, à de gros navires, armés pour la seule navigation hauturière8 et ne touchant peut-être la côte qu’en de rares points connus, ce qui expliquerait les incertitudes et les discontinuités de la carte.
4Alors ? Alors, il faut laisser ces problèmes en suspens, pour les historiens, et prendre, nous, l’Afrique comme on nous la donne : un mystère compact, dans lequel, par manque de moyens, par paresse ou de propos délibéré, la connaissance d’alors n’ouvre que d’hésitantes et rares brèches. La plus visible est finalement celle qui suit l’entaille du Nil à partir de la Haute-Égypte. Ici dominent, côte à côte avec les intérêts du commerce, les préoccupations défensives : c’est pour le général fāṭimide Ğawhar qu’Uswānī dresse son tableau de la Nubie et du pays bedja9, et, peut-être, pour la dynastie fāṭimide aussi, qu’Ibn Hawqal consacre de longs passages à l’évocation de ces mêmes pays10. De toute façon, la tradition est ancienne : immémorialement égyptienne, pourrait-on dire : pour en rester à l’Islam, un siècle ou presque avant l’installation des Fāṭimides au Caire, Ya’qūbī donne les itinéraires et la description des pays entre le haut Nil et la mer11, riches de leurs mines et de leur position stratégique comme glacis du monde musulman.
5Une autre voie, moins traditionnelle, moins importante pour la défense de l’Islam, mais vitale pour son commerce, apparaît à l’ouest, de l’Afrique du Nord vers le Soudan nigérien. Au moment où l’histoire de cette zone est marquée par les luttes que les Fāṭimides du Maġrib, puis d’Égypte, livrent aux Umayyades de Cordoue pour la possession des têtes de lignes caravanières des confins septentrionaux du Sahara, on ne s’étonnera pas que le même Ibn Hawqal s’intéresse à ces postes-clés des itinéraires qui ont nom, du nord au sud, Siğilmāsa, Awdaġost, Ġrāna12.
6De tout cela naît un corpus dont Mas‘ūdī donne une assez fidèle image : encyclopédiste, rassembleur du savoir, mais aussi grand voyageur13, l’intérêt qu’il porte à l’Afrique est à la mesure, on le sent bien, du rôle joué par les fils du vieux continent jusqu’en plein cœur de l’histoire musulmane : ne pensons, par exemple, qu’à la révolte des esclaves zanğ du bas Irak. Ainsi, fragmentaire ou globale, tour à tour incertaine et péremptoire, la connaissance de l’Afrique est à l’image du continent, paradoxalement massif et discontinu, égaré aux limites du monde et en même temps présent, par ses hommes, au centre de ce monde que l’Islam est convaincu de marquer.
Incertitudes africaines
7Ce continent, où commence-t-il, où finit-il ? Et d’abord, a-t-il même un nom ? En fait, l’Afrique (Ifrīqiya), c’est, comme l’Africa romaine, la moitié orientale de ce que les Arabes appellent le Maġrib14. Pour le reste, l’Afrique n’a de noms que ceux de ses peuples : Soudan (pays des Noirs : Sūdān), Nubie, Bedja, Abyssinie, Zanğ (populations de la côte orientale).
8Faut-il alors ne voir là qu’un continent dispersé, un agrégat de peuples désunis ? Cela n’est pas si sûr : le sentiment d’une unité se fait jour parfois obscurément, comme on le dira tout à l’heure15. Mais il affleure aussi dans la perception de grandes masses désolées et lointaines qui sont la marque commune de l’ensemble africain : sables de déserts infinis, aux confins du monde, ou flots de la mer d’entre les mers, je veux dire l’Océan, composant à l’Afrique, de l’est ou de l’ouest, un visage toujours plus ou moins dérobé16.
9A l’est, pourtant, le concept d’Océan se perçoit plus difficilement17. Sans doute ne saurait-il être remis tout à fait en cause : car l’Océan, c’est connu depuis les Grecs, entoure la terre, et toutes les mers du globe communiquent avec cette mer Environnante (al-bahr al-muhīt). Il faut donc que la mer des Zanğ (bahr az-Zanğ), partie occidentale de la mer de l’Inde (bahr al-Hind), touche quelque part, elle aussi, à cet Océan. De celui-ci, d’ailleurs, elle a les stigmates inquiétants : ampleur démesurée et noirceur, sous une surface compacte18.
10Mais par où la communication se fait-elle ? Par le bout du monde, à l’orient, comme on peut le voir sur la carte d’Ibn Hawqal (fig. 20)19. C’est que l’Afrique, en effet, interpose, vers le sud, sa masse entre la mer et l’Océan : comme Ptolémée assigne, à toute vie dans l’hémisphère sud, des limites assez proches de l’équateur et que, par conséquent, les latitudes des pays noirs se situent, même les plus extrêmes, en deçà d’un parallèle finalement assez peu méridional (vers 19°)20, l’Afrique, donnée par ailleurs comme très vaste21, doit forcément prendre une forme écrasée et compenser vers l’est ce qu’elle perd en direction du midi : ainsi s’étend-elle continûment à l’orient jusqu’en face de la Chine22. Mais, dira-t-on, ces géographes, parfois navigateurs comme Mas‘ūdī23, savaient pourtant fort bien que les côtes orientales de l’Afrique filaient avec eux vers le sud. Alors, comme il fallait résoudre la contradiction entre la théorie et l’expérience, on continua d’imaginer, sur ce rivage oriental du continent, une série d’échancrures, toujours signées Ptolémée24.
11Autres incertitudes, ou plutôt déséquilibres dans la connaissance et la présentation de l’Afrique : comme on le verra plus loin par la description des pays, l’ouest est, de très loin, moins bien traité que l’est, et cet est à son tour voit, de façon presque exclusive, privilégier ses rivages au détriment de l’hinterland25. Constantes de l’histoire africaine : attesté et vivace dès les ve-vié siècles ap. J.-C., le commerce avec l’est, pour l’or du haut Nil et, peut-être, de Rhodésie, pour l’émeraude, l’ivoire et les esclaves, prime les rapports avec l’ouest du continent, dont l’or semble ne devenir vraiment objet d’un trafic digne de ce nom qu’avec le xe siècle. Mais qu’il soit d’est ou d’ouest, ce commerce tourne et tournera le dos à l’Afrique qu’il exploite, adossé à elle et regardant la mer. Nos textes reflètent cette histoire, une histoire qui oppose, jusqu’à la fin de la période coloniale, une Afrique profonde et une Afrique arrachée26.
12Restent les flottements de détail, aussi nombreux que peut le suggérer l’incertitude de l’ensemble. Un seul exemple : le pays abyssin (al-Habaša). La tendance générale est de désigner sous ce terme les régions littorales de la Somalie du Nord, de l’Erythrée et même du Soudan, jusqu’à la latitude de 22° environ, avec le port de ‘Ayḏāb27. Parfois, cependant, l’Abyssinie recouvre une plus large zone, poussant vers l’intérieur jusqu’à se mêler au pays bedja et à la Nubie28. D’autres accentuent cette extension vers l’ouest, en étendant l’Abyssinie jusqu’au pays des Garamantes, ou à la longitude du sud marocain ou même, carrément, à l’Atlantique29. D’autres enfin, tels Ibn Hurdāḏbeh ou Hamdānī, font intervenir le concept savant d’Éthiopie, qui réunit les zones bordant le Maġrib vers le sud à la moitié méridionale de l’Asie Majeure30.
13Voilà bien des insuffisances. Elles sont la marque majeure de la connaissance de cette Afrique attirante et méconnue, morcelée et pourtant semblable, de place en place, à elle-même. L’étude de sa structure confirme cette ambiguïté.
Blason d’un continent : d’or au chevron de montagnes et de dunes
14En concluant son ouvrage par une vigoureuse attaque contre Ptolémée31, Ibn Hawqal la coule dans la tradition d’un Islam révolutionnaire, changement radical dans l’espace, l’histoire et l’âme du monde32. Et il a raison, dans l’optique de sa géographie, celle des masālik wa l-mamālik, qui veut être un atlas commenté de l’Islam et de lui seul, découpé par régions33. Mais en fait, dès que, sous forme d’excursus hors de ce programme, il parle organisation générale de la terre et répartition des grands groupes humains, il est clair que le système ptoléméen, même contesté sur tel ou tel point, est, côte à côte avec la tradition iranienne, le principe de sa démarche. Pour lui comme pour tous les auteurs musulmans du temps, l’Afrique reste ce qu’elle était. Mais quoi donc ? Si on veut la replacer sur le planisphère, il convient de rappeler d’abord les principes de la cosmographie en vigueur : celle-ci pose, nous l’avons vu34, et que la vie ne saurait démesurément s’étendre au delà de l’équateur, et que l’Afrique est immense : regroupée dans l’hémisphère sud et, pour le nord, dans les premier et deuxième climats35, elle occuperait 12 000 parasanges sur les 24 000 du total terrestre, soit douze fois plus que l’ensemble des pays arabes, l’Egypte représentant la soixantième partie du pays des Noirs36.
15Ce dernier trait est l’indice d’un rattachement du bloc africain au reste du monde par l’intermédiaire de l’Egypte musulmane : rattachement que confirme l’ossature du continent. Ibn Ḥawqal, qui s’intéresse volontiers aux grands systèmes montagneux du globe, évoque37 une grande dorsale qui, partant de la Chine, passe par le Tibet et le Ferghana, puis se divise en trois branches dont la plus grande se poursuit, par l’Iran et la Haute-Mésopotamie, jusqu’en Syrie et en Égypte, au mont Muqaṭṭam qui domine le Caire. A partir de là, nouvelle bifurcation : une branche court le long des deux rives du Nil, jusqu’aux monts de Qumr où il prend sa source38, une autre file vers la Cyrénaïque, où elle se ramifie à son tour pour donner, au nord, les montagnes du Maġrib et, au sud, une chaîne qui, par le Fezzan et les parages septentrionaux du Sahara, finit par « s’enfoncer dans les déserts, jusqu’à Awdaġost et l’Océan. »
16Cette structure montagneuse en recoupe une autre, de sable jaune (fig. 21), qui la confirme et l’élargit : même continuité de l’Extrême-Orient au Sahara atlantique, mêmes ramifications sur le continent africain. A deux adjonctions près cependant : une artère sableuse joint le pays des Zanğ à l’Arabie du Sud et, surtout, les pays compris dans la flèche africaine ou, pour reprendre l’image du titre précédent, entre les deux branches du chevron, appartiennent eux aussi aux sables, « infranchissables » ceux-là, « énormes », « une partie en terrain plat, avec des déplacements continuels, une autre partie aux dunes immobiles »39.
17Ainsi, conclut Ibn Ḥawqal, « tout le sable qui se trouve à la surface de la terre est continu et de même nature, et je connais très peu de contrées dont le sable ait un aspect particulier. Il en est de même pour les montagnes de la terre : elles forment dans l’ensemble un tout cohérent et continu, à très peu d’exceptions près40. » C’est une autre façon de dire que la terre entière se tient, que l’Afrique en fait partie et, notons-le au passage, que le monde musulman occupe, dans cette architecture, une place-charnière : c’est par l’Égypte notamment, on le voit, que l’Afrique, structurée comme un tout cohérent autour de ses deux dorsales montagneuse et sableuse, vient s’articuler au système du monde.
L’Afrique et son fleuve : sources du Nil et « pays noir »
18Revenons à l’Afrique profonde, celle des déserts insondables et des montagnes inaccessibles. Une dernière incertitude, et de taille, pèse sur le continent : d’où vient le Nil, ce Nil qui se coule précisément dans une des deux lignes de force de la tectonique africaine ? Du Paradis, sans doute, dit-on41. Plus sérieusement : de montagnes, celles de Qmr. Est-ce Qumr, « clarté cendrée lunaire montrant le sud », en rapport avec les galaxies dites « nuages de Magellan »42 ? Ou plutôt : (al-) Qamar : les monts de la Lune, appelés ainsi depuis Ptolémée43 ? Mais qu’importent les noms ? Dès l’antiquité, le problème des origines du Nil est, de toute façon, vital et irrésolu. Vital par la menace qu’il fait peser sur l’Égypte, pour peu que les détenteurs supposés des sources du fleuve décident d’en détourner l’eau. Irrésolu ou presque parce que, des trois hauts bassins du Nil, l’existence de l’éthiopien seul est connue : on imagine, vers l’équateur, le fleuve étendant son domaine d’ouest en est, d’où les associations qu’on établit entre lui et le Niger ou l’Indus44.
19L’Islam recueille, ici encore, la tradition, en ne lui opposant que très rarement les progrès, même modestes, de sa connaissance géographique45. Pour tous les auteurs ou presque, le Nil vient donc des montagnes de Qumr, ou de déserts situés au delà même de l’horizon des pays zanğ : régions interdites ou paradisiaques que seuls quelques fous ont pu atteindre, juchés sur une monture fabuleuse courant après le soleil. Sorti du bout du monde, le Nil viendrait se déverser, en dix ou douze bras, dans deux lacs sub-équatoriaux. Chacun d’eux donnerait à son tour naissance à trois fleuves, tous les six se réunissant ensuite dans un lac unique dont l’émissaire serait le Nil d’Égypte, lui-même enfin rejoint, vers la Nubie, par le Nil Blanc issu d’une autre source46.
20Seul, Uswānī47, qui s’intéresse de près, pour le compte des Fāṭimides, à la défense de l’Islam du côté du haut Nil, apporte quelques données intéressantes sur les origines du grand fleuve : nettement plus précises, en tout cas, que celles qui nous viennent d’Ibn Hawqal48.
21Un schéma (fig. 22) éclairera la différence entre la géographie d’Uswānl et la nôtre, qui ne remonte pas au delà du xviiie siècle finissant. On voit qu’on aboutit dans les deux cas, pour la formation du Nil, à huit ou neuf cours d’eau. En amont du pays de ‘Alwa, soit l’actuelle région de Khartoum, le Nil, nous dit Uswānī, se divise en sept fleuves. Le premier, pour lequel nous pouvons penser à l’Atbara, vient de l’est, avec des eaux troubles, mais son lit se dessèche une fois l’été venu, et supporte alors les cultures. Le second fleuve, le Nil Blanc, arrive de l’ouest, des monts du Sable : là, il s’amasse en d’énormes bassins passé lesquels il tire une blancheur insoutenable des terrains traversés ou d’un affluent, qui serait notre huitième cours d’eau constitutif du Nil. Le troisième, en tout cas, est le Nil Vert (nous disons : Bleu), venu du sud-est et si transparent, malgré sa couleur sombre, qu’on voit les poissons au fond de son eau ; mais celle-ci assoiffé vite et charrie des bois marqués de signes étranges. Sur une étape au delà du confluent des deux fleuves, le vert et le blanc coulent côte à côte, puis se mélangent en une furie de vagues. Les quatre derniers cours d’eau, tous pérennes, sauf un, tous originaires du sud-est, accourent depuis l’Abyssinie pour se jeter dans le Nil Vert, lequel reçoit ensuite « le premier affluent mentionné », c’est-à-dire l’Atbara, avant de rejoindre le Nil Blanc.
22On voit qu’à part ces derniers traits, où se lit une confusion certaine entre les bassins de l’Atbara et du Nil Bleu, le système se rapproche de la réalité. Seules concessions aux légendes du temps : l’un des quatre cours d’eau abyssins vient en réalité de plus loin, du pays zanğ dont il roule les bois49. En outre, Uswānī, avouant, après d’autres, qu’on ne connaît pas les origines des Nils Blanc et Bleu, déclare qu’en amont de leur confluent, leur largeur « va en augmentant jusqu’à couvrir la distance d’un mois de marche ».
23Résumons cet aperçu de l’Afrique et de son fleuve. Bilan : le Maġrib restant à part, avec l’Islam dont il relève, le continent s’articule sur la charnière égyptienne, laquelle est tout ensemble africaine et musulmane ; appuyée sur elle, une double dorsale de montagnes et de sables enserre d’autres sables, mais laisse inconnus, inexistants même, de larges pans de ce que nous appelons Afrique occidentale et orientale, et, en sa totalité, l’Afrique centrale et australe. Mais, dans ce qui nous reste, dans cette Afrique résiduelle, une unité vaguement se dessine : sans parler de la structure même du continent, le Nil, le Nil d’Égypte comme on dit, est peut-être la marque décisive de cette unité. Il souligne, on l’a vu, l’une des deux dorsales montagneuses, et le système de ses origines, loin de compromettre son rôle, l’accentue au contraire si l’on veut bien se rappeler que, par la liaison Nil-Niger50, qui recoupe celle des sables, un trait d’union est jeté entre les deux branches du chevron africain.
24Voici enfin, même incertaine, la toponymie qui vient à la rescousse. Nous disions plus haut que l’Afrique n’avait pas de nom, et c’est vrai. Mais il en est deux qui dominent, de très loin : celui de Zanğ, pour la côte orientale, et celui de Soudan, pour les pays sub-sahariens51. Mais cette dernière appellation (Sūdān : Noirs) rejaillit elle-même, à l’occasion, sur le continent dans son ensemble. Hamdānī52 semble regrouper sous elle les Zanğ, l’Abyssinie, les Bedja, la Nubie, le Fezzan, le Ġāna et le pays des Noirs « qui sont nus »53. Et Ibn Hawqal, critiquant les dimensions données par Ptolémée au pays des Noirs (balad as-Sūdān), rectifie sans doute les chiffres avancés, mais conserve la notion de « toute cette terre » qui rassemble, de l’ouest à l’est, le Ġāna, Kūga, Sāma, Ġarayū, Kazam, les déserts, la Nubie, l’Abyssinie et les Zanğ54 : indice, donc, de la perception d’une unité africaine, que l’étude de la généalogie de la race noire confirmera à son tour un peu plus loin.
La négritude : préjugés et contre-attaques
25Y a-t-il donc une unité anthropologique du continent ? Nous avons dit plus haut55 ce qu’il fallait penser du concept de race, et que finalement la seule distinction un peu tranchée opposait le noir, le noir absolu, à tout ce qui n’était pas lui. Encore ne doit-on pas jouer sur les mots : lorsque Ğāḥiẓ56 oppose aux blancs, c’est-à-dire à l’Iran, à Byzance et à l’Europe, les noirs, autrement dit le reste, depuis la Chine jusqu’aux Berbères en passant par certaines tribus arabes57, il est clair qu’il joue, pour la défense de la thèse qu’on examinera plus loin, sur les deux claviers du noir et du brun (sumra). Dans nos textes, en fait, les traits donnés comme pertinents de la race noire se réfèrent à un contexte géographique qui n’excède pas les rivages de l’océan Indien (pays zanğ), l’Abyssinie et le Soudan occidental58.
26Mais quels sont ces traits ? La tradition remonte à Galien59, qui en définit dix : cheveux crépus, sourcils clairsemés, larges narines, fortes lèvres, dents pointues, odeur prononcée, prunelles très noires, pieds et mains crevassés, parties génitales volumineuses et pétulance excessive : à quoi l’on ajoutera certains traits de la beauté féminine, sur lesquels on reviendra60. Tout cela est dû à la situation de ces peuples, car il est connu qu’on se rapproche du soleil en allant vers le sud : or, c’est la maturation intensifiée de l’embryon dans le corps de la mère, puis l’exposition soutenue au rayonnement solaire, qui déterminent les traits des Noirs, ainsi que « l’organisation imparfaite du cerveau, d’où résultent la faiblesse de l’intelligence » et la soumission à une gaîté délirante61.
27Une autre série de données touche la place des Noirs sur la terre. Ils en occupent la plus mauvaise part, comme à la traîne : dans les climats les plus bas62 ou dans la queue de l’oiseau-monde d’Ibn al-Faqīh63, lequel précise : « ce qu’il y a de pire. » Et d’enchaîner en disant : « les Noirs sont plus nombreux que les Blancs, et c’est leur seul sujet de gloire » ; par quoi l’on rejoint un autre thème latent de cette géographie des nations, à savoir qu’à partir d’un certain seuil, l’aire d’une civilisation est inversement proportionnelle au développement même de celle-ci. Je dis bien : à partir d’un certain seuil, car il est bien évident que, pour cette géographie, il n’y a de vraies civilisations que sur de vastes espaces64. Mais la réserve — d’importance — est précisément que l’excès d’espace renverse la tendance. A preuve : dans l’échelle des superficies, les Noirs ne sont distancés que par le peuple monstrueux et mythique de Gog et Magog65.
28Reste la généalogie, elle-même en rapport avec le thème des rois du monde et de la répartition des aptitudes entre les différents groupes humains66. Les Noirs descendent de Cham, fils de Noé67. Au passage, remarquons qu’une fois de plus l’Afrique manifeste une propension à l’unité68 : car, au nombre de tous ces peuples qui, dans les débuts du monde, passèrent le Nil vers l’ouest, Mas‘ūdī69 énumère, pour l’est du continent, les Nubiens, les Bedja, les Abyssins et les Zanğ, et, pour l’ouest, les gens de Zaġāwa, de Kanem, de Maranda, de Gao et du Ġāna. Mais, pour notre propos du moment, ce que nous devons noter surtout, c’est que Cham est le mauvais fils, celui qui devint noir à cause de la malédiction paternelle70.
29De la même façon, l’Afrique reste loin derrière pour les honneurs dévolus à ses rois : sans doute deux ou trois d’entre eux figurent-ils parmi les souverains titrés de ce monde, à savoir : le Négus (an-Nagāsī) d’Abyssinie, le Waflīmī des Zanğ et, peut-être, le Kābīl de Nubie71. Mais aucun de ceux-là ne compte au nombre des cinq grands rois de la terre72. Semblablement, on constate que les Noirs n’ont guère été gâtés dans la répartition des aptitudes à la surface du globe : nous verrons plus loin qu’on leur reconnaît certaines qualités, mais il reste qu’on les oublie dans le classement de base qui consiste à donner par exemple l’artisanat à la Chine, les mathématiques à l’Inde, l’alchimie à Byzance, la guerre aux Turcs, la poésie et la prophétie aux Arabes73. L’Afrique n’apparaît guère que dans le négatif de ce tableau : tout comme les Turcs manquent de fidélité ou l’Inde de pudeur, les Noirs sont dépourvus de sérieux74.
30Tel est le fonds commun, plein, on le voit, de réticences et de préventions. Pourtant, un homme s’élève là contre. Et comme son influence est considérable sur les écrivains arabes75, un peu de ses thèmes et de son esprit va passer dans la conception arabo-musulmane de l’Afrique. Cet homme, c’est Ğāḥiẓ, qui écrit, à contre-courant, un essai intitulé De la supériorité des Noirs sur les Blancs (Fahr as-sūdān ‘alā l-bidān)76. Lui-même n’est pas sans partager à l’occasion les idées courantes : « Les Zanğ, dit-il, sont les hommes les moins intelligents, les moins perspicaces et les moins préoccupés de l’avenir77. » Et puis, nous l’avons vu un peu plus haut, il joue, pour la défense de sa thèse, sur la notion de noir, joignant aux Africains des gens infiniment mieux cotés par la tradition, à commencer par les Hindous et les Chinois. Ce dernier trait pourtant reste superficiel, et la démonstration de l’excellence noire n’esquive pas toujours le cœur du sujet, à savoir les populations noires précisément, ou présumées telles, de l’Afrique : Zanğ, gens du Soudan et d’Abyssinie78.
31Soucieux d’amuser au passage, Ğāḥiẓ ne renonce pas à la pirouette, qui vaut ce qu’elle vaut : après tout, nous dit-il, le sombre n’est pas si mauvaise chose, puisqu’on le préfère dès qu’il s’agit de la nuit, de l’ombre, des parfums, des lèvres des femmes et du fard de leurs yeux, des cheveux, du foie — qui est principe vital —, du lion, des jardins paradisiaques du Coran79, de la pierre, du vin, des fruits ou des confitures80. Mais voici qui est plus sérieux : les Noirs ont pour eux le courage, la générosité, l’art d’une parole douce et fluide, le sens inné de la danse. Et Ğāḥiẓ de combattre l’idée courante, selon laquelle le tempérament des Noirs ne serait généreux que par suite d’une déficience de l’esprit, d’une inaptitude à la réflexion et à la prévision81. A ceux, enfin, qui estiment que ce peu de qualités que les Zanğ possèdent, c’est à Bagdad qu’ils l’ont reçu, Ğāḥiẓ réplique : comment se fait-il alors qu’aucune disposition intellectuelle particulière ne se manifeste chez les esclaves hindous, pourtant fils d’une civilisation de mathématiciens et d’astronomes82 ? Ce qui revient, on le voit, à mettre très directement en cause le système de l’esclavage à travers lequel, pour une large part, l’Islam de ce temps connaît les Noirs.
32Reflet ou refus des préjugés : la géographie arabe nous les offre tous les deux. Le thème ethnographique est courant et s’assortit de considérations climatiques, déjà notées83, ou astrales : même s’il y a plusieurs races de Noirs84, chacune d’elles, à l’exception de quelques Zanğ blancs peuplant des régions froides et inconnues85, est tributaire de la planète Saturne et de l’association Bélier-Cancer : leur action, que facilite un air chaud et sec fouetté par le soleil, « attire les humeurs dans la partie supérieure du corps », rompant l’équilibre général et engourdissant l’âme. Ainsi la chaleur ambiante ne fait-elle que renforcer, par un de ces contrastes dont la connaissance « sauvage »86 a le secret, le tempérament de Saturne, la planète noire, mais froide, dont les métaux sont le fer et le plomb87. De là ces traits physiques enregistrés par la tradition, et où se lisent concurremment les effets de la chaleur solaire et ceux de la pesanteur saturnienne : les yeux à fleur de tête, les lèvres pendantes, le nez aplati et lourd, les cheveux crépus, la noirceur extrême, le corps grêle et disproportionné, avec de trop longues jambes, la tête flasque et grosse, d’où une intelligence amoindrie dans son discernement, dans l’aptitude à élaborer des systèmes politiques, moraux ou religieux, dans le contrôle à exercer sur le comportement physique, dès lors disponible pour la brutalité, l’indolence, la lâcheté, l’avidité ou la turbulence, toutes choses qui, jointes à la laideur, éloignent le Noir du standard humain et le rapprochent de la bête88.
33Faut-il tenir l’anthropophagie pour un autre trait pertinent89 ? Elle est, à la vérité, trop rare dans nos textes, beaucoup plus rare, en tout cas, que la nudité90, celle-ci beaucoup moins importante, à son tour, que l’esclavage, ressenti comme un état ou une finalité de la race noire91. Sans doute cherche-t-on à s’en justifier obscurément, en rapprochant, comme il a été dit, le Noir de la bête ou — ce qui n’est qu’une variante — en invoquant l’absence d’organisation sociale : Ibn Hawqal92 esquisse une sorte d’anarchie africaine dont les Hudûd tirent les conclusions : les marchands musulmans ne sont pas seuls à prendre les jeunes Noirs, qu’ils châtrent avant de les importer en Egypte : les Noirs eux-mêmes les aident en se volant réciproquement leurs enfants pour les livrer à l’esclavage93. Ainsi va le monde d’alors : pour être plus discrets sur ce chapitre, nos textes n’en ont pas moins quelques résurgences significatives, quelques passage où se lit le triste et presque quotidien destin d’une Afrique que l’Orient, puis l’Occident, pour de longs siècles encore, marquent et marqueront du signe infamant de la servilité. Les Noirs fournissent, nous disent les Hudūd94, un grand nombre d’eunuques ; ils sont en Egypte, comme on vient de le voir, mais aussi, pour peu qu’on lise Ibn Hawqal par exemple, au Maġrib, en Sicile et en Orient95. Muqaddasī établit, lui, un classement des, valeurs96 : les meilleurs esclaves noirs ceux qui sont importés en Egypte, peut-être grâce aux Nubiens97 ; les pires, ceux qui viennent de Somalie et transitent par Aden ; les autres enfin, sans doute la catégorie moyenne, « ceux qui ressemblent aux Abyssins. » Quant aux Merveilles de l’Inde98, elles ont cette phrase, révélatrice de la brutalité des marchands : à un roi zanğ qu’ils enlèvent par traîtrise sur leur bateau, ils déclarent tout net qu’ils l’emmènent chez eux « pour le payer de ses bontés et répondre à tout ce qu’ils ont reçu de lui99. »
34Sans doute Massignon a-t-il raison de souligner que l’esclavage ne marque pas toujours, dans le contexte du temps, la fin de l’espérance : par la gestation (pour les femmes) ou la promotion sociale par l’homo-sexualité (pour les hommes), et, pour tous et surtout, par la conversion, les Noirs peuvent prétendre à l’émancipation100. Mais ne biaisons pas : l’esclavage reste le lot de la multitude, et il faut le prendre tel quel, ou le contester. On a vu comment Ğāḥiẓ aborde le problème, trop timidement sans doute aux yeux de notre xxe siècle. Mais enfin il l’aborde, sous la forme du thème de la défense des Noirs, corollaire d’une grande interrogation sur l’esclavage qui resterait, elle, à mi-chemin de la formulation101. Quelques échos de cette attitude se retrouvent chez nos auteurs. Mas‘ūdī et Ibrāhīm b. Waṣīf Šāh, dans son Abrégé des merveilles, reprennent à leur compte le motif de l’éloquence noire102. On reconnaît à l’Afrique l’existence de règlements coutumiers103, d’institutions sociales, religieuses et politiques104, de pratiques divinatoires105. Ibn Hawqal, enfin, laisse entendre que les traits physiques des Noirs et des Blancs sont interchangeables, à l’échelle de sept générations, pour peu que les habitats respectifs soient inversés106.
35Plus important encore : l’expérience vient renforcer les affirmations théoriques, et de la part de ceux-là mêmes qui ont pourtant l’habitude de traiter les Noirs comme des objets. Les marchands, dont on a dit plus haut la brutalité, doivent parfois se rendre à l’évidence et recevoir des leçons d’humanité de ceux qu’ils asservissent. Ce roi zanğ qu’ils ont emmené en esclavage, ils le retrouvent, quelques années après, sur son trône, et les tenant cette fois en son pouvoir. Stupeur, effroi, honte. Mais le roi ne se venge pas. Il leur conte son histoire : vendu en Oman, il suit à Basra son maître, qui l’initie à l’Islam. Revendu, le voici à Bagdad. Il s’échappe avec une caravane venue du Hurāsān, pour faire le pèlerinage de la Mekke. De là, avec une autre caravane, il passe en Égypte. « La grande mer d’eau douce qu’on appelle le Nil », et qu’on lui dit venir des pays zanğ, lui donne l’idée de remonter le fleuve vers le sud, en vivant d’aumônes. Deux fois, il est pris par des Noirs pour être vendu ; mais il s’enfuit et parviendra à rejoindre son pays, où le trône lui a été fidèlement gardé sur la foi des devins. Joie générale et conversion à l’Islam de toute la famille royale : on ne tient pas rigueur à la religion des fautes de ses adeptes.
36Le roi, pourtant, ne mâche pas ses mots aux marchands, traités de félons. Quand ils voudront se faire pardonner par un cadeau, il leur jettera à la face : « Je ne vous estime pas assez pour recevoir de vous ce présent ; je ne veux pas, en recevant quelque chose de vous, rendre illicite ce que je possède : car tout ce que vous possédez est impur devant la Loi. » Puis le roi passe à une prière : qu’on rende visite à son ancien maître bagdadien pour le dédommager de sa perte et reconnaître la patience dont il a fait preuve à l’égard de son esclave. Mais quoi ! Peut-on confier un dépôt à des fourbes fieffés ? Quoi qu’il en soit, dit le roi noblement, « j’ai connu un bonheur qui n’était échu à nul autre dans le pays des Zanğ, et je vous pardonne puisque c’est à vous que je dois d’être venu à la vraie religion... Dites aux Musulmans de venir chez nous, car maintenant nous voilà leurs frères, musulmans comme eux. » Et dé » conclure tout de même, par prudence et mépris : « Quant à vous accompagner à bord, je m’en abstiendrai107 »
37Si l’on songe que ce roi est réputé appartenir à une tribu d’anthropophages, on pourra mesurer le chemin parcouru par quelques consciences vers une reconnaissance des réalités africaines. Sans doute reste-t-elle modeste, fragmentaire, et s’exprime-t-elle à travers des notations isolées. Mais il est important que celles-ci existent, même et surtout dans les enjolivements du conte, lequel rehausse, pour le cas présent, la réalité dont il s’inpire. Telles quelles, elles nous invitent, en tout cas, à apporter les retouches nécessaires à l’image traditionnelle que l’Islam savant et commerçant, après l’antiquité, se faisait du continent noir.
Panorama des pays : émergence du Soudan occidental
38Nos textes, on l’a dit, sont tournés vers l’est de l’Afrique beaucoup plus que vers son Occident lointain, vers cette Afrique des « Noirs qui vont nus »108, au delà des sables du désert. Et pourtant, ces notations éparses sont loin d’être négligeables : après R. Mauny et T. Lewicki, J. Dévissé et J. Cuoq viennent de faire, à partir d’elles, une impressionnante moisson109.
39Un seul regret, avec une pointe d’envie : cette moisson ne profite guère qu’à l’histoire, économique surtout, et peu ou pas à l’étude des mentalités. Rien d’étonnant : mal connu, ce Soudan occidental émerge alors dans la connaissance musulmane pour des raisons essentiellement commerciales, qui ont nom routes du sel, de l’or ou des esclaves, et ce sont, d’abord, ces préoccupations que les auteurs traduisent dans leurs notes : politiquement engagés, les plus intéressants d’entre eux, les moins discrets, veulent faire œuvre utilitaire autant et plus qu’éducative, au sens le plus large du terme ; ils sont d’abord, pour cet Ouest africain, les représentants de puissances rivales : Fāṭimides d’Égypte pour Muhallabī et Ibn Hawqal, Umayyades d’Espagne pour Warrāq.
40Par Occident, il faut entendre ici tout le pays sub-saharien entre l’Atlantique et les approches de la haute vallée du Nil ; tout au long de cette zone, qui relève du premier climat, le plus méridional, l’Afrique constitue massivement, sur mille parasanges de long et autant de large110 le dernier front de toute vie humaine avant les solitudes absolues : « Le midi de la terre, écrit Ibn Hawqal, relève du pays des Noirs (as-Sūdān), qui se déploie à l’extrémité du Maġrib, le long de l’Océan. Sans contact aucun avec le moindre royaume, il a pour limites respectives l’Océan, le désert qui s’interpose du côté du Maġrib, un autre vers l’Egypte, par les Oasis, et un autre enfin, celui-là même dont nous avons dit que l’excès de chaleur y empêchait tout peuplement végétal ou humain111. »
41Certains auteurs s’essaient à la nomenclature des populations, villes ou royaumes de cette longue frange. Mas‘ūdī, par exemple, énumère sans ordre apparent, mais avec force incertitudes : Zaġāwa, Kānem, Gao (Kukū, Kawkaw), Qarāqir, Maranda, Marīs, Malanga (Malāna), Garamantes, Zawīla et Djerma112. Ainsi franchit-on allègrement les frontières et de la géographie — puisque Maris nous renvoie très à l’est : en l’espèce, à la Nubie septentrionale — et de l’ethnographie — puisque Garamantes, Zawīla et Djerma renvoient, eux, non pas à l’Afrique noire, mais au Fezzan berbère. Plus ambitieux, Ibn al-Faqīh113 tente une localisation dans le sens Ġāna-Égypte : Gao, Maranda, Marlāwa, oasis du désert libyen. Dans le même esprit114, Ibn Hawqal5 raffine encore par l’introduction des itinéraires :
42Carte en main, rendons-nous à l’évidence : ces itinéraires ambitieux, ces visions globales revêtent sans doute beaucoup d’intérêt, en tant que témoignages de l’attention que l’on commence à porter aux routes d’un trafic fructueux, mais ils ne coïncident que très imparfaitement avec les données de la terre soudanaise elle-même. C’est par une autre voie, me semble-t-il, que nous pouvons tirer des limbes une première physionomie de cette Afrique de l’ouest : par la nomenclature, et rien que par elle. En regroupant les noms que nous venons de citer, et en leur en adjoignant d’autres, épars, avec d es embryons d’itinéraires, dans les pages de nos auteurs, nous voyons finalement s’esquisser trois grands ensembles, tous reliés à ce monde saharien qui véhicule jusqu’à eux les marchandises, les intérêts et peut-être déjà, de place en place, la culture de l’Islam. La carte de la connaissance, disions-nous en commençant, ne progresse pas, ou très peu : hors de proportion, en tout cas, avec les distances couvertes ou les fréquences du trafic. Et c’est vrai : à nous de l’ébaucher, cette carte, en mettant un semblant d’ordre dans des données qui, pour l’essentiel, se consignent sur l’espace d’un siècle, entre le Livre des pays, de Ya’qūbī (276/889), et la Configuration de la terre, d’Ibn Hawqal (première version antérieure à 356/967, dernière vers 378/988).
43L’objection est attendue : pouvons-nous prétendre, une fois de plus, à traiter dans la synchronie des données qui ont une histoire, et une histoire singulièrement mouvante ? Sans doute les trois blocs soudanais que nous dégageons n’ont-ils pas, pris à une date quelconque, le même poids. Mais, pour s’en tenir à l’exemple révélateur d’Ibn Hawqal, pourquoi, si l’histoire a tant d’importance, ne traite-t-il pas celui-là seul des trois blocs vers lequel basculent, à son époque, les relations Afrique-Islam, je veux dire le bloc le plus occidental, et pourquoi parle-t-il aussi des deux autres115 ? Est-ce nous, ou les géographes arabes, qui travaillons dans la synchronie ?
44La distribution des trois ensembles s’articule, schématiquement, autour du Niger. A l’ouest, d’abord, une première zone, qui intervient en force dans l’histoire au ive/xe siècle116, se développe de part et d’autre du cours supérieur du fleuve, depuis les Damdam ou Damādim, au sud117, jusqu’à Kūġa118, Sāma119 et Ġarayū — derrière lequel se cache peut-être le Qarāqir de Mas‘ūdī120 —, jusqu’au Ġāna enfin, loin au nord de la rive gauche, riche d’or, puissant et démesuré : mille parasanges sur quatre-vingts121. Plus au nord encore, entre le Ġāna et le Maġrib, le pays est aux mains des tribus berbères, Ṣanhāğa notamment, dont certains se voilent le visage122. Ce sont elles qui tiennent les carrefours du commerce caravanier : Tamdult (Tamadalt), le pays des Lamta, aux extrémités du Sūs marocain, Olīl (Awlīl), la ville du sel, et surtout les deux emporiums nord et sud, Siğilmāsa et Awdaġost123. Ici, tout est chaleur, sable ou pierraille, dont seuls s’accommodent les épineux et le palmier sauvage. Heureusement, il y a les pluies d’été, qui permettent quelques cultures, et Awdaġost, « la ville entre les villes », le grand marché « où l’on vient de partout » : son prince, extrêmement puissant dès lors qu’il peut contrôler le trafic de l’or dans un sens, du sel dans l’autre, entretient avec ses voisins, Berbères ou États noirs, des relations guerrières ou paisibles. Un gagnant, à coup sûr : l’Islam, Ġāna compte une colonie musulmane, et les souverains Ṣanhāğa d’Awdaġost, donnés comme païens par Ya’qūbī, semblent avoir entraîné ensuite, si l’on en croit Muhallabī, leurs sujets dans la foi musulmane124.
45Le bilan, on le voit, est assez restreint. Sans doute une exploitation massive du texte de Bakrī pourrait-elle corriger quelque peu la tendance, dans la mesure où nous serions sûrs que les renseignements donnés remontent bien à l’époque qui nous intéresse, par l’intermédiaire du géographe maghrébin-andalou Warrāq, mort en 363/973. Mais Bakrī puise aussi, nous le savons, à des sources bien postérieures125. Pour les passages relatifs à cette Afrique sub-saharienne de l’ouest, Warrāq n’est cité qu’une fois126, à propos d’Awdaġost. Suivant la méthode de J. Dévissé, mais avec plus de réticences que lui127, nous avons attribué à Warrāq l’ensemble des informations composant la notice sur cette ville. Mais c’est peu de chose, au total, pour le sujet qui nous occupe : quelques lignes relatives à la ville, à sa population ou à son paysage, dont nous venons de tirer tout le profit possible, et encore avec l’aide de Ya’qūbī, Muhallabī et Ibn Hawqal ; certains renseignements sur la faune, les cultures ou le commerce, que l’on retrouvera plus loin, avec d’autres grappillés à divers auteurs, dans le cadre de développements concernant l’Afrique en son ensemble ; enfin, une notation et une anecdote qui semblent relever au moins autant de stéréotypes que de l’observation directe. La notation se réfère au thème général des miasmes africains128 : « Les habitants ont le teint pāle. Leurs principales maladies sont les fièvres et l’inflammation de la rate : personne qui ne soit atteint de l’une ou des autres129. » L’anecdote illustre le canon de la plastique féminine : « beau visage, teint clair, corps souple, seins bien droits, tailles fine, épaules larges, croupe abondante et vagin étroit qui procure autant de plaisir que celui d’une vierge. » Une de ces femmes est représentée comme « couchée, dans une attitude habituelle, sur le côté, pour n’avoir pas à s’asseoir sur les fesses : son jeune fils, en jouant avec elle, lui passe sous les hanches et ressort de l’autre côté, sans la forcer à bouger, tant elle a les reins cambrés et la croupe rebondie130. »
46Glissons vers l’est et le second groupe de pays : celui du moyen Niger. Un nom seulement131 : Gao. La ville nous est peinte comme extrêmement prospère et tenant sous son autorité les États qui l’entourent132. Elle est, nous dit Muhallabī133, sur le Niger134, qui la sépare en deux villes : sur la rive est, la ville proprement dite, Sarnāt, avec ses marchés où l’on vient d’un peu partout135 ; sur la rive ouest, la ville royale, enserrant elle-même le palais, où le souverain vit dans la seule compagnie d’un serviteur eunuque. La cité palatine a son oratoire réservé, mais, entre les deux villes, un lieu de prière accueille l’ensemble du peuple : l’Islam paraît bien implanté136. Le roi et les plus grands princes se vêtent de chemises, se coiffent de turbans et montent les chevaux à poil. Le pays tire sa richesse des troupeaux, et le sel alimente le trésor du roi. Quant aux Berbères du nord, ils ont nom, ici encore, Ṣanhāğa, mais, plus à l’est, Zénètes, la région de Tadmekka constituant, jusque dans la complexion des habitants, comme une transition entre le monde noir et le Sahara137. A noter aussi le Hoggar, où d’autres Berbères, Hawwāra ceux-là, ont bâti, autour d’une grande ville, Aksintilā, un puissant royaume vivant de commerce et d’agriculture138.
47Restent les pays à l’est du Niger et jusqu’au lac Tchad. Le nom qui domine ici est celui de Zaġāwa, à vingt jours de marche de la Nubie ennemie139 : par l’agriculture, l’élevage, le trafic des esclaves, le pays est riche, moins toutefois que Gao ; mais il est plus vaste : immense, nous dit-on, parmi tous les États du Soudan, et s’étendant sur quinze étapes dans les deux sens. L’Islam n’a pas encore touché la capitale, laquelle se compose en réalité de deux villes : Mānān et Tarāzkī140.
48A Zaġāwa est explicitement rattaché le pays de Kāwār, autour d’al-Balmā’, où l’Islam a pénétré141. Ajoutons-y quelques noms qui nous sont donnés sans plus d’explications : Kānem142, Maranda143, Mira et Maruwa144. Quant à l’avant-pays berbère, détenteur, ici encore, du trafic de l’or et des esclaves, c’est celui de la Libye médiane, depuis le Waddān jusqu’aux villes de la Cyrénaīque intérieure, Ağdābiya et Awğila, en passant par le Fezzan avec Zawīla et Djerma, où se lit le souvenir des Garamantes145.
Panorama des pays : les régions du haut Nil : la Nubie
49Cette lecture discontinue, dans le sens ouest-est, de la carte de l’Afrique occidentale invite à revenir sur un trait essentiel de cette géographie : les pays ne sont connus que comme points d’impact des pistes commerciales venant du nord et traversant le désert en des passages déterminés. Dès lors, quoi d’étonnant à ce que, les impératifs de la pénétration commerciale, religieuse et politique restant précisément les mêmes, la situation change radicalement pour les pays du haut Nil ? La pénétration nord-sud, en effet, prend ici le nom du fleuve et de lui seul146, et on la sent plus continue, plus sûre d’elle sur la carte, à la mesure, en un mot, de la voie royale qu’elle emprunte. Si, à l’ouest, les regroupements d’ethnies ou de royaumes ne font encore que s’ébaucher, à l’est au contraire, les textes distribuent le donné selon trois ensembles à peu près immuables : la Nubie, le pays bedja entre Nil et mer Rouge, l’Abyssinie enfin147.
50Autre différence : les préoccupations proprement politiques et stratégiques revêtent au moins autant d’importance que les soucis du commerce. A l’ouest, le désert constitue comme une frontière naturelle. Mais ici ? Où peut bien commencer l’Islam, sur les rives de ce fleuve inchangé qui se moque des sables ? Et si l’on peut plus facilement, grāce à lui, pénétrer chez l’étranger, comment se prémunir, en retour, contre la menace de ce même étranger, à l’affût lui aussi devant cette porte ouverte sur l’aventure et, de surcroît, maître d’une eau aussi vitale ? On l’a dit plus haut148 : une Egypte ambitieuse, celle des Fāṭimides, marque, avec Uswānī surtout, son intérêt pour l’amont du grand fleuve. Mais, bien avant elle149, une institution symbolise cette vigilance inquiète de l’Islam : le pacte (baqt) qui règle le tribut payé par les Nubiens pour prix de la paix150. Ce traité n’est qu’un épisode des relations difficiles que l’Islam égyptien entretient avec ses voisins du nord : au mieux, une sorte de paix mal acceptée, précaire, et, de toute façon, une situation d’exception : en dehors de ceux qui, bon gré mal gré, l’acceptent, il n’y a guère sur le Nil, écrit Ibn Hurdādbeh, que des ennemis de l’Islam151. Le traité, qui suspend un état de guerre larvée ou ouverte, touche essentiellement les Nubiens, mais parfois aussi les Bedja152. Le mot même de baqt semble référer surtout à la clause originale de la remise d’esclaves153 provenant de campagnes militaires.
51Le chiffre officiel est de 360 personnes, hommes et femmes, mais tous adultes. Certaines fois, la pratique réduit le chiffre à quarante : indice de résistances qui s’amplifient parfois au point de contraindre l’Islam à accepter que le tribut ne soit remis que tous les trois ans. Au reste celui-ci n’est-il qu’une clause parmi d’autres de la convention, laquelle prévoit par ailleurs le paiement de taxes ou d’impôts, en nature ou en espèces, la livraison d’otages, la fondation de mosquées, le droit de libre accès aux mines pour l’Islam, des facilités de circulation pour ses commerçants, la limitation, en revanche, des déplacements des étrangers en Haute-Égypte, et parfois même la reconnaissance de l’autorité califienne. De son côté, l’Islam assure un approvisionnement en vivres, notamment au cas de disette, ou en d’autres denrées154.
52La Nubie (fig. 23), comme aussi le pays bedja, est séparée de la Haute-Égypte (Sa’īd), sur dix jours de marche, par un désert qui cache des mines d’or, la région d’Assouan constituant une sorte de marche (tahm) de l’Islam155. D’autres auteurs fixent la limite exacte : elle se situerait, sur le fleuve, près de Philae (Bilāq), à cette articulation majeure de la première cataracte, où viennent se remettre le tribut, dans un sens, et, dans l’autre, cesser la batellerie égyptienne. Nom et site sont symboliques : la bourgade-frontière, qui abrite une importante colonie musulmane, s’appelle al-Qasr (le Château), et la limite entre les deux mondes en présence y est établie, de façon plus précise encore, à un édifice composite, mosquée en haut, église en dessous156. Mais sitôt quitté le fleuve, la Nubie ne connaît pour frontière que le désert : au nord-ouest, vers les Oasis égyptiennes ; à l’est, vers le pays bedja ; au sud enfin, vers l’Abyssinie ou le sable infini marquant la limite du monde habité157.
53La Nubie est un bastion de la chrétienté : les Hudûd al-’ālam illustrent le thème en affirmant que, dès la mort d’un des dix milles moines peuplant les monastères, un chrétien de Haute-Égypte vient le remplacer158. Le pays est vaste, plus vaste que l’Abyssinie : il s’étend sur cinq mois de marche et prend plus d’ampleur au fur et à mesure qu’on remonte vers le sud159. Pays riche aussi : les auteurs soulignent tout ce qu’il doit au Nil, et la densité de la mise en valeur vers l’amont160. Pays profond, par conséquent, qui puise ses ressources, on le pressent, de ce lointain midi dont lui viendra éventuellement, par ondes qu’on dirait successives, l’unité politique161.
54Car la Nubie n’est pas un pays, mais trois, que la géographie distingue assez bien. Au nord, en venant de l’Égypte, entre les première et troisième cataractes, c’est le pays de Maris (du Sud, en copte), d’où vient souffler sur la basse vallée du fleuve ce vent qu’elle appelle marīsī. Autour de la capitale, Baẖurās (Pakoras), le pays, islamisé sur ses marges septentrionales, « est une contrée étroite, aride, très montagneuse et qui ne s’étend qu’à une petite distance du Nil, sur les rives duquel s’alignent les villages. » Les cultures, que dominent les palmiers, vont ensuite s’évasant vers l’amont. Partout, le fleuve impose sa marque : encaissé, il oblige les hommes à des prouesses hydrauliques. Mais quelle récompense sur le désert, que ces récoltes multipliées dans l’année et cette eau omniprésente162 ! Avec la seconde cataracte, toutefois, un peu en amont de Baqwa, l’austérité du paysage s’accentue : « les montagnes se resserrent tellement qu’elles font au fleuve un barrage, tant et si bien qu’il coule dans des défilés et se rétrécit parfois jusqu’à n’avoir que cinquante coudée de large. Le pays qui le borde n’est que solitude et montagnes escarpées ; les chemins y sont si étroits qu’un cavalier ne peut les gravir, ni un piéton les emprunter s’il n’est pas résistant... Ces montagnes constituent une forteresse naturelle pour la population, un refuge pour les habitants de la région située plus au nord, en bordure des territoires musulmans. Les îles abritent quelques palmiers et de misérables cultures. » Ainsi débutent les régions dites du Maqs al-A’lā (M. Supérieur), avec la ville-évêché de Sāy, puis de Saqlūdā. L’ensemble de ce Marīs fortement individualisé — il parle une langue originale — et chargé d’histoire comme en témoignent ses vestiges monumentaux, relève du pays voisin, le Maqurra, dont le roi est représenté par un gouverneur à poigne163.
55Ce second pays nubien, c’est d’abord une capitale puissante : Dongola, à cinquante étapes d’Assouan. Un vaste territoire aussi : deux mois de marche. Un pays jaloux de son autorité, au pouvoir ombrageux, dissimulé, dont la force, contre ses ennemis, lui vient du secret et de la surprise. Un ensemble bien individualisé aussi : sa langue, sa race sont différentes de celles du Marīs, contre lequel il a mené la lutte jusqu’à l’arrivée du christianisme, et qu’il a fini, on l’a vu, par soumettre. Le Maqurra commence à Bastū, village qui marque la limite avec le Marīs, un peu en amont de la troisième cataracte, la plus difficile. Le Nil franchit ici la barrière montagneuse par trois passes, dont l’une ne donne qu’en période de crues. Les eaux se précipitent en grand fracas du haut de la montagne : « spectacle étonnant », conclut Uswānī, et de noter ensuite, à sa façon, l’immense boucle que le Nil décrit au delà, sur tout le territoire maqurra : « celui qui remonte le fleuve ne sait plus s’il va vers l’aval ou vers l’amont164. » Le relief, qui force le fleuve à ces tergiversations ou à ces assauts, s’impose aussi à l’onomastique : cette Nubie moyenne est dite pays des Montagnards, et son souverain Seigneur de la Montagne165. Ici encore, le Nil est synonyme de vie : passé les cataractes, la vallée, qui peut s’étaler sur cinq étapes de marche, est un paysage d’enchantement : « le fleuve est coupé d’îles entre lesquelles coulent ses différents bras, le long de berges en pente douce où l’on voit une suite ininterrompue de villages, de belles habitations avec des colombiers, du bétail et des troupeaux... Le roi prend la plupart de ses divertissements dans cette région. Un jour, poursuit Uswānī, j’eus l’occasion de l’accompagner et nous voguions sur des canaux étroits, à l’ombre des arbres qui couvrent les deux rives. » Et pour que rien ne manque à ce tableau idyllique : « on dit que les crocodiles ne sont pas malfaisants dans cette contrée, et souvent, j’ai vu les habitants traverser les canaux à la nage166. »
56Tout comme il y a, traduite par la politique, interpénétration du Marīs et du Maqurra, de même le Maqurra est-il en relation avec le troisième pays nubien, le plus méridional : celui de ‘Alwa (Alwodia), qui s’étend sur deux ou trois mois de marche. Que ‘Alwa ait soumis Maqurra ou que Dongola, en revanche, soit donnée comme la capitale de la Nubie entière, importe moins, pour notre analyse, que cette perception, à travers une histoire vraie ou hésitante, d’une unité du pays nubien au delà de ses différences, et que ce sentiment, comme nous le disions plus haut, d’une profondeur, d’une spécificité qui s’accroissent en allant vers le sud167. Plus riche et plus christianisé que les autres, tel apparaît le royaume de ‘Alwa : il est en relation avec le patriarcat d’Alexandrie, il détient des mines d’or dont il garde jalousement le secret ; nanti de cités opulentes, pratiquant largement l’agriculture et l’élevage, il fait belle figure dans nos textes : « la Nubie la plus prospère, écrit Ibn Hawqal, celle de ‘Alwa, voit une suite ininterrompue de villages et un lacis de cultures tel, que le voyageur traverse, dans la même étape, une série de bourgades dont les limites se touchent, avec de l’eau venue du Nil par des canaux168. »
57Ici, en amont de la cinquième cataracte, ce n’est plus le pays du Nil, mais des Nils. Deux villes émergent de la nomenclature : al-Abwāb (les Portes), au confluent Nil-Atbara, marque le début du pays : un gouverneur y représente l’autorité du roi, lequel réside dans la capitale, Sūba, près du confluent du Nil Blanc et du Nil « Vert »169. Progresser plus avant dans la nomenclature comporte quelque risque. C’est elle, elle très précisément, qui brouille les données du système nilotique chez Ibn Hawqal, alors que, chez Uswānī, son effacement même contribue à rapprocher la carte de la réalité170. Mais quoi ! Il nous faut suivre, et d’autant plus impérativement qu’Ibn Hawqal a voulu lier, pour cette haute Nubie, la géographie des hommes à celle des cours d’eau.
58Un premier ensemble171 regroupe le pays de deux rivières appelées Sansābī et D(u)ğn. La première étant donnée comme un affluent du Nil, je serais tenté d’y voir l’Atbara, la seconde pouvant renvoyer au système Takazzé-Setit172. Le pays est « une succession de villages, avec des cours d’eau, des forêts, des champs et du bétail. » En réalité, comme on le dira un peu plus loin, c’est une région frontière entre la Nubie et les Bedja. En amont, « dans la partie supérieure du pays de ‘Alwa », deux autres affluents du Nil — sous son nom de « fleuve de Sūba », c’est-à-dire le Nil Bleu (ou Vert) — pourraient être le Rahad et le Dinder : Ibn Hawqal les nomme respectivement Or et Atamtī. C’est le pays de peuplades qualifiées de nubiennes, les Maranka et les Kursī173. Vers l’ouest enfin s’étalent les pays du Nil Blanc, sur les rives duquel sont installées d’autres populations nubiennes. Entre le Nil Blanc, dont le bassin s’étendrait vers l’Occident, et « le bras principal du fleuve », c’est-à-dire le Nil Bleu, s’enserre une immense « presqu’île » (gazīra), habitée par des Kursī et autres peuples inaccessibles, sans parler des bêtes fauves174. Uswānī vient ici relayer Ibn Hawqal et lācher un peu la bride à la fable : le roi de ‘Alwa se serait aventuré, pendant plusieurs années de marche et sans en voir la fin, dans ce pays du bout du monde, n’y trouvant rien que des hommes nus, forcés par le soleil à vivre sous terre, en même temps que des troupeaux qui ne peuvent paître que la nuit175.
59Mais sommes-nous encore en Nubie ? Rien qu’au vêtement des Kursī, le zifāl, pièce de peau passée entre les cuisses176, on devinerait qu’il s’agit déjà d’une autre Afrique, celle que nos auteurs désignent sous les noms vagues d’Abyssinie ou de Zanğ. C’est bien eux, en effet, qu’ībn Hawqal donne comme voisins, vers le sud et le sud-est, à la haute Nubie177. Encore est-ce là noms — à défaut de pays — connus. Mais que dire de confins comme Tublī, qui représentent, au delà des Kursī, « l’extrême limite du pays de ‘Alwa sur le Nil », mais dont les habitants, nus, vivent absolument à l’écart, sans aucun contact avec les régions voisines178 ?
60A l’ouest du Nil, au contraire, on retombe en pays de connaissance : entre le royaume de ‘Alwa et la Nubie moyenne des Montagnards, cinq jours de marche, dont trois dans le désert absolu, mènent au pays d’Amqul, que peuplent les Aḥadiyyūn179, chrétiens et vassaux du roi de ‘Alwa. Dans ce pays vaste, aux populations et aux langues très diversifiées, riche de mines d’or et de fer, l’influence « maghrébine » est forte, pour le vêtement et les armes surtout180. Vers l’est enfin, Nubie et pays bedja s’inter-pénétrent. Sur la rive droite du Nil, le pays de Sanqīr, qui borde le Maqurra, est occupé par des Bedja appelés Zanāfiğ. Émigrés au pays nubien, ceux-là ont conservé leur langue et leur vie pastorale, à l’écart des villages autochtones. Seule concession : leur prince fait acte d’allégeance au suzerain du Maqurra181. Plus au sud, mais toujours sur ce revers oriental, les pays et populations de l’Atbara, regroupés autour de Taflīn, semblent bien, qui par la religion musulmane, qui par le genre de vie, pastoral ou commerçant, qui par la langue arabe, qui par le refus déclaré de toute autorité extérieure, échapper à la Nubie réelle : et du reste, la description d’une de ces peuplades de l’Atbara, celle des Bāzīn, est-elle reprise, par le même Ibn Hawqal, dans le contexte du pays bedja : plus précisément, de celui que recoupe, à l’est de l’Atbara et selon une direction sensiblement parallèle, la dépression du Baraka, à cheval sur l’Erythrée et le Soudan actuels182.
Panorama des pays : les régions du haut Nil : les Bedja et l’Abyssinie
61Les Bedja183 sont voués au désert comme la Nubie l’est au Nil. Les deux pays commencent au même point, à cette première cataracte qui, en amont d’Assouan, marque le terme de l’Égypte184. Mais ils divergent ensuite, et pas seulement sur la carte : la compacité nubienne, faite de royaumes bien structurés, d’un christianisme puissant et d’une agriculture appuyée sur le fleuve, repousse, vers les horizons inhospitaliers du désert et de la mer Rouge, un pays bedja qui apparaît, lui, comme un agrégat de tribus, mobiles à l’image des pâtures et travaillées par l’immigration arabe et par l’Islam.
62Le désert, le désert partout : à l’est, au sud, à l’ouest et au nord, disent les Hudûd al-’ālam, qui s’embrouillent un peu dans tous ces sables et font valser avec eux les pays185. Dans l’ensemble toutefois, l’aire bedja est bien localisée, comme une « étroite et longue » bande entre Nil et mer Rouge, depuis la Haute-Égypte jusqu’aux approches de l’Abyssinie186. Plus que le fleuve, tenu par les Nubiens, c’est la mer, à l’est, qui donne l’échelle de l’occupation en latitude, et comme une toise de la grandeur bedja. Leur terre commence au-dessous de la « Côte des Tortues », pays sans foi ni loi, « où le fils ne connaît pas son père187. » De là, on descend vers ‘Ayḏāb, Sawākin, le pays de Massaoua (Bāḍi‘), qui fait face aux îles Dahlak, et même les parages de la moderne Djibouti, puisqu’Ibn Hawqal étend l’habitat des Bedja « jusqu’en face d’Aden », faisant de Zayla’ leur port d’embarquement pour le Hedjaz et le Yémen188.
63Le pays bedja s’articule sur deux dorsales, l’une septentrionale, de direction ouest-est, l’autre, méridionale, de direction sud-nord. La première relie le Nil et la mer Rouge : c’est l’échelle caravanière qui, depuis le pays de Qus et de Qift, en Haute-Égypte, mène, par les mines du Wād ! ‘Allāqī, au port de ‘Ayḏāb, donné lui aussi comme transitaire du trafic avec le Yémen et le Hedjaz189. L’autre dorsale, déjà citée, est, à parler plus justement, une dépression, comme le signale Ibn Hawqal190 : celle du Baraka, qui dévale des plateaux de l’Erythrée, plein nord vers la mer Rouge, entre Sawākin et le pays de Massaoua191.
64Stratégiquement installés sur les voies qui relient le haut pays nilotique à la mer192, ces Bedja sont beaucoup plus fuyants, en revanche, sur la carte des ethnies. Qui sont-ils, à la fin ? Des Musulmans, au plein sens du terme ? Mais Ibrāhīm b. Waṣīf Šāh est le seul à oser dire qu’ils forment la dernière province de l’Islam193. Des Abyssins ? Mais Ibn Hawqal hésite sur ce point, à quelque cent pages d’intervalle194. Alors ? Uswānī est le premier à entrevoir une explication plausible, lorsqu’il nous donne les Bedja pour berbères195 : sans ouvrir le vain débat ethnique, constatons, en nous fondant sur la linguistique et elle seule, que la démarche d’Uswānī recouvre finalement deux opérations : en associant le bedja et le berbère, on évoque, à l’intérieur de la famille chamito-sémitique, les deux groupes du couchitique et du libyco-berbère, c’est-à-dire tout un pan d’humanité distinct du groupe sémitique proprement dit, et donc de l’arabe196. Mais aussi, en récusant d’avance le mythe d’un isolement bedja à l’intérieur de tout ce qui n’est pas sémitique au sens strict, on laisse la porte ouverte à d’autres associations, moins formulées peut-être, mais non moins tentantes : quand Ibn Hawqal propose, avec les palinodies qu’on a dites, d’étendre l’aire bedja jusqu’en face d’Aden, il ne fait pas autre chose que proposer, sous toutes réserves, d’entendre, sous ce terme unique de bedja, et les Bedja et les Danqalī, tous effectivement réunis dans le même groupe couchitique197.
65Ces hésitations dans les classements pourraient bien finalement révéler ce qui reste la grande réalité, la grande certitude du pays bedja, à savoir son éminente position de carrefour de routes198 et d’ethnies : tout cela fait un peuple non pas nubien, mais sédentarisé parfois au contact de la Nubie199 ; non pas abyssin, mais voisin tout de même de l’Abyssinie ; non pas arabe enfin, mais quelque peu arabisé — et islamisé. Sur ce dernier point, les auteurs fournissent quelques indications intéressantes. Lorsque Muhallabī déclare200 qu’on se rend chez les Bedja à partir de ‘Allāqī, il laisse entendre que cette région cruciale des mines d’or et d’émeraude est assez fortement touchée par l’Islam. Et c’est vrai : on a vu plus haut ce qu’en dit, avec moins de nuances, Ibrāhīm b. Waṣīf Šāh. Plus explicites encore Mas‘ūdī, Ibn Hawqal et Uswānī201, qui insistent sur l’occupation progressive du pays des mines de ‘Ayḏāb par des tribus arabes de Rabī’a, alliées aux Bedja qui leur permettent de soumettre d’autres tribus de Mudar et de Qaḥṭān : au total, une force de 33 000 hommes montés, sur chevaux ou dromadaires ; une force partiellement islamisée, liée au reste du monde musulman par les termes du tribut (baqt)202, et guerroyant, au bout du compte, contre la Nubie chrétienne.
66La pénétration arabe en pays bedja, qui a touché notamment la région vitale des mines, s’est opérée sur un mode progressif et pacifique, à grands coups de mariages mixtes203. Mais l’assimilation ethnique et politique a tout de même, semble-t-il, marqué plus de points que la conversion religieuse. Les Bedja sont païens, à l’exception d’une tribu islamisée, celle des Ḥadārib, déclare Mas‘ūdī204. Point du tout, rétorque Ibn Hawqal, qui vient après lui : ces Ḥadārib sont chrétiens, convertis peut-être, mais alors en surface. Et quant à d’autres prétendus Musulmans, ils ont gardé, sous le vernis de l’Islam, leurs pratiques païennes. Ainsi l’Islam « est-il tombé malade », et n’est-il plus qu’un « nom »205. « Exsangue », dit encore, à son propos, Uswānī206.
67Mais peut-être a-t-il joué son principal rôle dans cette assimilation dont nous parlions un peu plus haut. Et si elle lui doit une part de ses succès, peut-on parler d’un Islam faible ? En fait, même formelle, son existence a pu contribuer à doter ces tribus d’une apparence de sens communautaire, si précaire, si occasionnel soit-il : reprenant le texte d’Iṣṭaẖrī, qui dit que les Ḥadārib « vivent dispersés », Ibn Hawqal y ajoute ces mots essentiels : « ou en groupes unis »207 : preuve que, déjà, un processus est en marche, qui s’accélérera aux siècles suivants208.
68Rien d’étonnant à cette esquisse de rapprochement du monde bedja et de l’Islam arabe : entre les deux rives de la mer Rouge se perçoit une sorte de fraternité latente. La description du pays bedja fait voisiner ce qui, pour une mentalité arabo-musulmane, constitue autant de traits aberrants, avec d’autres où l’Arabie se retrouve209 : « un morceau de Yémen » en terre d’Afrique, dit Ibn al-Faqīh210. D’un côté, des hommes qui mutilent leurs enfants et suivent un système résolument matriarcal211, de l’autre un peuple accroché, tant qu’il le peut, au nomadisme et au désert ; un peuple qui « suit l’herbe » et transhume de la mer aux vallées intérieures ; un peuple, enfin, qui, pas plus que l’Arabie, ne vivrait sans le chameau, véhicule de la guerre et de la course, sacrifice toujours prêt pour l’hôte qu’une folle prodigalité se doit d’honorer212.
69Trois tribus émergent de la nomenclature d’Uswānī213 : les Ḥadārib, superficiellement islamisés, comme on l’a dit, tiennent en lisière les Zanāfiğ, ces derniers constituant, à la vérité, moins une tribu qu’une classe soumise : ils paient un droit de protection aux princes Ḥadārib, qui se transmettent de l’un à l’autre, par voie d’héritage, leur contingent de population assujettie214. Quant aux tribus de l’intérieur (dāhila), résolument paīennes et même adoratrices de Satan, elles peuplent le désert du pays de ‘Alwa, « de la mer salée aux approches de l’Abyssinie » : faut-il penser, ici encore, aux Danqalī215 ?
70Ibn Hawqal, quant à lui, ébauche une répartition territoriale des tribus selon quatre secteurs principaux. Le groupe le plus important, installé dans la région des mines avec les tribus arabes immigrées, semble bien être, une fois de plus, celui des Ḥadārib. Il est le seul dont on nous cite les divers clans : ‘Arītīka, Sūtbarū, Hūtama, ‘Ankabīrā, Nağrīrū, Ğanītīka, Wāẖīka et Ḥarbīb, ces deux derniers fondus en un seul. Autre indice de la puissance des Ḥadārib : ils tiennent sous leur autorité les populations côtières de la région de Sawākin : Raqābāt et Ḥandībāt. Plus au sud, en allant vers la dépression du Baraka, un autre secteur du pays bedja abrite les Bīwātika, perdus dans l’immensité du désert. Puis viennent, dans la région du Baraka proprement dit, les Kadbam (ou ‘Ağāt), les Ğāsa, installés sur la côte, et enfin, en tirant vers la Nubie, les Bāriya et les Bāzīn, déjà cités. Plus au sud encore, entre le Baraka et le pays de Massaoua (Bāḍi‘), quatrième et dernier habitat, celui des tribus dites « de l’intérieur », appellation qui semblerait recouper celle d’Uswānī : ici vivent les Mātīn, les Duhra, les Sītrāb, les Ġarkāy, les Duhunt et surtout les Qaṣ‘a, les plus puissants de tous216.
71Résumons ce pays bedja : une lanière de terre entre mer et Nil ; un carrefour entre Haute-Égypte, Nubie et Abyssinie ; une mosaïque de tribus à qui l’on cherche et une unité interne et une ressemblance avec cette Arabie qui dépêche ici quelques-uns de ses fds ; un désert enfin, mais un désert tout rehaussé d’or et de pierreries217, et vital pour le commerce des deux côtés de la mer Rouge : un désert, donc, fouillé et parcouru. En somme, chez les Bedja comme en Nubie, on est en pays de demi-connaissance. Mais que dire alors de l’Abyssinie lointaine, tout entière logée dans ce premier climat218 qui constitue le bout du monde de l’hémisphère nord ? Sans doute lui rattache-t-on parfois des terres moins inaccessibles : le même Ibn Hawqal qui étend le pays bedja jusqu’en face d’Aden hésite et, renversant le sablier des pénétrations, pousse la mouvance abyssine très loin vers le nord, jusqu’à ‘Ayḏāb219, soit sur toute la moitié méridionale de la côte ouest de la mer Rouge. Ainsi avait déjà fait Mas‘ūdī, avec plus de discrétion, il est vrai, et en insistant sur la désolation de ces rivages220.
72Mais l’Abyssinie véritable, celle dont on rappelle à l’occasion les rapports passés et présents avec l’Arabie221, est localisée bien au delà, comme mordant sur le pays des Zanğ et participant du fabuleux face-à-face de l’Afrique et de l’Extrême-Orient222. C’est un pays « sans fin », dont la spécificité, toutefois, se perçoit assez bien223 : il a une capitale, Ankober224, et une reine qui le dirigerait, au temps d’Ibn Hawqal225, depuis une trentaine d’années. Mais cette dernière notation reste isolée, la tendance générale étant au rappel du souverain traditionnel, le Négus (an-Nağāši), un des rois de ce monde226, et un roi chrétien227.
73Finalement, c’est bien l’Abyssinie qui apparaît comme le pays-charnière de l’Afrique, puisqu’elle touche à tout le monde noir : les Zanğ, mais aussi les Bedja, la Nubie et même l’Afrique soudanaise de l’ouest, jusqu’à l’Atlantique, le territoire abyssin recouvrant ainsi une notable part de l’Éthiopie antique228. La voilà donc, cette Abyssinie, pour reprendre l’image esquissée plus haut229, à cheval sur les deux branches du chevron africain, par l’effet d’une confusion que facilitent et les incertitudes du système Nil-Niger230 et l’hypothèse de la grande flèche sableuse joignant à leur extrémité les deux branches du chevron231. De quelque côté qu’on l’envisage, elle est comme la citadelle de l’Afrique profonde et dérobée : au bout des pays soudanais, pour qui regarde depuis l’ouest, au fin fond de la vallée du Nil, pour qui rêve, depuis le nord, aux sources du fleuve, au delà du pays zanğ, enfin, pour ces commerçants qui s’affairent sur les côtes de l’océan Indien.
Panorama des pays : les Zanğ de l’océan Indien
74Par bilād az-Zanğ, ou Zanğistān232, la géographie arabe entend les pays riverains de l’océan Indien occidental, depuis le golfe d’Aden jusqu’aux parages du Mozambique, pays qu’elle regroupe sous un unique vocable référant aux populations de langue bantou233. C’est une Afrique côtière, donc, étirée, sans profondeur aucune, sporadique, connue seulement d’escale en escale ; et ce n’est pas à la terre qu’il faut demander compte des dimensions et des limites du pays, mais à la mer : courant parallèlement à un rivage trop souvent vu en pointillé, seule la navigation permet d’établir une échelle continue des distances234.
75Depuis l’Oman jusqu’à Zanzibar, nous dit Mas‘ūdī235, les marins comptent, « par simple conjecture et non par estimation rigoureuse », cinq cents parasanges236, soit environ 2 900 km : chiffre peu satisfaisant, puisque se situant à quelque 1 000 km en deçà de la réalité ; plus satisfaisant, en tout cas, que celui que donne, dans un autre passage, le même Mas‘ūdī237, qui étend le pays des Zanğ sur 7 600 X 500 parasanges. C’est ici le lieu de se rappeler, une fois de plus, que l’Afrique orientale et australe, celle de l’Abyssinie et des Zanğ, tourne vers l’est, selon les conceptions héritées de la géographie ptoléméenne, pour faire face à l’Inde et à la Chine238.
76Pays mal connu, que la géographie ne fait qu’égratigner, à partir d’une mer qui, on l’a dit239, a mauvaise réputation, l’Afrique orientale et australe n’est qu’une série de points sur un rivage festonné240. Au delà des baies ou des villes, le brouillard qui recouvre un hinterland pressenti ou imaginé241 s’épaissit en allant du nord au sud. Avec le « pays de Berbera », qui recouvre l’essentiel de la Somalie actuelle, les choses restent encore à demi claires, même si ces lueurs, il faut y insister, viennent surtout de la mer. La pièce essentielle de la nomenclature est en effet un golfe : celui que la géographie disait alors, justement, de Berbera242, et, aujourd’hui, d’Aden. C’est la mer aussi qui fournit les itinéraires243, elle qui assure le refuge contre les atrocités qui se commettent sur les côtes244, elle qui dessine, sous sa forme de presqu’île245, la configuration générale du pays, de ce doigt africain si éloquemment pointé vers l’Inde246, mais en même temps si bien accordé à l’Arabie toute proche que Hamdānī247 déclare les deux rivages du golfe coupés par la terre et soudés par la mer.
77La mer ! Elle seule sonne clair, sonne proche dans nos textes : « Les marins de l’Oman disent que les vagues ressemblent ici à de hautes montagnes, et ils les appellent vagues aveugles, car après s’être enflées comme de gigantesques monts, elles se creusent en vallées profondes, mais sans se briser ni se couvrir d’écume comme elles le font ailleurs : vagues démoniaques, disent ces marins... et quand, le large gagné, ils montent et descendent sur cette mer agitée, ils cadencent leurs manœuvres de ce chant :
Berbera et Hafunā,
Ô pays de vagues folles !
Berbera et Hafunā,
Ô les vagues que voilà248 ! »
78La mer encore, en filigrane, dès qu’il s’agit de parler terre : non pas des terres en effet, mais des caps ou un littoral ; non pas des villes, mais des ports. Au plus près d’Aden, voici Zayla’, tête du transit maritime vers le Hedjaz et le Yémen, incluse, disent certains, dans la mouvance du Négus et même siège du commandant en chef de son armée ; mais cette dernière notation est isolée, et Mas‘ūdī ou ibn Hawqal semblent bien hésitants sur l’appartenance de cette région : elle est finalement, sur le vu de ces hésitations mêmes, au carrefour des aires bedja, abyssine et somali249.
79Plus d’hésitation, en revanche, dès qu’on passe à la ville de Berbera250, puis, plus à l’est, à la corne du continent africain, à ce cap Hafūnā dont le nom, perpétuant le souvenir de l’ancienne contrée d’Opone, vient concurrencer encore celui de Berbera251. Mais ce ne sont là que des noms, concédés par une géographie trop discrète, et il en est un au moins de fort incertain : cette Nağa dont Idrīsī fera plus tard l’extrême limite du pays de Berbera, dans les parages de Mogadiscio, a-t-elle quelque chose à voir avec l’île de même nom qu’Ibn Hawqal localise, lui, « en face des cantons d’Aden »252. ? On le voit, les choses se brouillent dès qu’on s’engage franchement dans l’océan Indien. Mais avant que de poursuivre, jetons un dernier regard sur cette Somalie. Nous sommes déjà presque chez les Zanğ253 et, comme en toute cette Afrique orientale dont « le sol n’est que mines d’or », le métal précieux abonde254. Pourtant, le vrai pays zanğ ne commence qu’au delà : ici, en Somalie, nous rencontrons encore des Abyssins255, et Mas‘ūdī tient beaucoup, par ailleurs, à lever une incertitude : ne confondons pas, nous dit-il256, Berbera et Berbérie, qui n’ont de commun que le nom. On peut deviner qui il vise : Abū Zayd as-Sīrāfī, dont il s’inspire à l’occasion, fait de toute la côte occidentale de la mer Rouge le pays des Barbar (Berbères)257 : preuve, donc, que tous ces pays, bedja et somali, sont bien sentis, à l’occasion, comme proches les uns des autres258 et globalement distincts d’une Afrique profonde : celle d’Abyssinie, qui vient se manifester chez eux pour des raisons économiques, et celle des Zanğ proprement dits259 auxquels nous arrivons maintenant.
80Au sud de l’équateur, là où il faut bien s’attendre, selon l’autorité de Ptolémée, à trouver la même race noire qu’immédiatement au nord260, la toponymie se dissout dans les brumes. Melinde ? A peine nous l’indique-t-on comme visitée des marchands, sur le rivage : la mer, toujours la mer261. Reste Sofāla, mieux partagée, mais au bénéfice du légendaire262 : à 20° de latitude sud, là même où doit s’achever, pour Ptolémée encore263, toute vie sub-équatoriale, Sofāla marque en effet, en même temps que le terme de la navigation musulmane et malaise264, celui de tous les pays zanğ : elle est comme l’éperon265 pointé vers le bout du monde, le finisterre où règne le roi des Zanğ et où des hommes affreux, mangeurs d’autres hommes, côtoient les monstres de la terre et de l’air.
81Au delà de Sofāla, mais vers l’est, commence le pays du Wāq-Wāq, tout ensemble midi et orient mythiques, terre « de l’or et de mille merveilles »266 : c’est derrière ce nom, plus que dans l’énigmatique graphie Hwfl des Ḥudūd, qu’il faut rechercher la silhouette pressentie et confuse de Madagascar267. Rien n’indique, en tout cas, qu’une grande île soit connue, vraiment connue, en ces parages, et Dieu sait pourtant si ce qui est mer, ou en mer, le dispute ici encore, sous la plume de nos auteurs, à une terre incertaine ! Mas‘ūdī par exemple, qui navigue plusieurs fois au large de ces côtes africaines268, signale l’embouchure d’un fleuve important qui serait une branche du Nil. Qu’il se trompe sur l’origine de cette eau douce courant jusque dans la mer, c’est évident. Mais pourquoi ne pas y reconnaître, nous, quelque fleuve du Kenya ou de Tanzanie, et même le Zambèze269 ?
82Mais voici un autre signe de l’intérêt porté aux choses de la mer : le thème des îles, globalement considérées ou prises une à une. Connues, inconnues, « il y a de grandes îles au pays zanğ, et l’eau y coule avec violence »270. Au plus loin sur la mer, à six jours de voile, sur la route hauturière de l’Afrique à l’Extrême-Orient, il en est tout un groupe, auquel Ibrāhīm b. Waṣīf Šāh se hasarde à donner un nom, celui de Kerk : Amirantes ? Seychelles271 ? Plus près des rivages, en tout cas, deux grandes îles coupent la route des navires venus du golfe Persique et de la mer Rouge. Et d’abord Socotra, l’île de Berbera, l’île des palmiers, de l’ambre et surtout de l’aloès, exporté jusqu’en Chine où l’on en embaume les dépouilles des rois. Vaste, très vaste puisqu’on lui donne 80 parasanges de long (soit l’équivalent de 450 km, pour une réalité de 150), elle abrite une population nombreuse, colons grecs de Stagyre transplantés là par Alexandre sur les conseils d’Aristote, à moins que ce ne fût par Chosroès ; acquis par la suite au christianisme nestorien, ils convertirent à leur tour des tribus émigrées du pays de Mahra, en Arabie du Sud. Les navires passent au large de Socotra, en la laisssant sur leur droite, tant les parages sont redoutables : les pirates indiens y font régner la terreur, et l’île abrite 100 000 hommes en armes : rebutante et isolée, escarpée et farouche, elle est « comme une tour posée sur la mer des Ténèbres »272.
83Autre grande île près des rivages : Qanbala (ou Qanbalu). L’identification avec Madagascar étant exclue273, il faut sans doute songer à Zanzibar. L’île est fréquentée des marchands musulmans, davantage même : ils s’y sont installés, assimilés, parlant la langue des Zanğ et assurant sur ceux-ci, totalement ou non, la domination de l’Islam. Au reste n’ont-ils pas été les seuls à joindre ce littoral : les mêmes populations malaises qui ont touché Sofāla ont voulu, en 334/945, s’emparer de Qanbalū, riche d’ivoire, d’écaillé, d’ambre, de peaux de panthère et d’esclaves. Combat féroce : finalement, l’île-citadelle, au milieu de son estuaire, a eu raison des mille embarcations des assiégeants274.
84Installés tout au long des rivages de l’Afrique orientale, mais perçus seulement par places, de façon discontinue, les Zanğ fournissent, de toute façon, un thème essentiel de la littérature géographique arabe. Comment imaginer l’inverse ? Esclaves exilés au Bas-Irak, ils viennent de secouer l’histoire musulmane, en une grande révolte dont nos textes traînent, eux aussi, les échos275. Ils donnent leur nom à tout un pan du continent africain, à tout un pan de l’Océan276. Ils inspirent, enfin, toute une thématique hors de proportion avec la minceur des renseignements recueillis sur la toponymie de leur pays. Dans le bagage intellectuel de l’honnête homme que cette géographie, avec d’autres disciplines, prétend former, ils arrivent largement en tête des populations de l’Afrique étrangère : devant la Nubie, par exemple, si l’on tient compte de l’exception que représente finalement Uswānī, véritable spécialiste de ce pays277 ; devant l’Afrique occidentale, en tout état de cause, et de très loin.
La terre d’Afrique : une mine
85Nos textes s’intéressent peu à la nature du sol africain. L’alternative désert-cultures, dont on a vu chemin faisant les variations, depuis le Soudan jusqu’à l’Abyssinie, ressortit déjà à une géographie purement humaine, au pari et aux possibilités du travail des hommes sur la terre. Car le sol intéressant, le sol décrit, c’est d’abord le sol cultivé278. Pour le reste, qu’un Ibn Hawqal note la couleur des sables, un Muhallabī qu’Awdaġost est bātie sur un terrain pierreux, ou un Maqdisī que le pays zanğ est spongieux, ce ne sont guère là que des exceptions279. Le seul sol naturel qu’on décrive, c’est, une fois de plus, le sol productif : en l’occurrence, le sol fouillé280.
86Mais quel sol ! De ses métaux riches, de ses pierres précieuses, il fascine alors nos géographes. Au vrai, « il n’est que mines d’or » : cette phrase des Hudūd al-’ālam, citée plus haut à propos des Zanğ, s’applique aussi bien à tout ce qu’on connaît de cette Afrique profonde, trésor fabuleux où le commerce musulman puise à mains pleines. Riche le Soudan, dont le sol est « entièrement aurifère »281 ; riche le Ġāna, qui fait commerce d’un or répandu « partout »282 ; riches la Nubie, qui le « fait pousser » et en couronne ses rois283, l’Abyssinie284 et, enfin, le pays bedja où se cachent aussi l’argent, le cuivre, le fer, le plomb, l’asbeste et les pierres précieuses : marcassite, chrysolithe, améthyste, émeraude surtout, tant et si bien que « la région tout entière cache des mines »285.
87Les hauts lieux de cette extraction sont au pays bedja : pour l’émeraude, à al-Hirba ; pour l’or, au Wādī ‘Allāqī. Le premier emplacement se situe encore au plus près de la Haute-Égypte, mais les Bedja tiennent les voies d’accès à ces lieux inhospitaliers, suspendus, pour leur ravitaillement, à la vallée du Nil, et cernés de montagnes désertiques : une désolation, une ruine (hirba)286. Le Wādī ‘Allāqī, plus à l’est, participe des mêmes contraintes, mais en moins sauvage : l’eau d’une source passe par là. Et puis, tant d’hommes accourus animent le désert : sur ce sol de sable et de cailloux, au relief plus moelleux, c’est une véritable ruée vers l’or que nous présente Ya’qūbī : une vingtaine de sites miniers, tous exploités fébrilement, à grand renfort de peuple, mais dont émerge pourtant le centre, le Wādī ‘Allāqī proprement dit, Il y a là a comme une ville », entendons : un immense campement, d’Arabes et de non-Arabes, avec des marchés et des « places où l’on commerce ». Et de quoi commercerait-on, sinon de l’or ? Car tout ce monde, que Ya’qūbī assimile aux chercheurs de trésors (ashāb al-matālib) des tombes pharaoniques, ne travaille pas, tant s’en faut : ce sont des esclaves noirs qui extraient l’or sous sa forme brute (tibr), semblable au sulfure naturel d’arsenic ou orpiment (zarnīh asfar). Fondu sur place, il prend, par le port de ‘Ayḏāb, les chemins de l’exportation287.
88Bedja ou non, l’or s’entoure des étrangetés qu’il mérite. Et d’abord celle de ses origines. Tout le monde sait par exemple que le soleil commande l’existence du métal précieux, qui peut, sous son influence, naître de l’argent et se trouve seulement, en tout cas, dans les premier et deuxième climats, les plus méridionaux, les mieux soumis à l’action de l’astre288. Minéral ou végétal ? En réalité, au Ġāna, l’or pousse dans le sable, comme une plante, si légère parfois que le vent la déracine et la chasse sur le sol289, ou comme une vulgaire carotte que l’on cueille lorsque le soleil pointe à l’horizon290. Car le merveilleux a la vie dure : fait-on une concession au réel, en évoquant les galeries de mines ? On fera recouper ce réseau par un autre, fantastique celui-là, d’où sortent, sous le pic des ouvriers, des fourmis monstrueuses, de la taille d’un chat, qui attaquent, dépècent et dévorent les malheureux291.
89Métal étrange, métal ambigu, plus encore que métal précieux. D’un côté, on insiste sur la différence des systèmes sociaux et culturels : l’or, valorisé par l’acheteur musulman, est au contraire tenu pour rien par le vendeur africain, qui lui préfère le cuivre ou le fer dont il fait ses bijoux292. Mais en même temps, et jusque de la part de ses détenteurs qui souvent le méprisent, l’or s’accompagne de secret, de mystère. Est-ce parce qu’il traîne après lui les maléfices d’une invasion possible293 ? Ibn Hawqal, en tout cas, déclare que les Nubiens, les plus riches en ce métal peut-être, préfèrent laisser leurs mines inexploitées plutôt que de courir le risque d’une publicité prélude aux visées conquérantes du dehors294. Aussi le commerce, lorsqu’il a lieu, se fait-il dans le plus grand silence : un troc, mais un troc muet, plus encore qu’aux îles de la Sonde295. Ici, acheteur et vendeur, dissociant dans le temps les deux phases de l’opération, ne se voient pas à visage découvert : les deux acteurs silencieux passent, l’un après l’autre et sans se rencontrer, au lieu fixé pour l’échange296.
Les êtres de l’Afrique : sous le signe ambigu du soleil
90L’or est ainsi comme l’avers et le revers d’un même monde, un monde qui, à son image, s’offre et se dérobe. Car l’Afrique tout entière est biface, étalée et secrète, voisine et profonde, universelle et spécifique. Ibn Hurdādbeh, par exemple, nous dit que le désert libyen ne connaît ni ânes, ni porcs, ni boucs, sauvages ou domestiques297, et Mas‘ūdī que les Zanğ n’ont pas de chevaux, de mulets, de chameaux, le bœuf, harnaché et rapide, remplaçant chez eux toutes ces montures298 : souci d’affirmer, même au prix de contradictions299, même au travers de références connues, une originalité africaine. Hamdānī l’érigé en principe, qui, à propos de l’Abyssinie, subordonne tout, hommes, climats, bêtes et plantes, aux stigmates de la chaleur300. Et Abū Zayd as-Sīrāfī, poussant les choses plus loin encore, qualifie de « noire », comme les hommes, la flore du pays zanğ301.
91Signe d’une Afrique profonde qu’il dilue finalement dans la mort302, le soleil règne aussi, en moins dévorant, sur l’Afrique voisine, celle qui, aux marges de l’Islam, se rattache à l’humanité connue : d’où l’apparition, ici ou là, d’une flore et d’un bestiaire plus rassurants, plus raisonnables, parce que plus courants. Encore convient-il de marquer, à l’occasion, que le continent, ici aussi, inverse les signes de la civilisation : Muqaddasī note que le Soudan pourrait cueillir, dans ses montagnes, les mêmes fruits que le monde musulman, mais qu’il n’y touche pas, préférant se nourrir de plantes inconnues en dehors de l’Afrique303.
92Étrange vie que celle-là : elle est où on ne l’attend pas, ou bien encore elle s’épuise en une luxuriance inutile, en une débauche qui, pour l’homme, est la mort même. Qu’a-t-il à faire d’un pays qui recèle « toutes les bêtes sauvages, tous les fauves »304 ? Force, en tout cas, reste le plus souvent à la nature : Ibn Hawqal nous parle de « très vieilles jungles pleines d’arbres » dont les troncs peuvent mesurer jusqu’à soixante coudées de tour, d’un paysage d’eau, de marigots et de clairières, où viennent paître éléphants, girafes, rhinocéros, panthères, guépards et autres fauves305. Maîtresse du terrain, installée, immémoriale306, la nature reste prête à reconquérir ce qu’on lui arrache : témoin cette ancienne route de l’Égypte au Ġāna, toute parsemée de vestiges d’habitations, hantée de chameaux ou de moutons redevenus sauvages, et qui se cachent307.
93Bien sûr, ces notations ne font que renvoyer, pour l’historien, aux époques de l’homme rare, contesté, sur sa terre, par la plante ou l’animal308 : époques que le temps écoulé rend étranges à nos yeux, anormales, mais qu’il nous faut replacer, une fois de plus, dans la synchronie. Que nous dit-elle ? Que, pour les Musulmans du Moyen Age, l’étrange existe bien : simplement, dans le cas de l’Afrique, il est de l’ordre de l’espace. Tout s’opère comme si, à partir d’un seuil qui relèverait ici de la latitude, une certaine chaleur excessive, un certain soleil renversaient les signes : de l’utile et de l’inutile, du naturel et de l’extravagant, de la vie et de la mort. Terre, hommes, plantes, bêtes, l’Afrique entière baigne ainsi dans une précarité qui peut, presque à loisir, la faire basculer dans l’un ou l’autre des deux ordres.
94Témoin le milieu, au sens le plus large : on a vu que le paysage africain oscille, dans la description, entre le désert absolu et les cultures. Mais pas seulement de pays à pays. Où est par exemple la Nubie véritable : dans les tableaux idylliques d’Uswānī309 ou chez Isḥāq b. al-Husayn, qui la déclare très chaude, pauvre en arbre et en pluie310 ? Et que faut-il voir derrière le feu qui court, des jours durant, entre deux montagnes, survenant si vite — « tel un torrent » — qu’il surprend bergers et troupeaux : une coulée de lave ou un incendie de brousse311 ? Naturel ou provoqué, en tout cas, ce feu, par sa rapidité, relève d’une magie tout africaine. Mais tous les éléments ne sont-ils pas à l’unisson ? Le soleil, en fait, est bien ici l’astre souverain, despotique même, et le feu le principe dominant, qui brouille les cartes des trois autres : feu que cet air peu à peu irrespirable à mesure qu’on va vers le sud, feu que cette terre où l’argent se cuit en or, feu même en cette mer rendue salée et épaisse de toute l’eau que lui demandent un ciel jamais rassasié, une chaleur envahissante que « toute une nuit ne parvient pas à dissiper »312.
Le bestiaire d’Afrique : naturel, fantastique et originalité
95Les deux ordres du commun et du spécifique, de l’universel et de l’africain, se retrouvent chez les bêtes. A leur propos, Ibn Rusteh se laisse entraîner fort loin. Il pose l’originalité du continent en ces termes : la symétrie de la terre de part et d’autre de l’équateur impliquerait, à latitudes égales, des espèces identiques. Mais la proximité ou l’éloignement du soleil perturbent cette distribution. Alors intervient cette phrase étonnante : « Nous trouvons en Afrique des animaux d’une structure extraordinaire comme les éléphants, ou encore les bêtes qui ont des cornes sur le nez, des oiseaux d’une grosseur difficilement imaginable ; un commerçant a rapporté, des deux mers qui se trouvent au delà du pays de Kūšān313 (entendez : les Zanğ), des œufs quon eût dits d’autruche314 ». Admirons le soin avec lequel cet « extraordinaire » (‘ağīb) est préservé de toute assimilation aux espèces de l’hémisphère nord : des semblants d’éléphants, de rhinocéros, d’oiseaux rocs ou d’autruches315. Dira-t-on qu’Ibn Rusteh est ignare ? Que non pas. On a eu l’occasion, au contraire, de souligner le sérieux de son encyclopédisme316. Le voici pourtant qui s’entête, envers et contre tout : contre ses propres lectures, contre l’évidence, contre ces noms de bêtes qu’il faut bien, à un moment ou à un autre, employer tels quels, sans ruser avec eux, sans recourir à l’artifice de la comparaison : « Or, en deçà de l’équateur, nous n’avons jamais vu d’oiseaux semblables, et aucun auteur ancien n’en a parlé ; on n’y a jamais vu un seul spécimen d’éléphant ou de rhinocéros. De même, les animaux décrits pour ces régions par des voyageurs n’existent pas vers le nord à la même latitude : nous n’en rencontrons pas. Nous ne connaissons personne qui ait aperçu des éléphants en deçà de l’équateur, en dehors de ceux qu’on y a transplantés et qui ne se reproduisent pas317. »
96Est-ce le même Ibn Rusteh qui nous parle des éléphants de l’Inde, pays qu’il sait pourtant placer dans l’hémisphère nord318 ? Et le lettré ignorerait-il que l’autruche court à travers le désert et la poésie des Arabes319 ? Rien de cela, on s’en doute. En réalité, tout tourne, encore une fois, autour de cette originalité africaine qu’il faut souligner, et qu’Ibn Rusteh définit en effet, pour conclure, comme « la présence, dans le sud, d’animaux qu’on ne voit pas dans le nord à une latitude correspondante »320. Le seul malheur, c’est qu’en voulant trop prouver, on s’embrouille un peu dans le planisphère et qu’on perd la démonstration en chemin, sous sa forme première qui était bien la plus solide : le bestiaire africain peut rappeler tel ou tel autre, il n’est pas tel ou tel autre.
97Ainsi en va-t-il pour le bestiaire domestique, qui reproduit des espèces connues, mais sous des formes à part. Ici, les bœufs sont tachetés, à l’occasion pourvus de cornes gigantesques, et les Zanğ, on l’a dit, les harnachent comme des chevaux321. Ceux-ci sont plutôt rares, de petite taille, mal bâtis et de poil court322. Le mouton, lui aussi tacheté, vit parfois « au fond des montagnes et des fourrés »323. Cette propension à l’état sauvage, cette nature rien qu’à demi domptée, se retrouvent chez le chameau324. Nubien ou bedja surtout, gris ou blond, court sur pattes, très prolifique et très rapide, il est la monture idéale, l’animal de la course et de la guerre, pour lesquelles on le préfère au cheval325.
98A ces quatre représentants de la domesticité, le désert, la brousse et la forêt opposent leur richesse : là où l’homme est rare, l’animal libre est roi. En ce domaine, l’exclusivité africaine peut être de l’ordre de l’espèce entière, ou seulement de tel ou tel trait caractéristique d’une espèce par ailleurs connue : notre souci d’isoler, chemin faisant, la personnalité du continent retrouvera tout naturellement une méthode déjà définie à propos de l’Asie orientale326.
99Les fauves, d’abord. Une demi-surprise : le lion n’est que peu cité327 ; est-ce parce qu’on le connaît trop bien ? En rangs beaucoup plus serrés, voici les guépards, les grandes panthères, blondes ou tachetées, des pays zanğ et somali, chassées pour leur peau, enfin les lynx caracals328. Les mastodontes sont tous là : le rhinocéros329 et l’éléphant, dont on souligne les traits distinctifs par rapport à son frère d’Asie : défenses beaucoup plus développées, longévité accusée, de l’ordre de quatre cents ans, et maintien dans l’état sauvage330.
100Joignons-leur l’hippopotame331, pièce maîtresse de la zoologie africaine332. Apparenté au cheval, qui lui donne son nom de faras333, il s’en distingue par les sabots, la queue et aussi le front, qu’il a plus large. C’est l’animal des antinomies : jeune, il se laisse apprivoiser et cohabite paisiblement avec les enfants et les femmes, mais, adulte, il dévore les crocodiles, qui sagement le fuient. Utile sans aucun doute : il jalonne ses vagabondages nocturnes dans la campagne d’un fumier extraordinairement fertilisant, tout en indiquant, par ces divagations hors du Nil, la limite de la crue à venir ; ses boyaux guérissent de la folie des « coups de lune », et ses dents des maux d’estomac : sans leur vertu, ce serait la mort pour les Nubiens et les Abyssins, habitués à une nourriture lourde et fatigante. Mais, à l’inverse, l’hippopotame peut être aussi bien un fléau, par les dégâts qu’il cause aux cultures ; et ici, nouvelle antinomie : sobre en quittant l’eau, il manifeste au retour une étonnante fringale, si bien que le paysan se fâche, dispose, sur le trajet de l’importun, quelques mesures de lupin. Dernière étrangeté : la petite plante aura raison de la grosse bête : elle en fera gonfler, éclater le ventre, et l’hippopotame mort viendra flotter à la surface, puis s’échouer sur la berge.
101Pas de paysage aquatique sans le crocodile, évoqué un peu plus haut. L’Afrique et son Nil prêtent à l’animal des mœurs ou des formes étranges : commun en Nubie, mais pacifique334, il se transforme ailleurs en varan (waral, sūsmār), saurien que l’on rencontre, en remontant le cours mythique du fleuve, jusque sur les côtes de la mer des Zanğ335. Ne quittons pas l’eau sans évoquer la baleine336, les tortues de la mer Rouge, signalées plutôt, à vrai dire, comme objets de commerce, pour leur écaille (dabl)337, et aussi un étrange poisson de l’Atbara, sans écailles, enfoui d’une coudée et plus dans la vase du fond338.
102Revenons à la terre : la civette339 voisine avec l’onagre (ou le zèbre)340, le bouquetin341 et l’antilope, celle-ci apparaissant sous une forme jugée commune, pour laquelle suffit le nom de gazelle (gazāl)342, ou sous des traits particuliers : à propos des Bedja, Uswānī343 évoque une bête (dābba) semblable à la gazelle, très jolie avec ses deux cornes dorées, et ne survivant pas à la captivité. Tant de gracilité344 me fait penser à des formes naines de l’espèce, du genre madoque, que l’on nomme digdig345 dans les basses terres descendant de l’Éthiopie vers la mer Rouge. C’est à d’autres antilopes, mais sans doute plus puissantes, qu’il nous faut penser derrière le terme de daraq désignant, dans les pays de la steppe sub-saharienne, depuis les Bedja jusqu’au Soudan occidental, un bouclier fait d’un cuir spécial : celui d’un bovidé, dit Uswānī, mais alors d’un bovidé sauvage puisque Warrāq parle, lui, d’un animal abondant autour d’Awdaġost : l’addax ? L’oryx plutôt346.
103Monde musulman, Extrême-Orient, Afrique : partout, les singes347. Pour la girafe, au contraire, l’Afrique seule. Étrange animal en vérité ; et d’abord, d’où vient-il ? D’une espèce distincte, selon les uns, du croisement de la chamelle et de la panthère, selon les autres : mais, après tout, nos naturalistes ne l’appellent-ils pas cameleopardalis ? D’autres raffinent sur la subtilité de l’hybridation : du produit femelle de la hyène avec la chamelle sauvage peut naître, par croisement avec un taureau également sauvage, la girafe, qui tient ainsi de trois origines. D’autres renchérissent encore, affirmant que la girafe femelle ne peut être fécondée par la girafe mâle. D’autres enfin donnent à l’animal une tête de cerf et une queue d’oiseau. Les détails vrais, en tout cas, sont notés eux aussi : le nom persan de la bête, ušturgāv, ušturgāv-peleng : chameau-taureau (-panthère) ; la peau mouchetée (munammar : de panthère) ; le sabot comme chez les bovidés ; la raideur des membres, qui fait croire à l’absence de toute articulation, au moins pour les pattes postérieures, et force l’animal à prendre sa nourriture exclusivement aux arbres, grâce à son cou démesuré ; l’arrière-train bas ; la douceur du caractère, qui permet la domestication : au total, on le voit, une bête assez originale pour qu’on en fasse hommage aux princes de ce monde348.
104Les oiseaux nous acheminent vers le bestiaire fabuleux. La part faite au naturel, avec la pintade349, la gélinotte350, les colombes351, le perroquet352 et l’autruche353, nous basculons ensuite chez les monstres. On a vu plus haut comment un Ibn Rusteh insistait sur le merveilleux de l’ornithologie africaine. En réalité, il n’y a rien là d’original : l’Extrême-Orient nous avait habitués à cet oiseau roc354 dont l’Afrique se contente, sans plus, d’enrichir le palmarès : ici, le monstre, pour tuer ses proies, les laisse tomber du plus haut de son vol ; il arrive ainsi à manger, en une seule journée, cinq à six tortues géantes, quand ce n’est pas tout un quartier d’éléphant. Et prenons-y garde : pour emporter dans son bec ou ses serres une pareille proie, il n’attend même pas d’être adulte355.
105Les serpents sont plus prédisposés encore au monstrueux : contrairement aux oiseaux, ils ne mordent même pas, eux, sur le bestiaire domestique. Mais, pas plus que pour les oiseaux, l’Afrique ne détient aucun apanage dans le domaine du merveilleux : on retrouve exemplairement, pour les Bedja, l’histoire du serpent dont la vue seule tue356. Pour le reste, on insiste sur les effets maléfiques de l’animal, la multiplicité des espèces et l’énormité de certains spécimens. On peut mourir de marcher sur la trace d’un serpent, ou de garder trop longtemps en main l’objet avec lequel on vient de le tuer. Tel reptile fend en deux le bâton qui l’a assommé, tel autre est pareil aux deux bouts, sans tête, tel autre serre si fortement sa proie, une femme, qu’on voit la graisse de la malheureuse sortir par l’anus357. D’autres encore s’unissent à trois ou quatre pour sauter au visage d’un homme, le tuer et le mettre en pièces358.
106Les monstres, les monstres purs, n’appartiennent à aucune espèce359, mais dérivent, comme la girafe, de croisements. Et ici, l’Afrique et son soleil reconquièrent toute leur puissante étrangeté. « Un grand nombre de bêtes féroces et d’animaux sauvages ou domestiques se réunissent, pendant l’intense chaleur de l’été, au bord des vastes amas d’eau situés dans les hautes terres de Nubie ; des accouplements qui en résultent, les uns sont stériles, les autres donnent naissance à des produits très variés de forme et d’aspect360. » Ainsi, tout se brouille dans une nature exaltée : le taureau s’unit à l’ânesse et l’âne à la vache361, le lézard possède en double exemplaire les attributs de son sexe362, la bête amphibie, qui a un visage, des pieds et des mains comme les nôtres, s’unit aux « pêcheurs sans femmes », aux « pauvres hères » trimant toute leur vie sur des rivages « où nul ne va »363. Encore décèle-t-on dans ces monstres des repères connus : le nom d’une espèce, l’histoire d’une évolution. Mais quel animal mettre derrière le mot de ra’qā ? Quelle est cette bête (dābba) de l’Abyssinie, qui saisit le chameau par son museau, le renverse et boit le sang sans toucher à la chair364 ?
Echantillons de la flore africaine
107Dans nos textes, la botanique est inexistante. Pas plus qu’en Extrême-Orient, la plante n’intéresse pour elle-même, mais seulement si elle est utile et plus précisément, pour l’Afrique, si elle nourrit. Car le champ et l’oasis l’emportent, de très loin, sur la forêt. Certes, le poids de celle-ci et son antiquité sont soulignés à l’occasion, on l’a dit365 ; mais, justement parce qu’elle est sans doute réputée impénétrable, ses espèces en restent inconnues. A peine évoque-t-on le teck366 et 1’ « ébène blanche » de Nubie, dont on fabrique les trônes367. Et même en dehors de la forêt proprement dite, seuls deux bois sont cités, dont les Bedja font des arcs : le micocoulier et le genévrier peut-être368.
108Sur le front de la forêt compacte, mystérieuse et lointaine de l’Afrique profonde, s’étale la végétation des hommes. Et d’abord, dominant les cultures d’un bout à l’autre de l’Afrique, depuis Awdaġost jusque chez les Zanğ en passant par la Nubie, les Bedja et l’île de Socotra, le palmier, le palmier partout, mais un palmier hiérarchisé. Le plus noble, c’est celui de l’Arabe : tous deux reçoivent de la part des Zanğ les marques d’une commune et craintive admiration, qui fait se prosterner ceux-ci, disant : « Voici un homme du pays où pousse le dattier »369. Car les Zanğ ne connaissent que le cocotier370. Et l’autre Afrique elle-même, l’Afrique du dattier précisément, ne fait pas toujours à celui-ci la place qu’il mérite : Nubie et Soudan la lui contestent au profit du palmier sauvage et nain371.
109Comme en Extrême-Orient, les plantes du parfum ou du fard, de la drogue ou du poison, du condiment ou de la couleur, sont présentes ; en moindre quantité pourtant : rien que des noms, et une seule fois cités, réserve faite du célèbre aloès de Socotra372 : coloquinte, séné, myrobolan, armoise, souchet, ben, gilqa, sésame, acacia, henné, sang-dragon373.
110Les plantes vivrières sont partout liées à la présence de l’eau : celle des vallées (awdiya) du Nil et de ses affluents, à l’est, celle des puits à l’ouest374. Au premier rang, les céréales : un peu de blé, d’orge et d’épeautre, mais surtout les nourritures de l’Afrique : sorgho et mil375. Les légumes, eux, n’apparaissent que timidement, et derrière des noms courants qui peuvent masquer bien des originalités locales : haricot, concombre, vesce376. Seul, Mas‘ūdī, à propos d’une plante des pays zanğ, s’interroge : avec assez de détails pour nous faire penser à l’igname ou à la patate, mais trop peu pour nous permettre de trancher377. Les fruits sont tout aussi discrets378 : figues, olives, raisins, bananes379. La canne à sucre n’est mentionnées qu’au passage, comme constituant la nourriture des Zanğ, avec le miel, la viande et d’autres denrées déjà signalées380.
111Enfin, tout à fait à part, il convient de faire une place au cotonnier de Nubie, « dont la bourre sert à faire des étoffes grossières »381, et à l’ambre des rivages, de statut indécis : roche, plante ou sécrétion animale382.
Les hommes : sauvagerie et sociétés
112Flore dispersée, flore utile : pas plus qu’en Extrême-Orient, la terre ne se conçoit finalement sans les hommes qu’elle porte. On a dit plus haut383 de quels yeux était vu l’homme africain, et comment la notation oscillait entre les réserves léguées par la tradition et une certaine estime née de la fréquentation et de l’expérience objective. Le même Ibn Hawqal qui déclare tout net « ne pas mentionner Noirs (Sūdān) de l’Ouest, Bedja, Zanğ et autres groupes vivant en ces parages, car la bonne organisation des empires tient aux convictions religieuses, aux bonnes mœurs et aux institutions sages, et la conservation des richesses à une juste méthode de gouvernement384 », le même Ibn Hawqal, donc, ne peut faire qu’il ne s’intéresse à ces peuples, plus souvent qu’il ne devrait sur le vu d’une telle position de principe. Et ce sont, au bout du compte, ses informations à lui qui, avec celles d’Uswānī et de Mas‘ūdī, nous renseignent le plus abondamment sur ces sociétés a priori récusées.
113Trois types d’organisation économique se dégagent fort bien à la lecture de nos textes : la forêt ou la brousse, la steppe et les terroirs agricoles. Mas‘ūdī évoque le premier quand il décrit, dans un paysage de vallées et de montagnes coupées de « sable », les procédés de chasse à l’éléphant : en l’occurrence, par une sorte de stupéfiant qui livre la bête paralysée aux lances des Zanğ385. Beaucoup plus nettes apparaissent les civilisations de la steppe, installées à plusieurs paliers. D’abord, l’économie pastorale pure, sous ses traits essentiels : mobilité liée à l’herbe des pâturages, tentes de peau, richesse consistant uniquement dans le bétail sur pied, nourriture lactée ou parfois carnée, donnant un type physique sec et nerveux, précarité d’ensemble, toujours plus ou moins asymptote à la disette et qui force ces populations à se rapprocher, en cas de besoin, des installations sédentaires, voire à attendre d’elles un approvisionnement continu : les traits ainsi recueillis confèrent à toute la steppe sub-saharienne, du Soudan au pays bedja, une puissante originalité386.
114La position même de ces peuplades, sur les voies du transit, et leurs contacts avec le monde sédentaire, les amènent parfois à des systèmes économiques mordant sur deux types de société : témoins certains Bedja, à la fois pasteurs, éleveurs et guerriers d’un côté, cultivateurs, commerçants ou même marins de l’autre387. L’agriculture en tout cas, lorsqu’elle apparaît, reste souvent encore marginale, et son implantation — champs et huttes de roseaux — liée à la saison des pluies et aux pâturages requis par des troupeaux qui demeurent le fondement de l’économie388. Au contraire, la sédentarité des exploitations prend tout son relief avec le dernier type de société : celui des cultivateurs au plein sens du terme.
115C’est évidemment l’eau qui commande ici tout le système : à l’ouest, dans la région d’Awdaġost, le blé se cultive à la houe et s’arrose au seau, à partir de puits389. A l’est, l’eau est demandée au Nil et à ses affluents, par des machines hydrauliques qu’actionnent des bœufs. La fumure des sols est largement pratiquée, ainsi que les levures pour activer la germination. La richesse de l’ensemble est telle qu’on ne la conçoit pas, à la limite, sans l’intervention miraculeuse des djinns : elle permet, en tout cas, plusieurs récoltes successives, le Nil fournissant encore, par la pêche, un appoint à l’alimentation390.
116L’édifice sédentaire — de l’agriculture ou du commerce — se couronne par la création des villes, qu’on a déjà eu l’occasion d’évoquer391 : on se contentera de renvoyer ici à Awdaġost, avec « ses belles constructions et ses maisons très élégantes »392, et aux trois villes principales d’Abyssinie, résidences respectives du roi, de l’armée et du commandant en chef, avec sa garde393.
117Qu’elle soit sédentaire ou nomade, la société africaine est, de toute façon, hiérarchisée : la séparation en classes, notée à propos des Bedja394, se retrouve aussi en Nubie, où Mas‘ūdī la donne comme une conséquence des contacts avec le monde musulman, et non comme un trait originel du système local, pour lequel, par tradition, le roi était propriétaire du sol et de tous ses sujets indistinctement395. La hiérarchie se traduit par des usages alimentaires, de fait ou de loi : à Awdaġost, seuls princes et riches mangent le blé, le sorgho étant l’aliment des pauvres396, tandis qu’en pays bedja, ces mêmes pauvres se nourrissent de gibier : gazelles, onagres, autruches, tous mets que les riches récusent comme illicites, évitant de toucher aux ustensiles où on les a préparés397.
118Mais revenons à la remarque de Mas‘ūdī, qui peut, à l’analyse, fournir bien plus qu’un simple détail localisé : en fait, la clé pour une interprétation des sociétés africaines dans leur ensemble. Sans doute, comme pour l’Extrême-Orient, la coutume musulmane reste-t-elle le critère au nom de quoi, explicitement ou non, on juge les civilisations étrangères. Mais ici, en Afrique, elle est parfois plus que cela : un élément de l’organisation même de la société. Dépouiller, en effet, les textes relatifs aux institutions du continent revient à voir se dessiner peu à peu un clivage majeur, entre les royaumes sédentaires d’un côté, et les sociétés nomades, fondées sur la tribu, de l’autre ; ou encore, d’un autre point de vue, entre l’Afrique profonde, immuable pourrait-on dire, et l’Afrique sub-saharienne, que l’Islam touche soit directement, en tant que phénomène religieux398, soit indirectement, à travers les usages de ceux qui le véhiculent399.
119De cette Afrique des tribus, avec laquelle on se sent le plus d’affinités, qui s’étonnera que le meilleur représentant soit le nomade bedja, apparenté, de par son mode de vie, à l’Arabie toute proche et même présente sur son sol400 ? Gouvernement des anciens, système de protections réciproques, hospitalité prodigue, présence d’un devin (kāhin) dans chaque groupe, razzias et butin, autant de traits que nous connaissons bien401, tout comme ce particularisme tribal qui vient à bout des tentatives d’unification402. Et quant au matriarcat, toujours discuté pour l’Arabie bédouine403, il apparaît ici avec un singulier relief. C’est par les femmes que s’établit la généalogie, sous le prétexte que, face aux aléas de la filiation paternelle, la mère reste le seul élément sûr de la génération ; dans les héritages, le fils de la sœur ou le fils de la fille viennent en tête ; les femmes enfin, et elles seules, fabriquent les javelots, en un lieu où l’homme n’est reçu que s’il est acheteur ; et si, de ces rencontres, leur naît un enfant mâle, il est tué par elles comme appartenant à un sexe synonyme de guerre et de malheur404.
120Autant la royauté est incertaine — c’est le moins qu’on en puisse dire — au pays bedja, autant elle domine, partout ailleurs, l’architecture sociale. D’un côté, au mieux, un chef de tribu qui se hausse au-dessus de ses pareils, mais sans les éliminer : primus inter pares, et rien de plus405. De l’autre, les royautés sédentaires, bien implantées, bien localisées. Sans doute l’Islam peut-il, ici encore, jouer son rôle dans l’institution et donner à l’État édifié grâce à lui une nouvelle raison d’être : ainsi, a-t-on dit, à Gao406 ou à Awdaġost407. Dans l’ensemble, toutefois, la royauté est l’apanage des peuples non-musulmans. Pour les chrétiens de Nubie et d’Abyssinie, nul doute, dit Ibn Hawqal408, qu’elle ne représente, par osmose avec le voisinage civilisé du Nord et avant même l’arrivée de l’Islam en Égypte, un germe de civilisation chez des peuples qui sans cela seraient demeurés sauvages409 : « l’idée religieuse, une vie policée et des institutions sensées » — entendez, sur ce dernier point, la royauté — vont ainsi de pair.
121Royautés, du reste, mal dégagées peut-être d’anciens usages : en Nubie par exemple, quand le souverain meurt, c’est le fils de sa sœur qui accède au trône410. Royautés, en tout cas, bien implantées et puissantes : le monarque a une autorité absolue sur ses sujets, son propre fils compris411. Royautés, enfin, sanctionnées par un titre : Négus (Nagāsī) d’Abyssinie et Kābīl de Nubie412.
122L’Afrique « païenne », elle, se caractérise par une poussière de principautés ou chefferies, tant au pays zanğ qu’au Soudan, où l’on en dénombre vingt pour les seules régions relevant de la mouvance d’Awdaġost413. Quelques traits particuliers sont relevés au passage : ici, on brûle, à la mort d’un chef, ses femmes esclaves414, là, le roi ne boit que trois coupes de boisson alcoolisée tous les trois jours415 ; ailleurs, le problème de sa succession est réservé au cas où il disparaît sans qu’on ait la preuve de sa mort416 ; ailleurs enfin, on souligne la magie de son pouvoir : détenteur supposé de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie, il est adoré à l’exclusion de tout autre dieu ; riche de ses troupeaux, luxueusement vêtu, maître de ses sujets qu’il peut réduire à son gré en esclavage, il est tenu, parce que de nature divine, comme affranchi de la nécessité de boire et de manger ; en réalité, précise le texte, il le fait au fond de son palais et dans la seule compagnie de ses familiers ; ses approvisionnements sont acheminés, depuis un lieu gardé secret, à dos de chameau, et quiconque surprend le passage de la mystérieuse caravane est tué sur place417.
123Comme pour les royaumes chrétiens, quelques titulatures apparaissent : Ġāna, Kūga, noms de souverains en même temps que toponymes418, Rā’ī b. Rā’ ī (ou Zāgī b. Zāgī) pour le roi des Noirs (Sūdān) « qui vont nus »419. Le grand titre, toutefois, c’est ici le Waflīm ī (bantou mfaleme, pl. wafaleme : roi). Ce monarque est fils du Grand Seigneur, du Mkulu Njulū, et règne sur tous les Zanğ. Mais tenant du ciel une autorité définie comme juste, il en doit compte aux hommes, qui le dépossèdent s’il se comporte en tyran420.
124L’occupation principale des rois, ici comme ailleurs, c’est la guerre421. L’ardeur de leurs armées n’a d’égale que leur habileté422. Fantassins, cavaliers ou méharistes, troupes de masse ou troupes d’élite423, les Africains ignorent l’épée : elle n’apparaît — encore est-elle de mauvaise qualité — que dans la mouvance occidentale de la Nubie, au désert, là où les influences « maghrébines » sont fortes424. L’armement de base, c’est la flèche, parfois empoisonnée425, le bouclier et le javelot. En cuir (d’antilope : daraq)426, les boucliers connaissent deux types, selon que le poil de la bête est laissé à l’extérieur ou à l’intérieur : dans ce dernier cas, on les dit d’Axoum (aksumiyya)427, ou encore des îles Dahlak (dahla-kiyya), à la réserve près que celles-ci peuvent aussi en demander le cuir à quelque bête de la mer428. Quant au javelot, il est long de sept coudées, trois pour le fer et quatre pour le manche, que termine une sorte de mamelon ; c’est l’instrument de guerre par excellence, et même plus que cela : l’attribut du Bedja, qui ne s’en sépare jamais429.
125L’organisation coutumière, qui fait de la guerre une véritable institution, sait aussi en limiter les conséquences. Aux premières lignes de l’armée marche un corps spécial d’esclaves au nez percé, dans lequel est passée une chaîne. Ainsi peut-on les tenir véritablement en laisse, le temps, pour les médiateurs des deux parties, d’aplanir le différend. En cas d’échec, on assure la chaîne autour du cou des esclaves et on lâche au combat ces fauves d’un nouveau genre, qui se font tuer sur place plutôt que de céder le terrain430.
126La guerre ne serait donc que la forme désespérée d’une justice impossible : preuve, donc, que l’Afrique accède, par le biais de certaines attitudes, à cette civilisation des hommes dont se réclame Ibn Hawqal431. On a signalé plus haut quelques-unes de ces manifestations432. L’éloquence en est certainement la plus nette, la plus sacrée : pour l’exercer, le prédicateur, vêtu d’une peau de bête et bâton en main, reste, le jour durant, debout sur un seul pied, entretenant le peuple de l’histoire du roi régnant ou de ses prédécesseurs433. La fonction du conteur-sermonnaire s’apparente à celle du devin, régulièrement donné pour habile et perspicace434. Chez les Bedja, le kāhin du clan se retire sous sa tente, puis réapparaît dans un état de demi-folie, la tête en feu, et donne, au nom de son démon (as-saytān), les directives nécessaires pour la razzia et le butin. Sa tente ronde (qubba) suit le groupe dans tous ses déplacements435.
127Reste l’écriture : elle apparaît peut-être, sans qu’on la devine expressément comme telle, sur ces planches gravées de signes étranges que le Nil, nous dit Uswānī436, roule jusqu’en Nubie. Le Fihrist d’Ibn an-Nadīm est plus explicite : il nous parle d’une écriture des Noirs (as-Sūdān), derrière laquelle on pourrait pressentir l’écriture éthiopienne, tandis que les Nubiens, eux, écriraient en syriaque, grec ou copte pour les besoins de leur religion437. C’est peu de choses sans doute, mais à qui la faute si l’Afrique, loin d’être étudiée pour elle-même, ne se connaît que comme objet, superficiellement ? Le négrier, dit Ğāḥiẓ, est dans une situation par trop facile : le même marchand qui, dans telle province de l’Islam, se voit forcé à de longs séjours pour des bénéfices modestes, ne passe qu’un mois en Afrique sans devoir accéder à autre chose qu’aux rudiments de la langue zanğ438. Remarquable objectivité, on le concédera439, et qui donne ses véritables critères au débat de la sauvagerie et de la société.
Les hommes : religion et paganisme, coutume et nature
128Les distinctions déjà établies peuvent se reprendre ici : entre une Afrique profonde, intangible, et une Afrique sub-saharienne, où l’Islam a fait son apparition ; ou encore, entre la civilisation, au sens où l’entend Ibn Hawqal, avec ses « convictions religieuses »440, et l’absence de civilisation, et donc de religion. La géographie religieuse de l’Afrique, à peine ébauchée, recoupe, c’est un fait, ces distinctions, mais avec quelques nuances ; par exemple, les Zanğ, qui sont idolâtres441, connaissent eux aussi l’Islam, au moins sur les rivages : souvenons-nous de l’histoire de ce roi, converti par le biais de sa vie d’esclave442, et relevons la remarque d’Abu Zayd as-Sīrāfī : les Zanğ savent éloquemment dire, en leur propre langue, la hutba, formule d’allégeance au calife musulman443.
129Cet Islam, toutefois, reste marginal : n’en retenons pour preuve que le fait linguistique — celui d’un arabe encore peu pratiqué — qui s’éclaire assez bien dans le contexte évoqué par Ğāḥiẓ : au iiie/ixe siècle encore, l’Islam ne fait ici que des apparitions discontinues. Et même si, un siècle plus tard, Mas‘ūdī signale une colonie musulmane à Zanzibar444, même si une certaine « coutume » s’élabore, sur un mode qui vient rappeler celui des religions consacrées445, c’est bien l’animisme ou, comme on disait alors, l’idolâtrie, qui l’emporte. Ici, les Zanğ vénèrent une statue de pierre ayant l’aspect d’une femme446 ; là, de façon plus spontanée, ils adorent tout ce qu’ils aiment : une plante, une bête, un rocher447 ; d’autres fois enfin, ils semblent reconnaître une divinité suprême : celle dont dérive le pouvoir royal448.
130Plus au nord apparaît le domaine chrétien : Socotra449, mais surtout l’Abyssinie et la Nubie, qui suivent des rites venus de Byzance450. En Nubie plus précisément, où le monastère fait partie intégrante du paysage451, on est chrétien jacobite, entendez, monophysite452, avec quelques traits notables, en bien ou en mal, aux yeux de l’Islam : circoncision et respect de l’impureté menstruelle, absence de purification après une souillure majeure et récitation de l’Évangile à bride abattue453.
131Christianisme puissant, mais christianisme enserré par les vieilles religions de l’Afrique et par l’Islam. Au sud, dans le pays de Alwā, on se dégage mal encore de certaines offrandes à la montagne, à l’eau, aux astres, à l’animal ou à la plante : en un mot, comme chez les Zanğ, à « tout ce qu’on peut aimer »454. Et les vieux génies personnels n’ont peut-être pas, eux non plus, disparu, puisqu’on éprouve le besoin d’affirmer : « mon Seigneur, le tien, celui du roi et celui des gens ne font qu’un »455.
132Vers le nord, aux marges de la Haute-Égypte, c’est l’Islam qui s’est assuré toute la région de Bilāq456, tout comme il pénètre, par les voies caravanières qui montent d’Assouan et de la mer Rouge, certaines tribus bedja. Ici, toutefois, il s’affirme, on l’a dit, plus comme ferment d’assimilation politique ou ethnique que comme religion proprement dite457 : partout, le paganisme des Bedja revient affleurer à la surface, s’il en a jamais disparu. Au mieux professe-t-on un Dieu unique, qu’on appelle Anana ou Hīr ( ?), mais sans que cela s’accompagne d’une religion véritable (dīn), d’une Loi (sari’a)458. Alors, quelle différence entre ce Dieu de façade et telle ou telle idole, Hahāhū par exemple459 ? Les noms seuls changent, le paganisme reste : qu’arrive un bel inconnu silencieux, et voilà tout un peuple en train de le prendre pour Dieu descendu sur terre460.
133Paganisme aussi à l’ouest, avec adoration du soleil ou du roi, consommation de bêtes mortes, ou non égorgées rituellement461. Du moins est-ce là un état ancien, qui ne subsiste qu’autant que l’Islam ne vient pas — en force cette fois — corriger la situation, comme à Gao462 et surtout à Awdaġost, païenne convertie par la voix du Mahdī ‘Ubayd Allāh, et désormais riche de mosquées, de lecteurs du Coran et de juristes musulmans463 : nous sommes loin de l’Islam incertain des Bedja.
134Au bout du compte, pourtant, la religion islamique reste encore, dans l’ensemble, marginale et discontinue : des îlots qui ne mordent pas profondément sur la coutume africaine : ni sur la nudité, totale ou sommairement dissimulée d’une pièce de cuir464, ni sur l’anthropophagie465, par exemple. Sans doute notre Vieux Monde considérait-il alors ces deux attitudes comme des manifestations de l’état de nature, et non comme des traits culturels. Mais rien n’est changé si nous sortons de la « sauvagerie » pour entrer dans la coutume proprement dite : partout, l’originalité africaine éclate, pure de toute influence venue du dehors466. Passe encore de rechercher le fer plus que l’or, l’argent et l’ivoire467, de se parer de coquillages468, de se limer les dents469 ou de s’épiler la barbe470, mais combien plus étrange de s’arracher les incisives ou de se fendre les oreilles ainsi que le font les Bedja471 ! Car ces mêmes Bedja qui ressemblent, par tant de traits, à l’Arabie toute proche, offensent, par des pratiques barbares, cet Islam qu’elle a commencé de leur apporter472. Aux filles, ils mutilent les grandes lèvres, qu’ils laissent ensuite se souder par cicatrisation, hormis la stricte place nécessaire à l’accueil du pénis. Aux garçons, ils tranchent la pointe des seins : pour leur éviter de ressembler aux femmes, dit Ya’qūbī, lequel ne va qu’à mi-chemin de l’explication. Ces Amazones à l’envers sont en réalité le résultat, dit Uswānī, d’un ancien traité de soumission, aux termes duquel les Bedja, vaincus par « un roi », se virent imposer de couper les seins aux filles et de châtrer les garçons. En mutilant ces derniers au moindre prix et en remodelant le sexe de leurs filles, ils réussirent à brouiller les enquêtes possibles et à sauver leur descendance473.
Quelques percées sur les techniques et le commerce
135La comparaison avec les arts et techniques de l’Extrême-Orient474 fait ressortir la pauvreté, presque la nudité de l’Afrique. Fort peu de choses en effet, et d’une simplicité criante : les étoffes de coton grossières, en Nubie, l’utilisation, pour l’ornementation des maisons, de planches charriées par le Nil, l’émeri extrait de son lit par des plongeurs qui savent le reconnaître à sa froideur, ou la construction de maisons en terre sèche475. Encore s’agit-il là, on le voit, de techniques plus que d’artisanat véritable, impression qui se renforce pour peu qu’on en poursuive l’inventaire : irrigation, fabrication de boucliers et d’arcs, préparation des poisons, tout cela nous renvoie à l’agriculture ou à la chasse, en d’autres termes à deux moyens de vivre, comme si l’Afrique mobilisait massivement, au ras de son sol, les énergies et les talents de ses fils qu’elle occupe, d’abord et surtout, à subsister476.
136Les produits du commerce et leurs cheminements ne sont évidemment notés que dans la mesure où ils intéressent l’économie de l’Islam, et la distribution d’ensemble de cette Afrique du profit recoupe à son tour, non moins évidemment, la division du continent en pays des Noirs (Sūdān), à l’ouest, et pays nilotiques ou des Zanğ, à l’est477. A l’ouest, donc, les grandes voies caravanières transsahariennes, par lesquelles transitent, vers le nord, l’or et les esclaves, accessoirement l’ambre, le premier pur ou raffiné, le meilleur du monde en tout cas, sous forme de fils tressés ou de poudre (tibr), les seconds réputés pour leur qualités physiques ou domestiques, en matière de cuisine notamment. En sens contraire, le sel d’abord, suivi par quelques denrées vivrières, du cuivre, des vêtements. Le miel, lui, vient du pays des Noirs, mais s’arrête en chemin, à Awdaġost478.
137A l’est, les Zanğ, contre des vivres et des vêtements, exportent des tambours, des peaux de panthère, des bois, des noix de coco, des faucons noirs, de l’ivoire, de l’ambre (le meilleur du monde après celui d’Arabie), et surtout de l’or et des esclaves479. Socotra fournit l’aloès480 et l’Abyssinie, en échange d’étoffes, l’ivoire481. Les Bedja apparaissent à la fois comme exportateurs de chameaux et transitaires d’esclaves, de coton et de laine482. Les pays de la mer Bouge, enfin, Somalie en tête, livrent l’ambre, l’écaillé et surtout les peaux, tannées ensuite à Aden où l’on en fait notamment des chaussures : peaux de fauves, essentiellement, que le Kitāb at-tabaṣṣur bi t-tigāra classe en : tachées, rayées, ocellées483.
138Ce commerce international de l’Afrique orientale s’organise selon cinq axes. A l’est, la route maritime de l’océan Indien range la côte jusqu’à la corne du continent et diverge ensuite : à gauche, vers Aden, ou tout droit, vers l’Oman et, de là, soit vers Sīrāf et l’Irak, soit vers l’Inde et la Chine484. Au centre du système, les produits de l’Abyssinie, aux mains des marchands de l’Oman, du Hedjaz et du Bahrayn, descendent vers Zayla’, qui assure le transit avec Aden ou les ports de l’Arabie médiane485. Mais Zayla’ recueille aussi une part du commerce bedja, par la route côtière qui la relie, en six jours, à la région de Massaoua et des îles Dahlak486. Celle-ci constitue la troisième pièce de cet échiquier commercial : de l’autre côté de la mer, aux portes de l’Arabie et, par elle, de la Syrie, les îles Farasān ; du côté africain, une route mène, au sud, vers l’Abyssinie encore, où les gens des Farasān font un voyage par an487. Vers le nord, on gagne le pays bedja, la Nubie et la vallée du Nil. Plus au nord encore, une quatrième zone d’activité se déploie le long de la route menant d’Assouan à la région minière du Wādī ‘Allāqī et au port de ‘Ayḏāb, transitaire du trafic vers le Hedjaz et le Yémen488. Enfin, recoupant tout le système à la perpendiculaire, la vallée du Nil, que la nature et les travaux des hommes ont faite voie royale de l’aventure guerrière et du commerce489.
Conclusion
139On s’étonnera peut-être qu’après avoir insisté, d’entrée de jeu, sur la minceur des données relatives à l’Afrique, nous en ayons finalement dressé un inventaire qui dépasse en longueur celui de l’Extrême-Orient. Mais cette minceur même nous y conduisait forcément, par le nombre des problèmes et des incertitudes qu’elle soulève490. Continent entrevu, continent ébauché, l’Afrique a contre elle d’antiques préventions que ni certains esprits objectifs, ni les réalités de l’expérience ne parviennent vraiment à entamer. Contre elle, aussi, l’excès de sa richesse et de sou utilité : comme dit Ğāḥiẓ, on y passe sans avoir besoin d’y séjourner. Contre elle, enfin, son étendue : outre les difficultés qu’elle crée, sur le terrain, aux explorateurs éventuels, l’immensité qu’on lui prête n’est peut-être pas en soi un très bon signe, sans doute parce qu’on pressent que là où la terre est vaste, nombreuse est la bête, possible le monstre, et rare l’homme491. Plus déroutante que l’Extrême-Orient, plus dérobée, elle apparaît, trop souvent encore, comme une juxtaposition de deux mondes, oriental et sub-saharien, que viendraient unir seulement d’hypothétiques sables ou un Nil légendaire. Aucun doute : utile et méconnue, reculée et tentante, l’Afrique étrangère, l’Afrique profonde n’est encore, pour l’Islam, qu’un continent égratigné.
Notes de bas de page
1 Bon résumé, avec extraits des textes essentiels, dans C. Coquery, La découverte de l’Afrique. L’Afrique noire atlantique, des origines au xviiie siècle, Paris, 1965 ; pour l’ouest, recueil des textes arabes, traduits et annotés, dans J. Cuoq, Recueil des sources arabes concernant le Bilād as-Sūdān, depuis le viiie siècle jusqu’au xvie siècle, encore sous presse et dont je n’ai pu tirer tout le parti nécessaire.
2 On trouvera un inventaire de nombre de thèmes de ce chapitre dans Devic, op. cit., dont l’ouvrage couvre l’ensemble des textes de la littérature arabe s’intéressant au sujet ; mais ce sujet, à vrai dire, est limité par Devic à l’Afrique orientale côtière ; en outre, pour l’époque qui nous intéresse, il manque à l’exposé, par ailleurs remarquable, de Devic, un certain nombre de textes ou de thèmes importants (cf. p. 25, où le cas d’Ibn ḤAWqal est traité par trop légèrement).
3 JMAS (p), § 170.
4 Sans compter, en dehors de l’Islam, les Indiens et les Malais : cf. Sauvaget, Relation, XXXVI ; R. Hartmann-D. M. Dunlop, « Bahr al-Hind », dans El (2), I, p. 958-959.
5 Ce phénomène est perceptible pendant longtemps : si l’époque qui nous intéresse doit finalement attendre Bakrī et Idrīsī pour voir consignés les résultats de son activité, de nouveau, après eux, la carte est largement à la traîne de l’Histoire : cf. Devic, op. cit., p. 28-33.
6 Un exemple dans Merv, 209, 1. 16-19 (pour l’océan Indien oriental, il est vrai, mais. cf. aussi ibid., 221 et 223, où le texte semble bien référer à une navigation hauturière, sans escale entre l’Oman et les côtes de l’Afrique orientale), et MAS (p), § 246.
7 Attitude manifeste dans ḤAW, 291, et dans Merv, 209, I. 14-16. Ce dernier passage est d’autant plus révélateur qu’il porte sur les zones nord de l’océan Indien, là où, précisément, éclôt la littérature technique dont il est question ci-après. Sur une certaine facilité des affaires en Afrique, trop profitable aux marchands, cf. la réflexion de Ğāḥiẓ notée infra, p. 195.
8 Merv, 221-223 (où le navire transporte 200 esclaves).
9 Géographie I, 145. N’oublions pas non plus l’œuvre de Muhallabī, qui ne nous est connue que de façon très dispersée et incertaine, à travers Yāqūt et Abu 1-Fidā’ : œuvre éclose elle aussi en milieu fātimide et marquant un intérêt réel pour l’Afrique soudanaise : Géographie /, 310, n. 5 et 7.
10 ḤAW, 50-59, Géographie I, 300, et infra, p. 164, n. 5.
11 YA’Q, 334-337, Géographie I, 289-290.
12 ḤAW, 61, 84, 92-93, 99-101. A noter encore l’intérêt porté au Fezzan (84, 153) et à l’ancienne route Ġāna-Égypte (61, 153).
13 Il a visité les côtes orientales de l’Afrique (MAS (p), § 246), plus résolu en cela que Muqaddasī, qui a renoncé à l’aventure : MUQ, 98.
14 Besnier, op. cit., s. v., n’avance que trois citations où le mot d’Africa est entendu en un sens plus large. On négligera les appellations plus savantes, comme Libye ou Éthiopie, qu’on trouve chez HUR, 155, ou HAM, 32, et qui n’interviennent, comme des noms hérités eux aussi de l’antiquité, que dans la présentation générale, théorique, du globe terrestre.
15 Infra, « Blason d’un continent ».
16 On reviendra, dans la rubrique citée à la note précédente, sur les déserts. Pour la mer, à l’est, l’océan Indien, appelé ici mer des Zanğ (bahr az-Zanğ) est réputé (cf. un peu plus loin) en communication avec l’Océan ou mer Environnante (al-bahr al-muhït) et, à l’ouest, c’est encore l’Océan qui forme la limite : cf. par exemple ḤAW, 10, 12, 15, 35-36, 43 (carte), 61, 276 et pass. ; plus généralement, cf. El (2), I, 962-963.
17 Il n’apparaît pas, par exemple, dans la description que MAS (p), § 243 sq., fait de l’océan Indien.
18 MAS (p), § 243-246, ḤAW, 43.
19 ḤAW, trad., 42 et 44-45.
20 Supra, p. 16, n. 3.
21 Voir les dimensions infra, p. 134, 141 et 201, n. 6.
22 D’où l’appellation de Wāq-Wāq, commune au Japon et à Madagascar : infra, chap. IX. Sur cette extension de l’Afrique vers l’est, cf. RST, 87-88, Ḥud, 163, MAQ, IV, 65, IṢṬ, 19, 32, ḤAW, 16, 46, 527.
23 Supra, p. 130, n. 6.
24 ḤAW, 13, et fig. 19.
25 Le phénomène est net, en tout cas, pour le pays des Zanğ (rivages de l’océan Indien). Plus au nord, sur les côtes de la mer Rouge, l’intérieur reprend plus d’importance, avec le pays bedja et la Nubie. C’est précisément le poids de ces régions, grâce aux notations d’Ibn Ḥawqal et d’Uswānī surtout, qui fait pencher largement la balance en faveur de l’Afrique orientale et rend, en regard, les données relatives au Soudan nigérien presque dérisoires.
26 La formulation de cette distinction est de J. Dévissé (cours 1er semestre 1968-1969, Université de Paris-VIII).
27 RST, 83, IṢṬ, 42, Ḥud, 473, ḤAW, 10, 162.
28 FAQ, 60 (où Nubie et Abyssinie semblent bien désigner indifféremment la contrée limitrophe de la Haute-Égypte), QUD, 230, MAQ, IV, 65.
29 HUR, 88, RST, 85, 96 (cf. Ḥud, 164, et note, p. 474), QUD, 231, ISH, 452 (cf. Ḥud, loc. cit.).
30 HUR, 155, HAM, 29, 37, 41 (Abyssinie moyenne).
31 ḤAW, 526-528 (sur le même plan, contestation, au nom de l’Islam qui change la carte de la terre (ḤAW, 9 i. f.), de la tradition persane : ḤAW, 5 sq. ; ici encore, au passage, réserves vis-à-vis de Ptolémée : ḤAW, 13).
32 Supra, p. 126, n. 1.
33 Géographie I, 267 sq
34 Supra, p. 16 et 132.
35 RST, 96, HAM, 7-8, SER, 12 sq., QUD, 230, MAS (p), § 189, ḤAW, 527, MUQ, 59.
36 Supra, p. 62 (et n. 5)-63 (et n. 1-2)
37 ḤAW, 150, 168-170. Cf. aussi Ḥud, ind., « Belt of the Earth » (moins net).
38 Sur ce massif montagneux, cf. infra, p. 136.
39 ḤAW, 12, 35-36, 61, 153, 157-158 ; cf. aussi MUQ, 241. Le jaune est la couleur dominante, seule donnée par IṢṬ, 26 ; ḤAW, 36, y ajoute le rouge, le bleu, le noir ou le blanc.
40 ḤAW, 158. Sur la montagne-mère Qāf, cf. supra, p. 10.
41 Les problèmes du Nil seront repris avec la description du monde musulman.
42 Voir références dans L. Massignon, Parole donnée, Paris, 1962, p. 421 sq. USW, 259, parle de la montagne du Sable (ou des Sables) : infra, p. 138.
43 Besnier, op. cit., p. 444, 525-526, MAS (p), § 215 (n. 6).
44 Voir une citation (très intéressante en son imprécision même) de Mas’ūdī par Dimasqī, dans J. Cuoq, op. cit., § 45 ; cf. aussi Besnier, s. v., et J. H. Kramers, « Nīl », dans El, III, p. 981 ; la confusion Nil-Indus est facilitée par la croyance à un bras du Nil qui se jetterait dans l’océan Indien (MAS (p), § 215-216, 847-848), comme l’Indus : sur ce problème, cf. infra, p. 171.
45 Us sont surtout sensibles en aval, à partir de la Nubie : cf. infra, « Panorama des pays : les régions du haut Nil : la Nubie ».
46 HUR, 176, YA’Q, 336, FAQ, 64, RST, 90, 100, HAM, 47, QUD, M 64, Merv, 225, MAS (p), § 215-216, 288-289, 791 (t), 84-85, ISH, 448, Ḥud, 78, IṢṬ, 40, ḤAW, 58, 147, MUQ, 20-23, WAS, 344 sq.
47 USW, 259-263.
48 Pourtant poussé sans doute par des motifs de même ordre (supra, p. 130) : ḤAW, 57-58 ; cf. aussi FAQ, 78, YA’Q, histoire, citée dans El, III, p. 982. Test du sérieux d’Uswānī : il critique les informateurs selon lesquels le Nil naîtrait de solitudes, puisqu’il apporte de ces régions, dit-il, des débris de barques et de portes (USW, 261).
Il est entendu qu’on ne traite ici que du système des origines : la description du fleuve enfin formé interviendra plus loin, à « Panorama des pays : les régions du haut Nil : la Nubie ».
49 Comparer avec une communication présumée Nil-océan Indien : cf. n. 4 de la page 136.
50 FAQ, 64, 78, WAṣ, 104 ; traces dans MAS (p), § 1420.
51 Distinction parfois imprécise : cf. RST, 88, qui déclare que la presqu’île de Berbera est habitée par une race de Zanğ et voisine du pays des Noirs (Sūdān).
52 HAM, 40.
53 « Le pays de Cairouan » semble être à cheval sur le Sūdān et l’Ifrīqiya.
54 ḤAW, 527.
55 Supra, p. 64 sq. et 100-101.
56 Fahr as-Sūdān ‘alā l-bīdān, 79.
57 Op. cit., 81.
58 On pourra vérifier le fait avec les références données plus loin à propos de la mention de ces traits pertinents dans nos textes. A noter que la Nubie et le pays bedja semblent être zone de transition : sur les deux rives de l’Atbara vivent des populations métissées (USW, 259) ; les Bedja, qui font partie de l’Abyssinie pour MAQ, IV, 65, sont plus noirs (ašaddu sawādan) que les Abyssins, bien qu’ayant l’aspect (ou le costume) des Arabes (IṢṬ, 31, ḤAW, 50), et plus loin (IṢṬ, 32, ḤAW, 56) : entre noir et blanc (bayna s-sawād wa l-bayād), leur teint est proche de celui des Arabes ; pour d’autres, leur teint tire sur le jaune (sufra) (USW, 268) ; la nudité, trait pertinent de la race noire, semble apparaître aux confins de la Nubie (MAS (p), § 796, ISH, 452, Ḥud, 165).
59 MAS (p), § 170.
60 Infra, p. 151-152 ; il faut souligner toutefois, sur ce point particulier, que c’est l’accentuation du trait, non le trait en lui-même (stéatopygie), qui est ici pertinente.
61 Références supra, p. 64, n. 3 et 4, et 66, n. 1 et 2 ; cf. aussi MAS (p), § 1362, IHW, I, 175, Ibn ‘Abd Rabbih, ‘Iqd, VI, 233, MAQ, IV, 65, Ḥud, 163, USW, 259, ḤAW, 10. Cf. aussi B. Lewis, Race and colour in Islam, New York-Londres, 1971
62 Références supra, p. 134, n. 7.
63 FAQ, 3-4, 119.
64 Supra, p. 63-64, 82 sq., 114, 134, et infra, p. 201, n. 6.
65 Supra, p. 63. Cf. aussi MAQ, IV, 92.
66 Supra, p. 60-61 et 64-66.
67 Comme, parfois aussi, les Chinois et les Hindous. Mais la tradition la plus générale semble faire descendre ceux-ci de Japhet : supra, p. 60 et 115. Sur la généalogie des Noirs, cf. MAS (p), § 844 ; RST, 100, appelle les Zanğ Kusāniyyûn, par référence à Kūs, fils de Cham : MAS, loc. cit., n. 2.
68 Et à l’unité Afrique-Égypte : les Coptes descendent eux aussi de Cham : MAS (p), § 793, 806, 1103.
69 MAS (p), § 844, 847 (les Zanğ étant comptés comme un rameau des Abyssins).
70 MAS (p), § 66-68, et M. Cohen, « Hām », dans EI (2), III, 107. Mêmes préventions dans l’Occident du Moyen Age, au moins jusqu’au xiiie siècle, contre Cham et sa descendance (cours de J. Dévissé, cité supra, p. 133, n. 5).
71 HUR, 17, MAS (p), § 412, 714, 848, 871, 874, 877, Ḥud, 475-476 ; HUR, loc. cit., donne Kābīl comme un titre royal (il relève d’une liste intitulée alqāb mulūk al-ard : « titulatures des rois de la guerre »), mais MAS (p), § 874 (et n. 2), semble en faire le nom personnel d’un souverain nubien. Au demeurant, chez Mas’ūdī, la lecture Kābīl est-elle peu sûre : faut-il, si elle est confirmée, lui donner une sorte de halo péjoratif, en la rapprochant de Qābïl (Caïn) ? ḤAW, 320, dit par ailleurs que Ġāna et Kūġa sont, en même temps que des noms de pays, les titulatures de leurs princes.
72 Supra, p. 61-62
73 Supra, p. 64-66.
74 FAQ, 330, ou MAS (p), § 1222, cités supra, p. 66.
75 Géographie I, 37 sq.
76 Sur les raisons de cette composition, cf. Pellat, Milieu basrien, 53 et pass.
77 Avares, trad. Pellat, 232 ; cf. aussi Hayawān, III, 245, et pass. Sur les Zanğ dans l’œuvre de Ğāḥiẓ, cf. Pellat, Milieu..., 42, n. 3.
78 Fahr, 64, 76 et pass.
79 Al-mudhāmmatān (vert sombre) : Coran, LV, 64.
80 Fahr, 71-73.
81 Fahr, 67. On remarquera que cette idée courante est celle-là même dont Ğāḥiẓ se fait à l’occasion l’écho : supra, n. 4.
82 Fahr, 76-77.
83 Supra, p. 141.
84 MAS (p), § 844, MUQ, 241.
85 IṢṬ, 32, ḤAW, 59.
86 Au sens, bien entendu, où la prend l’œuvre de CI. Lévi-Strauss.
87 Qui viennent, dans la hiérarchie, après les métaux nobles, or et argent ; ce sont en outre des métaux lourds, conformes à la pesanteur saturnienne, et aussi, toujours en conformité avec les caractéristiques de Saturne, des métaux sombres.
88 FAQ, 114, RST, 102, HAM, 40-42, MAS (p), § 171-173, 222, MAQ, IV, 65, Merv, 221 (avec cette formule révélatrice : « beau pour un Zanğ »), 230, ḤAW, 9 i. /.-10, Ḥud, 51, 163-165. On pourrait ranger, dans la même rubrique, la tradition selon laquelle quiconque se rend chez les Zanğ attrape la gale : 6ĀH (h), IV, 139, HUR, 170 ». f., RST, 83.
89 Merv, 221, 302, MAS (p), § 848, MAQ, IV, 65, WAS, 104.
90 HUR, 89, FAQ, 78, HAM, 40, ISH, 452, MAQ, IV, 92, Ḥud, 163, 165.
91 Cf. cette phrase de Merv, 301 : « on recherche les Zanğ pour la facilité avec laquelle ils supportent l’esclavage et pour leur force physique. »
92 ḤAW, 9 i. f.-10.
93 Ḥud, 165 ; cf. aussi Merv, 225 i. f.
94 Ḥud, 165. Un volume de cargaison, au passage : 200 esclaves sur le même navire (Merv, 223).
95 ḤAW, 73, 97, 122. Un exemple de marché aux esclaves (thème sur lequel on reviendra dans le cadre de la description du monde musulman), dans YA’Q, 260.
96 MUQ, 242.
97 Cf. infra, p. 154, le thème du « pacte ».
98 Merv, 222.
99 La brutalité et la duplicité sont bien prouvées dans la suite de l’histoire, dont on parlera plus loin : quand ces mêmes marchands retrouveront, réinstallé chez lui après son évasion, le roi Zanğ, ils seront « pleins de honte, de crainte et de confusion » (ibid., 223). Autres formules pour le début de cette histoire (ibid., 222-223) : « nous ne tînmes aucun compte » des protestations du roi, et n nous ne le traitâmes pas autrement que les autres. » Autres formules encore (pour le Wāq-Wāq), ibid., 196.
100 Parole donnée, op. cit., 433-434.
101 Sur cette attitude de l’Islam, qui s’accommode alors, comme le christianisme et le judaïsme, de l’esclavage, mais insiste sur la définition de l’esclave comme être humain et sur les mérites de l’affranchissement, cf. R. Brunschvig, « ’abd a, dans El (2), t. I, p. 26.
102 MAS (p), § 872, WAS, 64. Autres qualités signalées : la gentillesse (ḤAW, 73), la loyauté et l’abstinence (FAQ, 76, pour la Nubie).
103 MAS (p), § 872.
104 Ḥud, 164, ḤAW, 10 (à la réserve près que tout cela se fait par osmose, au contact des sociétés civilisées).
105 Merv, 226-227.
106 ḤAW, 105.
107 Merv, 221-227.
108 . As-Sūdān al-’urāt : HUR, 89.
109 R. Mauny, Tableau géographique de l’Ouest africain au Moyen Age, d’après les sources écrites, la tradition et l’archéologie, Dakar, 1961 ; T. Lewicki, Arabie external Sources for the History of Africa to the South of Sahara, Wroclaw-Warszawa-Kraków, 1969 ; J. Cuoq, op. cit. ; J. Dévissé, « La question d’Audaġust », dans Tegdaoust I, Recherches sur Aoudaghost, Paris, 1970, p. 109-156 (cité Tegdaoust dans les notes qui vont suivre).
110 Soit l’équivalent de 5 800 km, chiffre grossièrement valable en longitude, mais considérablement exagéré en latitude.
111 Il s’agit, dans ce dernier cas, des grands déserts reliant le Sūdān au pays Zanğ. Le passage est extrait de ḤAW, 15-16 (cf. aussi Ḥud, 165). Sur tous ces thèmes, cf. HUW (s), 6, HUR, 89, ISH,*452, MUH (f), I, 175, (y), I, 278, III, 142, IV, 495, ḤAW, 60-61, MUQ, 241. Plus tard, Idrīsī corrigera les évaluations relatives au classement des climats : Idrīsī, Description de l’Afrique et de l’Espagne, éd. R. Dozy et M. J. de Goeje, Leyde, 1968, p. 38-39 et passim.
112 MAS (p), § 844 et 880.
113 FAQ, 68.
114 ḤAW, 92 (variante, moins développée, ibid., 527).
115 A plus forte raison cette attitude est-elle celle d’un encyclopédiste représentant de Yadab, comme Mas’ūdī.
116 Dévissé, op. cit., p. 140 i. f. sq.
117 Damdam ou Lamlam, donnés plus tard par Idrīsī comme installés au sud de Ġāna, à la limite du monde habité : Idrīsī, op. cit., p. 4-6, 8, 9, 38. Les Damdam sont cités par MAS (p), § 844, et WAS, 104. Cf. aussi Bakrī, éd. Monteil, p. 79, infra, p. 170, n. 10, et J. Cuoq, op. cit., annot. du § 202.
118 Sur Kūġa, nom du pays et du roi, renvoyant à une région moins riche que Ġāna et tributaire, comme lui, du sel transitant par Awdaġost, c/. ḤAW, 36, 61, 92, 101, 320, 527. Assez mal fixé sur la carte : cf. Bakrī, op. cit., p. 75 (qui donne Kūġa comme le pays noir le plus riche en or), Idrīsī, op. cit., p. 2, 10-11, 121.
119 Sāma doit être identifiée à Sāmaqanda : Bakrī, op. cit., p. 73, 75, 112 (n. 1). Je suis moins sûr que les éditeurs d’Idrīsī de son identification à Sāma : Idrīsī, op. cit., p. 6, 9, 10 (trad., 12, n. 1), 33-34, 36.
Faut-il ranger dans cette même région le peuple désigné par MAS (p), § 880, sous le nom de Malāna ou Malanga (les Malinké du haut Niger ?) ?
120 Le pays de Garayù est cité par ḤAW, 61, 527. On peut, en raison des incertitudes de la graphie, le confondre avec le Qarāqir de MAS (p), § 880, et le Ġiyāru dont Idrīsī (op. cit., p. 9-10) dira plus tard qu’il relève du Ġāna, en laissant entendre qu’il est placé entre le Damdam et le Ġāna, vendant à celui-ci les esclaves pris à celui-là. Sur Ġiyārû, cf. aussi Bakrī, éd. Monteil, op. cit., p. 73.
121 MAS (p), § 844, 1367, ḤAW, 36, 61, 101, WAS, 103-104. Le thème de l’hégémonie du Ġāna sur toute cette zone (chez ḤAW et WAS) n’est encore que latent. II ne sera vraiment développé que plus tard avec Bakrī (op. cit., p. 68, 70-73, 74) et Idrīsī (op. cit., 9-10) : sur les données de ce dernier auteur, cf. Dévissé, op. cit., 154-155. Sur le Warām (MAS (p), § 1367), cf. T. Lewicki, « L’État nord-africain de Tahert et ses relations avec le Soudan occidental à la fin du viiie et au ixe siècle », dans Cahiers d’Études Africaines, VIII (1962), p. 517-518.
122 YA’Q, 360, FAQ, 64, MAS (p), § 1367, MUH (f), I, 175, ḤAW, 101-105. Cf. aussi Dévissé, op. cit., p. 135 (et n. 2-3).
123 MUH (f), I, 175, (y), I, 278, ḤAW, 10, 14, 61, 92 (la référence citée, à propos des boucliers dits de Lamta, à la n. 474, p. 91, de la traduction Wiet, peut induire en erreur : Ya’qūbī parle, lui, des Lamta de l’est, du Fezzan), 101. Cf. aussi la carte de Dévissé, op. cit., p. 151, où Nūl doit se lire, plus précisément, Nūl Lamta.
124 YA’Q (Gast), 360, WAR (m), 52-53, MUH (f), I, 174-175, (y), I, 278, ḤAW, 100-101, 320. Rappelons ici que Muhallabī et Ibn Hawqal écrivent juste avant que les Zénètes, liés aux Umayyades, évincent les Sanhāga de leur domination sur ces régions : Dévissé, op. cit., p. 120, 122, 123 (et n. 7), 128-129, 135 et pass. Sur la datation de la situation d’Awdaġost décrite par Muhallabī, ibid., 122, n. 4 ; sur la conversion de la ville à l’Islam, ibid., 122, 1. 5-17 (d’où il ressort que la situation décrite par Muhallabī (365-370/975-980) est postérieure à celle que décrit Ibn Hawqal; on précisera que celui-ci semble avoir consigné ces données (sinon visité ces régions) vers 240/951 : ḤAW, 99), 145, n. 8 (qui réfère à MUH (y), I, 278).
125 Par exemple pour les renseignements relatifs aux Almoravides : Bakrī, éd. Monteil, 59-65.
126 Sous son nom de Muhammad b. Yūsuf.
127 J. Dévissé (op. cit., p. 111) estime que Warrāq « apporte une information précise pour la période 965-975 à peu près. » Il est mort, en fait, en 973, et la notice sur Awdaġost parle d’un prince sanhāga qui règne sur la ville entre 340/961 et 350/971 : on voit que la dernière date ne serait antérieure que de deux ans à la mort de Warrāq. La prudence est donc de mise : elle inspire du reste à J. Dévissé une contradiction puisque, après avoir déclaré (ibid., p. 110) que la notice est « probablement très largement inspirée de l’œuvre » de Warrāq, il estime ensuite (p. 111) que l’ampleur de l’emprunt est, hélas ! « Impossible à mesurer ».
128 Supra, p. 144, n. 6.
129 WAR (m), 53.
130 WAR (m), ibid. La crédibilité de l’Histoire (elle ne fait que renchérir sur un canon très commun : cf. Al-A’šä, cité dans Blachère-Chouémi-Denizeau, Dictionnaire arabe-français-anglais, t. III, Paris, 1971, p. 1584 i. f.) est jugée si difficile qu’on éprouve — fait symptomatique — le besoin de donner une chaîne de garants : Muhammad b. Yūsuf (al-Warrāq) < Abu Bakr Ahmad b. 0alluf al-Fāsī < Abu Rustam an-Nafūsī (commerçant à Awdaġost).
131 Cette limitation étant donnée avec toute la prudence qu’exigent les incertitudes de la graphie et de la toponymie.
132 MAS (p), § 844, 880, ḤAW, 92, 101, WAS, 103. J’ignore d’où R. Cornevin tire sa référence à Ya’qūbī (« Gao », dans El (2), t. II, p. 999).
133 MUH (y), IV, 495.
134 Nil, dans le texte.
135 Avec la même formule que pour Awdaġost (MUH (y), I, 278 : supra, p. 150) : as-safaru ilayhā muttasilun min kulli baladin ; seule variante pour Gao : rejet de muttaçilun en fin de phrase. On doit probablement lire, derrière Sarnāt, Sané (cf. R. Mauny, « Notes d’archéologie au sujet de Gao », dans Bulletin de l’Institut Français de Dakar, 1931, p. 837-852), et J. Cuoq, op. cit., annot. du § 83.
136 . Avec un souci marqué d’ostentation (3e forme zāhara). Mais le texte, qui met un accent particulier sur l’Islam du roi, hésite, pour ses sujets, entre « la plupart » (aktaruhum) et « tous » (gamī’uhum) : mais il est vrai qu’il peut s’agir, dans ce dernier cas, de la seule maison royale.
137 ḤAW, 105-106.
138 MUH (y), I, 240 : cf. T. Lewicki, dans El (2), t. III, p. 307 (2).
139 MUH (f), I, 224, WAṢ, 104. Cf. J. Cuoq, op. cit., annot. du § 224.
140 YA’Q, 345, MAS (p), § 844, 880, MUH (y), III, 142, IV, 495, Ḥud, 165, 477, WAṢ, 104.
141 C’est le pays entre Hoggar et Tibesti : YA’Q, 345, MUH (y), III, 142. Faut-il lire Kawar derrière la graphie KZM donnée par ḤAW, 92, 527 ?
142 MAS (p), § 844. Ici encore, on peut évoquer la même graphie KZM d’Ibn Hawqal (cf. note précédente). Sur Kānem, cf. G. Yver dans El, t. II, p. 756-759.
143 FAQ, 68, MAS (p), § 844, 880, ḤAW, 92 (cf. itinéraire noté supra, p. 148). Ce toponyme semble renvoyer à la région tirant vers les oasis du désert de Libye, au niveau des frontières de l’Égypte, de la Libye et du Soudan actuels : cf. Idrīsī, op. cit., 41 (et comparer, pour la localisation, les indications données par Bakrï, éd. de Slane, trad., p. 35-40) ; cf. aussi Lewicki, cité par J. Cuoq, op. cit., annot. du § 22. Mais il faut admettre alors que Maranda est très mal placée sur l’itinéraire d’Ibn Hawqal.
144 Ces deux noms sont donnés par YA’Q, 345 (pour le dernier, FAQ, 68 : Mrāwa). Il peut s’agir, pour le second, d’une confusion avec Marāwa, nom d’une fraction de la tribu berbère des Luwāta, installée en Cyrénaïque (ibid., 343). Sur ces toponymes, cf. J. Cuoq, op. cit., § 22 et 36. Sur Nahla (MAS (p), § 1367), cf. T. Lewicki, op. et loc. cit. (supra, p. 150, n. 4).
145 Tout ce pays est d’autant plus essentiel pour les relations entre l’Islam et l’Afrique noire que les routes menant directement de l’Égypte au Soudan nigérien semblent abandonnées au ive/xe siècle : ḤAW, 61, 153. Sur ces pays, cf. YA’Q, 343-346 (qui semble placer bien trop à l’est Waddān, en réalité situé entre Tripoli et le Fezzan : cf. Bakrī, éd. de Slane, 30, n. 2, Yāqût, Mu’gam al-buldān, V, 366), MAS (p), § 880 (avec, sous toutes réserves, les deux noms de Garamantes et de Djerma), Ḥud, 153, 165, 416, 477, ḤAW, 67, 92, 106, 170, MUQ, 242.
146 A une réserve près : les mouvements de part et d’autre de la mer Bouge (commerce ou immigration de tribus arabes), sur lesquels on reviendra.
147 Muqaddasī, peu prolixe sur ce chapitre, a une phrase assez vague, mais qui confirme bien la vision d’ensemble de nos textes : « La Nubie est au delà de l’Égypte, les Bedja au delà de ‘Aydāb et l’Abyssinie au delà de Zayla’ » (MUQ, 242). Formule de même ordre chez HUR, 83 : « En amont de l’Égypte se trouvent la Nubie, les Bedja et l’Abyssinie. »
148 Supra, p. 136 i. f.
149 USW, 271 i. f., qui renvoie à l’Égypte pharaonique et grecque.
150 F. Løkkegaard, s. v., dans EI (2), t. I, p. 996.
151 HUR, 92 a.
152 QUD, 265, USW, 277, ḤAW, 56 (moins explicite : le pays bedja est pacifié et n’est pas territoire de guerre), et infra, p. 163.
153 USW, 277.
154 HUR, 92 a, FAQ, 76 (400 esclaves), QUD, 265 (et trad., 207, n. 1), MAS (p), § 881-883, USW, 271-277, 289 sq.
155 QUD, 230, MUH (y), III, 142, ḤAW, 10, 15, MUQ, 242.
156 YA’Q, 334, MAS (p), § 883, USW, 252, 253 (avec notation originale : la région immédiatement au sud de Bilāq est musulmane, mais non arabe de langue), 275, 289, ḤAW, 51 (avec variante : Qasr Āliya).
157 MAS (p), § 894-895, Ḥud, 164," ḤAW, 16, 60, 132, 153-154.
158 Ḥud, 164-165, ḤAW, 56 et passim, 255 et passim, WAS, 105-106.
159 MAṢ (p), § 1367 (1500 X 400 parasanges, avec le Négus donné comme roi de la Nubie), ḤAW, 56, USW, 257, WAṢ, 105-106.
160 ḤAW, 56, USW, 257, WAṢ, 105-106.
161 On reviendra sur ce point ci-après, lors de l’évocation des principaux pays nubiens.
162 MAS (p), § 874, ḤAW, 58, USW, 253, trad. 280.
163 MAS (p), § 873-874 (Marīs est cité, mais pas au nombre des pays constitutifs de la Nubie : Maqurra et ‘Alwa), ḤAW, 57-58 (avec deux formules : « Maqurra, qui est le pays de Dongola et touche Assouan » et « Marīs est la région comprise entre la limite d’Assouan et l’extrémité du pays de Maqurra »), USW, 253-255 (trad. 280-283). A noter, au chapitre de l’originalité du Marīs, qu’ Uswānī semble parfois réserver à ce pays l’appellation de Nubie : USW, 258 (trad. 285-286 ; cf. aussi trad., p. 281, n. 1).
164 FAQ, 78, MAS (p), § 873, ḤAW, 58-59, USW, 254-258 (trad. p. 282-286).
165 YA’Q, 336, ḤAW, 58 (« à l’ouest du Nil Blanc vit un peuple appelé les Montagnards, qui obéit au seigneur de Dongola, lequel gouverne Maqurra et Maris » : le pays de Dongola se situe effectivement au nord-ouest du Nil Blanc), USW, 254 (trad. p. 281 (et n. 6)-282).
166 USW, 255-256 (trad. p. 283-284), avec, suivant celui-ci, un autre passage, pour la région de Dongola.
167 FAQ, 78, MAS (p), § 874, ḤAW, 57 (1 mois de marche seulement), 58, USW, 256, 264-265, WAS, 105-106.
168 ḤAW, 57, 59, NAD, 19, USW, 256 (trad. 284, n. 4), 263 (trad. 288), WAṢ, 105-106.
169 YA’Q, 335, MAS (p), § 873, USW, 258-260, 263, WAS, 105-106.
170 Supra, p. 136-138.
171 ḤAW, 57.
172 Ces deux noms (de l’amont vers l’aval) pour un même cours d’eau, affluent de l’Atbara en rive droite. Il n’est pas exclu que Sansābī puisse renvoyer à une déformation de Setit. La localisation au niveau du bassin de l’Atbara semble de toute façon confirmée par la peuplade des Bāzīn : infra, p. 160 (et n. 5).
173 ḤAW, 57-58.
174 ḤAW, 58.
175 USW, 259-260 ; c’est le futur pays de Sennār, d’où sortiront les Fung qui détruiront le royaume de ‘Alwa, au xe/xvie siècle.
176 ḤAW, 58.
177 ḤAW, 16, 43, 57-58.
178 ḤAW, 58. Faut-il rapprocher ces données de celles de FAQ, 78, qui déclare qu’il existe, au delà du pays de Alwa, une peuplade (umma) soudanaise, nommée Tkna, nue comme les Zanğ ? Celle-ci serait, si l’on suit Marquart et Conti-Rossini, qui corrigent en Bukna (cf. J. Cuoq, op. cit., annot. du § 35), les « Pekinoi » de Ptolémée.
179 Agaliyyin, auquel pourrait faire songer le mot que nous avons ici, renvoie malheureusement à un affluent en rive gauche du Dinder, donc à une région à l’est du Nil Bleu (et non à l’ouest du Nil Blanc, comme le dit Ibn Hawqal). La graphie Aḥadiyyūn est, de toute façon, suspecte : elle évoque singulièrement celle de Dīhiyyûn (désignant une population qui habite, elle, à l’est de la Nubie : infra, n. 5), mais elle a aussi des résonances par trop « musulmanes », évoquant on ne sait quels tenants de la ahadiyya (monisme ontologique).
180 ḤAW, 58 (la ressemblance est signalée pour les longs pantalons piqués, les sandales et les boucliers).
181 USW, 257-258, trad. 285 (et n. 6).
182 ḤAW, 55 (qui parle de Nubiens et de Bedja sédentarisés), 57. A rapprocher de USW, 259, trad. 286 : sur les rives de l’Atbara, entre Alwa et les Bedja, vivent deux peuplades de métis : les Dïhiyyūn et les Bāzah, cette dernière (citée aussi à USW, 271, comme vivant aux limites du pays bedja) semblant bien correspondre à Bāzīn (ou à Bāriya, autre peuplade que ḤAW, 55, associe aux Bāzīn). Les Bāzīn se voient ainsi confirmer une aire assez étendue, à cheval sur les deux bassins de l’Atbara, tributaire du Nil, et du Baraka, tributaire de la mer Rouge : excellente position pour contrôler le trafic caravanier entre mer et fleuve : ḤAW, 57, nous précise que les populations de la région de Taflīn sont commerçantes et vont « jusqu’à la Mekke et ailleurs ». Sur les peuplades bedja citées ici, cf. infra et J. Cuoq, op. cit, § 24 (avec référence à C. Conti-Rossini, Storia di Etiopia).
183 Sur eux, cf. P. M. Holt, dans El (2), t. I, p. 1192-1193, et G. Wiet, dans USW, p. 267, n. 1.
184 MUH (f), I, 167, USW, 273, et supra, p. 156, n. 1.
185 Ḥud, 164 : « East, south and west of it (le pays bedja) is the desert... and north of it is that desert which lies between Abyssinia, Buja, Nubia and the sea. »
186 MAS (p), § 875, 1367 (16 000 parasanges carrées, ce qui range les Bedja dans le groupe des petits pays : comparer avec le Rûm (2 100 000), l’Islam (env. 2 220 000), l’Inde (77 000 000), la Chine (341 000 000), etc.), USW, 267, HAW, 16, 43, 54, 56, 59, WAS, 106.
187 MAQ, IV, 65.
188 YA’Q, 335, ḤAW, 42-43, 56 (mais voir note suivante), MUQ, 242, USW, 257 (trad. 285, n. 4), 267 (qui donne, pour Massaoua, Dabi", métathèse pour Bādi’ ; sur une autre localisation, au sud-ouest de Sawākin, cf. J. Cuoq, op. cit., annot. du § 24). A propos d’Ibn ḤAWqal, il importe de remarquer que son texte (p. 56) mêle, de façon à première vue inextricable, les Bedja et les Abyssins, suivant en cela l’original d’IṢṬaJjrï (p. 32 ; sur les rapports entre les deux textes, cf. infra, p. 164, n. 5). On serait d’autant plus tenté d’appliquer à l’Abyssinie les notations relatives à Zayla’ et au pays « en face d’Aden », que, ailleurs [cf. note suivante), le même Ibn ḤAWqal semble étendre très loin vers le nord le territoire abyssin. En fait, pour les notations qui nous occupent ici, je crois qu’il s’agit bien du pays bedja, à cause de la notation wa hum ahlu silmin laysû bidāri harbin, qui, intervenant dans le texte un peu après la mention des Abyssins, me paraît néanmoins s’appliquer difficilement à eux. Ce « territoire pacifié, qui n’est pas (ou plus) territoire de guerre », ne me paraît pouvoir renvoyer qu’à la situation particulière du baqt conclu avec les Bedja (confirmée par une référence d’USW : supra, p. 154, n. 7) : quand il traite de bonnes relations entre Abyssinie et Yémen, c’est de traité de paix (muhādana), simplement, que parle MAS (p), § 877.
189 YA’Q, 334-335, RST, 183, MAS (p), § 875, 887-893 (‘Allāqī est dite expressément recevoir son ravitaillement d’Assouan, et Qift déclinante au profit de Qus : rectifier les données de J. Kramers, dans EI, t. II, p. 1223), USW, 267, 272, ḤAW, 162 (dont la phrase « ’Ayd āb est une ville d’Abyssinie » contredit les données relevées dans la note précédente), MUH (f), I, 167. Cf. aussi Ḥud, 164, qui fait de Zayla’ la résidence du commandant en chef de l’armée abyssine.
190 ḤAW, 55 : saqq.
191 ḤAW, 54-55, 57.
192 Cf. aussi ce qui a été dit sur le pays de l’Atbara : supra, p. 160, n. 5.
193 WAṢ, 106. Sans doute est-il le plus tardif des auteurs étudiés ici : guère plus, toutefois, que Muhallabī ou Ibn Hawqal, et pas assez, de toute façon, pour justifier des progrès aussi massifs de l’Islam. On rapportera, en dernière analyse, l’information qu’il donne ici à son goût de l’insolite, de l’exagéré (cf. Géographie I, index, s. v. « Ibrāhīm b. Wasīf Sāh »).
194 Supra, n. 1 et p. 161, n. 6, infra, p. 166, et MAQ, IV, 65, qui les range dans l’Abyssinie.
195 USW, 267.
196 D. Cohen, dans Le langage, publié sous la direction d’A. Martinet, Paris, 1968, p. 1288-1299.
197 S. H. Longrigg, « Dankalī », dans EI (2), t. II, p. 115-116, et D. Cohen, op. cit., p. 1290 (s. v. « bedja » et « ’afar »). Comparer avec ḤAW, 56 : les Bedja ont un parler commun, mais certains possèdent un dialecte propre.
198 Supra, p. 162. On reviendra plus loin sur les routes commerciales, avec « Quelques percées sur les techniques et le commerce ».
199 Supra, p. 160 : le processus de sédentarisation est soit à peine esquissé (passage éventuel du stade pastoral au commerce), soit pleinement réalisé (ibid., n. 5).
200 MUH (f), I, 167.
201 MAS (p), § 875-876, ḤAW 50-53, USW, 272, 277. Cf. aussi YA’Q, 334-335, WAṢ, 106.
202 Sur le baqt des Bedja, cf. supra, p. 154, n. 7.
203 MAS (p), § 875, USW, 272, 277, 286.
204 MAS (p), § 876.
205 ḤAW, respectivement 56, 50-51, 54, 56, USW, 278. FAQ, 78, relève, lui, des traces de judaïsme chez les Bedja.
206 Littéralement : affaibli (da’īf) : USW, 272. Sans doute faut-il comprendre que cet Islam se réduit à l’énoncé de la profession de foi (sahāda) : ibid., n. 3.
207 IṢṬ, 32, ḤAW, 56. Dans tout ce passage relatif à la Nubie et aux Bedja, Ibn Hawqal donne un texte qui, par sa longueur, n’a plus rien à voir ou presque avec le canevas fourni par son prédécesseur : la quasi-totalité du contenu des pages 50 à 59 est d’Ibn Hawqal, à trois brèves exceptions près, dont celle-ci, rectifiée de surcroît. Le gonflement général du donné et les corrections de détail confirment, de la part d’un auteur sensible aux intérêts fātimides, l’attention portée à l’hinterland nilotique de l’Égypte.
208 Cf. J. S. Trimingham, « Habash », dans El (2), t. III, p. 5-6, et E. Ullendorff, « Erythrée », ibid., t. II, p. 728-729.
209 Pour les détails de la description, cf. infra, p. 189 sq.
210 FAQ, 252, qui semble mêler des traits appartenant aux pays bedja et nubien (pour ce dernier, cf. notamment infra, p. 193, n. 10), pays qu’il ne désigne pas, au reste, nommément.
211 YA’Q, 336, USW, 267-268, 270-271.
212 YA’Q, ibid., USW, 268-269, ḤAW, 50-51, 56.
213 Elle suit, par certains traits, celle de Ya’qūbī dans son Histoire : cf. J. Cuoq, op. cit., § 24 (avec renvoi à C. Conti-Rossini, Storia di Etiopia).
214 USW, 272. Cf. aussi supra, p. 160 (autre définition, territoriale celle-là, des Zanāfig ; encore faut-il remarquer qu’ils se retrouvent dans le même état de sujétion, au profit des Nubiens cette fois), et infra, n. 5. YA’Q, 336-337, sépare lui aussi territorialement les deux populations, avec leurs princes respectifs et leurs capitales : Haǧar et Baqlīn.
215 USW, 277.
216 ḤAW, 55-56, et supra, p. 160, n. 5 (pour les Bāzīn). J’emprunte la localisation des Hadārib (région des mines et de ‘Aydāb, contiguïté avec la Haute-Égypte) à USW, 272. Sur la région de Massaoua (Bādi"), supra, p. 161 (et n. 6)-162. A noter, à propos des Raqābāt et des Handībāt, soumis aux Hadārib (que ḤAW, 55 i. /., appelle, en la circonstance, Hadrabiyya), qu’ils sont dits hufarā’ ‘alà l-Hadrabiyya : « payant une redevance de protection (hufāra) aux H. » (sur ce sens de la racino hfr, cf. Dozy, Supplément, t. I, p. 386). Or, c’est le même terme de hufarā’, et avec le même sens, que USW (supra, n. 3) applique aux Zanāfiǧ, nom qu’Ibn Ḥawqal ignore pour sa part.
217 Infra, « La terre d’Afrique : une mine ».
218 RST, 96.
219 Supra, p. 133, n. 6, 161, n. 6, 162, n. 1 et 6, et aussi ḤAW, 10, 12, 16.
220 MAS (p), § 877 (autorité abyssine sur Zayla", Massaoua (Bādi’) et l’île de Dahlak), 898 ; cf. aussi SIR, 130, qui parle d’Abyssinie pour la partie sud du littoral occidental de la mer Rouge. Sur Bādi", supra, p. 161 (et n. 6)-162.
221 Par exemple HUR, 145, MAS (p), § 877, 1007, ḤAW, 24.
222 MAS (p), § 244, Ḥud, 163-164, IṢṬ, 19, ḤAW, 16.
223 ḤAW, 16 (« c’est une contrée (nāhiya) [bien délimitée, ajoute G. Wiet) et un vaste royaume »), 59 (« pays sans fin, avec des solitudes et des déserts difficiles à traverser »). Toutefois, l’Abyssinie est moins vaste et moins peuplée que la Nubie : IṢṬ, 32, ḤAW, 56.
224 Ku’bar : MAS (p), § 877, WAS, 106-107 ; mais voir C. F. Beckingham, dans El (2), III, 7 (1), et J. Cuoq, op. cit., annotation du § 25 (citation de Conti-Rossini). Sur Garmï, qui renverrait en réalité aux Garamantes, cf. références supra, p. 134, n. 1.
225 ḤAW, 16, 59.
226 HUR, 17, MAS (p), § 714, 877, 1085, ISH, 452-453, et supra, p. 61.
227 MAQ, IV, 65, WAS, 106-107.
228 Supra, p. 133, 159, 166, et Devic, op. cit., p. 37-39. De même conserve-t-on l’image du pays chaud par excellence (où le soleil brûle les visages : A !0toi|>) : MAS (p), § 791.
229 Supra, p. 134.
230 Supra, p. 136, n. 4, 140, n. 1.
231 ḤAW, 12, 36, 61, 153 (cité supra, p. 135, n. 3) : il est évident que, de par sa situation telle qu’on vient de l’évoquer, l’Abyssinie est pleinement comprise dans ce système sablonneux ; et du reste, ḤAW, 59, lorsqu’il parle dos déserts de l’Abyssinie (supra, p. 166, n. 7), emploie bien une expression de même ordre que celles par lesquelles il évoque le gigantisme du grand désert méridional africain : « infranchissable », dit-il presque toujours (ḤAW, 12, 36, 61).
232 Ḥud, 163.
233 Le mot de Zanğ, dont on verra les origines chez Devic, op. cit., p. 15 sq., se retrouve dans Zanzibar, forme altérée de Zanğibar : la côte des Zanğ (Devic, op. cit., 21, Minorsky, dans Ḥud, 472).
234 Phrase révélatrice chez WAS, 107 : « les Zanğ sont situés sur le rivage de la mer salée » (souligné par nous).
235 Je donne, conformément aux indications du traducteur, Ch. Pellat (MAS (p), § 215), Zanzibar comme correspondant moderne de Qanbalū. Le problème de l’identification de l’île sera repris infra, p. 172.
236 Et non 700 (Devic, op. cit., p. 27, qui du reste rectifie l’erreur p. 116).
237 MAS (p), § 1367. Sur une comparaison avec d’autres pays, supra, p. 161, n. 4 ; IṢṬ, 29, ḤAW, 16, 43, et WAS, 107, insistsent sur l’étendue du pays, mais sans autre précision.
238 Référence supra, p. 133, n. 1, cl 166, n. 6.
239 Supra, p. 131.
240 Sur les raisons qui imposent cette représentation, cf. supra, p. 133, n. 3.
241 MAS (p), § 215 (les Zanğ touchent au pays des Noirs : Sūdān), 871 (pays chaud, immense, coupé de vallées, de montagnes et de déserts de sable), IṢṬ, 32 (contacts territoriaux avec la Nubie), et supra, p. 135 (à propos des déserts compris entre Sūdān et Zanğ) et 166 (contacts avec l’Abyssinie ; cf. également, sur ce point, IṢṬ, 19, ḤAW, 16, 59).
242 QUD, 230, MAS (p), § 244, 844, Ḥud, 164,
243 HAM, 52, USW, 262.
244 Merv, 261.
245 Ǧazïra : RST, 88, HAM, 52.
246 Les pays avec lesquels commerce ce pays de Berbera (Inde et Arabie du Sud) sont ceux-là mêmes que la théorie wegenerienne de la dérive des continents soude à l’Afrique dans une phase précédente de la tectonique terrestre.
247 Loc. cit.
248 MAS (p), § 245 (traduction inspirée de celle de Ch. Pellat) ; sur la réputation de cette mer, cf. aussi Merv, 261, MUQ, 12, et supra, p. 131.
249 MAS (p), § 844 (avec hésitation sur Zayla’ : le territoire de Berbera est contigu à celui de Dahlak, Zayla’ et Bādi’ : sur ce dernier nom, cf. supra, p. 161-162 et 165 i.f.), 877 (Zayla’ aux Abyssins, comme Dahlak et Bādi’), HAM, 52, IṢṬ, 32, ḤAW, 56, Ḥud, 164. Sur le problème de la définition de Zayla’, cf. supra, p. 161, n. 6, 162, n. 1 et 6, 163, n. 2.
250 ḤAW, 43.
251 MAS (p), § 245, USW, 262.
252 ḤAW, 43, et Devic, op. cit., p. 66. A noter que le nom de Merka (ville côtière au sud de Mogadiscio), qui apparaît dans ibid., 65 (citation des Prairies d’or), doit se lire en fait, comme dans l’édition Pellat, Maranda : sur ce nom, cf. supra, p. 153, n. 5. Une autre ville, Barawa, dans les environs de Merka, ne peut être confondue avec des îles de même noms que Merv, 269, localise dans les parages de Sumatra : cf. Devic, op. cit., p. 69, n. 2 (sur Barawa, cf. C. F. Beckingham, dans El (2), t. I, p. 1069-1070).
253 RST, 88, MAS (p), § 844.
254 Ḥud, 163-164. Autre richesse : les peaux (SIR, 130, ḤAW, 43).
255 MAS (p), § 244.
256 MAS (p), § 244.
257 SIR, 130.
258 Supra, p. 163, n. 1 et 2 (sur les parentés linguistiques entre berbère, bedja et danqalī ; sur le somali, cf. D. Cohen, op. cit., p. 1290). Autre constante de ces pays : l’aridité (références supra, p. 166, n. 4).
259 MAS (p), § 848 : « l’habitat des Zanğ commence au canal dérivé du haut Nil (infra, p. 171) et se prolonge jusqu’au pays de Sofāla et du Wāq-Wāq. »
260 MAS (t), 102 ; à noter toutefois que cette vie humaine est censée s’arrêter vers 19° de latitude sud : supra, p. 132, et infra, à propos de Sofāla.
261 Ḥud, 163, 472. Encore faut-il poser que c’est bien le nom à lire derrière la graphie Mlgdn. La ville est située au nord de l’actuelle Mombasa.
262 Sofāla est située immédiatement au sud du port de Beira, dans l’actuel Mozambique. Les géographes l’appellent parfois « Sofāla des Zanğ » ou « Sofāla de l’or » pour la distinguer d’une ville de l’Inde : Devic, op. cit., p. 87. Sur Sofāla, cf. MAS (p), § 362, 847, Merv, 221, 223, 229-230, 299-301, 303, Ḥud, 163, 472, et G. Ferrand, dans El, t. IV, p. 490-493. Sur les Damdam, qui n’apparaissent pas, dans nos textes, pour ces régions (comparer avec les références données par Devic, op. cit., p. 82-83), cf. supra, p. 149, n. 3.
263 Supra, p. 132.
264 Pour la première, cf. MAS (p), § 847. La seconde se devine à partir de Merv, 301, où l’on voit certaines villes du littoral de Sofāla tomber au pouvoir des gens du Wāq-Wāq : or, il ne peut s’agir ici, compte tenu des distances et d’autres renseignements explicitement donnés, que du Wāq-Wāq d’Extrême-Orient (sur le Wāq-Wāq, cf. infra et chap. IX). La même navigation a touché aussi Zanzibar : infra, p. 173.
265 Ainsi, du moins, MAS (p), § 362, interprète-t-il le nom commun de sufāla : une dorsale montagneuse qui plonge sous la mer pour réapparaître plus loin, Chypre étant un exemple particulièrement net.
266 MAS (p), § 847-848, Ḥud, 472. Le Wāq-Wāq, compte tenu des limites de la vie dans l’hémisphère sud et de la forme de l’Afrique (supra, p. 132-133), ne peut s’étendre que vers l’est : sur le Wāq-Wāq, cf. supra, p. 79-80, et infra, chap. IX.
267 Ḥud, 163, 472 : une graphie Hūfā (Howa) apparaît dans le Muhīf de l’amiral turo Sīdī "Alī Celebī (1554) pour la partie sud de Madagascar, mais ce nom de Howa semble difficilement devoir être connu dès le ive/xe siècle. Quant aux diverses graphies de la racine Qmr, qui peuvent renvoyer soit aux montagnes des sources du Nil (supra, p. 136), soit aux Comores, soit aux côtes méridionales de l’Inde (cap Comorin), soit au Cambodge (Qimār : MAS (p), § 61, 178), elles n’apparaissent nulle part dans nos textes pour ces régions : cf. Devic, op. cit., p. 112-114. On parlera un peu plus loin de l’hypothèse insoutenable qui identifie Madagascar à Qanbalū. Sur ces questions, cf. J. Faublée et M. Urbain-Faublée, « Madagascar vu par les auteurs arabes avant le xie siècle », dans Studia (Centro de Estudos HIṢṬôricos Ultramarinos), Lisbonne, XI (janvier 1963), p. 445-462.
268 MAS (p), § 246.
269 MAS (p), § 215-216, 222 et 847-848, et supra, p. 136, n. 4. Mas’ūdī indique que ce fleuve se jette « dans la partie de l’océan Indien qui touche l’île de Qanbalū », laquelle est Zanzibar, comme on le dira un peu plus loin. Cette indication peut être prise au pied de la lettre ou, au contraire, désigner, de façon générale, la partie méridionale de cet océan Indien occidental (bahr az-Zanğ : mer des Zanğ), pour la distinguer de sa partie nord, celle qui baigne les rivages de Somalie et du Kenya.
270 RST, 88, Merv, 261.
271 Merv, 301, WAṢ, 107-108.
272 La formule est de MUQ, 14. Sur ces thèmes, cf. RST, 87, HAM, 52-53, SῙR, 55 (comparer avec Rel, § 35), 128-129, MAS (p), § 879, Ḥud, 58 (deux petites îles sous ce nom de Socotra : sans doute confusion avec les îles situées entre Socotra et le cap Guardafui), MUH (f), II, 128. Cf. aussi Devic, op. cit., p. 96-97, et J. Tkatsch, dans El, t. IV, p. 497-503.
273 De l’Oman à Qanbalū, il y aurait 500 parasanges = 2 900 km, chiffre trop faible d’environ 1 000 km : MAS (p), § 215, cité supra, p. 168, n. 1. A plus forte raison serait-il insoutenable pour Madagascar, et du reste nous indique-t-on, de Qanbalu au pays de Sofāla, 800, 1 000 ou 1 500 parasanges [Merv, 302-303, le pays des « Zanğ qui mangent les hommes » étant bien celui de Sofāla : ibid., 221) : preuve que les parages sud de l’océan Indien sont bien sentis comme au delà encore de Qanbalu, et ce très largement. Il est vrai que, la direction n’étant pas indiquée, l’argument n’est pas absolu ; mais il faudrait alors supposer, au vu des navigations plusieurs fois accomplies par Mas’ūdī de l’Oman à Qanbalu (MAS (p), § 246), une navigation hauturière Arabie-Madagascar, bien éloignée des intérêts représentés, sous forme d’esclaves ou d’or, par les rivages de l’Afrique orientale. Et puis, comme le souligne si justement Devic (op. cit., 117-118), comment imaginer que Mas’ūdī, connaissant Qanbalū, n’eût fait aucune allusion à l’étendue de l’île, ni à la longueur ou aux périls d’un long voyage, si vraiment Qanbalu était Madagascar ?
274 MAS (p), § 215, 244, 246, 872, Merv, 221, 223, 301, 303, USW, 263, et Devic, op. cit., p. 101-102, 115-119. A remarquer que l’évocation de cette ville-citadelle fait en effet penser à Zanzibar : la cité proprement dite est reliée au reste de l’île par un Isthme très étroit. Quant aux assaillants, ce sont probablement des Malgaches : cf. Faublée et Urbain-Faublée, op. cit., p. 461.
275 Par exemple SIR, 85, 91, MAS (p), VIII, 31, 58-60.
276 Supra, p. 131, et MAS (p), § 847 : mer de Zanğuebar.
277 « Historien de la Nubie » (mu’arrih an-Nūba), l’appelle Maqrīzī (op. cit., p. 278).
278 On reviendra plus loin sur l’agriculture : infra, p. 189. Notons ici, à titre d’exemple, que lorsque ḤAW, 12, évoque l’immensité des déserts africains, il prend bien soin d’en donner comme l’expression synonyme : ni cultures, ni plantes, ni animaux, dit-il (souligné par nous).
279 Supra, p. 135, n. 3, MUH (f), I, 174, MAQ, IV, 65 (spongieux et peu fertile, dit-il exactement : l’association, ici encore, est intéressante).
280 Supra, p. 170. Cf. aussi MAQ, IV, 65 : les Zanğ sont exportateurs d’or.
281 Ḥud, 165.
282 WAṢ, 103-104.
283 MAS (p), § 796, ISH, 452, USW, 263-264, ḤAW, 59, WAṢ, 106. La Nubie connaît aussi l’émeri, que l’on tire du Nil : USW, 255.
284 ISH, 453.
285 FAQ, 78, MAS (p), § 875, 887-893, Merv, 298, USW, 267, 270, ḤAW, 50, 58, WAṢ, 106.
286 MAS (p), § 887, 893.
287 YA’Q, 334-335, MAS (p), § 893, IṢṬ, 32, ḤAW, 162, trad. 161 : « le sol de la région minière est plat, sans aucune montagne : c’est un composé de sable et de petits cailloux ». Le terme de mabsuf, traduit par « plat », évoque plutôt une idée de larges horizons, de relief aux formes évasées (cf. Dozy, Supplément, t. I, p. 86), mais tout de même lisibles : c’est une vallée (wādī) que le ‘Allāqī.
288 MAS (p), § 791, ḤAW, 162.
289 YA’Q, 359 (pour la région marocaine du Dar’a, il est vrai, et non pour le Ġāna ; mais l’unité thématique est nette, avec comparaison de l’or (et de l’argent aussi) à une plante).
290 FAQ, 87.
291 Merv, 230.
292 MAS (p), § 867, ISH, 452, USW, 270. On repensera ici aux autres produits échangés contre l’or, le sel notamment : ḤAW, 101, MUQ, 241-242 (sel ou étoffes), Dévissé, op. cit., p. 113-115.
293 Sans parler des maléfices naturels de l’or natif : Dévissé, op. cit., p. 118.
294 ḤAW, 59.
295 Supra, p. 105.
296 MAS (p), § 1420, ISH, 453, MUQ, 241-242 (qui ne précise pas le caractère muet du troc).
297 HUR, 155.
298 MAS (p), § 848, 867.
299 MAS (p), § 848 : le roi des Zanğ commande à 300 000 cavaliers.
300 HAM, 29.
301 SῙR, 127.
302 Supra, p. 132 et 159.
303 MUQ, 241.
304 USW, 270, ḤAW, 58.
305 ḤAW, 55, trad. 52. Cf. aussi infra, p. 184.
306 ḤAW (loc. cit.), à propos des jungles évoquées ci-dessus, dit bien : ‘ādiyya : très vieilles, antiques, multiséculaires.
307 ḤAW, 153.
308 F. Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme, t. I, Paris, 1967, p. 46-51.
309 Supra, p. 158 ; cf. aussi WAS, 105-106.
310 ISH, 452.
311 Merv, 284-285, Devic, op. cit., p. 108-109, HAM, 52 (allusion à une « montagne de la fumée : « gabal ad-duhān, dans l’Afrique du Nord-Est), F. Maurette, Afrique équatoriale, orientale et australe (t. XII de la Géographie universelle, sous la direction de P. Vidal de La Blache et L. Gallois), Paris, 1938, p. 96-98.
312 RST, 100.
313 Sur ce nom, cf. supra, p. 142, n. 3.
314 RST, 100 (souligné par nous).
315 C’est, l’autruche mise à part, le bestiaire de l’Extrême-Orient : supra, p. 91, 93, 95 sq. A noter ici, pour l’éléphant, l’ambiguïté de la tournure kal-fiyala : est-ce un exemple cité ou une image : des animaux ressemblant aux éléphants ? De toute façon, la spécificité de l’éléphant africain est soulignée : on y reviendra un peu plus loin.
316 Géographie I, p. 200-201.
317 RST, 100-101, trad. 111 (souligné par nous).
318 RST, 96 (Inde rangée dans les premier et second climats). Pour l’éléphant, voir références supra, p. 95 sq.
319 Un thème essentiel de Vadab : la surdité présumée de l’animal. Cf. les citations réunies par ÛÀH (h), IV, 383, 395, 398, 400, 411.
320 RST, 101, trad. 111-112.
321 MAS (p), § 796, 848, 867, 870, WAR (m), 52, USW, 268, ḤAW, 56, MUH (y), III, 142.
322 MAS (p), § 796, USW, 263-264, ḤAW, 58, MUH (y), III, 142.
323 MAS (p), § 796, WAR (m), 52, USW, 268, ḤAW, 51, MUH (y), III, 142.
324 Supra, p. 177.
325 YA’Q, 336, MAS (p), § 796, 846, USW, 256, 263-264, 268, ḤAW, 58, 162, MUH (y), III, 142.
326 Supra, p. 88-89.
327 ḤAW, 55.
328 Respectivement jahd, nimr (sur ce mot, cf. supra, p. 93, n. 3) et ‘anāq al-ard : ÔÀH (t), 158, SIR, 128, 130, MAS (p), § 845-846, 898, USW, 270, ḤAW, 55-56.
329 YA’Q, 336, RST, 100, FAQ, 77 (deux cornes), ḤAW, 55.
330 YA’Q, 336, RST, 100, MAS (p), § 849, 852, 859, USW, 270, ḤAW, 55 ; à noter que MAS (p), § 849, attribue ici à la bête un trait généralement réservé au rhinocéros : l’absence d’articulations.
331 MAS (p), § 805, FAQ, 63, 255, USW, 257 : thèmes inspirés de GĀH (h), VII, 129, 138, 140, 250-251.
332 Grâce à l’Égypte, il n’est pas inconnu du monde musulman : cf. MAS, loc. cit. En le décrivant ici, faisons-nous une entorse à la méthode énoncée plus haut, qui était de nous consacrer exclusivement aux originalités africaines ? En fait, l’hippopotame n’est égyptien -— et ce de façon très marginale quant à son habitat — que parce qu’il est, d’abord, nilotique et africain (on comparera, de ce point de vue, sa situation à celle du crocodile, dont le Nil n’a pas, au sein du monde musulman, l’exclusivité : cf. supra, p. 92). Mas’ūdī, au passage cité, ne s’embarrasse pas de ces distinctions : à travers l’exemple de l’hippopotame, il nous parle du Nil comme un tout. Pourquoi ne pas faire comme lui ?
333 GĀH : hayl an-nahr (« cheval du fleuve »), faras al-mā’ (« cheval d’eau ») ; USW : faras al-bahr (« cheval de mer », mais bahr peut désigner un grand fleuve, notamment le Nil) ; FAQ : al-faras an-nahrī (« le cheval de fleuve »), ou al-faras alladî yakunu fī n-Nīl (« le cheval qui se trouve dans le Nil » ; var. MAS : fī Nīl Misr : « dans le Nil d’Égypte »). Plus tard, Idrīsî (éd. Dozy-de Goeje, op. cit., p. 16-18) emploiera le terme de hinzīr (« porc »), faras al-mā’ semblant désigner chez lui un autre animal.
334 Supra, p. 158.
335 MAS (p), § 216, à propos de la communication présumée Nil-océan Indien : « on trouve dans cette mer le sūsmār qui est le crocodile habitant le Nil, et qu’on nomme aussi waral. » Cf. aussi YA’Q, 336, et E. Ghaleb, op. cit., t. II, p. 639 ; FAQ, 63, renvoie sans doute à l’Extrême-Orient : supra, p. 93, n. 1.
336 C’est peut-être elle qui est désignée par l’expression de « bête marine » (dābba fī l-bahr), avec laquelle on fabrique, aux îles Dahlak, les boucliers exportés chez les Bedja (USW, 269). Elle alimente, en tout cas, une grande partie des histoires des marins de l’océan Indien, occidental ou oriental (pour ce dernier, cf. Merv, p. 228) : on réserve sa description pour plus tard, avec celle des mers qui baignent le monde musulman.
337 SĪR, 130, MAS (p), § 898, MAQ, IV, 65, Merv, 230 (grandes tortues au pays zanğ).
338 USW, 259, trad. p. 286. Idrīsī, op. cit., p. 17-18, parlera aussi, mais à propos du Nil proprement dit, de poissons sans écailles, anguilles notamment. MAS (p), § 249, insiste sur l’originalité des espèces de poissons contenues dans la mer des Zanğ, mais il ne les cite ni ne les énumère, car, dit-il, l’esprit humain a tendance à nier ce qui échappe à ses connaissances habituelles.
339 Zabād : la civette d’Afrique, dIṢṬincte du zibet asiatique (supra, p. 94, n. 3) : USW, 270.
340 ḤAW, 56, trad. 54, 1. 4 : himār (āne). Ce peut être l’onagre d’Abyssinie ou de Somalie, mais c’est le lieu de remarquer que IṢṬ, 32, parle de gulūd mulamma’a (peaux bigarrées, bariolées) exportées des pays de la mer Rouge vers le Yémen sans qu’il puisse être question de fauves, les numûr (panthères) étant citées immédiatement avant. ḤAW, 56 (trad. 54, 1. 16 : cité supra, p. 179, n. 2), a senti lui aussi la dIṢṬinction, puisqu’il préoise : gulûd baqariyya mulamma’a (peaux de boeuf bigarrées), mais en se trompant peut-être sur l’animal. Du reste, dans un autre passage, ḤAW, 43 (trad. 42), toujours sur le même sujet, écrit : gulūd ad-dibāg... min al-baqarī wa l-mulamma’ wa l-adam at-taqīl : la catégorie du mulamma’ est cette fois, on le voit, soigneusement distinguée des bovins (mais il est vrai que le Dictionnaire arabe-français-anglais de Blachère-Chouémi-Denizeau, t. III, Paris, 1971, p. 1607, traduit simplement mulamma’ par « verni »). Sur l’application du mot de himār au zèbre, cf. par exemple Dozy, Supplément, t. I, p. 321, et E. Ghaleb op. cit., t. I, p. 321-322. La possibilité de l’āne domestique est en tout cas exclue dans le texte de ḤAW, 56, trad. 54, 1. 4, l’auteur rangeant ce himār dans la caté-gorie des bêtes sauvages (wahš). Remarquons enfin, au chapitre de la confusion āne-zèbre, que celle-ci est facilitée par certains traits originaux des onagres de ces régions : si YAsinus africanus du pays bedja a des pattes unies, l’Asinus toeniopus de Somalie a, lui, des pattes zébrées. S’il s’agit de zèbre, en tout cas, on pensera à l’espèce dite zèbre de Grévy, commune depuis la Somalie jusqu’au Choa.
341 HAM, 52, à propos de Zayla’, par où transitent les peaux brutes (uhub) des caprins (mi’zā) d’Abyssinie : la référence à ce pays montagneux me fait penser au bouquetin (dit de Walie) plus qu’à la chèvre domestique. Mais, pas plus que pour le zèbre, je ne saurais véritablement trancher.
342 ḤAW, 56.
343 USW, 270.
344 L’animal se différencie de la gazelle, puisqu’il n’est pas expressément désigné sous ce nom, tout en se rapprochant d’elle, comme on nous le dit non moins expressément ; la différence ne paraissant pas jouer au niveau de l’aspect lui-même (cf. l’identité par les cornes), elle semblerait être plutôt de l’ordre de la taille, par référence au modèle couramment admis : et c’est ici que la gracilité d’ensemble, la fragilité même, me font pencher de préférence, par rapport au modèle, pour un gabarit réduit plus que pour un gabarit démesuré.
345 Madocca saltiana. Dans cette Afrique riche en variétés d’antilopes, les formes naines, notamment pour la partie nord-est du continent, ne sont pas rares : dor-cotragus megalolis (Somalie du Nord), cephalophus Harveyi Bottegoi (Somalie du Sud), cephalophus Ilemprichii (Éthiopie), etc.
346 Daraq, esp. adarga (dans Don Quichotte : cf. V. Monteil, cité infra) : bouclier de cuir (glosé par siper-āermīn dans Desmaisons, Dictionnaire persan-français, t. I, p. 878-879). Sur l’animal, cf. USW, 269, WAR (m), 53 (si toutefois le passage est bien à rapporter à cet auteur, dont le nom est cité immédiatement avant, par Bakrī, à propos de l’anecdote dont il a été question supra, p. 152 (n. 1) ; mais même si l’on conteste cette attribution, comme nous en avons laissé le droit (supra, p. 151), l’indication relative à cette antilope — indication qui serait due alors à Bakrī lui-même et donc à une époque postérieure à celle qui nous occupe — n’en demeurerait pas moins valable pour éclairer les données d’Uswānī). Sur les grandes antilopes des régions désertiques, cf. H. Genest, « Vie dans les déserts », dans Encyclopaedia Universalis, t. V, p. 473-474. V. Monteil, dans son édition partielle de Bakrī, op. cit., p. 94 et 106, opte pour l’oryx, compte tenu des détails donnés (Bakrī, op. cit., p. 65), toujours à propos du daraq, sur l’animal (lamt) qui en fournit le cuir : cornes longues et minces (cf. l’appellation d’« antilope à sabre ») : à noter que Bakrī, comme Uswānī, compare cette bête au bœuf (comparaison au demeurant logique, les anti-lopes relevant des bovidés), et, d’autre part, le mot de lamt : il se cache derrière celui de lamtī qui désigne chez YA’Q, 345 i. f. (trad. 206, n. 1), les boucliers fabriqués dans les régions méridionales de la Cyrénaïque (région de Zawīla), et, aussi, derrière celui de la tribu des Lamta (supra, p. 150, et références dans YA’O, trad., loc. cit.).
347 USW, 270.
348 GĀH (h), index, s. v. zurāfa, HUR, 92 a, FAQ, 77 (avec explication du nom persan ; corriger, 1. 5, bahr en sagar, par référence à ce qui est dit 1. 6), MAS (p), § 845-846, Bayhaqî, Mahāsin, p. 106, Ibn ‘Abd Rabbih, ‘Iqd, t. VI, p. 234.
349 USW, 270 : dagāg al-Habas (poule d’Abyssinie). Ce n’est pas au dindon, comme aujourd’hui, qu’il faut penser (le dindon étant originaire d’Amérique), mais à la perdrix ou, mieux encore, à la pintade, une des spécificités africaines : Ghaleb, op. cit., t. I, p. 295 (n° 6272), t. II, p. 202, et supra, p. 94 ; un des noms arabes de l’animal renvoie du reste à l’Abyssinie : hubayš.
350 USW, loc. cit., donne le mot de tagfīf (ou gafīf : râle, grognement, ronflement). A tout hasard, je rapproche le mot d’un autre de la même racine : ġatāt : ptéroche, ganga, gélinotte dite du Sénégal : USW, trad. p. 284, n. 1, Ghaleb, op. cit., t. II, p. 210-211 (cf. avec coq des sables d’Arabie, cité dans El (2), I, p. 558).
351 USW, loc. cit., donne qmārī, où je lis le pluriel (qamārd ou qamārī) de qumrī : ectopIṢṬe, tourterelle (de Nubie) : Dozy, Supplément, t. II, p. 404, et Ghaleb, op. cit., t. II, p. 317, 320. C’est sans doute un autre colombidé, et de Nubie aussi, qu’il faut chercher dans nubī (USW, ibid.) : Dozy, op. cit., t. II, p. 733. Je suis plus perplexe pour le pigeon que USW, ibid., nomme hamām bāzīn : est-ce hamām bāzin (bāzī), littéralement : pigeon-épervier ? L’association des deux catégories, en tout cas, est connue : pigeon-épervier et astur palumbarius (Ghaleb, op. cit., t. I, p. 123, II, p. 104). Mais on peut penser aussi au « pigeon des Bāzīn » (sur cette peuplade, cf. supra, p. 160 et 165).
352 USW, ibid.
353 RST, 100, ḤAW, 56.
354 Supra, p. 91 (à cette réserve près que, pour l’Afrique, le mot de roc (ruhh) n’apparaît pas).
355 Merv, 229-230, 303.
356 Qu’il soit vivant ou mort : USW, 271. Comparer avec supra, p. 92.
357 USW, 271.
358 Merv, 300.
359 Avant de les aborder, on se rappellera les fourmis carnivores dont il a été question supra, p. 175.
360 . MAS (p), § 845, citant Ğāḥiẓ (souligné par nous) (cf. GĀH (h), VII, 242) ; la phrase de Pline, citée par Devic (op. cit., p. 212, n. 1), est encore plus explicite quant au rôle de l’Afrique.
361 MAS (p), § 817 ; FAQ, 77, et Bayhaqī, Mahāsin, p. 105, donnent d’autres exemples, mais sans les rattacher explicitement à l’Afrique.
362 Merv, 299-300 : l’animal se trouve surtout dans les plantations du pays de Sofāla et sa morsure, incurable, s’envenime jour après jour.
363 Merv, 214, à propos des rivages africains du golfe de Berbera. Comme pour l’exemple précédent, nous élargissons à l’Afrique entière le principe des mutations sous l’effet du soleil, la Nubie citée par Mas’ūdī n’en étant, à l’évidence, que l’illustration exemplaire, mais non pas exclusive.
364 FAQ, 77.
365 Supra, p. 176-177.
366 USW, 256. IṢṬ, 78 (repris par ḤAW, 281), parlant des maisons de Sirāf, dit qu’ « elles sont construites en bois de teck et en une [autre] espèce de bois qu’on importe du pays des Zanğ ».
367 FAQ, 76.
368 USW, 269 ; ces arcs sont dits « arabes », moins par référence à une importation, sans doute, qu’à un type. Le mot de sidr désigne en principe le jujubier (cf. Gha-leb, op. cit., t. I, p. 527, t. II, p. 82, M. Sorre, Les Fondements de la géographie humaine, Paris, 1943, t. I, p. 143), mais on doit penser ici plutôt au micocoulier (cf. Burc-khardt, Nubia, cité dans Dozy, Supplément, t. I, p. 641), dont le bois, flexible, est utilisé à la fabrication de divers outils. Comme l’olivier, la vigne et le figuier, l’arbre est d’extension « méditerranéenne », terme qui implique toute la zone tropicale, de l’Atlantique à l’Arabie (cf. H. Gaussen, dans Botanique (Encyclopédie de la Pléiade), Paris, 1960, p. 1361). Le mot de sawhaf est plus obscur : Ghaleb, op. cit., t. II, p. 43, 545, reprend l’explication traditionnelle des dictionnaires arabes, selon lesquels ce mot et ceux de nab’ et de Sariyyān désignent un seul et même arbre selon qu’il croît à différentes altitudes. On peut penser à un genre d’if, arbre connu précisément comme donnant le bois des arcs (cf. F. Moreau, Botanique, op. cit., p. 843 ; G. Wiet, éditeur du texte de Maqrīzī d’où sont extraits les passages d’Uswānī (op. cit., p. 269, n. 7), signale lui aussi cette interprétation : la couleur rougeâtre du bois d’if adulte est indiquée dans les sources arabes (Ghaleb, op. cit., III, p. 545) et le nab’ en est, nous dit-on, la variété d’altitude : trait spécifique de l’if. Mais tant qu’à rester dans les conifères et apparentés, et puisque le šawhat nous est donné, lui, par la tradition lexicographique, comme une espèce de moindre altitude, pourquoi ne pas penser aussi à un genévrier (sur les qualités et la rougeur de son bois, cf. Ghaleb, op. cit., III, n° 14539, 14544, 14545, 19816), plante d’extension « méditerranéenne » très large (ibid., n° 14544, 14546, et F. Moreau, Botanique, op. cit., p. 842), et dont une espèce au moins, le genévrier dit de Phénicie (juniperus Phoenica) n’est pas sans rappeler l’if d’assez près ?
369 SIR, 127-128 (cf., à propos de l’Extrême-Orient, supra, p. 100, la phrase révélatrice de Mas’ūdī au sujet du cocotier : c’est par référence au palmier-dattier qu’il est présenté), WAS, 64, Sur le palmier en Afrique, cf. HAM, 53, WAR (m), 52, USW, 252, 255, 263, 270, MUH (f), I, 174-175, (y), I, 278, ḤAW, 56, 102, WAS, 105-106.
370 MAS (p), § 872.
371 USW, 252, 255, 270, MUH (f), I, 174-175. Le terme de muql ne renvoie pas ici aux balsaminées (cf. Ghaleb, op. cit., t. II, p. 504), mais au fruit du palmier nommé doum, dawm (Ghaleb, op. cit., t. I, p. 424).
372 Ṣabir : SIR, 128 i. /. (cité supra, p. 172, n. 3), MAS (p), § 879, HAM, 52-53, et supra, p. 98.
373 WAR (m), 52, MUH (f), I, 174-175, USW, 252, 256 (acacia signalé ici comme bois de menuiserie), 270, Ghaleb, op. cit., t. I, p. 111 et 125 (s. t>. idhir et slh). Pour le sang-dragon, HAM, 53 (à propos de Socotra), dit : dam al-aḤAWayn wa huwa al-ayda’. La première appellation renvoie proprement à la gomme sécrétée par diverses espèces d’arbres ou d’arbrisseaux : dragonniers, ptérocarpes, dalbergies : Ghaleb, op. cit., t. I, p. 230, 413 ; ayda’ est beaucoup plus imprécis (Ghaleb, op. cit., t. I, p. 115) : sang-dragon, bois de brésil et même safran. Le mot de gilqa (galqa, galqà), enfin, désigne une espèce d’arbuste dont la sève est employée, après une cuisson qui lui donne la consIṢṬance de la colle, comme enduit des flèches empoisonnées : USW, 269-270. Les euphorbiacées, leur latex et la fréquente et parfois violente toxicité de celui-ci, peuvent être désignées sous ce terme (Desmaisons, Dictionnaire persan-français, t. II, p. 760). Mais la description donnée par Ibn al-Baytār (trad. J. von Sontheimer, Stuttgart, 1840, p. 237-238) peut renvoyer à bien d’autres plantes ; la graphie, du reste, est hésitante : galqa ou ‘alqa (d’après Ab’ū Hanīfa) ? Les manuscrits du texte de Maqrīzī reproduisant les données d’Uswānī hésitent : cf. p. 269, n. 8.
374 USW, 270 : les plantes du pays bedja poussent dans les vallées (awdiya), entendez : dans les dépressions où peut se recueillir un peu d’humidité : cf. ḤAW, 56(vallées où se trouve l’eau nécessaire aux pâturages). Cf. F. Maurette, Afrique équatoriale, orientale et australe, op. cit., p. 230. Sur la liaison culture-Nil (et affluents), cf. USW, 252, 254-256 et passim, ḤAW, 56. Sur les puits de la région d’Awdaġost, cf. WAR (m), 52.
375 Il est parfois difficile de savoir à quoi renvoient, chacun pour leur compte, les mots de dura et de duhn, souvent associés. Il semble toutefois (cf. Mauny, Tableau, passim, et J. Cuoq, op. cit., annot. du § 205) que dura renvoie plutôt à sorgho et duhn à millet. Cf. aussi Bakri, éd. Monteil, 94, et Dévissé, Tegdaoust, 119, n. 8. Sur les céréales, cf. YA’Q, 336 (dura traduit par millet : trad., 192), SIR, 127, MAS (p), § 872 (dura traduit par maïs : c’est impossible, au moins pour cette époque : cf. F. Braudel, op. cit., p. 121-126), MUH (f), I, 174-175, (y), I, 278 (association dura-duhn), III, 142, WAR (m), 52 (dura traduit par mil), MAQ, IV, 65, USW, 252, ḤAW, 55 (ad-dura wa d-duhn traduit, p. 53, par « deux variétés de millet »), 56, 102 i. f. (comparer avec ibid., 84, début).
376 Sur le haricot (lūbiyā’, lūbiyā), ou du moins certaines espèces de haricot (ou le dolique ?) (car d’autres viennent d’Amérique : cf. M. Sorre, op. cit., t. I, p. 148-152), cf. USW, 252, MUH (f), I, 174-175, (y), III, 142 : Nubie et Soudan. Sur le concombre (pl. maqdtī), WAR (m), 52 (texte dans Bakrī, éd. de Slane, 158) : Soudan occidental. Sur la forme du mot, cf. Dozy, Supplément, t. II, p. 309 ; il s’agit, par opposition à un autre mot (hiyār), des cucurbitacées de l’espèce dite « serpent » : cf. Ghaleb, op. cit., t. I, p. 378-379, II, 275. La vesce (kirsinna), au reste plante plutôt fourragère, mais pas exclusivement, est parfois assimilée à un petit pois (Dozy, Supplément, t. II, p. 456) : d’où la traduction par « pois » pour le texte de MUH (f), t. I, p. 174-175 (dans Dévissé, Tegdaoust, p. 20 ; mais on rectifiera ibid., p. 19 : le mot de kirsinna (« pois ») n’apparaît pas dans la version Yāqût de Muhallabī) ; on s’interdira en tout cas, toujours pour kirsinna, de penser à l’arachide, importée plus tard d’Amérique. Autres références : USW, 256 (mention de jardins et prairies en Nubie), 263 (même notation, plus le palmier, déjà cité), ḤAW, 56 (légumes en Nubie).
377 MAS (p), § 872. Avec le sorgho (dura : supra, n. 1), la plante en question constitue une alimentation de base du pays zanğ. Mas’ūdī la nomme kalādī, que l’éditeur traduit par caladion : il s’agirait alors d’une aroïdée (aracée), dont certaines espèces au moins sont originaires d’Amérique, et utilisée surtout comme ornement ou pour le calfeutrage des tentes (cf. notamment Ghaleb, op. cit., t. II, p. 379, n° 19108 : kalādiyûn). Or, Mas’ūdī parle d’une plante vivrière, et plus précisément d’un tubercule, puisqu’ « on tire la plante de terre comme la truffe (kam’a) » (il ajoute, il est vrai : « ou comme la [racine d’]aunée (rāsin) », mais compare tout de suite après la plante en question à la colocase (qalqās) d’Égypte et de Syrie, autre aroïdée à rhizome tubéreux). Je suis tenté de penser à la patate (cf. synonyme donné par Dozy, Supplément, t. I, p. 93, pour une de ses variétés : qalqās ifrangî) ou à l’igname (parfois désigné sous le nom de patate (bafāfa : Ghaleb, op. cit., t. f, p. 110, n° 2295 ; cf. aussi le nom savant de l’igname : dioscorea batatas L.), dans la mesure où l’Afrique, comme l’Amérique, aurait reçu ces plantes de l’Océanie, bien avant que l’Amérique les redIṢṬribuât à son tour après sa « découverte » : cf. Sorre, op. cit., t. I, p. 149-150 et pass. Dernier problème : Mas’ūdī déclare que ce kalādī croît en abondance dans le Yémen autour d’Aden ; sauf le cas d’une confusion avec une autre plante, et réserve faite des conditions d’acclimatation, il faudrait alors penser à une transplantation de l’igname (ou de la patate) en Arabie du Sud, depuis l’Asie du Sud-Est ou l’Afrique. Tout cela, à commencer par le texte de Mas’ūdī, est bien incertain.
378 Réserve faite, à travers le palmier déjà cité, de la datte.
379 Figuier : WAR (m), 52, MUH (f), I, 174-175 : région d’Awdaġost, où ce serait le seul arbre fruitier (le dattier est à part : cf la phrase immédiatement précédente : « les dattiers sont très abondants ») ; sur le figuier au sud du Sahara, cf. Sorre, op. cit., t. I, p. 143. Olivier : USW, 255, pour la Nubie moyenne, dans la région des seconde et troisième cataractes ; l’olivier est en principe strictement confiné au climat « méditerranéen » (sur la définition écologique du terme, cf. supra, p. 185, n. 5) : Sorre, t. I, p. 139, 142, 146, 158-159 ; sur sa présence en Egypte, ibid., p. 139 ; une espèce sauvage porte le nom d’olivier d’Abyssinie (zaytūn al-Habai) : Dozy, Supplément, t. I, p. 617. Vigne : WAR (m), 52 (région d’Awdaġost), USW, 256 et 263 (moyenne et haute Nubie) : sur la distribution de la vigne ou d’espèces voisines en ces régions, cf. Sorre, t. I, p. 140, 143, 181-183. Bananier : MAS (p), § 872 (pays zanğ).
380 Banane, igname (?), sorgho surtout : SῙR, 127, MAQ, IV, 65, MAS (p), § 872. Le miel est par ailleurs signalé comme un produit d’importation à Awdaġost, depuis le Soudan nigérien proche : WAR (m), 52. Le poisson et la viande sont donnés comme nourritures de base de l’Ethiopie : HAM, 42.
381 USW, 255 (trad. 283) ; cf. Sorre, op. cit., t. I, p. 139, 143, 148-150, 224, 263 (à noter qu’il peut être employé aussi comme oléagineux).
382 YA’Q, 366-367, SῙR, 132, HAM, 53, et supra, p. 89, n. 8.
383 Supra, p. 140-147.
384 ḤAW, 9-10.
385 MAS (p), § 848-849. Les indications données sur le commerce de l’ivoire ainsi recueilli confirment bien cette chasse comme une activité normale de la société zanğ.
386 YA’Q, 336, HAM, 42, MUH (y), III, 142, IV, 495, USW, 50, 267-268, 277, ḤAW, 56.
387 USW, 277, ḤAW, 55, 57.
388 Traits parfaitement perceptibles dans ḤAW, loc. cit.
389 WAR (m), 52 ; V. Monteil traduit par « bêche » le mots de fa’s, pl. fu’us (texte de Bakrī, op. cit., p. 158) ; c’est bien, en réalité, la houe : cf. Braudel, op. cit., p. 127 sq. Au reste, cette économie ne suffit pas tout à fait à assurer la subsistance : Awdaġost demande du miel au Soudan nigérien (supra, p. 188, n. 3) et, au Magrib, un appoint de blé, de dattes et de raisins secs : WAR (m), 53.
390 USW, 252, 254-256, 264 (levure de bière : mizr), ḤAW, 57-58.
391 Supra, p. 150, 152-153, 157-158, 166, 169-171.
392 WAR (m), 53 ; à noter toutefois que l’exIṢṬence et la croissance de la ville sont liées avant tout au commerce : Dévissé, op. cit., p. 119-122.
393 Ḥud, 164.
394 Supra, p. 165.
395 MAS (p), § 886.
396 WAR (m), 52 ; à noter que le blé est une denrée précieuse et rare, importée même, donc chère : supra, p. 189, n. 5.
397 ḤAW, 56. Sur l’onagre ( ?), cf. supra, p. 181, n. 5.
398 On reviendra sur ce point infra, à propos de la religion proprement dite.
399 Que ces usages soient nés avec lui ou antérieurs à lui et intégrés à une société devenue musulmane : on va le voir pour les rapports entre l’Arabie et les Bedja.
400 Supra, p. 162-165, où l’on a esquissé une première fois ces thèmes.
401 USW, 269, ḤAW, 57.
402 USW, 267-268, 277-278. On notera, pour désigner l’ancien système unitaire révolu, le mot de mutamallik, littéralement : « un homme exerçant la fonction de roi » (et non malik : roi), cette fonction même que l’Afrique sédentaire, on le verra, pratique couramment. A la place, il n’y a guère, chez les Bedja, que des groupes, fractions de tribu (sg. ba(n), avec un ra’īs, littéralement : un « premier ». On sent combien toute cette description se rapproche du tableau traditionnel de l’Arabie bédouine. Est-ce celle-ci qui, émigrée au pays bedja, y a dilué un ancien système d’apparence monarchique au profit de l’éparpillement tribal ? En tout cas, un siècle avant Uswānī, Ya’qūbī (Histoire, cité par P. M. Holt, dans El (2), t. I, p. 1192) parle encore de « royaumes » chez les Bedja (repris par « nombreux royaumes » dans WAS, 106, qui n’est qu’un compilateur peu soucieux de mise à jour des données recueillies).
403 Cf. M. Rodinson, au t. II, de l’Histoire universelle de l’Encyclopédie de la Pléiade, Paris, 1964, p. 23.
404 USW, 267-269. A noter qu’au xive siècle, Ibn Battūta (éd. Defremery-San-guinetti-Monteil, Paris, 1968, t. I, p. 110) dira que, chez les Bedja, les filles (banal) n’héritent pas. On remarquera par ailleurs l’antagonisme entre la fonction pratiquée par les femmes et la déontologie anti-masculine ; l’éditeur du texte de Maqrīzī (d’où sont extraits les passages d’Uswānī) renvoie fort judicieusement, sur ce thème, à l’Histoire des Amazones de Michel le Syrien, t. I, p. 22-23 (cf. également infra, p. 199). Mais on doit penser aussi à d’autres thèmes fabuleux relatifs aux sociétés de femmes, tels ceux de l’île des Femmes ou de la ville des Femmes (supra, p. 78, 80, et infra, chap. IX). A noter enfin que USW, 271, déclare que, chez certains Bedja, les Bāzah (cf. supra, p. 160, n. 5), un même nom s’emploie pour désigner tous les hommes et un autre pour toutes les femmes.
405 USW, 273, l’appelle ra’īsuhum al-kabīr : il n’est donc qu’un premier (ra’īs) un peu plus grand (kabīr) que les autres : supra, p. 191, n. 5 ; il est dit aussi, ibid., habiter un village (nommé Hagar : nom cité aussi par YA’Q, 336, et WAS, 106) et s’appeler Kānûn b. ‘Abd al-’Azîz (ce qui tendrait à indiquer qu’il est, au moins superficiellement, musulman), ‘azīm al-Buga bi-Uswàn : « le grand [chef] bedja [de la région] d’Assouan. » En tout cela, on le voit, rien qui réfère explicitement à une royauté.
406 Supra, p. 152. A noter qu’avec Gao et Awdaġost, nous sommes dans cette zone sub-saharienne que nous venons de définir comme touchée en priorité par l’Islam.
407 WAR (m), 53-54, avec noms des rois et détails sur leur puissance militaire, MU H (f), I, 175, ḤAW, 100-101, et supra, p. 150. A noter que YA’Q, 360 (Gast), donne encore ce souverain pour païen. Ce n’est qu’ensuite, avec l’installation du pouvoir sanhāga, que l’Islam s’implante vraiment dans la ville et que celle-ci devient ville au plein sens du terme : Dévissé, op. cit., p. 110-111 et 120-122 (on distinguera soigneusement, pour cette Histoire de la ville, la notice de Bakrī proprement dite (éd. de Slane, p. 317) et celle qu’il emprunte à Warrāq, notablement antérieure (fin du ive/xe siècle : ibid., p. 299-302) : c’est cette dernière seule que nous exploitons.
408 ḤAW, 10.
409 Cf. ce qui est dit supra, p. 188.
410 ḤAW, 57, avec noms de rois : Eusèbe, Étienne. L’usage suivi dans la dévolution du pouvoir royal est à mettre en parallèle avec les pratiques d’héritage constatées en pays bedja.
411 USW, 254 (dans la Basse-Nubie, le gouverneur chargé de la surveillance du territoire fouille tous les voyageurs, y compris le roi : ou du moins, pour ce dernier, précise le texte, il fait semblant, de façon à pouvoir effectivement fouiller tout le monde, à commencer par le propre fils du roi), 263-264.
412 Titres cités supra, p. 142.
413 YA’Q, 360, SIR, 127, WAR (m), 53 i. f., WAS, 107.
414 ḤAW, 397 (pour le Soudan : identification avec l’usage suivi par les Russes (Rūs), déjà cité par IṢṬ, 132) : à la mort, d’un riche (maysūr, pl. mayāsīr), dit exactement le texte.
415 Ḥud, 165, 477.
416 Merv, 226.
417 MUH (y), III, 142 (Zaġāwa). A noter, au chapitre des nourritures, la bière de mil (sur dura, cf. Dévissé, op. cit., p. 119, n. 8, et supra, p. 187, n. 1) agrémentée de miel. Au chapitre des vêtements : le pantalon (sirwāl, pl. sarāwīl) de laine fine, avec ceinture de prix, l’usage de la soie écrue (hazz), du brocart (dībāg), du lin de Sousse (sūsī : Dozy, Supplément, t. I, p. 701), et de la laine d’une seule pièce (sans couture, donc pure ?). Comparer avec les notations citées supra, p. 152, pour le roi musulman de Gao. Au chapitre des troupeaux, sont cités : moutons, bœufs, chameaux, chevaux.
418 ḤAW, 320.
419 HUR, 89, Ḥud, 165, 476 (cf. J. Cuoq, op. cit., § 62 et 166).
420 MAS (p), § 412, 714, 848, 871, Ḥud, 472.
421 SῙR, 127.
422 YA’Q, 336, MAS (p), § 796 (les Nubiens sont appelés « tireurs dans le mille », ruināt al-hadaq, littéralement : « qui atteignent la prunelle » ; également chez FAQ, cité supra, p. 164), USW, 268 (avec illustration de ce talent guerrier chez les Bedja : une incursion faite jusqu’au mont Muqattam du Caire ; autres illustrations, dans le contexte des luttes avec l’Islam, ibid., 271 (qui renvoie aux luttes menées par l’Égypte de la reine Hatchepsout), 276, et ḤAW, 51-53), WAS, 104 ; ISH, 414, intègre des « Sūdān » aux troupes musulmanes conquérantes de l’Espagne. L’habitude de châtrer l’ennemi mort, dans certains pays de la mer Rouge, apparaît, appliquée aux naufragés, dans Merv, 261.
423 MAS (p), § 848 (300 000 cavaliers au roi des Zanğ), ḤAW, 57, USW, 268. A propos du terme de méharistes que nous employons ici, on se référera à ce qui est dit en général du dromadaire bedja, dont l’allure rappelle celui d’Arabie (références supra, p. 179, n. 6), et à MAS (p), § 846, qui associe explicitement les deux espèces bedja (bugāwī) et de Mahra (mahrī : méhari).
424 ḤAW, 58 (à propos des Aḥadiyyūn, cités supra, p. 160).
425 MAS (p), § 796, Merv, 303," USW, 269, ḤAW, 55.
426 Supra, p. 182.
427 Si du moins on peut se fonder sur cette graphie peut-être trop suggestive (cf. Minorsky, dans Ḥud, 474, et C. F. Beckingham, dans El (2), t. III, p. 7). Mais peut-être, après tout, ne s’agit-il que de boucliers que le poil conservé rend en quelque sorte « foisonnants », « exubérants » [cf. le thème aksūm, « luxuriant », en parlant de végétation, de jardin) ?
428 Supra, p. 181, n. 1. Sur le bouclier, cf. USW, 269, ḤAW, 55 (absence de boucliers notée chez les populations intermédiaires entre Nubie et pays bedja : supra, p. 160, n. 5).
429 YA’Q, 336, USW, 268-269, ḤAW, 57-58.
430 SῙR, 127, WAṢ, 64.
431 Supra, p. 188-189.
432 Supra, p. 143 sq.
433 WAṢ, 164 ; SῙR, 128, dit que les Zanğ sont éloquents pour prononcer la hutba en leur propre lanque : on reviendra sur ce point infra, à propos de la religion.
434 Merv, 226-227, USW, 278.
435 USW, 277-278 ; un trait original : le devin se met nu pour recevoir l’inspiration.
436 USW, 256.
437 NAD, 19 ; cf. USW, 263 : livres liturgiques nubiens en grec, traduits ensuite en langue nubienne.
438 GĀH (h), V, 289 i. f. (avec le verbe tanahhasa : exercer le commerce des esclaves).
439 Supra, p. 143-144.
440 Supra, p. 188 et 192.
441 WAṢ, 104.
442 Supra, p. 146.
443 Références supra, p. 195, n. 3.
444 MAS (p), § 244.
445 MAS (p), § 872 (coutume, présence de dévots), SIR, 128 (ermites vêtus de peaux de singe ou de panthère, avec un bâton en main).
446 WAṢ, 104.
447 MAS (p), § 872.
448 MAS (p), § 871 (cf. supra, p. 193), FAQ, 78, qui donne, lui, l’appellation de Lmkulū Gulū non comme celle d’un « Grand Seigneur », mais comme celle de Dieu (Allah).
449 Supra, p. 172.
450 ḤAW, 10 ; G. Wiet traduit (trad. 10) par « manières de vivre » le mot de madd-hib, qui me paraît, ici, pouvoir s’appliquer difficilement à des usages pratiques et quotidiens. Cf. aussi, pour l’Abyssinie, WAS, 106-107.
451 USW, 256. Sur le christianisme nubien et ses évêchés, cf. ibid., trad., 280, n. 9, 281, n. 2, 282, n. 4, 283, n. 5, 284, n. 6, 285, n. 2, 286, n. 2, et supra, p. 156 sq., ḤAW, 58.
452 FAQ, 77, WAṢ, 105-106. Le christianisme copte, dont relève la vallée du Nil et qui se sépare de la catholicité au concile de Chalcédoine (451), participe, on le sait, du monophysisme, dont Eutychès et Jacques Baradée, aux ve et vie siècles, sont parmi les principaux représentants. USW, 263, précise que ce christianisme nubien relève du patriarche d’Alexandrie. WAṢ, 105-106, à propos de la Nubie, établit l’équation copte-jacobite.
453 FAQ, 77 (avec correction de yahdawna (l-Ingīl) en yaḤuddûna). On se rappellera aussi, à propos de ce christianisme, ce qui a été dit supra (p. 195) sur les langues liturgiques. Sur la correction proposée, cf. gloss., FAQ, p. L.
454 USW, 258 (trad. 286, n. 1), 264-265 : comparer avec MAS (p), § 872, cité supra, p. 196, n. 8.
455 USW, 265.
456 USW, 252, qui précise toutefois que la région reste non-arabe de langue.
457 Supra, p. 161-165.
458 FAQ, 78 (qui précise que l’appellation de Hir ( ?) est commune aux Bedja et aux Nubiens), ḤAW, 57 (à propos des Bāzīn, peuplade intermédiaire entre Nubie et Bedja : supra, p. 160).
459 YA’Q, 337, avec insistance sur l’absence de Loi révélée (comparer avec Histoire, citée par J. Cuoq, op. cit., annotation du § 24) ; cf. aussi FAQ, 78 (les Bedja adorent les idoles, tout en jugeant d’après la Loi mosaïque : tawrāt), Merv, 298 (adoration d’un bloc de chrysolithe soutenu par quatre statues d’or), MAQ, IV, 65 (cité supra, p. 161, n. 5), USW, 267 (pas de dīn chez les Bedja).
460 USW, 271.
461 MUH (y), I, 278, et supra, p. 193.
462 Supra, p. 152, n. 7.
463 YA’Q, 360 (Gast), WAR (m), 52, MUH (f), I, 175, (y), I, 278, et supra, p. 150-151 et 192.
464 La nudité sera évidemment mise en rapport avec l’intensité de la chaleur, comme en ce coin de Nubie où elle oblige à élever les petits enfants dans des cavités circulaires creusées dans le sable, cependant que les femmes elles-mêmes vont à peu près nues : ISH, 452, Sur la nudité, cf. supra, p. 144, n. 8. Cf. également MAS (p), § 845 (Zanğ vêtus de peaux de panthère), MUH (y), III, 142 (Zagàwa : la plu-part nus, avec une simple pièce (izār) de peau), ḤAW, 58 (sur divers habillements des régions marginales de la Nubie : références supra, p. 159, n. 7, et 160, n. 3). A signaler enfin que, pour une ville comme Gao, où l’Islam a pénétré, on semble insIṢṬer sur le vêtement comme s’il était un privilège des grands (supra, p. 152).
465 Supra, p. 144, n. 7.
466 Le passage de RST, 193, où l’usage du cercueil en Abyssinie est cité dans le contexte des funérailles d’une épouse du Prophète, fait véritablement figure d’exception. Cf. aussi infra, p. 199, n. 1.
467 Supra, p. 175, n. 5.
468 WAṢ, 58, 107.
469 WAṢ, 107.
470 YA’Q, 336.
471 USW, 271 (extraction des incisives afin de « ressembler aux ânes »), ḤAW, 55.
472 Sur les rapports Arabie-Bedja, cf. supra, p. 164-165 et 191.
473 Ce qui suppose évidemment que restent cachés les seins chez les filles et le sexe chez les garçons. Mais nos auteurs ne s’embarrassent pas de ces détails. Cf. YA’Q, 336, USW, 270-271, qui ajoute que l’opération pratiquée sur les filles est de moins en moins courante (tumma qalla hādā l-fi’l ‘indahum) : influence de l’Islam ?
474 Supra, p. 114 sq.
475 Cf. respectivement supra, p. 188, n. 4, 195, n. 6, 174, n. 4, et MUH (y), III, 142 (cf. Dozy, Supplément, t. I, p. 197, s. v. ğṣṣ).
476 Sur l’irrigation et d’autre pratiques agricoles, supra, p. 189. Sur une technique de chasse (avec utilisation de stupéfiants), supra, p. 189 Sur les boucliers, p. 182, 194, et MAS (p), § 859 (en cuir d’éléphant). Sur les arcs, p. 185, et MAS (p), § 796 (les Nubiens ont des arcs « de forme curieuse »). Sur la préparation du poison chez les Bedja, USW, 269-270 : après avoir obtenu, par cuisson, l’épaississement du latex de l’arbuste gilqa (supra, p. 186, n. 5), on en fait l’épreuve sur une plaie : si le sang reflue au contact du poison, celui-ci est reconnu bon. La preuve faite, on essuie soigneusement le sang pour éviter que le poison ne pénètre dans le corps. U agit en effet par voie sanguine, très vite et irrémédiablement. Mais il reste inoffensif par ingestion. Ajoutons pour finir, au nombre des « techniques », la monte des chevaux à poil (supra, p. 152).
477 Seul trait d’union noté entre les deux mondes : la route directe de l’Égypte au Ġāna, du reste abandonnée : ḤAW, 61.
478 YA’Q, 345, WAR (m), 52-53, MUQ, 242, Flud, 165 (esclaves du Soudan fournis par les Noirs eux-mêmes et acheminés jusqu’en Égypte : par le Magrib ?), MUH (y), III, 142 (lin de Sousse (sûsī) à Zaġāwa, pour vêtements de luxe : cité supra, p. 193, il. 5), WAṢ, 103-104 (or en lingots), Dévissé, op. cit., passim, et supra, p. 147 sq. (sur la distribution des pays et les itinéraires), 174 (sur l’or).
479 GĀH (t), 160, YA’Q, 366-367, SῙR, 128, 132, MAQ, IV, 65, Merv, 221 sq., ḤAW, 54, 281, MUQ, 242.
480 Supra, p. 172, n. 3 (avec l’ambre également).
481 MUQ, 242, WAṢ, 107.
482 ḤAW, 54 et 162 (assez confus).
483 GĀH (t), 158 (d’autres renseignements donnés sur les peaux de panthère, ibid., 159, renvoient plutôt au Magrib ; sur les fauves, supra, p. 179, n. 9), SῙR, 130, 132, HAM, 52, ḤAW, 43, 56.
484 GĀH (t), 160, YA’Q, 366-367, SῙR (cité supra, p. 172, n. 3), MAS (p), § 849, Merv, 221 sq., ḤAW, 281.
485 MAS (p), § 877, Ḥud, 164, ḤAW, 56, MUQ, 242, WAṢ, 107.
486 ḤAW, 43, 56.
487 HAM, 53, 98, ḤAW, 10.
488 YA’Q, 189, USW, 272, 274, et supra, p. 154 et 162.
489 USW, 253-254 (taxes et autorisations d’entrée en Nubie). Sur les aventures guerrières, supra, p. 130, 154, 159, et 193, n. 10. Par « travaux des hommes », on songe surtout au Mur de la Vieille (hā’it al-’agūz), levée de terre au long de la vallée, édifiée pour des raisons commerciales et stratégiques : cf. Ch. Pellat, dans El (2), t. III, p. 73-74, et M. Lombard, L’Islam dans sa première grandeur, Paris, 1971, p. 23. On reviendra sur ce thème dans le cadre de la description du monde musulman.
490 Les mêmes réflexions peuvent être faites à propos de l’Ouest africain, a priori « surreprésenté » dans notre commentaire.
491 Supra, p. 141. Sans doute ne faut-il pas accorder une valeur absolue aux chiffres éminemment fantaisistes et variables sous lesquels nos auteurs présentent les dimensions des différents États ou empires. MAS (p), § 1367, par exemple, attribue à l’Afrique noire (nous regroupons les renseignements donnés, dans son texte, pays par pays) quelque 12 000 000 de parasanges carrées, contre 341 000 000 à la Chine, 77 000 000 à l’Inde et env. 2 220 000 à l’Islam. Mais ailleurs, on nous dit que, seul, le territoire de Gog et Magog dépasse en superficie celui des Noirs (supra p. 63, i). 1, et 142). Ce qui compte finalement, c’est moins le chiffre en lui-même que le rapport de ce chiffre à une réalité sous-entendue et pourtant présente, à savoir le nombre des hommes. Même si « les Noirs sont plus nombreux que les Blancs » (FAQ, cité supra, p. 141), il n’apparaît pas qu’ils le soient assez au regard des territoires qu’ils occupent, tandis que l’Inde et la Chine surtout, autres grands ensembles territoriaux, sont infiniment mieux partagées sous ce rapport (cf. par exemple supra, p. 83-84 et 116). Au total, la capacité à la civilisation, sur laquelle nous nous sommes déjà interrogé (supra, p. 63-64, 82-84, 114, 141-142), se définirait, à partir d’un minimum d’espace requis en tout état de cause, par le rapport de cet espace à la population.
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