Chapitre II. La terre partagée
p. 31-70
Texte intégral
1On a déjà laissé entendre que l’image du monde, musulman ou total, est tributaire des courants divers que l’Islam recueille en son héritage cosmopolite. De la Grèce à la Chine, les influences se juxtaposent, s’entrecroisent ou s’éliminent, au gré des écoles, des auteurs, voire des pages d’un même livre. Schématiquement, on peut distribuer le monde soit en étoile, autour d’un centre, soit par bandes longitudinales, la première de ces deux répartitions admettant elle-même un traitement à deux niveaux, géopolitique ou plus résolument scientifique. Ainsi s’élaborent un ou plusieurs claviers de représentations possibles sur lesquels viennent courir les thèmes qui en sont tout à la fois l’origine et l’illustration : les rois du monde, les grands groupes humains et le centre (omphalos) de la terre.
Terre étoilée, ou impératifs et conflits de la géopolitique
2Chaque peuple a tendance à se croire, comme sur une feuille rayonnante, le centre commun à toutes les nervures. Ainsi en fut-il notamment de la Chine, l’Empire du Milieu. La géographie arabe ne connaît plus guère cette tradition qu’à l’état de vestiges, et sous des formes dérivées : à elles seules, de par décret divin, la Chine et l’Inde accapareraient les huit dixièmes des merveilles de ce monde1. Le plus souvent, la suprématie se renverse au profit des régions irano-mésopotamiennes, Īrān-šahr ou, si l’on préfère, Irak, sous ses deux versants arabe (‘arabī) et persan (‘ağamī) : ce faisant, on pousse le luxe jusqu’à faire reconnaître une pareille prééminence par les Chinois eux-mêmes2. Bien sûr, l’Islam, ici, vient après d’autres : après l’Iran, justement, auquel il emboîte le pas. Ibn al-Faqīh, enveloppant sous le nom de Perse (Fārs) les régions allant de la Bactriane à l’Āḏarbaygàn et de l’Arménie à l’Arabie, appelle cet ensemble quintessence (ṣafwa) ou nombril (surra) de la terre. Quoi d’étonnant puisque ces qualifications, reprises à l’envi, recouvrent en même temps le domaine du grand ancêtre, Sem, fils de Noé, lequel reçut en partage le territoire compris entre le Nil, les Turcs et Byzance3 ? On a beau souligner, le cas échéant et comme en passant, le caractère conventionnel de ces sortes de répartitions autour d’un point central4, il reste que tous ceux qui adoptent cette distribution des terres habitées soulignent avec force, sur la mappemonde, ce noyau que constitue l’Islam arabo-iranien, ce cœur vivant de l’humanité qui l’enserre5. Sans doute ce noyau est-il double, arabe et iranien justement, ce qui fait hésiter à placer le centre des centres ou, comme le dit Ibn Rusteh, le cœur dans la poitrine6 : à la Mekke ou plus au nord, sur la Mésopotamie et ses marges ? Le conflit, ainsi qu’on le dira plus loin7, existe, ce n’est pas niable : comme toutes les formes de la culture du temps, la géographie reflète, côte à côte avec l’arabicité, les prétentions de ce nationalisme culturel avant la lettre que fut la šu‘ūbiyya persane. Mais ces débats s’effacent lorsqu’il faut, globalement, affirmer l’Islam face à l’étranger ; alors, il n’est plus de nuances : en s’installant dans l’Orient mésopotamien et persan, l’Islam reprend à son compte ses traditions immémoriales et notamment celles qui font de cet Orient, en vieil Empire qui se respecte, le nombril du monde, l’omphalos à partir duquel on glisse, de plus en plus loin, vers la barbarie : preuve de l’unité essentielle que cet Islam, au delà même de ses diversités, récupère d’un coup dès qu’il se pense par rapport à autrui.
Terre écartelée : Hamdānī et la cartographie astrologique
3Telle un écu, la terre peut, au sens héraldique du terme, se représenter écartelée. Au reste, sa distribution en quatre quadrants, loin d’être incompatible avec la notion d’un centre, la suppose très souvent : Ya‘qūbī par exemple, qui ordonne sa description suivant cette méthode, commence par le milieu commun à tout quadrant, Bagdad en l’occurrence. Même procédé chez son prédécesseur Ibn Hurdāḏbeh, mais celui-ci a soin de rappeler tout d’abord une autre orientation, où le chiffre quatre procède du sacré : par rapport aux murs de la Ka’ba, où chacune des parties du monde trouve, pour sa prière, la direction (qibla) qui lui est propre8. Qu’on rattache ou non, en tout cas, cette démarche au concept explicite d’un centre, placé ici ou ailleurs, et qu’elle soit simple parenthèse dans le texte, ou au contraire, principe même de la présentation du donné géographique, il reste que la répartition de la terre selon quatre quadrants est finalement d’une assez grande constance d’un auteur à l’autre.
4Mais il y a terre et terre, celle des hommes et celle qu’ils n’habitent pas : d’où superposition des classements, la terre vivable, avec ses quatre secteurs, n’étant elle-même qu’un des quatre secteurs de la terre-globe. Cette distinction à deux paliers est fondamentale : elle court, on y insiste, à travers toute la géographie arabe. Il peut, certes, lui arriver d’oublier l’un de ces deux paliers en route : ainsi Muqaddasī, qui retient ce mode de répartition de la terre-globe, mais adopte, pour la description de l’Islam, meilleure part de l’œcoumène, une distribution par provinces, ou encore, à l’inverse, Ya‘qūbī, lequel, tout en traitant du même Islam par quarts est, nord, sud et ouest, ne souffle mot de la terre dans son ensemble9. Mais peu importe : l’essentiel est que les deux répartitions existent, parfois du reste chez un même auteur10, et qu’on puisse y voir comme deux traitements, deux projections d’une même démarche.
5La plus grande terre, d’abord. La croyance quasi unanime veut que l’humanité soit bloquée sur un seul de ses quarts, parfois appelé du nom du nord (ar-rub‘aš-šimālī). Dénomination imparfaite : le septentrion est désert, tandis que l’œcoumène déborde, en revanche, au-delà de l’équateur, comme on l’a vu au chapitre précédent. En tout cas, même si l’on embrasse, en négligeant ses déserts, l’ensemble de cette partie du globe, depuis les îles Fortunées, à l’ouest, jusqu’au Wāq-Wāq plus ou moins mythique de l’Extrême-Orient, et depuis les approches ténébreuses du nord jusqu’aux fournaises insupportables et aveuglantes du midi subéquatorial, l’homme apparaît bien perdu sur une terre trop grande pour lui et dont Dieu, jaloux de ses mystères, s’est finalement réservé l’écrasante majorité11.
6Reste le pays habité. De tous les auteurs qui font place à un mode de présentation selon quatre quadrants12, Hamdānī est le plus systématique, le plus volontaire dans son souci de procéder à une répartition rigoureuse et scientifique. C’est de l’astrologie, au sens noble, qu’il tire les principes de sa méthode : chaque portion de l’œcoumène, fixée sur la carte par le jeu des latitudes et des longitudes13, suppose une troisième dimension, à la verticale, sous les astres qui lui donnent ses traits majeurs. Mais avant que de s’interroger sur l’esprit même de ce classement, force est bien de donner l’intégralité de ce texte essentiel, qui résume les données d’une astrologie grecque orientalisée dans la lumière de l’Islam.
LES ENSEIGNEMENTS DE CLAUDE PTOLÉMÉE SUR LA RÉPARTITION ET LA DISTRIBUTION DES CARACTÉRISTIQUES DES ÊTRES DE L’ŒCOUMENE (Hamdānī, éd. D. H. Müller, t. I, Leyde, 1884)
7[p. 31] Selon le savant Claude Ptolémée, le cercle du zodiaque (dā’irat al-burūğ) se divise en quatre parties nommées triades (muṯallatāṯ) parce que chacune d’elles groupe trois signes dans la dépendance de l’un des quatre éléments naturels : feu, terre, air, eau. Il suit de là que l’œcoumène se répartit en quatre quadrants dont chacun emprunte sa nature à l’une des quatre triades, en vertu du principe que le contenant imprime au contenu les caractéristiques de sa nature. La première triade, celle du feu, comprend le Bélier14, le Lion e t le Sagittaire ; la seconde, celle de la terre, le Taureau, la Vierge15 et le Capricorne ; la troisième, celle de l’air, les Gémeaux, la Balance et le Verseau ; la quatrième, celle de l’eau, le Cancer, le Scorpion et les Poissons. La triade du Bélier relève du nord-ouest ; elle est successivement sous l’influence sidérale de Jupiter (al-Muštarī)16, qui appartient au nord, puis de Mercure (Mirrīẖ), qui appartient à l’ouest. La triade du Taureau, relevant du sud-est, est en opposition avec la précédente ; elle est sous l’influence sidérale de Vénus (Zuhara), qui appartient au sud, puis de Saturne (Zuḥal), qui appartient à l’est. La triade des Gémeaux relève du nord-est ; elle est sous l’influence sidérale de Saturne, qui appartient à l’est, puis de Jupiter, qui appartient au nord. La triade du Cancer, qui est en opposition avec la précédente, relève du sud-ouest ; elle est sous l’influence sidérale de Mars, qui appartient à l’ouest, puis de Vénus, qui appartient au sud.
8Cela posé, poursuit Ptolémée, et puisque l’œcoumène doit se diviser en autant de parties qu’il y a de triades, on dira qu’en latitude la démarcation est donnée par le parallèle (ẖaṭṭ qui passe au niveau de notre mer, entendez la mer d’Alexandrie, depuis le lieu appelé Colonnes d’Héraklès17 jusqu’au golfe d’Issos18 et à la dorsale montagneuse qui lui fait suite du côté de l’est. Le parallèle ainsi tracé délimite les régions nord et sud. En longitude, la démarcation est donnée par le méridien (ẖaṭṭ) qui passe par le golfe Arabique19, la mer20 appelée Egée, le Pont21 et le lac nommé Maeotis22. Le méridien ainsi tracé [p. 32] délimite les régions est et ouest, et les quatre quadrants dont la répartition est obtenue avec ces deux lignes (parallèle et méridien) se trouvent correspondre, par leur position, aux triades.
9Le premier quadrant de l’œcoumène, entendez celui du nord-ouest, s’étend vers la région nommée Celto-Galatie23, que couvre aussi l’appellation d’Europe24 et dont les peuples sont les Slaves, les Francs, les Espagnols25 et les Turcs de l’ouest installés dans l’Empire byzantin (Rūm) et la région de Qālīqalā26. Le quadrant opposé, à savoir celui du sud-est, s’étend vers la région nommée Ethiopie27 orientale, autrement dit la partie méridionale de l’Asie Majeure28. Le troisième quadrant, celui du nord-est, s’étend vers la région nommée Scythie29, ou partie septentrionale de l’Asie Majeure. Le quadrant opposé, à savoir celui du sud-ouest, s’étend vers la région dite Ethiopie occidentale, que recouvre l’appellation de Libye30. On entend ainsi : par nord-ouest, l’Empire byzantin et les pays au delà, vers l’ouest ; par nord-est, le Hurāsān et les pays au delà, vers l’est ; par sud-est, le Sind31, l’Inde et les pays au delà, vers l’est ; par sud-ouest, l’Abyssinie, le pays des Zanğ32 et les pays au delà, vers l’ouest.
10Ptolémée dit aussi que chacun des quadrants mentionnés touche, par certaines de ses régions, au centre commun de l’écoumène et que la situation de ces régions est ambivalente, selon qu’on la rapporte à l’ensemble du quadrant dont elles relèvent ou à la communauté de l’œcoumène33. Prenons le quadrant dit de l’Europe, défini, dans le cadre d’ensemble de l’œcoumène, comme celui du nord-ouest : les régions qui viennent rejoindre la partie centrale de l’œcoumène sont sous l’attraction du secteur (zāwiya) opposé au secteur de leur quadrant d’appartenance, autrement dit : sous l’attraction du sud-est. Tous les quadrants sont dans ce cas, chacun d’eux se modelant sur un couple de triades en opposite : contrairement aux autres régions de l’ensemble du quadrant, lesquelles répondent au principe qui le gouverne, les régions centrales participent [aussi] du même principe que le quadrant opposé, principe par conséquent antagoniste de celui qui gouverne le quadrant dont elles relèvent.
11Ainsi donc, il convient de prendre chaque fois en considération non seulement les astres des triades sur lesquelles les quadrants se modèlent, mais aussi les astres qui influencent les autres triades, [p. 33] On ne prendra donc en considération, pour un lieu donné, les seuls astres de la triade intéressant le quadrant d’appartenance qu’autant qu’il ne s’agit pas de ces régions qui forment le centre de l’œcoumène : car ici, il faudra tenir compte, en même temps que des astres influençant les triades respectives, de Mercure34, qui occupe une position centrale et commune.
12En vertu de cette répartition, il faut donc que les pays situés au nord-ouest, c’est-à-dire ceux du premier quadrant — lequel représente la partie nord-ouest de l’œcoumène, sous le nom d’Europe — se modèlent sur la triade du nord-ouest, à savoir : Bélier, Lion, Sagittaire. Quant aux astres influents, il faudra les chercher dans ceux qui président à cette triade, soit Jupiter et Mars, considérés aux premières heures de la nuit35. Les nations qui habitent ce quadrant et en relèvent intégralement36 sont celles qui peuplent le pays des Slaves, la Bretagne37, la Galatie, la Germanie, la Bastarnie38, l’Italie, la Gaule, l’Apulie, la Sicile, la Taurinie, la Celtique et l’Hispanie39. La plupart de ces noms se caractérisent par un h, par exemple Ġālāṭiya, dont l’articulation se relâche en Ġālaṭiyah, et aussi Iṭāliyah, Abūliyah40 (celle-ci étant une grande ville, à la même latitude qu’Amorium)41, Siqīliyah (ou Siqilliyah), Ṭūrīniyah (sur la latitude de Qūrīniya)42, et autres noms comme Malaṭyah43, sur la latitude de Salamya.
13Les habitants de ces pays, poursuit Ptolémée, sont d’ordinaire, par la vertu nécessaire de la triade intéressée et des astres qui la régissent de concert, peu enclins à la soumission, amoureux de la liberté, des armes et de la fatigue, hostiles aux gens de police et d’ordre44, portés aux grands desseins. Et comme Jupiter et Mars s’unissent pour les régir à l’occasion de la phase désignée par les premières heures de la nuit, comme, d’autre part, les principes premiers de la triade sont masculins et les seconds féminins, il arrive que ces gens-là soient aussi peu jaloux en matière de femmes et aussi peu préoccupés de leur possession, que passionnés et jaloux dès qu’il s’agit de mâles : s’adonner à ces pratiques n’est pas considéré par eux comme répréhensible ou déshonorant, et les subir engage si peu, dans la réalité, une réputation de virilité et d’énergie, qu’on ne renonce pas à être traité ni à se traiter soi-même en homme, et en homme serviable, loyal, fidèle à ses proches et généreux.
14Voilà pour les pays premiers nommés45. La Bretagne, la Galätie, la Germanie et la Bastarnie, quant à elles, [p. 34] se modèlent plus particulièrement sur le Bélier et sur Mars, ce qui rend leurs habitants la plupart du temps farouches, téméraires et d’un tempérament proche de celui des bêtes fauves, je veux dire furieux, sans foi ni loi. L’Italie, l’Apulie, la Gaule et la Sicile se modèlent sur le Lion et le Soleil : leurs habitants sont policés, généreux et serviables. La Taurinie, la Celtique et l’Hispanie se modèlent sur le Sagittaire et Jupiter : leurs habitants sont de tempérament pacifique et aiment l’ordre46.
15Les régions qui, dans ce quadrant, tirent vers la zone centrale de l’œcoumène — y compris certaines régions de l’Arabie —, sont la Thraee47, la Macédoine ou Égypte48, l’Illyrie, l’Hellade49, l’Achaïe50, l’île de Crète51, le pays appelé Cyclades52, les rivages de l’Asie Mineure, c’est-à-dire ceux de l’Égypte53 et l’île de Chypre54. Toutes ces régions du quadrant, qui regardent vers le sud-est, se modèlent, en plus de ce que nous avons dit55, sur la triade du sud-est, à savoir : Taureau, Vierge56, Capricorne. Elles sont régies concurremment par Venus et Saturne, sans oublier Mercure. Leurs habitants sont donc de complexion plus ambiguë, de qualités moyennes pour le corps et l’esprit ; policés, ils sont [avec cela], par le fait de Mars, violents et rebelles ; épris de liberté, par le fait de Jupiter, ils se séparent en autant d’individualités qui ont chacune leur manière propre et se régissent à leur guise, selon une conduite qu’elles se créent ; par le fait de Vénus, ils aiment la musique, les jolies chansons, l’étude, les parures soignées et coquettes57 ; par le fait de Mercure, ils pratiquent l’entraide, se plaisent à user de justice et d’hospitalité envers l’étranger, cultivent l’art d’écrire et de parler ; enfin, par le fait de Vénus considérée aux premières heures de la nuit, ils sont portés à tenir cachés les secrets.
16Mais, si l’on veut considérer à part et plus en détail encore lesdits pays, on dira que les habitants des Cyclades, des rivages de l’Asie Mineure et de Chypre se modèlent plus particulièrement sur le Taureau et Vénus : aussi sont-ils la plupart du temps délicats, soucieux d’élégance, préoccupés des choses du corps, et par dessus tout désireux de le satisfaire par les joies de la table, de la boisson, de la toilette, de la chair, des parfums et des sons. Les habitants de l’Hellade, de l’Achaïe et de la Crète se modèlent [p. 35] sur la Vierge et Mercure : logiciens avant tout, ils aiment apprendre et font passer les choses de l’esprit avant celles du corps, prenant leur plus grand plaisir intellectuel à la philosophie, à la science et aux mystères de la nature. Les gens de Macédoine58, de Thrace et d’Illyrie se modèlent sur le Capricorne et Saturne : ils aiment à posséder, montrent un caractère malgracieux et s’embarrassent peu de morale.
17Le deuxième quadrant, celui du sud-est, comprend la partie méridionale de l’Asie Majeure. Englobant l’Inde59, l’Extrême-Orient60, le Mukrān61, le Kirmān62, le Fārs63, la Babylonie64, la Basse-Mésopotamie65 et l’Assyrie66, il occupe une position sud-est par rapport à l’ensemble de l’œcoumène. Il doit donc se modeler sur la triade du sud-est, à savoir : Taureau, Vierge, Capricorne. Les astres qui régissent ces pays sont Vénus et Saturne, considérés aux premières heures du jour67. Les caractéristiques des habitants du quadrant relèvent par conséquent de celles de ces deux astres : c’est ce qui explique qu’ils exaltent Vénus ou, comme ils disent, Isis68 ; quant à Saturne, ils l’appellent...69 et le soleil Mithra70. Nombreux parmi eux sont ceux qui prédisent l’avenir. Ils placent les organes de la génération sous la protection de la divinité qui préside, selon le sexe, à la génération, à savoir Jupiter ou Vénus, ce qui revient à ennoblir l’acte de la génération et ses organes, par référence à ces astres. Pleins d’ardeur, ils passent leur temps à s’accoupler ; ils dansent, sautent, aiment la parure, la toilette et les transactions71, tout cela par l’effet de Vénus. Par celui de Saturne, ils n’assaisonnent guère leurs mets, et l’on en voit certains, comme les Brahmanes, ne jamais manger de viande. Par le même effet, leurs mœurs sont aussi frustes que possible : ils prennent leurs femmes en public, sans se cacher, et n’enterrent pas leurs morts, subissant en cela l’influence de la phase désignée par les premières heures du jour. Ils abhorrent l’accouplement entre mâles ; en certaines régions, il en est qui approuvent l’union avec la mère, la sœur ou la fille, et ils les engrossent. Ils se manifestent les uns aux autres leur volonté d’expiation en portant la main à leur cœur72.
18Ils peuvent malgré tout s’élever [p. 36] aux plus hautes choses et y rivaliser [de zèle], par l’effet d’une vertu qu’ils portent au cœur et qui se modèle sur celle du soleil, et s’ils sont dans l’ensemble, par l’effet de Vénus, assez délicats et efféminés dans leurs vêtements, leurs parures et les choses du corps, ils n’en ont pas moins un esprit violent et belliqueux qui se modèle sur Saturne, [astre] de l’Orient.
19Le système se divise en trois séries, conformément au nombre des signes zodiacaux de la triade comme à celui des astres qui la régissent73. Le Taureau et Vénus intéressent Hamaḏān74, le Fârs, les deux Māh75 et, plus à l’est, le Ṣīn. Ici, on s’habille, comme le fait Vénus, de vêtements de couleur, dont on couvre le corps tout entier, à l’exception de la poitrine, on aime la bonne chère, la vie douce et facile, le bien-être, les émotions de l’art, et l’on s’abandonne aux pratiques de Vénus. La Vierge et Mercure intéressent Babylone et l’Irak voisin, la Basse-Mésopotamie, la Haute-Mésopotamie76, le Sām77 et l’Assyrie : leurs habitants sont cultivés, ils pratiquent la philosophie, l’astronomie, les sciences doctrinales, l’observation des étoiles et la dialectique78 ; ils sont intelligents et fins. Le Capricorne et Saturne intéressent l’Inde, le Sind, le Mukrān, le Siğistān79 et les régions voisines, tous peuplés de gens repoussants, au teint foncé, malpropres, laids, négligés, d’un naturel semblable à celui des bêtes fauves, et de mœurs brutales.
20Les régions du quadrant situées vers la zone centrale de l’œcoumène, et notamment la partie de l’Arabie qui y est comprise, sont, par exemple, l’Idumée, la Syrie, la Palestine80, l’ancien territoire juif d’Iliyā’81 — nom qui se dit en hébreu Yirūšaläm, arabisé en Ūrāšaläm —, l’Arabie fertile82, entendez la steppe arabique, avec le Nejd, le Hedjaz, le ‘Arūd83 et la Phénicie, c’est-à-dire le Yémen84, et toutes les régions voisines. Ces pays sont également85 sous l’influence de la triade du nord-ouest, à savoir : Bélier, Lion, Sagittaire, et sont régis aussi par Jupiter, Mars et Mercure. Cela fait que les habitants de ces régions sont, plus que d’autres, versés dans le commerce, qu’ils aiment les affaires, la ruse, la tromperie ; mais ils donnent si généreusement qu’ils en méprisent l’argent ; ils montrent de la pondération, du jugement et de la finesse, savent échanger tout en ménageant leurs intérêts propres : en un mot, ils sont, comme le veulent les étoiles qui les régissent, personnages à deux faces et deux paroles.
21Ceux de la Syrie86, autrement dit du pays des Israélites, de [p. 37] l’Idumée et de l’antique Judée87, se modèlent plus particulièrement sur le Bélier et Mars, ce qui les rend téméraires et peu au fait de la réalité de Dieu, le Tout Puissant, le Très Grand88. Ces gens-là, poursuit Ptolémée, sont fourbes, inconstants et volages malgré une certaine énergie, heureux et riches.
22Ceux de la Phénicie, entendez : du Yémen, de la Palmyrène89 et des déserts, c’est-à-dire de Mahra90, se modèlent sur le Lion et le Soleil : ils ont l’esprit pacifique, le cœur compatissant, et étudient volontiers les astres. Ils glorifient, plus que tout autre, le soleil et se proternent devant lui.
23Les gens du Nejd, du Hedjaz et des plaines91 qui en relèvent se modèlent sur le Sagittaire et Jupiter : d’un bon naturel, bien faits, ils vivent simplement, du lait caillé92 de leurs chamelles ; efficaces dans le commerce et les transactions, ils suivent de saines doctrines, sont pétris de mérite et de prestige. Leur pays est riche et abonde en aromates. Si Ptolémée93 lui a donné le nom d’Arabie, c’est parce que la plupart des Arabes vivent au désert ; quant au nom d’Heureuse94, l’Arabie le doit au fait qu’elle est le pays le plus riche en prairies naturelles, avec système de libre pâture sous la garde de cavaliers, qui remplacent ici les ouvrages de défense. L’allusion aux aromates se justifie par les fleurs des sables, camomille, lavande et tant d’autres, le Yémen ajoutant, à une foule d’aromates, la rose et la plupart des plantes mentionnées par le Grec Dioscoride95 dans son « Traité des simples » ; on y trouve aussi des pierres précieuses exemptes de fissure96, sauf sur les côtes, pour les spécimens qui approchent ou même dépassent le poids d’-un miṯqāl97. L’ambre est rejeté sur les rivages ; à Mahra et au pays des Banū Mağīd98, sur les bords de la mer du Yémen, à l’est comme à l’ouest, il existe des chameaux détecteurs d’ambre : leurs terrains de pâture se trouvant sur les rivages, la bête flaire l’ambre qui s’y trouve ; elle s’agenouille et perd toute vivacité. Quand le propriétaire s’en vient la rechercher, il trouve l’ambre tout à côté ; mais s’il tarde trop, le chameau, comme pris de passion, perd très vite ses forces et peut même périr sous l’effet de la crainte qu’il éprouve pour cet ambre99. [p. 38] Le troisième quadrant est celui du nord-est, ou de l’Asie Majeure100. Les régions qu’il renferme sont l’Arménie, Supérieure et Inférieure101, la Sogdiane avec sa capitale Samarqand, le Ṭabaristān102, le Ğurǧān103, le Mūqān104, l’Āḏarbayǧān, le pays des Kẖazars105, le Ğīlān106, le pays des Aläins107, Gog et Magog108, le Hurāsān, je Tibet109, le Turkestan, le pays des Tuġuzġuz110 et la Sauromatique111 ou pays des Amazones, ces femmes qui s’amputent d’un sein pour pouvoir lancer le javelot112. En raison de l’influence de Jupiter et de Saturne, ce quadrant est essentiellement voué à la richesse et à l’opulence. Us exaltent Jupiter, sont très riches en mercure et en soufre113 ; ils mangent et boivent proprement, cultivent la philosophie et la théologie, sont justes, libres, nobles et forts, détestent le mal, la calomnie et l’intrigue ; fidèles dans leurs affections, ils sacrifient volontiers leur vie pour ceux qui leur sont proches ou tous ceux qui leur demandent secours pour une noble et bonne cause ; peu portés aux excès de la chair, ils restent modérés et chastes ; richement habillés, libéraux, ils pensent et raisonnent tout à la fois avec distinction, finesse, astuce et profondeur, par le jeu de Jupiter conjugué, vers l’est, à Saturne.
24A l’intérieur de cet ensemble, les Gémeaux et Mercure intéressent plus particulièrement les régions du Ğurǧān, du Ṭabaristān et de l’Arménie. Ici, encore que les mœurs restent bonnes, le mérite évident, on est plus vif, peut-être plus pervers, plus imaginatif114, plus doucement retors et plus renfermé, en raison de Mercure, qui se déplace avec vivacité et reste longtemps invisible.
25La Balance et Vénus intéressent particulièrement les régions de la Bactriane115 et du Šāš116 : les gens y sont riches, amateurs de musique, de bien-être, de douceur, de confort et de raffinement.
26Le Verseau et Saturne intéressent la Sogdiane, la Sauromatique ou pays des Amazones au sein coupé, et les régions apparentées, c’est-à-dire les pays des Turcs et des Kẖazars : ces gens sont fiers, violents, inhumains, durs, robustes, sauvages et bourrus : de vrais tempéraments de fauves.
27Quant aux autres régions — celles qui tirent vers la partie centrale de l’œcoumène, y compris certaines portions de l’Arabie ou des pays voisins —, ce sont l’Āḏarbaygān, les marches du Diyār Rabī’a et du Diyār Mudar117 [p. 39], qui regardent vers le sud-ouest118 tout en jouxtant la zone orientale des places-frontières119 du Sām, appelées en grec Bithynie, Phrygie, Cappadoce, Lydie et Cilicie (c’est-à-dire Qālīqalā120 ; joignons-y tout un côté de la Syrie et la Palmyrène. Lesdits pays sont également121 sous l’influence de la triade du sud-ouest, à savoir : Cancer, Scorpion, Poissons, et sont régis aussi par Mars, Vénus et Mercure, ce dernier étant l’astre commun, à vocation centrale. C’est ce qui, dans la plupart des cas, explique le culte préférentiel rendu à Vénus, que l’on désigne sous des appellations aussi variées que possible. Mars reçoit, lui, entre autres noms celui d’Adonis122, et on l’adore. Ces deux étoiles président à des mystères où se pratique l’usage de la lamentation123. Les gens de ces pays sont malheureux, d’esprit vil, harassés, portés au mal ; la solde les pousse à la guerre, à la vie des camps, au pillage et au butin, et on les trouve dans les rangs des esclaves prisonniers de guerre. Ces dispositions s’expliquent par la situation orientale où se trouvent Vénus et Mars, laquelle situation correspond à celle de ces pays. On aime donc la tromperie et la fraude, la prodigalité et le gaspillage, les beuveries et l’ivresse. Et du fait que Mars connaît son exaltation124 au moment du Capricorne — lequel relève du trigone125 de Vénus — et Vénus au moment des Poissons — lesquels relèvent du trigone de Mars —, les femmes sont ici très portées à conseiller leurs maris, très tendres avec eux, très bonnes ménagères, dévouées sans relâche à l’égal de servantes, et par conséquent épuisées, fatiguées et soumises.
28Les gens de Bithynie et de Phrygie se modèlent plus particulièrement sur le Cancer et la Lune ; les hommes sont donc en général pieux et humbles ; les femmes, elles, sont la plupart du temps sensibles aux effets de cette tendance orientale et masculine de la lune (Ptolémée entendant par là que la lune, régissant un pays qui relève de l’Orient alors qu’elle-même relève de l’Occident, subit dans sa nature une attraction vers l’est)126 : aussi ces femmes sont-elles viriles, autoritaires et belliqueuses comme toutes celles qui redoutent et fuient l’approche des hommes ; elles aiment les armes et s’amputent du sein droit pour pouvoir mener une vie guerrière, laissant à nu la partie ainsi [mutilée], afin qu’au moment de se disposer en bataille, il ne puisse venir à l’idée de personne que leur sexe est celui des femmes.
29Les habitants de l’est de la Syrie, de la Pamphylie127, de la Cappadoce et de la Palmyrène se modèlent sur le Scorpion et Mars : ils sont en général de manières téméraires et sottes, braves mais fourbes, méchants et d’une sensualité telle que leurs débordements les épuisent.
30Ceux de [p. 40] Lydie et de Cilicie (c’est-à-dire de Qālīqalā)128 se modèlent sur les Poissons et Jupiter : souvent grands propriétaires de troupeaux et de biens, grands commerçants, ils aiment la liberté, sont serviables, loyaux dans leurs affaires et hommes de confiance dans leurs transactions.
31Le quatrième quadrant est celui du sud-ouest, ou des Noirs129. Il renferme le pays des Zanğ, l’Abyssini130, le pays des Bedja131, la Nubie132, le Fezzan et le pays de Cairouan : de l’Afrique133 relèvent Cairouan, le Sūs134, le pays des Noirs qui vont tout nus135 et le Ġāna136. Autres dénominations appliquées à ces pays : Numidie, Gétulie137 et autres noms grecs. Ce quadrant, qui se modèle sur la triade du Cancer, est régi par Vénus et Mars en situation occidentale, Ptolémée entendant par là que ces deux astres doivent être considérés comme méridionaux du côté de l’ouest, Vénus étant en effet [l’astre] du sud et Mars étant au sud lorsqu’il connaît son exaltation. Cette conjonction fait que la royauté138 échoit souvent, en ces pays, à deux enfants d’une même mère, le fils régnant sur les hommes et la fille sur les femmes. C’est là une coutume qu’ils observent régulièrement et se transmettent [d’âge en âge]. D’une nature très ardente, ils sont tout occupés de la possession des femmes ; celles-ci se marient en état de virginité, mais peuvent ensuite se partager entre plusieurs époux, tant est grande leur passion et vif leur intérêt pour les choses du sexe. Délicats, aimant la parure, ils s’accoutrent comme des femmes, subissant en cela l’influence de Vénus. Mais en même temps, ils restent virils et mâles, bravent la mort et les dangers, par l’effet de Mars. Ils sont méchants, pervers, menteurs, trompeurs, fourbes et tarés.
32A l’intérieur du quadrant, le Cancer et la Lune intéressent plus particulièrement les régions de l’Afrique139 et de la Numidie. Du fait que la lune, conformément à sa nature, relève de l’ouest, les habitants de ces régions aiment la société et le commerce, qui les rend extrêmement prospères. La Nubie, l’Abyssinie tout entière, le pays des Zanğ et les régions avoisinantes du sud de l’Inde140 se modèlent sur le Scorpion et Mars : ici, on est plus près de la bête fauve que de l’homme, on aime les querelles, les inimitiés, les litiges, les haines, on fait peu de cas de la vie, on n’a ni pitié ni compassion, et parfois même [p. 41] on en a si peu pour soi qu’on se suicide par le feu, la pendaison ou la chute dans le vide. Le Fezzan, avec les régions proches, le Sus et le pays des Umayyades141 sont soumis à Jupiter et aux Poissons : de nature libre, leurs habitants se traitent avec cordialité et bonne humeur, ils sont actifs, refusent l’humiliation et la soumission, pratiquent la reconnaissance et la piété ; ils exaltent et adorent Jupiter, à qui ils sont redevables de tout cela et qu’ils appellent Ammon142.
33Quant aux régions qui touchent à la partie centrale de l’œcoumène, ce sont les régions en deçà de Cairouan, les approches de l’Égypte, Assouan, l’Éthiopie moyenne avec Nāṣi‘, Sawākin, ‘Ayḏāb143, le pays des mines144 et enfin, au Yémen, Abyan145, sur la mer d’Aden. La nature146 de ces contrées relève de celle de leur secteur, mais aussi — et tout particulièrement le Yémen — de celle des pays qui leur font face147, à savoir ceux du nord-ouest, ou encore de la triade du Bélier, particulièrement soumise au Lion et au Soleil. Par ailleurs, la nature de ces mêmes régions se modèle sur celle du nord-est, qui est à l’opposé, en d’autres termes participe à la triade des Gémeaux régie par Saturne, Jupiter et aussi Mercure, commun à ces deux astres lorsqu’ils sont en position occidentale. On s’explique par là que ces régions soient sensibles aux révolutions des cinq astres148, qui concourent tous à les régir. Leurs habitants sont donc pieux, dévots, adorateurs résolus et fidèles du Dieu Très-Haut. Ils exaltent aussi les génies, pratiquent volontiers la lamentation sur les morts, qu’ils cachent en terre, tout cela par l’effet d’une nature accordée aux dernières heures du jour ou, si l’on veut, aux astres qui régissent ces contrées, lorsqu’ils sont sur leur déclin. Ces gens suivent des usages divers, des coutumes variées : ils se consacrent à obéir à leur Seigneur et meurent, dans cet esprit, à force d’abstinence et de privations149. Si on les soumet, ils sont constants et reconnaissent leur état de sujétion ; s’ils soumettent, ils sont insolents et orgueilleux ; portés aux grands desseins, à la générosité, ils prennent fore femmes, et leurs femmes de nombreux époux. D’une sensualité affirmée, ils peuvent s’unir à leurs sœurs. Les hommes ont une abondante postérité, et les femmes une grossesse plutôt brève, tant leur pays est riche en force génératrice. Bien des mâles aussi y ont l’âme faible, efféminée. Il leur arrive de traiter à la légère les organes de la vie, s’embarrassant peu, par exemple, de l’abstinence due pendant les périodes menstruelles, tout cela par l’effet de l’association à Vénus, dans sa phase déclinante, des astres défavorables.
34Si l’on veut entrer dans le détail, on dira que le pays de Cairouan et l’Egypte [p. 42], particulièrement dans le bas pays, se modèlent sur les Gémeaux et Mercure : leurs habitants sont réfléchis, intelligents et sagaces en toutes choses, surtout en philosophie, en gnose et en théologie. Us s’adonnent à la divination, touchent à tout avec compétence et pratiquent les mystères. En un mot, ils excellent dans les sciences théoriques. Ceux de la Thébaïde150, des Oasis151 et de la Troglodytique152, se modelant sur la Balance et Vénus, sont d’un naturel vif et actif. Leur pays est fertile, prospère et opulent. Ceux du Yémen, d’Aden, d’Abyan et de l’Abyssinie moyenne se modèlent sur Saturne et le Verseau : gros mangeurs de viande et de poisson, ils errent à la recherche de nourriture153, chassés des pays de la faim vers les zones fertiles. Leur vie est comme celle de bêtes sauvages que rien n’arriverait à rassasier.
35Ainsi s’achève cette description générale et schématique de l’adaptation, aux astres et aux constellations zodiacales, de chaque nation et de ses caractéristiques. Nous allons maintenant reprendre, dans l’esprit de ce qui précède, mais plus en détail, l’adaptation aux constellations du zodiaque : vues sous cet angle, les choses seront plus faciles à concevoir. Les pays qui se modèlent sur le Bélier sont la Bretagne154, la Galatie, la Germanie, qui est le pays des Slaves, et la Bastarnie ; pour les pays qui touchent au centre de l’œcoumène : la Syrie ancienne, la Palestine, l’Idumée et la Judée. Se modèlent sur le Taureau : la Parthie155, la Perside et la Médie156 ; pour les pays du centre : les Cyclades, Chypre et les rivages de l’Asie Mineure. Se modèlent sur les Gémeaux : pour les régions lointaines : le Ǧurğān, le Ṭabaristān et la Matiène157 ; pour les régions proches, ou centrales : Cairouan, la Marmarique158 et la basse Égypte. Appartiennent au Cancer : pour les marges éloignées : la Numidie, la Carchédonie159 et l’Afrique160 ; pour les régions proches, ou centrales : la Bithynie, la Phrygie et la Colchide161. Appartiennent au Lion : pour les marges éloignées : la Sicile, l’Italie, la Gaule et l’Apulie ; pour les régions proches, ou centrales : le Yémen, c’est-à-dire la Phénicie, la Chaldée162 et l’Osroène163. A la Vierge appartiennent : pour les marges éloignées : la Babylonie, la Basse-Mésopotamie, la Haute-Mésopotamie, les pays d’Assyrie164 [p. 43] et la Cilicie ; pour les régions proches, ou centrales : la Pamphylie, l’Hellade, l’Achaïe, la Crète et Assur, Ptolémée entendant, par Cilicie, Qālīqalā165, par Pamphylie le Caucase166 et par Hellade la Grèce167. A la Balance appartiennent : pour les marges éloignées : la Bactriane, c’est-à-dire le pays de Bactres168, le Hurāsān et le pays de Siraca169 ; pour les régions proches, ou centrales : la Thébaïde, les Oasis et la Troglodytique. Au Scorpion appartiennent : pour les marges éloignées : la Metagonitide170, la Mauritanie171, qui est le pays des Espagnols172, et la Gétulie ; pour les régions proches, ou centrales : la Syrie, la Comagène173 et la Cappadoce. Au Sagittaire appartiennent : pour les marges éloignées : la Taurinie, la Celtique et l’Hispanie, c’est-à-dire l’Espagne174 ; pour les régions proches : les pays de l’Arabie fertile175. Au Capricorne appartiennent : pour les marges éloignées : l’Inde, le Mukrān, le Siğistān et Tarsia176 ; pour les régions proches : la Macédoine, c’est-à-dire l’Égypte177, la Crète178 et l’Illyrie. Au Verseau appartiennent : pour les marges éloignées : le pays de Samarqand, la Sogdiane et l’Oxiane179 ; pour les régions proches, ou centrales : le Yémen, Aden, Abyan et l’Abyssinie moyenne. Appartiennent aux Poissons : pour les marges éloignées : le Fezzan, la Nasamonitide180 et le pays des Garamantes181 ; pour les régions proches, ou centrales : la Lydie, la Cilicie182 et la Pamphylie.
36Apprenons maintenant les caractéristiques de Mercure. Pour l’essentiel, le système des quadrants de l’œcoumène est soumis à trois astres hauts et à un représentant des astres bas, Vénus ; les deux astres de lumière183 et Mercure ne participent au système qu’autant que leurs domiciles184 coïncident avec les triades. Alors, la plupart de leurs caractères se font sentir sur trois zones de l’œcoumène.
37Le soleil influe sur l’Orient, en avivant les caractères de Saturne et de Jupiter. Il apporte les royautés stables et dures185, les longues vies, l’art de faire les choses au grand jour et fastueusement, la divulgation des secrets.
38La lune influe sur l’Occident, dont les caractères s’accordent aux siens. Elle y avive les caractères de Vénus et de Mars, mettant en évidence les cultes divins, faisant enterrer les morts, cacher les secrets et dérober bien des mystères, mais inspirant les prophéties, les livres [sacrés], la révélation et les codes moraux186, installant les royautés aux pouvoirs flottants187, selon qu’elle va vers son plein ou décline pour se cacher.
39Mercure, enfin, influe sur les régions centrales en raison de la brièveté de son pivot188 et de la position médiane de ses caractères par rapport à ceux des astres, tantôt, funestes et tantôt favorables, tantôt mâles et tantôt femelles189, tantôt diurnes et tantôt nocturnes, etc. C’est que [p. 44] le domicile de Mercure se situe aux Gémeaux, au-dessus du centre de l’œcoumène, en d’autres termes vers la Mekke et Médine190 : là, Mercure révèle la logique parfaite, apporte la philosophie, ouvre toutes grandes, sur l’intelligence et la finesse, les portes du savoir, délie les esprits et les attitudes, rend les langues gracieuses et embrase les cœurs pour le genre d’activités mentionnées à propos des régions centrales des divers quadrants. On voit s’associer les caractères de toutes les triades et des couples d’astres qui les régissent. Mais, pour ces derniers, leur effet est différent selon qu’ils touchent [, en ces régions centrales,] les triades en rapport avec leur propre secteur ou les autres : dans le premier cas, ils manifestent les meilleurs de leurs signes ; dans le second, la tendance se renverse, les influences dépérissent et se gâtent191... [Ainsi en est-il] pour Saturne et Jupiter, astres du nord-est : s’ils touchent au sud-ouest, leurs signes sont mauvais, et semblablement s’ils régissent un peuple à l’ouest de la terre ; de même, si Mars, Vénus ou la Lune192 régissent un pays à l’Orient, les signes qu’ils manifestent sont mauvais.
40Sans doute objectera-t-on que d’autres textes traitent du problème plus à fond et, par endroits, plus clairement que celui-ci. Plus rigoureusement aussi : car Hamdānī s’égare, à l’occasion, hors de l’astrologie pure. Mais précisément, ce refus de la spécialisation radicale, cette situation à mi-chemin, ces regards ouverts sur d’autres thèmes que ceux qui sont fournis par une discipline et une seule, rappellent assez bien l’esprit de la géographie arabe à sa maturité, en tant que science des grands publics et des confluences. Et puis, il est une autre différence, plus décisive encore : ce qui creuse la distance entre Hamdānī et les traités classiques de l’astrologie arabe, c’est la visée originelle : on ne tente pas ici d’expliquer l’astrologie, mais bien, au travers et au moyen de l’astrologie, la terre, et la terre des hommes. Dès lors, ces égarements hors du sujet astrologique, vers ces thèmes, finalement privilégiés, que sont les qualités des peuples, la délimitation du centre du monde ou la description de l’Arabie, ne sont pas, en réalité, hors du sujet : ils sont le sujet lui-même.
41La première impression que l’on retire de la lecture de Hamdānī est que, partant de prémisses claires et rigoureusement ordonnées, l’auteur aboutit, dans le détail, à une confusion extrême où on ne les reconnaît plus. Le tout est de savoir si c’est là une faiblesse ou, au contraire, une attitude réfléchie dont il convient de saisir les nuances et l’esprit.
42Au départ donc, tout est simple, organisé sur des rythmes pairs : les deux « luminaires », soleil et lune, sur les deux parties du monde, est et ouest ; les quatre astres, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, aux quatre points cardinaux, sud, ouest, nord et est ; entre ces points, les quatre éléments et les quatre triades, associations de constellations du zodiaque (fig. 8). Première complication avec le rôle propre de la lune et du soleil, qui brouillent la répartition stricte entre moitié ouest et moitié est : dans la mesure où ils influent respectivement193 sur Vénus (à l’exclusion de Jupiter) et sur Jupiter (à l’exclusion de Vénus), le système des quatre astres doit subir, par rapport à la situation de la figure 8, une tendance à une légère rotation dans le sens — π.
43Mais ici intervient, avec l’apparition des trigones, la quatrième dimension. La répartition des signes zodiacaux selon des intervalles de 180° doit s’entendre en effet sur la base de la succession de ces signes par rapport à la course du soleil en un an, c’est-à-dire dans le temps, soit l’ordre accoutumé : Bélier-Taureau-Gémeaux-Cancer-Lion-Vierge-Balänce-Scorpion-Sagittaire-Capricorne-Verseau-Poissons. On a donc les attributions suivantes : à Vénus : Capricorne194 et, par voie de conséquence, Taureau et Vierge ; à Mars : Poissons195 et, par voie de conséquence, Cancer et Scorpion. Soit la répartition, dans l’ordre du temps, que donne la fig. 9. Restent à placer Saturne et Jupiter. Il apparaît que le Cancer et le Taureau sont les signes dont l’identification respective à Mars et à Vénus est la plus évidente : non contents de figurer ici, ils se caractérisent, à la figure 8, par leur position adjacente (+2π/12) par rapport à la situation cardinale des deux astres. Il est donc naturel de rattacher, sur cette dernière base, le Bélier à Jupiter et les Gémeaux à Saturne. La répartition complète des trigones s’opère dès lors selon la fig. 10.
44La liste des trigones s’établit comme suit :
45Mars : Poissons-Cancer-Scorpion
46Vénus : Taureau-Vierge-Capricorne
47Saturne : Gémeaux-Balance-Verseau
48Jupiter : Bélier-Lion-Sagittaire,
49où il apparaît que chacun des quatre astres se voit attribuer ici non pas les moitiés respectives de chacune des deux triades adjacentes à sa position cardinale, comme en figure 8, mais l’ensemble de la triade située, selon +2π/4, entre cette position cardinale et la position cardinale de l’astre suivant. C’est dire que ce classement compense la tendance inverse, due à l’action des deux luminaires et qui allait, elle, dans le sens — π : autre manière de montrer que la position cardinale des quatre astres n’est qu’une situation d’équilibre, non exclusive d’influences contradictoires.
50La même liberté règne dans les triades. Et d’abord pour les astres : il n’y a pas, au sens propre, passage continu d’une influence astrale à l’autre, effacement progressif du premier astre par le second, mais globalement, pour l’ensemble de la triade, un faisceau des influences : c’est à peine si, en approchant des bords de la triade, elles se colorent plus volontiers au contact de l’astre intéressé. Prenons par exemple le quadrant nord-ouest : il doit s’entendre, au vrai, comme une zone jupitéro-martienne, où les deux influences jouent en conjonction : à preuve la Bretagne, qui relève du Bélier mais subit plutôt Mars, ou l’Espagne, qui relève du Sagittaire mais subit plutôt Jupiter196. Il faudrait, à la limite, considérer que les quatre quadrants devraient ainsi s’intituler jupitéro-martien, martio-vénusien, vénuso-saturnien et saturno-jupitérien.
51Au reste cette interpénétration des influences et de leurs champs à l’intérieur de la triade joue-t-elle aussi entre les signes zodiacaux. On n’a pas été sans remarquer, si l’on a comparé le texte de Hamdānī et la figure 8, qu’il y a parfois décalage entre la situation géographique des pays et leur position par rapport à une constellation du zodiaque197. La raison dernière doit en être cherchée dans le refus, ici encore, d’une succession spatiale absolue198. Reprenons le quadrant déjà cité : si l’on peut garder, comme une tendance du nord vers l’ouest, la succession, dans cet ordre, des deux astres (Jupiter et Mars) et des trois signes du zodiaque (Bélier-Lion-Sagittaire), aucun d’eux ne peut néanmoins prétendre, sur un territoire quelconque, à une possession exclusive : c’est globalement, à eux tous, que les signes, comme les astres, composent la triade.
52Les choses se compliquent encore par le jeu du cinquième astre, Mercure, préposé aux régions centrales de l’œcoumène. Ce n’est pas assez de dire que celles-ci, de par leur situation, sont sensibles à toutes les influences du système, sans parler de celles de leur astre propre. Ce noyau de la terre fait plus que cela : il véhicule, comme par osmose, les influences d’un quadrant entier à tous les autres. Par lui s’échangent les effets de la lune et du soleil, des astres d’un quadrant et de ceux du quadrant opposé ou voisin199. Au vrai, il brouille les cartes, comme s’il s’ingéniait à contester tous les titres de propriété que les grandes lignes du système tendaient à mettre en place.
53Et enfin, il faut revenir sur le temps. Il influe, on l’a dit, par le rôle des trigones, mais aussi il modèle, selon les heures ou les saisons, les effets des astres200. Attachons-nous maintenant à étudier un peu plus en détail, à travers les signes du zodiaque, les interférences entre la classification spatiale et la succession temporelle. Sur le schéma des signes disposés selon les quadrants, comme à la figure 8, indiquons, de 1 à 12, la suite des mois, le Bélier étant le premier signe de l’année. La succession de 1 à 12 donne le schéma de la figure 11.
54Cette succession combine remarquablement les éléments d’équilibre et de déséquilibre, de continuité et de discontinuité. Dans chaque quadrant, on passe du premier au troisième signe par une progression arithmétique de raison +4. En outre, on peut passer de chaque signe d’une triade au signe correspondant de la triade opposée, par une progression arithmétique de raison +1 ou — 1, ou, sur le plan de la géométrie, par une simple ligne droite. Mais la discontinuité s’installe en ce qu’on ne peut passer, par une arithmétique constante, d’une triade voisine201. Il y a donc finalement deux groupes de triades irréductibles l’un à l’autre : nord-ouest — sud-est et nord-est — sud-ouest, comme il est montré en figure 12.
55Revenons maintenant à la succession indiquée dans la figure 11 : elle est fondée sur deux principes : la droite, on l’a dit, qui joint les secteurs opposés (1-2, 3-4, 5-6, 7-8, 9-10, 11-12), et l’arc de cercle, qui comble les vides laissés entre les couples ainsi créés, mais qui les comble selon des rotations régulières de raison différente et de signe trigonométrique contraire :
56On obtient donc, si l’on transcrit l’opposition par +2/2, la succession totale de 1 à 12 dans les termes suivants :
57On met ainsi en évidence, isolées par l’élément -2/6, trois séries
58, qui peuvent se représenter comme à la figure 13.
59Ainsi apparaît-il clairement que la triplicité du système obtenu se réduit à l’unité dès lors que, par rapport à la série médiane, figurée en trait plein, on fait subir aux deux autres séries, représentées en tireté et en pointillé, des rotations respectives de
60Qu’est-ce à dire ? Continuités et discontinuités, équilibres et déséquilibres, unité et multiplicité, rigueur d’ensemble et exceptions de détail, tout revient finalement à poser, dans la figuration de l’univers, la totalité même de celui-ci, pris entre l’ordonnance rigoureuse de la création et la complexité vivante de l’être. Et si, dans l’ensemble, les principes de la répartition de base sont infiniment plus difficiles à saisir dans les régions centrales que sur les marges, c’est bien, précisément, parce que la vie culmine en ce centre, tandis que, sur les marges, elle tend à disparaître. Ainsi la taxinomie de la géographie astrologique tend-elle, à travers ses principes et les raffinements où elle les disperse, à refléter la réalité multiforme des choses de la terre : une terre écartelée, disions-nous, mais il faut bien voir que cet écartèlement est voie moyenne, entre l’éparpillement insaisissable de la vie et l’unité, rigoureuse et seule rationnelle sans doute, mais où la vie ferait défaut202.
Terre découpée : les sept climats de la Grèce
61La Grèce, comme on vient de le voir à travers un Ptolémée revu par Hamdānī, n’ignorait pas le concept de centre : à preuve ce terme d’omphalos sous lequel sa tradition à elle désignait, à Delphes, le lieu où siégeait la Pythie. Pour la géographie arabe toutefois, son souvenir reste attaché à une division terrestre fondée sur le chiffre, les longitudes y revêtant, du reste, beaucoup moins d’importance que les latitudes. Du sud au nord, l’œcoumène apparaît divisée en sept zones, les climats (arabe iqlīm, pl. aqālīm)203. Division fondamentale : non seulement elle inspire l’exposé de toutes les œuvres qui, dans l’esprit des redécouvertes du règne d’al-Ma’mūn, se réclament de la ṣūrat al-arḍ (représentation de la terre), mais encore on la retrouve, au nom des principes de la culture générale (adab), dans bon nombre de livres qui ne relèvent pas directement de cette école ou même la récusent explicitement204.
62Tantôt, les climats se désignent d’après leurs pays les plus remarquables : Qudāma, par exemple, énumère successivement, en oubliant le septième au passage205, les climats de Méroé (Marāyis), d’Assouan, d’Egypte, de Tarse (Antarsūs), de Rhodes (Rūdas)206 et du Pont (Buntūs). Ailleurs, c’est l’astrologie, une fois encore, qui dicte ses lois : ainsi chez les Iẖwān as-Ṣafā’ ou Mas’ūdī. Il va de soi, compte tenu de la forme de la terre, et aussi des variations des mesures de base207, que la superficie des climats va en s’amenuisant du sud au nord208. Quant à la délimitation même des latitudes, elle se fait d’après la durée du jour à l’équinoxe, matérialisée par la longueur de l’ombre portée d’un gnomon209.
63Système imparfait, qui néglige les régions équatoriales, subéquatoriales et du grand Nord ; système hybride, coincé entre l’à-peu-près empirique et les partis pris de la théorie : les Iẖwān210 déclarent carrément que « ces sept climats ne sont pas des divisions naturelles, mais, pour ainsi dire, des tracés imaginaires établis par les rois de l’antiquité, qui sillonnèrent le quart habité de la terre pour connaître les limites du monde. » Alors, pourquoi s’entêter dans cette répartition, à commencer par les Iẖwān eux-mêmes ? C’est qu’elle ménage, ici encore, les droits du centre, en l’espèce le quatrième climat, le vieux pays de Babylone. Mas’ūdī211 pousse l’audace jusqu’à soutenir que les sept climats « ont été disposés circulairement, le quatrième, qui est le climat de Babylone, se trouvant au centre entouré des six autres. » « Cette délimitation des climats n’est pas la plus usuelle », écrit en note le traducteur, Carra de Vaux. On ne saurait mieux dire ; mais en voulant ramener à toute force des alignements de parallèles à une distribution circulaire, Mas’ūdī ne fait que pousser à son terme, sous une forme marginale et obstinée, l’orgueilleuse exigence de cet Islam qui se veut, par où qu’on le prenne, sur la carte comme dans l’histoire du monde, le nouvel et définitif omphalos.
64Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de la place de l’Islam dans l’espace ou le temps du monde, vers quoi convergent en somme tous les classements. Étoilée ou linéaire, la représentation du monde matérialise, sous des formes diverses, un même présupposé où se rejoignent la géographie et l’histoire, la localisation et le passé des peuples répartis sur la terre, depuis les premiers âges et autour de ce quatrième climat dont hérite l’Islam.
Les rois du monde et leurs peuples : unité et diversité de la civilisation
65La distribution des terres par grands groupes humains recoupe souvent, c’est un fait, celles qu’on vient d’étudier. Ibn Hurdādbeh, par exemple, propose la suivante, qui ne fait pas autre chose que reprendre, sous une forme géopolitique, le classement par quarts : Europe (Arufā : Espagne, Slaves, Empire byzantin, Francs et Afrique méditerranéenne moins l’Égypte, soit le quart nord-ouest), Libye (Lūbiya : Égypte, Abyssinie, pays berbères et noirs, soit le quart sud-ouest), Éthiopie (Ityufiyā : Arabie, Inde et Chine, soit le quart sud-est) et Scythie (Isqutiyā : Arménie, Hurāsān, pays kẖazars et turcs, soit le quart nord-est)212. Même intervention des peuples dans les climats : Ibn al-Faqīh, que l’ordre géographique ne tourmente pas jusqu’au bout, attribue ces sept zones aux Arabes, aux Byzantins, aux Abyssins, aux Indiens, aux Turcs, aux Chinois et à Gog-Magog213.
66Sans doute les superpositions ne tombent-elles pas toujours aussi juste : dès qu’ils veulent bien se montrer soucieux de la réalité historique ou géographique, les auteurs sont forcés d’avouer que les peuples de la terre dépassent le chiffre idéal de quatre ou de sept. Et pourtant, comme on va le voir, il est toujours un concept, celui de l’omphalos précisément, qui surnage sur le flot des hésitations.
67Prenons le thème des rois du monde. L’histoire y agit en plusieurs strates : aux temps les plus anciens, ceux de la Genèse, la terre échoit en partage aux trois fils de Noé : Japhet (Yāfit) obtient les pays au-delà de la Mésopotamie, Cham (Hām) l’Afrique et l’Extrême-Orient, Sem (Sām), enfin, les régions allant du Nil à la Mésopotamie et à l’Asie Mineure214 : déjà perce en cette répartition le thème du pays central, attribué, en l’occurrence, au grand ancêtre de la famille sémitique.
68Une précision de plus, ou, pour mieux dire, un correctif apporté par l’Iran : ici, c’est un roi mythique qui partage le monde, jusque-là un, entre ses trois fils, Orient et Occident encadrant l’Ῑrānšahr215. Viennent d’autres époques, d’autres partages, d’autres rois : le chiffre quatre apparaît, avec quelques modifications géopolitiques, et les ensembles sont désormais ceux des pays turcs et ẖazars, de l’Afrique noire, de l’Arabie et de l’Iran orientaux, de l’Arabie et de l’Iran proprement dits, ce dernier groupe étant explicitement appelé nombril du monde216. Une fois dessiné, le thème des rois entreprend de répondre plus exactement aux grandes divisions de l’histoire et de la géographie mondiales : on isole ainsi, hors du commun, les cinq grands souverains des Arabes, de Chine, des Turcs, de l’Inde et de Byzance217. A noter que l’énumération est hiérarchique : Abū Zayd as-Sīrāfï fait reconnaître par le roi de Chine lui-même la prééminence du « roi de l’Irak », du « royaume le plus riche », du « roi des rois parce que l’Irak est au centre du monde et que les autres royaumes l’entourent »218. Et Mas’ūdī, qui reprend à son compte le texte d’Abû Zayd219, de renchérir un peu plus loin220 sur la suprématie du « roi de Babylone », dont le rang est celui de « la lune parmi les étoiles », « du cœur dans le corps de l’homme » ou de « la perle principale au milieu du collier ». Et ailleurs : « C’est sur l’Irak que brille le soleil le meilleur, le plus pur »221.
69Sur ce canevas, les auteurs brodent encore, en s’essayant à soutenir la diversité des lieux et des temps, tels Ibn Hurdādbeh ou Mas’ūdī ; ce dernier, dépassé par la foule des têtes couronnées, cherche un critère hiérarchique dans la constance des titulatures : il refuse, dit-il, de s’occuper de tous les rois « qui ne sont point connus dans l’histoire sous un titre souverain. » Mais, même ainsi, il arrive à un total d’une bonne trentaine. Ne retenons que les plus grands : le calife de l’Islam, le Bagbūr de Chine, le Ballaharā de l’Inde, le Hāqān (ou Uygurhān) des Turcs, le César (Qaysar) de Constantinople, le Négus (an-Nağāšī) d’Abyssinie, le Waflīmī d’Afrique orientale, le Maharadja de Java, et ceux-ci encore, en remontant le cours de l’histoire : Pharaon (Fir’avvn), puis Ptolémée (Batlīmūs) pour l’Egypte, Chosroès (Kisrā) pour l’Iran, Tubba‘ pour le Yémen, Rodrigue (Ludrīq) pour l’Espagne wisigothique ou Goliath (Gālūt) pour la Palestine222.
70On voit l’incertitude du classement, qui perd pied, par trop d’ambition, dans la double richesse du temps et de l’espace, du passé immémorial et du répertoire de la terre : l’histoire a fait, et la géographie fait encore, trop de peuples et trop de rois. D’où le retour à des positions moyennes ; et d’abord, répudions l’histoire, sauf à constater que les derniers siècles ont simplifié la carte des royaumes : Ptolémée, Goliath et Tubba’ ont disparu de tout un pan du monde où, désormais, le calife remplace Chosroès. Au dehors, le regard se porte vers quelques directions, celles-là même que nous suivrons, à peu de chose près, dans les prochains chapitres : elles apparaissent assez clairement tout au long des Prairies d’or223. Premier ensemble : l’Extrême-Orient, pour l’essentiel Inde, Chine et Tibet ; puis l’Asie centrale, pays des Turcs et de Gog-Magog ; puis la mosaïque des peuples du Caucase et la Russie du Sud : Kẖazars, Bulgares, Russes ; puis Byzance, au delà de laquelle le regard, plus flou, embrasse les Slaves, les Francs et d’autres nations moins importantes : Gascons, Bretons, Galiciens ou Lombards ; enfin l’Afrique noire, rassemblée autour de quelques grands thèmes : Ghana, Zanğ, Abyssinie et Nubie224.
71Autre test pour déterminer une sorte de classement hiérarchique des nations : le partage du monde selon les distances225. Le système s’inspire, à l’évidence, du désir d’exalter le paradoxe entre l’importance historique de l’Islam ou des pays arabes et leur exiguïté territoriale : sur les cent années nécessaires pour parcourir le monde habité, Muqaddasī en attribue une seule aux Musulmans, mieux encore : mille misérable parasanges aux Arabes, sur les 24 000 du total, dont 12 000 reviennent aux pays noirs, 8 000 à l’Empire byzantin et 3 000 à l’Iran226. Inversement, le territoire s’accroît si les peuples sont tenus pour quantité négligeable de l’histoire ou, à plus forte raison, pour à demi mythiques : Gog et Magog représentent à eux seuls les cinq sixièmes du monde, suivis, de très loin, par les Noirs227.
72Le système n’est pas si aberrant dans l’ensemble de la conception du monde sur laquelle vit l’Islam de ce temps : car enfin, si ses chiffres, ici ou là, hésitent et versent dans l’outrance, sa démarche reste à peu près la même et vise toujours, en dernière analyse, au paradoxe signalé. Voici, avec Mas’ūdī, un tableau qui se veut plus scientifique, sous l’autorité de l’astronome Fazārī228. Que nous dit-il ? Que le cœur de l’Islam, à savoir la mouvance abbasside, avec une étendue de 2 220 000 parasanges carrées, se situe à mi-chemin entre les plus petits États (2 400, 16 000 ou 24 000 parasanges carrées) et les très grands, Inde ou Chine : de 77 à 341 millions de parasanges carrées. Mais allons au delà des répartitions de détail et retrouvons, comme nous y invite rémunération même du texte, les grands ensembles géographiques : nous verrons alors que l’Islam (soit un peu plus de 2 220 000 parasanges carrées pour le total de ses terres, abbassides ou non) est sensiblement de même ordre que Byzance (2 100 000) et supérieur au groupe des pays turcs, du Caucase et de la Russie du Sud (1 440 000), mais qu’il ne représente plus, en revanche, que le tiers du bloc Byzance-Europe (encore s’agit-il d’une Europe tronquée), entre le sixième et le cinquième de l’Afrique noire, la 35e partie de l’Inde et la 145e partie de la Chine !
73Par rapport aux données d’un Muqaddasī, les déséquilibres du tableau de Mas’ūdī sont tout aussi flagrants, même s’ils ne suivent pas un schéma rigoureusement identique. Seul, l’Islam échappe maintenant aux excès, dans un sens ou dans l’autre. Est-ce la fin du paradoxe entre le rôle temporel et la dimension spatiale ? Pas le moins du monde. En donnant à l’Islam un statut territorial intermédiaire, en l’engageant, de ce point de vue, sur une voie moyenne, tempérée pourrait-on dire229, on n’en illustre que mieux le bien-fondé de sa position privilégiée et centrale, au cœur historique et géographique du monde. Et c’est bien, finalement, faire coup double que de sauvegarder le caractère miraculeux de la vocation de l’Islam, si l’on réfère son domaine à celui de l’énorme Chine, et que d’en justifier le caractère légitime, si la comparaison porte entre l’Islam et les États plus petits. Ainsi le paradoxe garde-t-il son amplitude : toute la distance qu’il perd sur le terrain, il la compense par l’exaltation d’une destinée. Une fois de plus, le vieux thème retrouvé de la position médiane va de pair avec celui d’une histoire rassemblée autour de l’événement qui lui donne la lumière. Dans un temps et un espace mesurés, l’Islam est intermédiaire, comme tout État moyen, comme tout moment présent ; dans un temps et un espace organisés, il est le centre ; dans un temps et un espace hiérarchisés, il est le sommet.
74Si le partage du monde selon les distances s’éloigne quelque peu, sans l’infirmer tout à fait, du schéma donné par le thème des rois du monde, il est une autre, une dernière présentation de la terre qui, elle, le serre de beaucoup plus près : c’est celle de la répartition des qualités et des insuffisances humaines selon les races. Aussi bien les rois du monde en sont-ils, déjà, le symbole. Abu Zayd as-Sīrāfī, que reprend et complète Mas’ūdī230, fait du roi de l’Irak « le plus largement pourvu de tous » ; l’empereur de Chine est le « roi des hommes, parce qu’il n’y a pas de roi qui, mieux que lui, ait établi les bases de la paix, qui maintienne mieux l’ordre dans son royaume et dont les sujets soient plus obéissants » ; « le roi des bêtes féroces », ces bêtes-là désignant d’abord son peuple, est celui des Turcs ; l’Inde a le roi « de la sagesse » et « des éléphants » ; les Byzantins enfin, qui sont le peuple le mieux fait de la terre, ont « le roi des beaux hommes ». Ibn al-Faqīh est moins prolixe : le roi de Chine est celui des biens meubles ; le roi des Turcs, celui des montures ; le roi des Arabes, celui de l’argent ; le roi de l’Inde, celui des éléphants ; le roi de Byzance, celui de l’alchimie231.
75Vieille habitude que ce genre de distribution, et qu’il faut bien placer, aux origines de la géographie arabe, sous le patronage de Ğāḥiẓ Mais d’abord, une question à trancher : peuples ou races ? Force est de constater que la première notion l’emporte, et de très loin, sur l’autre. Si les races apparaissent, cela semble être dans l’histoire, et dans une histoire révolue : en Adam d’abord, dont le corps les portait toutes, à travers les sols dont Dieu le composa : salsugineux, marécageux, noirs ou rougeâtres ; puis, dans le partage du monde entre les fils de Noé, dont dérivent les sept nations de l’antiquité : Perses, Chaldéens-Syriens, Grecs-Romains-Slaves-Francs, Libyens (Africains), Turcs-Kẖazars, Indiens, Chinois-Coréens232. Mais qu’en est-il au niveau de la géographie pure ? Traitant des sept climats, les Iẖwān as-Ṣafā’233 attribuent aux habitants de chacun d’eux une couleur spécifique : au premier, le climat de Saturne, le noir ; le second, celui de Jupiter, fait transition entre le noir et le brun ; le brun seul au troisième climat, celui de Mars ; le quatrième, le climat médian, celui du Soleil, voit le passage du brun au blanc ; le cinquième, celui de Vénus, a les peaux blanches ; le sixième, celui de Mercure, se situe entre le blanc et le roux ; le septième enfin, celui de la Lune, accentue la tendance au roux.
76Le concept de race reste donc finalement assez fuyant et s’appuie, on le voit, moins sur des distributions tranchées que sur des transitions régulières. L’essentiel, depuis Ğāḥiẓ, est que, si le mot de race veut dire quelque chose, c’est bien la notion d’une transformation progressive des caractéristiques humaines quand on va du nord vers l’équateur. La complexion physique et mentale des êtres vivants est en raison directe de la distance de leurs pays au soleil, la palette des couleurs données par les Iẖwān n’étant finalement qu’une table des degrés d’intensité des effets solaires. Plus on va vers le nord, et plus le teint est blanc, ou roux234, les articulations molles, le caractère bestial ; plus on va vers le sud, et plus l’embryon « cuit » dans le sein de sa mère, plus s’accusent la couleur de la peau, les cheveux crépus, la vivacité et la sveltesse235. Point important : il ne semble pas y avoir hérédité des caractères acquis236.
77Sur ces bases, et sur celles que fournit toujours, à l’arrière-plan, l’astrologie, s’élabore le thème de la distribution des aptitudes selon les pays et les peuples. On peut l’aborder par la négative : Ibn al-Faqīh237 dénie la fidélité aux Turcs, la générosité aux Byzantins, la pudeur aux Kẖazars, le sérieux aux Noirs, le courage aux Slaves et la chasteté à l’Inde. La répartition la plus courante, toutefois, s’énonce autrement : le même Ibn al-Faqīh238 déclare qu’ « il n’existe aucun pays qui n’ait reçu, comme sa caractéristique propre, exclusive de tout autre pays, un mérite ou des avantages dont son peuple tire gloire et s’enorgueillit avec confiance. »
78Ğāḥiẓ, suivi par Ibn al-Faqīh et Mas’ūdī, donne le ton pour la définition de ces traits particuliers239 : les Chinois sont le peuple de la technique et de l’artisanat ; l’Inde, celui de la science théorique : mathématique et ses dérivées, astronomie et musique ; astronomie encore, mais avec la médecine, la philosophie et l’alchimie, pour les Byzantins, héritiers des Grecs, et techniciens eux aussi ; l’Iran a reçu en apanage l’éthique et la politique ; la guerre, enfin, revient aux Turcs. Et les Arabes ? Ils se reconnaissent — et nul ne leur conteste — le véritable don de poésie et, préfigurés par Sem, qui reçoit la prophétie en apanage240, la vraie religion. C’est là que réside la différence essentielle entre eux et tout le reste du monde, là qu’ils prennent conscience de leur supériorité.
79Va-t-on au triomphalisme, à l’intolérance ? On trouve, c’est un fait, des échos de ce genre de voix : Mas’ūdī reproduit par exemple les paroles d’un sage qui estime inutile de décrire l’Inde, la Chine et Byzance, « contrées lointaines, peuplées de nations infidèles et hostiles »241. En un certains sens, c’est la même défiance qui inspire, pour une bonne part, le resserrement de la ṣūrat al-arḍ au seul Islam, avec Balhī et ses successeurs : Muqaddasī, qui reproche à Ğayhānī de perdre son temps à décrire les idoles de l’Inde, déclare tout net qu’ « il ne mentionne que le domaine de l’Islam, et rien de plus, sans y ajouter le fardeau des Etats infidèles, où il n’est jamais allé et dont la mention ne revêt à ses yeux aucun intérêt, réserve faite des colonies musulmanes qu’ils abritent »242. Mais le débat est en général plus sereinement abordé, à commencer par Mas’ūdī, dont l’information et la réflexion personnelles sur les peuples étrangers ou les religions non musulmanes se veulent sérieuses, approfondies et objectives. Sans doute, la supériorité de l’Islam n’est-elle jamais mise en cause, et l’on parlera, en cela, moins d’humanisme que de tolérance : vertu non exempte d’une certaine condescendance, venant d’une religion détentrice de toutes vérités, mais enfin vertu fort remarquable pour l’époque243.
80Et d’abord, il importe de justifier l’amour de tout homme, quel qu’il soit, pour sa patrie (watan). Allant au delà du simple thème littéraire, de cette nostalgie de l’exilé (al-ḥanīn ilä l-watan : le désir du pays natal) qui inspire des pages entières de Yadab, Ibn al-Faqīh et Mas’ūdī font intervenir l’attachement de l’homme au sol sur lequel il vit son existence quotidienne : « la terre que chacun de nous habite lui est sa nourrice, son foyer, son berceau ; Hippocrate dit que l’être humain est essentiellement pétri de l’amour du pays natal », et Galien « que l’homme qui respire l’air de son pays renaît comme un jardin qui s’épanouit sous la pluie bienfaisante »244. Cet amour n’a pas de justification qu’en soi, par le réconfort qu’il assure : il est le moteur des installations humaines, notamment sur les sols infertiles245. Car si la grâce divine n’avait pas distribué, entre les nations, les terres avec les qualités correspondantes pour en tirer parti, c’en serait tôt fini des échanges commerciaux ou des productions de la technique humaine, c’en serait fini, aussi, de la paix, chacun souhaitant bondir sur un pays plus riche246.
81Notion-clé que celle de l’harmonie naissant des divergences, de l’i’tilāf fondé sur Yihtilāf, comme le dit Ğāḥiẓ en un de ces couplets phonétiques dont l’arabe est friand247. L’humanité ne saurait en effet prétendre échapper à l’esprit de la création, ni son étude aux lois qui président à celle du monde. Or, on sait248 que l’attitude de Ğāḥiẓ consiste à récuser, au niveau de l’univers, la notion même de valeur : le caillou, dit-il, n’est pas moins probant de Dieu que la montagne, ni la grenouille que le papillon249. Semblablement, il n’y a pas, hormis l’ordre de la Révélation, de peuple privilégié, et si l’on reconnaissait à chaque nation ses mérites, la haine ferait place à l’émulation. D’ailleurs, conclut Ğāḥiẓ en poussant plus loin son analyse, est-on si sûr que telle ou telle aptitude soit l’apanage exclusif d’une partie du monde ? En réalité, les contacts et les échanges permettent les initiations et les influences réciproques : les traits distinctifs des peuples ne sont finalement que des dominantes, non des propriétés fermées250.
82Tout se passe finalement chez Ğāḥiẓ comme chez Hamdānī : un système distributif, ici ethnographique, voit peu à peu ses principes dilués dans la diversité de l’être. Et comme chez Hamdānī, cette diversité débouche sur l’unité du monde ; sensibles toutes deux un peu partout, sous des dosages variés de traits différents ou contraires, elles culminent, au centre du monde, en cet Islam qui résume et exalte la richesse humaine.
Le quatrième climat : l’Irak successeur de Babylone
83L’Islam culmine à son tour, selon les auteurs, dans l’Arabie des lieux saints ou en cet Irak qui prend, au centre de la carte, le relais de l’Irānšahr persan : on reviendra plus loin sur cette dualité, source de controverses251. Pour l’instant, il importe, comme une conclusion à l’étude de la terre partagée, de creuser le concept de centre. Cette région médiane de la carte de Hamdānī, cet Irānšahr de la vieille histoire des rois, ce quatrième climat intermédiaire, ce pays de Babylone pour tout dire, comment se définissent-ils ? A l’évidence, les auteurs jouent sur deux claviers : qu’on parle de la situation même du climat (au sens ancien du terme), de son climat (au sens moderne) ou du teint de ses habitants, et c’est le thème de la moyenne (i’tidāl) qui apparaît ; moyenne encore pour les qualités morales, soit qu’elles ressortissent à une tempérance d’ensemble, soit que leur somme compose à la personne humaine un harmonieux équilibre. Au contraire, dès qu’on touche aux qualités intellectuelles ou à l’importance historique, l’Irak se situe aux extrêmes, du bien naturellement252.
84De ce thème alterné de la moyenne et de l’excellence, les Iẖwān as-Ṣafā’253 fournissent la meilleure illustration, avec leurs statistiques pour les sept climats. On les donne ci-après, le premier chiffre indiquant le nombre des montagnes, le second celui des cours d’eau, le dernier celui des villes :
851erclimat : 20, 30, 50
862e climat : 17254, 17, 50
873e climat : 33, 22, 128
884e climat : 25, 22, 212
895e climat : 30, 15, 200
906e climat : 22, 32, 90
917e climat : 10, 40, 22.
92Si l’on transcrit ces données en un graphique (fig. 15), il ressort clairement que le quatrième climat combine les avantages d’une position moyenne quant au cadre naturel (et, par voie d’influence du milieu, quant au caractère équilibré et harmonieux de ses habitants) et d’une position haute en ce qui concerne, sous la forme des villes, les biens culturels.
93Le retour au thème de l’omphalos se fait donc ici par des cheminements nettement plus complexes. Il y a, d’abord, ce jeu savant sur les deux domaines de la moyenne et de l’excellence, selon que l’on parle nature ou culture. Mais la moyenne elle-même est excellence si l’on se place à l’intersection des deux domaines, à savoir au niveau de l’homme, qui est, lui, excellent de par sa participation à l’ensemble culturel, et excellent encore en ce que son milieu naturel d’appartenance, tempéré et moyen, lui confère cet équilibre (i’tidāl) qui est la marque de l’homme parfait.
94Mais ce signe de la création souveraine, cet homme que nous retrouvons, comme chez Ğāḥiẓ, au centre de la hiérarchie universelle, existe-t-il réellement dans l’ensemble du quatrième climat ? Le système, si on le regarde bien, est fondé sur une prétérition singulièrement probante. Qui aurait l’idée, en effet, tout en restant dans ledit climat, de chercher cet homme parfait en Tunisie par exemple, ou en Chine ? On dit bien quatrième climat, mais on pense Mésopotamie, on réintroduit la notion essentielle de longitude, on se situe au point idéal, intermédiaire ici encore, mais cette fois entre l’Extrême-Orient et l’Occident du bout du monde. Finalement, toutes les architectures de l’œcoumène supposent, de façon avouée ou inconsciente, la distribution étoilée. Elle seule est fondamentale, elle seule est constante, elle seule permet à l’Islam de ne pas s’égarer, s’oublier dès lors qu’il tourne ses yeux ailleurs, vers ces terres étrangères dont il croit, certes, connaître les mérites, mais à qui manquera toujours ce qui le constitue, lui l’Islam, cœur vivant de l’humanité et de son histoire : précisément, avec l’Irak, la position du cœur, au milieu de l’oiseau-monde d’Ibn al-Faqīh255.
Notes de bas de page
1 Merv., p. 190 ; à noter toutefois que cette attribution prend place dans une répartition de la terre par quarts : Inde et Chine font partie du quart oriental, lequel rassemble au total les neuf dixièmes des merveilles du monde.
2 Rel., § 24, n. 2 (p. 50), repris dans SIR, 87, et MAS (p), § 344.
3 YA’Q, 233-236, RST, 104 (« la poitrine »), FAQ, 197, QUD, 234 et M 52-53, MAQ, IV, 50-51.
4 QUD, 234.
5 Sur la répartition des grands groupes humains, cf. infra, « Les rois du monde et leurs peuples... »
6 RST, 104.
7 Chap. XI, « La mamlaka, pôle à deux ou trois pôles ».
8 HUR, 5, 18, 72, 118, YA’Q, 268 sq.
9 MUQ, trad. § 97 et pl. III, YA’Q, 232-233, 268 sq. A noter, chez ce dernier auteur, que la description de l’Islam ne suit pas l’ordre annoncé p. 268 (est, ouest, sud, nord), mais qu’elle peut s’ouvrir à des excursus sur les peuples étrangers compris dans le quadrant intéressé.
10 HUR, loc. cit., et 4-5, 157-158. Cf. aussi les références comparées des n. 1 et 2 de la page suivante.
11 HUR, 4-5, 157-158, FAQ, 4 (chez qui l’œcoumène ne représente plus que le douzième du globe), MAS (p), § 187, 973, 1326, 1329 sq., (t), 37-41, IHW, I, 160, 163, HUW (m), 217, IṢṬ, 6, HAW, 9-10, MUQ, trad. § 97.
12 YA’Q, 268, MAS (p), § 187-188, 1326-1327, 1329 sq., (t), 50, IHW, I, 160, 163, HUW (m), 217, ḤAW. 9-10, MUQ, trad. § 95-97.
13 Exposé détaillé, p. 26-28, des différences entre les trois écoles grecque, indienne et arabe.
14 Littéralement : l’agneau (al- ḥamal).
15 En arabe : l’épi (as-Sunbula)
16 Sur Jupiter, Mercure, Vénus et Saturne, cf. les articles de Hartner et Ruska dans EI, III, p. 585, 800-801, IV, p. 1309-1310, 1708-1709.
17 Le gué d’Héraklès : mağāz Irāqilīs. Les références concernant les indications topographiques données dans les notes seront cherchées dans M. Besnier, Lexique de géographie ancienne, Paris, 1914.
18 Littéralement : au golfe appelé Isṭīqūs (‘Iσσιϰὸς ϰόλπος).
19 La mer Rouge, dite aussi mer de Qulzum (du nom de l’ancienne Klysma, dans les parages de Suez).
20 Le mot de luğğ, employé ici pour désigner la mer, semble évoquer une superficie qui n’est ni celle du golfe (ẖalīğ, qui traduit le grec ϰόλπος, : cf. supra, n. 3), ni, à l’autre bout, celle de la mer entière (bahr =θάλαπος). Il veut donc rendre très exactement le grec πέλαγος de l’expression πέλαγος Aἰγαῖον ; le même souci de fidélité à l’original se reflète dans le décalque Iğiyūn, auquel les géographes arabes préfèrent l’expression de « golfe de Constantinople » qui désigne chez eux, de façon assez vague, la partie nord-orientale de la Méditerranée conduisant à la mer Noire.
21 Funtus, décalque assez fidèle ici encore (l’arabe transcrivant par b ou f le son p qu’il ignore), si l’on songe que le mot est le plus souvent connu sous sa forme altérée de Nīṭas.
22 Ma’ūṭīs ou Mawṭīs, selon la vocalisation adoptée : c’est la mer d’Azov, parfois supposée communiquer avec la Caspienne. Arabe buhayra = grec λίμνη
23 Qālṭūgālāṭiyā : par conséquent Celtique (soit, pour la géographie antique, l’ensemble des populations de l’Europe occidentale, centrale et septentrionale) et Asie Mineure.
24 Awrūfā.
25 Aṣ-Ṣaqdliba, Faranga, al-Isbūn.
26 A l’époque où Hamdānī écrit (première moitié du xe siècle), il n’y a pas encore de Turcs installés en Asie Mineure et notamment dans la région d’Erzerum (Qālî-qalā) : il faudra attendre pour cela la poussée selgūqide. Tout au plus peut-on penser, en ce début du xe siècle, à la présence de Turcs dans les armées arabes de la conquête (notamment Bugā, général du calife al-Mutawakkil, en 851-852) et aux incursions des princes sāğides d’Āḏarbayğān. L’expression « Turcs de l’ouest » est peut-être une tournure péjorative (révélatrice des sentiments anti-tures de certains milieux arabes de l’époque) pour désigner les Byzantins ou « Romains » (Rūm).
27 Ityūfiyā, c’est-à-dire l’ensemble des peuples noirs au sud de l’Egypte.
28 Pour les anciens, c’est le Nil qui marque la limite des mondes asiatique et africain.
29 Suqūtiyā.
30 Lībū (vocalisation incertaine).
31 Ou basse vallée de l’Indus, distinguée du reste de l’Inde parce qu’elle est une province musulmane.
32 L’ensemble des populations noires des côtes orientales de l’Afrique.
33 L’idée (cf. la suite du passage) est que, par ces régions médianes, transitent d’un quadrant à l’autre des influences contraires. Le texte dit littéralement : « pour chacun des quadrants susmentionnés, si on le considère en ses parties touchant au centre de l’œcoumène entière, on peut dire que sa position, par référence à l’ensemble du quadrant, est inverse de sa position par rapport à l’ensemble de l’œcoumène ».
34 ‘Uṭārid : cf. Hartner, dans EI, t. IV, p. 1116-1117.
35 ‘ašiyyāt : première veille de la nuit ( Vénus-Vesper).
36 al-umam al-kulliyya, dit le texte, littéralement : « les nations qui relèvent du tout, qui sont de plein exercice », par opposition aux régions centrales, qui viendront tout à l’heure.
37 Baratāniyā.
38 Garmāniyā, Bāstarāniya (pays des Bastarnes, peuple installé au nord de la Dacie).
39 Itāliyā, Gāliyā, Abūliyā, Siqīliyā, Tūrīniyā (du nom des Taurini, de la région de l’actuelle Turin : cf. Ptolémée, III, 1, 31), Qāltīqd, Sibāniyā.
40 Allusion à un fait de prononciation arabe à la pause, l’articulation dentale du t indice du féminin (tâ’ marbūta, supprimé d’ordinaire dans les transcriptions en langues européennes) se relâchant en un simple souffle ; en outre, hésitation, pour la voyelle a précédant la finale, entre une valeur brève et une valeur longue. La notation revient à établir un parallélisme entre la terminaison arabe et la terminaison -a ou -y) du grec.
41 . Erreur sur le définition du mot d’Apulie et sur les latitudes, Amorium (‘Ammū-riya) étant légèrement plus basse : cette dernière erreur est imputable à la carte de Ptolémée : cf. carte 1, dans Die Welt der Antike, cité supra, p. 21, n. 4.
42 J’avoue ma perplexité devant cette transcription, aucune des identifications possibles (Chauranaei, Choarene, Corone, Coronea) n’étant recevable pour les latitudes. Peut-être faut-il penser à la région du mont Coronus (bordure sud-ouest de la Caspienne : cf. Ptolémée, VI, pass.), que la cartographie ptoléméenne place en effet à cette latitude, ou encore, ce qui revient au même pour la localisation, à une métathèse dans la transcription du grec ‘γρϰανία, qui désigne cette région.
43 Salämya (ou Salämiyya) étant une ville de la région d’Emèse (Homs, Hims), il ne peut s’agir, comme l’indique le texte, de Malätya (Mélitène), dans la région du haut Euphrate, mais de Malte (Malta).
44 Rectifier en nizâm le texte de l’éd. Müller (nazāfa : propreté).
45 Sans doute ceux des Slaves, qui aussi bien n’apparaissent pas dans l’énumération qui suit.
46 Même correction que ci-dessus, n. 10 de la page précédente.
47 Le texte donne à choisir entre deux orthographes : Tarāqā et Taraqa.
48 Deux orthographes : Māqādūniyā et Maq(a)dūniya : il arrive, comme ici, que les auteurs arabes donnent ce nom à la région du delta du Nil.
49 Ilūriya, Allās (ou al-Làs).
50 Le texte dit : « Hāyā ou, originellement, Ahāyā ».
51 Iqrītīs.
52 Qūqalādas.
53 Il faut sans doute comprendre : ceux qui regardent du côté de l’Égypte, c’est-à-dire de la Méditerranée (par opposition à la mer Noire). Au reste peut-on lire également : ceux de l’Egypte et de l’île de Chypre.
54 Qubrus.
55 Soit : en plus des influences déjà signalées.
56 Désignée ici sous sa qualification de ‘Adrā’.
57 wa l-ğihād wat-tanazzuf fī tadbīrihim. Il semble bien, compte tenu de l’ensemble du contexte, qu’il faille rattacher le terme de gihād (effort) à ce qui suit. Mais il est vrai qu’il est précédé de ta’allum (étude), qui peut inviter à penser à un effort vers les choses de la religion.
58 Sans doute ici la Macédoine grecque, compte tenu de l’environnement.
59 Y compris le Sind (cf. supra, p. 36, n. 5).
60 Ṣïn, le mot désignant tous les pays situés à l’est de l’Inde, Chine comprise.
61 Ou Makrān (Gédrosie).
62 La Carmanie.
63 La Perside.
64 Littéralement : Babel, Babylone (Babil).
65 Littéralement : le confluent des deux Fleuves (multaqā an-nahrayn).
66 Atur.
67 ğadawāt (Vénus-Lucifer).
68 Isis.
69 Lacune dans le manuscrit. Les lignes qui suivent appartiennent également à un texte peu sûr (ex. 1. 15 : lire hiya et non fī).
70 Mitra.
71 Ainsi dit le texte : bay‘. Mais cette version est peu compatible avec le contexte. Peut-être faut-il lire mat’ ou tamattu‘ : plaisirs, jouissance (ou muta‘ : unions passagères ?).
72 Suivent, dans le texte, deux lignes apparemment interpolées et relatives à une brève jurisprudence de l’attitude expiatoire.
73 A savoir Vénus, Saturne et, pour les régions centrales, Mercure.
74 L’ancienne Ecbatane, au pied de l’Elvend.
75 Le māh d’al-Basra (Bassora) et celui d’al-Kūfa désignent les deux villes de Nehavend et de Dīnawar parce que leurs revenus étaient affectés au paiement des pensions des habitants des deux grands centres irakiens fondés par les Arabes. Sur le sens du mot persan māh (région, province, ou Médie), cf. YA’Q, trad., p. 69, n. 2, p. 72, n. 5, et L. Lockhart, « Dīnawar », dans El (2), II, p. 307.
76 al-Gazīra.
77 Nom arabe de l’ensemble syro-palestinien.
78 qiyās : raisonnement analogique, syllogisme.
79 Ou Séistān : l’ancienne Drangiane.
80 Idūmā, Suriya, Filasfïn.
81 Déformation d’Aelia, dans Colonia Aelia Capitolina, nom imposé par Hadrien à Jérusalem.
82 Cf-infra, n. 7 de la page suivante.
83 Mot d’acception flottante : région de la Mekke et Médine, ou de la Mekke seule, ou depuis la Mekke jusqu’au Yémen : cf. Yāqūt, Mu’gam al-buldān, s. v.
84 Fūnīqā : allusion à l’origine sud-arabique prêtée aux Phéniciens. Il s’agit ici de la façade yéménite sur la mer Rouge : comparer avec in/ra, quatrième quadrant, i. f.
85 Comme on va passer aux influences du quadrant opposé, qui transitent par cette zone centrale, cet « également », ainsi que le « aussi » qui suit, doit s’interpréter comme sous-entendant : outre l’influence des signes et astres intéressant le quadrant d’appartenance.
86 Sous-entendez : dans sa partie méridionale.
87 bilād al-Yahūd al-‘atīqa.
88 Nouvelle interpolation, sur l’attitude impie des Hébreux.
89 Tadmur.
90 Le mot semble désigner les confins, notamment orientaux, du Haḍramawt.
91 tahā’im, pl. de tihāma : plaine côtière de l’Arabie occidentale.
92 Corriger la leçon yaẖbizūna (ils font cuire [le pain]) en yūğbinūna.
93 Ce qui suit est peut-être une digression, mais pas une interpolation comme les deux précédentes : tout Hamdānī est là dedans, avec sa connaissance attentive et touchante de la terre natale. Passage essentiel pour juger de l’adaptation, dans un climat oriental et arabe, des données grecques.
94 Littéralement : « fertile » (ẖaṣība), qui a déjà été employé supra, (p. 40, n. 9).
95 On se souviendra, comme preuve de l’authenticité du passage, de la culture grecque de Hamdānī : cf. Géographie I, p. 247-253. Dioscoride : Diyūsqūrīdis.
96 Je propose de corriger la leçon ‘ars, peu intelligible, de l’éd. Müller en ġard.
97 « II est presque impossible, dans l’état actuel de notre information, de ramener à coup sûr à notre système une mesure mentionnée dans un document » (J. Sauvaget, Introduction à l’étude de l’Orient musulman, éd. post., revue par C. Cahen, Paris, 1961, p. 89). A titre indicatif, une perle d’un demi-miṯqāl est déjà considérée comme une très belle pièce : GĀH (t), 156.
98 Installés dans la pointe sud-ouest de la péninsule, entre Zabīd et Aden. Sur Mahra, effectivement beaucoup plus à l’est, cf. supra, n. 3.
99 Texte et sens littéral incertains.
100 Tout au moins la partie septentrionale (cf. supra, p. 39).
101 Sans doute Armenia Major (ou montagneuse) et Armenia Minor (ou occidentale) de l’Antiquité.
102 L’actuel Mazandaran, sur les rives sud de la Caspienne.
103 Région des rives sud-est de la Caspienne.
104 Steppe située au sud du cours inférieur de l’Araxe (région sud-ouest de la Caspienne).
105 Peuple installé sur la basse Volga.
106 Région côtière du sud-ouest de la Caspienne.
107 al-Lān : peuple installé sur le versant nord du Caucase.
108 Peuple légendaire (Yāğûğ iva Māğûğ) installé derrière sa « muraille », identifiée parfois à la Grande Muraille de Chine.
109 Tubbat.
110 Peuplade turque de l’Asie centrale.
111 Les Saupoudrait (Sarmates) passaient pour être issus de l’union des Scythes et des Amazones.
112 Je corrige la leçon yalqayna l-harb (elles soutiennent la guerre) en yulqīnà al-hirāb. Mais je reconnais qu’un texte voisin, infra, p. 43, n’est pas plus explicite.
113 « Les deux corps purs », ou « simples » (al-ğawharatayn al-atīqatayn), dont sont censés provenir les métaux. Allusion aux richesses minières du Zagros et du Hurāsān.
114 Le texte donne la racine hyl, qui peut avoir ce sens comme celui d’arrogance. Peut-être faut-il lire hiyal : artifices, ruses, stratagèmes.
115 Le pays de Bactres (Balh).
116 Le pays de l’actuelle Tachkent.
117 Régions de la Haute-Mésopotamie, avec Mossoul et ar-Raqqa comme centres.
118 Soit vers le quadrant opposé.
119 Les ṯuġūr sont les marches de l’Empire, enjeu incertain de la lutte avec Byzance : ici, dans le secteur syrien, notamment Tarse et Mopsueste.
120 Bītuniya, Furūgiya, Qabādūqiya, Lūdiya, Qīlīqiya (l’identification, suggérée par la phonétique, avec Qālīqalā (Erzerum), est erronée).
121 Cf. supra, p. 40, n. 12.
122 Adūnīs.
123 niyāha : lamentation sur un mort.
124 šaraf (et non šarf) : situation d’une planète dans le signe où elle a le plus d’influence (on dit aussi : dignité).
125 Ici intervient, épisodiquement à vrai dire, une nouvelle classification : le trigone (tatlīt, tandis que mutallata désigne la triade de signes zodiacaux) est une association de signes du zodiaque, mais séparés cette fois par cent vingt degrés.
126 Cette « masculinisation » produite par l’est et le soleil ne tient pas compte du fait que les genres des deux planètes sont inversés par rapport au grec.
127 Fanfūliya.
128 Cf. supra, n. 3.
129 as-Sūdān.
130 al-Habaš.
131 Buğa : occupants de la région comprise entre le Nil et la mer Rouge d’une part, la Haute-Égypte et l’Érythrée d’autre part.
132 an-Nūba.
133 D’ordinaire, le mot d’Ifrīqiya désigne la partie orientale de l’Afrique du Nord. Il semble s’étendre ici largement au delà de ce domaine et recouvrir l’ensemble du continent, tout comme le mot d’Africa, qui connut avant lui la même ambiguïté.
134 Le Sud marocain.
135 Le terme de Sūdān peut désigner comme ici, de façon plus précise, les populations de la zone sub-saharienne.
136 Gāna.
137 Nūmīdiya, Gātūliya.
138 Corriger la leçon bimulkin en yamliku.
139 Cette fois au sens restreint du terme (cf. supra, n. 5).
140 Cf. supra, p. 21, n. 4.
141 Sans doute faut-il comprendre : le nord du Maroc (par opposition au Sus, qui en est le sud), qui, en cette première moitié du ive/xe siècle, passe sous le contrôle politique des Umayyades d’Espagne (règne de ‘Abd ar-Rahmān III).
142 Ammūn.
143 Yāqūt (Mu‛ğam, s. P.) cite Nāsi’, sans plus, comme « un lieu de l’Abyssinie » : sur ces difficultés de localisation, cf. C. F. Beckingham, « Habash », dans El (2), III, 7 : peut-être Bādi’ (infra, p. 161). Sur Sawākin et ‘Aydāb, ports de la mer Rouge, cf. A. Grohmann, dans El, IV, 192-193, et H. A. R. Gibb, dans El (2) I, 805-806.
144 Les célèbres gisements d’or et d’émeraude, entre haut Nil et mer Rouge : cf. YA’Q, trad., 189-190.
145 Ou Ibyan : c’est la région d’Aden.
146 Le passage qui suit est fait pour intégrer la région du Yémen, dnot Hamdānī est originaire, à un jeu d’influences beaucoup plus riche que toutes les autres régions de la terre.
147 Il ne peut s’agir de la triade opposée, dont le tour viendra plus bas. Ce face à face, entre secteurs voisins, peut s’entendre comme de part et d’autre de la Méditerranée.
148 Ajouter à Saturne, Jupiter et Mercure, ainsi mis en cause, les deux astres du quadrant d’appartenance : Vénus et Mars.
149 Corriger iḥtisān en iḥliṣān.
150 Tībāyis.
151 Uwāsïs : décalque du grec, en place du mot employé en arabe : wāha, pl. wāhāt.
152 Turūglūdūtīqā : le pays entre Thébaïde et mer Rouge.
153 De pâturages, dit exactement le texte : yantagi’ūna.
154 . Le texte donne à choisir entre deux orthographes : Barātāniyā, quasi semblable à supra, p. 37, n. 3, et Barāttāniyā, qui se veut évidemment plus fidèle.
155 Fārātiyā.
156 Mīdiyā.
157 Mātiyanā : région du nord-ouest de la Perse.
158 Mārmārīqā : les régions entre l’Égypte et la grande Syrte.
159 Qārhadūniyā, Carchedon étant un autre nom de Carthage.
160 Entendue ici au sens restreint (cf. supra, p. 44, n. 5 et 11).
161 Qūlhīqā.
162 « Hāldayā, c’est-à-dire la Chaldée (al-Kaldāniya) ».
163 Ûrhiniyā : la région d’Edesse, en Haute-Mésopotamie.
164 Atūriyā.
165 Cf. supra, p. 43, n. 3 et 11.
166 al-Qabq.
167 Yūnān.
168 Baqtriyanā, Balh.
169 Sīrīqā, Siraca : Sarabs, dans le Hurāsān.
170 Mātāgūnītis : région du cap Metagonium, sur la côte méditerranéenne du Maroc actuel.
171 Māwrïtāniyā.
172 Andalus : cf. supra, p. 44, n. 13.
173 Qūmdgīnā.
174 Sibāniyā, al-Isbān.
175 arā al-’Arab al-’āmira : cf. supra, p. 40, n. 9, et 41, n. 7.
176 Le texte dit : Tarāqiya, et l’on pense évidemment à la Thrace (cf., sous une orthographe un peu différente, supra, p. 38, n. 2), mais elle fait partie de la zone centrale (ibid., mais voir infra, n. 13) et surtout, ici, jure avec les pays orientaux. Je propose Tarsia, un cap (cf. supra, n. 1) entre Fârs et Kirmān.
177 Cf. supra, p. 38, n. 3 et 13.
178 Pourtant citée déjà plus haut (avec orthographe Qrītas).
179 Uksiydniyā : les régions de l’Oxus.
180 Nasamānītis : le pays des Nasamones, au sud-est de la grande Syrte.
181 Ġārāmānṭīqā.
182 La Cilicie a déjà été citée, comme relevant des régions éloignées, et la Pamphylie aussi, mais comme relevant de la zone centrale.
183 An-nayyirān : soleil et lune.
184 Cf. C. A. Nallino, « Astrologie », dans El, I, p. 502-505.
185 Corriger ğabriyya en ğabrī.
186 Littéralement : les peines légalement fixées : ḥudūd.
187 Le sens est clair, mais le texte, ici et jusqu’à la fin, est assez peu sûr.
188 Cf. Nallino, op. cit.
189 Cf. MAS (t), 38.
190 Nouvelle preuve de l’adaptation de l’astrologie grecque au contexte musulman.
191 Lacune dans le texte. J’ai changé, pour plus de clarté, l’ordre de la phrase arabe qui précède.
192 Respectivement astres du sud-ouest et astre de l’ouest. Corriger, dans ce passage, la première forme dabarā, dabara, en la deuxième.
193 . Cf. supra, p. 47.
194 Cf. supra, p. 43.
195 Cf. supra, p. 43.
196 Cf. supra, p. 37-38.
197 Tel est le cas notamment du secteur Hamaḏān-Fārs-Sīn, donné comme relevant du Taureau (supra, p. 40 et 46) ; on peut songer évidemment à renverser l’ordre de la triade, au mépris de l’ordre même annoncé dès le début, supra, p. 34. Mais cela reporterait le même genre de difficultés sur le secteur Inde-Mukrān-Siğistān. Mêmes difficultés pour les secteurs Bretagne et Italie du quadrant nord-ouest (supra, p. 37-38 et 46).
198 Sans doute est-on tenté d’invoquer l’insuffisance d’information géographique. Mais elle peut difficilement jouer au niveau de considérations aussi vastes que la position de l’Iran par rapport à la Chine ou à l’Inde, ou de la Bretagne par rapport à l’Italie.
199 Exemples : le secteur italien, occidental, soumis au soleil, astre de l’Orient ; la Babylonie et le Ǧurğān, secteurs « éloignés », soumis à Mercure, astre du centre ; la Bactriane, de la Balance (nord-est), soumise à Vénus, astre du sud ; le Fezzan et le Sus, secteurs « éloignés » (quadrant sud-ouest), soumis à Jupiter, astre du nord.
200 Exemples : supra, p. 37, 39, 43-44.
201 Sans doute peut-on isoler deux moitiés, impaire et paire (nord et sud), dont les termes spatialement les plus éloignés (3 et 9, 4 et 10) sont séparés par la même distance arithmétique, de raison i 6. Mais l’unité de chaque moitié est factice puisque, sur le schéma, le passage du chiffre inférieur au chiffre extrême (de 3 à 9, de 4 à 10) voit rompre, par l’opération — 10, le rythme normal de la progression arithmétique de raison + 4 :4-4 + 4 — 10 + 4 + 4.
202 Comparer avec supra, p. 14.
203 Cf. A. Miquel, s. v., dans El (2).
204 HUW (s), 4 sq., FAQ, 5-6, RST, 9, HAM, 26 sq., QUD, 230 et M 57 sq., SER, 7 sq., MAS (p), § 189, 1360, (t), 54-55, IṢṬ, 15 (récusation), IHW, I, 165-179, MAQ, IV, 47 sq., HAW, 2, 527 (récusation), MUQ, trad., § 98 sq.
205 Mais il est vrai que son texte (p. 230) est très mutilé. Hamdānī, toc. cit., donne une version plus détaillée, avec décalque de noms grecs également, ainsi qu’un exposé des différences entre écoles grecque, indienne et arabe.
206 Sur cette graphie, cf. Yāqut, Mu’gam al-buldān, s. v. « Rūdis » ou « Rūdis ».
207 Supra, p. 17-18.
208 IHW, I, 165, SER, 8.
209 IHW, I, 168 ; voir illustration dans MUQ, trad., pl. I, II, IV et V.
210 IHW, I, 166.
211 MAS (t), 51-52 (comparer avec MAS (p), § 189) : illustration fig. 14. Cf. également YA’Q, Histoire, I, 84-85, et le Kitāb al-ğa‘rāfiyya de Fazārī/Zuhrī, éd. M. Hadj-Sadok, op. cit., 43-44 (avec de sensibles différences, touchant notamment à la position centrale de l’Arabie). Mais voir correctif chez le même Mas’ūdī, ibid., 67-68.
212 HUR, 155. Cf. aussi FAQ, 197.
213 FAQ, 5 ; cf. aussi MAS (t), 51-52 (moins net), 112 sq. (les sept « nations » (umam) de l’Antiquité).
214 QUD, M 52-53, MAS (p), § 68 ; autre classification tripartite (sans les rois) selon la tradition grecque (Libye, Europe, Asie) : ibid., M 54 sq., MAS (t), 49-50.
215 HUR, 15 sq.
216 QUD, M 53. Même inspiration (y compris quant à l’omphalos), mais avec une répartition sensiblement différente, chez FAQ, 197.
217 Rel, § 24, 26, FAQ, 136, 217, MAS (p), § 344, 395 sq. La tradition des rois du monde serait d’origine indienne : Bel, § 24, n. 1.
218 SῙR, 87 (développement du thème de Rel., loc. cit.) : cf-. supra, p. 32.
219 MAS (p), § 342 sq.
220 MAS (p), § 395.
221 MAS (p), § 1331. Compléter ces notations avec la tradition de la rencontre des rois du monde en Iran : FAQ, 217. MAQ, IV, 50-51, sans parler de rois, offre lui aussi une division du monde en cinq parties, légèrement différente, mais avec un Irānsahr central.
222 HUR, 15 sq., avec, pour Constantinople, César ou Basileus (Bāsīl, p. 16) ; FAQ, 217 : les cinq grands rois sont seuls cités, mais avec leur titulature : Kisrä, Qaysar, Hāqān, Fağfūr (Chine) et Dāhir (Inde) ; MAS (p), § 24, 312, 334, 395-398, 412-414, 441, 444, 445, 474, 476-478, 714, 821, 848, 871, 877, 905, 909, 920, 1000 sq., 1084, 1085, 1106.
223 Chap. XV-XVII, XXVIII-XXX et XXXIII-XXXVI. Cf. aussi MAS (t), 112-120, Hud, 50-51.
224 La géographie de l’adab, moins complète qu’une encyclopédie comme les Prairies, confirme tout de même les grandes options suivies pour l’étude de l’étranger : cf., chez FAQ, l’importance des rubriques en cause : Sīn, Hind, Tubbat, Turk, Khazar, Lān, Sarīr, Rūm, Saqāliba, Habasa, Zang, Niiba (références à l’index, p. 331 sq.).
225 Pour la mesure globale du monde, cf. supra, p. 16-17.
226 MUQ, 62, inspiré de FAQ, 4, 317 (avec correction du chiffre du Rūm de 3 000 en 8 000), ou de MAQ, II, 40-41. Cf. aussi Ibn ‘Abd Rabbih, ‘Iqd, VI, 247, 267.
227 Dont l’Égypte, paya essentiel, ne représenterait qu’une soixantième partie. Sur ces données, cf. HUR, 93, FAQ, 300, MAS (p), § 408, WAS, 114, HAW, 527.
228 MAS (p), § 1366-1367.
229 On la retrouvera avec le thème du quatrième climat, infra.
230 SIR, 87, MAS (p), § 344.
231 FAQ, 136 : atāt (littéralement : aisance de biens meubles), dawābb, mât, fiyalä, iksīr.
232 MAS (p), § 68 sq. (t), 112-121, MAQ, II, 73.
233 I, 170-179.
234 Le roux étant la marque d’un froid très vif : MAS (p), § 1337, 1361.
235 De l’œuvre de Gāhiz ?, on retiendra sur ces thèmes, à titre d’exemple, Hayawān, aux index, s. f. « insān », « Zanğ », « Sūdān », « Turk ». Cf. aussi FAQ, 151,162, RST, 100-102, MAS (p), § 170, 1337, HAM, 28-31.
236 MAS (p), § 314 : une fraction du groupe turc, descendue en Inde, y a perdu sa couleur originelle pour prendre celle des Indiens.
237 FAQ, 330 ; cf. aussi MAS (p), § 1222.
238 FAQ, 119 ; cf. aussi QUD, M 153.
239 GĀH, Risāla ilā Fath b. Hāqān fï manāqib at-Turk, 38, 43-46 et pas s. ; du même, extraits du Kitāb al-ahbār, éd. et trad. C. Pellat, dans Journal Asiatique, CCLV (1967), 65 sq. ; FAQ, 197, 251-252 ; MAS (p), § 152, 353, (t), 9.
240 QUD, M 53.
241 MAS (p), § 984.
242 MUQ, 4, 9.
243 Cf. Géographie I, 120.
244 FAQ, 238, MAS (p), § 988.
245 FAQ, 237.
246 FAQ, 237-238, 251.
247 GĀH (a), 171.
248 Cf. Géographie I, 51-52.
249 GĀH (h), III, 299, 371.
250 GĀH, Risāla ilā Fath b. Hāqān..., 21, 23, 46.
251 Cf. infra, chap. XI, « La mamlaka, pôle à deux ou trois pôles ».
252 HUR, 77, YA’Q, 234-236, FAQ, 6, RST, 102, 104, HAM, 6, MAS (p), § 978, 983, 986, (t), 9, 55-66, IST, 15, 60, HAW, 9, 234, 244, MUQ, 32-33, 113, 115, 119, IHW, I, 175. Cf. aussi Ibn ‘Abd Rabbih, ‘Iqd, VI, 233, et Miskawayh, Tahdīb al-ahlāq, 74.
253 IHW, I, 170-179.
254 Corriger, p. 172, 1. 7, mīlan en ğabala.n.
255 FAQ, 3-4, 119.
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