Avant-propos
p. 1-2
Texte intégral
1Entamer la représentation musulmane du monde par une réflexion sur ce qui n’est pas — ou n’est pas seulement — musulman a de quoi surprendre, puisque la géographie dont il est question ici est, d’abord, une géographie très précisément musulmane, d’esprit et de sujet. Mais la notion même de domaine de l’Islam (mamlakat al-Islām) ne s’est pas imposée d’emblée. Chronologiquement, la réflexion globale sur l’image de la terre (ṣūrat al-arḍ) est première par rapport à la description de l’Islam : encore à l’aube du ive/xe siècle, Ibn Rusteh et Ibn al-Faqīh participent, dans des styles différents, de cette vision d’ensemble. Quant aux géographes-administrateurs, s’ils s’intéressent évidemment, pour des raisons politiques, à la connaissance historique, géographique et culturelle de l’Islam, ils sont loin, très loin, de lui assurer une exclusivité quelconque dans leurs œuvres.
2Néanmoins, avec l’intérêt qu’elle porte à l’Islam — chez Ya’qūbī surtout, me semble-t-il — cette géographie administrative rejoint, à partir du ive/xe siècle, la nouvelle école cartographique de Balhī, lequel bloque la description de la terre, la ṣūrat al-arḍ, dans l’introduction de son atlas et réserve finalement celui-ci, dans son écrasante majorité, au monde de l’Islam. De cette conjonction des deux tendances naît, avec l’appoint de l’observation personnelle (‘iyān) systématisée, la géographie dite des routes et des États (al-masālik wa l-mamālik) qui est, par définition, la géographie de l’Islam. Encore ne doit-on pas, ici non plus, parler d’exclusivité : la grande tradition de la ṣūra totale qui fait à l’Islam, sur la carte du monde, toute sa place, mais rien que sa place, n’est pas éteinte : au delà de la période qui nous occupe, elle a pour elle, au moins, les deux grands noms d’Idrīsī et d’Abū l-Fidā’.
3Le présent ouvrage suit donc, dans sa distribution, la chronologie du genre géographique. Mais il y a plus, tant il est vrai qu’à l’intérêt purement scientifique des débuts, dans l’exaltation née de la découverte des œuvres grecques, se sont ajoutés bien vite, presque immédiatement, les impératifs très précis d’une solidarité musulmane au delà même des frontières de l’Islam. La fixation des terres étrangères sur la carte permettait en effet à tout Musulman exilé, pour peu qu’il eût la culture nécessaire, de trouver, dans un paysage dépourvu de mosquées et de leur niche (miḥrāb) indiquant la direction de la Mekke, le point exact de l’horizon vers où lancer sa prière. Il est vrai, au reste, qu’en nombre de cas ces Musulmans de la diaspora étaient organisés en communautés, avec leurs lieux de culte : pouvait-on alors leur refuser, avec l’indication du pays de leur résidence, leur juste place sur l’image de la terre ?
4Enfin, cette description du monde n’a pas toujours été, à l’usage, exempte de visées belliqueuses ou de préoccupations défensives à l’égard des peuples du dehors : dans la foulée, ici encore, de géographes-administrateurs comme Ibn Hurdāḏbeh, Ğayhānī ou Qudāma, un Ibn al-Faqīh, tenant d’une géographie purement culturelle dans le goût général du temps, peut écrire ceci, qui laisse entendre la confrontation toujours possible entre l’Islam et ce qui n’est pas lui : « Nous ne mentionnons le Rūm (Empire byzantin) que parce qu’il fait face au Šam (Syrie-Palestine) et à la Ğazīra (Haute-Mésopotamie)1 »
5L’étranger2, donc, et la terre dans son ensemble, ont droit dans cet ouvrage, sur le double plan de la chronologie et de la culture, à une place d’honneur. C’est ensuite seulement que l’on pourra, si l’on ne présume pas trop de ses forces ni du destin, s’attaquer au reste, à l’essentiel : en réduisant l’espace, mais en faisant exploser la vision, selon la stricte manière de la géographie arabe, on essaiera de représenter ce domaine musulman qui fut, pour ses habitants du Moyen Age, le lieu privilégié d’une terre des hommes, elle-même conçue comme le point idéal et immobile de l’univers.
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