Du frisson (phrikê) d’horreur au frisson poétique : interprétation de quelques émotions entre larmes chaudes et sueurs froides chez Platon et Homère
p. 15-35
Résumés
Posant la question d’une universalité des émotions, cette étude prend l’exemple des larmes et du frisson pour démontrer, dans un cheminement qui remonte de Platon à Homère, les divergences et contradictions de leurs interprétations. Dans la République, Platon prend à dessein l’exemple du frisson de peur et des plaintes pour renverser les valeurs de l’Iliade et démontrer le danger d’une telle poésie dans la cité idéale. Dans une démonstration qui postule un effet émollient de la peur et des pleurs, il dénonce une poésie qui amollit, en la réchauffant, la virilité des auditeurs. Ce postulat platonicien est en totale contradiction avec la poésie homérique où les larmes chaudes (dakrua therma) constituent, ainsi que les pleurs abondants, un signe de virilité. Dans la poésie homérique, les larmes chaudes ont un effet amollissant et liquéfiant sur la seule beauté féminine. Quant au frisson de peur, loin de réchauffer, il a, sur les héros homériques, un effet glaçant. Le chaud et le froid ne sont pas chez Homère ce que Platon affirme. Rien d’universel donc dans la manière de décrire et ressentir une émotion.
Taking into account the cultural diversity of emotions, this study considers the examples of tears and shivering (phrikê). It aims to confront Plato’s and Homer’s opposite conceptions. In the Republic, Plato examines the effects of poetry on listeners. He claims that descriptions of tears and scenes of fear affect the soul and make it warmer and softer; this process affects the virility. Poetry of lamentation should be left to women. Such a conception is in total contradiction with the Homeric poems, where hot tears (dakrua therma) are, as well as abundant tears, a sign of virility. In Homeric poetry, the hot tears are dangerous only for women. We must emphasize another opposition. Shivering does not have a warming effect (as for Plato) but is described as cold and glacial. Hot and cold emotions in Homer are not what Plato makes us to believe. Plato invents a new theory of emotion that supports his critic of Homeric poetry.
Entrées d’index
Texte intégral
L’effet du frisson dans la République de Platon
1Que pouvaient éprouver et ressentir les hommes et les femmes qui écoutaient, au VIIe siècle avant notre ère, le chant des aèdes ? Question facile à première vue si, comme certains le veulent, on décide de tracer en matière d’émotions une ligne directe qui verrait la sensibilité émotive obéir à des constantes. Le postulat est alors qu’un chef-d’œuvre parle également, par son génie, à tous les hommes. Puisque l’homme moderne peut, à la lecture ou à l’écoute de l’Iliade, éprouver diverses émotions, comment ne pas en déduire que ses réactions retrouvent celles des premiers publics de l’aède ? Ému par la poésie de l’Iliade comme l’était l’auditeur d’hier, l’homme moderne rêve à l’universalité de ses émotions. Mais qui a jamais prouvé l’uniformité et l’universalité des réactions émotives ?
2Sans rien enlever ni à la force du texte original, ni au travail de l’interprète qui l’explique ou l’adapte à un nouveau public, l’universalité d’un poème comme l’Iliade est une universalité toujours reconstruite, qui n’existe que parce que le poème se trouve, de commentaire en commentaire, d’interprétation en interprétation, de traduction en traduction, toujours réactualisé. Et cela vaut aussi pour les émotions décrites par le poème.
3Comment démontrer l’universalité de la peur ou de la pitié quand on sait que ces émotions sont à chaque fois décrites autrement et que leur expression est, comme tout langage, culturellement déterminée ? Mais comment mettre en question l’idée d’une universalité des émotions quand les théoriciens grecs ont été les premiers à la sous-entendre ou à la supposer ? Qu’il s’agisse des remarques de Gorgias sur le pouvoir du logos ou de la théorie aristotélicienne de la mimêsis, l’effet ou l’impact émotionnels de la poésie sont, chez ces deux auteurs, conçus dans une perspective universalisante. Dans son Éloge d’Hélène, Gorgias note comment, à la manière de « certains drogues (pharmaka) qui évacuent du corps certaines humeurs »1, le logos peut faire naître « un frisson (phrikê) de peur », tout comme il peut « faire cesser la peur, dissiper le chagrin, exciter la joie, accroître la pitié »2, et cela par l’évocation même de ces émotions : « par l’effet des discours, l’âme subit une émotion propre »3. En empruntant une comparaison médicale qui assimile le discours à un médicament dont l’effet serait constant et prévisible, Gorgias conçoit les effets affectifs produits par la parole comme une donnée exacte et toujours vérifiable, sans prendre en considération le contexte d’énonciation ou de réception4. Quant à Aristote, il universalise d’emblée la pratique poétique en la considérant comme le prolongement évident, chez l’homme, d’une propension naturelle à l’imitation. Il reconnaît dans le plaisir d’imiter ou d’assister à des imitations les deux causes naturelles (phusikai) de la poésie5. L’instinct d’imitation (to mimeisthai), la mélodie et le rythme sont chez l’homme, relève-t-il, des facultés naturelles (kata phusin), pour ne pas dire innées (sumphuton). Les plus doués pour l’imitation, continue-t-il, en vinrent à créer les formes poétiques et les rythmes qui se trouvaient être les mieux adaptés à leur caractère et à leur sujet6.
4En concevant le développement des genres poétiques comme un processus naturel, Aristote néglige l’importance que pourrait avoir un conditionnement culturel. La tragédie n’est pas pour lui un produit de la démocratie athénienne mais une adaptation éthique de l’évolution de la poésie. On pourrait en dire autant du principe de la katharsis ; quelle que soit sa complexité, ce processus de purgation ou d’épuration des émotions opéré par la poésie n’est pas si éloigné de l’image des drogues évoquée par Gorgias. En portant son attention sur la construction des intrigues (muthoi) de tragédies, Aristote cherche à comprendre l’effet d’une logique de la construction narrative. L’influence d’un contexte d’énonciation particulier sur la réception d’une œuvre n’est pas son propos. Mais moins que Gorgias ou Aristote, c’est une argumentation de Platon qui va m’intéresser ici. Aux livres II et III de la République, la question de la réception de la poésie homérique constitue pour Socrate une question politique cruciale. L’effet affectif et émotionnel de la poésie a des conséquences éthiques que le philosophe ne saurait ignorer quand il pense la cité idéale. À la différence de Gorgias et d’Aristote, Platon imagine les conditions d’un contexte particulier d’énonciation, mais pour vérifier à son tour un effet constant et général de la poésie et de son contenu.
5C’est une évidence que l’analyse platonicienne des effets de la poésie homérique, aux livres II et III de la République, ne constitue en rien un document objectif sur la réalité des réactions émotives du public qui pouvait entendre la poésie homérique. Il n’en reste pas moins que Platon nous offre un témoignage exceptionnel sur ce que pouvait être à son époque et dans un contexte donné une spéculation théorique sur l’impact émotif d’une performance poétique relativement à son contenu. Soulignons d’emblée que la critique platonicienne de l’impact émotionnel de la poésie homérique ne se fait qu’en fonction d’une totale re-contextualisation de la pratique de cette poésie, désormais envisagée dans le cadre fictif de la cité idéale où elle est jugée en fonction de sa valeur éducative. Platon élabore sa propre théorie de l’impact émotionnel de la poésie pour formuler ensuite, sur cette base, une critique éthique de l’Iliade. Suivons quelques moments de sa démonstration.
6Au début du livre II de la République, Socrate propose à ses interlocuteurs d’examiner comment justice et injustice se forment dans une cité. Dans ce but, il entreprend de construire, en discours, la cité qui lui servira de modèle et qui deviendra cité modèle. L’éducation des gardiens, ces « ouvriers de la liberté de la cité »7, guerriers accomplis, constitue un problème majeur. Centrée sur l’enseignement des poètes, l’éducation traditionnelle doit, observe-t-il, être soumise à un examen critique. C’est tout le dossier de l’éducation et du rôle plus général de la poésie que Socrate ouvre alors. Le point essentiel, pour le propos qui m’intéresse ici, est que l’âme, si elle est immortelle, ne possède cependant pas un caractère définitivement acquis et fixé mais se révèle fragile et influençable. Avant d’examiner le cas plus particulier des gardiens, Socrate envisage l’exemple des enfants : c’est en effet quand l’individu est encore « jeune et tendre » qu’on le « façonne (plattetai) et qu’on le marque le mieux de l’empreinte (tupos) dont on veut le signer (ensêmênasthai) »8. Voilà pourquoi l’éducation est primordiale : elle n’éduque pas seulement l’enfant ; elle le « forme ou le façonne » (plattetai), au sens premier du terme. Considérant l’effet particulier que la poésie a sur l’âme9, Socrate recommande une législation sur le contenu des fables pour éviter que les enfants ne reçoivent « dans leurs âmes des opinions […] contraires à celles qu’ils devront avoir […] quand ils seront grands »10. De même est-t-il recommandé aux nourrices et aux mères de ne raconter aux enfants que les fables retenues par le programme de Socrate afin de « façonner leurs âmes (plattein tas psuchas) avec ces récits (muthois) bien plus qu’elles ne font pour le corps avec leurs mains »11. Les premiers modèles de fables à juger sont alors les récits d’Homère et d’Hésiode, à commencer par leur propos jugés mensongers sur les dieux. Vient ensuite, au début du livre III, l’examen des récits qui décrivent la crainte de la mort12. Il importe en effet que les gardiens deviennent des hommes andreioi, une qualité première qui associe la virilité au courage, ce à quoi, constate Socrate, la peur de la mort ne saurait contribuer. Commence alors un important travail critique qui vise à retrancher, effacer et supprimer des poèmes homériques tous les vers et tous les mots qui noircissent la mort et la font craindre plus que l’esclavage13. Relevons dès maintenant — car c’est une stratégie mise en place par Platon — que, parmi les passages incriminés et à rejeter, deux, sur sept cités, sont empruntés à des tirades d’Achille qui apparaît paradoxalement, selon ce découpage platonicien trompeur, comme un héros craintif devant la mort14. Alors même que le bon gardien devra avoir, selon Socrate, un caractère « coléreux », thumoeidês15, tout est fait pour écarter le modèle d’Achille. Mais poursuivons notre lecture16.
7Après avoir condamné les tirades des héros peureux, Socrate poursuit pour inviter à rejeter également les noms « terribles et effrayants » (deina te kai phobera) qu’on applique au monde de la mort, « ces noms de Cocyte, de Styx, de mânes, de spectres et tous les noms du même genre qui font frissonner (phrittein) ceux qui les entendent »17. Il faut craindre, dit Socrate, « qu’à la suite d’un tel frisson (ek tês toiautês phrikês) les gardiens ne se retrouvent plus chauds et mous (thermoteroi kai malakôteroi) qu’il ne convient »18. Socrate ne le dit pas : mais quand il évoque ce frisson à l’effet si radical, il sait fort bien qu’il traite d’une émotion qui joue à la fin de l’Iliade un rôle clé. Dans l’analyse des émotions provoquées par la poésie, il faut accorder une place importante au frisson, phrikê, qui tout à la fois manifeste et provoque la peur que l’on ressent. Mais là où Gorgias et Aristote évoquent un frisson provoqué par le discours et lié à une émotion passagère, là où ils vérifient son rôle purgatif19, le Socrate de Platon associe à l’émotion une conséquence physiologique qui agit définitivement et transforme en profondeur la nature des gardiens.
8Après les expressions et les mots qui font redouter la mort, Socrate propose de retrancher encore « les plaintes et les lamentations qu’on met dans la bouche des grands hommes »20. Mais avant de citer des exemples, il ouvre une parenthèse pour s’assurer du bien fondé des interdits qu’il entend prononcer21, parenthèse qui va autoriser un glissement du raisonnement. Avant de citer des tirades de héros gémissant à l’idée de devoir mourir, Socrate justifie sa démarche en rappelant le modèle qu’il faut offrir au gardien auditeur de poésie : celui « d’un homme convenable (epieikês) qui ne jugera pas terrible la mort d’un ami (hetairos) qui serait lui aussi convenable (epieikei) »22. L’exemple est singulièrement précis : deuil d’un héros pour un compagnon, et non point pour un père, un fils ou quelque parent. C’est bien sûr Achille qui est visé, lui qui dans l’Iliade pleure de façon si violente la mort de Patrocle, son compagnon (hetairos) par excellence23. Notons aussi que Socrate vient également de glisser subtilement de la thématique de la mort effrayante à celle, distincte, de l’expression douloureuse du deuil. La démonstration se retourne ainsi contre Achille, qui, dans l’Iliade, s’il pleure violemment Patrocle, n’en affronte pas moins, et sans nulle crainte, la mort pour venger son compagnon, comme Platon le reconnaît d’ailleurs dans une autre démonstration qu’il fait dans le Banquet24. Dans la République, on a affaire à l’un de ces subtils déplacements qui permet, citations à l’appui, d’inverser toute le système de valeurs du monde héroïque. Dans l’Iliade, l’intensité de la douleur du deuil n’implique ni ne suppose aucune forme de lâcheté devant la mort. Tout au contraire, le deuil ressenti pour l’ami perdu et le souci de lui rendre honneur obligent Achille à risquer sa propre vie pour le venger. Le code héroïque demande à un héros de venger son compagnon ; la douleur du deuil stimule le besoin de vengeance et dissout, s’il le faut, toute crainte de la mort.
9Et Platon joue encore sur les mots lorsque, pour désigner, à l’opposé d’Achille, l’homme modéré face au deuil, il choisit l’adjectif epieikês. Cet adjectif, Achille l’emploie lui-même dans l’Iliade quand, après des funérailles marquées par l’excès, il veut offrir à son compagnon une tombe convenable : epieikea25. Dans l’Iliade, il n’y a aucune contradiction à voir le même héros passer de l’excès à la mesure. D’une époque à l’autre, les codes de la bienséance et des convenances sociales changent et Platon le sait, lui qui joue si bien à manipuler les anachronismes. Le même adjectif n’a pas le même sens dans la poésie épique et chez Platon. Habilement, les valeurs héroïques de l’Iliade sont retournées contre ceux qui les incarnaient le mieux. Au terme de la démonstration, Achille n’est plus, pour Platon, qu’un héros, lamentable, indigne devant la réalité de la mort.
Platon et la réécriture du dernier chant de l’Iliade
10Une fois rappelée la dignité de l’homme convenable qui n’estime pas terrible la mort d’un semblable, Socrate continue son portrait de l’homme epieikês pour reconnaître qu’il « se suffit à lui-même (autarkês) pour être heureux »26. À ce titre, « moins que tout autre il se révoltera de perdre un fils, un frère, des richesses ou quelque autre bien du même genre »27. Et logiquement « moins que tout autre il se lamentera (oduresthai), si un pareil accident lui arrive ». Socrate peut alors conclure : « Ainsi nous aurons raison d’ôter aux hommes illustres les thrènes (thrênous), et de les laisser aux femmes (gunaixi), et encore aux femmes ordinaires et aux hommes lâches (kakoi), afin d’inspirer le mépris de ces faiblesses à ceux que nous prétendons élever pour la garde du pays28 ». Notons que pour indiquer les lamentations, Socrate n’utilise plus les termes génériques employés en introduction, « pleurs » (odurmous) et « plaintes » (oiktous)29, mais celui plus marqué de « thrènes » (thrênous), qui fait référence au chant rituel de la lamentation. Et par la suite, thrènes et lamentations seront associés pour ne pas dire confondus30. Pas plus qu’il ne doit craindre la mort, l’homme modèle de la cité idéale ne doit non plus pleurer ni entonner le thrène.
11Plaintes et thrènes désormais assimilés, Socrate peut refermer la parenthèse justificatrice ouverte en 387d et donner les exemples de scènes de lamentations qu’il faut retrancher de la poésie. Il pourrait citer les thrènes des reines troyennes et d’Hélène à la fin de l’Iliade, mais il préfère se référer à des scènes de l’Iliade qui, choisies à dessein, permettent de dévaloriser Achille et de faire de lui l’anti-modèle absolu de cet homme epieikês que doit devenir le gardien. C’est aussi la fin de l’Iliade qui se trouve subvertie par le choix de ses citations et la force de l’argumentation. Citons Socrate qui évoque l’Iliade : « Nous prierons donc encore une fois Homère et les autres poètes de ne pas représenter (poiein) Achille, fils de déesse, “couché tantôt sur le flanc, tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre, puis se levant et errant, l’âme agitée, sur le rivage de la mer infatigable”, ni “prenant à deux mains la poussière noire et se la répandant sur la tête”, ni pleurant (klaionta) et gémissant (oduromenon) diversement selon les mille circonstances où Homère l’a représenté, ni Priam, que sa naissance approchait des dieux, “suppliant et se roulant dans la boue et appelant chacun de ses guerriers par son nom”. Et nous les prierons plus instamment encore de ne pas nous montrer les dieux en pleurs et disant… »31.
12Faisant passer au style indirect les descriptions données par l’Iliade au style direct, préservant ou enfreignant le rythme, Socrate travaille surtout à rapprocher trois descriptions liées à trois épisodes différents dans l’Iliade : l’évocation d’Achille incapable de dormir et errant sur le rivage de Troie au début du chant XXIV ; la description de la douleur aiguë qu’il éprouve lorsqu’il apprend au début du chant XVIII la mort de Patrocle ; et enfin la description de Priam se roulant dans la boue lorsqu’il voit le cadavre d’Hector outragé par Achille au chant XXII (414-415). Regroupant et rapprochant ces passages distincts, les énumérant à la suite, Socrate compose un face-à-face d’Achille et de Priam bien différent de celui évoqué à la fin de l’Iliade.
13Rappelons la scène iliadique. Surprenant Achille dans sa cabane, s’agenouillant à ses pieds, lui embrassant les mains, Priam adresse au héros, meurtrier de son fils, des paroles qui l’invitent à se souvenir de son propre père et à le prendre en pitié : « se souvenant (mnêsamenos) de ton propre père, prends pitié de moi (eleêson)32 ». Les paroles de Priam touchent juste et Achille cède alors aux larmes ; le face-à-face des deux héros est alors celui de deux hommes en pleurs qui se souviennent chacun d’un proche que l’autre pourrait incarner : « Et tous deux s’abandonnent au souvenir ; l’un, replié aux pieds d’Achille, pleurait éperdument Hector, tueur d’hommes ; Achille, lui, pleurait son père et tantôt Patrocle. Et la maison résonnait de leurs plaintes. »33. Priam et Achille, que tout semblait opposer et séparer, deviennent si proches que l’aède peut parler d’eux au duel : tô de mnêsamenô ; une tournure grammaticale employée pour désigner deux personnes (ou deux choses) fortement unies dans une même action. Le vieux roi de Troie et le jeune héros grec sont chacun le reflet de l’être qui occupe les pensées de l’autre. Mais les pleurs partagés sont bientôt contenus. Achille a cédé à la pitié et entendu la prière du vieil homme. Le corps d’Hector lavé, habillé et rendu, le repas fini, assis face-à-face, Achille et Priam se regardent, les pleurs ont laissé la place à l’admiration réciproque : « Et Priam, le fils de Dardanos, admire Achille, dans toute sa grandeur, dans toute sa beauté : à regarder en face, il ressemble à un dieu. Et Achille admire Priam, le fils de Dardanos, contemplant la noblesse de son visage, écoutant sa voix. Et quand ils ont pris tout plaisir à se contempler l’un l’autre, le vieux Priam, semblable à un dieu, le premier prend la parole… »34.
14Scène d’admiration réciproque qui aurait pu, si Socrate l’avait voulu, servir ses théories sur la beauté ou le regard. Mais, dans ce début du livre III de la République, rien n’est rappelé de ces lignes qui rendent à Achille et à Priam toute leur dignité. Pour illustrer la peur des héros devant la mort ou dire la violence des plaintes, Socrate aurait pu tout aussi bien évoquer les thrènes féminins qui concluent l’Iliade, ou parler de la peur verte d’Ulysse quand lui apparaissent les âmes des morts, ou mentionner encore ses pleurs et sa pitié devant l’âme de sa mère35 ; mais il n’en fait rien. Tout au contraire, dans sa démonstration et par son choix de citations, Socrate tire parti de sa discussion sur les plaintes pour réinventer le face-à-face final de l’Iliade. Voilà oubliées les larmes de mémoire et l’admiration réciproque d’Achille et de Priam. En lieu et place, Socrate décrit un tableau en diptyque qui évoque, en raccourci, l’agitation d’Achille se noircissant la tête, pleurant et gémissant, face à un Priam se roulant dans la boue ; deux scènes évoquées séparément dans l’Iliade et qui prennent ici, juxtaposées, la force d’un réquisitoire catégorique.
15La démonstration est claire : pleurs, lamentations et thrènes, dont l’exemple est inacceptable pour les futurs gardiens, sont à laisser aux femmes « et encore aux femmes ordinaires », ou aux hommes lâches, qui sont ainsi assimilés aux femmes36. Dans tout ce chapitre, l’argumentation de Socrate joue sur un double niveau que la théorie de la mimésis, comme reproduction ou répétition d’un comportement, va encore renforcer. Si la poésie ne doit ni susciter la peur de la mort, ni évoquer des hommes en train de se lamenter, c’est d’abord parce que de tels exemples ne doivent pas être reproduits par les futurs gardiens que la cité doit former. Si Aristote reconnaît dans la mimésis une activité naturelle de l’homme37, Platon envisage, lui, les conséquences que l’activité mimétique, prolongée, peut avoir sur une personne en modifiant sa nature. Qu’il s’agisse du poète ou de son auditeur, et plus encore s’il s’agit d’un enfant, Socrate remarque en conclusion de sa démonstration que l’imitation « commencée dès l’enfance et prolongée dans la vie, tourne à l’habitude et devient une seconde nature (phusin) qui change le corps, la voix et l’esprit »38.
16Dans la mesure où depuis le début, l’intention est de découvrir les récits propres à façonner les futurs gardiens pour en faire des andreioi, des hommes virils parce que courageux et courageux parce que virils, il est parfaitement logique qu’on ne leur présente aucunement des comportements qui risqueraient par leur nature même de les féminiser. Peur de la mort, lamentations et thrènes sont à laisser aux femmes ou hommes lâches39. On ne trouve pas dans la conception de la mimésis platonicienne, l’idée aristotélicienne de distanciation qui sépare ontologiquement l’objet réel de l’image qui le représente. La contemplation esthétique qui permet la relativisation des réalités représentées est absente chez Platon ; dans la République, la représentation d’un deuil ou d’une émotion imprègne la nature même de celui qui l’exécute ou qui y assiste. Il faut alors rappeler la remarque précédente de Socrate sur le frisson suscité par les descriptions effrayantes de la mort, frisson qui rend les auditeurs « plus chauds et plus mous », thermoteroi kai malakôteroi, deux caractéristiques typiquement féminines. Faite avant même que ne soit présenté le développement sur la poésie imitative, cette remarque est d’autant plus précieuse qu’elle précise la manière dont la représentation d’une émotion peut changer la nature d’un auditeur ou d’un spectateur de poésie. Tandis que les représentations (mimêseis) agissent sur la personne en l’habituant et en la familiarisant à un comportement dont elle s’imprègne, le frisson (phrikê) agit complémentairement en provoquant une réaction épidermique d’autant plus inquiétante pour un homme qu’elle l’amollit et menace sa virilité40.
17La critique poétique de Platon se dédouble ainsi, dans sa visée pédagogique, d’une analyse psychologique sur la relation entre poésie, émotion et sexualité. Elle dénonce le danger de féminisation, ou plutôt de dévirilisation, inhérent à la description de certaines émotions. Dans ce qu’elle a de tout à fait arbitraire, l’analyse de l’impact émotionnel est ici remarquablement précise. Socrate y revient enfin, dans la dernière partie du livre III, quand il évoque la musique qui « par les oreilles se déverse (katachein), comme par un entonnoir, dans l’âme ». Alors, relève-t-il, « les harmonies suaves (glukeias), molles (malakas) et plaintives (thrênôdeis) » de cette musique liquide adoucissent, d’abord, la partie irascible (thumoeides) de celui en qui elles pénètrent, « comme le feu amollit (emalaxen) le fer », « mais s’il continue à s’adonner à cette musique et à ses ravissements, son tempérament irascible (thumos) ne tarde pas à fondre et à se dissoudre (tekei kai leibei) jusqu’à ce qu’il se soit entièrement liquéfié, que son âme ait perdu tout ressort, et qu’il ne soit plus qu’un « guerrier sans vigueur »41. L’analyse de Socrate est ici entièrement cohérente ; tandis que le frisson provoqué par les descriptions effrayantes de la mort réchauffe et rend plus mou, les mélodies douceâtres, molles et plaintives amollissent et font fondre le thumos, cette vigueur ou ce tempérament — le mot est difficile à traduire — qui est la source même de la bravoure guerrière.
18Implicitement et ironiquement, Platon tranche entre une poésie pour les hommes et une autre pour les femmes. À la base de sa théorie sur la dimension mimétique de la poésie (que nous n’examinons pas ici) se trouve l’idée, moins reconnue mais tout aussi fondamentale, d’un effet physiologique de la poésie qui, lorsqu’elle évoque la peur de la mort ou des scènes de lamentation, amollit, par un effet de réchauffement, l’âme des auditeurs. Les deuils d’Achille et de Priam, à la fin de l’Iliade, ne sauraient appartenir à la poésie demandée pour l’éducation des gardiens. Socrate, porte-parole de Platon, a insinué ce qu’il voulait : par l’émotion qu’elle suggère en évoquant les plaintes d’Achille et de Priam, l’Iliade est une poésie qu’il faut laisser aux femmes ou aux hommes assimilables à des femmes, une poésie dont il faut craindre qu’elle n’amollisse la virilité de ceux qui l’écoutent. Le retournement, opéré par Socrate, est donc magistral : poésie de guerriers et de héros, poésie éminemment masculine pour toute une tradition, l’Iliade apparaît désormais comme une poésie dangereuse pour les hommes. Platon a aussi négligé le fait que l’Iliade ne se conclut pas sur des pleurs masculins mais sur trois thrènes chantés par des femmes.
Larmes chaudes et larmes viriles dans la poésie homérique
19Je l’ai relevé en introduction : les théories des Anciens sur les émotions poétiques ne sont pas des documents ethnologiques ; elles nous informent sur l’imaginaire d’un auteur, sur des systèmes de représentations, sur des enjeux théoriques, mais elles ne relèvent pas d’une observation objective des faits. Si les pleurs des héros homériques avaient réellement provoqué l’effet décrit par la République, l’Iliade ne serait jamais devenue le poème de référence d’une culture fondée sur l’excellence de la bravoure guerrière. Une fois encore, le lecteur de Platon doit savoir faire la part de l’ironie que peut avoir une démonstration qui renverse si bien les valeurs héroïques. Mais le plus intéressant est alors de vérifier, dans le jeu du renversement, ce que Platon emprunte à la poésie homérique. Qu’en est-il dans l’Iliade et l’Odyssée d’un frisson (phrikê) de terreur qui rendrait plus chaud et mou, ou de mélodies plaintives qui amolliraient (emalaxen) et feraient fondre (tekei, ektêxei) le tempérament viril ?
20Quand on se rapporte au vocabulaire des larmes et des pleurs dans la poésie homérique, c’est un fait curieux d’observer qu’il y a, sans que l’opposition ne soit radicale, une manière féminine et une manière masculine de pleurer. Cela a été fort bien vu par Hélène Monsacré42 qui a montré comment la femme se consume et se défait dans ses pleurs tandis que les larmes de l’homme semblent être un épanchement de sa vigueur. Il n’est pas indifférent de noter alors que, dans ce jeu d’opposition, les larmes chaudes versées par des hommes ne menacent jamais leur virilité. Paradoxalement, dans la poésie homérique, les larmes ne sont dangereuses que pour les femmes.
21Dans l’Iliade, pleurs masculins et féminins sont suffisamment nombreux pour que l’on puisse risquer une statistique. Examinons les adjectifs qui caractérisent ce type de pleurs que sont les larmes, désignées par le terme dakru (souvent au pluriel : dakrua). Peu d’épithètes les définissent ; signifiées au pluriel, les larmes sont chaudes (therma) ; au singulier, tendre (teren) ou florissant (thaleron) ; trois épithètes qui semblent renvoyer à la sphère du féminin, mais rien n’est si systématique ; si les pleurs tendres sont bien ceux de femmes, de vieillards ou d’un héros exceptionnellement comparé à une fillette43, les larmes chaudes et florissantes sont plutôt masculines.
22Employé pour désigner le sang chaud qui coule de la blessure d’Agamemnon44, ou le bain chaud préparé pour laver les blessures d’un guerrier ou le remettre de ses fatigues de la guerre45, l’épithète thermos est également employé quatre fois dans l’Iliade pour désigner des pleurs qui sont alors — cela n’a pas été observé — toujours masculins. Les Troyens qui chargent leurs morts sur des chars versent des larmes chaudes (dakrua therma) ; larmes silencieuses qui font lieu de thrène puisque Priam interdit par ailleurs de « pleurer » (klaiein) et que les Troyens entassent les morts sur le bûcher « en silence »46. Au début du chant XVI, Patrocle, inquiet du sort des Achéens, arrive à la tente d’Achille, il verse des larmes chaudes (dakrua therma). Achille a beau jeu d’évoquer, en le voyant, les larmes tendres d’une fillette, c’est à une source sombre, versant une onde noire que l’aède, lui, compare les larmes de Patrocle47. Au début du chant XVIII, Antiloque apporte à Achille la nouvelle de la mort de Patrocle ; il verse des larmes chaudes (dakrua therma)48. Après avoir sauvé le corps de Patrocle de la bataille dont il était l’objet, c’est Achille qui, revenant au camp avec la dépouille de son ami, verse des larmes chaudes (dakrua therma)49. Dans une cinquième et dernière attestation, l’adjectif est employé pour qualifier les larmes chaudes (dakrua therma) des chevaux d’Achille qui pleurent la mort de leur cocher Patrocle50 ; ils ressemblent à une stèle dressée sur une tombe. Jamais, en revanche, on ne parle dans l’Iliade de larmes chaudes pour une femme, et pourtant les femmes ne manquent pas de pleurer à leur tour.
23Dans l’Odyssée, les larmes chaudes sont moins fréquentes et ne comptent que trois attestations. Lorsque, au retour de Troie, Agamemnon retrouve sa patrie, il embrasse la terre et verse de nombreuses larmes chaudes (dakrua therma)51. Alors qu’elle s’apprête à laver les pieds du visiteur inconnu et tandis que le souvenir d’Ulysse est ravivé en elle, la vieille Euryclée, se cachant le visage, verse des larmes chaudes (dakrua therma)52. Enfin, au chant XXIV, Agamemnon relate à Achille les funérailles majestueuses dont il fut l’objet ; après avoir lavé et exposé son corps, les Danaens autour de lui versaient des larmes chaudes (dakrua therma) et coupaient leurs cheveux53.
24Les larmes chaudes apparaissent comme des larmes spontanées, même si elles peuvent être versées dans le cadre d’un rituel54. Elles peuvent être heureuses55 comme malheureuses. À l’exception des chevaux dans l’Iliade et de la vieille servante de l’Odyssée, ce sont toujours des hommes, dans la poésie homérique, qui versent des « larmes chaudes ». On pourrait expliquer l’exception d’Euryclée, en constatant que la sexualité des larmes semble s’inverser avec l’âge. Le vieux père d’Achille verse des larmes « tendres », normalement féminines, tandis que la vieille Euryclée peut pleurer chaudement.
25Examinons l’adjectif thaleros. Employé pour qualifier la jeunesse, les repas abondants, l’épanouissement des époux, la force de la voix ou des cheveux, thaleros est lié à la sphère de la végétation (cf. le verbe thallô : « je pousse, je suis florissant ») et renvoie à l’idée de vigueur, de force et de croissance. Les larmes peuvent ainsi être, à l’image des plantes, vigoureuses, florissantes et fécondes : une force de vie que la poésie homérique reconnaît plus volontiers aux hommes56. Dans l’Iliade, l’adjectif apparaît quatre fois pour désigner des larmes : pleurs abondants (dakru thaleron) de Thersite, frappé par Ulysse ; d’Andromaque qui quitte Hector pour la dernière fois ; d’Achille incapable de dormir dans son deuil de Patrocle ; et enfin des frères et des amis d’Hector qui recueillent ses os57. Dans l’Odyssée, les pleurs abondants sont plus fréquents : pleurs abondants (dakru thaleron) d’Ulysse retenu chez Calypso ; de ses compagnons ; d’Ulysse et de ses compagnons ensemble58 ; pleurs abondants (dakru thaleron) de l’âme d’Agamemnon, abreuvée de sang noir et reconnaissant Ulysse59 pleurs abondants (dakru thaleron) d’Ulysse et de l’âme d’Agamemnon après leur entretien60 ; d’Ulysse et de ses compagnons enterrant Elpénor61 ; d’Eumée dans son bonheur de revoir Télémaque62 ; pleurs abondants (dakru thaleron) et affreux gémissements des servantes d’Ulysse à l’heure de leur châtiment63. Les contextes varient, de la douleur et de l’humiliation provoquées par des coups (Thersite) au plaisir de revoir un être aimé (Eumée). On ne saurait rien systématiser à ce niveau. Mais toujours ces pleurs abondants disent la vigueur de ceux qui les versent ; les pleurs des vieillards ne sont jamais dits thaleron. À cet égard, les exemples féminins font presque figure d’exception, le thème de la fécondité des larmes renvoie, surtout, à la sphère masculine.
26Comme le remarquait de son côté H. Monsacré, dans le monde homérique, hommes et femmes ne pleurent pas de la même façon et, surtout, à un niveau biologique64, leurs pleurs ne sont pas de même nature ou n’ont pas le même effet. Propres à chaque sexe, pleurs et plaintes ne sauraient donc véritablement féminiser l’homme, même si Achille peut comparer Patrocle en pleurs à une fillette pleurant auprès de sa mère65. C’est alors le contexte et l’attitude qui méritent à Patrocle cette critique : non justifiés, ses pleurs sont comme ceux d’une enfant réclamant l’attention de sa mère. Mais entre la comparaison et la transformation physiologique, l’écart reste entier et Patrocle, comparé à une fillette, n’en reste pas moins le héros éprouvé par la guerre.
27À l’opposé de l’argumentation de Socrate, les larmes chaudes de la poésie homérique ne menacent pas l’homme dans sa nature et sont plutôt signes de vigueur. Cette caractéristique physiologique des larmes masculines assure, on va le voir, à chaque sexe une spécificité de sa réaction émotionnelle. Les larmes chaudes confirment chez Homère l’identité sexuelle du pleureur et ne l’inversent pas. On est très loin de l’argumentation de Socrate sur les larmes qui amollissent. Mais alors, où Platon a-t-il trouvé son modèle ?
Les larmes de neige
28L’exemple de Pélée, versant des larmes tendres (teren)66, larmes caractéristiques des femmes, suggère que la distinction physiologique des larmes masculines et féminines s’estompe avec l’âge. La différence entre hommes et femmes est alors que ces larmes chaudes, qui, chez les hommes, confirment la vigueur, ruinent et corrompent, en revanche, la beauté des femmes, encore jeunes. Il faut ici revenir sur une comparaison fameuse de l’Odyssée qui pourrait bien avoir inspiré, consciemment ou non, Platon, une comparaison qui décrit les pleurs de Pénélope lorsqu’elle s’entretient avec cet hôte qu’elle n’a pas encore reconnu et qui sait si bien donner aux mensonges l’apparence de la vérité. La reine semble avoir compris l’essentiel : le visiteur sait quelque chose d’Ulysse.
Et de Pénélope qui l’écoutait, les larmes coulaient (rhee), sa peau fondait (têketo). Comme se liquéfie (katatêketo) sur les hautes montagnes la neige que l’Euros fait fondre (katetêxen) et que le Zéphyr avait amassée ; et de cette neige qui fond (têkomenês), les rivières se remplissent en coulant (rheontes) : ainsi se liquéfient (têketo) les belles joues de Pénélope qui verse ses larmes (dakru cheousês), en pleurs (klaiousês) pour ce mari assis près d’elle (Od. XIX, 204-9).
29L’insistance du vocabulaire de la dissolution, tout à fait remarquable dans ces six vers, renforce plus encore l’analogie établie par la comparaison entre l’écoulement des larmes et celui de la neige qui, en fondant, grossit le cours des rivières. Le verbe « fondre, se liquéfier », têkomai ou son composé katatêkomai, apparaît cinq fois en cinq vers. Le verbe « couler », rheô, deux fois ; une fois pour les larmes et une fois pour le cours des rivières. Ajoutons, au vers 208, l’expression « verser des larmes » (dakru cheusês) redoublé par l’emploi du verbe « pleurer » (klaiousês) au vers 209. Les pleurs semblent ici dissoudre et défaire Pénélope. Précédemment déjà, en XIX 136, la reine d’Ithaque avait confié à ce même visiteur comment, depuis longtemps dans le regret de son époux, elle sentait « fondre son cœur » (katatêkomai êtor). Le chagrin et les pleurs vident Pénélope de sa substance ; elle s’épuise et se liquéfie dans ses larmes.
30Dans son livre Les larmes d’Achille, H. Monsacré a donné de ces lignes un commentaire qui souligne, parfaitement, l’effet particulier des pleurs féminins : « Les sanglots ont le pouvoir de ravager la beauté et la vie des femmes. Elles se consument dans les larmes, y dépérissent, y flétrissent leurs jours, y abîment leur beauté ». Si l’on relève, comme le fait H. Monsacré, que les verbes phthinuthô et enairô employés pour signifier cette dégradation de la beauté féminine sont les mêmes que ceux qui disent le pouvoir destructeur de la guerre, on peut conclure, avec elle, que « les larmes ont sur les femmes des effets analogues à ceux que la guerre a sur les hommes […] comme si les larmes étaient le double, combien dérisoire, des blessures au champ de bataille »67.
31La même guerre, qui révèle la beauté des hommes morts en héros68, ruine celle des femmes qui les pleurent. On prêtera ici attention à la remarque qu’Ulysse adresse, quelques répliques plus loin, à Pénélope dont le désir de pleurer croît encore69. Ulysse, qui ne s’est toujours pas fait reconnaître, lui demande de cesser ses pleurs. Il a pour le dire une formule remarquable : « Femme, […] ne détruis pas ta belle peau, ne fais plus fondre (têke) ton thumos à pleurer ton époux »70. Pénélope, précédemment, avait évoqué la peine qui faisait « fondre son cœur » (katatêkomai êtor) ; Ulysse, lui, traduit l’observation en termes masculins et parle de thumos là où son épouse évoquait son cœur (êtor). Lot attendu des femmes, les pleurs et les plaintes qui leur semblent consubstantielles, semblent, quand il s’agit de les contenir, exiger ce cœur ou courage masculins que désigne le thumos. Bien avant Platon, Ulysse est le premier à évoquer l’effet liquéfiant des plaintes et des pleurs sur le thumos, mais il le fait, en croisant les registres du masculin et du féminin. Jamais, Ulysse n’aurait pu, dans la poésie homérique, adresser une telle réplique à un homme. Dans le monde homérique, les larmes chaudes ne font fondre le thumos que dans le cas d’une femme ; elles n’entament pas la virilité des hommes !
32On peut alors confronter l’effet des larmes dans la poésie homérique et dans la République. Rappelons l’argumentation de Socrate qui décrit la dissolution du tempérament irascible sous l’effet des mélodies plaintives : cette musique « se déverse (katacheîn) dans l’âme » et, « comme le feu amollit (emalaxen) le fer, elle décompose le tempérament courageux et irascible, qui fond et se dissout (têkei kai leibei) jusqu’à ce qu’il se soit entièrement liquéfié (ektêxêi)71. L’insistance sur le vocabulaire de l’amollissement et de la liquéfaction rappelle la comparaison de l’Odyssée. Mais le parallélisme ne doit pas masquer les contrastes : chez Platon, le réchauffement qui provoque la dissolution du tempérament irascible (thumos) est comparé à un feu qui amollit du fer ; dans l’Odyssée, les larmes de Pénélope sont comme la neige qui se liquéfie sous l’effet de l’Euros. Il n’est finalement pas essentiel de confirmer si Platon a vraiment songé à la liquéfaction d’une femme en pleurs quand il a décrit l’amollissement du tempérament irascible, le fait est que sa description travaille à inverser et à pervertir un ensemble de données qui a sa logique dans l’épopée. Ce qui était vrai pour une femme dans l’épopée, le devient pour un homme dans la cité idéale de Platon. L’image du thumos qui fond, employée par Platon pour évoquer l’effet des plaintes sur les hommes, est une image qu’Ulysse emploie, dans l’Odyssée, pour s’adresser à une femme dont le courage, dans l’épreuve, tient d’une vertu masculine.
Le frisson de glace
33À trop vouloir évoquer l’effet des larmes chaudes, on pourrait en déduire que les pleurs sont dans la poésie homérique une sensation chaude. Les choses sont cependant plus complexes. Les larmes semblables à la neige fondante qui coulent sur le visage de Pénélope invitent, entre le chaud et le froid, à découvrir une autre connotation des plaintes. On pourrait aussi s’arrêter sur ces métaphores et comparaisons qui rapprochent les larmes chaudes des hommes de sources noires et sombres72 ou sur cette comparaison de l’Iliade qui décrit Agamemnon secoué par les sanglots qui se pressent dans sa poitrine : le roi des Achéens est alors semblable à Zeus faisant tomber l’éclair ou la grêle ou la neige73. Les larmes auraient un envers plus froid. À une sensation chaude, plus propre aux hommes, répond en effet une sensation froide, plus violente, qui qualifie, si l’on y regarde mieux, non pas les larmes (dakrua) mais le goos, cette plainte criante, entre saccades de larmes et gémissement74. Tandis que les larmes chaudes peuvent être silencieuses75, le goos est nécessairement bruyant. Mais surtout, il se révèle « froid » : au chant XXIV de l’Iliade, Achille invite Priam à laisser dormir leurs douleurs, puisque — réflexion masculine — il n’y a rien à gagner à « la plainte froide » (krueroio gooio)76 ; même constat dans l’Odyssée quand Ménélas évoque pour Télémaque les soirées dans son manoir à se souvenir du passé, parfois se rassasiant de plaintes, parfois cessant car « on a vite assez de la plainte froide » (krueroio gooio)77 ; enfin, au chant XI de l’Odyssée, cette fois non pas pour le rejeter mais pour le regretter, Ulysse, qui ne peut étreindre l’âme évanescente de sa mère, regrette de ne pouvoir avec elle « se rassasier de la plainte froide » (kruerio tetarpômestha gooio)78 ; il faut donc un contact physique pour participer à la plainte du goos.
34Notre dernier exemple est un oxymore. Dans un cas unique, au chant X de l’Odyssée, il est question d’un goos « abondant » thaleron ; lorsque Circé invite Ulysse et ses compagnons à ne pas pousser plus avant leur thaleron goon, alors même que les compagnons d’Ulysse pleurent de bonheur en retrouvant les camarades qui avaient perdu leur forme humaine79. Si l’on excepte ce curieux goos de joie, lamentations de bonheur, il est clair que la plainte est dans le monde homérique du côté du froid, et qu’elle est plutôt laissée aux femmes.
35Outre les emplois que nous venons de recenser, l’adjectif krueros, ou sa variante kruoeis « froid, gelé », sont également employés pour désigner « la peur froide ». Peur et plainte s’associent ainsi dans le froid qui les caractérise ; on notera que krueros et kruoeis ne qualifient jamais dans la poésie homérique que le goos ou la crainte, voire la guerre intestine ou Hélène, si l’on accepte, comme il est vraisemblable, que l’adjectif okruoeis, « qui fait frissonner, horrible », est issu par fausse coupe de kruoeis80. Sur l’égide redoutable d’Athéna apparaissent, ensemble, aux côtés de la tête de Gorgô, Phobos (« Crainte »), Querelle, Vaillance et la « froide Poursuite » (kruoessa Iôkê)81 ; au début du chant IX, les Achéens sont en proie à une folle panique, sœur de « la crainte froide » (phobou kruoentos)82 ; et au chant XIII, Poséidon invite les deux Ajax à se souvenir de leur vaillance et non de « la crainte froide » (krueroîo phoboio)83.
36Platon avait, dans son analyse de la peur de la mort, associé frisson de crainte et plainte larmoyante. Une fois encore, Platon semble avoir joué à renverser les données de la poésie homérique. Alors qu’il évoquait les descriptions redoutables de la mort qui entraînaient un frisson, phrikê, rendant plus chaud et plus mou, la poésie homérique évoque, elle, une crainte et une lamentation funèbre qui sont du côté du froid. Que l’on examine encore les occurrences du verbe rhigeô qui indique le sentiment de peur glaçante éprouvé par le guerrier devant la « guerre » (polemon), devant la « bataille » (machên) ou devant un ennemi redoutable84, cette peur, si elle entraîne un frisson, entraîne bien, dans le monde homérique, un frisson qui glace.
37C’est alors une réplique d’Achille qui nous offre notre conclusion. Au chant XIX (325), pleurant le deuil de Patrocle qui lui coûte plus de peine que la mort de son propre père ou de son fils, Achille dénonce cette guerre qu’il fait pour Hélène. Pour qualifier Hélène, cause du conflit et du malheur de tous, il emploie un adjectif unique dans l’Iliade, rhigedanê, « qui fait frissonner de froid », formé sur la même racine que le verbe rhigeô (« je suis saisi de froid, je frissonne de crainte »). Cet adjectif nous renvoie alors aux derniers mots qu’Hélène prononce dans l’Iliade, lorsqu’elle conclut avec sa plainte le chant funèbre en l’honneur d’Hector. Le poète a rappelé successivement le contenu des trois plaintes, chantées ou gémies, par Andromaque, Hécube et Hélène. À chaque fois, la plainte de la soliste reçoit l’écho des lamentations des pleureuses, et chaque fois cet écho semble plus fort85. Au terme de la plainte d’Hélène, c’est « un peuple sans fin » qui gémit86. Pourquoi Hélène, la femme de Sparte, soulève-t-elle une émotion plus forte encore que les deux Troyennes ? Sans développer ce point, remarquons qu’Hélène n’est pas, dans sa plainte, en harmonie avec les sentiments des deux autres pleureuses. Elle s’isole dans sa douleur et dans son sort, pour conclure qu’elle est pour tous un objet d’horreur provoquant le frisson : « Tous désormais frissonnent d’horreur (pephrikasin) devant moi »87. Hélène prolonge la remarque d’Achille. Elle est belle, mais inspire une froide horreur. Ce qu’elle affirmait déjà au chant VI88.
38Dans l’Iliade, le frisson d’effroi est d’ordinaire provoqué par le guerrier plein de fougue qui ravage ses ennemis : Diomède devant qui les Troyens, au dire d’Alexandre, frissonnent (pephrikasi) comme des brebis bêlantes devant un lion89. Symptôme d’effroi, le frisson est aussi, par hypallage, cause de frayeur. Le frisson est projeté sur ce que l’on craint : au chant IV, la masse sombre des combattants apparaît comme un corps « frissonnant (pephrikuiai) sous le mouvement des piques et des écus »90 ; masse sombre comparable au nuage qui apporte la tourmente et que le chevrier regarde, « glacé d’horreur » (rhigêsen)91.
39Dans sa plainte qui clôt l’Iliade (goos), Hélène évoque le frisson qu’elle provoque chez tous. Un instant, avec elle, la plainte funèbre devient aussi redoutable que la guerre hérissée de piques devant qui tous frissonnent. La belle Hélène, objet d’admiration, finit par incarner l’horreur de la guerre et par mêler douleur du deuil et crainte. Plus glaçant et effrayant que la guerre pourrait être alors le frisson que provoque une femme qui pleure un mort… Ce cri dont Platon ne veut pas dans sa cité.
Notes de bas de page
1 Gorgias, Hélène 14 D.-K. Cette étude s’inscrit dans une enquête plus générale sur le frisson en Grèce ancienne.
2 Ibid., 8 D.-K.
3 Ibid., 9 D.-K. Voir aussi Charles P. Segal, « Gorgias and the Psychology of the Logos », Harvard Studies in Classical Philology 66, 1962, p. 99-155. Pour un rapport avec la katharsis aristotélicienne, voir notamment Helmut Flashar, «Die medizinische Grundlage von der Wirkung der Dichtung in der griechischen Poetik», Hermes 84, 1956, p. 12-48 et Claude Calame, « Quand dire c’est faire voir : l’évidence dans la rhétorique antique », Études de Lettres, 1991, p. 3-22.
4 L’étude des processus émotionnels engendrés par la réception d’un texte littéraire est aujourd’hui un domaine qui concerne autant la recherche en psychologie que la critique littéraire. Dans un travail intitulé Emotional Processes engendered by Poetry and Prose Reading, travail qui prolonge lointainement les préoccupations de Platon ou d’Aristote, mais sans jamais les citer, Egon Hansen observe les effets émotionnels qu’une même intrigue, exposée une fois en vers, une fois en prose, provoque sur un public masculin et sur un public féminin. L’expérience est répétée avec des intrigues de thématiques diverses. Sa conclusion, qui souligne la complexité et la variété des réactions, insiste sur la différence des réactions obtenues en fonction de l’humeur initiale de l’auditeur (Egon Hansen, Emotional Processes engendered by Poetry and Prose Reading, Stockholm, 1986). Si Gorgias n’envisage guère la problématique du contexte de réception, on trouve dans l’Odyssée une description des effets différents que le chant de Démodocos provoque sur son public : au plaisir des Phéaciens s’opposent les larmes d’Ulysse directement concerné par l’épisode chanté (Odyssée VIII, 87-92 ; avec les commentaires de George B. Walsh, The Varieties of Enchantment, Chapel Hill-London, 1984).
5 Aristote, Poétique 1448 b 5.
6 Ibid., 1448 b 20-5 : « Puisque nous avons une tendance naturelle à la représentation (kata phusin de ontos hêmin tou mimeisthai), et aussi à la mélodie et au rythme (car il est évident que les mètres font partie des rythmes), ceux qui au départ avaient les meilleures dispositions naturelles firent peu à peu des progrès et donnèrent naissance à la poésie (egennêsan tên poiêsin) à partir de leurs improvisations. Puis la poésie se divisa suivant le caractère propre de chacun : les auteurs graves représentaient (emimounto) des actions de qualité accomplies par des hommes de qualité… » (trad. Roselyne Dupont-Rocet Jean Lallot). Sur cette dimension naturelle de la poésie, cf. Diego Lanza, «Aristotele e la poesia. Un problema di classificazione», Quaderni urbinati di cultura classica 42, 1983, p. 51-66.
7 Platon, République 395 c 1.
8 Platon, République 377 b. Je reprends, à quelques adaptations près, pour la République la traduction d’Émile Chambry (Belles Lettres), et pour l’Iliade, mes traductions alternent avec celles de Paul Mazon (Belles Lettres) ; pour les autres œuvres, je donne mes traductions.
9 Platon, République 376 e.
10 Ibid., 377 b 7-8.
11 Ibid., 377 b-c.
12 Ibid., 386 b.
13 Ibid., 387 b.
14 Voir Platon, République 386 c qui cite les propos d’Achille au chant XI de l’Odyssée (489-491, où le héros affirme que la condition de thète sur terre vaut mieux que celle de roi chez les morts) et au chant XXIII de l’Iliade (103-104, où l’âme de Patrocle vue en songe inspire à Achille un constat sur la privation de sens après la mort).
15 Platon, République 375 a 11-b 2.
16 Pour l’importance de ce terme dans la République, cf. Francesca Calabi, « Andreia/thymoeides », in Mario Vegetti (ed.), Platone. La Repubblica, Libro IV. Traduzione e commento, Naples, 1998, p. 187-203.
17 Platon, République 387 b 7-c 2.
18 Ibid., 387 c 3-5.
19 Gorgias, Hélène 8 D.-K. Pour l’évocation du phrittein dans la Poétique 1453 b 4, où le frisson est associé à la frayeur et à la pitié.
20 Platon, République 387 d 1-2.
21 Ibid., 387 d 3.
22 Ibid., 387 d. Aristote reprendra le modèle de cet homme convenable (epieikês) notamment dans les pages de la Poétique qui envisagent les intrigues de renversement de fortune, cf. 1452 b 34 ; cf. aussi1454 b 13 et 1462 a 2.
23 Cf. par ex. Iliade XVIII, 80-81 ; dans le Banquet, l’amitié d’Achille et de Patrocle devient une amitié érotique citée en modèle (179 e 1-180 b).
24 Platon, Banquet 179 e-181 b.
25 Homère, Iliade XXIII, 246.
26 Platon, République 387 d 10-11.
27 Ibid., 387 e 3-4.
28 Ibid., 387 e 8-388 a 2.
29 Ibid., 387 d 1.
30 Ibid., 388 d 6 ; 398 d 11 et 578 a 6 ; voir aussi 604 d 6 et 605 d 2. Sur l’assimilation ou l’opposition de thrênos et goos dans la tragédie, cf. Nicole Loraux, La voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Paris, 1999, p. 89-91 avec une réponse à Margaret Alexiou, The Ritual Lament in Greek Tradition, Second Edition revised by Dimitrios Yatromanolakis & Panagiotis Roilos, Lanham/Boulder/New York, 2002 (1974 1), p. 103-104. Sur une condamnation du thrène dans les Lois de Platon, cf. David Bouvier, « Peut-on légiférer sur les émotions funéraires ? Platon et l’interdiction des chants funèbres », Revue de l’histoire des religions, 225/2, 2008, p. 243-272 ; avec une bibliographie plus fournie.
31 Platon, République 388 a-b, citant textuellement — avec les adaptations grammaticales voulues par la syntaxe, mais sans enfreindre le rythme — Homère, Iliade XVIII, 10-11 ; modifiant Iliade XXIV, 12 (ou lisant une autre leçon) ; complétant le vers tronqué par le besoin de la citation, avec une épithète (atrugetoio) attestée dans la même position métrique en Iliade I, 316 ; 327 et XXIV, 752 ; citant textuellement avec les adaptations grammaticales voulues par la syntaxe, mais avec enfreinte du rythme, Iliade XVIII, 23-24 ; et citant avec les adaptations grammaticales voulues par la syntaxe mais sans enfreindre le rythme Iliade XXII, 414-415.
32 Homère, Iliade XXIV, 503-504. Sur un lien entre la pitié et le frisson, cf. supra n. 19.
33 Ibid., XXIV, 511-512.
34 Ibid., XXIV, 629-34.
35 Homère, Odyssée XI, 43 ; 87.
36 Platon, République 387 e 8.
37 On sait la nuance fondamentale qu’Aristote apporte à la théorie de Platon quand il explique que des réalités vues avec peine (lupêrôs) deviennent plaisantes à regarder quand il s’agit de leur image (Poétique 1448 b 12).
38 Platon, République 395 d 1-3.
39 Voir dans le même sens, Archiloque, fr. 13 West qui évoque la nécessité pour les hommes ne pas céder au sentiment du deuil, propre aux femmes.
40 Platon, République 386 a.
41 Platon, République 411 a 4-b 4, avec une référence à Homère, Iliade XVII, 588.
42 Hélène Monsacré, Les larmes d’Achille. Héros, femme et souffrance chez Homère, Paris, 1984 (réédité en 2010). Voir aussi Laura Faranda, Le lacrime degli eroi, Vibo Valentia, 1992.
43 Voir Homère, Iliade III, 142 (Hélène, prise par le doux désir de son époux, verse de tendres larmes) ; XVI, 11 (Achille remarque que Patrocle verse de tendres pleurs et le compare à une fillette en larmes) ; XIX, 323 (Achille évoque les tendres pleurs que son vieux père verse en Phthie en pensant à son fils) ; Homère, Odyssée XVI, 332 (un héraut doit annoncer à Pénélope le retour de Télémaque pour qu’elle cesse de verser des pleurs tendres).
44 Homère, Iliade XI, 266.
45 Ibid., XIV, 6 et XXII, 444.
46 Ibid., VII, 426-428.
47 Ibid., XVI, 3-4.
48 Ibid., XVIII, 17.
49 Ibid., XVIII, 235.
50 Ibid., XVII, 437-438.
51 Homère, Odyssée IV, 523.
52 Ibid., XIX, 362.
53 Ibid., XXIV, 46.
54 Ibid., XXIV, 46.
55 Ibid., IV, 253.
56 Je renvoie ici aux remarques de Hélène Monsacré, op. cit., p. 176-179. L’ensemble de son travail sous-tend plusieurs de nos développements.
57 Homère, Iliade II, 266 ; VI, 496 ; XXIV, 9 ; XXIV, 794.
58 Homère, Odyssée IV, 556 ; X, 201 ; 409 ; X, 457 ; 570 ; XI, 5.
59 Ibid., XI, 391.
60 Ibid., XI, 466.
61 Ibid., XII, 12.
62 Ibid., XVI, 16.
63 Ibid., XXII, 447.
64 Hélène Monsacré, op. cit., p. 172, parle d’une « biologie des larmes ». Importante également pour notre point de vue l’opposition qu’elle relève entre « plainte sourde » (baru stenachôn) dans la sphère du masculin (« Seuls les hommes pleurent ainsi, profondément ») et « plainte aigue » (oxu) dans la sphère du féminin (Homère, Iliade XVIII, 70-71) (seule les femmes, déesses ou mortelles, poussent des plaintes aigues ; chez les hommes, lors d’une attaque, le cri de guerre peut être, en revanche, « aigu » (oxu boiêsas) (cf. Homère, Iliade XVII, 88-89 : cf. aussi XII, 125, XV, 313, etc.).
65 Homère, Iliade XVI, 7-11.
66 Ibid., XIX, 323.
67 Hélène Monsacré, op. cit., p. 170, pour les deux citations.
68 Jean-Pierre Vernant, « PANTA KALA. D’Homère à Simonide », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, 1979, p. 1365-1374 ; repris dans Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour, Paris, 1989, p. 91-101.
69 Homère, Odyssée XIX, 249.
70 Ibid., XIX, 263-264.
71 Platon, République 411 a 4-b 4.
72 Homère, Iliade XVI, 4 ; cf. aussi IX, 13-15.
73 Ibid., X, 5-10.
74 Sur le goos, cf. supra n. 30. Sur la comparaison du goos, comme plainte désordonnée et non contrôlée durant les funérailles, avec le planctus irrelativo, cf. Ernesto de Martino, Morte e pianto rituale, Torino, 2002 (1958), p. 78-80 et 122-124 ; sur le caractère féminin du goos, cf. l’analyse récente de Paola Gagliardi, I due volti della gloria. I lamenti funebri omerici tra poesia e antropologia, Bari, 2007, p. 55-85.
75 Homère, Iliade VII, 426-428.
76 Ibid., XXIV, 524 ; tandis que dans la tragédie plaintes et pleurs restent le dernier remède à la souffrance des femmes ; cf. Euripide, Troyennes 125 et 608-609 ; cf. aussi Médée 195-203.
77 Homère, Odyssée IV, 103.
78 Ibid., XI, 212.
79 Ibid., X, 457.
80 Issu par fausse coupe de epidêmioo kruoentos (Iliade, IX, 64) ; toutefois la forme okruoeis, d’après DELG, s.v., a dû s’imposer de bonne heure aux aèdes (cf. Iliade VI, 344).
81 Homère, Iliade V, 740.
82 Ibid., IX, 2.
83 Ibid., XIII, 48.
84 Ibid., V, 351 ; XVII, 175 ; cf. aussi III, 259 ; IV, 150 ; 279 ; V, 596 ; XI, 254 ; 345 ; XII, 208 ; 331, XV, 34 ; XVI, 119, etc. Je n’ouvre pas ici le dossier du tremblement de peur évoqué par le terme tromos — qui a le double sens de « tremblement » et de « peur » — et par les verbes qui lui sont associés (tromeô, treô et tremô). Cf. les remarques de H. Monsacré, op. cit., p. 57, 147-148 et 180-181.
85 Maria C. Pantelia, « Helen and the Last Song for Hector », Transactions and Proceedings of the American Philological Association 132, 2002, p. 26-27.
86 Homère, Iliade XXIV, 776.
87 Ibid., XXIV, 775.
88 Ibid., VI, 344.
89 Ibid., XI, 383.
90 Ibid., IV, 282.
91 Ibid., IV, 279.
Auteur
Université de Lausanne
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Des femmes en action
L'individu et la fonction en Grèce antique
Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet (dir.)
2013