Jeux de vêtements chez Suétone dans les Vies des Julio-Claudiens1
p. 127-158
Résumés
Les Vies de César et des empereurs julio-claudiens sont truffées de détails vestimentaires marqueurs non seulement de l’identité et du statut social des Romains, mais aussi de leurs traits de caractères. Je montre que Suétone utilise les vêtements et parures du corps à son propre profit, afin de construire les portraits des Julio-Claudiens en « bons empereurs » ou en tyrans.
The Lives of Caesar and of the Julio-Claudian emperors display many clothing details not only as signs of identity and of social status of the Romans, but also as signs of characters. I argue that Suetonius uses clothing and body ornaments in order to build up the Julio-Claudian portraits either as «good emperors» or as tyrants.
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Mots-clés : vêtement, Suétone, les Julio-Claudiens, normes et transgressions vestimentaires, gestes
Keywords : clothing, Suetonius, the Julio-Claudians, dress code and dress transgressions, gestures
Texte intégral
1Dans l’essai historiographique sur le vêtement que Florence Gherchanoc et moi-même avons publié2, nous avions défini, en reprenant certains termes de Roland Barthes, « le vêtement au sens large — ainsi que la nudité — en tant que langage et comme “modèle social” et “image plus ou moins standardisée de conduites collectives attendues”, dans un contexte de représentation, privé et public »3. Nous avions analysé la bibliographie grecque, étrusque et romaine en tenant compte de nos trois axes principaux, à savoir 1) le vêtement comme marque identitaire, 2) les gestes : du corps vêtu au corps dévêtu, 3) les pratiques normées et les transgressions vestimentaires : des usages aux mythes. L’étude que je propose porte sur les multiples références de Suétone au vêtement, au corps paré, caché, dévoilé. Je m’attacherai à celles figurant dans les vies des empereurs julio-claudiens. Certaines ont été discutées par Pierre Cordier4 et par Catherine Baroin et Emmanuelle Valette-Cagnac5 : le premier s’est attaché à des jeux de toge impliquant le dévoilement de la poitrine, aux habits dédoublés de Caligula et à la nudité des femmes ; les secondes aux mentions du pallium ; d’autres extraits de Suétone émaillent des biographies modernes d’empereurs, des ouvrages sur l’immoralité ou l’érotisme à Rome6. Mais aucune analyse systématique, à ma connaissance, n’a été conduite sur le statut des vêtements chez Suétone, alors que de nombreux articles étudient celui-ci dans l’Histoire Auguste7. J’ai organisé ma réflexion autour de quatre parties : L’habitus vestimentaire des empereurs julio-claudiens ; des vêtements identitaires ou l’habit fait le moine : droits, récompenses, dons et privations ; des jeux de vêtements ; des transgressions : inconvenances, déguisements et travestissements.
L’habitus vestimentaire de César et des empereurs julio-claudiens
2Chaque vie comprend une description physique du protagoniste qui est insérée à peu près à la moitié ou à la fin de la biographie et conduit Suétone à caractériser l’habitus vestimentaire de chacun, sauf pour Tibère et Claude.
3Ainsi César est caricaturé comme un homme mal ceinturé, mais cet accoutrement est volontaire, puisque César semble très attentif à sa tenue :
4« On rapporte que sa mise, elle aussi, était remarquable : il portait, dit-on, un laticlave garni de franges descendant jusqu’aux mains, et c’était sur lui qu’il attachait toujours sa ceinture, d’ailleurs fort lâche ; de là ce mot que Sylla répétait aux grands : “Méfiez-vous de ce jeune homme mal ceinturé” »8. Le laticlave est une large bande pourpre cousue au bas de la tunique ; seuls les membres du sénat y avaient droit. La ceinture lâche est un signe de mœurs décousues, de mollitia, allant souvent de pair avec un côté efféminé, qui semblent ici revendiquées par César9.
5Le bel Auguste, lui, semble être le Romain idéal, à en croire le passage qui précède sa description physique : « Il ne portait guère d’autre costume qu’un vêtement d’intérieur confectionné par sa sœur, sa femme, sa fille et ses petites-filles ; ses toges n’étaient ni serrées ni lâches, sa bande de pourpre, ni large ni étroite, ses chaussures un peu hautes, pour le faire paraître plus grand. Il tint toujours prêts dans sa chambre un costume de ville et des souliers pour les cas imprévus »10. Sa tenue est à la fois simple et correcte, sa seule coquetterie semblant résider dans ses calciamenta. De plus, il fait preuve de prévoyance, voulant avoir à portée de main des habits adaptés, tout en restant modeste dans ses goûts et exigences11. Il est respectueux des mores anciennes, puisqu’il se contente de la fabrication familiale, ayant fait enseigner à sa fille et ses petites-filles le travail de la laine12. Ses goûts simples n’empêchent pas l’accumulation de vêtements en hiver et le port d’un chapeau en toutes saisons : « En hiver, il portait, sous une toge épaisse, quatre tuniques, une chemise, un plastron de laine et des bandes autour des cuisses et des jambes [...]. Le soleil l’éprouvait même en hiver et, fût-ce dans son intérieur, il ne se promenait en plein air que coiffé d’un pétase »13. Sa faible constitution le rend bien sûr sensible aux éléments. Mais, à l’image d’Auguste semble associée l’idée d’accumulation de vêtements, ce qui n’est pas le cas des autres empereurs14. L’empereur semble avant tout être un homme d’habitudes, comme en témoigne la discipline qu’il impose à son corps, après l’abandon des exercices militaires à la fin des guerres civiles15.
6La description physique de Caligula16 en fait un monstre de laideur allant de pair avec la peur qui l’habite et sa lâcheté. Aussi n’est-il pas étonnant que la tenue de l’empereur soit par essence indigne d’un Romain et irrespectueuse des ancêtres et des divinités. Sa mise est très détaillée : « Ses vêtements, sa chaussure et sa tenue en général ne furent jamais dignes d’un Romain, ni d’un citoyen, ni même de son sexe, ni, pour tout dire, d’un être humain. Souvent il parut en public avec des manteaux brodés, couverts de pierres précieuses, une tunique à manches et des bracelets ; de temps à autre, vêtu de soie, avec une robe bordée d’or ; ayant aux pieds tantôt des sandales ou des cothurnes, tantôt des bottines de courrier, ou parfois des brodequins de femme ; très souvent on le vit avec une barbe dorée, tenant en main les attributs des dieux, le foudre, le trident ou le caducée, et même costumé en Vénus. Quant aux insignes du triomphe, il les porta de façon courante, même avant son expédition, parfois avec la cuirasse d’Alexandre le Grand, qu’il avait fait tirer de son tombeau »17. Il présente en quelque sorte le versant opposé de l’habitus d’Auguste : au lieu de la sobriété et de la simplicité de ce dernier, il revendique la somptuosité des étoffes, le clinquant et l’inapproprié ; sa tenue relève plus du déguisement et du travestissement que de la dignité d’un Romain ; il frise le sacrilège en imitant mal des divinités, Jupiter, Neptune, Mercure, Vénus, ou en revendiquant une cuirasse dont il s’est emparé en violant la sépulture d’Alexandre18. De plus, il dévoie le triomphe en en portant les insignes, sans les avoir mérités ; l’expédition à laquelle Suétone fait allusion est celle contre les Germains, présentée comme une lubie de l’empereur19. Caligula est aussi connu pour avoir une double garde-robe, l’une pour lui, la seconde pour sa statue : « Dans ce temple se dressait sa propre statue en or, faite d’après nature, que l’on revêtait chaque jour d’un costume semblable au sien »20.
7L’indignité de la tenue de Néron est d’un autre ordre : « dans sa mise et dans sa tenue, il manquait tellement de dignité, qu’il arrangeait toujours sa chevelure en étages, la laissant même retomber sur sa nuque durant son voyage en Achaïe, et que bien souvent il parut en public vêtu d’une robe de chambre, avec un mouchoir noué autour du cou, sans ceinture et nu-pieds »21. L’apparence négligée est arrangée, calculée. La chevelure renvoie probablement à la volonté de l’empereur de se présenter comme un citharède, rivalisant avec Apollon. Suétone nous avait dit précédemment que son voyage en Achaïe avait été motivé par la décision des cités de la province de lui envoyer toutes les couronnes de citharède22. Néron en orne même sa chambre et il se fait commémorer en costume de citharède23. Si j’en crois la définition de Gaffiot24, la synthesina est un vêtement pour les repas ; complétée par l’absence de chaussures, une telle tenue montre une inadéquation du vêtement aux lieux et aux gens, une confusion entre privé et public25. Quant à l’inexistence de la ceinture, elle expose aux yeux de tous les mœurs dépravées de Néron, prêt à sauter sur femme ou homme, à les épouser (cf. infra). Enfin parmi ses excès, Néron est connu pour ne jamais avoir porté deux fois le même habit26.
8Ainsi, Suétone nous a campé ses personnages, leurs qualités et défauts s’exprimant dans leur habitus vestimentaire. Mais regardons dans le détail les rôles que les vêtements jouent.
Des vêtements identitaires ou l’habit fait le moine : droits, récompenses, dons et privations27
9L’habit est révélateur de l’âge, de la classe sociale, de la charge occupée. Il est un insigne, qui peut être accordé par l’empereur ou au contraire enlevé. Par exemple, le paludamentum qui est un manteau ou sorte de cape portée sur la cuirasse et retenue par une fibule ronde est le symbole de l’imperator ; celui-ci ne doit pas le perdre, sous peine d’être dénudé et de reconnaître sa défaite28.
10La toge, elle, est marqueur de la citoyenneté romaine. C’est un habit ethnique, au même titre que le pallium et la chlamyde qui permettent d’identifier le Grec dans le monde romain29, et les braies le Gaulois. Ainsi, la toge prétexte définit l’enfant romain30, mais aussi les adultes occupant certaines charges31 ou bénéficiant d’honneurs associés au triomphe32. Il faut atteindre un certain âge pour prétendre revêtir la toge virile : l’âge de 16 ans est mentionné pour Auguste33 ; Caligula la prend tardivement à 19 ans, en même temps qu’il fait raser sa barbe34. Claude désire la donner plus tôt à Britannicus : « Quand il exprima l’intention de lui donner la toge virile, puisque sa taille le permettait, quoiqu’il fût encore impubère et tout enfant, il ajouta : “C’est pour que le peuple romain ait enfin un véritable César” »35. Mais généralement, ce qui est noté c’est simplement le jour de la prise de la toge virile, sans autre précision36.
11Le laticlave est, comme nous l’avons vu, réservé aux sénateurs. Il est accordé par César à des Gaulois admis au sénat, ce qui provoque le mécontentement des Romains : « À l’adresse des étrangers admis au sénat, on placarda l’affiche suivante : “À tous salut ! Que personne ne s’avise d’indiquer le chemin de la curie à un nouveau sénateur”, et l’on chantait partout ce couplet : Après avoir triomphé des Gaulois, César les fait entrer à la curie. Les Gaulois ont quitté leurs braies pour prendre le laticlave »37. Les Gaulois viennent d’être soumis par César et sont considérés comme des non civilisés ou en phase de civilisation, c’est à dire de romanisation, ce que Suétone avait déjà souligné : « C’est avec le même sans-gêne qu’au mépris d’usages consacrés il attribua des magistratures pour plusieurs années, accorda les ornements consulaires (consularia ornamenta) à dix anciens préteurs, fit entrer au sénat des gens gratifiés du droit de cité et des Gaulois à demi barbares (semibarbaris Gallorum) »38. La liberté que prend César avec les institutions, notamment le recrutement du sénat — qui bouleverse les équilibres dans la société romaine — est stigmatisée par les marques extérieures qui accompagnent les fonctions comprenant ornements, habits et privilèges. Il est intéressant de voir juxtaposées la question de l’entrée de nouveaux citoyens dans le sénat, ce qui a pour conséquence logique d’octroyer le laticlave à des Gaulois, et la question de l’étendue d’ornements consulaires à des personnes qui n’y ont pas droit, n’ayant pas achevé le cursus honorum. Si ces écarts à la norme révoltent les Romains, l’élargissement par Auguste du laticlave aux fils de sénateurs à partir de leur prise de la toge virile ne choque pas, le but en étant noble : « Il permit aux fils de sénateurs, pour les familiariser plus vite avec les affaires publiques, de revêtir le laticlave et d’assister aux séances du sénat, aussitôt après avoir reçu la toge virile (protinus a uirili toga latum clauum induere), et dès leur entrée dans la carrière militaire, il leur donna le grade de tribuns de légion et même le commandement d’une aile de cavalerie ; et, pour que nul d’entre eux ne restât étranger à la vie des camps, il mit d’ordinaire à la tête de chaque aile deux officiers portant le laticlave (binos plerumque laticlauios praeposuit singulis alis) »39. L’apprentissage des fonctions se faisant par mimêsis, imitatio, l’adéquation entre la charge future (sénateur ou officier), qui implique la pénétration dans des lieux tels que la curie, et le port du laticlave est logique. Auguste, lors de sa reconstitution, c’est-à-dire réduction, du sénat encourage la démission de certains sénateurs tout en leur laissant les honneurs dus à cette charge, dont l’habit40. Quant à Claude, il dépasse largement l’octroi inconsidéré du laticlave par César comme l’atteste le passage suivant : « Il accorda les insignes consulaires même à des procurateurs recevant deux cent mille sesterces (de traitement). Aux citoyens qui refusaient la dignité de sénateur il retira même celle de chevalier. Quoiqu’il eût promis, à son avènement, de ne pas nommer de sénateur qui ne fût l’arrière-petit-fils d’un citoyen romain, il accorda le laticlave même au fils d’un affranchi, mais à condition qu’il se fît préalablement adopter par un chevalier romain »41. Cet extrait est le pendant de celui concernant l’attitude de César puisque nous retrouvons la question du port du laticlave jouxtant celle des insignes consulaires. Claude fait pire, bien sûr, puisqu’il ne tient plus compte de l’ordre social, du sénat, de la naissance, de la richesse. En bref, presque n’importe qui peut recevoir le laticlave ou les insignes consulaires. L’élargissement des signes distinctifs est le simple fait du bon vouloir du prince. C’est comme si Claude ne connaissait pas sa Rome et ses institutions. Pour bien montrer qu’il s’agit d’une récompense, d’un accès à un grade (voire une caste) supérieur(e), l’adoption requise doit se faire par un chevalier, et non un sénateur.
12Il y a donc une norme pour les habits assignés, mais celle-ci peut être dépassée par César et les empereurs. Ils peuvent faire des dons de vêtements42, de couronnes, de bijoux43 ou en être les bénéficiaires44. Ainsi César, complexé par le fait qu’il était chauve, porte une couronne de laurier ; c’est un droit qui lui est octroyé : « Trop minutieux dans le soin de sa personne, il ne se bornait pas à se faire tondre et raser de près, mais allait jusqu’à se faire épiler, à ce que certains lui reprochèrent, et ne se consolait pas d’être chauve, ayant constaté plus d’une fois que cette disgrâce provoquait les plaisanteries de ses détracteurs. Aussi avait-il coutume de ramener en avant ses cheveux trop rares et, parmi tous les honneurs que lui décernèrent le sénat et le peuple, celui qu’il reçut et dont il profita le plus volontiers fut le droit de porter en toute occasion une couronne de laurier »45.
13Les empereurs accordent les habits triomphaux ou les insignes de triomphe46 ou peuvent les revêtir. Ils peuvent également habiller des personnes selon leur goût47.
14Les empereurs peuvent aussi établir des restrictions sur le port de certains vêtements, généralement en édictant des lois somptuaires. Il faut distinguer celles qui semblent restaurer le mos maiorum de celles qui relèvent d’un comportement « tyrannique », démesuré d’un empereur. Ainsi Auguste reste fidèle aux principes des mores, même s’il innove. C’est d’ailleurs par respect des mores qu’il rétablit la visibilité de la toge au Forum, comme l’indique ce célèbre passage : « Il s’efforça même de faire reprendre la tenue et le costume d’autrefois, et, voyant un jour dans l’assemblée du peuple une foule de gens vêtus de sombre, il s’écria tout indigné : “Voici les Romains, maîtres de l’univers, le peuple vêtu de la toge !” et il chargea les édiles de ne laisser désormais les gens stationner sur le Forum ou dans ses alentours qu’après avoir quitté le manteau couvrant leur toge »48. En effet la toge, signe de la citoyenneté romaine, se doit d’être portée ostensiblement au Forum, cœur civique et symbolique par excellence de l’Vrbs. La couleur sombre est proscrite parce qu’elle indique le deuil et interdit les activités civiques49. C’est la même teinte qu’Auguste interdit au théâtre, probablement parce qu’elle évoquait encore le deuil et la pauvreté, éléments peu propices à la fête : « Il assigna aux plébéiens mariés des gradins spéciaux, aux jeunes gens vêtus de la prétexte, un secteur particulier, et celui d’à côté, à leurs précepteurs ; il interdit les places du milieu à tout spectateur vêtu de sombre »50. Par ces mesures, Auguste énonce son souci de l’ordre, de la séparation visible entre les citoyens suivant leur âge, leur sexe, leur appartenance sociale, en bref, des bonnes mœurs. Ces prescriptions faisaient probablement partie de la loi somptuaire que note Suétone51. En revanche, les lois somptuaires de César et Néron trahissent leur comportement excessif. César « ne permit l’usage des litières ainsi que des vêtements de pourpre et des perles qu’à certaines personnes, à certains âges, et pendant certains jours »52. En fait, les limitations de César correspondent aux exclusivités qu’il veut se réserver, comme signe d’un pouvoir absolu : en effet il revêt la couleur pourpre, dans des lieux d’ailleurs où il la déshonore53 ; de plus, il a une passion pour les perles54. Néron va plus loin en interdisant totalement la couleur pourpre aux citoyens et à leurs femmes : « Ayant interdit l’usage des teintures violette et pourpre, il chargea l’un de ses agents d’en vendre quelques onces un jour de foire, et là-dessus enferma tous les marchands. Bien plus, un jour qu’il chantait, avisant parmi les spectateurs une matrone vêtue de cette pourpre interdite, il la signala, dit-on, aux intendants du fisc et la fit aussitôt dépouiller non seulement de sa robe, mais encore de ses biens »55. Nul ne doit confondre l’empereur par l’usage de couleurs apparentées à la pourpre. Mais ici le passage montre aussi le caractère vicieux et avide de Néron qui incite à lui désobéir. Une restriction d’ordre vestimentaire qui ne relève pas d’une loi somptuaire, mais qui montre néanmoins le caractère arbitraire des décisions impériales, est celle édictée par Tibère : il proscrit toute uestis mutatio près du simulacrum d’Auguste56.
15Le dépouillement ou la privation de vêtements et d’ornements est un leitmotiv chez Suétone. Il peut être volontaire, même s’il est la conséquence de la perte d’une charge. Ainsi César, après être suspendu de sa prêture par le sénat, finit par se réfugier chez lui et quitte de lui-même sa prétexte57. La privation d’insignes peut être la preuve d’un hommage, comme celui des rois amis et alliés à Auguste : « et souvent ils quittèrent leurs royaumes pour venir chaque jour lui rendre leurs hommages, non seulement à Rome, mais durant ses voyages dans les provinces, et cela en toge, sans leurs insignes royaux, comme de simples clients »58. Leur adoption de la toge montre leur respect et leur allégeance à l’empereur, leur désir d’être considérés comme des citoyens romains.
16Revêtir des vêtements d’un ordre inférieur, de couleur sombre est la norme du deuil, c’est bien connu59. Ces tenues contrastent avec les atours du défunt, qui au contraire sont censés exhiber la plus grande splendeur, les vêtements les plus honorifiques portés par l’homme alors qu’il était vivant. Mais le cas de César est à part puisque c’est sur un tropaeum qu’ont été exhibés les habits commémorant son meurtre : « Quand la date des funérailles eut été annoncée, on dressa le bûcher sur le Champ de Mars, à côté du tombeau de Julie, et l’on édifia devant la tribune aux harangues une chapelle dorée sur le modèle du temple de Vénus Genetrix ; à l’intérieur fut placé un lit d’ivoire tendu de pourpre et d’or, et à sa tête, un trophée avec les habits portés par César au moment du meurtre »60. Le vêtement est porteur de mémoire61. La réaction des citoyens ne se fait pas attendre : « Ensuite, des joueurs de flûte et des acteurs, se dépouillant des habits empruntés à l’appareil de ses triomphes, qu’ils avaient revêtus pour la circonstance, les déchirèrent et les jetèrent dans les flammes ; les vétérans de ses légions y jetèrent les armes dont ils s’étaient parés pour les funérailles ; et même un grand nombre de matrones, les bijoux qu’elles portaient, avec les bulles et les prétextes de leurs enfants »62. C’est tout le peuple de Rome qui est touché par le deuil, les citoyens, les vétérans, les matrones et leurs enfants. De fait, les dépouillements et dénudations se font au yeux de tous, puisqu’ils sont volontaires, voire spontanés, et que les vêtements, armes et bijoux rejoignent et alimentent le bûcher. Se dénuder, c’est pour un militaire se priver de ses armes ; pour les matrones c’est enlever les bijoux, le pudor empêchant probablement d’ôter les vêtements ; mais elles compensent par leurs actions sur la prétexte des enfants ; un enfant dépouillé de sa bulla et de sa prétexte ne peut plus prouver sa citoyenneté.
17Les funérailles d’Auguste sont plus calmes et organisées. Les chevaliers échangent leurs anneaux d’or pour du fer63 et se présentent dénudés, ou plus exactement en habits inappropriés pour l’extérieur, en habits négligés, plus propres à un cubiculum : « Les principaux membres de l’ordre équestre, en tunique, sans ceinture et pieds nus, recueillirent ses restes et les déposèrent dans le mausolée »64. Les habits de deuil sont parfois simplement désignés par l’expression lugentis habitu, comme ceux que porte Caligula à la mort de Tibère65.
18Il existe d’autres manières d’afficher le deuil. César porte ostensiblement le deuil de ses soldats en négligeant de se raser et de se faire couper les cheveux : « Il avait aussi pour eux une telle affection, qu’en apprenant le désastre de Titurius, il laissa pousser sa barbe et sa chevelure et ne les fit tondre qu’après l’avoir vengé »66. Auguste fit de même, après les défaites de Lollius et de Varus : « Enfin, il se montra, dit-on, si consterné que, laissant pousser sa barbe et ses cheveux pendant plusieurs mois, de temps à autre il se frappait la tête contre sa porte en hurlant : “Quintilius Varus, rends-moi mes légions !” et que l’anniversaire de ce désastre fut désormais pour lui un jour de tristesse et de deuil »67. C’est aussi par sa barbe et ses cheveux longs que Caligula porte le deuil de Drusilla : « Puis, dominé par sa douleur, il s’enfuit loin de Rome, la nuit, traversa la Campanie et gagna Syracuse, d’où il revint précipitamment, sans s’être coupé la barbe ni les cheveux »68. Le modèle de deuil des barbares présente bien évidemment l’exact envers du décor, du miroir des Romains. À l’annonce de la mort de Germanicus, « certains petits rois, en signe de très grand deuil, se coupèrent la barbe et firent raser la tête de leurs femmes »69. En effet, barbus et les cheveux longs, ils ne peuvent exprimer leur douleur qu’en se faisant raser ou couper les poils. Le fait de raser les cheveux des femmes semble indiquer qu’elles portaient les cheveux longs dénoués. Je reviendrai sur la question des cheveux des femmes dans la quatrième partie. Dans l’ensemble de ces cas, la douleur s’exprime par l’inversion des coutumes sociales, qui est attendue et reste conforme.
19Mais le dépouillement peut aussi avoir une connotation fortement négative : il indique un châtiment et une punition, dans certains cas mérités ; dans d’autres, il signe la démesure de l’empereur. Ainsi, sur ordre d’Auguste, les centurions exhibent aux yeux de tous leur dénudation, preuve de leurs fautes : « Lorsque des centurions désertaient leur poste, il les punit de mort, comme de simples soldats, et, pour les autres fautes, il leur infligea diverses peines infamantes, les condamnant par exemple à rester debout toute une journée devant la tente du général, parfois vêtus d’une simple tunique, sans ceinturon, parfois tenant à la main une perche de dix pieds ou même une motte de gazon »70. Ils n’ont plus d’armes71, ou en tout cas pas celles correspondant à leur rang ; ils n’ont plus d’armures et montrent leur vulnérabilité. Leur tenue est celle de simples fantassins, ou encore celle revêtue par les chevaliers lors des funérailles d’Auguste : néanmoins elle leur est imposée. Quand Tibère « ôta le laticlave à un sénateur, parce qu’il avait appris qu’il était allé loger à la campagne vers les calendes de juillet, afin de louer à meilleur compte une maison à Rome, ce terme une fois passé »72, l’empereur agit comme un censeur : c’est l’avarice du sénateur qui le rend indigne de la charge73. Dans les deux cas évoqués, le châtiment semble mérité. Idem pour le questeur de Caligula qui est la cible d’une dénudation punitive : « Comme son questeur avait été mentionné dans une conjuration, il ordonna de le flageller, après lui avoir ôté ses vêtements, que les soldats mirent sous leurs pieds, pour bien assurer leurs coups »74. Mais l’attitude générale de Caligula témoigne plus fréquemment de son comportement excessif et tyrannique. C’est à cause de son manteau de pourpre que Caligula fait mettre à mort Ptolémée, fils du roi Juba, car il ne supporte aucune comparaison qui aurait été peu flatteuse pour sa personne75. Il ne supporte pas la beauté ni les exploits d’autrui : « Toutes les fois qu’il rencontrait des gens portant une belle chevelure, il leur faisait raser la tête par derrière, pour les enlaidir. Il vivait alors un certain Aesius Proculus, fils d’un primipilaire, que sa taille et sa beauté extraordinaires avaient fait surnommer “l’Amour Colosse” : un jour de spectacle, Caligula le fit tout à coup arracher de sa place, traîner dans l’arène et mettre aux prises d’abord avec un Thrace, puis avec un gladiateur armé de toutes pièces, mais, comme il avait été deux fois vainqueur, il ordonna de le garotter aussitôt, de le promener à travers la ville, tout couvert de haillons, et de le montrer aux femmes, puis de l’égorger »76. Il intervient sur les figures humaines en les remodelant et en les humiliant ; parfois il est obligé d’aller jusqu’à non seulement les punir de mort, mais encore leur enlever leur dignité de citoyen : ainsi Aesius Proculus est-il mis au rang de gladiateur, puis déchu comme un gladiateur ; ici, tout souvenir de la gloire d’Aesius est abîmé, remplacé et effacé par une vision déplorable avec des lambeaux d’habit ; la dégradation du personnage passe par l’exhibition d’un vêtement déchiré et probablement sale77. Les vêtements sont donc, comme nous l’avons déjà mentionné, porteurs de mémoire, la mémoire de la mort et du mort.
20D’une part, les vêtements et atours qualifient les bons et les mauvais empereurs, d’autre part les opérations de dépouillement témoignent d’un bon comportement ou d’une attitude excessive ; elles sont aussi un signe de déchéance, de dégradation sociale, politique, militaire. L’habit et les parures sont donc bien des marques extérieures identitaires ; ils trahissent les comportements non seulement de la société concernée, mais aussi des individus.
Des jeux de vêtements
21Il existe tout un ensemble de jeux possibles avec les vêtements qui rendent des actes plus explicites et des signes manifestes.
22Certains peuvent être enlevés pour manifester un hommage : ainsi les chevaliers quittaient-ils par déférence leurs manteaux (lacernas deponere) à l’arrivée de Claude aux spectacles78. D’autres manteaux peuvent être rejetés en arrière pour découvrir des armes et menacer, comme le fit le centurion Cornelius quand il réclama le consulat pour Auguste en pénétrant dans la curie lors d’une réunion du sénat79. Pénétrer armé dans l’Urbs, qui-plus-est dans la curie — un templum —, était une offense grave, voire une impiété. Dans ce cas, le geste du manteau accompagne la rhétorique de la menace et la rend plus efficace.
23Les nombreux plis de la toge et sa manière d’être enroulée autour du corps offrent à celui qui la porte toute une panoplie de jeux qui peuvent devenir des signaux, s’ils sont convenus à l’avance : ainsi à propos d’une conjuration avortée, « Tanusius ajoute que Crassus, par repentir ou par crainte, ne parut point au jour fixé pour le meurtre (des sénateurs), ce qui empêcha également César de donner le signal comme ils en étaient convenus ; et, d’après Curion, ce signal consistait à faire tomber sa toge de son épaule »80. C’est aussi en faisant glisser la toge des épaules qu’Auguste refuse la dictature : « La dictature lui étant offerte avec une grande insistance par le peuple, il se mit à genoux, rejeta sa toge de ses épaules, et, la poitrine découverte, l’adjura de ne pas la lui imposer »81. Ce geste qui semble naturel était prémédité, puisque l’empereur ne porte pas de tunique en-dessous de sa toge comme en était l’usage. Rappelons qu’Auguste avait l’habitude de superposer les habits (voir supra). On est donc bien dans les figures et gestes préconisés pour accompagner la rhétorique. Comme l’écrit Pierre Cordier, « la dénudation suppliante de l’orateur, renforcée par son agenouillement, força le peuple à se désavouer lui-même et à reconnaître du même coup, que le légalisme romain et les vertus du mos étaient incarnés en la personne d’Octavien »82. Découvrir sa poitrine après avoir déchiré ses vêtements revient à plusieurs reprises dans le texte de Suétone. César en joue de manière grandiloquente pour donner du courage à ses soldats : « Et là-dessus, il fit passer son armée, puis, accompagné des tribuns de la plèbe, qui, chassés de Rome, étaient venus le rejoindre, il se présenta devant l’assemblée des soldats et fit appel à leur dévouement avec des larmes, en déchirant ses vêtements sur sa poitrine »83. Exhiber sa poitrine couverte de cicatrices est de fait un poncif84. César l’accompagne d’un jeu avec son anneau qui conduit à une incompréhension de ses intentions de la part des soldats ; cette méprise a son intérêt ; elle fut probablement volontairement provoquée par César, pour inciter ses soldats à le défendre85. Si les cicatrices de guerre sont bonnes à montrer, celles induites par soi-même sont honteuses. Ainsi, Claude, lors de sa censure, note, à tort, d’infamie de nombreuses personnes ; pour l’un d’entre eux, la seule solution est de se dénuder : « certain même, que l’on accusait de s’être donné un coup de poignard, fit bien voir, en quittant ses habits, que son corps était sans blessure (inlaesum corpus ueste deposita ostentante) »86. Ici, exhiber sa poitrine, c’est utiliser l’artifice habituel d’un accusé dans un procès, mais en le renversant puisque c’est le corps intact et non couvert de blessures qui innocente. Avec Néron, l’utilisation des habits déchirés n’a pas d’impact puisque la scène se passe probablement en privé, en présence de sa nourrice : « Mais lorsqu’il apprit que Galba et les Espagnes faisaient défection à leur tour, il tomba évanoui et resta longtemps sans voix, puis, quand il eut reprit ses sens, il déchira ses vêtements, se frappa la tête avec rudesse et déclara “que c’en était fait de lui” ; comme sa nourrice essayait de le consoler… »87. Néron dévoie donc l’usage politique et public de déchirer ses vêtements au forum ou dans un procès. Pourtant, afin d’éviter une fin atroce et de reconquérir au moins une partie de son pouvoir, il pense à supplier les Romains en adoptant des habits sombres et en les haranguant du haut des Rostres sur le forum, projet qu’il abandonne très vite88. Les jeux de vêtements et leur importance dans les procès sont particulièrement bien mis en valeur par la réponse de Claude à propos de l’habit que doit porter un étranger qui a usurpé le droit de cité lors de son procès : l’empereur préconise l’alternance de la toga et du pallium, suivant qu’on parlerait pour ou contre lui. Les vêtements sont alors utilisés comme des marqueurs ethniques, la toge comme symbole de la citoyenneté romaine, le pallium comme signe de grécité89. Certains jeux de vêtements sont produits non par celui qui les porte, mais par des tiers : ainsi les avocats avaient-ils l’habitude de retenir aux procès Claude par la toge ou le pied90.
24L’habit et les parures « en action » peuvent même révéler un signe inscrit par les divinités. Ainsi la destinée d’Auguste est annoncée par la chute de son laticlave : « Quand Auguste prit la toge virile, on vit son laticlave se découdre des deux côtés et tomber à ses pieds. Or, suivant certains interprètes, cela ne pouvait signifier qu’une chose : que l’ordre, dont le laticlave était l’insigne, lui serait un jour soumis »91. Il faut bien sûr faire appel à des spécialistes pour décoder le signe. Parfois, le princeps peut interpréter lui-même des signes : « Certains auspices ou prodiges étaient considérés par lui comme infaillibles : si le matin il se chaussait de travers, mettant au pied droit son soulier gauche, il voyait là un signe funeste… »92. C’est parce que Néron lit un présage funeste quand il est retenu par le pan de sa toge lors de sa visite du temple de Vesta, qu’il renonce à son voyage à Alexandrie93. Le cas de Tibère est spécifique. C’est au milieu de la narration des divers présages de sa destinée que Suétone mentionne, la veille de son rappel de Rhodes à Rome par Auguste, la vision qu’a le futur empereur de sa tunique en feu alors qu’il change de vêtements94. Ici le présage est positif, puisqu’il annonce un futur règne.
25Certaines parures peuvent être utilisées comme présage possible, c’est-à-dire fabriqué, afin de vérifier leur réception et l’attitude du peuple : en témoignent clairement deux histoires, bien connues, relatives à César et son désir de royauté ; dans la première, un homme couronne la statue de ce dernier de laurier orné d’une bandelette blanche ; dans la seconde, Antoine essaie de couronner d’un diadème César lui-même95. Il s’agit en quelque sorte d’« un ballon d’essai » qui, au lieu de propulser César roi, provoque son assassinat : ce qui pose problème, c’est le symbole du couronnement.
26Les vêtements « en action » peuvent avoir un rôle de protection. C’est en étant dissimulé sous leurs toges que César fut sauvé par quelques-uns de ses amis, après sa prise de position concernant le sort des conjurés réunis autour de Catalina en 63 av. J.-C. : « Même alors, César ne renonça pas à son opposition, si bien qu’à la fin, devant son acharnement sans mesure, une troupe de chevaliers romains, qui se tenaient en armes autour de la curie pour la garder, le menaça de mort, en dirigeant contre lui ses glaives dégaînés ; les sénateurs assis à côté de lui l’abandonnèrent et c’est à peine si quelques amis purent le sauver en le prenant dans leurs bras et le couvrant de leurs toges »96. Ici se cacher est une solution impromptue. Mais parfois cacher sa tête est volontaire et prévu pour rester incognito. C’est ce qui se passe quand César dissimule ses traits sous un voile : « ... il finit par monter lui-même, secrètement et de nuit, dans une toute petite barque, la tête voilée (obuoluto capite), et ne se fit connaître ou ne permit au pilote de céder à la tempête qu’au moment où les flots menaçaient de l’engloutir »97.
27Puisque les vêtements peuvent cacher, ils peuvent aussi être potentiellement dangereux, par exemple en dissimulant des armes. C’est ainsi que Quintus Gallius est victime de la méfiance d’Auguste : « Le préteur Quintus Gallius étant venu le saluer en tenant des tablettes doubles cachées sous sa toge (tabellas duplices ueste tectas tenentem), il le soupçonna de dissimuler un glaive, mais n’osant pas s’en assurer aussitôt, par crainte de découvrir autre chose, il le fit arracher un moment après à son tribunal par des centurions et par des soldats, et mettre à la torture comme un esclave, puis, n’obtenant aucun aveu, il ordonna de le tuer après lui avoir crevé les yeux de sa propre main… »98. Cet épisode peu glorieux de la vie d’Auguste explique probablement pourquoi il existe une autre version de la mort du préteur écrite par l’empereur lui-même, que Suétone présente sans lui apporter de crédit99. On sait qu’Auguste durant sa recomposition du sénat faisait fouiller tout sénateur qu’il recevait100. Claude, craignant pour sa vie, est un grand adepte de la fouille des vêtements de ceux qui l’approchent : « Pendant le reste de son principat, il fit toujours fouiller les gens qui venaient le saluer, et même de très près, sans excepter personne. Ce fut à grand’peine et sur le tard qu’il en exempta les femmes, les enfants revêtus de la prétexte et les jeunes filles… »101.
28Parfois, les vêtements et ornements, de protecteurs deviennent le symbole de la vulnérabilité des hommes, comme le montrent la description des morts de César et Néron.
29Le signal de l’assassinat de César passe par le saisissement de la toge : « Tandis qu’il s’asseyait, les conjurés l’entourèrent, sous prétexte de lui rendre hommage, et tout de suite Tillius Cimber, qui s’était chargé du premier rôle, s’approcha davantage, comme pour lui demander une faveur ; mais César faisant un signe de refus et le renvoyant du geste à un autre moment, Tillius saisit sa toge aux deux épaules ; alors, comme César s’écriait : “Cette fois, c’est de la violence !” l’un des deux Casca le blessa par derrière, un peu au-dessous de la gorge. César, lui ayant saisi le bras, le transperça de son poinçon, et essaya de s’élancer en avant, mais il fut arrêté par une autre blessure. S’apercevant alors que de toutes parts on l’attaquait, le poignard à la main, il enroula sa toge autour de sa tête, tandis que de sa main gauche, il en faisait glisser les plis jusqu’au bas de ses jambes, pour tomber avec plus de décence, le corps voilé jusqu’en bas »102. La toge n’est d’aucun secours à César, si ce n’est pour préserver sa dignitas, et faire de lui un mort présentable, comme l’a bien expliqué Pierre Cordier103. Dans le récit de la fin de Néron, les vêtements occupent une grande place : en effet, la fuite de Néron est truffée de détails relatifs à ses habits. Pour rejoindre la demeure de Phaon, ses vêtements le cachent : « restant comme il était, pieds nus et en tunique, il endossa par-dessus un petit manteau de couleur passée, se couvrit la tête, étendit un mouchoir devant sa figure, et monta à cheval… »104. Puis il est reconnu par un prétorien, son cheval effrayé ayant provoqué le fait qu’il découvre son visage105. Pour éviter de marcher pieds nus sur un sentier le menant à la villa, Néron se sert de son habit en l’étalant par terre106 ; il s’agit probablement de son manteau, ce qui semble confirmé par le détail suivant concernant son état : « Ensuite, avec son petit manteau déchiré par les ronces, il se fraya un passage à travers les broussailles et pénétra, en se traînant sur les mains par un couloir étroit que l’on venait de creuser, dans le réduit le plus proche, où il se coucha sur un lit garni d’un mauvais matelas et d’un vieux manteau, en guise de couverture… »107. Il y a donc deux manteaux en jeu, la paenula, manteau à capuche utilisé souvent pour voyager, et le pallium, le manteau grec qui sert ici à couvrir. L’abondance des détails ajoute à l’aspect sordide, mais facile à imaginer, de la fuite honteuse de l’empereur. Les vêtements contribuent à dégrader l’image du prince, incapable de mourir dignement, incapable d’accepter son destin et de s’ôter la vie. Acculé par l’arrivée de cavaliers, « il s’enfonça le fer dans la gorge, avec l’aide d’Epaphrodite, son maître des requêtes. Il respirait encore, lorsqu’un centurion arriva précipitamment, et feignant d’être venu à son secours, appliqua son manteau sur la blessure (et paenula ad uulnus adposita) ; Néron lui dit simplement : “C’est trop tard” et “Voilà bien la fidélité !” »108. C’est donc par l’intermédiaire de la paenula que, sous couvert d’aide, Néron expire : le manteau masque et sert l’action du centurion. Il ne peut y avoir de contraste plus grand entre d’un côté ses habits et le pallium piteux de sa fin, et de l’autre les couvertures blanches brodées d’or qui enveloppent son corps lors des funérailles109. Mais l’histoire de la mort de Néron entrelacée avec les détails vestimentaires ne s’arrête pas là : ainsi quelques paragraphes plus loin, Suétone précise que la plèbe se coiffa le jour de la mort de Néron d’un pileus (sorte de bonnet phrygien coiffant l’affranchi), exprimant ainsi sa joie d’avoir été « affranchie », libérée d’un tel prince110. La réaction n’est pourtant pas unanime, puisque, juste après, l’auteur rapporte que d’autres au contraire le vénérèrent en passant par d’autres attributs vestimentaires destinés à son image : « il se trouva des gens qui, pendant de longues années, ornèrent son tombeau de fleurs, au printemps et en été, et qui exposèrent à la tribune aux harangues tantôt ses images vêtues de la prétexte (imagines praetextatas)… »111. Revêtir une statue, une image d’un vêtement n’est nullement curieux en soi ; ce qui étonne, c’est qu’il s’agisse de l’image de Néron après sa mort.
30Les vêtements permettent donc certains gestes et attitudes normés où ils sont précisément des vecteurs de rhétorique contextualisée.
Des transgressions : inconvenances, déguisements et travestissements
31Les empereurs peuvent intervenir sur l’utilisation de certains types de vêtements, notamment en édictant des lois somptuaires. Certains d’entre eux transgressent les normes vestimentaires, ce qui apparaissait déjà dans leur habitus. Ces formes d’inconvenance les rendent indignes de leurs tâches.
32Tibère « renonça même à ses exercices habituels d’équitation et d’escrime, et, quittant le costume romain, se contenta du manteau et des sandales grecs (redegitque se deposito patrio habitu ad pallium et crepidas) ; il resta près de deux ans dans une telle situation, inspirant de jour en jour plus de mépris et plus de haine, si bien que les habitants de Nîmes abattirent ses portraits et ses statues, et qu’un jour, son nom ayant été mentionné dans un repas intime, il se trouva quelqu’un pour promettre à Gaius de s’embarquer à l’instant pour Rhodes, s’il en donnait l’ordre, et de lui rapporter la tête de l’exilé… »112. Comme l’expliquent Catherine Baroin et Emmanuelle Valette-Cagnac113, le problème n’est pas tant de revêtir les habits « grecs » de l’otium à Rhodes que de le faire pendant une si longue durée. J’ai souligné ailleurs114 que Tibère essaie de se métamorphoser en personne inoffensive pour prouver à Auguste qu’il ne complote pas contre lui ; il se « démilitarise », abandonne tous les signes relevant de l’éducation militaire du Romain. Mais en se conduisant ainsi, il joue son image au propre comme au figuré ; l’inconvenance de sa tenue et de son attitude incite à l’effacer ; il est indigne d’exister comme Romain. Bien sûr, la suite logique est qu’il rentre dans le rang, retrouve l’habit romain, au même titre qu’il réintègre la cité de Rome.
33L’inconvenance de vêtements caractérise Caligula, on l’a vu ; or, même quand il utilise les vêtements à bon escient, il arrive à paraître ridicule, comme le prouve l’anecdote où il s’empêtre dans sa toge et tombe aux yeux de tous dans l’amphithéâtre115 : il se ridiculise par son attitude indigne. Ne pas savoir marcher avec la toge est indigne d’un citoyen, encore plus d’un empereur. L’inconvenance de vêtements peut encore être due à leur utilisation déplacée dans certains lieux et circonstances : Claude préside palliolatus un combat de gladiateurs en mémoire de Drusus ; pour expliquer cette nouvelle coutume (nouo more), Suétone invoque des raisons de santé116. Ailleurs, ce même empereur, un peu simplet, est victime d’une farce cruelle : « Ils se plaisaient aussi, quand il ronflait, à lui mettre aux mains des chaussures de femme, pour qu’il s’en frotta la figure, quand il se réveillait en sursaut »117. Il s’agit davantage d’une blague de mauvais goût mise en œuvre à son insu que d’un réel travestissement : la farce opère parce que c’est à son insu, et que les chaussures ne sont pas seulement inadéquates, elles ne sont pas non plus placées au bon endroit. Le ridicule de la situation n’en est que plus risible. Néron, lui, choisit volontairement de porter des tenues décalées : ainsi, c’est en vainqueur de jeux sacrés qu’il rentre de Grèce à Naples ; et sa tenue « triomphale » à Rome laisse à désirer, puisqu’il mêle le triomphe militaire en empruntant le char triomphal d’Auguste à la victoire de jeux grecs en portant, sur un habit pourpre, une chlamyde ornée d’étoiles dorées, sur la tête la couronne olympique et dans la main la pythique118. Le clinquant de sa tenue ne pouvait manquer de frapper les Romains. De plus, les habits de Néron trahissent ses excès et formulent l’inconvenance, comme les tâches que comportaient ses vêtements dès qu’il allait en litière avec sa mère Agrippine : celles-ci étaient la preuve de l’inceste, la mémoire de la souillure119.
34Les transgressions vestimentaires des empereurs sont aussi le fait des déguisements dont ils s’affublent sciemment et de travestissements. Il peut s’agir de transformations ethniques, comme celle de Tibère en habits grecs. Dans le même registre, lors du spectacle que Caligula organisa autour d’un pont entre Baïes et Pouzzoles, pont « déguisé » en voie Appienne, l’empereur joue au général grec : « Pendant deux jours de suite il ne cessa d’aller et de venir sur ce pont : le premier jour, monté sur un cheval richement harnaché, il se signalait par une couronne de chêne, un petit bouclier, un glaive et une chlamyde brochée d’or (aureaque chlamyde) ; le lendemain vêtu comme un cocher de quadrige (postridie quadrigario habitu), il conduisait un char attelé de deux chevaux célèbres que précédait ostensiblement le jeune Darius, l’un des otages parthes, et que suivaient une troupe de prétoriens, puis des voitures transportant la foule de ses amis »120. Caligula se transforme en Grec comme l’atteste notamment le port de la chlamyde, puis en « triomphateur » de jeux ; dans les deux cas, les tenues sont inappropriées. Le but est de trouver la gloire en déjouant peut-être un présage et en rivalisant avec Xerxès.
35Le déguisement peut aussi être une ruse, en particulier dans un contexte militaire. Ainsi, dans le cas de César affublé en Gaulois : « Au contraire, à la nouvelle qu’un de ses camps était assiégé, en Germanie, il franchit les postes ennemis, déguisé en Gaulois, et parvint jusqu’aux siens »121. Aucun détail vestimentaire n’est donné, mais on imagine aisément des braies.
36Le déguisement peut également servir à cacher des excès, comme dans le cas de Caligula : « il… courait la nuit à la débauche et à l’adultère, coiffé d’une perruque et dissimulé sous un long manteau… »122. Néron, grâce au port d’un chapeau (pileus ou galerus), se déguise la nuit en bandit et attaque des Romains123. Il se déguise aussi volontairement en animal sauvage : « Personnellement, il prostitua sa pudeur à un tel point qu’après avoir souillé presque toutes les parties de son corps, il imagina enfin cette nouvelle sorte de jeu : vêtu d’une peau de bête féroce, il s’élançait d’une cage, se précipitait sur les parties naturelles d’hommes et de femmes liés à un poteau, puis après avoir assouvi sa lubricité, se livrait, pour finir, à son affranchi Doryphore ; il se fit même épouser par cet affranchi, comme il avait épousé Sporus, allant jusqu’à imiter les cris et les gémissements des vierges auxquelles on fait violence »124. Le comportement licencieux de Néron fait qu’il passe d’un déguisement improbable à un travestissement tout aussi improbable, celui de la vierge épousée125. Sa vie n’est qu’un jeu de rôle perpétuel, la « réalité » s’étant estompée. On sait ainsi que Néron imita Hercule en essayant de rejouer le combat contre le lion de Némée126. Le princeps n’est pas à proprement déguisé, mais il est bien armé d’une massue. D’autres déguisements d’empereurs en divinité sont rapportés par Suétone. Le bel Auguste habillé en Apollon provoque la colère du peuple : « On parla beaucoup aussi d’un dîner secret donné par Auguste et que tout le monde appelait le festin des “douze dieux” ; les convives y parurent, en effet, travestis en dieux ou en déesses, et Auguste lui-même, déguisé en Apollon, à ce que leur reprochent non seulement les lettres d’Antoine, qui énumère tous leurs noms avec une cruelle ironie, mais encore ces vers anonymes et bien connus : Dès que cette tablée sacrilège eut embauché le maître du chœur, Et que Mallia vit six dieux et six déesses, Quand César, dans son impiété, osa parodier Phébus, Quand il régla ses convives des nouveaux adultères des dieux, Alors toutes les divinités s’éloignèrent de ce monde, Jupiter lui-même s’enfuit loin de son trône doré »127. L’accusation et la condamnation sont bien sûr portées par Marc Antoine, l’ennemi juré d’Octave. Le dîner et les déguisements sont traités comme des sacrilèges, des offenses faites aux dieux. Qu’Octave ait choisi d’incarner Apollon ne peut guère nous étonner. C’est d’ailleurs ainsi qu’il était apparu dans un songe à son père lors de sa naissance, en Phoebus doté des attributs de Jupiter : « Et même, dès la nuit suivante, Octavius crut voir son fils, doué d’une grandeur surhumaine, portant le foudre, le sceptre et les attributs de Jupiter Très-Bon et Très Grand, ainsi qu’une couronne de rayons, sur un char couvert de lauriers que traînaient douze chevaux d’une éclatante blancheur »128. L’habitus de Caligula, on l’a vu, inclut aussi des déguisements en divinités ; en fait, tout le récit de Suétone démontre que l’empereur se prend pour une divinité et rivalise sans cesse avec Jupiter129. Quant à Néron, il reste dans le cadre théâtral ; il joue les divinités dans les tragédies : « Il figura aussi dans des rôles tragiques de héros et de dieux, d’héroïnes et de déesses, sous des masques reproduisant ses propres traits ou ceux des femmes qui eurent tour à tour sa faveur »130. On voit qu’avec ce prince, le déguisement est encore associé au travestissement. La statue de Néron est, elle, déguisée par la vindicte populaire en Apollon citharède ou en femme131.
37Les inconvenances vestimentaires ne caractérisent pas seulement les empereurs ; ces derniers peuvent aussi forcer d’autres personnes à adopter des attitudes indignes de Romains.
38Ainsi, Caligula déploie sa cruauté et son mépris envers les sénateurs en les faisant courir en toge : « non moins irrespectueux et cruel envers les sénateurs, il laissa quelques-uns d’entre eux, qui avaient exercé les plus hautes magistratures, courir en toge à côté de son char sur plusieurs milliers de pas, et rester debout pendant qu’il dînait, soit près du dossier de son lit, soit à ses pieds, un tablier à la ceinture »132. Le fameux pas du sénateur, rendu obligatoire par le port de la toge, est plus qu’accéléré. Comment était-il possible de courir ? Il n’est même plus question de dignité. On imagine aisément le débraillé de la toge. Quant aux sénateurs assis à ses pieds lors des dîners, ils sont assimilés à des esclaves ramassant probablement les déchets jetés. De plus, Caligula invite ses officiers à dîner avec lui en cuirasse (loricatos) lors d’une parodie de bataille militaire, prouvant ainsi sa folie133. Caligula, dans la même parodie de bataille et victoire militaires, « ordonna de ramasser des coquillages, d’en remplir les casques et les vêtements (galeasque et sinus) : ce sont là, dit-il, des dépouilles (spolia) de l’Océan, que nous devons au Capitole et au Palatium »134. Le sinus désigne ici des plis d’autres vêtements que la toge, probablement la tunique qui a dû être retroussée pour maintenir les coquillages. L’usage des vêtements est alors dévoyé puisqu’ils servent de réceptacle. Le déguisement des Gaulois en Germains relève encore de la folie de Caligula et s’inscrit à la fin de cette « bataille » : « Il se mit ensuite à s’occuper de son triomphe :... il fit aussi choisir dans les Gaules et réserver pour le cortège tous les hommes les plus grands et, suivant sa propre expression “les plus dignes d’un triomphe”, dont certains appartenaient à la noblesse du pays, puis il les obligea non seulement à teindre en rouge et à laisser tomber leur chevelure (non tamtum rutilare et summittere comam), mais encore à étudier la langue des Germains et à prendre des noms barbares »135. Pour « jouer » un barbare, rien ne vaut mieux qu’un autre « barbare », même s’il n’est pas de la même ethnie et qu’il n’a pas le même habitus : c’est l’allure et la couleur de la chevelure qui construisent avec la langue le Germain. Même si les Gaulois sont romanisés depuis un certain temps à l’époque de Caligula, ils n’en restent pas moins des « barbares » — souvenir dont joue sciemment l’empereur. L’entreprise semble donc vouée à l’échec, car il est difficile d’imaginer la crème des « Gaulois » en Germains ; en quelque sorte, il n’y a pas plus de « Gaulois » que de « Germains » ; la catégorie du barbare n’est qu’une construction mensongère, une forgerie136.
39Certaines fois, les hommes sont « déguisés » en bêtes. Ainsi Caligula transforme, par quelques artifices tels que des bandelettes, un homme en animal sacrificiel137 et il inverse les rôles en confondant le sacrificateur avec la victime, puis en jouant lui-même le rôle du popa, de l’esclave qui abat l’animal138. Aussi n’est-ce pas étonnant que sa mort soit annoncée par le sacrifice d’un bovidé à Jupiter et que son assassinat parodie en partie un tel sacrifice.
40Quand ce ne sont pas les empereurs eux-mêmes qui portent des tenues inconvenantes ou qui les dictent à des hommes, ce sont celles des petites-filles et des femmes qui sont mentionnées, certes rarement, mais toujours dans le dessein de stigmatiser le comportement des empereurs. L’attitude incohérente de Claude transparaît dans son rejet de Claudia : bien que l’empereur l’ait reconnue auparavant comme sa fille, il la fit exposer nue au moment de son divorce avec Urgulanilla. La nudité va alors de pair avec l’exposition139. Dans d’autres histoires, ce qui est noté, c’est quand le vêtement ou son absence pose problème, est contraire aux bonnes mœurs et à la qualité principale que doit posséder la matrone, le pudor. Ainsi l’immoralité dont est accusée Auguste remonte à sa jeunesse alors qu’il n’était qu’Octavien ; elle se manifeste, entre autres, par trois anecdotes ; la première et la troisième nous intéressent particulièrement : « M. Antoine lui a reproché, outre son mariage précipité avec Livie, d’avoir, sous les yeux du mari, fait sortir de table pour la conduire dans sa chambre la femme d’un consulaire, qu’il ramena ensuite à sa place avec les oreilles rouges et la chevelure en désordre ; d’avoir renvoyé Scribonia, parce qu’elle avait déploré avec trop de franchise qu’un homme sans mœurs eût un pouvoir excessif ; de s’être procuré des femmes par l’intermédiaire de ses amis, qui faisaient dévêtir, pour les examiner, des mères de famille et des jeunes filles adultes, soi-disant mises en vente par le marchand d’esclaves Toranius »140. Le désordre de la chevelure de la matrone accompagné d’un rougissement des oreilles trahit l’activité secrète dans le cubiculum. En fait, le pudor de la matrone est présent, mais a été dévoyé, et le coupable est Octave. La troisième histoire est à double tranchant : ce sont les amis d’Octavien qui sélectionnent et recrutent, pour ainsi dire, ses maîtresses ; ce sont eux qui traitent les épouses comme des esclaves en les faisant dénuder et en inventant un prétexte ; mais Octavien ne peut être dupe de la tricherie et en est doublement complice. On est loin de l’image habituelle de l’empereur modèle, restaurateur des bonnes mœurs. Dans la vie de Tibère, c’est la nudité des puellae, qui a pour cadre des banquets servis par un citoyen romain connu pour ses mauvaises mœurs, puisqu’il avait été noté d’infamie par Auguste, qui attire l’empereur141. Le penchant libidineux de Tibère est confirmé à Caprée quand il transforme les puellae en nymphes dans des grottes, qui sont accompagnées de Panisques : il aime organiser des tableaux vivants pour stimuler son désir sexuel142. Pour Caligula et Néron, mauvais empereurs par excellence, déguiser ou travestir les femmes ne pose pas de problèmes. Ainsi Caesonia apparaît, selon le bon vouloir de Caligula, soit en soldat grec, soit entièrement nue : « Caesonia... était perdue de débauche et de vices : il eut pour elle une passion si ardente et si durable que souvent il la présenta à ses soldats chevauchant à ses côtés avec une chlamyde, un bouclier et un casque, même toute nue à ses amis »143. Caligula exhibe son trophée. Il faut mettre ce passage en parallèle avec celui où il est question du propre déguisement de l’empereur en général grec (voir supra).
41Quand Néron fait couper les cheveux de ses concubines, ce n’est pas pour les travestir en hommes, mais les déguiser en femmes guerrières ; bien sûr la référence est grecque ; cet épisode s’inscrit au début de l’insurrection menée par Iulius Vindex dans les Gaules, quand Néron décide d’aller reconquérir la province, décision qui ne dépasse pas le temps des préparatifs : « Son premier soin, en préparant son expédition, fut de choisir des chariots pour transporter ses orgues de théâtre, de faire tondre comme des hommes celles de ses concubines qu’il voulait emmener avec lui, de les armer, comme des Amazones, de haches et de boucliers »144. Comme je l’ai écrit ailleurs145, les femmes sont traitées comme des images de théâtre, des personnages jouant à être des guerrières mythiques.
42Mais les inconvenances vestimentaires non dictées par les empereurs sont durement condamnées. Dans la vie de César, Suétone narre le sacrilège de Clodius, à savoir sa participation aux rites des matrones célébrés pour Bona Dea : pour y accéder, il a revêtu des habits de femme146. La conséquence de cette histoire est que César répudie sa femme.
43Une anecdote dans la vie d’Auguste concerne une femme travestie en puer : « Quant aux histrions, il réprima impitoyablement leurs désordres : ainsi, ayant appris qu’un acteur de pièces romaines, appelé Stéphanion, se faisait servir à table par une matrone ayant les cheveux coupés à la façon des jeunes garçons, il le fit battre de verges dans trois théâtres, puis le relégua »147. La mulier n’est pas une puella, mais elle est présentée comme un puer, à savoir un esclave masculin, et ceci transparaît dans sa chevelure. Avoir les cheveux coupés est immoral, indigne d’une matrone romaine148. Mais nous sommes dans un contexte par définition immoral puisque dans l’univers des hommes de théâtre.
44Les transgressions vestimentaires sont à condamner : elles participent dans le récit à l’énonciation des multiples vices des empereurs qui s’étendent à leur entourage.
Conclusion
45L’analyse interne que j’ai proposée du texte de Suétone m’a permis de mettre en évidence les nombreux usages que font les Romains et les empereurs du vêtement. Que les histoires racontées par Suétone soient véridiques ou non, peu m’importe. Elles sont plausibles, parce qu’elles témoignent au moins des codages et décodages possibles des vêtements à l’époque d’Hadrien. L’auteur utilise les vêtements et parures du corps à son propre profit, afin de construire ou nuancer les portraits de César et des empereurs julio-claudiens en « bons empereurs » ou en tyrans149. En bref, César est brave, tout en acceptant sa part de féminité ; Auguste, après quelques erreurs de jeunesse, se présente comme un modèle de vertu, respectueux des mores ; Tibère a un problème avec les vêtements : soit ils brûlent, soit ils sont grecs ; Caligula se sert des vêtements pour se cacher, ou pour rivaliser avec les dieux, leurs statues, notamment celle de Jupiter ; il les utilise aussi pour tourner en ridicule ses contemporains ; Claude est incohérent ; Néron met en scène ses vêtements comme sa chevelure : quand il n’incarne pas le citharède, il mime Hercule, se déguise en bête sauvage ou se travestit. Aussi les vêtements et leurs usages normés ou transgressés se répondent-ils d’une vie à une autre, établissant un filigrane cohérent. Le texte est-il nu ou orné150 ? Je laisserai aux littéraires la réponse.
Notes de bas de page
1 J’aimerais remercier Nicole Belayche et Florence Gherchanoc pour leur lecture attentive et leurs remarques judicieuses.
2 Florence Gherchanoc, Valérie Huet, « S’habiller et se déshabiller en Grèce et à Rome (I). Pratiques politiques et culturelles du vêtement. Essai historiographique », Revue Historique n° 641, janvier 2007, p. 3-30.
3 Ibid., p. 4.
4 Pierre Cordier, Nudités romaines. Un problème d’histoire et d’anthropologie, Paris, 2005.
5 Catherine Baroin, Emmanuelle Valette-Cagnac, « Quand les Romains s’habillaient à la grecque ou les divers usages du pallium », Revue Historique n° 643, juillet 2007, p. 517-551.
6 Voir notamment Catharine Edwards, The Politics of Immorality in Ancient Rome, Cambridge, 1993 ; Florence Dupont, Thierry Eloi, L’érotisme masculin dans la Rome antique, Paris, 2001, particulièrement p. 285-323.
7 Voir par exemple Agnès Molinier-Arbo, « Imperium in virtute esse non in decore. Le discours sur le costume dans l’Histoire Auguste », dans François Chausson, Hervé Inglebert (éd.), Costume et société dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge, Paris, 2003, p. 67-84 ; Jean-Pierre Callu, « L’habit et l’ordre social : le témoignage de l’Histoire Auguste », dans Jean-Michel Carrié (éd.), Tissus et vêtements dans l’Antiquité tardive, Antiquité tardive 12, 2004, p. 187-194 ; Mary Harlow, « Dress in the Historia Augusta : the Role of Dress in historical Narrative », dans Liza Cleland, Mary Harlow, Lloyd Llewellyn-Jones (éd.), The Clothed Body in the Ancient World, Oxford, 2005, p. 143-153. Sur la construction biographique de Suétone, lire Eugen Cisek, Structures et idéologie dans « Les vies des douze Césars » de Suétone, Paris, 1977 ; Jacques Gascou, Suétone historien, Rome, 1984 ; Andrew Wallace-Hadrill, Suetonius, Bristol, 19952 ; Régis Martin, Les douze Césars. Du mythe à la réalité, Paris, 20072.
8 J’utilise dans l’ensemble de l’article la traduction que donne Henri Ailloud dans la « CUF ». Suétone, César XLV, 5 : Etiam cultu notabilem ferunt: usum enim lato clauo ad manus fimbriato nec umquam aliter quam ut super eum cingeretur, et quidem fluxiore cinctura ; unde emanasse Sullae dictum optimates saepius admonentis, « ut male praecinctum puerum cauerent ».
9 Voir Florence Dupont, Thierry Eloi, L’érotisme, op. cit., p. 286-292. Sur la mollitia, se référer aussi à Catharine Edwards, The Politics of Immorality, op. cit., p. 63-97. Cf. infra.
10 Suétone, Auguste LXXIII, 2-3 : Veste non temere alia quam domestica usus est, ab sorore et uxore et filia neptibusque confecta; togis neque restrictis neque fusis, clauo nec lato nec angusto, calciamentis altiusculis, ut procerior quam erat uideretur. Et forensia autem et calceos numquam non intra cubiculum habuit ad subitos repentinosque casus parata.
11 On retrouve cette prévoyance dans son habitude de faire la sieste tout habillé, prompt à reprendre son travail dès son achèvement. Cf. ibid. LXXVIII, 1 : « Après le repas de midi, sans quitter ses vêtements ou ses chaussures ni se couvrir les pieds, il faisait une courte sieste, en tenant sa main sur ses yeux » (Post cibum meridianum, ita ut uestitus calciatusque erat, retectis pedibus paulisper conquiescebat opposita ad oculos manu).
12 Ibid. LXIV, 4 : Filiam et neptes ita instituit, ut etiam lanificio assuefaceret...
13 Ibid. LXXXII, 1-2 : Hieme quaternis cum pingui toga tunicis et subucula et thorace laneo et feminalibus et titialibus muniebatur, aestate apertis cubiculi foribus ac saepe in peristylo saliente aqua atque etiam uentilante aliquo cubabat. Solis uero ne hiberni quidem patiens, domi quoque non nisi petasatus sub diuo spatiabatur.
14 Ainsi, au moment où Auguste réduit le sénat, il ne s’entoure pas seulement de sénateurs costauds, mais il porte sous sa toge une cuirasse ainsi qu’un glaive à la ceinture : Suétone, Auguste XXXV, 1. Cette situation est cependant exceptionnelle.
15 Ibid. LXXXIII, 1 :... mox nihil aliud quam uectabatur et deambulabat, ita ut in extremis spatiis subsultim decurreret ‡ sestertio uel lodicula inuolutus.
16 Son cognomen lui-même dérive des caligae, bottines de soldat : Suétone, Caligula IX, 1.
17 Ibid. LII : Vestitu calciatuque et cetero habitu neque patrio neque ciuili, ac ne uirili quidem ac denique humano semper usus est. Saepe depictas gemmatasque indutus paenulas, manuleatus et armillatus in publicum processit, aliquando sericatus et cycladatus, ac modo in crepidis uel coturnis, modo in speculatoria caliga, nonnumquam socco muliebri; plerumque uero aurea barba, fulmen tenens aut fuscinam aut caduceum deorum insignia, atque etiam Veneris cultu conspectus est. Triumphalem quidem ornatum etiam ante expeditionem assidue gestauit, interdum et Magni Alexandri thoracem repetitum e conditorio eius. Voir l’analyse de Florence Dupont, Thierry Eloi, L’érotisme, op. cit. (n. 6), p. 315-317 : il faut néanmoins restituer à Tibère sa tenue grecque à Rhodes (voir infra) et non l’attribuer comme l’ont fait les auteurs à Caligula.
18 Auguste avait au contraire honoré Alexandre en le couronnant et en le couvrant de fleurs : Suétone, Auguste XVIII, 1.
19 Suétone, Caligula XLIII-XLVII.
20 Ibid. XXII : In templo simulacrum stabat aureum iconicum amiciebaturque cotidie ueste, quali ipse uteretur. Sur ce passage, voir Valérie Huet, « Spolia in re, spolia in se et damnatio memoriae : les statues et les empereurs julio-claudiens chez Suétone ou de véritables jeux de “têtes” », dans Stéphane Benoist, Anne Daguet-Gagey (éd.), Un discours en images de la condamnation de mémoire, Metz, 2008, p. 173-211.
21 Suétone, Néron LI, 2 : circa cultum habitumque adeo pudendus, ut comam semper in gradus formatam peregrinatione Achaica etiam pone uerticem summiserit ac plerumque synthesinam indutus ligato circum collum sudario prodierit in publicum sine cinctu et discalciatus. Voir l’analyse de Florence Dupont, Thierry Eloi, L’érotisme, op. cit., p. 314-315.
22 Suétone, Néron XXII, 5-6.
23 Ibid. XXV, 4 : Sacras coronas in cubiculis circum lectos posuit, item statuas suas citharoedico habitu, qua nota etiam nummum percussit. Sur la première couronne de citharède qu’il reçut et qu’il fit porter devant la statue d’Auguste, cf. ibid. XII, 8. Voir Valérie Huet, « Spolia », art. cit.
24 Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré latin français, Paris, 1934, p. 1534. Notons que la seule référence citée est précisément ce passage.
25 Celle-ci ne peut guère nous étonner, notamment quand on met en parallèle la transformation qu’opèra Néron d’une grande partie de l’espace urbain de Rome en sa domus aurea, dont l’architecture rappellait davantage une villa.
26 Suétone, Néron XXX, 7 : Nullam uestem bis induit.
27 Je ne propose pas ici un inventaire des habits mentionnés par Suétone.
28 Ainsi César n’hésite pas à nager, le paludamentum entre les dents lors d’une attaque d’un pont à Alexandrie pour ne pas laisser ce signe comme spolia aux ennemis (Suétone, César LXIV) ; Dion Cassius en présente une version très différente, puisque la couleur pourpre de son vêtement le désigne comme cible ce qui l’oblige à abandonner son paludamentum ; celui-ci est aussitôt saisi par les Égyptiens qui l’accrochèrent au trophée comme symbole de victoire sur César : XLII, 40. Auguste, lors de sa première bataille, prend la fuite et perd et son paludamentum et son cheval (Suétone, Auguste X, 6). Claude ne risque pas de perdre son paludamentum, puisqu’il le met quand il assiste à la représentation qu’il donna au Champ de Mars de la prise et du pillage d’une ville (Suétone, Claude XXI, 11).
29 Ainsi que les sandales : lire Catherine Baroin, Emmanuelle Valette-Cagnac, « Quand les Romains s’habillaient à la grecque... », art. cit. Tibère est par excellence l’empereur qui vit dans sa jeunesse dangereusement, puisqu’il troque à Rhodes les vêtements romains pour des habits grecs (ibid., Tibère XIII, 1 ; voir infra) et qu’il reçoit en Sicile une chlamyde (voir infra, note 44). Voir aussi Valérie Huet, « Spolia », art. cit.
30 Suétone, César I, 1 ; Suétone, Auguste LVI, 4 ; ibid. XCIV, 12-13 ; Suétone, Caligula X, 2 ; ibid. XIV, 1 ; ibid. XXIV, 2 ; Suétone, Claude XXXV, 2.
31 Suétone, César XVI, 2, voir infra.
32 Ibid., Tibère XVII, 5 ; Suétone, Claude XVII, 6.
33 Suétone, Auguste VIII, 1-2.
34 Suétone, Caligula X, 3. La coupe de la première barbe est très importante à Rome. Néron théâtralise le rite de passage en utilisant la pompa d’une hécatombe (cent bovidés sacrifiés) et en enfermant sa barbe dans une pyxide d’or qu’il consacre au Capitole : Suétone, Néron XII, 9.
35 Suétone, Claude XLIII, 2.
36 Voir Suétone, Auguste XXXVIII, 2 ; ibid. LXVI, 9 : die uirilis togae; Suétone, Tibère VII, 1: uirili toga sumpta; Suétone, Caligula XV, 4 : die uirilis togae; Suétone, Claude II, 5 : togae uirilis die.
37 Suétone, César LXXX, 3 : Peregrinis in senatum allectis libellus propositus est: «Bonum factum! Ne quis senatori nouo curiam monstrare uelit» et illa uulgo canebantur: Gallos Caesar in triumphum ducit, idem in curiam; Galli bracas deposuerunt, latum clauum sumpserunt.
38 Ibid. LXXVI, 5.
39 Suétone, Auguste XXXVIII, 2.
40 Ibid. XXXV, 3 : Quosdam ad excusandi se uerecundiam compulit seruauitque etiam excusatis insigne uestis et spectandi in orchestra epulandique publice ius.
41 Suétone, Claude XXIV, 1-3.
42 Le don de vêtements probablement le plus fameux est celui d’Auguste aux passagers et matelots d’un navire d’Alexandrie : Suétone, Auguste XCVIII, 1 : « Puis, les jours qui suivirent, il leur distribua encore, outre divers menus présents, des toges et des manteaux grecs, à condition que les Romains adopteraient le costume et le langage des Grecs, tandis que ceux-ci feraient l’inverse (Sed et ceteros continuos dies inter varia munuscula togas insuper ac pallia distribuit, lege proposita ut Romani Graeco, Graeci Romano habitu et sermone uterentur)» ; voir à ce propos, l’excellent commentaire de Catherine Baroin, Emmanuelle Calette-Cagnac, « Quand les Romains s’habillaient à la grecque... », art. cit., p. 543 : elles insistent sur le fait qu’on ne peut cumuler deux citoyennetés. Un autre don de vêtements est mentionné à propos de Caligula (Suétone, Caligula XVII, 4) : il offre des habits aux hommes et des bandelettes pourpres aux femmes et enfants lors d’un banquet.
43 La place accordée dans le texte de Suétone aux couronnes et aux bijoux est très importante ; mais elle devrait faire l’objet d’un article en soi. Voir, par exemple, Suétone, César XXXIX, 3 ; Suétone, Auguste XXV, 3, XLIII, 6 et XLV, 4. La vie de Néron est truffée de couronnes.
44 Suétone, Tibère VI, 3 : « On a conservé et l’on montre encore à Baïes les cadeaux que lui fit en Sicile Pompéia, sœur de Sextus Pompée, une chlamyde, une agrafe, ainsi que des bulles d’or (Pompei sorore in Sicilia donatus est, chlamys et fibula, item bullae aurae, durant ostendunturque adhuc Bais) ».
45 Suétone, César XLV, 3-4 : Circa corporis curam morosior, ut non solum tonderetur diligenter ac raderetur, sed uelleretur etiam, ut quidam exprobauerunt, caluitii uero deformitatem iniquissime ferret saepe obtrectatorum iocis obnoxiam expertus. Ideoque et deficientem capillum reuocare a uertice adsueuerat et ex omnibus decretis sibi a senatu populoque honoribus non aliud aut recepit aut usurpauit libentius quam ius laureae coronae perpetuo gestandae. « Le chauve » désigne César : cf. ibid. LI : « Citadins, surveillez vos femmes : nous amenons un adultère chauve (Vrbani, seruate uxores : moechum caluem adducimus) ».
46 Je ne citerai pas ici les fréquentes mentions : cf. par ex. Suétone, Auguste XXXVIII, 1 ; Suétone, Tibère XX, 1 ; Suétone, Claude XVII, 6.
47 Parmi les exemples, voir Suétone, Néron XX, 6. Cf. infra.
48 Suétone, Auguste XL, 8 : Etiam habitum uestitumque pristinum reducere studuit, ac uisa quondam pro contione pullatorum turba indignabundus et clamitans: «en Romanos, rerum dominos gentemque togatam!» negotium aedilibus dedit, ne quem posthac paterentur in foro circaue nisi positis lacernis togatum consistere. Cf. Virgile, Énéide I, 282.
49 Pierre Cordier (Nudités..., op. cit., p. 87-88) a raison d’insister sur la teinte, mais il l’interprète comme le signe extérieur de la plèbe urbaine, plèbe qu’Auguste aurait voulu chasser du forum. J’y vois plutôt une référence au deuil. Cf. John Scheid, « Contraria facere: renversements et déplacements dans les rites funéraires », AION 5, 1984, p. 127-139.
50 Suétone, Auguste XLIV, 3 : Maritis e plebe proprios ordines assignauit, praetextatis cuneum suum, et proximum paedagogis, sanxitque ne quis pullatorum media cauea sederet.
51 Ibid. XXXIV, 1.
52 Suétone, César XLIII, 2 : Lecticarum usum, item conchyliatae uestis et margaritarum nisi certis personis et aetatibus perque certos dies ademit.
53 Ibid. XLIX, 7 : « Et Cicéron ne se borna pas à écrire dans certaines de ses lettres que des gardes le conduisirent dans la chambre du roi [Nicomède], qu’il s’y coucha dans un lit d’or, revêtu de pourpre, et qu’un descendant de Vénus souilla en Bithynie la fleur de sa jeunesse... (Cicero uero, non contentus in quibusdam epistulis scripsisse a satellitibus eum in cubiculum regium eductum in aureo lecto ueste purpurea decubuisse floremque aetatis a Venere orti in Bithynia contaminatum...) ».
54 Voir Valérie Huet, « Spolia », art. cit. (n. 20).
55 Suétone, Néron XXXII, 4-5.
56 Suétone, Tibère LVIII, 3. Cf. Valérie Huet, « Spolia », art. cit.
57 Suétone, César XVI, 2 : Ac nihilo minus permanere in magistratu et ius dicere ausus, ut comperit paratos, qui ui ac per arma prohiberent, dimissis lictoribus abiectaque praetexta domum clam refugit pro condicione temporum quieturus.
58 Suétone, Auguste LX :... ac saepe regnis relictis non Romae modo sed et prouincias peragranti cotidiana officia togati ac sine regio insigni more clientium praestiterunt.
59 John Scheid, « Contraria facere », art. cit. ; Nicole Belayche, « La neuvaine funéraire à Rome ou la mort impossible », dans François Hinard (éd.), La mort au quotidien dans le monde romain, Actes du colloque de l’université Paris IV (7-9 oct. 1993), Paris, 1995, p. 155-169 ; voir aussi l’article de Michel Blonski dans le présent ouvrage.
60 Suétone, César, LXXXIV, 1 : Funere indicto rogus exstructus est in Martio campo iuxta Iuliae tumulum et pro rostris aurata aedes ad simulacrum templi Veneris Genetricis collocata; intraque lectus eburneus auro ac purpura stratus et ad caput tropaeum cum ueste, in qua fuerat occisus.
61 Évoquer les blessures du cadavre, c’est faire appel à la vengeance : cf. Augusto Fraschetti, Rome et le prince, Paris, 1990, p. 59-65.
62 Suétone, César LXXXIV, 7 : Deinde tibicines et scaenici artifices uestem, quam ex triomphorum instrumento ad praesentem usum induerant, detractam sibi atque discissam iniecere flammae et ueteranorum militum legionarii arma sua, quibus exculti funus celebrabant; matronae etiam pleraeque ornamenta sua, quae gerebant, et liberorum bullas atque praetextas.
63 Suétone, Auguste C, 4.
64 Ibid. C, 8 : Reliquias legerunt primores equestris ordinis tunicati et discincti pedibusque nudis ac Mausoleo condiderunt.
65 Suétone, Caligula XIII, 2.
66 Suétone, César LXVII, 4 : Diligebat quoque usque adeo, ut audita clade Tituriana barbam capillumque summiserit nec ante dempserit quam uindicasset.
67 Suétone, Auguste XXIII, 4 : Adeo denique consternatum ferunt, ut per continuos menses barba capilloque summisso caput interdum foribus illideret uociferans « Quintili Vare, legiones redde! » diemque cladis quotannis maestum habuerit ac lugubrem. Par ailleurs, Auguste est présenté comme se pliant aux usages romains de la coupe de la barbe et des cheveux, mais sans y apporter d’intérêt et toujours en continuant de travailler : ibid. LXXIX, 1 ; le seul moment où Auguste se préoccupe de sa chevelure, c’est quand il se prépare à la mort : ibid. XCIX, 1.
68 Suétone, Caligula XXIV, 4.
69 Ibid. V, 3.
70 Suétone, Auguste XXIV, 5 : Centuriones statione deserta, itidem ut manipulares, capitali animaduersione puniit, pro cetero delictorum genere uariis ignominis adfecit, ut stare per totum diem iuberet ante praetorium, interdum tunicatos discinctosque, nonnunquam cum decempedis, uel etiam caespitem portantes.
71 Sur la privation d’armes, voir aussi Suétone, Caligula XLVIII, 2 ; mais dans ce cas, il s’agit d’une vengeance montrant le comportement excessif de Caligula.
72 Suétone, Tibère XXXV, 4 : Senatori latum clauum ademit, cum cognosset sub Kal. Iul. demigrasse in hortos, quo uilius post diem aedes in urbe conduceret.
73 Je signale ici la destruction par le feu qu’ordonna Tibère des vêtements et objets sacrés du culte égyptien (ibid. XXXVI, 1) ; d’après ce que l’on sait des rites égyptiens et des costumes de prêtres, il s’agissait probablement d’habits en lin. Mais pour bien analyser cet épisode, il faudrait le remettre dans le contexte des persécutions religieuses, ce qui entraînerait l’article loin de nos préoccupations vestimentaires.
74 Suétone, Caligula XXVI, 4 : Quaestorem suum in coniuratione nominatum flagellauit ueste detracta subiectaque militum pedibus, quo firme uerberaturi insisterent.
75 Ibid. XXXV, 2 : fulgore purpureae abollae. David Woods (« Caligula, Ptolemy of Mauretania, and the Danger of long Hair », Arctos 39, 2005, p. 207-214) propose une interprétation différente : en raison d’une mauvaise traduction du grec en latin, l’allusion à la belle chevelure de Ptolémée aurait été perdue ; c’est cette chevelure dont aurait été jaloux Caligula, lui qui était chauve. Je remercie Sabine Armani de m’avoir signalé cet article.
76 Suétone, Caligula XXXV, 3 : Pulchros et comatos, quotiens sibi occurerent, occipitio raso deturpabat. Erat Esius Proculus patre primipilari, ob egregiam corporis amplitudinem et speciem «Colosseros» dictus; hunc spectaculis detractum repente et in harenam deductum Thraeci et mox hoplomacho comparauit bisque uictorem constringi sine mora iussit et pannis obsitum uicatim circumduci ac mulieribus ostendi, deinde iugulari.
77 On sait par ailleurs que Caligula intervint dans les équipements des gladiateurs : il réduisit l’armure des mirmillons : ibid. LV, 5. Suétone mentionne aussi sous son règne un groupe de cinq rétiaires vêtus d’une simple tunique : ibid. XXX, 8.
78 Suétone, Claude VI, 2
79 Suétone, Auguste XXVI, 2 : Consulatum uicesimo aetatis anno inuasit, admotis hostiliter ad urbem legionibus missisque qui sibi nomine exercitus deposcerent; cum quidem cunctante senatu Cornelius centurio, princeps legationis, reiecto sagulo ostendens gladii capulum, non dubitasset in curia dicere: «Hic faciet, si uos non feceritis».
80 Suétone, César IX, 2 : Tanusius adicit Crassum paenitentia uel metu diem caedi destinatum non obisse et idcirco ne Caesarem quidem signum, quod ab eo dari conuenerat, dedisse; conuenisse autem Curio ait, ut togam de umero deiceret.
81 Suétone, Auguste LII, 2 : Dictaturam magna ui offerente populo genu nixus deiecta ab umeris toga nudo pectore deprecatus est. 82. Pierre Cordier, Nudités..., op. cit. (n. 4), p. 113.
82 Pierre Cordier, Nudités…, op. cit (n 4), p. 113.
83 Suétone, César XXXIII, 1 : Atque ita traiecto exercitu, adhibitis tribunis plebis, qui pulsi superuenerant, pro contione fidem militum flens ac ueste a pectore discissa inuocauit. Sur ce passage et la dénudation des cicatrices, voir Pierre Cordier, Nudités..., op. cit., p. 110-119.
84 Voir Catherine Baroin, « Les cicatrices ou la mémoire du corps », dans Philippe Moreau (éd.), Corps romains, Paris, 2002, p. 27-46.
85 Suétone, César XXXIII, 3 : « On croit même qu’il promit à chacun le cens des chevaliers, mais cela résulte d’une méprise. En réalité, au cours de sa harangue et de ses exhortations, il montra bien souvent l’annulaire de sa main gauche en déclarant qu’il n’hésiterait pas à se dépouiller même de son anneau pour s’acquitter envers tous ceux qui auraient contribué à la défense de son honneur, en sorte que les soldats du dernier rang, mieux placés pour voir l’orateur que pour l’entendre, lui prêtèrent les paroles qu’ils croyaient lire dans ce geste, et le bruit se répandit qu’il avait promis à chacun le droit de porter l’anneau et les quatre cent mille sesterces ».
86 Suétone, Claude XVI, 7.
87 Suétone, Néron XLII, 1 : Postquam deinde etiam Galbam et Hispanias desciuisse cognouit, conlapsus animoque male facto diu sine uoce et prope intermortuus icuit, utque resipiit, ueste discissa, capite conuerberato, «actum de se» pronuntiauit consolantique nutriculae...
88 Ibid. XLVII, 2.
89 Suétone, Claude XV, 6. Voir Pierre Cordier, Nudités..., op. cit., p. 88-89 ; Catherine Baroin, Emmanuelle Calette-Cagnac, « Quand les Romains s’habillaient à la grecque... », art. cit. (n. 5), p. 529-530. Cf. aussi en parallèle ma note 42 relative au don de vêtements d’Auguste.
90 Suétone, Claude XV, 11.
91 Suétone, Auguste XCIV, 15 : Sumenti uirilem togam tunica lati claui resuta ex utraque parte ac pedes decidit. Fuerunt qui interpretarentur, non aliud significare, quam ut is ordo cuius insigne id esset quandoque ei subiceretur.
92 Ibid. XCII, 1 : Auspicia et omina quaedam pro certissimis obseruabat: si mane sibi calceus perperam ac sinister pro dextro induceretur, ut dirum...
93 Suétone, Néron XIX, 2 : Nam cum circumitis templis in aede Vestae resedisset, consurgenti ei primum lacinia obhaesit, dein tanta oborta caligo est, ut dispecere non posset.
94 Suétone, Tibère XIV, 5 : Ante paucos uero quam reuocaretur dies aquila numquam antea Rhodi conspecta in culmine domus eius assedit; et pridie quam de reditu certior fieret, uestimenta mutanti tunica ardere uisa est. Notons que c’est seulement dans la vie de Tibère que des vêtements sont liés au feu : ainsi quand il était jeune et voyageait avec sa mère Livie, celle-ci « eut une partie de ses vêtements et sa chevelure atteintes par les flammes » (ibid. VI, 2-3). Sur ces présages, voir Annie Vigourt, Les présages impériaux d’Auguste à Domitien, Paris, 2001.
95 Suétone, César LXXIX, 2-3. À ce propos, voir Valérie Huet, « Spolia », art. cit.
96 Suétone, César XIV, 4 : Ac ne sic quidem impedire rem destitit, quoad manus equitum Romanorum, quae armata praesidii causa circumstabat, inmoderatius perseueranti necem comminata est, etiam strictos gladios usque eo intentans, ut sedentem una proximi deseruerint, uix pauci complexu togaque obiecta protexerint.
97 Ibid. LVIII, 3.
98 Suétone, Auguste XXVII, 8.
99 Ibid. XXVII, 9.
100 Ibid. XXXV, 2 : Cordus Cremutius scribit ne admissum quidem tunc quemquam senatorum nisi solum et praetemptato sinu.
101 Suétone, Claude XXXV, 2 : Reliquo autem tempore salutatoribus scrutatores semper apposuit, et quidem omnibus et acerbissimos. Sero enim ac uix remisit, ne feminae praetextatique et puellae contrectarentur...
102 Suétone, César LXXXII, 1-2 : Assidentem conspirati specie officii circumsteterunt, ilicoque Cimber Tillius, qui primas partes susceperat, quasi aliquid rogaturus propius accessit renuentique et gestu in aliud tempus differenti ab utroque umero togam adprehendit; deinde clamantem «Ista quidem uis est!» alter e Cascis auersum uulnerat paulum infra iugulum. Caesar Cascae brachium arreptum graphio traiecit conatusque prosilire alio uulnere tardatus est; utque animaduertit undique se strictis pugionibus peti, toga caput obuoluit, simul sinistra manu sinum ad ima crura deduxit, quo honestius caderet etiam inferiore corporis parte uelata.
103 Pierre Cordier, Nudités..., op. cit. (n. 4), p. 180-181.
104 Suétone, Néron XLVIII, 1 :... ut erat nudo pede atque tunicatus, paenulam obsoleti coloris superinduit adopertoque capite et ante faciem optento sudario equum inscendit...
105 Ibid. XLVIII, 3.
106 Ibid. XLVIII, 4 :... nec nisi strata sub pedibus ueste...
107 Ibid. XLVIII, 6 : Dein diuolsa sentibus paenula traiectos surculos rasit, atque ita quadripes per angustias effossae cauernae receptus in proximam cellam decubuit super lectum modica culcita, uetere pallio strato instructum...
108 Ibid. XLIX, 5-6. C’est étrangement seulement après cette longue fuite que Suétone en arrive à présenter l’aspect physique et l’habitus de Néron (voir supra).
109 Ibid. L, 1 : Funeratus est impensa ducentorum milium, stragulis albis auro intextis, quibus usus Kal. Ian. fuerat.
110 Ibid. LVII, 1 :... tantumque gaudium publice praebuit, ut plebs pilleata tota urbe discurreret.
111 Ibid. LVII, 2.
112 Suétone, Tibère XIII, 1-2.
113 Catherine Baroin, Emmanuelle Calette-Cagnac, « Quand les Romains s’habillaient à la grecque... », art. cit. (n. 5), p. 545-546.
114 . J’ai commenté ce passage à propos de la question de la damnatio memoriae : Valérie Hu e t, « Spolia », art. cit. (n. 20).
115 Suétone, Caligula XXXV, 7 :... ut calcata lacinia togae praeceps per gradus iret...
116 Suétone, Claude II, 5.
117 Ibid. VIII, 2 : Solebant et manibus stertentis socci induci, ut repente expergefactus faciem sibimet confricaret.
118 Suétone, Néron XXV, 1 :... et in ueste purpurea distinctaque stellis aureis chlamyde coronamque capite gerens Olympiacam, dextra manu Pythiam...
119 Ibid. XXVIII, 6 : Olim etiam quotiens lectica cum matre ueheretur, libidinatum inceste ac maculis uestis proditum affirmant.
120 Ibid. XIX, 2 ; voir la même histoire dans Dion Cassius, Histoire romaine LIX, 17.
121 Suétone, César LVIII, 2 : At idem, obsessione castrorum in Germania nuntiata, per stationes hostium Gallico habitu penetrauit ad suos.
122 Suétone, Caligula XI, 1 : et ganeas atque adulteria capillamento celatus et ueste longa noctibus obiret...
123 Suétone, Néron XXVI, 2.
124 Ibid. XXIX, 1 : Suam quidem pudicitiam usque adeo prostituit, ut contaminatis paene omnibus membris nouissime quasi genus lusus excogitaret, quo ferae pelle contectus emitteretur e cauea uirorumque ac feminarum ad stipatem deligatorum inguina inuaderet et, cum affatim desaeuisset, conficeretur a Doryphoro liberto; cui etiam, sicut ipsi Sporus, ita ipse denupsit, uoces quoque et heiulatus uim patientium uirginum imitatus.
125 Ce passage renvoie explicitement au traitement de Sporus par Néron (Suétone, Néron XXVIII, 3-4) : « Après avoir fait émasculer un enfant nommé Sporus, il prétendit même le métamorphoser en femme, se le fit amener avec sa dot et son voile rouge, en grand cortège, suivant le cérémonial ordinaire des mariages et le traita comme son épouse ; c’est ce qui inspira à quelqu’un cette plaisanterie assez spirituelle : “Quel bonheur pour l’humanité si Domitius son père avait pris une telle femme !” Ce Sporus, paré comme une impératrice et porté en litière, le suivit dans tous les centres judiciaires et marchés de la Grèce, puis, à Rome, Néron le promena aux Sigillaires en le couvrant de baisers à tout instant ». Le travestissement passe par une intervention physique, l’émasculation de Sporus. Mais dans la parodie de mariage (le conubium par confarreatio) et dans le couple, Néron fait l’homme et non l’épousée comme avec Doryphore. Sur ces deux passages, voir l’analyse de Florence Dupont, Thierry Eloi, L’érotisme, op. cit. (n. 6), p. 321-322. Si César est présenté comme efféminé par Suétone, il ne se travestit pas pour autant en femme ; Auguste apparaît aussi comme efféminé, entre autres parce qu’il s’épile. Mais dans les deux cas, c’est pour caractériser leur dévergondage.
126 Suétone, Néron LIII.
127 Suétone, Auguste LXX, 1 : Cena quoque eius secretior in fabulis fuit, quae uulgo δωδεκάθεος uocabatur; in qua deorum dearumque habitu discubuisse conuiuas et ipsum pro Apolline ornatum non Antoni modo epistulae singulorum nomina amarissime enumerantis exprobrant, sed et sine auctore notissimi uersus: Cum primum istorum conduxit mensa choragum, Sexque deos uidit Mallia sexque deas, Impia dum Phoebi Caesar mendacia ludit, Dum noua diuorum cenat adulteria, Omnia se a terris tunc numina declinarunt, Fugit et auratos Iuppiter ipse thronos.
128 Ibid. XCIV, 8 : Atque etiam sequenti statim nocte uidere uisus est filium mortali specie ampliorem cum fulmine et sceptro exuuiisque Iouis Optimi Maximi ac radiata corona super laureatum currum, bis senis equis candore eximio trahentibus.
129 Valérie Huet, « Spolia », art. cit. (n. 20).
130 Suétone, Néron XXI, 4 : Tragoedias quoque cantauit personatus, heroum deorumque, item heroidum ac dearum, personis effectis ad similitudinem oris sui et feminae, prout quamque diligeret.
131 Ibid XLV, 2-4. Cf. Valérie Huet, « Spolia », art. cit.
132 Suétone, Caligula XXVI, 2 : Nihilo reuerentior leniorue erga senatum, quosdam summis honoribus functos ad essedum sibi currere togatos per aliquot passuum milia et cenanti modo ad pluteum modo ad pedes stare succinctos linteo passus est.
133 Ibid. XLV, 3.
134 Ibid. XLVI.
135 Ibid. XLVII, 1.
136 Mary Beard, The Roman Triumph, Cambridge (Mass.), 2007.
137 Suétone, Caligula XXVII, 4.
138 Ibid. XXXII, 6 : « Un jour, la victime étant devant l’autel, il parut, la toge retroussée à la ceinture, dans la tenue d’un victimaire, éleva bien haut sa massue et immola le sacrificateur (Admota altaribus uictima succinctus poparum habitu elato alte malleo cultrarium mactauit.) ».
139 Suétone, Claude XXVII, 3. Suétone affirme que Claudia est en fait la fille de l’affranchi Boter.
140 Suétone, Auguste LXIX, 2 : M. Antonius super festinatas Liuiae nuptias obiecit et feminam consularem e triclinio uiri coram in cubiculum abductam, rursus in conuiuium rubentibus auriculis incomptiore capillo reductam; dimissam Scriboniam, quia liberius doluisset nimiam potentiam paelicis; condiciones quaesitas per amicos, qui matres familias et adultas aetate uirgines denudarent atque perspicerent, tanquam Toranio mangone uendente.
141 Suétone, Tibère XLII, 4.
142 Ibid. XLIII, 1-3 : « Il eut aussi l’idée de faire disposer çà et là dans les bois et bosquets des retraites consacrées à Vénus et placer dans les cavernes et dans les grottes des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe qui s’offraient au plaisir en costume de sylvains et de nymphes (Paniscorum et Nympharum habitu) ».
143 Suétone, Caligula XXV, 5 :... sed luxuriae ac lasciuiae perditae, et ardentius et constantius amauit, ut saepe chlamyde peltaque et galea ornatam ac iuxta adequitantem militibus ostenderit, amicis uero etiam nudam.
144 Suétone, Néron XLIV, 1 : In praeparanda expeditione primam curam habuit deligendi uehicula portandis scaenicis organis concubinasque, quas secum educeret, tondendi ad uirilem modum et securibus peltisque Amazonicis instruendi.
145 Valérie Huet, « Spolia », art. cit. (n. 20).
146 Suétone, César VI, 3 : cum qua deinde diuortium fecit, adulteratam opinatus a Publio Clodio, quem inter publicas caerimonias penetrasse ad eam muliebri ueste tam constans fama erat, ut senatus quaestionem de pollutis sacris decreuerit.
147 Suétone, Auguste XLV, 7 : Nam histrionum licentiam adeo compescuit, ut Stephanionem togatarium, cui in puerilem habitum circumtonsam matronam ministrasse compereat, per trina theatra uirgis caesum relegauerit.
148 Rappelons que, pour une femme, être traitée d’homme n’est pas un compliment. Ceci explique le surnom donné par Caligula à Livie, son arrière-grand-mère, qu’il n’aimait pas : « un Ulysse en jupon » dit le traducteur français, mais le latin (Vlixem stolatum) énonce bien qu’il s’agit de la stola, la robe traditionnelle de la matrone romaine (Suétone, Caligula XXIII, 3). Bien sûr, la moquerie fonctionne sur le rappel des pérégrinations de Livie et de son exil sous Tibère, mais encore sur son caractère fort et sa volonté d’intervenir dans les affaires d’État, ce que n’avait pas franchement apprécié son fils. Elle est donc bien une Ulysse errante en stola.
149 Voir l’analyse de Florence Dupont, Thierry Eloi, L’érotisme, op. cit. (n. 6), p. 263-269.
150 Suétone discute dans ses Vies des discours et écrits des protagonistes. À deux reprises, il se réfère à la question du vêtement et des parures. Ainsi, le style de César (LVI, 2) est nu : « Sur les commentaires de César, voici ce que dit Cicéron, toujours dans son Brutus : “Il a écrit des commentaires vraiment dignes de tout éloge : ils sont nus, sans détours et pleins de grâce, dépouillés de tout apprêt oratoire, comme un corps de son vêtement (nudi sunt, recti et uenusti, omni ornatu orationis tamquam ueste detracta) ; mais, en voulant préparer des matériaux pour ceux qui auraient dessein d’écrire l’histoire, peut-être a-t-il fait plaisir à des sots, qui s’efforceront de friser tout cela au petit fer ; quant aux gens sensés, il les a découragés d’écrire” ». Quant à Auguste (LXXXVI, 3), « Il réprouva avec un égal dédain les précieux et les archaïsants, estimant qu’ils tombaient dans deux excès contraires, et parfois il les harcelait de ses railleries, surtout son cher Mécène, dont il critique à tout propos, suivant son expression, “les papillotes parfumées” et qu’il s’amuse à contrefaire pour s’en moquer ».
Auteur
Université Paris 7, Centre Louis Gernet
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