Chapitre XI. Banquiers et négociants parisiens dans l’économie française
Investissements industriels et placements fonciers
p. 299-316
Texte intégral
1La prudence conjoncturelle des gens d’affaires, de plus en plus évidente au fil des années de guerre, ne saurait être interprétée en termes de défiance à l’égard des opérations en marchandises en tant que telles, mais seulement comme la résolution prise d’attendre le rétablissement durable de la paix pour les reprendre, le cas échéant, avec des partenaires différents. Elle amène toutefois à se demander quelle a été, par contraste, l’attitude du grand capitalisme d’affaires à l’égard des entreprises industrielles, dont on peut penser qu’elles se paraient alors des attraits d’une relative sécurité et d’une rentabilité accrue par les premiers succès de la révolution technologique.
I. LES BANQUES PARISIENNES ET L’INDUSTRIE
2Le degré d’engagement de la banque dans l’industrie est très variable. Dans quelques cas, le banquier est lui-même propriétaire de l’établissement industriel — situation qui ne va pas d’ailleurs sans équivoque, car l’investissement industriel, surtout quand le propriétaire n’est pas l’exploitant, ou quand il s’agit, avec la sidérurgie, d’établissements comportant des biens fonciers forestiers importants, se confond pour une part avec le placement immobilier. On peut discuter sur le point de savoir si le banquier évolue vers l’entrepreneur ou vers le rentier. Dans une autre hypothèse, le banquier peut n’être que commanditaire ou actionnaire de l’entreprise industrielle : la nature de l’investissement est alors beaucoup plus claire. Enfin, le banquier peut simplement soutenir de son crédit la trésorerie de l’entreprise.
La banque et l’industrie textile
3On a déjà vu1 la part prise par le grand commerce parisien des toiles au contrôle d’un nombre appréciable d’entreprises textiles parisiennes ou départementales. La banque y participe également mais dans une plus faible mesure.
4Dans trois cas, on relève l’intégration directe d’une grande entreprise textile à une affaire bancaire parisienne, au moins pendant un certain temps, au delà duquel la séparation des activités a pu intervenir. Ainsi dans le cas de Jubié, ancien inspecteur du commerce et des manufactures, propriétaire de la manufacture de soie de La Sône, dans l’Isère, associé en banque à Paris avec Basterrèche jusqu’à la mort de celui-ci, rentré ensuite dans l’Isère pour y poursuivre sa carrière de grand manufacturier et de grand notable politique. Les deux autres cas sont beaucoup plus remarquables : il s’agit des frères Sevène et des frères Tiberghien.
5Les frères Sevène (du moins le plus jeune d’entre eux, Édouard) avaient été dès 1789 associés à la société Guillebaud, Sevène et Cie de Rouen, qui avait repris la manufacture royale de Saint-Sever fondée par John Holker, comprenant une fabrique de velours à Rouen et une filature à Saint-Martin d’Oissel. En 1796, l’affaire était devenue la propriété des seuls Sevène, la partie rouennaise étant gérée par Édouard, la maison de Paris par les trois autres frères. A la fin de 1801, un bilan montre que la valeur totale des biens industriels atteignait 754 000 F, soit plus du double des autres biens immobiliers de la société. Celle-ci avouait 407 000 F de bénéfices en cinq ans (sans compter d’autres sommes réparties entre les comptes courants des quatre frères) pour un capital social de 592 000 F. On est tenté, en l’absence de tout autre document, de penser que le meilleur des affaires avait été fait par la branche cotonnière de la société, car Jacques Édouard avait 496 000 F à son compte courant, sur un total de 998 000 F pour les quatre frères. Peut-être est-ce ce déséquilibre — ou encore la crainte que le secteur industriel des opérations, visiblement très prospère, ne souffre un jour du secteur des opérations bancaires, beaucoup plus aventureux — qui fut à l’origine, au début de 1805, du partage de la société par la sortie d’Édouard, qui restait seul propriétaire des usines, y compris 109 000 F d’améliorations qui leur avaient été faites2.
6La banque Tiberghien est issue en 1804 du transfert, de Bruxelles à la rue Vivienne à Paris, d’une maison de commerce en gros de tissus3. Le chef de cette banque, Pierre François Tiberghien, avait, dans les années précédentes, acquis une masse de biens nationaux dans les départements belges, notamment l’abbaye de Saint-Denis, près de Mons, où il installe une filature de coton gérée par son frère Charles. Deux autres frères, Joseph et Emmanuel, prennent la direction d’une manufacture de basins et de piqués à Heylissem, près de Tirlemont.
7Les Tiberghien mettent encore en route, par la suite, un tissage à Saint-Quentin, et une filature dans la maison de détention de Vilvorde en 1810. En 1811, la crise les amène à demander 400 000 F de secours, ce qui nous vaut un précieux état de leurs affaires :
Saint-Denis
8Valeur des bâtiments et mécaniques : un million
9800 ouvriers
10300 kg de cotons filés par jour
11Actif :
12Cotons en laine sur place, à Rome, Francfort et Bâle 300 000 F
13Cotons filés en magasin et en commission 220 000
14Débiteurs par comptes courants 150 000
15Total : 670 000
Saint-Quentin
16Valeur de l'affaire : 350 000 F
17Actif :
18Marchandises fabriquées et cotons filés 413 000 F
19Outillage 9 000
20Débiteurs par comptes courants 297 000
21Total : 719 000 F
Heylissem
22Marchandises fabriquées et cotons filés 259 000 F
23Débiteurs par comptes courants 223 000
24Total : 482 000 F
Vilvorde
25Fait travailler mille détenus
26Mise hors 109 000 F
27La maison de Saint-Denis seule ayant un passif de 400 000 F, la partie industrielle des affaires des Tiberghien présentait un excédent d’actif de 1 580 000 F. Les Tiber-ghien avaient crédit ouvert chez le banquier Bruyère, beau-père de l’un d’entre eux.
28En fait, la banque Tiberghien se trouvait au centre d’un ensemble d’affaires industrielles dépassant largement le seul textile-coton. En 1811. Tiberghien était l’un des administrateurs des Fonderies de Romilly. Il avait installé à côté de la filature de Saint-Denis une fonderie de fer et de cuivre. Enfin il avait contraint Warocqué à lui céder les 13/34 du capital des houillères de Mariemont, dont l’action valait environ 40 000 F4.
29Deux autres entreprises cotonnières hors de Paris ont été plus ou moins durablement commanditées par la banque parisienne. Celle de Henry Sykes, filateur à Saint-Rémy-sur-Avre, l’était par Mollien. Jacques Constantin Perier, et quatre des Perier de Grenoble : Alexandre, Claude, Casimir et Jacques Augustin5. La manufacture de bonneterie de Romilly-sur-Seine, installée au début de 1804 dans le château appartenant au banquier Worms, était pour les 2/5 (150 000 F sur 350 000) financée par ce dernier ; mais l’entreprise, mal dirigée par l’associé gérant Paÿn, un manufacturier de Troyes, périclita au bout de trois ans et Worms y perdit plus de 300 000 F6.
30Enfin plusieurs banques paraissent s’être fait une spécialité d’ouvrir des crédits aux entreprises textiles. On a déjà évoqué les liens avec la fabrique rouennaise qui conduisirent Doyen à ses embarras de 1811 ; il soutenait également la filature et le tissage de Fontenilliat au Vast, dans la Manche, qui lui devait à cette date 553 000 F7. Baguenault avait racheté en l’an VII à Louis Carette, alors manufactsrier et négociant à Amiens, une filature de 1 500 broches installée à Faveux dans des biens provenant du chapitre de la cathédrale ; mais comme il s’agissait d’une vente à réméré, il est vraisemblable qu’elle recouvrait plutôt une opération de crédit8. Charles Bazin, failli lui aussi en 1811, avait de 1805 à 1806 pris à bail la manufacture de Foxlow à Orléans ; vendue en 1808 au spéculateur américain James Thayer, elle était alors grevée de plus d’un million d’inscriptions hypothécaires, notamment au profit de Bazin9.
La banque et la sidérurgie
31Les banquiers parisiens se sont plus d’une fois portés acquéreurs de coûteux domaines comportant les ressources en bois et les installations nécessaires à la pratique de la sidérurgie du fer. Ainsi Louis Greffulhe achetait en l’an XI les terres de Reynel et Hum-berville, dans la Haute-Marne10, Pierre Dallarde achetait en l’an X la terre de Loulans, près de Vesoul11 — pour environ 400 000 F dans les deux cas. Ce qui est plus original c’est le contrôle, qui se maintient ou se développe, des capitalistes parisiens sur les grandes sociétés par actions caractéristiques, dès ce temps, de ce secteur industriel.
32Maintien de ce contrôle, d’abord, sur les fonderies du Creusot. Parmi les sept administrateurs de ces établissements du début du Consulat, on relève et identifie au moins quatre « capitalistes » parisiens, d’ailleurs également administrateurs, pour trois d’entre eux, des Messageries. Il s’agit des anciens fournisseurs Gévaudan et Cailus, de Bureau, et du futur baron Benjamin François Daniel de Ladouëpe du Fougerais, propriétaire vendéen dont le père et l’oncle avaient été tués dans la guerre civile, en même temps directeur de la manufacture de cristaux de Montcenis ; bien qu’il fût demeuré un grand notable dans son département, Ladouëpe du Fougerais refaisait sa fortune en s’intégrant aux milieux d’affaires de la capitale12. Un autre des administrateurs était l’un des Mollerat, Jean Baptiste, inventeur d’un procédé de distillation du bois, frère de Denis Adélaïde, manufacturier à Paris, et de Noël Antoine, négociant et maître de forge de Dijon13. Les fonderies du Creusot, nous apprend une note de Mollien au moment de la crise de 1811, avaient crédit ouvert à cette date chez les banquiers parisiens Ollivier et Outrequin, pour 400 000 F — et la liquidation prudente de cette banque au mois de janvier 1811 contraignit l’établissement à solliciter un prêt gouvernemental de 600 000 F14. A son tour la Société du Creusot commanditait celle des mines de charbon de Blanzy, constituée avec des négociants de Châlon-sur-Saône.
33Plus remarquable encore, le contrôle parisien sur la sidérurgie du cuivre. La Cie des Fonderies de Romilly (sur Andelle), créée en 1785 à Rouen, avait transféré son siège à Paris dès 1790, et s’était transformée en société anonyme en 180815. Les quatre propriétaires administrateurs en sont, au début du Consulat, un Roëttiers, un Taillepied de Bondy et, surtout, Philippe Louis Paul Gorlay — ancien caissier puis associé de Jean Barthélemy Lecouteulx — et Pierre Saillard. Cette affaire était donc aux mains d’une banque normande devenue parisienne16. A l’époque napoléonienne, il semble que le rôle des Lecouteulx s’efface devant l’influence de Saillard. Ce dernier, fils d’un négociant de Laigle, né en 1757, était lui-même gros propriétaire et maître de forges en Normandie et dans les Ardennes17 ; il fournissait en fil de laiton tous les épingliers de Laigle et de Rugles, avait des intérêts dans la grande maison de commission Lezurier frères de Rouen. Toutefois on entrevoit le rôle d’autres banques parisiennes, telle Dallarde qui, lors de sa faillite, détenait une action des Fonderies valant 32 000 F et leur avait en outre prêté 60 000 F. Depuis ses origines, l’affaire avait pour fonction première de fournir la marine militaire ; mais une circulaire de l’an VI indique qu’elle « vient encore de recevoir de très grands accroissements dans ses moyens de fabrication » et peut, pour le commerce, fournir « les ustensiles de cuivre laminé, forgé et moulé, propres aux fabriques qui font usage de chaudières de cuivre, telles que brasseries, distilleries, raffineries, etc. » ; on sait aussi qu’elle livrait des plaques de cuivre pour les planches à impression des indienneurs.
34L’Empire a connu un autre exemple remarquable, dans ce secteur, de passage d’une entreprise provinciale sous le contrôle de la banque parisienne. Il s’agit de la Cie des Fonderies de Vaucluse, à Avignon et Védenne, qui fabriquait « toutes espèces d’ouvrages (y compris des canons) en cuivre, plomb et tôle laminés, fer forgé et coulé, fer blanc et autres métaux communs ». L’affaire appartenait depuis la Révolution aux frères Capon18. Berr Léon Fould leur avait déjà racheté l’outillage quand, en 1807, ils se libérèrent de leurs dettes à son égard en lui « délaissant à titre d’antichrèse la jouissance pendant vingt-quatre ans des fonderies et manufactures »19. Fould lançait une société en commandite au capital de 2 400 000 F en 1 200 actions de 2 000 F rapportant 6 %, société devenue anonyme en 1808. Lui-même détenait forfaitairement 50 % des actions, dont la valeur était représentée par l’outillage et par l’effet de l’antichrèse. Il semble qu’en 1808 une centaine d’actions seulement aient trouvé preneurs. Le plus fort actionnaire était alors l’agent de change Perdonnet ; parmi les autres, on relève la banque Vassal, les négociants Doumerc, Amet, Crémieux, Des Arts, Vital Roux. Avant la fin de l’année toutefois près de 900 actions paraissent avoir été placées, et le premier bilan faisait apparaître un rapport de près de 11 % par action, intérêt et dividende réunis, alors même qu’un cinquième des bénéfices avait été statutairement mis en réserve et que des dépenses avaient été engagées pour créer un atelier de tôles en fer blanc. Nous savons qu’en 1809, en tout cas, Guillaume Sabatier s’était intéressé à l’affaire pour douze actions valant 26 370 F, intérêts et dividendes compris — ce qui donnerait un peu moins de 10 % de rapport20.
La banque et les houillères
35Mais ce sont les mines qui offrent, à cette époque, le plus bel exemple d’investissements bancaires à très grande échelle (toutes proportions historiques gardées) dans des affaires industrielles multiples. Il s’agit, on s’en doute, de la banque des frères Perier et de la Cie d’Anzin. D’Alexandre de Saint-Léger à Marcel Gillet, l’histoire de cette dernière est de mieux en mieux connue ; on se bornera ici à souligner l’ampleur du rôle du capitalisme parisien dans son essor post-révolutionnaire21.
36Comme l’a fort bien dit un historien américain22, la Cie d’Anzin était une association très étroite et exclusive d’investisseurs négociant presque uniquement entre eux les parts — bien que quelques grands dignitaires civils et militaires se soient infiltrés dans le club, tels Cambacérès et ses proches collaborateurs. Cessions et rétrocessions pourraient être retracées dans le détail à la fois d’après Saint-Léger et d’après les minutes du notaire Montaud23. Mais de notre point de vue seules importent les grandes lignes. Un partage concernant des biens fonciers d’origine nationale, situés dans la région de Valenciennes, le 19 vendémiaire an X24, montre que les 24 sols constituant le capital social des Mines d’Anzin se répartissaient de la façon suivante :

37Désandrouin, Sabatier, Lecouteulx et Perier étaient, sous le Consulat, les régisseurs de l’affaire, aidés par l’homme d’affaires Martial Théophile Barnoin. Par la suite, Scipion et Casimir Perier devinrent co-propriétaires de la participation en même temps qu’ils prenaient les titres de directeur et directeur-adjoint de la Compagnie. Mais surtout, vers le milieu de l’époque impériale (1807-1810), ils emportèrent la majorité relative dans la répartition de la mise sociale, principalement du fait de l’effacement partiel de Lecouteulx (qui leur vend 12 deniers en 1805) et de Désandrouin (qui, en 1810, ne possède plus que 2 s 2 d) ; ils avaient du reste « grignoté » les parts d’actionnaires plus modestes. La possession de ce capital représentait une fortune importante, car la valeur négociable des parts n’avait cessé d’augmenter ; Barker indique que le denier valait 35 000 F en 1816, alors qu’il était à 31 000 F en 1805. D’autre part, les frères Perier étaient beaucoup plus que des actionnaires et des gérants : ils étaient les banquiers de la Compagnie ; ainsi, quand en 1806 Désandrouin vend sous réméré à la Compagnie son intérêt dans les mines pour un million (intérêt dont il rachètera la moitié l’année suivante), elle emprunte 500 000 F aux Perier, déposant deux sols en garantie.
38Les Perier ont été, d’autre part, les artisans d’un début de concentration horizontale de l’industrie houillère en France. Ils ont en effet constitué avec leur co-associé des mines d’Anzin, Thieffries, une société Thieffries, Perier et Cie qui a racheté la terre et les mines de Noyant, dans le Bourbonnais. Le capital se montait à un million, dont 15 % pris par les Perier, 15 % par Thieffries, 10 % par Usquin père et fils, le reste par d’autres commanditaires25.
39Cette banque d’affaires, au sens moderne du terme, étendit son contrôle à d’autres secteurs. Celui de la métallurgie, d’abord. Le terrain était préparé par les alliances matrimoniales, sans doute (Scipion Perier avait épousé en 1803 Louise de Dietrich), mais la gestion des mines elle-même poussait à l’intégration de la fourniture du matériel que l’on peut qualifier de lourd. Dès 1802, les régisseurs avaient confié à Jacques Constantin Perier la direction de toutes les machines à pomper l’eau et à remonter le charbon, et le soin de les améliorer, en même temps qu’ils lui passaient commande « pour la confection, l’établissement et la mise en activité de vingt machines à rotation pour monter les tonneaux de charbon au jour »26 ; il était prévu que le célèbre constructeur effectuerait sur place au moins trois voyages par an. C’est sans conteste le point de départ de relations qui trouvèrent en 1818 leur dénouement dans le rachat de la fonderie de Chaillot par les Perier27. Les Perier se sont-ils intéressés également à la sidérurgie ? Il est en tout cas vraisemblable qu’ils l’ont, à l’occasion, soutenue au moins de leur crédit, comme le laisse entrevoir une obligation de 157 000 F souscrite à leur profit en 1809 par le grand maître de forges Feuillant28. Enfin les frères Perier ont acheté en 1805 une filature de coton à Amilly-Triqueville, près de Montargis, pour 120 000 F29. Tout ceci n’exclut nullement, du reste, les beaux placements fonciers. Casimir Perier, par exemple, fit l’acquisition de 637 ha de bois dépendant de la terre de Maraye-Saint-Mars, entre Sens et Troyes, et ayant appartenu à M. de Villeroy30.
40La conclusion, même partielle et provisoire, s’impose. La banque parisienne, dans ses plus grandes maisons, a cessé avec la Révolution de lier sa fortune aux emprunts de l’État. Elle continue certes à trafiquer en marchandises, et figure parmi les gagnantes du Blocus continental. Mais aussi, elle se rénove par le financement ou l’investissement industriels. Quand un Bauwens, en décembre 1805, est menacé, du fait de la crise, d’avoir à suspendre ses paiements, Schérer et Finguerlin, Pierre Saillard et Alexandre Roussel lui consolident pour un an un découvert de 150 000 F. Quatre ans plus tôt, Médard Desprez lui avait prêté la même somme sous la forme d’une vente à réméré de la filature de Passy31. L’industrie française à l’époque napoléonienne trouve dans les multiples formes du crédit bancaire les capitaux nécessaires à son premier démarrage.
II. QUELQUES INDICES SUR D’AUTRES SECTEURS
Les industries nouvelles
41Il faut entendre par là, en premier lieu, l’industrie chimique. Mais c’est pour remarquer aussitôt que celle-ci, très moderne par certains de ses aspects, semble toutefois échapper à l’intervention des capitaux bancaires. Faut-il en conclure que cette industrie naissante n’exigeait que des investissements limités ? Ou bien que les entrepreneurs qui l’ont, dès le départ, largement dominée disposaient de ressources propres assez considérables, amplifiées par un rapide enrichissement ?
42Deux caractères soulignent l’originalité sectorielle de l’industrie chimique : fusion de la science et de la pratique, concentration parisienne. C’est, bien sûr, en songeant d’abord à son cas personnel — celui d’un spécialiste de la chimie appliquée autant que d’un théoricien — que Chaptal pouvait écrire : « On voit des chimistes à la tête des plus grandes entreprises », et noter que les chefs de fabriques importantes s’intéressaient tous désormais à la chimie appliquée (que l’on songe à l’intérêt marqué par Oberkampf pour la réflexion et l’expérimentation sur les couleurs pour l’impression des étoffes). Nous retrouvons, dans l’entourage immédiat de Chaptal, Amédée Barthélemy Berthollet, le fils, dont il fit son associé. A un niveau de moindre célébrité, le chimiste Barthélemy Favier apparaît en nom propre dans la société Favier et Cie, de 180732, établissement de tannerie et de corroyage par des procédés chimiques dont il revendiquait le perfectionnement ; mais dès l’an XIII il était entré dans la société Blanche et Cie33, manufacture de produits chimiques, lui cédant en toute propriété ses secrets et procédés à titre d’apport en capital, estimé à 20 000 F. Jacques Blanche était un « propriétaire » de Passy. Le troisième associé gérant était le général Michel Sokolnicki, membre de la Société pour l’Encouragement de l’Industrie nationale. Sur les 25 000 F d’apport de Blanche, 17 000 étaient constitués par l’outillage et les matières premières existant dans sa précédente entreprise : une brasserie. Au Gros Caillou, un ancien colonel du génie — arme scientifique — et un ancien professeur à l’École Polytechnique lancent sous la raison Drappier et Cie une manufacture de vitriol, couleurs et papiers peints. Autour des techniciens, savants et hauts fonctionnaires dépendant de la Monnaie, s’organise un autre type d’entreprise. Joseph et Michel Gauthier père et fils, « affineurs impériaux », s’associent à Jean Louis Barrera, « fabricant » rue de Basfroi, « pour l’affinage des monnaies et le commerce des matières d’or et d’argent et autres opérations métalliques ». Mais ils s’associent d’autre part à Darcet (le fils), vérificateur des essais à la Monnaie, et à Anfrye, inspecteur général des essais, dans une fabrique de « soudes factices » à Saint-Denis. On se souvient que Guyton de Morveau était l’un des trois administrateurs de la Monnaie, et le collègue de Chaptal à la fois à l’Institut et à la Société pour l’Encouragement de l’Industrie nationale — comme président de l’un et vice-président de l’autre. L’essor industriel est donc ici contrôlé très directement par la pointe de l’élite scientifique, qui se trouve être en même temps — c’est une caractéristique qu’il faut toujours rappeler — une élite de grands notables de l’administration centrale napoléonienne.
43On trouve donc dans les créations manufacturières parisiennes de cette époque une première version du « laboratoire à l’usine ». Les recherches, les essais, les échecs possibles supposaient tout de même des « reins solides », et, dans deux cas au moins, nous saisissons l’intervention de grands capitalistes, sinon de banquiers classiques. Chaptal lui-même est l’un d’entre eux. On lui a attribué jusqu’à 400 000 F de revenus sous l’Empire — revenus qui ne pouvaient être que d’origine industrielle pour l’essentiel, et qui auraient fait de lui l’un des hommes les plus riches de France34. L’usine de La Paille, près de Montpellier, qu’il avait construite et équipée, puis gérée (avec un, puis deux associés) de 1782 à 1799, lui avait procuré, après quatre années de dépenses dues à des recherches expérimentales, de substantiels profits grâce à la vente de produits à l’industrie textile languedocienne, parisienne et même étrangère35. Ces profits lui permirent de construire, à partir de 1798, l’usine des Ternes, près de Paris, en société avec le négociant Philippe Coustou36. En 1809, elle passa à une société Chaptal et Berthollet — les fils — dans laquelle Jean Baptiste Marie Chaptal s’occupait de la partie administrative et commerciale et Amédée Barthélemy Berthollet de la direction des ateliers ; le fonds social, fourni évidemment par Chaptal père, montait alors à 200 000 F. Mais en même temps une deuxième usine était construite à La Folie (Nanterre) dans des conditions mal connues, et une troisième au Plan d’Aren (Fos) au prix d’un investissement de 500 000 F. Ces deux créations comportaient notamment, en fonction de la conjoncture, des soudières, alors que La Paille et les Ternes étaient encore axées sur la production d’acide sulfurique.
44L’autre intervention marquante, dans cette industrie chimique parisienne qui se partage une bonne part du marché national avec son homologue marseillaise, est celle des frères Jacquemart, exploitant à partir de 1807, avec un de leurs ouvriers et le concours du groupe Darcet-Anfrye-Gauthier-Barrera, la savonnerie de la rue de Montreuil37, dans laquelle ils mettent la moitié d’un capital de 420 000 F38.
45A partir de 1811, les capitaux parisiens subissent l’attirance de créations industrielles d’un ordre à certains égards voisin : il s’agit des raffineries de sucre de betteraves. Bien que leur établissement ait suscité une abondante littérature sur les techniques de production et le matériel, et que la fabrication soit ici encore du ressort de la chimie appliquée (que l’on songe au noir animal, qui ne tardera pas à être utilisé massivement dans la phase de l’épuration), cette nouvelle industrie ne supposait pas des lumières scientifiques de premier rang. Elle n’exigeait pas non plus un gros investissement39. Elle a en tout cas fait naître une première génération d’entreprises dont la signification est certes ambiguë. D’un côté, en effet, il s’agit d’un départ manqué, et beaucoup de pionniers ont dû y perdre de l’argent ; leurs noms ne réapparaissent pas à l’occasion de l’essor ultérieur, du démarrage différé de cette branche industrielle ; la lenteur de la diffusion de la culture, qui asphyxiait les usines en ne les assurant que d’une part infime de l’approvisionnement nécessaire, et le caractère provisoire de la rupture des fournitures de sucre colonial en étaient évidemment les raisons majeures. Mais, par ailleurs, ce premier épisode tout à la fois annonce la place prééminente que prendra Paris au cours du xixe siècle dans l’industrie sucrière nationale, aux côtés des grands ports40, et témoigne d’une attitude ouverte à l’égard de ce que l’on peut appeler une véritable spéculation industrielle, dont, théoriquement, les chances pouvaient apparaître en effet considérables.
46Quelles furent les parties prenantes à ces tentatives ? A vrai dire, la banque parisienne y est représentée brillamment, mais de façon minoritaire. Sur la dizaine de raffineries de la capitale se détache en effet le nom de Benjamin Delessert, pour son établissement de Passy — mais aussi pour ses liens d’affaires autant que de famille avec le Delessert de Nantes, créateur de la raffinerie qui vit les débuts de Louis Say comme sucrier. Dans les autres cas qui nous sont suffisamment connus, l’initiative est venue de négociants qui étaient en même temps de gros propriétaires fonciers dans des régions agricoles riches (particulièrement dans l’Aisne) et qui, par suite, se trouvaient en position de contrôler depuis Paris le développement d’implantations industrielles départementales. Ainsi Brindeau-Carlier, négociant à Paris et fabricant à Saint-Quentin, crée-t-il en 1813 une sucrerie à Rogny, près de Marie, à proximité de laquelle il est propriétaire de trois fermes de 1 400 arpents. En 1812, la société Lettu, Gilbert et Wolff obtient des licences pour deux sucreries, à Soissons et Chassemy ; en fait, Adolphe Wolff est un négociant parisien, associé de la maison de commerce Audriel et Wolff, de Dantzig ; Gilbert et Wolff étaient déjà intéressés dans une sucrerie de canne de Douai. Marion de La Brillantais, négociant à Paris, propriétaire du château de Saint-Lambert, près de La Fère, y installe à son tour une sucrerie. Costel, un pharmacien de la rue de La Feuillade, qui crée une sucrerie à Paris, s’associe pour une autre à Caignart-Durotoy, propriétaire du château de Mailly, près de Laon. Enfin l’expérience a été tentée également par de riches capitalistes rentiers, bien placés sur les listes des plus imposés. Ainsi par Andryane, dit Andryane de La Chapelle en tant que propriétaire du domaine de La Chapelle Godefroy, près de Nogent-sur-Seine — « Il jouit d’une fortune immense », note le préfet41. Familier des expériences agronomiques, il a desséché des marais, planté 30 000 arbres, élevé 500 mérinos. En 1812, il sème des betteraves et établit une sucrerie. Richard d’Aubigny — c’est Aubigny-sur-Allier — investit en 1812 plus de 100 000 F dans quatre sucreries : à Aubigny, à Bérou (Eure-et-Loire), à Bénouville (Calvados) et à Apponay (Nièvre)42. A vrai dire, ces grands notables — Richard d’Aubigny est l’un des présidents de canton de Paris — font sans doute preuve autant de zèle politique que de hardiesse économique ; peut-être allaient-ils au devant des encouragements officiels, sans illusions sur les difficultés des premières années. Néanmoins, jusqu’à travers ces exemples, se précisent les contours d’un capitalisme parisien prêt à faire rayonner ses entreprises sur toute la France et sur tous les secteurs de l’économie.
Les travaux publics
47Du fait de la disparition des dossiers des plus anciennes autorisations gouvernementales de sociétés anonymes, on aperçoit mal ce qu’a pu être la participation bancaire parisienne à de grandes entreprises dont les exigences en capitaux provoquaient nécessairement la formation de sociétés de ce type.
48Toutefois, les actes de société conservent la trace de deux affaires, l’une parisienne, l’autre provinciale. La première concerne l’Entreprise de trois ponts à construire sur la Seine (an IX), à savoir les ponts des Arts, d’Austerlitz et d’Iéna. Elle était au capital de 1 700 000 F réparti en 1 700 actions ; l’assemblée générale qui adopta l’acte d’association se tint chez Jean Barthélemy Lecouteulx et Cie, rue Saint-Honoré, à la fin de juillet 1801, et Gorlay, l’un des trois administrateurs, était associé à cette banque43. La seconde est celle de la Cie pour l’entreprise des canaux d’Aigues-Mortes à Beaucaire et d’Aigues-Mortes à l’étang de Mauguio, également née en 1801, et transformée en société anonyme le 27 octobre 180844. D’un capital de 500 actions de 5 000 F, la Compagnie avait le droit de percevoir des taxes de navigation, et recevait la propriété des marais entre Aigues-Mortes et Beaucaire, sous réserve de leur mise en culture. Du point de vue qui nous occupe, elle apparaît comme une affaire privée des Languedociens, restés sur place ou agissant par leurs puissants représentants à Paris. Parmi les actionnaires à la date de 1808, on relève en effet : un groupe politico-administratif où, à côté de Joseph Bonaparte, figurent un premier commis au Ministère du Trésor public, Clergeau-Lacroix, et d’autres employés ; un groupe de négociants, banquiers ou propriétaires montpelliérains : Barthélemy fils, Jacques Durand, Granier et fils, Dunal, Lajard, Martin Portalès, Moureau, Bastide père ; un groupe de Languedociens de Paris : Bastide fils, Louis Durand, les deux Davillier, et d’autres qui leur tiennent par association ou par alliance : Jean Louis Rivier, Basterrèche, Jubié, Carayon. La liste n’est pas épuisée pour autant, elle comprend d’autres noms de la finance parisienne et du négoce — le fournisseur Collot ou le banquier Cordier par exemple.
49Existait-il chez les capitalistes languedociens une propension particulière à investir dans les grands travaux ? On pourrait le croire, à la lecture d’un traité (fut-ce plus qu’un projet ?) entre M. et Mme de La Tour d’Auvergne d’une part, et Jean Joseph Bonnaric et Antoine Gévaudan d’autre part, pour une compagnie (dont ces derniers prenaient 30 % du capital) chargée du dessèchement des marais de Bourgoin, Brangues, La Verpillière, Martel et Bouchage45. C’est en tout cas l’occasion d’entrevoir un autre de ces réseaux familiaux et politico-financiers dont on serait tenté de dire que les Languedociens avaient le secret. Nous connaissons au moins trois Gévaudan : Antoine, le grand homme d’affaires parisien, l’aîné46 ; sa sœur Geneviève Élizabeth, par le mariage de laquelle il était devenu le beau-frère de son associé Jean Joseph Bonnaric ; son frère cadet Ambroise, mort en 1803, allié par son mariage à la famille des Miot : le comte de Melito (c’est-à-dire l’aîné des frères Miot, André François) était devenu l’année d’après, à la mort de la veuve d’Ambroise, le tuteur d’une fille mineure47. Quand on se souvient de la carrière ministérielle de Miot de Melito auprès de Joseph Bonaparte à Naples puis à Madrid, on ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il servait d’agent de liaison entre les capitalistes languedociens et les milieux ministériels ou princiers que l’on vient d’évoquer.
III. L’ÉQUILIBRE DES INVESTISSEMENTS ET DES PLACEMENTS D’APRÈS QUELQUES EXEMPLES
50D’avoir vu agir banquiers, négociants, « capitalistes » de toute nature, tour à tour dans l’armement maritime, l’escompte commercial, la spéculation boursière, l’investissement industriel, les acquisitions foncières et immobilières, etc., informe bien sûr quant au champ de leur activité, à leurs audaces ou à leurs « curiosités ». Mais juger de l’évolution de cette activité, des éventuelles transformations de structure, supposerait que l’on puisse mesurer à différentes dates l’équilibre de ces divers secteurs d’opérations au sein de la fortune, à condition encore de pouvoir saisir cet équilibre dans une période de pleine activité de l’intéressé. On reste fort éloigné de disposer à cet effet des nombreux inventaires qui seraient nécessaires. Une fois de plus, sur un point très important, force est de se contenter de cas isolés, d’approximations.
Un système d’affaires traditionnel : le bilan de Michel jeune en 1810
51Au premier juillet 1810, Michel jeune avait sans doute la plus grosse fortune de Paris : plus de quarante-six millions d’actif, moins de dix-sept millions de passif, donc près de trente millions d’avoir net48. Il est certain qu’une fortune d’un tel volume n’est pas représentative. Il est probable aussi que sa structure n’était pas courante. Enfin, on doit noter que ce bilan était plus celui de la gestion et de l’administration d’une fortune constituée que celui d’une banque en pleine activité : il se situe au niveau de la consolidation d’une réussite.
52A première vue, cette affirmation paraît contredite par l’importance des créances actives, sous la forme de comptes ou d’obligations : plus de dix-huit millions, près de 40 % de l’actif. Mais, en réalité, cette somme est principalement composée de créances liées à une activité ancienne de fournisseur de la Marine et, surtout, au financement de la Cie des Vivres (12 669 000 F). D’autres comptes importants, notamment avec Denis Boissière (près de deux millions), nous restent hermétiques. Une obligation « Capon et solidaires » recouvre peut-être une forme de commandite ou de prêt industriel. Notre remarque est en revanche confirmée par le poste insignifiant des marchandises : 285 000 F, représentant 2 500 balles de café49.
53Dans quelle mesure la consolidation est-elle immobilière ? C’est ici qu’intervient la surprise : à peine 13 % de l’actif brut est en biens ruraux ou urbains. Surprise qui est à nuancer immédiatement : étant donné l’énormité de la fortune, ces 13 % représentent tout de même 5 920 000 F, un stock de biens « à la Ouvrard » ou « à la Paulée » — un Ouvrard de la belle époque, bien sûr. Analyser ces immeubles revient à constater d’une part la présence minoritaire de maisons urbaines — mais qui sont des immeubles de prestige : essentiellement les numéros 12 et 14 de la place Vendôme, l’un habité par le banquier lui-même, l’autre produisant 17 400 F de loyer, et valant ensemble quelque 850 000 F ; d’autre part, le poids écrasant de très gros domaines ruraux appartenant à une catégorie de premier choix, sans aucun doute, par leur rendement économique.

54Reste le principal : près de 42 % de l’actif brut vont à des placements en rentes sur les États (19 434 000 F). A vrai dire, cette somme énorme se décompose en deux éléments de nature différente. Il y a les rentes publiques proprement dites (11 000 F de 5 % consolidé, au cours de 81 % : 178 000 F ; 3 % consolidé, capital : 58 000 F ; obligations de Hollande : 1 392 000 F). Mais il y a, surtout, 14 716 000 F placés dans l’emprunt de 1809 de la Caisse royale de Consolidation, à quoi s’ajoutent 3 090 000 F, « montant de mon prêt à S. M. C. suivant traité » — antérieur, donc, à 1808. Au total, près de dix-huit millions de francs aventurés dans les finances publiques espagnoles : on pourrait y voir à la fois une reprise des solidarités habituelles avec les monarchies d’Ancien Régime, et l’annonce de plus vastes engagements des banquiers français dans les emprunts espagnols au cours de la décennie suivante50.
55A côté de cela, les investissements mobiliers au sens productif du terme sont dérisoires : moins de 2 %, répartis entre 632 000 F d’actions de la Banque de France en doublement, et 217 000 F dans la Cie des Philippines.
Trois exemples d’activités diversifiées : Sabatier, Dallarde, Bastide
56Pour autant que nous puissions nous en rendre compte, vers le terme d’une étude qui ignore l’exacte répartition entre les zones qu’on a pu éclairer et les zones d’ombre environnantes, les trois exemples qui suivent sont probablement beaucoup plus représentatifs du dynamisme bancaire parisien des premières années du xixe siècle.
57Dans le cas de Guillaume Sabatier, l’analyse porte sur le règlement de sa succession, représentant un actif net de 5 004 000 F — à quoi il conviendrait en fait d’ajouter 1 300 000 F de legs51. Fortune saisie à la mort ? Sans doute, et les créances actives n’y entrent que pour 20 % — encore est-ce peut-être bien un pourcentage fort gonflé par la présence de commandites mal identifiables. Mais le tableau éclaire suffisamment l’activité du banquier — activité que, du reste, il conserva presque jusqu’à sa mort.
58Disons tout de suite que l’immobilier, toujours rural en très grande majorité, vient ici au premier rang, avec tout près de 26 % de l’actif réel (1 298 000 F). Ce n’est pas étonnant si l’on tient compte du fait que cette part de la fortune résulte visiblement d’une longue accumulation où des placements dispersés sont venus étoffer un patrimoine languedocien. Quant à ce dernier, on note :
59Une maison rue des Pénitents Blancs, à Montpellier 70 000 F
60Un jardin et bâtiment, faubourg de Lattes 20 000
61Domaine de Maurin, à Lattes 100 000
62Domaine d'Espeyran et Blanquet, à Saint-Gilles 350 000
63Métairie à Montels 20 000
64Les domaines de Saint-Gilles et de Lattes ont produit, en outre, 28 959 et 10 679 F d’arrérages de fermage. Viennent ensuite :
65Un domaine à Étrépilly ( ?) 126 000 F
66Un autre3 134 000
67Des prés près de Valenciennes 80 000
68La moitié d'une maison rue Grétry, à Paris 52 000
69Bâtiments et terrain rue de Vaugirard, vendus 28 136
70Terre d'Ors, vendue à Baguenault 238 000
71Son mobilier 40 000
72Mais les investissements suivent de peu, et peut-être, en fait, viennent-ils en tête. Nous isolons parfaitement près de 23 % de l’actif en actions :
73Banque de France, 330 actions 396 000 F
74Dividende du 2e semestre de 1808 11 550
75Fonderies de Vaucluse, 12 à 2 000 F, intérêts
76et dividendes échus y compris 26 370
77Ponts de Paris, 7 à 950 F, mêmes conditions 7 455
78Mines d'Anzin, 22 deniers à 30 000 F l'un 660 000
79Répartition de l'intérêt, 2e quadrimestre 1808 23 539
80Id. 3e — 22 000
81Dans la réalité, ces investissements s’augmentaient très probablement de commandites que nous croyons déceler derrière certaines créances sur :

82Quoi qu’il en soit, les investissements égalaient ou dépassaient les placements immobiliers et laissaient loin derrière eux les placements en rentes perpétuelles sur l’État (capital : 721 760 F, arrérages : 44 960), soit 15 % seulement de l’actif net.
83Dans les cas de Bastide et de Dallarde — l’une comme l’autre maison « cueillie » par la faillite en plein épanouissement de ses entreprises —, à travers la lecture imprécise de bilans pas toujours très explicites ou présentant des contradictions, c’est une répartition analogue qui prévaut tout de même à coup sûr. Nous traitons les données simultanément :
Immeubles
Bastide

Dallarde

84On serait à 23 % de l’actif pour Bastide, à 32 % pour Dallarde. Mais à vrai dire, ce dernier pratiquait une politique foncière complexe. D’une part, ses 1 345 000 F de biens sis en France supportaient, lors de sa faillite, 697 000 F d’hypothèques. D’autre part, on peut se demander s’il ne pratiquait pas systématiquement pour sa part le prêt hypothécaire en vue d’acquérir les biens-fonds gagés ; une rubrique importante de l’actif est en effet consacrée aux créances hypothécaires : 438 813 F52. Cette pratique est attestée à propos de bien d’autres maisons de banque et de commerce de l’époque napoléonienne. Si l’on doit en croire Capefigue, les banques Mallet et Perier auraient largement pratiqué les prêts sur hypothèque et les achats à réméré, « à la manière des capitalistes de Bâle sur les propriétés de la Franche-Comté et de l’Alsace »53.
Investissements
85Bastide
86Banque de France, 30 actions 34 500 F
87Canal d'Aiguës-Mortes, 126 actions 630 000
88Commandites commerciales et industrielles 754 684
89Intérêts sur des navires et corsaires 1 874 000
90Total : 3 293 184 F
91Dallarde
92Banque de France, 30 actions 37 500 F
93Caisse d'Escompte du Commerce, 6 actions 35 000
94Fonderies de Romilly 92 000
95Commandites industrielles et commerciales 781 000
96Intérêts sur des corsaires 90 000
97Total : 1 035 500 F
98Très engagé dans la reprise du commerce maritime, Bastide inscrit sous ce poste au moins 41 % de son actif ; Dallarde, à peine 20 %. Mais, pour l’un comme pour l’autre, l’essentiel du solde de l’actif est constitué par des créances commerciales, ou par des marchandises — ces dernières entrent à elles seules pour un septième dans l’actif de Bastide. Par rapport à Sabatier, la différence commune à ces deux maisons réside dans l’absence d’intérêt pour le placement en rentes publiques, comme dans la préférence donnée aux affaires commerciales sur les affaires industrielles. Entre un Sabatier et un Bastide toutefois — tous deux Montpelliérains — s’établit la similitude de goût pour les grandes sociétés par actions — la Cie d’Anzin pour l’un, le Canal du Rhône pour l’autre.
Quand le placement immobilier tend-il à l’emporter ?
99Il est d’autres cas où le poids des biens fonciers, des maisons et des domaines, devient majoritaire dans la structure de la fortune des gens d’affaires. Ces cas cessent par là-même d’appartenir au secteur le plus vivant des affaires, dans lequel la fraction immobilière de la fortune joue toujours un rôle fonctionnel autant que d’immobilisation ou d’illustration sociale. Ils évoquent des phénomènes de dépérissement ou au moins de transfert, sauf si l’explication réside, exceptionnellement, dans la nature particulière des affaires traitées.
100Dépérissement ou transfert : c’est la filière classique de l’abandon des affaires pour le genre de vie du grand propriétaire et rentier. Cette conception très marquée par l’Ancien Régime social est toujours sensible au début du xixe siècle dans l’évolution de certaines fortunes bancaires et même industrielles. Ainsi dans le cas de Jean Pierre Germain, l’un des banquiers les plus en vue de la fin du Directoire et du début du Consulat. Son inventaire après décès, en 1803, ne nous donne pas toutes les valeurs et ne permet pas de calculer tous les pourcentages54. Mais il fait bien apparaître l’équilibre général. Passons sur le mobilier, qui avec une valeur de 22 000 F est dans une honnête moyenne (plus de 48 kg d’argenterie représentent à eux seuls 10 000 F dans ce montant).
101Ayant fait partie du groupe restreint de la haute banque qui soutint Bonaparte à ses débuts, on ne s’étonne pas de le trouver parmi les premiers souscripteurs de la Banque de France, dont il laisse 72 actions ; ni porteur de 15 actions sur les Ponts de Paris. Ses intérêts dans la société des Dix Négociants réunis, en liquidation depuis le 30 messidor an IX, ne sont pas précisés. Ce qui frappe en tout cas, c’est l’importance des rentes : 19 640 F de rentes perpétuelles ; 1 100 F de rentes viagères ; 13 555 F de rentes foncières et perpétuelles dans divers départements, provenant du domaine national. Ce qui frappe plus encore, de la part de cet homme né en 1745, c’est l’accumulation ancienne et régulière de la fortune immobilière. Un bien patrimonial à Villeneuve-les-Avignon, sa ville natale, a été vendu à ses deux frères en l’an IV55. Mais en 1781 une maison a été acquise dans la même localité (pour 10 000 F), ainsi que l’étang desséché de Pujaud. En 1786 il achète la verrerie de Tourlaville, près de Cherbourg, pour 12 000 lt ; en 1789, la terre de Benais, près de Langeais, avec des fermes et 280 ha de bois, pour 350 000 lt, à Louis Alexandre de Montmorency-Robecq. Viennent alors les achats de biens nationaux :

102Enfin, c’est le couronnement : toujours en l’an VII, l’achat d’une maison rue de Provence, et en l’an X, de la terre de Cheverny, pour 433 000 F.
103Venus de l’industrie, deux exemples — qui concernent des hommes appartenant presque à la même génération que Germain : Joseph Hugues de Lagarde et Saladin de Crans — illustrent encore la fuite hors des affaires des profits acquis et, pour l’avenir, le souci d’établissement des enfants.
104De Hugues de Lagarde, nous avons un bilan de 1802, dressé dans un moment de difficultés56. Le célèbre savonnier marseillais est devenu un « rentier de l’industrie » : ses cinq fabriques sont données à bail pour 38 200 F, de même que trois moulins à Aix-en-Provence (pour 6 500 F) et le domaine de Lagarde lui-même (5 000 F). Mme Hugues, née Audibert, avait à son mariage en 1770 apporté 200 000 livres de dot ; sa fille, mariée à un Caraman en 1789, en reçut 400 000, et le fils aîné autant en l’an VI. Hugues est obligé de vendre une maison construite à grands frais à Versailles. Cet exemple s’insère bien dans une perspective de renouvellement périodique des milieux d’affaires, dont le cas se présente à Marseille au tournant des guerres de la Révolution.
105De Saladin, l’un des principaux actionnaires et administrateurs de la Manufacture des Glaces, nous lisons l’inventaire après décès57. Ce citoyen de Genève, qui se dit « de Crans » bien qu’il n’en possède pas la terre, paraît n’être que le co-propriétaire d’une maison dans sa ville d’origine. En revanche, le profit industriel s’est ici converti en un portefeuille international dont le cosmopolitisme helvétique nous avait déjà donné, avec Pourtalès, un beau précédent. La composition en est connue, mais pas toujours les valeurs réelles :
France
106Rentes viagères 4 140 F de rentes
107Rentes perpétuelles 6 882 id.
10850 actions de la Banque de France
1091 obligation hypothécaire 85 000
Italie
110Rentes perpétuelles sur le Monte Napoleone de Milan 8 742 Fid.
111Rentes perpétuelles sur Naples 3 700 1. napolit.
Hollande
112Fonds hollandais 4 878 florins
Suède
113Fonds suédois 7 272 ( ?)
Saxe
114Emprunt de Saxe 6 000 F
Grande-Bretagne
115Fonds à 3 % 3 391 livres
116Fonds à 4 % 9 208
États-Unis
1173 % (valeur nominale en dollars) 83 310 dollars
1186% 20 699
1196 % Louisiane 14 600
1206 % différé 8 313
1216% 6 6748
122Le défunt, Antoine Charles Benjamin Saladin, mort en 1814, avait en 1809, 1810 et 1813 marié un fils et deux filles, qui avaient reçu chacun 120 000 F en avancement d’hoirie.
123Il y a plus : la tendance que nous venons de repérer se décèle nettement jusqu’au niveau des manufacturiers les plus actifs. C’est ce qui ressort d’un bilan des frères Sevène. En l’an X, 25,8 % de l’actif est constitué par des rentes sur l’État et par une faible partie de rentes foncières : c’est le second poste de l’actif, après des créances bien sûr (avec 36,5 % du total, elles témoignent de la pleine prospérité de l’affaire, à la fois industrielle et bancaire) et bien avant les immeubles, d’ailleurs représentés pour près de 70 % par les bâtiments manufacturiers de Rouen.
124Hors de là, on repère encore des cas qui peuvent être soit d’espèce, soit liés à des activités professionnelles très particulières. Ainsi, sur un échantillon de dix faillites de marchands de bois importants (actifs supérieurs à 100 000 et parfois à 500 000 F), constate-t-on que les maisons et terres ou bois représentent dans cinq cas de 48 à 63 % de l’actif ; dans trois autres cas le pourcentage s’écarte vers le bas — mais sans tomber au-dessous de 20 % —, et dans les derniers vers le haut (75 et 86 %). Cependant — et le cas peut se présenter également pour certains marchands de vins, bien que nous ne notions pas une tendance aussi nette de leur côté — la question se pose de savoir dans quelle mesure la propriété est ici simple placement, et dans quelle mesure élément de l’activité commerciale58.
125D’autre part, certains capitalistes, qui prenaient pourtant la qualification de négociants, se livraient de façon évidente au trafic des biens immobiliers, plus proches à coup sûr de l’agent d’affaires que du commerçant, sinon du banquier. Les faillites parisiennes nous livrent deux dossiers remarquables à cet égard.
126Le premier est celui d’Antoine Pierre Bandelier-Béfort, failli en 180559 avec un actif de 1 656 000 F pour un passif de 1 469 000 F. Négligeons les marchandises (21 000 F) et les actions de la Caisse d’Escompte du Commerce (10 000 F) ; les créances actives se montent à 701 000 F, soit théoriquement 42,3 % de l’actif total, mais en fait 316 000 F sont représentés par des créances par hypothèque ou par vente. L’immobilier lui-même monte, avec 927 000 F, à 55,9 % du total ; en voici la ventilation :
Paris
127Grand et petit hôtel Villequier, estimés (revenu annuel 45 à 50 000 F) 600 000 F
128Terrain rues d'Hauteville et Mably 116 000
129Maison et jardin au Roule 18 000
Hors Paris
130Ferme de Pressagny-l'Orgueilleux (Eure) 150 000
131Ferme de La Foltière 20 000
132Ferme des Mûriers 10 000
133Maison et jardin à Berny 13 000
134Les créances hypothécaires (271 000 F) reposent principalement sur des maisons parisiennes ; les ventes (45 000 F) de même. L’un des bénéficiaires du crédit de Bandelier-Béfort, tant par prêt hypothécaire que par avances en compte courant, est, pour un montant de 164 000 F, le manufacturier Marc, métallurgiste à Paris, dans l’Enclos de la foire Saint-Laurent, et à Chantilly, dans un ancien bien des Condé60. Marc travaillait le cuivre pour la fabrication de « chandeliers modernes et anciens » ; le financement de l’affaire, dont l’achat et l’équipement en l’an VIII avaient coûté plus de 250 000 F, avait aussi reçu le concours de Magnier et Caron, une grosse maison de mercerie de la rue Saint-Denis, sous la forme d’un autre prêt hypothécaire de 100 000 F.
135Le second dossier est celui de Goisson et Cie, failli en 180361. Le stock immobilier, déjà partiellement vendu au moment du bilan, s’élève cette fois à tout près de deux millions de francs, soit 24 % de l’actif total ; mais les 76 % restants sont constitués essentiellement par une créance sur la Cie Mannier, fournisseurs en cours de liquidation, d’un montant voisin de six millions — valeur sans doute toute nominale. Outre une maison d’une valeur de 400 000 F rue de Lille, les immeubles comprennent d’énormes biens forestiers et des domaines dans la région charentaise, et deux maisons à Bordeaux et dans le Bordelais. Nous ne connaissons pas les origines géographiques et sociales de Goisson, réserve faite de son contrat de mariage par lequel son épouse paraît lui avoir apporté la respectable somme de 322 000 F. Mais l’analyse de ses créances passives (3 600 000 F) indique qu’il avait une clientèle de propriétaires et de rentiers parisiens plus encore que de négociants, banquiers ou agents de change, et laisse imaginer qu’il pouvait s’occuper essentiellement de drainer des capitaux à placer dans les fournitures militaires. On serait tenté de parler de « gestion de fortunes particulières », à l’instar de modernes cabinets parisiens, en constatant les 170 000 F de créances des héritiers Praslin, et les 635 000 F de créances d’une Mme de La Rochefou-cault (132 000 F d’obligations, 133 000 F pour vente de bois, 370 000 F de prêt hypothécaire). A l’autre extrémité de la chaîne des opérations se situait sans doute l’acquisition, la gestion, éventuellement la revente des biens fonciers, pour une bonne part d’origine nationale selon toute vraisemblance.
136Ainsi paraît se confirmer, au terme d’une conjoncture d’exceptionnelle mobilité des propriétés, l’attrait que le secteur immobilier continuait d’exercer sur une catégorie de capitalistes dont nous ne pouvons, au reste, mesurer l’importance exacte dans le milieu parisien. Si on laisse de côté, toutefois, la fonction sociale des placements immobiliers, il ne fait pas de doute, sur un plan strictement économique, que cette forme de capitalisation présentait des inconvénients sérieux : « élasticité » du capital, qui demande pour être pleinement valorisé un délai de négociation en cas de vente, une surveillance de la gestion en temps normal ; rapport relativement faible, aussi. Au capitalisme parisien s’offraient simultanément, c’est indéniable, d’autres possibilités, de plus en plus nombreuses, de plus en plus alléchantes, et pas nécessairement beaucoup plus chargées de risques. On peut par suite avancer l’hypothèse selon laquelle, du moins en ce qui concerne le capitalisme bancaire, commercial et industriel parisien, la Révolution n’a pas encouragé la « déviation foncière » des capitaux, ou en tout cas n’a pas infléchi leur mouvement de participation aux grandes affaires d’horizon national ou international, déjà si caractéristique des dernières décennies de l’Ancien Régime.
Notes de bas de page
1 Voir chapitres VII et VIII.
2 Arch. nat., M.C.N., XVIII, 988, 990, 995, et XCIII, 262.
3 Toutefois les Tiberghien paraissent être d’origine française.
4 Cf. Darquenne 1970, p. 599 ; Arch. nat., F12, 2305 et 2405 ; M.C.N., XCIII, 221 et 229.
5 Cf. Vaudour 1962.
6 Arch. de Paris, D 11 U3, 2/254, 3/516 ; Arch. nat., M.C.N., XCIII, 264.
7 Arch. nat., F12, 2296. La filature et le tissage du Vast occupaient de 3 à 4 000 ouvriers. L’actif dépassait en 1811 trois millions : 350 000 F pour la terre du Vast, 1 460 000 F pour la fabrique, 1 250 000 F de marchandises.
8 Arch. nat., M.C.N., XXVI, 852.
9 Ibid., XV, 1179 et 1187 ; F12, 2305. La faillite de Chéradame et Bidois, en décembre 1805 — il s’agit de négociants en toiles et draps — révèle encore l’achat à Gal-lien, négociant de Granville, de la filature de La Luzerne, valant quelque 500 000 F. Il semble d’autre part que Desprez ait été à quelque moment commanditaire de la filature Duchâtel et Berthelin, de Troyes.
10 Arch. nat., M.C.N., XV, 1148.
11 Ibid., CVIII, 856 et 857.
12 Ibid., XXVI, 871 ; F12, 502 ; Arch. de Paris, D 31 U3, 9/222. Ladouëpe du Fougerais (ou son père ?) avait épousé Julie Marie, sœur de l’armateur bordelais Paul Nairac.
13 Arch. nat., XCIII, 282. Les frères Mollerat entreprennent en 1807 d’exploiter leur brevet sur tout le territoire national en s’associant dans une Cie des Charbons acides et Goudrons avec Vauquelin, J. C. Perier, et Buffault, receveur général de la Meuse.
14 Ibid., F12, 502. Ollivier et Outrequin ouvraient également crédit à Lousberg.
15 Arch. de Paris, D 31 U3, 4/122.
16 Arch. nat., M.C.N., XCVIII, 737.
17 Ibid., BB30, 1095. Baron en 1818, Saillard constitue un majorat en 1821. Il a alors un revenu annuel de l’ordre de 60 000 F, dont son hôtel de la rue de Clichy, son domaine de Rugles (avec grosse forge, fourneau, fonderie et laminoir) et une ferme dans les Ardennes (avec laminoir en cuivre et fonderie) constituent les pièces maîtresses.
18 Voir chapitre VI.
19 Arch. de Paris, D 31 U3, 3/48 et 4/173.
20 A. D. Hérault, fonds Sabatier, I E 1290.
21 Essentiellement, d’après Arch. nat., M.C.N., CVIII, 823, 859, 883 ; et XVIII, 1037.
22 Barker 1961.
23 Arch. nat., M.C.N., CVIII.
24 Ibid., CVIII, 823.
25 Arch. de Paris, D 31 U3, 7/116. Mises en valeur depuis 1770, les mines de Noyant et Fins, d’abord exploitées par une société où dominaient des Parisiens, écoulaient leur production, comme celles d’Auvergne et du Forez, presque exclusivement dans la capitale.
26 Saint-Léger 1935-36, t. I1, p. 77-78.
27 Voir Payen 1969.
28 Arch. nat., M.C.N., XVIII, 1037.
29 Ibid., CVIII, 885.
30 Ibid., CVIII, 882.
31 Ibid., XLVIII, 440.
32 Arch. de Paris, D 31 U3, 3/485.
33 Ibid., 2/300. La fabrication porte sur les « sel de saturne, blanc de plomb, régule, crocus, éther, tous les alcalis des cristaux devenus épurés, vinaigre radical, sels quadruples propres aux rouges de garance sur laine et mordants de violet d’indienne également applicables à la teinture du coton ».
34 Les papiers Chaptal ont été détruits du fait de l’occupant pendant la deuxième guerre mondiale.
35 Voir Tinthouin 1956-1957.
36 Arch. de Paris, D 31 U3, 4/120.
37 Ibid., 5/61 et 62, et Arch. nat., M.C.N., XV, 1585. La première société comprenait Decroos, de Bagnolet, « fabricant de savons noirs, savons blancs et autres savons fins » (Arch. de Paris, D 31 U3, 2/286) ; l’exploitation se fit d’abord rue Culture Sainte-Catherine, au Marais, avant de partir rue de Montreuil, au faubourg Saint-Antoine. En 1811, Decroos sort de la société, mais les autres associés étendent au contraire leurs affaires : outre la fabrication et le commerce du savon à Paris, elles comprendront désormais « la fabrique de soude par le moyen des terres pyriteuses » à Quesey, près de La Fère.
38 Nous n’épuisons pas ainsi le dossier des industries chimiques parisiennes. Ainsi peut-on noter que les savants Fourcroy et Vauquelin se sont aussi engagés dans le commerce en créant sous la raison Lemercier et Cie, en l’an XII, des laboratoires de fabrication et d’enseignement dans des bâtiments de la rue du Colombier (Arch. nat., M.C.N., XCVII, 638). Un des administrateurs généraux des Poudres et Salpêtres, Riffault, entre en société avec Curaudau, un fabricant de Vaugirard, pour la fabrication de l’alun, de l’acide sulfurique « et de tous les produits chimiques qui pourraient offrir quelque bénéfice par l’application des procédés déjà trouvés ou qui pourraient l’être par la suite par Curaudau » (Arch. de Paris, D 31 U3, 3/396). Dans les années 1810, la fabrication de la soude « factice » (artificielle) tente aussi le « chimiste manufacturier » Defrantz, le médecin Fabré (Ibid., 6/183 et 7/91). L’un des frères Pluvinet, fabricants à Clichy-la-Garenne, au capital de 150 000 F en 1810 (Ibid., 6/31) est peut-être aussi médecin. Nous ne savons qui était ce Decourcillon autour duquel s’organisent en 1809 et 1810 deux sociétés, l’une au Point du Jour pour la fabrication de soude artificielle, l’autre pour celle du savon, au capital de 120 000 F (Ibid., 5/152 et 6/64).
D’autre part, dans d’autres secteurs de l’industrie chimique l’expansion paraît également liée à la période napoléonienne. Citons l’épuration des huiles à brûler, encouragée sans doute par les progrès de l’éclairage public, et qui a ses grosses affaires, telle De Tryon et Cie, au capital de 200 000 F en 1811 (Ibid., 7/37) ; la carbonisation et distillation du bois pour fabriquer des acides pyroligneux, fondée sur l’exploitation du brevet de Philippe Lebon ; enfin la parfumerie (Fargeon, Guerlain, Laugier, etc.).
39 L’établissement d’une raffinerie de sucre de betterave paraît avoir coûté autour de 100 000 F vers 1812. Jean Raoul Chappellet, fabricant à Aubervilliers, aidé de deux commanditaires, rassemble un capital de 120 000 F. Dumesnil, sucrier à La Va-renne Saint-Maur, est soutenu par une commandite de 100 000 F, dont 32 000 utilisés pour les « chaudières et ustensiles ». Même somme chez Ducommun (Arch. de Paris, D 31 U3, 7/120, 8/159, 9/280).
40 Cf. Fiérain 1973.
41 Arch. nat., F12, 1566.
42 Ibid., 1570 et 2314.
43 Arch. de Paris, D 31 U3, 1/87. La formation de cette société est consécutive à un décret consulaire. Il n’y a certes rien d’étonnant à ce que Lecouteulx ait bénéficié de l’exécution d’un projet d’urbanisme officiel.
44 Ibid., 4/16.
45 Arch. nat., F12, 6809 ; Arch. nat., M.C.N., XVII, 1108. Les administrateurs de la société soulignent eux-mêmes dans une lettre au préfet de l’Hérault que Montpellier a déjà suscité, en dehors de leur propre affaire, « deux sociétés considérables chargées, l’une de la fourniture générale des lits militaires de l’Empire, l’autre de la construction du canal de Beaucaire ». Toutefois il s’agit cette fois d’une entreprise mineure : le capital n’est que de 200 000 F. L’administration principale est à Montpellier, l’administration secondaire à Paris, qui « est chargée de suivre auprès du gouvernement et des ministres les réclamations de la société ». Les associés sont pour la plupart montpelliérains ou languedociens, au moins d’origine ; on y trouve aussi cependant l’un des manufacturiers de Vizille, Arnold, un négociant de Grenoble, deux fonctionnaires de l’administration centrale à Paris.
La Tour d’Auvergne avait dans le même temps vendu plus de 1 000 ha de marais à Caignard-Durotoy, dont il a été question plus haut, et à un négociant parisien.
46 C’est à dessein que nous qualifions ainsi Gévaudan, apparemment figure mineure de ce milieu. En fait, il est en même temps au cœur de l’administration des Messageries générales, érigées en S. A. le 2 juillet 1808, en compagnie de son compatriote Cailus, de Nodier — négociant à Sète — et, d’autre part, des Poissallolle de Nanteuil (Arch. nat., F12, 6757).
47 Ibid., M.C.N., XXII, 171, inventaire après décès de la Vve Gévaudan. Miot de Melito avait deux frères : Antoine, chef du secrétariat du 2e arrondissement de la police générale ; Jacques, commissaire des guerres en activité aux armées. Quant à Bonnaric, il avait pour aînés Jacques, négociant à Sète, et Philippe, négociant à Pézenas — tous trois fils de Jean Bonnaric, mort à Pézenas en 1778.
48 Arch. nat., M.C.N., XCIII, 330.
49 Au passif, toutefois, le poste essentiel (67 %) est représenté par 11 426 000 F en « compte de changes », ce qui semble bien indiquer la persistance chez Michel jeune, à cette date, de spéculations purement bancaires. Le deuxième poste du passif, avec 3 476 000 F (20 %), va aux « effets à payer ».
50 Cf. Gille 1965.
51 A. D. Hérault, fonds Sabatier, I E 1290. Les legs sont au profit de Jeanne Baudin et de son fils naturel dont Guillaume est le père ; au profit d’un autre fils de Jeanne, et d’un enfant naturel d’Étienne Sabatier, frère de Guillaume.
52 Par exemple, 78 000 F prêtés à Charles et William Callon frères, manufacturiers à Pont-Audemer.
53 Cf. Veyrassat-Herren 1973.
54 Arch. nat., M.C.N., XV, 1156.
55 L’un d’eux, Benoît, est receveur à Carpentras.
56 Arch. de Paris, D 11 U3, 17/1246.
57 Arch. nat., M.C.N., XXVIII, 695.
58 Ce qui est certain, c’est que les bilans de faillites ne permettent pas de se livrer à des calculs d’une solidité suffisante quant à la place des biens immobiliers dans les actifs des négociants et gros marchands, par exemple. Aucune conclusion ne se dégage d’une invraisemblable dispersion, qui va de moins de 10 à près de 90 %. L’explication n’en est pas difficile : les montants totaux des actifs sont sujets à caution (s’ils sont gonflés par des créances qui sont parfois des non-valeurs) ; si l’immobilier tient une place très faible, c’est peut-être parce qu’une bonne part en a déjà été liquidée au cours des difficultés précédant la suspension de paiements ; s’il tient une place visiblement excessive, cela peut résulter de la sclérose ou de la léthargie de l’affaire, dont le volume de créances actives se trouve alors anormalement réduit, etc.
59 Arch. de Paris, D 11 U3, 27/1890-1891, et Arch. nat., M.C.N., CVIII, 864.
60 Arch. nat., M.C.N., XCIII, 247, 258, 266.
61 Arch. de Paris, D 11 U3, 22/1518.
Notes de fin
1 Après concentration entre ses mains de l'héritage de Claude Perier.
2 A quoi il faudrait en fait ajouter un sol au nom de son neveu mineur Auguste Louis.
3 Arrérages non chiffrés, ici.
4 Hérault.
5 Seine-et-Oise.
6 Terre patrimoniale d'Allarde, commune de Givardon (Cher).
7 Haute-Saône.
8 Et en outre, « pour mémoire », 50 actions de la Cie des Indes, deux obligations hypothécaires en Suisse, 15 000 F de « bons royaux français » (première Restauration ?).
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