Chapitre III. Le milieu des grandes affaires à Paris : étude des origines géographiques.
L’immigration étrangère
p. 65-86
Texte intégral
I. LES SUISSES
1Le milieu de la haute banque parisienne, à l’aube du xixe siècle, se nourrit donc largement de l’apport d’éléments provinciaux qui, sans pour autant rompre les attaches avec leurs villes et leurs régions d’origine, viennent se fondre dans le creuset des affaires de la métropole — affaires où se mêlent des tentatives de reconstitution des mécanismes de propriété d’un xviiie siècle révolu, des opérations suscitées par la conjoncture politique, des activités, aussi, d’un type plus moderne.
2Mais la haute banque n’en reste pas moins conforme, aussi, aux structures caractéristiques de ce groupe socio-professionnel antérieurement à 1789 — structures très marquées par le rôle de premier plan des banquiers protestants suisses, d’origine française ou non (telle est du moins, jusqu’à nouvel ordre, l’image qui se dégage des impressionnants travaux d’Herbert Lüthy). Sans doute, d’autres travaux le diront1, certains de ces banquiers ont-ils éprouvé, du fait de la faillite financière de l’Ancien Régime et des aléas politiques de la Révolution, de sérieuses pertes matérielles, et certains noms de familles ou de firmes ont-ils disparu de la scène. L’impression — qu’il faudrait pouvoir confirmer par le calcul d’un pourcentage à partir de la totalisation des capitaux sociaux ou d’actifs nets à un moment donné — est pourtant que la banque suisse continue à tenir une place très importante, à la fois du fait de la survivance de nombreuses maisons parmi les plus puissantes, et en raison de l’infusion d’un sang nouveau, de la reprise du flux des hommes et des capitaux en direction de Paris.
Genevois
3La vieille génération est ici, au premier chef, représentée par les frères Guillaume et Isaac Jean Jacques Mallet, associés à leur cousin Jacques Torras sous la raison Mallet frères depuis 1794, date de renouvellement d’un acte de société qui ne connaîtra plus de modification jusqu’au début de la Restauration. « C’est à titre de la banque la plus ancienne de Paris, avec celle de Lecouteulx, que la maison Mallet devint co-fondatrice de la Banque de France, et non à titre de colosse d’affaires, ni de participante au complot du Dix-huit Brumaire », note Herbert Liithy2 qui signale en outre la prudence de cette société : investissement de tous ses bénéfices et d’une grande partie de son capital en achats de biens nationaux dans les districts de Bapaume et de Saint-Quentin ; limitation du capital à 780 000F lors de la nouvelle mise de fonds de 1803, capital ramené à 480 000F à la suite de pertes dans la crise de 1810. Une banque solide, en somme, grâce à la relative médiocrité de ses opérations. C’est bien ce que confirme l’analyse de la fortune, honorable mais non éclatante, de Guillaume Mallet, l’aîné, époux depuis 1786 d’Anne Julie Houel — analyse à la date de 1811, au moment où le nouveau baron d’Empire se préoccupe de rendre transmissible son titre par la constitution d’un majorat. Il s’agit d’une fortune immobilière déjà ancienne, et que très peu d’acquisitions récentes sont venues étoffer :
- A Tremblay-les-Gonesse (Seine-et-Oise) :
- la ferme de Chalmassy, 101ha de terres labourables, bien national acquis le 25 mai 1791, affermée 7 605F
- la ferme de L’Archevêché, 49ha, bien national acquis le 1ermars1791, affermée 3629
- A Cléville (Calvados), une ferme de 4,61ha, achetée le 26 avril 1810, affermée 640
- A Saint-Aignan de Gramesnil (Calvados), une ferme de 5,50ha, achetée le 12 floréal an VII, affermée 300
- A Paris, la moitié en indivision de sa maison du 13 rue du Mont Blanc, acquise le 4novembre1791, valeur en capital 150 000
4Si l’on estime la valeur des biens affermés sur le pied habituel d’un revenu de 5 %, on obtient un capital immobilier total de l’ordre de 400 000F, ce qui est nettement inférieur à celui d’un grand nombre de banquiers, gros négociants, fournisseurs ou propriétaires rentiers3.
5Survivance non moins prestigieuse, quoique promise à une extinction assez prochaine dans le monde des affaires : celle des Saladin. Il est vrai que la fortune d’Antoine Charles Benjamin Saladin (1757-1814), au vu de l’inventaire après décès, se présente surtout comme celle d’un rentier et d’un héritier — l’héritage étant celui du fameux Antoine Saladin de Crans, véritable maître de l’administration de la Manufacture royale de Glaces dans la seconde moitié du xviiie siècle4. Cet héritage paraît, en tout cas, avoir été heureusement géré. Si le défunt ne détenait qu’une fraction modeste du capital de la manufacture — 11 deniers 73/192, c’est-à-dire moins d’une action sur seize (le jeu des partages successoraux expliquant sans doute cette arithmétique compliquée), nous pouvons supposer que d’autres membres de la famille détenaient également des fractions de ce capital. Par ailleurs, le défunt possédait, outre cinquante actions de la Banque de France, un portefeuille de fonds d’État réparti entre la France (11 000F d’inscriptions viagères ou perpétuelles), le Monte Napoleone de Milan (près de 9 000F de rente), Na-ples (3 700 livres de rente), la Suède (7 272F de rente), la Hollande (4878 florins en capital), la Grande-Bretagne (12 599 livres sterling en capital, à 3 et 4 %), les États-Unis (environ 66 000 dollars en capital). A quoi il faut ajouter, en avancement d’hoirie. 100 000F donnés à son fils aîné Antoine Charles Guillaume, résidant à Genève, lors de son mariage en 1809, et 120 000F à sa fille aînée Charlotte Ariane, mariée en 1810 au baron de Courval, et résidant dans l’Aisne au château de Pinon. La succession dans le poste d’administrateur de la Manufacture de Glaces fut prise par le fils Auguste Henri, qui était officier du génie et résidait à Paris, et plus tard par un neveu, Alfred François, négociant à Paris ainsi que son frère Louis, et l’un des associés gérants de la banque Schérer et Finguerlin.
6C’est toute une ancienne colonie genevoise encore qui se reconstitue autour des Johannot, Jaquet, Senn5. Entre Jean Louis Johannot et les Genevois de Genève, les liens d’affaires et de famille se renforcent encore puisque Jacques Antoine Odier représente la maison de la place Vendôme pour les voyages à l’étranger, tandis que la fille de Johannot épousera en 1813 Jacques Bernard Dunant, négociant à Lyon mais fils de Louis Dunant de Genève6. Son frère Jean Johannot est pour sa part associé dans une maison de banque et commission — qui a existé, à tout le moins, du 1er ventôse an IX au 30décembre1808 — à Jean Paul Martin et Jean Louis Masbou7. A cette date, il est vrai, chacun des associés manifeste le désir de « se retirer des affaires » ; Jean Johannot devait mener désormais une vie de rentier et de notable, achetant et affermant un domaine à Bercy, propriétaire et maire à Vaucresson8 ; Jean Louis Masbou mourut retiré en Suisse, à Plainpalais, en 1836, laissant un actif brut supérieur à un million et demi de livres, dont 425 000 en immeubles et 853 000 en fonds publics.
7Vers la fin de l’Empire, la présence genevoise se renouvelle et s’active, en rapport, bien sûr, avec les possibilités particulières de spéculation qu’offre alors Paris — pour autant qu’on puisse généraliser à partir de trop rares indications concernant les mobiles qui ont déterminé les implantations géographiques des firmes.
8Ainsi relève-t-on la constitution, en 1809, d’une société Viguier, Debar et Cie, ayant deux sièges : l’un à Paris, dirigé par Pierre Viguier, de Genève, sous les commandites de Béranger (Genève) et Vernet père et fils de Marseille (mais c’est en fait le refuge genevois) ; l’autre à Lyon, avec Samuel Debar (de Crassier, près de Nyon) ; le capital est de 400 000F9. Et encore, en 1812, celle de la société Mathieu Pattey, dont le chef avait, sous le Consulat, dirigé une maison à Marseille sous la raison Pattey, Bientz et Cie (sous la commandite des frères Merian de Bâle) ; il est désormais à la tête d’une affaire au capital de 5 à 600 000F, souscrit par une impressionnante série de « Genevois » : Cayla de La Rive, Mallet de Tournes, Mallet-Blanquet, Favre-Cayla, Jurine, Roux d’Assier, Dunant, Pache de Montguyon, Dupin, de Chapeaurouge, Mme Joly, Breloz, Masbou, Perrot-Jacquet-Droz, Duchêne, Mouchon, Blondel, Bourdillon, Viollier et Cie, Antoine Fornachon, Bidermann fils, Verdeil, L’Hardy, Aguillon, Mange, Entz et Cie, Jobaz, et aussi Merian-Forcart10. Il s’agit de commission en banque et en marchandises.
9Ainsi, surtout, les années 1810 voient-elles l’introduction dans le milieu de la banque parisienne d’un personnage considérable, Henri Hentsch. Nous avons au surplus la chance de n’être pas démunis d’informations à son sujet11.
10Genevois, Hentsch ? En fait, de fraîche date : son père, Benjamin Gottlob, originaire de Basse-Lusace, n’était venu s’installer à Genève qu’en 1758 ; il y avait épousé Marie Charlotte de La Porte, d’une famille cévenole. Son fils Henri (1761-1835) a suivi vers la France et vers la banque un cheminement très classique : celui des toiles et indiennes, « happées » en-deçà des frontières orientales du royaume par la politique économique de Calonne. Après trois ans d’apprentissage chez Develay et Cie, négociants en toiles, il se trouve engagé par Picot, Fazy et Cie, épousant entre-temps (1784) une Cardoini, fille du pasteur de Dardagny, près de Genève, dont lui naîtront ses fils Isaac (1785) et Charles (1790).
11Au renouvellement de la société Picot, Fazy et Cie prenant effet au 1er janvier 1788, Hentsch, qui avait déjà un petit intérêt dans l’ancienne société, entre dans le groupe des associés, dont la composition est donnée ci-après.
12Ces fonds — une masse considérable : 680 000 livres de Genève — portent intérêt à 5 % par an. La société est « pour le commerce de toileries, fabrication de toiles peintes et autres qui pourraient se présenter ». Elle met fin à une ancienne société Picot, Fazy, Sue et Cie, à Montpellier, mais prévoit d’autre part des extensions : un établissement à Cernay, un autre à Lyon — maison de commerce et manufacture de toiles peintes — à installer dans un bâtiment fourni par Bugnon. Il est essentiel, pour comprendre les débuts de Hentsch, de se souvenir que la société s’interdisait de spéculer sur les fonds publics, de France ou d’ailleurs, de prendre des intérêts dans des armements pour l’Inde ou ailleurs. Elle se fixait en revanche pour objectif de tenir les prix à un niveau permettant d’espérer un bénéfice de 20 %.

13Des deux chefs de la maison, restés à Genève, l’un, Picot, était déjà un vieillard, né en 1706 ; Fazy, né seulement en 1735, avait donc la direction effective. A Lyon, Hentsch, Sue et Bugnon restaient par suite les vrais responsables du nouvel établissement, dont la création semble d’ailleurs antérieure à l’acte de société lui-même. Il avait nécessité des investissements énormes : 600 000lt pour la manufacture elle-même, 2 300 000lt de toiles blanches achetées à Lorient en 1786-1787 ; 180 000lt de toiles du Beaujolais et de Suisse. A quoi Hentsch ajouta en 1 787 130 000lt pour l’achat de coton filé et l’établissement de 480 métiers à tisser le coton. Soit au total 3 210 000lt. Les chefs de la maison le critiquèrent fort et firent arrêter dès 1788 l’entreprise de tissage : à les en croire, Hentsch, qui l’avait lancée en 1787 lors de la crise lyonnaise de la soie pour donner de l’ouvrage aux chômeurs, n’aurait obéi qu’au désir de recueillir « des louanges, des flagorneries de l’Intendant, des sieurs Tolozan et consorts », sacrifiant ainsi « à son amour-propre ses associés ». Il est vrai que l’entreprise se solda par un déficit — de 70 à 80 000lt de perte — et que Hentsch et Sue avaient, par-dessus le marché, pris pour 150 000lt d’intérêts sur deux vaisseaux pour les Indes ! Toutefois l’indiennerie, qui occupait de 5 à 600 ouvriers, marchait bien et, grâce aux rentrées correspondant à la liquidation de l’ancienne société, aux ventes comptant à Bordeaux, Montpellier et Lyon, les dettes furent épongées dès 1790. En 1790-1791, il fallut renouveler les stocks de toiles blanches, dont il fut acheté pour 400 000lt à Lorient et pour 500 000 à Livourne. En 1791, les bénéfices commerciaux furent considérables.
14Malheureusement pour Picot et Fazy, Hentsch se lança dès la fin de novembre1790 dans des opérations de banque, plus précisément dans le négoce des lettres de change. Le 3mai1793, il envoyait à Genève un tableau annonçant des bénéfices de 900 000lt pour l’année passée. En fait, d’après une Instruction des sieurs Picot, Fazy et Cie à MM, leurs créanciers parue à Lyon en l’an IV, Hentsch aurait fait perdre plus d’un million à la société (perte provenant entre autres de papiers protestés sur l’étranger) et se serait trouvé compromis dans les faillites de Bontems, Mallet et Cie, de Chol Boscary, etc. C’est le moment que Hentsch et Deonna choisirent pour exiger de sortir de la société avant son expiration. Fulcran Sue devait mourir peu après, devant encore 1 400 000lt à la maison de Genève pour celle de Montpellier. Bugnon sortit à son tour de la société. Picot et Fazy firent donc face seuls à la faillite et à la liquidation, rendues d’autant plus inévitables par les événements de la guerre civile, qui n’avaient toutefois pas anéanti la fabrique. Ils réussirent à payer complètement leurs créanciers mais demeurèrent ruinés puisque l’actif restant ne couvrait pas le tiers de leurs mises dans la société.
15Selon Fazy, Hentsch, « avec une imagination exaltée », était « avide de gloire, envieux d’être le premier banquier de Lyon, grand amateur de flagornerie ». Faisons la part des exagérations propres à un factum judiciaire : il reste, à tout le moins, une profonde opposition de tempéraments entre deux hommes d’affaires, entre le style du négociant manufacturier classique et prudent, et le style du banquier plus prompt à saisir l’aventure et la spéculation — et aussi à courir le risque ; s’il eût réussi, les considérations moralisantes de ses anciens patrons eussent sans doute cédé la place à l’estime et à la louange. Il est en tout cas symbolique de la réussite ou de l’échec économiques en ce temps que ce soit la « tête chaude » qui ait en fin de compte vu l’avenir s’ouvrir devant lui, tandis que la vieille société genevoise sombrait dans la médiocrité, ou tout au moins persévérait avec beaucoup moins de brillant dans un type d’affaires hérité d’avant la Révolution. Il vaut la peine, même au prix d’un détour dans notre propos, de suivre un peu les deux filières.
16En 1801, Marc Antoine Fazy, fils de Louis Charles, né en 1778, entre en association avec Charles Dunant et Paul Roux dans une société de caractère familial, pour le « commerce de toileries et autres articles ». Le capital se limite à trois apports, de 50 000 livres de Genève chacun, ce qui est bien modeste par rapport à la concentration de capitaux que Fazy père avait pu réaliser en des temps meilleurs. Toutefois les liens sont rétablis avec Lyon, où la société commandite la maison Brison, Berhé et Cie. D’autre part, en 1806, la société est renouvelée et élargie à David Charles Odier qui apporte 100 000 livres de plus : cet Odier paraît avoir eu une maison de banque à Lausanne. Roux meurt la même année. En 1808, Odier n’est plus que commanditaire, mais la société intègre Jean Frédéric Stoutz (d’une famille originaire de Marburg) et le capital est alors de 200 000 livres de Genève soit, nous est-il alors précisé, 326 500F ; lors du renouvellement de 1813, la commandite d’Odier cessera12.
17C’est dans cette période que les héritiers de l’ancienne et glorieuse firme Fazy-Picot se montrent le plus audacieux. Ils créent à Carouge une filature et un tissage de coton « à l’instar de Mulhouse », qui emploie deux cents ouvriers, hommes et femmes. En 1813, ils s’associent à Ducloux cadet et Cie, de Lyon, au capital de 400 000F, dont 150 000 fournis par des commanditaires genevois, 50 000 par Ducloux et 200 000 par Fazy, Dunant et Stoutz. Mais l’usine de Carouge ne paraît avoir fonctionné que pendant sept ans13. On serait donc bien, avec cet exemple, dans la ligne de l’hypothèse d’Anne Marie Piuz14, qui considère la période s’étendant du début du xviiie siècle à l’époque napoléonienne comme celle d’un essai manqué d’industrialisation : ici, c’est une tentative d’intégration verticale qui n’a pas fait long feu ; dans d’autres cas, c’est la modernisation des procédés d’impression des toiles qui ne s’est pas faite. L’indiennerie Fazy de Genève, qui avait été portée au premier rang par Jean Louis, frère de Louis Charles, a été reprise par son fils Jean Samuel (1765-1843), le directeur de la fabrique d’indiennes des Perier à Vizille avant la Révolution, et ultérieurement par Jean Baptiste Peyrot, Joseph Labarthe et Cie. Jean Samuel lui-même en crée une, mais c’est à Choisy-le-Roi. L’autre survivance, à Genève, est celle de la vieille et également puissante société Petit, Senn et Cie, qui a en outre, sous l’Empire, des maisons à Lyon et à Mulhouse, et entretient d’ailleurs des liens indirects avec les Fazy puisqu’un Dunant est également parmi leurs associés. Quel a été le sort, d’autre part, d’une société Joly, Jacquenod et Cie, de 1809, au capital de 500 000F réparti en 50 actions de 10 000F, créée pour l’exploitation d’une manufacture de coton à Contamine-sur-Arve, et qui avait, semble-t-il. attiré au départ des capitalistes d’un assez large horizon (8 actions placées en Suisse du nord, dont 5 entre les mains des frères Merian de Bâle ; 11/2 à Neuchâtel. chez Théophile Tribolet et chez Paul Coulon) ? Nous ne suivons pas la société Joly, Jacquenod et Cie au delà du renouvellement de 1813, lors duquel elle prit le nom de Joly, Fehr et Cie15.
18Ainsi, à Genève, l’articulation se serait mal faite entre capitalisme commercial et investissement industriel local, et l’on assisterait à une fuite persistante vers la banque « pure » et vers l’étranger. C’est bien, en effet, ce que nous constaterons en revenant à Hentsch. Rentré à Genève en 1793, il doit fuir la ville pour Nyon. Avec Edme Mémo, un Vaudois, il prend en 1794 la gérance d’une maison de commission de soieries en gros. Tout en la conservant jusqu’en 1798 il revient à Genève dès 1796 avec son associé pour y fonder — c’est l’acte de naissance de la maison — une affaire de soieries et de commerce de commission. En 1798, Hentsch s’associe avec Jean Gédéon Lombard, un cousin issu de germains, qui avait fait son apprentissage chez Schérer et Finguerlin à Lyon, puis chez Delarue à Gênes ; mais cette association ne dure elle aussi que deux ans : en 1800, Lombard entre en société avec Jean Jacques Lullin, son beau-frère — tous deux ayant épousé des filles Morin-Ruelle, de Dieulefit16. Depuis 1798, Hentsch participe au service des paiements en numéraire pour l’armée de Bonaparte — ce qui ne l’empêchera pas d’être aussi le banquier de Mme de Staël. Il deviendra bientôt membre de la Chambre et du Tribunal de Commerce. On sait malheureusement très peu de choses de ses activités17. Il commandite à partir de 1806 Louis Pons à Lyon (c’est la future maison Vve Morin, Pons et Cie) ; il prend une action dans la manufacture de coton Joly, Jacquenod et Cie. Il travaille aussi avec un François Paul Sarasin et un Albert Picot, devenus en 1809 ses associés en même temps que son fils Isaac. Depuis 1803, il emploie aussi Jacques Antoine Blanc, associé à son tour en 1812, et chargé en août de cette même année d’ouvrir une maison de commission à Paris, commanditée pour 200 000F par la maison de Genève. Cette dernière s’ouvre en 1813 au second fils du fondateur, Charles Hentsch. Henri ne tarde d’ailleurs pas à gagner Paris à son tour, où la maison prend la raison de Hentsch, Blanc et Cie, cependant que la maison de Genève, gérée par les deux fils, passe au second plan. En fait, tout en s’in-tégrant très vite à la haute finance parisienne, Henri Hentsch n’en poursuivra pas moins l’intégration de sa famille au milieu genevois : son fils Charles épouse une Chevrier, alliée aux Odier ; lui-même prendra plus tard pour associé dans une nouvelle affaire parisienne, en 1826, un neveu — Georges Lecointe — qui avait d’abord été l’associé des Senn dans leur maison de Lyon18.
Vaudois
19Implantés à Paris — après Lyon — depuis 1777, les Delessert y demeurent par-delà la Révolution les plus brillants représentants d’une immigration vaudoise qui, du reste, se caractérise à l’époque napoléonienne par un dynamisme supérieur, sans doute, à celui de tous les autres foyers de la Suisse, romande ou alémanique.
20La Révolution coïncide toutefois, chez les Delessert, avec un changement de génération. A la veille de 1789, le chef de la maison était Étienne Delessert (1735-1816), marié depuis 1767 à Madeleine (1747-1816), fille de Pierre Boy de La Tour et de Julianne Roguin — la cadette, Julie, ayant épousé Guillaume Mallet : ainsi s’établissaient des alliances avec Neuchâtel, Yverdon et Genève19. Il était associé à son frère Paul Benjamin, mais celui-ci ne tarda pas à se retirer à Cossonnay, où les Delessert étaient installés depuis 1614 et avaient acheté le château en 1693 ; le troisième frère, Jean Jacques, y résidait déjà. Les autres associés étaient le Lyonnais Jean Baptiste Rodier et le Genevois Guillaume Frédéric Colladon ; le capital était, lors de la société de 1788, supérieur à un million de livres. En 1789, Étienne Delessert étend un réseau de relations déjà prestigieux en mariant sa fille Marguerite Madeleine au Genevois Jean Antoine Gautier, installé à Hambourg dans le commerce des denrées coloniales, et qui mourra en l’an IX20.
21En 1795, Étienne Delessert, sexagénaire, n’est plus que commanditaire de sa banque, à la tête de laquelle lui succède son fils Jules Paul Benjamin (1773-1847), toujours associé à Rodier. Cette retraite est consécutive aux secousses personnelles éprouvées pendant la Révolution. Étienne Delessert avait été incarcéré du 11 frimaire au 14 fructidor an II21. Il avait vraisemblablement fait passer des fonds importants à l’étranger ; il avait d’autre part placé ses assignats en immeubles. Aussi, tout en continuant à s’intéresser à diverses affaires — amélioration des assolements, introduction de moutons mérinos, lancement en 1802, avec les Fulchiron, d’une société en commandite pour le développement du commerce avec les îles de France et de la Réunion —, put-il mener l’existence d’un riche rentier, d’un bourgeois vivant comme un seigneur. L’inventaire après son décès fait apparaître, outre la propriété de l’hôtel de la rue Coq Héron, celle de six fermes évaluées 1545135F, et rapportant 63463F par an — au total plus de 1200 ha. Deux baux de fermes de l’an VII attestent parfaitement cette installation de l’ancien négociant-banquier dans la rente foncière22. L’un concerne la ferme de Reuilly (Oise), ancienne propriété de l’abbaye de Saint-Victor, acquise en 1791. Cette exploitation de 124ha est louée pour 380 hl de « blé froment de première qualité, bon, loyal et marchand, sain, sec et net », plus dix dindes grasses en nivôse, et l’obligation de « recevoir, nourrir et loger le citoyen Delessert dans ladite ferme avec sa suite domestique et ses chevaux quand il ira audit Reuilly ». Le même droit de séjour est inscrit dans le bail (6800F par an) d’une ferme de 168ha à Borest, près de Senlis.
22Chef de la banque à vingt-deux ans, Jules Paul Benjamin Delessert quitte en 1795 une brillante carrière d’officier pour celle des affaires ; son aîné, Jacques François Gabriel Étienne, né en 1771, venait de mourir (1794) de la fièvre jaune à New York, où il s’était expatrié après s’être compromis dans la défense des Tuileries, et où il avait fondé une banque. Marié en 1807 à Laure Delessert, une cousine de Cossonay, mais sans postérité, Benjamin Delessert a gouverné la banque familiale avec ses cadets : Alexandre (1776-1833) ; François (1780-1868), qui devait lui succéder, marier sa fille Caroline à Jean Henri Hottinguer, et liquider la banque en 1848 ; Gabriel (1786-1858), le futur préfet de police. Rodier quittera l’association en 1806 lors de sa nomination comme sous-gouverneur de la Banque de France. Rien n’a manqué chez Benjamin Delessert des traits distinctifs ds grand notable de l’économie : le plus jeune régent de la Banque de France, à vingt-neuf ans en 1802, il a fait partie de la Chambre de Commerce, du Tribunal de Commerce, de l’administration du Mont-de-Piété. Rien ne lui a manqué, non plus, de ceux du grand notable politique : maire du IIIe arrondissement de Paris dès l’an VIII, il a été fait baron en 1810 — en dépit d’une attitude souvent suspecte à l’égard du régime. Sans doute Napoléon préféra-t-il se souvenir que le père avait été favorable au Dix-huit Brumaire, et constater les services que rendait le fils au développement industriel de la France en guerre.
23La puissance de la banque Delessert de Paris s’est trouvée renforcée par la constitution d’une sorte de filiale maritime. Le Genevois (d’origine nivernaise) Michel Dela-roche, né en 1775, était venu en 1790 faire son apprentissage à Paris chez Gautier, le beau-frère des fils Delessert. Émigré à Londres, puis à Riga (1793-1798), il était ensuite rentré à Paris, et avait fondé en 1802 une maison de commerce au Havre23. Cette maison, que Delessert et Cie de Paris devait régulièrement commanditer, s’appuyait sur toute la branche issue de Paul Benjamin Delessert, frère d’Étienne : Delaroche fut en effet constamment associé à Armand Jean Jacques, second fils de Paul Benjamin, dont il épousa au surplus la sœur, Cécile, en 1804. Le blocus anglais contraignit la maison, en 1804, à créer une branche à Dieppe, puis à se transporter à Nantes, sous la raison Delaroche et Cie, puis Michel Delaroche, Armand Delessert et Cie ; le port était « plus abordable et d’une surveillance moins facile pour les croiseurs ennemis ». On verra plus loin comment, à partir de Nantes, s’établirent de nouveaux liens entre les Delessert et les États-Unis. L’aîné d’Armand, Auguste Étienne, né en 1778, formé chez Morin et Des Arts à Lyon, puis chez son oncle Étienne à Paris, entra également chez Delaroche et Cie, mais quitta la société en 1811. Le cadet des fils de Paul Benjamin, né en 1782, qui avait fait son apprentissage commercial à Hambourg, fut également au Havre l’associé de son frère Armand après 1811 ; de 1802 à 1811, en association avec un cousin, il avait voyagé, sans accumuler autre chose que des pertes, entre Madagascar et les Indes, via les îles de France et Bourbon.
24Les travaux de Louis Dermigny24 ont d’ores et déjà attiré l’attention sur le puissant réseau de relations, du reste de constitution plus récente, qui s’était organisé autour d’une autre famille, liée à la fois à Genève et au pays de Vaud, et d’ailleurs amie des Delessert. Il s’agit des frères Filliettaz.
25Fabricants d’indiennes à Genève avant la Révolution, ils sont les représentants d’un autre type de carrière, d’un autre « circuit » d’ascension dans le monde des affaires et d’installation sur la place de Paris. Leur fortune dérive de leur association avec les frères Rivier, c’est-à-dire avec le grand commerce des toiles, mousselines et indiennes — de Londres à Ostende, Lorient et Paris. Le frère aîné, Marc Jacob, est devenu le beau-frère de Jean Charles Joachim Davillier : Filliettaz et Davillier ont en effet épousé respectivement Jacqueline Éléonore et Aimée Françoise Bréganty, filles de Joseph Bréganty, Genevois de souche florentine, mort au Bengale en 1786. Après un repli de la société Rivier-Filliettaz sur Lausanne au plus fort de la Révolution, Filliettaz se trouve englobé dans l’édification d’un puissant « consortium » franco-suisse du commerce des toiles des Indes et des toiles imprimées qui, de 1795 à 1801, élève son capital jusqu’à 2 200 000lt et incorpore les maisons de commerce Martin Portalès de Montpellier et Fronton de Toulouse : nouvel exemple des solidarités d’affaires persistantes entre le Languedoc et l’ex-refuge genevois. On verra ailleurs que les affaires de Marc Jacob Filliettaz devaient le rapprocher particulièrement de Davillier, dans le secteur de l’industrie cotonnière.
26Par Davillier, Filliettaz se trouve en rapports avec les Choisy de Genève, ses cousins. Une fille du notaire Choisy avait épousé Alexandre François Vincent Perdonnet, agent de change à Paris, que Marc Jacob Filliettaz désignera comme tuteur de sa fille Blanche25. Perdonnet était le fils d’un membre du conseil de gouvernement du canton de Vaud ; issu d’une famille de Vevey — où un autre Perdonnet fut sous-préfet — il avait débuté en 1789 à la banque Mallet, était devenu négociant à Marseille pendant la Révolution et y avait fait fortune.
27Gabriel Filliettaz, le frère cadet, a connu une carrière parallèle à celle de son aîné. Replié à Morges en 1794, à Lausanne en 1796, il avait formé dans cette dernière ville une société en commandite pour suivre « le commerce de toileries et celui de commissions en tous genres »26. En 1798, il était revenu s’établir à Paris et avait constitué, avec Simon Isnard de Montpellier, une maison double au capital de 600 000lt. On le trouve plus tard à Anvers, associé à un Meyer, et commandité par Davillier, Carié. Desprez et Sabatier puis, ultérieurement, par Davillier et trois Genevois. Cette maison disparut en 1810 ; Filliettaz paraît s’être installé alors à Grenoble.
28Plus récente encore est l’entrée dans les affaires parisiennes des van Berchem et des Bazin27. Issu d’une famille anversoise réfugiée en Hollande au xvie siècle. Jacob Berthout van Berchem était venu s’installer à Lausanne en 1764 et avait épousé une d’illens — d’où sa participation à l’armement marseillais à la fin de l’Ancien Régime. Son fils Guillaume, dit Billy, né en 1772, fit fortune dans les fournitures militaires à l’armée d’Italie, dans le sillage de Haller, se lia à Joséphine de Beauharnais28, épousa à son tour une d’illens en 1799. On le trouve peu après associé, à Paris, à la banque de Charles Bazin, comme gérant jusqu’en 1804, comme commanditaire par la suite29. Charles Bazin, né en 1769, avait lui-même épousé une van Berchem et les deux associés étaient probablement des beaux-frères. La famille Bazin, de lointaine origine normande, paraît s’être elle-aussi tardivement installée dans le pays de Vaud après un détour, lors de la Révocation, par la Hollande. A partir de 1804, Bazin — qui fera faillite en décembre1810 — est associé à un autre beau-frère, Louis Pillivuyt, bourgeois d’Yverdon venu se fixer à Paris en 179930.
29Mais la note dominante de l’immigration vaudoise au sein du groupe des affaires parisiennes, c’est sans doute la relative abondance des tout nouveaux venus, dont les moyens sont loin d’être négligeables pour autant.
30Dès 1804, on relève la présence des Hedelhofer, d’Yverdon, dans le grand commerce des toiles parisien31. En 1807 arrivent à Paris Louis Dellient et Georges François Mandrot, qui fondent la maison de commission en marchandises Dellient, Mandrot et Cie. Tous deux viennent de Morges : le premier sort de la société Dellient et Blan-chenay ; le second, de De Luze et Mandrot frères, maison d’épicerie en gros et de commission — dans laquelle De Luze représente un élément neuchâtelois ; Mandrot épousera d’ailleurs en 1812 une Pourtalès32 — autre lien avec Neuchâtel. La circulaire indique très exactement ce qui les a attirés à Paris : « Les cotons en laine et surtout ceux du Brésil sont aujourd’hui un des objets les plus considérables du commerce de Paris ; ils forment la branche la plus importante des affaires dont nous nous occupons. »33 On ne saurait plus nettement souligner l’originalité de cette nouvelle génération d’hommes d’affaires helvétiques à Paris : ce sont les marchandises qui les y attirent, plus exactement le transfert à Paris, dans les conditions créées par le Blocus continental, du centre de toutes les spéculations. Un peu plus tard, c’est le commerce du coton du Levant qui amène l’installation à Paris de Christian Dapples, natif de Lausanne — d’abord établi à Lyon, puis associé à la fin de 1810 à Daniel Collin, de Paris (lui-même ancien associé de Collin, Mennet et Girard, puis Collin et Girard) ; cette société est au capital de 800 000F34.
31Mouvement que confirme d’ailleurs le déplacement vers Paris de maisons suisses antérieurement installées dans les ports. Ainsi retrouve-t-on à Paris en 1798 Jean Pierre Deville, négociant à Bordeaux jusqu’en 1792, puis replié à Genève et Lausanne, associé désormais à Jean Philippe Bourtt, de Lausanne, puis, en 1802 à Jacob Courant, de Genève. Deville figure en outre, avec Jacob Marignac de Genève, Jean Nicolas Jenner de Berne, Jean Louis Grivel d’Aubonne, parmi les commanditaires d’une petite affaire, Benoît Loffet et Cie, créée à la fin du Directoire « pour suivre le commerce en commission de marchandises des fabriques de Paris »35. Autre exemple : celui de Pierre Long, autour duquel gravitent Du Thon, Frossard, Roguin, Defélice, Pillichody, tous d’Yverdon. Pierre Long et Cie est, à l’origine, une maison de commerce établie à Marseille. En 1803 Long entre en société à Paris avec Defélice sous la commandite de deux Bernois : Marcuard, Beuther et Cie, et Louis François Schmid. L’année suivante, Defélice est remplacé par Du Thon, qui vient d’une société Frossard, Du Thon, Roguin et Cie. A l’occasion d’un renouvellement de société en 1809, il est vrai, Long semble être passé dans les simples commanditaires, et Du Thon, qui donne alors procuration à Pillichody, déclare faire la commission en marchandises et en banque. Le capital de cette société, qui est réparti en actions de 5 000F, est à cette date de 300 000F36.
32C’est cette même formule de constitution du capital qui se retrouve dans une autre société, Jean Louis Belon et Cie, créée à Paris en 1807 pour s’occuper « de toutes les affaires dont la place de Paris est susceptible (les acceptations à découvert formellement exceptées), et principalement l’achat et la vente de marchandises en commission »37. Le capital pourra atteindre 300 000F, en actions de 5 000F portant intérêt à 5 % ; un tiers des bénéfices demeura d’autre part « en accroissement du fond capital ». Le plus intéressant est, cette fois, que nous possédons la liste des actionnaires, pas tous identifiables, mais en tête desquels nous retrouvons Long : quatre actions à Long, née de Vos ; trois actions à Jean Louis Belon, Grandcour et Beausobre, deux actions à Saussure, Haldy et Duclien, Milville, Pétra et Zorn, et Aubouin ; et une action à Martin de La Tour, Jean Charles Davillier, Colombier, Nicole, Dapples (Lausanne), Favre et Martin (sans doute Genève), Rivier (Lausanne), Charles Mercier, de Fraytorrens, Frédéric de Vos, Prunet, Lafont (Rolle), Frédéric Aviolat d’Aigle (Lausanne), Février frères et Daller (Nyon), Veretol (Nyon), Jacquenod (Lausanne), Pollier-Corcelle (Lausanne), Pourtalès aîné (Neuchâtel). Soit quarante et une actions, représentant un capital de 205 000F.
Neuchâtelois
33Ici encore, les plus prestigieuses des banques d’avant 1789 ont survécu et se consolident ou se développent. Il est à peine nécessaire de rappeler le nom et l’histoire de Jean Frédéric Perregaux et le prolongement de sa maison, après sa mort en 1808, et même dès sa maladie en 1807, dans la société Perregaux, Laffitte et Cie. Le Bayonnais Jacques Laffitte, qui avait commencé par recevoir un seizième d’intérêt dans l’affaire en 1795, en était alors devenu le seul chef et gérant, recevant les intérêts par moitié — l’autre se partageant par quarts, après le décès de Perregaux, entre son fils Alphonse et sa fille Hortense, duchesse de Raguse38. Maurice Lévy-Leboyer39 indique qu’à la fin de 1804 Laffitte recevait un quart des intérêts pour un capital de 600 000F, par testament de Perregaux ; un calcul très grossier (car la part dans les intérêts ne correspond pas nécessairement à la part dans le capital social) laisserait donc supposer un capital de 2 400 000F. D’autre part, la banque Perregaux-Laffitte était soutenue par une commandite de deux millions. De toutes façons, nous sommes en présence ici d’une société — qui a largement perdu son caractère neuchâtelois — dont le capital figurait certainement en tête des mises de fonds dans les établissements bancaires privés de l’époque.
34L’autre grand nom du passé pré-révolutionnaire, c’est celui de Denis de Rougemont (1759-1839), fils de Jean Jacques de Rougemont, fondateur à Paris en 1737 de la première banque de ce nom, et allié aux Pury, de Neuchâtel. La première partie de la carrière de Denis de Rougemont est liée, brièvement (1786-1789), à l’histoire de la banque zurichoise dont il sera question plus loin. En 1791 apparaît la raison Rougemont et Cie — une réapparition, plus exactement — dans laquelle se trouvent associés deux neveux, Abraham Charles et Jean Frédéric, fils de Louis de Rougemont — né du premier mariage de Jean Jacques de Rougemont avec Esther de Pury, alors que Denis est issu du troisième mariage avec Marie Marguerite Masson40. Ces neveux sont amenés à gérer la maison à partir de 1792, quand Denis de Rougemont, anobli par le roi de Prusse dont il était l’agent financier à Paris, se retire à Morat sur sa terre du Löwenberg, dont il prend le nom41.
35En 1798, il rentre à Paris, et s’associe alors à Daniel Henri Schérer, dont il a été question plus haut à propos du groupe lyonnais, sous la raison Rougemont et Schérer, « société générale de commerce », consistant « principalement en opérations de banque, commerce et finance », sans exclure toutes autres opérations jugées profitables. Une clause de l’acte de société annonce une prudence dont on verra plus loin une autre manifestation : au cas où les pertes dépasseraient 100 000F, la société pourrait être rompue avant l’échéance42. Les activités de Rougemont et Schérer paraissent d’ailleurs avoir été d’un type fort classique et avoir porté, notamment, sur la négociation des rentes publiques ; ils auraient même fondé, sous la raison des frères Louis Pierre et Pierre Félix Defrance, un établissement annexe en 1802 « pour suivre toutes liquidations, ventes, achats et recettes de rentes, et recouvrements de toutes créances généralement quelconques »43. A partir de 1805, la séparation d’avec Schérer réduit à nouveau la raison au seul nom de Rougemont de Löwenberg. En 1809, le chef de la maison donne la signature et un intérêt à Jean Emmanuel de Velay et à son gendre Jean de Murait, qui travaillaient chez lui depuis six et quatre ans respectivement : par le second, Rougemont renoue avec le milieu de la banque zurichoise44. Le 10décembre1813, il prend l’initiative remarquable de cesser temporairement ses activités et de procéder à une liquidation. Il s’en explique ainsi dans une lettre à Bourcard fils et Cie, de Nantes : « La prudence m’a forcé au parti que je prends subitement, et qui m’a paru le seul convenable dans un moment où je ne dois prendre d’engagement à découvert pour personne. Car enfin cette liquidation temporaire peut devenir finale, suivant que les événements tourneront. Si les affaires reprennent, j’y rentrerai et avec l’avantage d’avoir conservé mes capitaux, mon crédit et ma tranquillité. Le tout eût été compromis en agissant différemment. »45 La liquidation, en effet, ne devait être que temporaire. La banque Rougemont de Löwenberg subsista jusqu’à la mort de Denis.
36Son neveu, Abraham Charles Rougemont, poursuivit pour sa part une carrière de négociant-banquier au delà de 1798 — mais avec un moindre succès, puisqu’il fit faillite au début de 180346. Abraham Charles avait, peut-être pour associé, en tout cas pour fondé de pouvoir, un autre Neuchâtelois, Frédéric Louis Droz. Les minutes notariales et le bilan semblent montrer qu’il entretenait des rapports, étroits mais difficiles à préciser, avec Augustin Ouvrard, son créancier pour 392 000F. Ses dettes à l’égard de Bendera et Quentella, banquiers de la Cour à Lisbonne, pour « fonds, ordres et commissions », et à l’égard de Jacques Louis Pourtalès (respectivement 457 000 et 230 000F) indiquent évidemment qu’il prenait une part active au grand commerce européen des toiles et indiennes, ainsi que des denrées coloniales, du coton et des laines. D’un autre côté, il s’était intéressé aux spéculations immobilières, tant en France que dans le nouveau monde, investissant pour 57 000F dans des actions de la Cie Cérès pour la colonisation de la Pennsylvanie, prêtant sur obligation hypothécaire 150 000lt à François Jeanneret, de Grandson (près de Neuchâtel), pour acheter des biens nationaux en Seine-et-Oise ou dans le département de Jemmapes, ou à un négociant lillois (100 000F) pour une opération analogue dans le département du Nord. Enfin sa situation a dû être également compromise par le soutien apporté à une entreprise industrielle que l’on dirait aujourd’hui « pilote ». Son frère Jean Frédéric — son ancien associé dans la banque Denis de Rougemont à l’époque révolutionnaire — était en effet depuis l’an VIII en société avec Charles Albert et James Collier pour l’exploitation de la filature de coton de Coye, près de Senlis47 ; après la mort de Jean Frédéric Rougemont, le 16 brumaire an X, Abraham Charles continua à soutenir l’établissement qui, lors de sa faillite, lui devait 400 000F, d’ailleurs classés dans les dettes douteuses ou mauvaises. C’est sans doute pour apurer ce compte qu’à l’automne de 1804 Albert et Collier vendirent la filature de Coye à Abraham Charles Rougemont, pour la somme de 75 000F. Ainsi le banquier déchu devenait-il à son tour manufacturier. L’histoire comparée des deux banques Rougemont, du reste d’une puissance financière probablement inégale, permettrait, au travers d’éléments d’information très insuffisants il est vrai, d’esquisser une opposition entre deux attitudes du capitalisme bancaire. L’une aboutit à la conservation d’une fortune individuelle à la faveur d’une conduite des affaires qui s’attache avant tout à éliminer les risques. L’autre trouve sa conclusion dans une faillite qui ne la condamne pas pour autant, puisqu’elle se lie à un engagement plus audacieux dans le secteur le plus novateur de l’économie : celui de l’industrie textile et de la construction des machines48.
37Pour le reste, les Neuchâtelois à Paris sont essentiellement représentés par des familles issues du « tronc commun » de la grande compagnie Pourtalès — qu’il s’agisse de Pourtalès lui-même, des Coulon, des Boyve, des Meuron, des Vaucher et des Du Pasquier. L’ensemble de ces familles, dont l’ascension avait été liée, sauf exception, au grand négoce, y demeurent et n’appartiennent pas à proprement parler au milieu bancaire ; la « marchandise » demeure leur préoccupation essentielle. Il en est de même pour les Petitpierre (Ferdinand, à Paris, et Jean, à Anvers, fils de Frédéric, à Neuchâtel). Leur cas fait l’objet d’un chapitre particulier de notre travail49.
Suisses du nord
38Neuchâtel, en pays de langue française, mais aussi petite ville en milieu rural, se situe à l’articulation des deux Suisses, et entretient plus de rapports avec Berne et les villes du nord qu’avec Genève. Voici, par exemple, un cas de liaison d’affaires entre Neuchâtel et Soleure, qui trouve son aboutissement dans la création d’un établissement parisien. C’est celui des Guebhard. Le père se retire en 1797 d’une maison de commerce d’indiennes de Soleure, Wagner et Cie, dont il a été le gérant pendant trente-deux ans. Il revient alors à Neuchâtel et crée avec ses fils Charles et Louis, qui ont travaillé plusieurs années dans la même maison que leur père, la société Guebhard père et fils, à Neuchâtel et Paris, pour la spéculation « tant en banque qu’en marchandises » ; les Guebhard entrent d’ailleurs peu après en commandite dans une société de commerce des toiles et indiennes à Livourne. A partir de 1813, Louis Guebhard, qui s’est marié à une Schaffhousienne et est devenu, par ailleurs, le beau-frère de François de Meuron — s’alliant ainsi à l’aristocratie neuchâteloise — poursuit seul les affaires, exclusivement à Paris50.
39De Soleure encore, la société Bettin et Cie, dont on constate l’activité épisodique à Paris entre 1809 et 1811 — société en commandite au capital de 300 000F, gérée par Gaspard Bettin et Henri de Sury, négociants à Soleure51.
40D’Argovie, Hunziker et Strauss, négociants à Aarau et à Lenzburg, viennent à l’automne de 1802 fonder à Paris une société « pour suivre les affaires de banque et de marchandises dont la place est susceptible » ; ils commanditent d’autre part la maison Jean Henri Trumpler et Cie — peut-être un Zurichois — au Havre, maison pour « l’achat des denrées coloniales » et « la vente des articles dont la place présente un débouché dans les établissements des Deux-Indes »52. C’est encore autour d’un négociant de Lenzburg, Johann Gottlieb Bertschinger, que se constitue la société en commandite par actions Vincens, Bertschinger et Cie, maison de commission et de banque, au capital de 150 000F en six actions de 25 000F : les cinq autres appartiennent à Schalch, de Schaffhouse, anciennement établi à Bordeaux ; à Jenner — un Bernois, très probablement ; et à trois Parisiens : Pauline, Frédéric et Louis Vincens (en fait, des Languedociens)53.
41Les Bâlois ne sont guère représentés dans le milieu d’affaires parisien — ce qui n’est pas du tout, loin de là, le signe d’un ralentissement de l’activité économique de cette place, favorisée au contraire par le développement de la contrebande continentale, mais peut-être simplement l’indice d’un mode d’intervention extérieure qui préfère le placement des capitaux au déplacement des hommes, et qui au surplus trouve à s’exercer presque aux portes de la ville, dans la région industrielle de la haute Alsace.
42Les Merian, par exemple, n’interviennent guère que par des commandites ; moins les Merian cousins (André et Daniel) que les Merian frères (Christophe et Jean Jacques) que l’on rencontre par exemple commanditant, de 1807 à 1813, la maison de commerce parisienne Bovard, Bourdillon et Cie pour 200 000F — maison à laquelle, jusqu’en 1812, est associé un Rochette, négociant d’Avignon, pour le commerce particulier des garances contadines, semble-t-il54. Un plus jeune frère Merian, Jean Georges, fonde brièvement une maison de commerce et d’armement au Havre, Merian et Vacquerie, sous la commandite des frères aînés, d’avril1802 à décembre1803, mais « l’espoir d’une paix durable ayant fait place à la réalité d’une guerre indéfinie », Merian transfère ses activités à Londres à partir de 1804.
43En revanche, il existe à Paris une banque Jean Louis Bourcard, que des liens d’affaires unissent, à propos des fournitures militaires, aux Monttessuy et à Rougemont de Löwenberg55, ainsi qu’à un autre Bâlois, Conrad Achille Weis. Bourcard disparaît de la scène bancaire à la suite d’une faillite en 1807. Weis vient de Bâle par un ancien détour : celui de La Rochelle, où il était installé dès 1768 (un frère, Marc, est à Bordeaux). Il fonde à Paris, en 1797, avec la participation d’un Steinmann de Saint-Gall (famille dans laquelle il se marie), une société Weis père et Cie qui fait faillite à la fin de 1799 ; mais moins d’un an après il reconstitue une maison de commission en marchandises et en banque en association avec Michel Metzger, ex-contrôleur des recettes et dépenses de l’armée d’Italie, qui a travaillé dans différentes maisons de banque en Allemagne56.
44Les Zurichois ont été parmi les derniers, à la fin de l’Ancien Régime, à venir s’intégrer au milieu financier parisien et aux grandes affaires commerciales françaises — sans doute parce que les maisons zurichoises, qui ne manquaient pas de moyens, les consacraient traditionnellement, depuis deux siècles au moins, au commerce et à la fabrication de la soie et du coton beaucoup plus qu’au commerce de l’argent, et aussi parce que leur système de relations commerciales était principalement orienté selon une direction méridienne, du piémont alpin de l’Italie du nord au grand axe rhénan57. Quand ils ont pris pied en France, en 1786, ils ont en quelque sorte « raté leur entrée », mais cet échec n’en a pas moins bénéficié à quelques fortes individualités, et c’est à cette occasion notamment que la banque Hottinguer s’est installée du premier coup, et définitivement, en tête de la haute banque parisienne58.
45Les origines sont bien connues, et ont été déjà exposées, notamment, par Herbert Lüthy et Louis Dermigny : en 1786, six grosses maisons de Zurich appartenant au commerce d’exportation des textiles forment à Zurich un consortium sous la raison Usteri, Ott, Escher et Cie, au capital de 500 000lt (il y a en fait trois maisons Escher, et la raison ne fait pas apparaître le nom de la firme Orell). L’objet du consortium est de rechercher en France une rémunération des capitaux plus active que dans le commerce zurichois. Il décide de constituer une filiale à Paris : c’est l’origine de la banque Rougemont-Hottinguer, déjà signalée plus haut. Des deux associés, seul le plus jeune, Jean Conrad Hottinguer (1764-1841) est un Zurichois, fils de Jean Rodolphe Hottinguer, négociant en toiles de coton im kleinen Pelikan ; formé successivement chez un indien-neur mulhousien, dans une banque genevoise (Passavant et de Candolle) et finalement à Paris chez Lecouteulx, il ne manque ni de métier ni de prudence. Il n’apporte que 50 000lt. Rougemont en fournit 300 000, et les Zurichois, renforcés de fonds venus d’autres villes de Suisse, un million.
46On a déjà noté la brève durée de cette association ; le divorce de fait, puis de droit entre Rougemont et Hottinguer traduit une opposition de politiques bancaires, qui reflète elle-même la double orientation de tout le capitalisme suisse en France : stérilité économique et risque d’anéantissement du côté des spéculations sur les valeurs publiques ; puissance créatrice de l’engagement dans le commerce colonial ou dans le crédit ouvert au grand commerce international des toiles et indiennes — les deux grandes affaires du temps. L’idée essentielle des Zurichois était de faciliter l’écoulement des indiennes en France en soutenant de leur crédit — selon la technique d’acceptations consenties sur dépôt d’effets publics, généralement limitées à quelques dizaines de milliers de livres — les principaux négociants et fabricants de Suisse et d’Alsace (les grandes affaires à ramifications internationales comme Pourtalès et Cie, Senn, Bidermann et Cie sont parmi les principaux bénéficiaires). En 1788 Rougemont et Hottinguer fondent d’autre part des maisons de commerce en commandite : à Nantes, Wieland et Schinz ; au Havre, Amet et Ronus. Mais Rougemont lui-même s’oriente rapidement vers la spéculation sur les actions de la Cie des Indes et sur les rentes viagères : de là une rupture de fait dès la fin de 1789. Hottinguer et Cie est alors fondée en 1790, avec Paul Sellonf59. A partir de 1791, Hottinguer fait sortir des capitaux de France sous la forme d’expéditions de marchandises ou de valeurs. Au début de 1793 les commanditaires zurichois lui donnent l’ordre de liquidation — à laquelle la société Usteri, Ott, Escher et Cie procède de son côté, les maisons qui la composent se trouvant en difficulté. Après un séjour en Suisse, Hottinguer part aux États-Unis à la fin de 1794 avec Henri Escher, y réussit avec Théophile Cazenove dans la spéculation sur les terrains entreprise par la Holland Land Cy60, s’y marie avec Martha Redwood, riche héritière de Newport, se lie avec Talleyrand, place des fonds américains parmi ses amis de Zurich. Resté à New York, naturalisé Américain, Henri Escher y sera le gérant aux États-Unis des intérêts de Hottinguer, rentré en France en 179661. La banque parisienne reconstituée se prolonge en une maison de commerce au Havre, transférée ensuite à Nantes, et gérée par Bourlet ; elle tiendra jusqu’en 180962.
47Les Escher eux-mêmes n’ont-ils pas repris pied à Paris ? C’est ce que l’on peut se demander au vu de la constitution, en 1813, d’une société en commandite sous la raison de Gossweiler frères et Cie63, au capital de 500 000F. En effet, la maison de commerce de la soie Gossweiler zum Brunnen était passée en 1802 entre les mains d’un gendre, Hans Caspar Escher, fils de celui qui avait participé à la fondation de la société de 1786 ; il avait travaillé à Paris pour le compte de celle-ci, puis participé à sa liquidation à Zurich et à Bâle à partir de 1793, avant de fonder en 1795 sa propre maison de banque, et d’absorber Gossweiler.
48Il faut enfin rappeler la présence d’un Murait chez Rougemont de Lôwenberg ; cette maison zurichoise de commerce de la soie, reprise depuis 1787 par un gendre de Murait, Heinrich Bodmer, qui devait la porter à son apogée, tenait d’autre part aux Escher par une alliance matrimoniale.
49Autour de Jacques Bidermann, de Winterthur, c’étaient, avant la Révolution, les capitaux de toute la Suisse qui étaient venus s’investir en masse dans une gigantesque entreprise intégrant le commerce des toiles de coton suisses, celui des toiles de l’Inde, leur impression à Genève ou en Alsace, leur redistribution en Europe et outre-mer, entreprise au sein de laquelle le commerce des Indes orientales avait d’ailleurs fini par prendre une place prépondérante, en liaison avec les milieux d’armateurs marseillais en particulier. L’histoire de Senn, Bidermann et Cie depuis 1781 — à Genève, puis à Bruxelles, enfin à Paris, devenue ainsi un centre international du commerce des toiles, mousselines et indiennes depuis 1788 ou 1789 — a été approfondie successivement par plusieurs excellents travaux64 ; il en va de même de l’histoire de son annexe, la Société maritime suisse, sorte de compagnie libre des Indes orientales. L’effondrement de fait, puis de droit, de ces deux entreprises, les pertes énormes qu’elles ont finalement fait supporter aux commanditaires suisses ou français après des débuts extrêmement prometteurs, trouvent une explication sans mystères dans la conduite de Jacques Bidermann (1751-1817) qui a, sous la Révolution, peu à peu abandonné la gestion de ses immenses affaires — dont il était devenu pratiquement le seul maître — pour se lancer dans la bataille politique ou dans des entreprises de fournitures, mettant ses biens propres mais non les avoirs de ses sociétés à l’abri de l’inflation des assignats, et qui fut finalement paralysé par un long emprisonnement en 1794. Si bien que l’histoire de Bidermann, pour la période qui nous concerne, n’est plus que celle d’une récupération des épaves après la tempête, puis celle de la dégradation d’un destin individuel ; nous étudions plus loin les prolongements, à travers d’autres sociétés, du grand commerce des toiles et indiennes65.
50Dès le 23 août 1794, les actionnaires de Winterthur de la Société maritime suisse avaient manifesté leur désir d’en voir liquider les affaires le plus tôt possible. Le 3septembre, les actionnaires bâlois en avaient fait autant et avaient pris contact avec les actionnaires genevois. Mais Bidermann semble n’avoir rien fait personnellement pour hâter la satisfaction de ces désirs. Un an plus tard, les actionnaires bâlois se plaignent amèrement : « Il aurait été à désirer qu’on eût fait à temps une répartition de la masse d’assignats rentrés pour la Société maritime, pour laisser à chaque intéressé le choix des moyens les plus convenables pour leur réalisation dans une époque à laquelle leur valeur n’avait pas encore diminué si excédemment » ; maintenant (1er août 1795), « le moment est plus que passé ». Ils évoquent « le tripotage fait à l’Ile de France de la cargaison du navire le Français, la stagnation de six autres navires qui périssent par la pourriture dans les ports et dont la vente pouvait être faite soit à des Russes, soit à des Suédois ou autres neutres »66. Un aperçu de situation du 15décembre1797 présente un actif de 1 972 000lt, excédentaire de 554 000lt, mais en réalité 740 000lt sont représentées par des valeurs immobilisées hors d’Europe et dont la réalisation dépend de la paix67. En fait la liquidation traîna jusqu’en 1806 et se solda par une perte de 78 % du capital. Celle de Senn, Bidermann et Cie devait traîner encore bien plus longtemps et se traduire par un résultat négatif. Jacques Bidermann, en fait, conservait une part de sa fortune en demeurant l’associé, dans la fabrique de Wesserling, de Gros, Davillier, Roman et Odier — Jacques Antoine Odier68, dont il avait épousé en 1781 la sœur Gabrielle Aimée. Toutefois il se sépara des gérants en 1805, leur vendant sa part dans l’affaire (trois millions) tout en y laissant une commandite qui, d’après le bilan de faillite de janvier1814, devait s’élever alors à 400 000F69. Avec les fonds retirés de Wesserling, Bidermann paraît s’être lancé dans des spéculations extrêmement dangereuses et de type monopoliste sur les eaux-de-vie et les bois de teinture, qui le conduisirent à une première faillite en janvier1811 ; l’Empereur refusa de le secourir, en tant que spéculateur, mais il fut renfloué par une association de prêteurs. C’est en fait, ce secours qu’il ne put rembourser qui est à l’origine de sa seconde faillite en 1814 : dans un passif qui n’est d’ailleurs que de 1 400 000F à peine, indice d’une activité fort réduite par comparaison à d’anciennes splendeurs, le compte de l’association, tenu chez l’agent de change suisse Perdonnet, se monte à près de 700 000F. A l’actif (1 519 000F), il reste la commandite alsacienne, des maisons évaluées 343 000F, 256 000F de marchandises, 75000F de mobilier, moins de 300 000F de bonnes créances. Ainsi, paradoxalement, l’une des figures les plus marquantes du capitalisme suisse en France, présente de façon ininterrompue de part et d’autre de la Révolution et à travers elle, illustre-t-elle par son destin une des formes les plus fragiles de ce capitalisme.
51De Saint-Gall enfin, on a déjà évoqué les Schérer. Il faut y joindre les frères Sautter qui, à Anvers et à Paris, en association avec Jean Pierre Vieusseux, Louis Bourdillon et Jean Étienne Allamand, sous la commandite également, d’ailleurs, de Bidermann, poursuivent sous le Consulat et l’Empire le commerce des toiles des Indes.
II. LES BELGES
52S’il est une région avec laquelle, dès le milieu du xviiie siècle, les liens personnels et financiers du monde des affaires français s’étaient développés, c’est bien encore l’ensemble des terres d’Empire bordant notre frontière du nord — Pays-Bas autrichiens et principauté de Liège. Bornons-nous à rappeler, d’une part avec Herbert Lüthy, et plus récemment avec Yves Durand70, la puissance du groupe interfamilial qui s’était constitué sur deux à trois générations, depuis 1755, à partir des mariages des quatre filles de la veuve de Mathias Nettine, et qui s’était successivement étendu aux différentes branches des Walckiers, aux La Borde, aux La Live, aux Désandrouin, aux Tavernier de Boullongne, à Chauvelin, aux d’Harvelay, à Calonne — et par ces deux derniers aux Marquet, avant de s’incorporer partiellement à la plus vieille noblesse — des Cars, Noailles et Montesquiou-Fezensac. Il s’agit d’une histoire brillante et brève, qui s’achève à cette époque — époque des liquidations : Édouard de Walckiers, naguère « le Magnifique », victime d’une succession d’échecs politiques et économiques, réalise progressivement les restes de sa fortune immobilière ; sa soeur Pauline, gérante de la maison de banque de Bruxelles, se défait en 1805 des intérêts (hérités de son père Adrien Ange de Walckiers) qu’elle possédait encore dans la Cie d’Anzin, principalement au bénéfice des frères Perier et de Jean Paul Martin (de la banque Johannot, Martin et Masbou)71.
53D’autre part, les capitaux français s’étaient abondamment investis de l’autre côté de la frontière autrichienne, particulièrement dans les charbonnages ; investissements aristocratiques ou bourgeois, dont Roger Darquenne souligne le rôle très actif dans la région montoise72 et qui s’accompagnaient souvent d’alliances matrimoniales. Sans remonter jusqu’à la constitution de « l’empire » franco-belge des Désandrouin, citons en exemple le cas du charbonnage du Grand Hornu, lancé en 1778 par Charles Sébastien Godonnesche, riche officier de finances des généralités du nord de la France à qui, d’ailleurs, succédera en 1811 un autre Français, un parvenu des fournitures militaires et du commerce, Henri Degorge-Legrand73.
54Si la Révolution a rompu certains liens, brisé telles ascensions, elle en a en revanche suscité quantité d’autres et, en fin de compte, on assiste bien, à la fois, à un renouvellement et à un resserrement des liens entre les pays belges et la France, Paris en particulier. L’humus de ces plantes nouvelles, c’est la guerre, avec ses à-côtés et ses suites ; c’est le va-et-vient des armées pendant dix ans ; ce sont toutes les occasions de faire carrière et de s’enrichir, que procurent les administrations militaires et les fournitures ; c’est l’annexion, qui déchaîna les spéculations sur les biens nationaux mais, aussi, établit des relations fructueuses entre un vaste marché de consommation et une région industrielle en plein éveil, où les techniques se modernisent et où la main-d’œuvre est moins chère qu’en « France ».
55A Paris, une maison de banque, Caccia et Blommaert, établit un pont entre l’Ancien Régime et l’Empire, mais dans des conditions qu’on n’a pu éclaircir. La famille Blommaert, originaire d’Audenarde, était venue s’établir à Bruxelles au xviiie siècle, et le père du Blommaert qui nous intéresse avait reçu de Marie-Thérèse concession de la noblesse en 1774. Maximilien Jean Baptiste Joseph Blommaert était installé à Paris dans les années 1780 ; il y avait épousé en 1786 Marie Claire Caccia, fille d’un Milanais installé à Paris depuis 1755, alors négociant dans la rue Saint-Martin ; c’est sans doute à son beau-frère que Blommaert se trouva associé de l’an IX à 181574. Le partage des biens de la mère de Blommaert, qui dut mourir vers 1800, fait apparaître, dans une fortune de 384 000 florins de change, plus de 100 000 florins d’actions et obligations sur le Danemark, la Suède, la Russie, Vienne, l’Angleterre, les États-Unis — maigre indice de ce qui avait dû être la principale activité des Blommaert : le placement d’emprunts d’État75.
56On est à peu près aussi mal renseigné sur un personnage d’une envergure certainement bien supérieure : le banquier et industriel Pierre François Tiberghien, peut-être négociant en tissus à Bruxelles avant d’être établi rue Vivienne, associé à son frère Charles. On le sait marié à une Anglaise, Margaret Whettnall. C’est en l’an VII qu’il achète à Paulée pour 157 000F de biens nationaux dans sept communes du département de Jemmapes, dont Saint-Denis (près de Mons) qui deviendra le siège de sa puissance industrielle76.
57Liévin Bauwens, pour sa part, n’a jamais appartenu à proprement parler au groupe des gens d’affaires de Paris. Propriétaire, depuis fructidor an IV, de l’ancienne maison conventuelle des Bons Hommes et de ses dépendances, à Passy, où il a installé par la suite une filature, il a finalement choisi Gand pour siège de ses activités, et revendu Passy77.
58La figure dominante, dans le groupe des nouveaux capitalistes issus des pays belges et liés à Paris, reste celle de Michel Simons et c’est aussi celle que l’on saisit le mieux78. Si l’on voulait suivre un ordre logique, Michel Simons devrait réapparaître sous diverses rubriques presque à chaque chapitre de ce travail. Insérer ici une « vue cavalière » de sa carrière soulignera la valeur symbolique du personnage, incarnation d’un capitalisme qui a su épouser la conjoncture de crise et de guerre et faire son profit de toutes les faiblesses de l’État.
59Il ne s’agit pas, stricto sensu, d’un homme nouveau. Le père, Jean Simons, carrossier à Bruxelles, fournissait les cours européennes ; la mère, Anne Pauwels, était la fille d’un négociant. Lui-même, bientôt rejoint par son frère cadet Henri, et soutenu par 100 000 livres de fonds paternels, était entré en 1780 dans la maison de commerce Simons, Catrice et Cie, à Dunkerque. En 1789, écrit-il en 1805, « j’étais le chef d’une des premières maisons de commerce de Dunkerque, propriétaire et armateur de plusieurs vaisseaux, faisant le commerce des colonies pour mon compte dans sa plus grande étendue, faisant la commission et la banque. J’étais propriétaire de trois habitations à sucre dans les Antilles, où j’avais fait des affaires importantes et un voyage pour mon commerce. »79
60En 1791, la maison de Dunkerque fut particulièrement éprouvée par la révolte de Saint-Domingue. Michel abandonna alors sa part dans la société à Henri, et vint s’installer à Paris où il entra en associé commanditaire dans la société Greffulhe-Montz pour un capital de 200 000F. C’était dire l’estime et les moyens dont jouissait effectivement ce négociant de trente ans à peine. Mais l’entrée des troupes françaises en Belgique à l’automne de 1792 fut la véritable origine d’une grande carrière d’affaires. Barthélemy Tort de La Sonde — ancien secrétaire du comte de Guines dans son ambassade à Londres, lié avec Dumouriez et avec la maîtresse de ce dernier, Mlle Beauvert — au demeurant, chevalier d’industrie — proposa aux frères Simons l’entreprise de la fourniture générale des vivres pour l’armée du Nord. Michel Simons accepta, en novembre1792, en tant que banquier de l’entreprise ; il a expliqué lui-même qu’il avait voulu ainsi protéger ses biens et ceux de son père vis-à-vis des autorités françaises. Tort aurait d’abord songé à Walckiers, ou au négociant anversois Werbrouck. Le premier règlement à Bruxelles entre Henri Simons, responsable de l’exécution de la fourniture, et les agents du gouvernement, le 30mars1793, laissa déjà 663 000 livres de bénéfices sur une liquidation de 3 836 000 (numéraire) : aussi Michel Simons retira-t-il sa commandite de chez Greffulhe-Montz et acheta-t-il un domaine en Seine-et-Marne.
61Menacés d’arrestation en novembre, les frères Simons se replièrent sur Altona ; Walckiers devait les y retrouver et s’associer à eux pour la fourniture de blés destinés à l’approvisionnement de Paris : leurs opérations de 1795 auraient laissé aux frères Simons près de 1 600 000F de bénéfices. En même temps, Michel Simons fut associé à Sieveking, négociant hambourgeois, dans des armements pour l’Espagne, l’île de France et l’Amérique.
62Revenus en France sous le Directoire, les Simons obtinrent un second règlement (pluviôse an IV) qui leur laissa, sur 4 299 000 livres, 860 000 de bénéfices ramenés en fait à 516 000 pour pertes par assignats. Michel Simons lui-même paraît avoir joué auprès du ministre Ramel ainsi que de Talleyrand le rôle d’une autorité en matière monétaire, au moment où il fallait réalimenter la circulation des espèces métalliques ; associé à Werbrouck, il obtint en janvier1797 un traité dans le cadre duquel il s’engageait à apporter aux hôtels des Monnaies de Lille et de Bordeaux des guinées anglaises et des espèces d’or portugaises, de quoi frapper six millions de pièces d’or sur lesquelles il recevrait une prime de 2,5 %. Les guinées anglaises, en particulier, devaient être extraites d’Angleterre en contrepartie d’exportations de céréales autorisées par le gouvernement hors des départements belges réunis. A la fin de 1797, Michel Simons, qui avait pour ces opérations une agence à Bruxelles, consacra cependant sa réinstallation à Paris en épousant Mlle Lange. Le contrat de mariage80 montre que sa fortune n’était pas immense : un peu moins d’un million d’actif net, provenant pour 640 000F du commerce, pour 60 000F du mobilier, pour le reste des biens-fonds — auxquels il venait d’ajouter l’abbaye de la Cambre. Mais un fastueux gaspillage accompagnait la réussite.
63La fin du Directoire fut marquée par la reprise des opérations sur les fournitures — reprise qui confirme une volonté d’asseoir les affaires sur les pays belges, auxquels paraît s’ouvrir un avenir économique brillant. Michel Simons est partie prenante dans le traité Lemercier pour les constructions navales en l’an VII : il obtient l’adjudication de celles-ci dans le port d’Anvers. Pour l’an VIII il tente d’obtenir la fourniture générale de la Marine dans les neuf départements réunis. De fait, il emporte la fourniture des bois marqués pour la Marine dans les départements belges et du nord de la France, qui lui est renouvelée pour six ans en l’an IX, et dont il s’acquitte encore en 1808. C’est à ce marché qu’est liée, en l’an VIII, l’acquisition de l’abbaye Saint-Michel d’Anvers, rachetée à Paulée pour servir d’entrepôts des marchandises pour le service de la Marine. Éléments, sans doute, d’une spéculation plus vaste, fondée, comme l’a écrit Michel Simons lui-même, « sur les probabilités qu’Anvers redeviendrait une place considérable de commerce »81. Lui et Jean Johannot, associés d’ores et déjà dans une maison de commerce sur la place, comptaient bien prendre leur part de cette prospérité future. Quand, en 1803, Michel Simons fut désigné comme député du commerce d’Anvers, ce fut pour défendre à Paris l’idée que le port d’Anvers ne devait pas laisser à ceux de Rotterdam ou d’Amsterdam le bénéfice du commerce de transit à destination de l’Allemagne et de la Suisse — ceci, bien entendu, dans l’hypothèse du maintien de la paix maritime82.
64Projets, du reste, contrariés par le rachat des locaux de l’abbaye, exigé en l’an XII par le ministère de la Marine en vue de la création des chantiers de constructions pour la flotte de guerre. Mais Simons, lié d’une façon qui resterait à élucider à Talleyrand, mais aussi à Ouvrard, à Vanlerberghe, s’est par ailleurs trouvé mêlé à d’autres spéculations, proprement financières, et placé au coeur d’une histoire mouvementée qui, indirectement, est celle même du Trésor. Affaire de la garantie de la dette habsbourgeoise dans les départements belges par le gouvernement français, que Talleyrand avait fait inscrire dans le traité de Lunéville, et qui se montait à trente-trois millions de florins : selon Jean Stern, Simons et Talleyrand en auraient racheté plus de la moitié à bas prix, puis auraient réalisé plusieurs millions de bénéfices à la revente, grâce au rétablissement du cours83.
65Le rôle de Michel Simons dans la liquidation de l’affaire des Négociants réunis est plus complexe. En attendant un moyen de les ramener en Europe, le seul moyen de suppléer aux ressources espérées du Trésor de Mexico restait de recourir au crédit hollandais. Obtenir l’appui de ce dernier était l’objet de tous les efforts des débiteurs du gouvernement français — et, par conséquent, de ce gouvernement lui-même —, qu’il s’agît d’Ouvrard et de Vanlerberghe, ou du gouvernement espagnol, débiteur des précédents et, depuis leur faillite, du Trésor. Dès février 1806, Ouvrard et Vanlerberghe avaient traité avec Hope et Cie d’Amsterdam, ceux-ci s’engageant à verser 7 500 000F au Trésor de la fin de février à la fin d’août, sorte d’avance en nantissement de laquelle les fournisseurs déposaient un paquet d’obligations du précédent emprunt espagnol et des laines d’Espagne84.
66D’autre part, le 10mai1806, le conseiller d’État Yzquierdo et Mollien avaient signé un accord par lequel le gouvernement espagnol s’engageait à verser à la France 60,5 millions de francs, dont 36,5 sous la forme de traites sur les piastres mexicaines, et 24 payables en huit échéances du 30mai au 30décembre — cette dernière somme représentait autant de traites d’Ouvrard sur Espinosa, le directeur de la Caisse de Consolidation de Madrid, reposant elles-mêmes sur le retour des piastres. Pour faire face, l’Espagne décida de tenter en Hollande le placement d’un grand emprunt. L’entremise de Michel Simons fut sollicitée par Yzquierdo pour cette négociation avec les banquiers du Nord.
67Ce n’était pas la première fois, on vient de le rappeler, que Madrid recourait au crédit néerlandais. Il y avait eu un emprunt de six millions de florins au début de 1793. Il venait d’y en avoir un de dix millions à la fin de 1805, que Hope et Cie avaient pris à 85 % (revendant à 92,5 aux souscripteurs), gagé sur les revenus des États de Sa Majesté Catholique et sur le Trésor de Mexico. Mais cet emprunt se plaçait difficilement et lentement. Il semble avoir été concurrencé auprès des capitalistes par la rente française : il suffisait, pour que le 5 % consolidé rapporte effectivement 8 %, que le cours en fût un peu au-dessus de 60 ; pour rapporter autant, il aurait fallu placer l’emprunt espagnol à un prix beaucoup trop bas. D’autre part, il semble que le début de 1806 ait été marqué sur le marché des capitaux en Hollande par un revirement d’opinion profond, dont un mémoire anonyme inclus dans les papiers Simons donne à la date du 7mai l’analyse suivante : « Il y a un changement total dans l’état des choses en Hollande sous le rapport des facilités qu’on y trouvait auparavant pour la négociation des emprunts étrangers. Les capitalistes de ce pays sont découragés par les circonstances politiques ; les banquiers y sont devenus plus craintifs et mal disposés que jamais… La Hollande a cessé d’être un pays de ressource pour la France et ses alliés en tant que cela peut dépendre de la bonne volonté des particuliers. »85
68Est-il besoin de dire que cette défiance affectait tout particulièrement le crédit de l’Espagne, compromis à Amsterdam par la ruine des banquiers de la Cour d’Espagne, chargés du service des intérêts des emprunts espagnols, qui n’étaient plus régulièrement acquittés — et plus généralement par les liens avec les grands munitionnaires français, la rupture des liaisons avec le Mexique et même les inquiétudes sur le sort de l’empire colonial espagnol ?
69Au mois de juin1806, Michel Simons paraît avoir entrepris de soulager le gouvernement de Madrid en achetant 2000 actions de l’emprunt de 1805 — et aussi, semble-t-il, de faciliter des paiements de Hope au Trésor par l’intermédiaire de ses amis de la banque parisienne Johannot, Martin et Masbou, qui s’engagèrent à accepter des traites de Hope jusqu’à concurrence de trois millions de francs, contre le dépôt d’une quantité équivalente, entre leurs mains, d’obligations de l’emprunt de 1805 — moyennant 0,5 % de commission. En revanche, il devait échouer dans ses tentatives pour négocier pour le compte de l’Espagne un grand emprunt de trente millions de florins, en 30 000 obligations de 1 000, qui puisse, déduction faite des frais du placement bancaire, couvrir largement les traites d’Espinosa. Successivement, les frères de Smeth puis Labouchère se refusèrent à l’opération, bien que Talleyrand eût recommandé à Schimmelpenninck de soutenir l’emprunt. En fait, le gouvernement hollandais refusa son autorisation en janvier1807 — et il fallut l’intervention d’un émissaire personnel de l’empereur, très inquiet de la pénurie de numéraire en France, pour qu’en fin de compte le roi Louis accordât l’autorisation en mai1807. Ce furent encore Hope et Cie qui prirent à leur charge l’emprunt, remboursable en quinze ans et totalement gagé sur les piastres mexicaines.
70Le sort de Michel Simons à partir de l’été de 1806 illustre bien la précarité des carrières des grands fournisseurs — déjà mise en évidence par la crise de l’hiver précédent. Paradoxalement, tandis qu’il rend les services d’un agent officieux du gouvernement français dans la négociation de l’emprunt espagnol en Hollande, ce même gouvernement l’attaque, en juillet1806, sur ses comptes de fournitures, que le Conseil de Liquidation n’a pas approuvés86. Une supplique à l’empereur reste sans réponse. En vain propose-t-il de verser 500 000F « pour demeurer quitte de toute recherche ultérieure ». Sur rapport de Defermon, directeur de la Dette publique, un décret du 21septembre1808 contraint finalement les frères Simons à verser un million en 5 % avant le 1er janvier 1809. Désormais ils ne survivent que grâce aux avances consenties par Smeth ; mais ce dernier est, à la fin de 1810, au bord de la faillite, tandis qu’Henri Simons dépose le bilan de la maison d’Anvers87 et que Michel met en vente tous ses biens immobiliers, qui se montent en théorie à plus de trois millions de francs — mais, par exemple, il n’arrive à tirer que 200 000F de l’abbaye de la Cambre, après des mois de tractations.
71C’est pourtant à cette phase d’effondrement que se trouve liée une dernière initiative de Michel Simons, preuve de son sens toujours aigu des réalités économiques belges. Il entre en effet comme administrateur dans l’entreprise de la navigation de Paris à Charleroi, dont il souscrit 200 actions — autrement dit, dans la Cie du Canal de l’Oise à la Sambre, dont le ci-devant marquis François Gabriel de Solages, « concessionnaire des mines de Carmaux et de la navigation d’une partie du Tarn », avait obtenu l’entreprise après que celle du canal de l’Ourcq lui eût échappé88. Il s’agissait d’ouvrir une communication par eau entre Paris, Anvers et les départements rhénans — et, plus précisément, de faciliter l’approvisionnement de Paris et de tous les départements du bassin de la Seine en charbon de Charleroi qui reviendrait, vendu à Paris, un tiers moins cher que les charbons du Forez, de l’Auvergne et du Nivernais. Il était prévu d’ouvrir un canal de Paris à Pontoise, de La Fère à Maubeuge par Landrecies, de Charleroi à Bruxelles. Le capital serait réuni dans une société commanditaire par actions de 1 000F, rapportant 5 % d’intérêt plus le dividende89.
III. COMPOSANTES MINORITAIRES DANS L’IMMIGRATION
72D’Allemagne, d’Italie, de la jeune république américaine du Nord aussi, sont encore originaires un petit nombre de maisons d’affaires parisiennes de l’époque napoléonienne. Mais, hormis un Rothschild, on n’y trouvera aucun nom de grand avenir. L’implantation parisienne se rattache à une série de cas particuliers ou de circonstances liées aux guerres, ne permettant pas de conclure à l’existence d’un véritable flux ayant à la fois consistance et motivation prolongée.
73Dans la mesure où l’on peut parler de type à partir d’un échantillon des plus maigres, les Allemands semblent provenir de trois origines. L’une, celle des refuges protestants, serait alors représentée par Louis André Jordan, associé en banque avec l’Alsacien Charles Geyler jusqu’à la faillite de 1803. Fils aîné d’un pasteur réfugié en Suisse, Charles Jordan avait gagné Berlin en 1689 pour y débuter très médiocrement dans le colportage, avant de faire une fortune dans la joaillerie. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, des frères Jordan, joailliers de la Cour de Prusse, en relations régulières avec Londres et Saint-Pétersbourg, sont devenus de véritables banquiers. Louis André, l’un des petits-fils de Charles (1755-1834), vient en France, au Logelbach ; il est d’abord associé des frères Haussmann, dont il épouse une sœur, puis banquier à Paris. Mais nous ignorons les circonstances dans lesquelles s’est détaché ce rameau de la maison berlinoise90. On peut remarquer toutefois le cosmopolitisme du milieu : liaisons d’affaires avec Théodore Martell à Bordeaux ; de famille avec le négociant suédois Holterman, de Gothenbourg, auquel Jordan marie sa fille.
74D’autre part, on note — mais nos informations, là encore, ne vont pas plus loin — la présence d’un groupe de banquiers issus de l’Allemagne du sud : Guillaume Louis Pannifex, de Lahr en Brisgau, associé dès le Directoire91 à Charles Auguste Gœkel et à Ernest Riedel, et plus tard aux Neuchâtelois ; Charles Wohnlich, vieille maison d’Augsbourg, créée à Paris au printemps de 1801, avec pour associé Charles François Engelbrecht, qui paraît avoir été antérieurement en société avec Geyler et Jordan.
75Enfin, la « préhistoire » de la branche parisienne de la maison Rothschild appartient au glissement d’ensemble de la finance juive de la périphérie orientale de l’Empire vers la capitale. James, l’un des fils de Meyer Amschel, banquier des landgraves de Hesse, doit d’être venu opérer sur le territoire français aux circonstances particulières — et temporaires — qui réglaient le commerce international et le cours des changes entre le continent et l’Angleterre au temps du blocus continental. Bertrand Gille a analysé92 le mécanisme de l’échange, à Gravelines, de la fin de 1810 au début de 1812, des espèces d’or anglaises — venues de Londres et refondues à Paris — contre des traites européennes tirées sur Londres, achetables à bon compte sur le continent en raison du change défavorable à la livre et cédées à un plus haut cours aux trafiquants anglais. Quand, en 1812, le relèvement du change anglais cesse de rendre lucrative cette spéculation, James de Rothschild s’installe à Paris, où il reprend d’ailleurs le trafic des guinées.
76Un exemple de liaison — non point d’implantation à Paris —, d’ailleurs unique et éphémère, est donné par Jordis Brentano, banquier de la Cour de Westphalie, à Cassel, qui pendant un an et demi — de juillet1811 à décembre1812 — est entré en société avec un négociant parisien, Rozier, sous la raison Jordis et Rozier. Il s’agissait, en Allemagne, de gérer, prendre à ferme et vendre les biens composant les dotations françaises supérieures à 4000F ; et, à Paris, de faire toutes les démarches nécessaires — établissement des procurations et des baux, paiement des revenus et fermages aux titulaires des dotations93. On ignore si ce système connut un fonctionnement effectif.
77De la série des banquiers italiens et particuliers génois signalés à Paris avant 1789 par Jean Bouchary94, peu se retrouvent à notre époque, à l’exception du Génois Jean Marie Gaspard Busoni, signalé depuis 1776, et associé sous l’Empire à son gendre Guillaume Louis Isidore Goupy. Après comme avant la Révolution cette banque paraît s’être principalement occupée de la gestion de rentes détenues par des capitalistes italiens dispersés entre toutes les grandes villes95. Toutefois, Busoni fut, en l’an II, chargé d’effectuer pour le gouvernement des achats de grains à Gênes — le bassin méditerranéen jouant alors, à un moindre degré que celui de la Baltique, le rôle de réservoir céréalier. Et ce sont encore les fournitures, vraisemblablement, qui sont à l’origine de l’insertion du Milanais Gamba dans la banque parisienne. C’est en tout cas ce qu’on peut déduire de la faillite Gamba à la fin de 1810 : négociant rue Saint-Honoré, propriétaire d’une entreprise de papeterie rue Duphot, il reste en même temps fournisseur de bois de construction pour la Marine et a dû d’ailleurs, à ce titre, être en affaires avec Michel Simons96. On sait encore moins de choses des activités de la maison de commerce Ferino et Cie : le fondateur, originaire de Craveggia dans la région de Novare, installé à Paris dans les années 1750, était commissionnaire en marchandises ; ses descendants paraissent avoir poursuivi jusqu’en 1805 au moins le négoce de la bijouterie, des éventails et articles de luxe. L’affaire comptait parmi ses commanditaires le général comte Ferino, nommé sénateur en 180597.
78Un champ de recherche demeure ouvert : celui des activités du négoce américain en France au temps où la guerre favorisait les bénéfices des neutres. Ne se bornant nullement au seul commerce et aux seuls ports, elles se sont étendues jusqu’à Paris et à sa région en un grand mouvement de réinvestissement des bénéfices dans des acquisitions de biens nationaux. Réflexe ou calcul qui, du reste, méritent considération puisqu’ils viennent s’inscrire à leur tour contre l’argument d’une réaction de capitalisation foncière qui aurait été propre à une bourgeoisie française particulièrement conservatrice.
79L’histoire des frères Codman, John et Richard, négociants associés à Boston, a déjà été évoquée par Yvon Bizardel98 : Richard s’installa à Paris et y acquit des biens considérables : outre le château des Ternes, une maison rue de Bourgogne et un hôtel rue d’Anjou Saint-Honoré. Il y ajouta trois fermes dans le canton de Châteauneuf-en-Thimerais, et le château de la Tuilerie à Dammartin99.
80Mais d’autres Américains ont pu être d’emblée et principalement des trafiquants de biens nationaux. C’est sans doute le cas de James Thayer qui, ayant racheté en l’an VIII à Jean Baptiste Decrétot l’hôtel de Montmorency, rue Saint-Marc, pour moins de 200 000F, dépensa dans les années suivantes 600 000F pour l’aménagement du passage des Panoramas et de ses boutiques, et d’un café avec jardin sur le Boulevard100. Son fils aîné, Amédée Thayer, épousera la fille du général Bertrand (1828), deviendra maire de Saint-Denis (1830) et sénateur (1852). En fut-il de même pour Daniel Parker ? D’après une obligation de l’an X pour reliquat de compte courant, il se peut qu’il ait été en relations d’affaires avec la maison de Hambourg Hermann Lubbert et Dumas101. En tout cas il avait acquis en l’an IV des biens nationaux considérables dans l’Eure-et-Loir, les domaines de Crécy et de Comteville. Ce dernier, aux environs de Dreux, consistait en 616ha de château, jardin, parc, bâtiments, moulins et terres labourables, estimés en 1812 plus de 800 000F102.
Notes de bas de page
1 Cf. par exemple, la thèse que prépare André Palluel-Guillard sur Genève à l’époque napoléonienne.
2 1969, p.728-729.
3 Arch. de Paris, D 2 U1, 7décembre1811, conseil de famille pour Mme Mallet.
4 Arch. nat., M.C.N., XXVIII, 695, 4 octobre 1814. Cf. Baggi et Vial 1967. Herbert Lüthy (1969) indique qu’en 1780 l’action valait 72 000lt.
5 Cf. chapitre V.
6 Arch. nat., M.C.N., XIX, 922, 2 frimaire an XI, et 942, 2janvier1813. Rappelons le rôle central tenu par les Odier dans le réseau des relations d’affaires et de famille des Genevois. Nous avons signalé plus haut les rapports entre Lyon et Genève, à travers les sociétés Odier-Chevrier et Odier-Juventin. Le Jacques Antoine Odier dont il est question ici marie l’une de ses filles à Jacques Bidermann — on y reviendra plus loin; une autre à Jacques Roman — autre Genevois; une autre encore à un Boué, négociant établi à Hambourg. Odier, Roman, Bidermann se retrouvent dans l’affaire de Wesserling aux côtés de Gros et Davillier. Bidermann paraît avoir été l’associé d’un Odier dans une société hambourgeoise à l’époque de la paix d’Amiens.
7 Ce Jean Johannot paraît bien être le même qui, associé à la création de Wesserling, fut successivement président de l’administration du Haut-Rhin, député à la Convention puis aux Cinq-Cents. Il était le frère de Jean Louis et de Jean David. Sans doute aussi est-ce bien lui qui opéra à Anvers de concert avec Michel Simons, sous le Consulat (cf. infra, p.82, «Les Belges»). Sur cette famille de protestants français originaires d’Ambert, puis installés à Annonay et dont une branche s’était en 1685 réfugiée à Morges, voir Burnand 1958.
8 Arch. nat., M.C.N., LIII, 730, 15 ventôse an XII, et 744, 17 juin 1806; XLV, 684, 25 juillet 1806.
9 Arch. de Paris, D 31 U3, 6/58.
10 Ibid., 7/100.
11 L’exposé qui suit s’appuie sur Girard 1946 et sur les papiers Fazy-Cazenove, Bibl. Publique Universitaire de Genève, manuscrits français, 3637-3640.
12 David Charles (1765-1850) est le fils de Jacques Antoine, marchand drapier à Genève, dont il a d’abord été l’associé. Il est le cousin de Louis, qui est à la tête d’une puissante maison de Lyon (cf. chapitre VII).
13 Bibl. Publique Universitaire de Genève, manuscrits français, 3652.
14 1973.
15 A. É. de Genève, A.D.L., T 103, 55.
16 *** 1923.
17 MM. Hentsch ne paraissent pas avoir conservé de documents commerciaux concernant les premières années de leur maison.
18 A. É. de Genève, A.D.L., T 103: 77, 84, 117 et 133. Nous possédons encore d’autres indications éparses sur des Genevois installés à Paris à l’époque qui nous intéresse. En octobre1799, par exemple, a disparu par faillite la firme Audéoud et Cie (Arch. de Paris, D 11 U3, 9/615), avec un actif net de 70 000F seulement, et 320 000F de créances douteuses ou mauvaises; elle était commanditée par Louis Gabriel Cramer, beau-frère d’Audéoud, lui-même beau-frère de Jean Marie Calan-drini. Audéoud avait épousé en secondes noces (en l’an V) une Du Pan qui lui avait apporté 100 000lt de dot. En 1812, l’illustre nom de Turrettin apparaît dans une société parisienne en commandite: Jean Louis Turrettin et Cie, maison pour le commerce de commission, au capital de 150 000F (Arch. de Paris, D 31 U3, 7/33). On notera cet afflux à Paris de capitaux suisses — Hentsch, Turrettin — en pleine période, apparemment, de crise économique du système napoléonien, selon les vues classiques du moins.
19 Delessert 1923. Bien que la famille Boy de La Tour (bourgeoisie de Neuchâtel en 1749, anoblissement par le roi de Prusse en 1750) n’ait pas essaimé dans la banque parisienne, elle se trouve étroitement mêlée à tout le groupe des hommes d’affaires issus de la Suisse française, par la carrière marchande comme par les alliances et les parentés. Pierre Boy de La Tour, marié à Julianne Roguin en 1740, établi à Lyon dès 1720, était mort en 1758. Sa veuve lui survécut jusqu’en 1780; elle prit la tête de la maison en conservant dans la société un frère et un neveu du défunt, François Louis Boy de La Tour et Frédéric Auguste Girardier, ainsi qu’un ancien associé, Bailliodz (appartenant à une famille anoblie de Motiers). Dans les années 1770, son fils aîné, Jean Pierre Boy de La Tour, prit sa place dans la société; ce sont deux de ses sœurs qui épousèrent respectivement un Mallet et un Delessert; lui-même épousa une Du Pasquier (A. É. de Neuchâtel, fonds Boy de La Tour).
20 Arch. nat., M.C.N., XXXV, 995, 15 ventôse an IX.
21 Bouchary, t.III, 1943, p.91-110. Cette détention, toutefois, ne paraît pas avoir interrompu les activités de la banque, dont Colladon assurait la direction, cependant qu’en prison même Delessert conservait la possibilité de suivre ses affaires. Ceci est indiqué par le témoignage d’un de ses plus anciens commanditaires, à Lyon puis à Paris: Perceret, d’Yverdon (Arch. mun. d’Yverdon, fonds Perceret-Mandrot, litige Perceret-Delessert), qui semble avoir participé au financement d’acquisitions immobilières en 1792-1793.
22 Arch. nat., M.C.N., XXXV, 989, 28 pluviôse et 27 messidor.
23 Rufenacht 1963 et 1967.
24 Cf. notamment 1960, passim.
25 Arch. nat., M.C.N., XCIII, 256, 6 pluviôse an XII, et 334, 26 août 1812.
26 A. É. de Neuchâtel, fonds Pourtalès, IV-1.
27 Deledevant et Henrioud 1923.
28 Il fera partie de la maison de Joséphine de 1810 à 1814.
29 Cf. Dermigny 1964, p.66 n.4, et p.102 n.3.
30 Pillivuyt s’établira ensuite porcelainier à Foécy (Cher), sous la commandite d’André et Cottier; au temps de son fils Charles (marié à Élise, fille de Jean Anne Scipion Mourgue et d’Élisabeth Filliettaz), dans les années 1850, il en sortira les puissantes entreprises de Mehun-sur-Yèvre et de Noirlac (cf. Walbaum 1959).
31 Cf. chapitre VII.
32 Henriette, fille de Paul Gabriel, chambellan du roi de Prusse. Mandrot lui-même, né en 1779, était le fils du lieutenant baillival, puis préfet (1803-1813) de Morges.
33 S.W.A., Bâle, Segerhof.
34 Arch. de Paris, D 31 U3, 6/207, 9/39 et 304. Il semble que ce Girard ait pu aussi se trouver associé à Pichonnat, d’Orbe ( ?), dans le grand commerce parisien des toiles.
35 Ibid., 1/18.
36 S.W.A., Bâle, Zirkularsammlung. Defélice (De Felice) est en fait, plus lointaine-ment, d’origine romaine. Marcuard — famille de Grandcour, puis de Payerne et d’Yverdon — a eu son premier banquier à Berne, en la personne de Jean Rodolphe Marie (1722-1795). Quant aux Roguin, déjà rencontrés dans l’entourage des Delessert, ils constituaient à Yverdon un exemple parfait de grande famille patricienne vouée à la fois à la carrière militaire et à celle des affaires; Julianne Roguin, femme de Pierre Boy de La Tour, était la nièce d’un Daniel Roguin qui, après avoir servi les Provinces-Unies et séjourné quelques années à Surinam, s’était établi dans la banque à Paris. L’associé de Du Thon et de Frossard était Augustin Roguin (1768-1827) — par ailleurs, et plus anciennement, associé à Van Berchem et d’illens à Marseille —, venu à Paris après 1794, marié en 1805 à une Cottier (cf. *** 1935, t.II). Une bonne demi-douzaine de Roguin ont été intéressés par leurs dépôts, à un moment ou à un autre, dans l’affaire Boy de La Tour. Frossard, pour sa part, a tenu sa place à Paris, sous le Consulat, dans la grande affaire du commerce des laines d’Espagne.
37 Arch. de Paris, D 31 U3, 3/480, 1er juillet 1807.
38 Arch. de Paris, D 31 U3, 3/520, 29 décembre 1807.
39 Cf. Lévy-Leboyer 1964, p.426 n. 41.
40 Louis avait un troisième fils qui, ayant épousé Françoise Bovet, de Neuchâtel, retourna se fixer en Suisse. Il n’y avait pas de fils du second mariage de Jean Jacques de Rougemont. Le fils unique de son premier mariage, François Antoine, était mort à Londres en 1791, d’une façon dramatique. C’est ainsi que, Louis étant mort lui-même en 1794, Denis de Rougemont se trouva être l’héritier unique de la banque.
41 Il possède en outre la Chartreuse de Berne, et achètera en 1816 le riche hôtel du Peyrou à Neuchâtel. Rougemont reste d’abord, on le voit, un «grand seigneur» de son pays d’origine.
42 Arch. nat., M.C.N., XVIII, 966, 9 frimaire an VII.
43 A. É. de Neuchâtel, fonds Pourtalès, IV-2, circulaires.
44 Nous n’avons pas pu élucider comment s’établissait exactement ce lien. Sur les Murait, cf. p.76 ce qui est dit des Suisses du nord.
45 S.W.A., Bâle, Segerhof. Un autre exemple de liquidation volontaire est donné, en novembre 1813, par la banque Boucherot et Cie, grâce à quoi la crise du début de 1814 est traversée sans pertes et, dès le printemps, la société se reconstite, créant même une filiale au Havre — en association, d’ailleurs, avec un Jean Louis Sarasin, de Bâle selon toute vraisemblance.
46 Arch. de Paris, D 11 U3. 18/1299, 18 février 1803.
47 Cf. Hémardinquer 1964 c.
48 Arch. nat., M.C.N., XLVIII, 961, 23 vendémiaire an VI; 967, 23 et 24 pluviôse an VII; 969, 12 thermidor an VII; 973, 6 fructidor an VIII; 1001, 2e jour complémentaire an XII.
49 De même, en marge de la banque, la maison de commerce d’horlogerie Berthoud père et fils, puis Berthoud frères, dans la cour de la Sainte Chapelle. Elle avait été fondée en 1785 par Jonas (1769-1853), fils de Jean Jacques Henri (1736-1811), de Fleurier; ses opérations, à l’époque révolutionnaire, avaient glissé du commerce vers la banque, par la gérance de fonds confiés par des émigrés. Jonas se retire des affaires et rentre à Fleurier en 1813 (Arch. de Paris, D 31 U3, 8/120); son frère Auguste continue sous la même raison. A Neuchâtel même, on trouve d’autres Berthoud, en société avec des Montmollin et des Perregaux, dans l’indiennage.
50 A. É. de Neuchâtel, fonds Pourtalès, IV-1; Arch. de Paris, D 31 U3, 8/3 et 4.
51 Arch. de Paris, D 31 U3, 5/124 et 148. Dans le commerce de commission à Paris, encore, un Pierre Joseph André Zeltner, marié à une Drouyn-Vandeuil.
52 S.W.A., Bâte, Zirkularsammlung. Strauss, de Lenzburg, était marié à une Hunziker, fille de pasteur, d’une branche de la famille autre que celle de son associé. Le père de Hunziker était manufacturier en coton; le fils quitta l’entreprise paternelle pour Paris en 1797. L’affaire paraît avoir fait faillite au temps du Blocus. Cf. Oehler 1962 et Usteri 1952.
53 Arch. de Paris, D 31 U3, 1/164, 20 brumaire an XI.
54 Ibid., 4/95 et 7/75 et 78.
55 Cf. chapitre VI.
56 Arch. de Paris, D 11 U3, 10/666, 13 décembre 1799.
57 Cf. Peyer 1968.
58 Cf. Gérard 1968.
59 Francisation de Schlumpf, d’origine saint-galloise.
60 En 1796, une «Cie de Cérès» avait été d’autre part créée par les banques d’Amsterdam Roger et Théodore de Smeth, et Couderc, Brants et Changuyon. Hottinguer avait eu pour rôle de lancer le plan parmi ses amis de Philadelphie, et avait souscrit pour sa part une action (Amsterdam, Gemeente Archief, fonds Brants, 648).
61 Arch. nat., M.C.N., XV, 1174, 7 nivôse an XII.
62 Arch. de Paris, D 31 U3, 4/20, janvier 1809.
63 Ibid., 8/86, 1eravril1813.
64 Cf. Lüthy 1969, p.667sq.; Dermigny 1960, p.247sq.; Peyer 1968, p.185-190.
65 Cf. chapitre VII.
66 A. É. de Bâle, NA 172, Johannes Gysendörfer IV.
67 S.W.A., Bâle, Zirkularsammlung, B 12.
68 Né à Genève en 1766, mort à Paris en 1853, entré dans la société de Wesserling en 1795.
69 Arch. de Paris, D 11 U3, 47/1030, 18 janvier 1814.
70 Lüthy 1969, et Durand 1971. Voir aussi Bronne 1969.
71 Arch. nat., M.C.N., CVIII, 878 à 883.
72 1965.
73 Cf. Watelet 1968.
74 Cf. Bouchary, t.II, 1940.
75 A.É. d’Anvers, fonds Blommaert.
76 Arch. nat., M.C.N., XCIII, 221.
77 Ibid., XLVIII, 440, 5 ventôse an X.
78 Grâce notamment au livre de Jean Stern, paru en 1933. Mais il reste toutefois beaucoup à glaner dans la «Saisie Simons» aux Archives générales du Royaume, à Bruxelles.
79 Lettre au président de la Cour d’Appel de Paris, 1er thermidor an XIII («Saisie Simons», XIII-2).
80 Stern 1933, p.130sq.
81 Saisie Simons, 1-2.
82 Ibid., III-1.
83 1933, p.172.
84 Saisie Simons, XV-1.
85 Ibid., XV-2.
86 Stern 1933, p.184-202.
87 Henri Simons faisait le commerce du bois de construction avec la Hollande et l’intérieur de l’Empire (Arch. nat., F12, 938) et passait pour avoir un million et demi de fortune.
88 Saisie Simons, II-1.
89 Parmi les commanditaires, on trouvait, outre Solages et Simons:
Colbert de Seignelay, ancien officier, propriétaire 200 actions
Frison, notaire à Saint-Gobain 200
Van Verwick, propriétaire, maire d’Avesnes (et associé aux fournitures de Michel Simons) 200
Marcel, négociant en houille à Paris, rue de Malte 50
Mauger, ancien officier, propriétaire d’une fabrique de sulfate de fer près de Noyon 50
Coffinier, propriétaire, marchand de bois, concessionnaire des mines de sulfate de fer de Beaulieu près de Noyon 30
Carpentier, négociant, concessionnaire des mines de sulfate d’alumine et de sulfate de fer près de La Fère 25
Etc.
90 Rachel, Papritz et Wallisch 1967.
91 Arch. de Paris, D 11 U3, 3/178, faillite du 24 octobre 1797.
92 1965. Cf. Bouvier 1967.
93 Arch. de Paris, D 31 U3, 5/125 et 7/228.
94 T.II, 1940, 69-94.
95 Ibid.; et également des dépôts de procurations de vendémiaire et nivôse an VI (Arch. nat., M.C.N., XV, 1114).
96 Arch. de Paris, D 2 U1, 69, scellés du 26novembre1810.
97 Ibid., D 11 U3, 31/2090, 17 décembre 1805 (faillite). En l’an VIII, Pierre Jean, le père, Gaspard Sébastien, le fils aîné, Jacques François, le cadet, se trouvaient, le premier et le troisième, à Paris, le second à Dunkerque; en commun avec Michel Simons et un Archdeacon de Dunkerque (un autre était agent de change à Paris), ils achètent alors, pour près d’un demi-million, une partie de la forêt d’Avesnes (Arch. nat., M.C.N., XI, 803, 22 thermidor an VIII).
98 1965. D’après les papiers de Richard Codman, Avery Library, Columbia University, New York.
99 A rapprocher du cas de Williams Vans, du Massachusetts (cf. *** 1825). Arrivé au Havre en 1794 avec un chargement valant 120 000 dollars, il y constitue une flottille de six corsaires et épouse la fille du négociant Gauvain. Il place sa fortune dans des terres en Picardie et Seine-et-Marne, dans un château et une ferme à Ablon... et dans l’hôtel de La Ferté-Sennecterre, rue de l’Université.
100 Arch. nat., M.C.N., XVIII, 1022, 23 octobre 1806.
101 Ibid., XLV, 920, 27 ventôse an X.
102 Ibid., XVIII, 1057, 5o ctobre 1812.
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