L’endettement paysan dans le Bihar colonial1
Peasant indebtedness in colonial Bihar
p. 165-205
Résumés
L’objet de cet article est d’évaluer, à partir d’une analyse critique des sources disponibles, l’importance de l’endettement paysan au Bihar entre 1850 et 1950, d’en faire apparaître les structures, et d’en dégager les incidences sur le mouvement d’ensemble de l’économie rurale. On s’est particulièrement attaché à critiquer les explications conventionnelles des causes de l’endettement, à montrer comment l’essor de celui-ci est lié à la situation coloniale, et à mettre en évidence son rôle perturbateur dans la difficile transition de l’économie paysanne traditionnelle vers l’économie de marché.
Peasant indebtedness in India, though a dominant concern of Government authorities for more than a century, remains an unclear matter, owing to the paucity of reliable data. Starting with a critical analysis of the available evidence, an attempt has been made here to estimate the volume and social distribution of the peasant debt in Bihar between 1850 and 1950, to bring out the main determinants and structural features of the demand and supply of credit in the countryside, and to draw some conclusions as to the relationship between peasant indebtedness and the pattern of rural growth in colonial Bihar. An effort has been made to criticise the most widespread clichés about the causes which lead peasants to borrow, to show how the growth of peasant indebtedness is related to the colonial situation as a whole, and to bring out the part it plays in the lopsided transition from subsistence to market economy.
Texte intégral
1L’endettement paysan dans l’Inde coloniale, comme bien d’autres aspects de l’histoire des campagnes indiennes à cette époque, est un sujet à la fois banal et obscur1. Les considérations impressionnistes et les chiffres dispersés abondent sur ce problème dans la littérature et les archives relatives au Bihar comme pour le reste de l’Inde dès le xixe siècle. Et pourtant il est difficile de répondre avec précision aux questions les plus simples : quel pourcentage de la population paysanne est endetté ? Quel est le volume de la dette paysanne ? Quelles classes paysannes sont les plus touchées par l’endettement ? Les données chiffrées dont on dispose sont souvent contradictoires, ou malaisément comparables, ou même manifestement fausses. C’est pourquoi on commencera, en inventoriant et en critiquant les sources disponibles, par poser la question des dimensions (extension et volume) de l’endettement paysan au cours du siècle étudié, avant d’essayer d’en décrire les structures et les effets économiques d’ensemble.
1. La dette paysanne
a. Mesure
2Il y a peu de données quantitatives à tirer de l’enquête confidentielle ordonnée en 1875 par Sir Richard Temple, Lieutenant-Gouverneur du Bengale (dont le Bihar fait partie jusqu’en 1912) sur l’endettement rural dans sa province. Le dossier ainsi constitué représente plutôt une collection d’avis autorisés qu’une analyse statistique2. Il se réduit, pour le Bihar, à deux brefs rapports des Commissioners des divisions de Patna et de Bhagalpur, qui improvisent sur la base de quelques témoignages individuels et de leur expérience personnelle des villages. Les premiers chiffres dont on dispose sont de même des estimations d’administrateurs appuyées sur une fréquentation plus ou moins prolongée du district où ils travaillent plutôt que sur des enquêtes véritables. Sans énumérer inutilement ces évaluations au jugé, on citera trois témoignages de 1875, l’un du district de Shahabad, où 90 % des agriculteurs seraient endettés ; l’autre du district de Champaran, dont 75 % des habitants (ouvriers agricoles exclus, il s’agit donc essentiellement de la population paysanne) sont endettés de façon inextricable, ce qui laisse entendre que le pourcentage de la population endettée est plus élevé encore ; et le troisième de la division de Patna, qui s’étend sur la moitié occidentale du Bihar, où 75 % des tenanciers seraient aussi aux prises avec les prêteurs3. À ces chiffres fait écho, quinze ans plus tard, celui de l’agent de la régie de l’opium (Sub-Deputy Opium Agent) dans le district de Saran, qui déclare, après trente ans passés au contact des paysans de ce district, que 95 % des cultivateurs y naissent, y vivent et y meurent endettés4. De ces affirmations, on ne peut déduire en toute rigueur qu’une conclusion, c’est que la proportion des cultivateurs endettés dans la population du Bihar dans le dernier quart du xixe siècle était probablement très élevée. On gardera en tête comme point de comparaison le premier chiffre inattaquable dont on dispose pour l’Inde orientale, calculé à partir d’une enquête exhaustive sur le terrain, et qui concerne le district de Faridpur au Bengale à la veille de la première guerre mondiale : 45 % seulement des cultivateurs y sont alors endettés, dont tout au plus 1,5 % de façon inextricable5. On peut supposer que les évaluations qu’on vient de citer pour le Bihar pêchent quelque peu par excès. L’impression de dénuement général dans les villages, que renforce la prospérité très apparente d’une étroite minorité de dominants, le retour fréquent de la sécheresse et des inondations, l’omniprésence du prêteur, les dépenses excessives engagées à l’occasion des cérémonies domestiques, et que les observateurs coloniaux expliquent avec constance par une propension congénitale à l’« extravagance », tout conspire à donner de l’endettement paysan une idée dramatique.
3Cette image de la situation est quelque peu adoucie par les résultats de la grande enquête ordonnée par le vice-roi Lord Dufferin en 1888 sur la condition des classes populaires dans l’Empire indien. Cette enquête donna lieu à des recensements complets de l’endettement dans quelques villages du Bihar. Dans deux villages du district, de Bhagalpur (Raghunathpur et Sitapur dans le pargana de Duphar), on compte respectivement 60 % et 88 % de cultivateurs endettés. Dans dix villages du district de Monghyr, les pourcentages sont les suivants6 :
Indruk : | 98 % |
Mohanpur : | 97 % |
Gurdaspur : | 67 % |
Tirakampur : | 66 % |
Ulao : | 42 % |
Belha : | 29 % |
Bilori : | 25 % |
Billo : | 22 % |
Dakra : | 9 % |
Mahana : | 5 % |
Moyenne : | 46 % |
4On ne peut pas tirer de conclusion globale d’un échantillon arbitraire. Mais ces chiffres révèlent au moins que la situation peut varier du tout au tout d’un village à l’autre. Il est possible que le bilan désastreux de certains villages ait contribué à assombrir dans l’esprit des observateurs l’image de l’ensemble. D’autres considérations, qui tendent aussi à corriger les appréciations les plus pessimistes, apparaissent dans l’enquête entreprise par G.A. Grierson dans le district de Gaya dans le cadre des instructions de Lord Dufferin, mais ensuite poursuivie et approfondie, et publiée séparément en 1893. Grierson constate que le pourcentage des cultivateurs endettés semble à première vue très élevé, car chacun d’eux ou presque a un compte en cours avec son landlord ou avec le baniyā. Mais ce compte est généralement soldé à la récolte. Il en découle logiquement que le pourcentage des cultivateurs endettés doit varier au cours de l’année : très élevé avant la récolte, il doit baisser vivement après celle-ci, pour remonter sans doute de plus en plus vite au fur et à mesure qu’elle s’éloigne dans le temps. Le montant moyen des dettes ainsi contractées ne peut être que faible. Il s’élève, selon Grierson, à 10 Rs par tête, montant bien inférieur au revenu annuel ordinaire des cultivateurs, dont il évalue le minimum à 15 Rs par tête7.
5De fait, les pourcentages relatifs à la population endettée ne sont significatifs que s’ils sont accompagnés de données sur le volume de l’endettement. Cet aspect de la question a été abordé systématiquement au début du xxe siècle dans le cadre des opérations de cadastrage et d’enregistrement des droits fonciers (survey and settlement), par le biais indirect du recensement des ventes et des hypothèques foncières dans chaque district. Le raisonnement tenu était le suivant : la seule sûreté sur laquelle un cultivateur puisse garantir une dette de façon solide est le droit aliénable de propriété ou d’occupation dont il jouit sur la terre qu’il exploite. L’endettement non gagé sur la terre ne peut être que d’importance minime (ainsi par exemple les avances sur récolte), puisque les cultivateurs ordinaires ne possèdent pas d’autre bien de valeur que celle-ci, et que leur crédit personnel est uniformément faible. Le comptage des hypothèques et des ventes de terres de la dernière décennie, effectué dans le sillage du relevé des droits fonciers, donnera donc une idée juste de l’étendue de l’endettement sérieux pendant la période considérée, et l’addition des surfaces concernées, comme de leur valeur déclarée, fournira un indice sur son volume. Le tableau I donne deux séries de chiffres tirées de ces données : d’une part le pourcentage des ventes et des hypothèques enregistrées par rapport au nombre total des propriétés et des tenures, et d’autre part le pourcentage de la surface vendue et hypothéquée par rapport à la surface totale des terres (pour les propriétés) et des tenures (pour les droits d’occupation) pendant la décennie qui a précédé l’achèvement du survey and settlement dans chaque district. On a exclu de ce tableau deux districts sur les dix qui composent le Bihar (Patna et Shahabad), car les chiffres dont on dispose à leur sujet posent des problèmes de comparabilité8. (Les chiffres sont exprimés en pourcentage).
6La conclusion unanime des auteurs des rapports de survey and settlement de ces districts a été, au vu de ces chiffres, que l’endettement paysan n’était nulle part, à cette date, un phénomène préoccupant. Ces chiffres, cependant, n’offrent de l’endettement réel qu’une image imparfaite. Excellents pour la comparaison, ils reflètent bien son inégale extension selon les districts, comme l’inégale fréquence des différents types d’aliénation, sur laquelle on aura plus loin l’occasion de revenir. Mais pris absolument, ils sont trop optimistes. Une partie des aliénations passe en effet inaperçue des fonctionnaires du settlement. Il s’agit des ventes de droits d’occupation réalisées depuis plusieurs années, quand le nouvel acquéreur a obtenu l’investiture du propriétaire et que l’ancien tenancier a entièrement disparu. La vente, dans ce cas, peut être remarquée par accident, mais souvent n’est pas décelée. Le Settlement Office du district de Shahabad va jusqu’à écrire que la moitié des ventes de droits d’occupation échappe ainsi au comptage9. Lors de la révision du settlement de Saran en 1915-1921, on enregistre un accroissement phénoménal de 964 % des ventes de droits d’occupation, manifestement dû pour une bonne part au dénombrement lacunaire du premier seulement10. Pour ce qui touche aux hypothèques, seuls sont pris en considération les nantissements, ou hypothèques avec usufruit, en vertu desquelles le créancier entre en possession de la terre grevée, et en perçoit le revenu dans les conditions stipulées par le contrat. Les hypothèques simples, rares il est vrai, car le prêteur exige alors de son client une très bonne réputation de solvabilité, ne sont pas comptabilisées, non plus que les hypothèques usufruitières purgées au cours de la décennie11. Ces chiffres, enfin, laissent de côté tout le vaste secteur des emprunts non garantis sur la terre. L’hypothèque n’est souvent que l’aboutissement d’une situation d’endettement prolongée où, le débiteur ayant laissé courir les arrèrages, la dette tend à devenir irrécouvrable (car la pratique de l’intérêt composé est universelle). Le volume global des créances non hypothéquées n’est pas nécessairement insignifiant, encore qu’on en soit sur ce point réduit aux conjectures. Selon le Bihar-and-Orissa Provincial Banking Enquiry Committee, elles représenteraient 55,5 % de l’endettement rural des dix districts du Bihar en 1930 – mais ce chiffre est avancé avec de prudentes réserves12. Une telle proportion n’est pas invraisemblable si l’on admet qu’il existe, à côté du faible pourcentage de paysans très endettés qui hypothèquent ou vendent leurs terres, un endettement de moindre envergure qui affecte la majorité de la population paysanne. En tout état de cause, il faut renoncer dans ces conditions à évaluer même grossièrement l’étendue et le volume de la dette paysanne avant la première guerre mondiale13.
7La révision du settlement du Champaran et du Saran achevée en 1919 et en 1921 respectivement, fournit pour ces deux districts au moins des chiffres à peu près exhaustifs relativement aux ventes et aux hypothèques au cours de la décennie qui précède chacune de ces deux dates. Aucun changement de titulaire d’une tenure ne peut désormais passer inaperçu. Seules les hypothèques purgées en cours de route peuvent encore échapper au dénombrement. Les chiffres (en pourcentages) sont donnés au tableau 1114 :
8L’augmentation presque générale des chiffres par rapport à ceux des premiers settlements est pour une grande part à mettre au compte de l’amélioration du comptage, mais traduit aussi une hausse réelle du total des aliénations. On sait que le nombre des hypothèques, en particulier, progresse rapidement dans l’ensemble du Bihar jusqu’en 1919, avant de se mettre à décliner15. Le déclin de la surface des droits de propriété aliénés dans le Saran s’explique selon le Settlement Officer par la surcharge démographique exceptionnelle de ce district, qui fait que la valeur de la terre y est très élevée, et que les propriétaires s’en désaisissent de moins en moins. Si la dette garantie sur la terre apparaît ici sous un jour plus exact, la dimension de la dette paysanne totale demeure obscure.
9Le problème s’éclaire quelque peu dix ans plus tard, grâce à l’enquête conduite en 1929-1930 par le Banking Committee à partir d’un échantillon qu’il s’est efforcé de rendre représentatif. Il semblerait, d’après ce travail, que la population rurale du Bihar soit endettée à 72,5 %. La ventilation de cette population endettée en fonction du volume de l’endettement individuel s’établit comme suit16 :
Non endettés | 27,5 |
Légèrement endettés (1 à 105 Rs) | 29,0 % |
Moyennement endettés (106 à 210 Rs) | 14.0 % |
Lourdement endettés (211 à 1 050 Rs) | 24,0 % |
Très lourdement endettés (plus de 1 050 Rs) | 5,5 % |
10L’endettement moyen par famille rurale endettée s’élève à 282 Rs, ce qui place le Bihar, de ce point de vue, au quatrième rang des provinces indiennes. Ce chiffre n’est pas directement comparable à ceux du début du siècle, en raison du mouvement général des prix17. Mais il est très supérieur, même déflaté, à l’évaluation d’un Grierson, qui estimait l’endettement moyen des cultivateurs à 10 Rs par tête au maximum, soit (l’effectif moyen d’une famille étant généralement fixé à cinq ou six personnes par les settlement reports) 50 ou 60 Rs par famille. Tout en admettant, ce qui ne fait guère de doute comme on va le voir, que l’endettement paysan ait pu s’aggraver entre temps, on peut conclure sans grand risque à une nette sous-estimation de cet endettement par les fonctionnaires du Settlement Department avant la première guerre mondiale.
11On fera état enfin, mais avec les sérieuses réserves qui s’imposent18, des chiffres construits pour le Bihar au début des années 1950 par l’All-India Rural Credit Survey. L’échantillon choisi consiste en deux groupes de huit villages des districts de Monghyr et de Bhagalpur : 79 % des familles y sont endettées (soit une progression de 9 % par rapport au chiffre du Banking Committee de 1930), pour une somme moyenne de 291 Rs (soit 3 % de plus qu’en 1930). Le Bihar ne viendrait plus, d’après ce chiffre, qu’au dixième rang des provinces indiennes19. On peut exprimer les doutes les plus légitimes quant au caractère représentatif de l’échantillon retenu, mais la progression dont il témoigne par rapport à 1930 est au moins vraisemblable.
12L’endettement, dont on n’a présenté jusqu’ici que des approches globales, ne frappe pas uniformément toutes les catégories de la population paysanne. Le principe est que, lorsqu’on descend dans l’échelle du revenu paysan, le pourcentage des familles endettées augmente, mais le montant moyen de la dette par famille diminue. Ce fait est particulièrement clair dans les données recueillies par la Rural Crédit Survey20 :
Bhagalpur | Monghyr | |
Proportion de familles endettées (en %) : | ||
Gros cultivateurs | 79,3 | 68,5 |
Cultivateurs aisés | 84,3 | 73,9 |
Moyens cultivateurs | 97,2 | 81,6 |
Petits cultivateurs | 97,3 | 86,3 |
Dette moyenne par famille endettée (en Rs) : | ||
Gros cultivateurs | 928 | 1 599 |
Cultivateurs aisés | 644 | 948 |
Moyens cultivateurs | 377 | 425 |
Petits cultivateurs | 403 | 208 |
13Ceci est vrai aux époques antérieures au Bihar21. C’est également vrai dans le reste de l’Inde22. La raison essentielle de cette répartition est évidemment que le montant des prêts que consent le prêteur est fonction du crédit de l’emprunteur. L’endettement des paysans les plus pauvres est donc normalement minime (et ils ont plus souvent recours pour emprunter au dominant dont ils dépendent, voire à l’usurier itinérant, qu’au prêteur professionnel, qui refuse de leur faire crédit)23. Mais il suffit d’une dette de faible envergure pour qu’un petit exploitant, dont le revenu annuel ne dépasse pas, ou dépasse de peu, le minimum requis pour la subsistance, voie s’envoler toute chance, une fois la dette contractée, de jamais retrouver son indépendance financière grâce aux seuls profits de l’agriculture24. C’est pourquoi les cultivateurs dans leur majorité s’efforcent de n’emprunter chaque année, en espèces ou en grain, que ce dont ils ont absolument besoin pour survivre, soldant tant bien que mal leur compte à la récolte, quitte à emprunter de nouveau peu après25.
14Il est impossible, sur la base de chiffres dont on vient d’exposer la fragilité, de tenter même d’esquisser le mouvement d’ensemble de l’endettement paysan au cours du dernier siècle colonial. La seule affirmation qu’on puisse avancer avec certitude, c’est que cet endettement a augmenté26. On peut trouver sans doute un reflet lointain de cette augmentation dans le mouvement du marché de la terre, tout au moins au xxe siècle, à partir du moment où ce marché fonctionne avec une certaine régularité, où les droits fonciers des tenanciers se vendent sans difficulté, et où les statistiques de l’Enregistrement (Registration Department) deviennent acceptables. Les droits sur la terre, en effet, ne se vendent guère que sous la pression de l’endettement27. Cette étude du mouvement des aliénations foncières a déjà été faite pour l’Inde orientale par B.B. Chaudhuri dans deux articles récents, auxquels on se permettra ici de renvoyer28. Mais les aliénations, on l’a dit, n’expriment que la fraction la plus aiguë de l’endettement. S’il est difficile, par conséquent, d’en chiffrer l’augmentation réelle, il est possible du moins de dégager les causes principales de cette augmentation, souvent analysées dans la littérature du sujet. La première est la croissance démographique, et la surcharge grandissante de la terre qui en découle, tout au moins à partir des années 1920, quand cette croissance devient continue, en même temps que la subdivision des exploitations se poursuit indéfiniment, ou que les parts de copropriété s’amenuisent, au fil des générations et des successions. L’autre facteur est d’ordre législatif. Le colonisateur a introduit en Inde la conception du droit de propriété ou d’occupation individuel et aliénable, plaçant ainsi entre les mains d’un nombre toujours plus grand d’exploitants une sûreté immobilière qui renforce considérablement leur crédit, et qui les incite à emprunter sur une plus grande échelle que par le passé29. La hausse tendancielle des prix agricoles et la demande croissante de terre, qui font monter la valeur des droits fonciers, influent dans le même sens (ce qui permet de dire sans paradoxe que l’endettement progresse avec la prospérité). L’incitation à l’endettement est encore développée par la commercialisation et la monétarisation croissantes de l’économie rurale, qui rendent l’agriculture plus onéreuse, au moins pour les paysans qui entreprennent de cultiver des plantes commerciales, et qui font grandir le besoin de liquidités. La législation, enfin, codifie de façon rigoureuse, dans la seconde moitié du xixe siècle, les relations entre créancier et débiteur et la pratique des aliénations foncières, en mettant tous les atouts du côté du prêteur au nom d’une conception moderne de l’inviolabilité du contrat, ce qui incite les prêteurs à élargir le champ de leurs opérations30. Un énorme travail est à faire pour quantifier ces variables dans les différentes provinces de l’Inde et rendre compte des variations régionales. Et il reste à faire en particulier pour le Bihar.
b. Étiologie
15Les Settlement Officers du début de ce siècle ont toujours considéré, on l’a dit, que l’endettement paysan au Bihar n’était pas un phénomène inquiétant31. Ils le prouvaient en montrant que le montant total de l’endettement, calculé à partir de la valeur totale des aliénations (et de cette manière, on l’a vu, nettement sous-estimé), ne représentait qu’une fraction minime du produit net moyen de l’agriculture dans le district. À quoi ils ajoutaient que, la taille moyenne des exploitations étant supérieure à la surface minimale nécessaire à la subsistance, sauf exceptions localisées, l’endettement sérieux ne pouvait être que le fait d’une paysannerie marginale32. La conclusion s’imposait en conséquence que la cause principale de l’endettement fût l’imprévoyance aggravée par la prodigalité, affirmation qui pullule dans la littérature du sujet avant l’indépendance. Le vice rédhibitoire de ces raisonnements, c’est qu’ils appliquent au Bihar rural d’alors le langage de l’économie de marché33. Le produit net de l’agriculture y est calculé sur la base des cours moyens du marché des grains dans le district considéré. Or seule une petite partie de la production agricole est en fait commercialisée par les cultivateurs. La plus grande partie des grains produits est autoconsommée. Et pour la fraction qu’il commercialise, le producteur, souvent, n’a pas accès au marché libre, mais doit passer par des intermédiaires qui l’empêchent de bénéficier des cours réels34. Le caractère abstrait de ces calculs est renforcé par le fait de l’irrégularité extrême des cours dans la réalité, reflet de l’irrégularité des récoltes due aux variations climatiques, qui ôte beaucoup de leur signification aux moyennes. Le Settlement Officer de Bhagalpur est même confronté à une courbe de prix tellement accidentée qu’il renonce à tenir le raisonnement habituel sur la base du prix moyen35. Cette irrégularité des cours locaux, qui témoigne du cloisonnement persistant du marché des grains, enlève aussi une partie de leur effet bénéfique aux bonnes récoltes, qui sont immanquablement suivies d’une chute des prix sur le marché local. Il est clair par conséquent que la surface de subsistance, si une telle notion n’est pas dépourvue de sens dans un environnement où les conditions de l’agriculture peuvent varier si considérablement d’un village à l’autre, est constamment évaluée par les Settlement Officers à un chiffre trop petit, ce qui revient à dire que le nombre de paysans qui n’ont pas assez de terre pour être à l’abri de la pénurie est plus important qu’ils ne l’affirment. Le tableau sera complet si l’on ajoute que le revenu par tête des agriculteurs du Bihar, au xxe siècle au moins, décline sensiblement dans le long terme, car les rendements rizicoles y baissent de façon exceptionnelle alors que la population augmente, sans que cette baisse soit compensée par l’accroissement de la surface cultivée, et sans que le déficit soit comblé par le développement des autres cultures36. Le petit exploitant est donc de plus en plus facilement acculé à l’emprunt, et s’en libère de moins en moins facilement une fois qu’il l’a contracté.
16C’est cet ensemble de facteurs structurels et conjoncturels qu’il faut mettre en cause pour expliquer l’endettement paysan d’un point de vue strictement économique. Mais l’explication est incomplète si l’on omet ces facteurs d’un autre ordre que sont la distribution sociale du pouvoir et la toute-puissance des dominants dans les campagnes du Bihar, dont les effets se résument aisément en une phrase : les dominants locaux, zamindars et paysans riches, règnent en maîtres absolus sur les villages, piétinent la législation protectrice des tenanciers de toutes les façons possibles, et arrachent à la majorité pauvre, analphabète et incapable de résistance, l’essentiel du produit net de l’agriculture37. Il est permis de douter, dans ces conditions, que l’explication classique par l’imprévoyance et la prodigalité soit recevable. L’impropriété des termes (improvidence et extravagance sont les mots anglais toujours employés), qui reviennent à déplorer que le paysan indien n’ait pas le sens scrupuleux et rationnel de l’épargne et de la gestion spéculative de son bien qu’on associe à l’essor du capitalisme occidental, est totale. Les dépenses engagées à l’occasion des cérémonies domestiques ne sont nullement des dépenses superflues, mais répondent à un sentiment d’obligation parfaitement contraignant dans le cadre de la société villageoise38. Le coût de ces solennités est d’ailleurs très inégal selon les castes dans un lieu donné, et n’est franchement élevé que pour les plus hautes39. Et le mot « imprévoyance », qui sous-entend légèreté coupable, traduit à contresens ce qui est plutôt une notion inconstante et plus qualitative qu’arithmétique de la valeur de l’argent, qui n’est pas sans exemple dans d’autres sociétés paysannes40, et qui permet de subvenir sans s’effrayer à une nécessité immédiate en hypothéquant irrémédiablement l’avenir. L’économiste appellera ce comportement incapacité à distinguer le court terme du long terme dans la gestion de son budget, ou plus naïvement inaptitude à la comptabilité41. Le fonctionnaire colonial y ajoute souvent une note de réprobation morale.
17Une fois reconnu le caractère d’obligation des dépenses liées aux cérémonies, on remet celles-ci à leur juste place dans l’ordre des raisons, c’est-à-dire qu’on les fait figurer non pas parmi les causes de l’endettement, qui expliquent pourquoi le paysan doit emprunter pour faire face à ses besoins, mais parmi les occasions d’endettement qui matérialisent sa situation déficitaire. On a souvent tenté de faire l’inventaire de ces occasions, de ces motifs immédiats. Un motif déclaré, assurément, n’éclaire guère sur la situation d’un individu particulier qui vit au jour le jour, et qui a besoin d’argent pour toutes sortes de raisons en même temps. L’occasion précise de l’emprunt n’est qu’un choix accidentel imposé par les circonstances dans la gamme des dépenses de l’emprunteur. Mais l’inventaire des motifs immédiats à l’échelle d’une collectivité présente l’intérêt de donner à voir l’éventail des affectations de la dette totale, et de les situer les unes par rapport aux autres42. Le Banking Committee, à partir d’un échantillon malheureusement très imparfait, a tenté d’établir cette ventilation pour la dette rurale dans les dix districts du Bihar en 193043. Nous reproduisons ces données ci-dessous, et plaçons en regard les chiffres relatifs aux motifs des prêts effectués par les coopératives de crédit dans la même région pendant l’année 1914-1915, la dernière pour laquelle ces chiffres soient disponibles44 (chiffres en pourcentages de la dette totale) :
18Il serait vain de vouloir rendre compte des variations de détail, mais la comparaison des grandes lignes est digne d’intérêt. Il est clair que l’endettement lié aux dépenses de subsistance apparaît plus faible dans les décomptes du département coopératif qu’il n’est en réalité, car le paysan a généralement besoin, quand il s’agit de sa subsistance, de fonds immédiatement disponibles, alors que les prêts des coopératives sont couramment soumis à des délais de quatre à six semaines45. Une autre raison vraisemblable est que les coopérateurs appartiennent généralement à la paysannerie aisée, celle qui est le moins susceptible d’emprunter beaucoup pour subsister. L’endettement pour les cérémonies est également faible chez les membres des coopératives, car celles-ci exercent une influence restrictive sur les dépenses somptuaires, au risque d’ailleurs de voir leurs adhérents s’endetter ailleurs à cette fin, et affaiblir ainsi le crédit de la société tout entière46. Le point commun le plus évident entre ces séries de chiffres est la place prédominante que tiennent dans le total des emprunts le service et le remboursement des dettes antérieures. La proportion est de l’ordre du tiers dans les deux cas. L’autre point de convergence important est la place très mineure qu’occupent les emprunts destinés à financer la culture et les investissements dans l’amélioration et l’augmentation du capital d’exploitation. En y ajoutant les emprunts à finalité commerciale47, cette catégorie de dettes qu’on peut qualifier de productives représente 45 % des prêts effectués par les coopératives, donc moins de la moitié du total. Ce chiffre est d’ailleurs supérieur au pourcentage moyen, puisqu’il concerne les emprunts contractés par la fraction la plus aisée de la paysannerie. Le pourcentage du Banking Committee, qui est inférieur à 25 %, est certainement plus proche de la réalité à l’échelle de la paysannerie tout entière. On constatera enfin que l’endettement contracté pour satisfaire au prélèvement (et qui apparaît ici sous la rubrique « loyer ») est proportionnellement faible, contrairement à la thèse nationaliste classique qui en fait la cause majeure de l’endettement paysan avec la législation coloniale favorable au prêteur48. La conclusion principale qu’imposent ces chiffres est que la dette paysanne sert essentiellement à financer des dépenses improductives. Cette constatation, que les observateurs de la vie paysanne font partout en Inde à l’époque coloniale49, reste de mise au Bihar à l’époque la plus récente50. On reviendra en terminant sur cette constatation essentielle.
2. Le crédit rural
19Les sources du crédit, pour le paysan, appartiennent en grande majorité, c’est l’évidence, au secteur « inorganisé ». Le secteur organisé, avant l’indépendance, est représenté par le gouvernement, en tant qu’il octroie des prêts aux agriculteurs dans certaines circonstances, les banques commerciales, et, à partir de 1904, les coopératives de crédit. Ce secteur ne fournissait encore vers 1950 que 7 % du crédit consommé par les campagnes indiennes51. Dans les seize villages de Monghyr et de Bhagalpur qui constituent l’échantillon de la Rural Credit Survey, la proportion se réduisait à 4,45 % du total52. Ces chiffres étaient plus bas encore avant l’indépendance, le mouvement coopératif étant moins développé ou même (avant 1904) inexistant. Les prêts gouvernementaux53 étaient des subventions à faible intérêt destinées tantôt à aider les cultivateurs en détresse en période de famine, tantôt à stimuler leur esprit d’entreprise en leur permettant d’acheter des semences, du bétail, et d’améliorer leurs exploitations54. Ces prêts, de faible montant, quoique utiles en période de calamité, avaient le défaut aux yeux du paysan d’impliquer des déplacements et des procédures administratives, et surtout d’être assortis d’un calendrier de remboursement aux échéances impératives. Ils ne pouvaient donc concurrencer le prêteur du secteur inorganisé sur son terrain55.
a. Sociologie
20Dans le vaste monde des prêteurs ruraux, le prêteur professionnel, baniyā (marchand-prêteur du village qui spécule avec ses propres fonds) ou mahājan (banquier indigène qui fait fructifier par le crédit les dépôts d’autrui et qui escompte les lettres de change, hundī), est très nettement minoritaire. D’après le recensement de 1961, le premier à distinguer la catégorie professionnelle appropriée, il n’y avait dans tout le Bihar que 1 634 prêteurs indigènes professionnels, soit 1 pour 41,4 villages et pour 26 034 habitants des campagnes56. Ce chiffre semble toutefois excessivement sélectif. Selon la Rural Credit Survey, sur les 64 villages qui constituent l’échantillon relatif au Bihar et au Bengale, 17 (soit environ un sur quatre) abritent un ou plusieurs prêteurs professionnels, qui tous, il est vrai, se disent cultivateurs en même temps que prêteurs57. Il suffit de mettre en regard de ces chiffres l’évaluation du Banking Committee, qui situe autour de 100 000 le nombre de personnes qui pratiquent le prêt à intérêt au Bihar-et-Orissa vers 1930 à titre d’activité principale ou subsidiaire, pour faire apparaître que le commerce inorganisé de l’argent, loin d’être le monopole d’une corporation, est plutôt le fait d’une couche sociale.
21Le prêt à intérêt, dans les campagnes, est en effet le seul moyen absolument sûr de faire du profit. Tous frais professionnels déduits, et compte tenu des abattements d’intérêt, des remises de dette, des créances irrécouvrables et des frais de justice, le gros prêteur, qui demande un taux d’intérêt moyen de 14 %, fait un profit net d’environ 10 %, le petit prêteur, qui pratique des taux d’intérêt plus élevés, obtenant environ 12 %58. Ce taux de profit est supérieur à celui de l’agriculture, et n’est pas soumis aux mêmes aléas59. C’est pourquoi quiconque dispose de quelques économies entreprend aussitôt, s’il ne thésaurise pas, de les prêter. « L’importance du cultivateur ordinaire comme prêteur est partout en augmentation », écrit le Banking Committee en 1930. « Rares sont au village ceux qui n’empruntent ni ne prêtent ». Les paysans aisés prêtent à leurs parents gênés, à leurs congénères de caste, à leurs tenanciers et dépendants. Si leur « surface » financière est plus grande, le prêt devient pour eux une véritable activité secondaire. Les landlords prêtent couramment à leurs tenanciers, même s’ils sont eux-mêmes endettés par ailleurs. Certains d’entre eux entretiennent un bureau de prêt (kist kōthī, bureau de versement des termes). Non-professionnels également les planteurs d’indigo qui font crédit à leurs paysans pour s’assurer leur bonne volonté, et bien sûr tous les prêteurs occasionnels quels qu’ils soient.
22Un indice concluant du rôle prédominant des non-professionnels dans le crédit rural est la raison sociale des bénéficiaires des ventes et des hypothèques de droits fonciers. Les settlement reports les répartissent en quatre catégories : landlords, cultivateurs, prêteurs et hommes de loi (les fonctionnaires étant associés à cette dernière catégorie). La ventilation est la suivante pour huit des dix districts du Bihar60 :
Ventes et hypothèques de droits de propriété | Ventes et hypothèques de droits d’occupation | |
Landlords | 68,7 | 8,4 |
Cultivateurs | 12,2 | 77,3 |
Prêteurs | 16,7 | 13,2 |
Hommes de loi | 2,4 | 1,1 |
23Les landlords sont les bénéficiaires de plus des deux tiers des aliénations de droits de propriété, et les cultivateurs de plus des trois quarts des aliénations de droits d’occupation, alors que les prêteurs professionnels n’enlèvent que le sixième des premiers et moins du septième des seconds. Leur place véritable dans cette ventilation est pourtant sans doute plus grande, car plus d’un prêteur patenté qui possède de la terre par surcroît, bien au fait de la défaveur officielle qui pèse sur le « Shylock » de village, a soin de se faire passer pour landlord ou cultivateur ordinaire s’il le peut61. Mais la large prédominance du prêteur non-professionnel n’en demeure pas moins certaine.
24Il faut faire une place à part aux prêteurs itinérants, dont la clientèle est composée des villageois les plus déshérités, auxquels les prêteurs de leur voisinage, professionnels ou non, refusent d’avoir affaire parce que leur réputation de solvabilité est inexistante. Le « Kabuli » (ou « Peshawari », ou « Punjabi », ou « Mughal ») est un personnage familier dans toute l’Inde du Nord, originaire d’Afghanistan ou de la frontière du Nord-Ouest, qui vend des vêtements chauds ou des couvertures à crédit, à l’entrée de l’hiver, à des tarifs exorbitants, ou simplement prête de l’argent, à des taux d’intérêt qui ne le sont pas moins. Il revient exiger son dû après la récolte, jouant de l’intimidation, et parfois de la violence. Plus particulier au Bihar, l’atith venu des districts de Shahabad ou surtout de Saran (où cette secte de dasnāmi est la plus représentée) prête lui aussi aux plus nécessiteux, et dans les mêmes conditions draconiennes, mais sous l’habit du sannyāsī (on le qualifie souvent de gosāīn), de l’argent parfois emprunté aux coopératives. Le rôle de ces prêteurs itinérants est d’ailleurs peu important, puisque la somme de leurs prêts ne représente sans doute pas 1 % de l’endettement rural au Bihar62.
b. Économie
25La prééminence écrasante, aujourd’hui encore, du prêteur « inorganisé » sur toute autre source de crédit tient à deux raisons principales : il pratique une forme de crédit parfaitement adaptée à la demande paysanne, et il dispose seul de moyens de pression suffisants pour que ses opérations soient rentables à coup sûr et aux moindres frais. Les dictons abondent au Bihar pour exprimer l’idée qu’une communauté villageoise est incomplète, qu’il lui manque un organe vital, quand elle n’a pas son prêteur. Celui-ci présente d’abord, sur tout « organisme » de crédit, l’avantage inappréciable de traiter avec le débiteur d’homme à homme, sans intermédiaire, dans le cadre de la société d’interconnaissance villageoise. Le paysan qui a besoin de lui peut aller le voir de façon informelle, connaît sa personnalité, sait que celui qu’il sollicite peut imposer arbitrairement ses conditions, mais n’est pas hors de portée de ses appels à la bienveillance ou à la clémence, et n’est pas insensible à l’opinion du reste de la communauté dans laquelle il est, comme son solliciteur, condamné à vivre. En outre, quand le paysan va négocier un emprunt, il repart, une fois l’accord conclu, avec l’argent ou le grain demandé, sans délai ni formalité. Le prêteur, de son côté, connaît bien le caractère et le degré de solvabilité de son client. Il a tôt fait de décider, avec une raisonnable certitude de ne pas se tromper, combien il va lui prêter et à quelles conditions, sur la foi de quelle garantie, s’il fera ou non usage de telle ou telle forme de fraude, etc. L’échéance venue, il dispose de plus d’un moyen de pression à l’encontre du mauvais payeur avant de faire intervenir la justice, recours d’ailleurs onéreux, et peu rentable sauf pour les grosses créances. La sensibilité de tout paysan aux considérations de prestige personnel, son souci de ne pas perdre la face, la crainte d’être publiquement désapprouvé, voire sanctionné par les institutions de la caste, permettent au prêteur de faire jouer divers degrés de la sanction sociale. La menace de ne plus prêter à l’avenir au débiteur défaillant, l’intervention auprès de personnages qui ont juridiction sur lui (landlord, chef de village, patwari), et qui sont eux-mêmes liés au prêteur par un réseau d’obligations mutuelles, constituent également des armes efficaces. Quand le prêteur est en même temps le marchand de grain auquel le débiteur vend la fraction de sa récolte qu’il destine au marché, ou le propriétaire dont il dépend comme tenancier, ses moyens de pression s’en trouvent naturellement multipliés63.
26C’est sur le fond de cette relation très « personnalisée » entre le créancier et son débiteur qu’il faut examiner les différents types de transactions qui les réunissent. Le paysan, en premier lieu, peut emprunter soit du grain, soit de la monnaie. Il y a tout lieu de croire que les prêts en nature étaient traditionnellement les plus courants au village. Vers 1930, ils sont devenus beaucoup moins fréquents au Bihar que dans le Chotanagpur voisin, plus « arriéré », ou en Orissa. Le montant du prêt y est d’ailleurs ordinairement comptabilisé en monnaie, à la valeur du grain sur le marché au moment de la transaction64. La situation varie néanmoins sensiblement, au Bihar même, d’un district à l’autre, si l’on en juge d’après l’échantillon étudié par la Rural Credit Survey vers 1950. Dans le district de Bhagalpur, 42 % des familles interrogées ont fait un emprunt de grain dans l’année, familles aisées aussi bien que familles pauvres, et 81 % des prêteurs qui ont répondu à cette question pratiquent le prêt en nature. Dans le district de Monghyr, en revanche, 3,6 % seulement des familles ont emprunté du grain, et aucun prêteur n’a déclaré en prêter65. Ces emprunts ne représentent en valeur qu’une faible proportion du crédit monétaire : 13 % seulement dans le district de Bhagalpur. Il semble que cette proportion soit d’autant plus forte que l’économie rurale est moins monétarisée, et plus orientée vers la subsistance que vers le marché. Ils ont pour objet de compléter les réserves familiales au moment de la « soudure », pendant la période de pénurie qui précède la récolte, ou de fournir la semence au commencement de la saison des travaux, ou encore de permettre à l’exploitant de verser à la main-d’œuvre qu’il emploie avant la récolte les salaires en nature. Ces prêts de faible montant sont toujours des prêts à court terme, d’une durée de quelques mois, et gagés sur la récolte suivante, ce qui explique que, contrairement à la majorité des prêts en espèces, ils soient très généralement remboursés dans l’année66. S’ils ne sont pas remboursés à l’échéance, l’intérêt court, et la dette s’enfle rapidement, car le taux d’intérêt, comme pour tous les petits prêts, est très élevé, et il est appliqué sous le régime de l’intérêt composé. La défaillance due à un échec de la récolte provoqué par des causes climatiques donne généralement lieu, néanmoins, à un abattement. Le taux de l’intérêt, qui n’est pas annuel (puisque l’échéance est constituée par la récolte suivante), s’élève à 25 % ou à 50 %, tarifs coutumiers, ou plus haut encore, avec des modalités variables selon les gens et les lieux67. Pour la semence, grain de haute qualité et créateur de profits pour l’emprunteur, le taux est normalement de 50 %, et peut atteindre 100 %. Pour le grain destiné à la subsistance, il est souvent de 25 %. Ce taux peut d’ailleurs varier si la dette se prolonge indûment. Ainsi dans le Champaran, un emprunt de grain effectué en mai-juin à 25 % est remboursable en septembre-octobre après la récolte d’automne. S’il n’est pas remboursé, l’intérêt est ajouté au capital (intérêt composé), et le tout, portant maintenant 50 Le d’intérêt, devient exigible en avril-mai de l’année suivante68. % prêteur, outre le bénéfice que lui apporte l’intérêt, tire parti avec ce genre de prêt du mouvement saisonnier des prix agricoles. Il prête à l’époque de la soudure un grain dont les cours sont au plus haut. L’équivalent monétaire du prêt est donc comparativement élevé. Il se fait ensuite rembourser en nature, à l’échéance, la somme en question augmentée de l’intérêt, avec un grain dévalué par la baisse qui suit immédiatement la récolte. La transaction est particulièrement rémunératrice pour le prêteur-marchand de grain, qui constitue ainsi ses stocks à bon compte, et spécule ensuite à la hausse.
27Pour les prêts en espèces, l’échelle des taux d’intérêt et le régime des échéances sont plus complexes. On retrouve, pour les petits prêts à court terme, les taux coutumiers de 25 % (sawāī) et de 50 % déjà observés à propos des prêts en grain. Pour les prêts plus importants, les taux sont plus faibles, mais plus variables, d’autant plus faibles en général que la somme empruntée est plus importante et l’emprunt mieux garanti, à l’intérieur d’une « fourchette » de 6 à 24 %69. Les petits prêts gagés sur des biens meubles (bijoux, vaisselle métallique) portent couramment entre 18 et 37,5 % d’intérêt par an, alors que de gros prêts garantis sur la terre porteront entre 9 et 18 % d’intérêt seulement70. Que les taux soient élevés quand le prêt est faible est compréhensible : l’emprunteur est souvent peu solvable, et donc le risque d’échec est grand, ou au moins les difficultés prévisibles pour faire respecter les échéances71. L’intérêt varie donc non seulement selon le montant de la somme empruntée et selon la sûreté qui garantit la créance, mais plus généralement en fonction des moyens de l’emprunteur et de sa réputation de solvabilité, et encore selon la caste à laquelle il appartient72, selon les liens éventuels qui l’unissent au prêteur (un parent prête souvent à intérêt nul ou très faible), selon la concurrence qui existe sur le marché du crédit (une plantation, une coopérative, une sucrerie, ou la régie de l’opium, si elles prêtent localement à une certaine échelle, peuvent contraindre le prêteur à baisser ses tarifs), etc. Malgré les facteurs de variation qu’on vient d’exposer, il existe tout de même souvent un taux d’intérêt prédominant, qui est celui que pratiquent le plus couramment les prêteurs professionnels. Il s’élève, au Bihar, à 24 %73. Le taux prédominant reste très voisin de ce chiffre vers 1950, si l’on peut en juger d’après l’échantillon de la Rural Credit Survey pour Bhagalpur et Monghyr : 56 % des emprunts dénombrés portent entre 18 et 25 % d’intérêt74. L’échelle de variation grandit avec les prêteurs non-professionnels, et d’autant plus qu’ils sont de petite envergure. Les taux les plus exorbitants sont ceux des prêteurs itinérants, qui prêtent couramment au tarif d’un anna par roupie et par mois, soit 75 % par an, et qui demandent même jusqu’à 125 % par an75. Mais on arriverait fréquemment à un résultat équivalent avec les prêteurs ordinaires chaque fois que la situation d’endettement se prolonge longtemps, car la règle universelle est que le défaut de paiement à l’échéance entraîne l’application de l’intérêt composé76.
28Les chiffres, épars sur une durée presque séculaire, dont on vient de donner un aperçu, ne permettent pas de dire s’il y eut ou non, entre 1850 et 1950, un mouvement d’ensemble discernable des taux d’intérêt. M. Darling estimait pouvoir parler d’une baisse tendancielle en Inde au xxe siècle77, due en particulier à la hausse continue des prix agricoles et au renforcement des droits sur la terre (qui accroissent la prospérité des agriculteurs et donc leur solvabilité), ainsi qu’aux progrès de l’éducation, à la législation protectrice des débiteurs qui prend forme à partir de 1900, et surtout à l’essor du mouvement coopératif – tout en admettant que la dépression des années 1930, et la contraction du crédit qui en a résulté, avait temporairement provoqué une remontée du taux moyen78. Il s’agit là d’un raisonnement plus que d’une constatation, et construit à partir de l’expérience privilégiée du Panjab. Le Banking Committee observait en 1930 que la pauvreté et l’ignorance persistantes concouraient au contraire à maintenir au Bihar des taux élevés79. Seul le lent développement des coopératives a effectivement entraîné une baisse dans les villages dispersés où il s’en est créé, le prêteur local ramenant ses tarifs à 10 ou 12 %, c’est-à-dire au-dessous de ceux de la société, pour résister à la concurrence qu’elle lui fait80. Ces baisses localisées ne peuvent suffire à créer une tendance.
29On ne soulèvera pas ici le vieux problème de savoir dans quelle mesure ces tarifs sont usuraires, ou au contraire justifiés en raison des risques courus par le prêteur et de la rareté du capital81, problème qui est posé depuis que les Économistes, Turgot et Bentham en tête, entrèrent en campagne contre l’immémoriale condamnation de l’usure, et contre les législations qui limitent les taux d’intérêt82. On fera seulement remarquer que ces chiffres, importants au moment où l’emprunteur contracte sa dette, deviennent de moins en moins significatifs à mesure qu’il s’y enfonce. L’accumulation des arrérages finit en effet par enlever toute portée au taux initialement fixé. Le prêteur doit bientôt transiger, bien heureux s’il n’est pas contraint de passer la créance par profits et pertes. La situation normale d’un paysan qui, comme beaucoup tendent à le faire, a emprunté jusqu’à l’extrême limite de son crédit, est d’avoir en quelque sorte un compte courant auprès de son prêteur, où il verse sa vie durant tout le surplus dont il peut disposer, le prêteur lui abandonnant seulement ce qu’il faut pour subsister.
30Il est naturellement une issue possible à cette situation, qui est l’hypothèque des droits fonciers dont jouit l’emprunteur, débouchant éventuellement sur la vente. Lorsque la dette impayée dure et grandit, le total de la créance (principal et intérêt composé) peut être converti en hypothèque par contrat. L’hypothèque porte un intérêt très inférieur à celui de la dette initiale (et jamais d’intérêt composé) : il varie entre 6 et 9 %, tout au moins lorsqu’il s’agit d’un nantissement, car l’hypothèque simple, rare au Bihar, va de pair avec le taux ordinaire de 24 %, si elle n’est pas plus onéreuse encore83. Le contrat de nantissement (mortgage with possession ou usufructuary mortgage) met le créancier en possession de la terre avec autorisation d’en percevoir les fruits et de les imputer sur les intérêts ou sur le capital (ou les deux) jusqu’à extinction de la dette, ou jusqu’à ce que le débiteur affranchisse sa terre de l’hypothèque en soldant sa dette. C’est de très loin le type d’hypothèque le plus fréquent. Le prêteur aime moins l’hypothèque simple, qui lui donne seulement l’assurance que, si son débiteur ne respecte pas ses engagements, il pourra provoquer l’adjudication de la terre, et se rembourser autant que possible sur le produit de la vente. De là le taux d’intérêt supérieur qui accompagne ce type d’hypothèque. La vente à réméré (mortgage on conditional sale) est comparativement rare elle aussi, car le débiteur y consent plus difficilement. La terre, dans ce cas, est vendue au créancier, sous réserve que, si le débiteur rembourse sa dette à une date stipulée, la vente sera nulle. Le remboursement, en fait, n’est jamais effectué, sauf en contractant une nouvelle dette84. Les données manquent pour dire quel pourcentage des hypothèques est purgé par les débiteurs en moyenne. Le Settlement Officer de Gaya estime que la moitié au moins ne le sont jamais dans son district. La proportion des hypothèques purement temporaires serait beaucoup plus élevée dans le district de Saran85.
31En 1930, 40 % de la dette paysanne du Bihar-et-Orissa revêt la forme hypothécaire. Ce pourcentage est comparativement faible : il s’élève à la même époque à 45 % au Bengale, à 56 % dans les Provinces Unies, si l’on en croit les Banking Committees de ces provinces. Les observateurs y voient la preuve que créanciers et débiteurs sont moins prompts qu’ailleurs au Bihar à vouloir assainir leurs relations financières, les paysans par ignorance, ou par souci de garder secrets leurs embarras financiers, et les prêteurs, souvent, par intérêt. Le prêteur du Bihar ne souhaite pas en général très ardemment voir s’achever une situation qui place les paysans de son voisinage dans sa dépendance économique absolue, fournisseurs de grain à bon marché pour le commerce, clients qui paient le prix fort, après lui avoir livré leur récolte, le grain qu’il leur revend ou leur avance pour leur subsistance, tenanciers (s’il est propriétaire) auxquels il imposera plus aisément les conditions les plus dures, etc. Si même un contrat hypothécaire est signé, il préférera dans bien des cas voir s’éterniser un nantissement qui lui donne la pleine jouissance de la tenure tout en continuant à percevoir un intérêt, plutôt que d’acquérir de la terre en fin de compte, et de passer ainsi sous la tutelle d’un landlord qui peut-être refuse à ses tenanciers le droit d’aliéner librement leur tenure, ou exige des acquéreurs une taxe de mutation trop élevée, ou même risque de faire des difficultés à un nouveau tenancier trop puissant à son gré86.
3. Le réformisme colonial
a. Législation
32L’attitude des autorités coloniales face au problème de l’endettement paysan a fluctué considérablement avec le temps, au fil des variations de l’idéologie dominante, qui l’ont occasionnellement précipitée dans de flagrantes contradictions. Avant la conquête britannique, la relation entre créancier et débiteur n’était nulle part réglementée, mais soumise aux régulations spontanées qu’engendraient une économie rurale essentiellement orientée vers la subsistance, où la terre n’était pas couramment aliénable, et la cohésion étroite de la communauté villageoise. La demande de crédit était plus faible, le paysan n’avait pas de garanties considérables à offrir, et un prêteur ne pouvait se montrer rapace que si le rapport des forces au village jouait en sa faveur. Certaines restrictions coutumières protégeaient le débiteur, comme la loi du damdupat, qui interdit à un créancier de percevoir comme intérêt un montant supérieur au principal. À l’époque coloniale, le législateur s’efforce avec constance de créer les conditions d’un marché de la terre de type occidental, destiné à régulariser la perception de l’impôt foncier et à stimuler le développement de l’agriculture, les exploitants les plus inefficaces étant supplantés par les plus entreprenants. Le marché des droits de propriété fonctionne sur une grande échelle dès la première moitié du xixe siècle, celui des droits d’occupation des tenanciers à partir du dernier quart du même siècle. Cette évolution législative favorise évidemment puissamment les opérations des prêteurs en décuplant le crédit des agriculteurs, désormais nantis de garanties réalisables de valeur croissante. Le discrédit qui n’en frappe pas moins l’usure fait pourtant que le principe du damdupat est officiellement validé (Regulation XV de 1793), et que le taux maximum de l’intérêt est fixé à 12 %, limite d’ailleurs fort peu respectée dans la pratique. Mais au milieu du xixe siècle, alors que les théories des premiers chantres du libéralisme dont on a parlé sont désormais passées dans la doctrine coloniale officielle, ce maximum est aboli par l’Act for the Repeal of Usury Laws (Act XXVIII of 1853) comme un obstacle à l’esprit d’entreprise et à l’activité du capital. La priorité accordée, sur toute autre considération, à l’inviolabilité du contrat, qui procède du même esprit, suscite une vague de législation destinée à faciliter le recouvrement judiciaire des créances, notamment par l’adjudication des droits fonciers87.
33Bientôt pourtant, la dépossession par le prêteur du paysan, dont le gouvernement colonial se proclame toujours le défenseur, et du zamindar, dont la désaffection, comme l’a prouvé la Mutinerie, est grosse de dangers politiques, éveille des inquiétudes dans les sphères gouvernementales, et provoque des mesures qui rompent avec l’esprit de cette législation. Dès 1877, le Revised Civil Procedure Code avait interdit la saisie judiciaire au bénéfice des créanciers des outils agricoles et des biens meubles essentiels d’un paysan endetté, ce qui réduisait à peu de chose les possibilités de garantie mobilière de la dette paysanne, sauf pour les plus aisés possesseurs de bijoux. Mais on s’inquiète partout, à la fin du xixe siècle, de voir la terre passer entre les mains, non pas d’agriculteurs dynamiques qui réussissent parce qu’ils travaillent, mais de non-agriculteurs qui investissent dans la terre le profit de leurs spéculations, vivent sur elle en parasites, et perpétuent dans les campagnes le régime de production d’allure féodale qu’on cherche précisément à extirper. À ce souci dominant répondent les enquêtes lancées par le gouvernement du Bengale auprès de ses fonctionnaires locaux à la fin du xixe siècle, pour savoir dans quelle proportion les terres paysannes tombent aux mains des « spéculateurs »88, puis les considérations des settlement reports au début du xxe siècle sur la condition de la population agricole dans chaque district. Le résultat en ce qui concerne le Bihar est toujours considéré comme rassurant, car il apparaît, comme on l’a montré plus haut, que la proportion des aliénations foncières dont bénéficient les prêteurs se tient dans des limites acceptables, en partie parce que les propriétaires, en vertu du Bengal Tenancy Act de 1885, conservent en principe le droit de refuser d’entériner les transferts de tenures, ou d’imposer aux acquéreurs des conditions onéreuses. C’est pourquoi le Bihar ne fait pas l’objet d’une législation protectrice à ce sujet, contrairement à d’autres provinces plus gravement affectées89.
34Le Bihar est néanmoins concerné, comme tout le reste de l’Inde, par l’Usurious Loans Act (Act X of 1918), qui autorise un tribunal saisi par un débiteur qui s’estime lésé à délier celui-ci de tout engagement s’il s’avère que la transaction passée avec le créancier est « inéquitable » et l’intérêt « excessif ». Mais cette loi, au Bihar comme ailleurs, demeure à peu près lettre morte, car elle ne définit pas assez nettement ce que sont une transaction inéquitable et surtout un intérêt excessif, et surtout parce que les intéressés, ignorant généralement leurs droits légaux et vivant dans une situation de totale sujétion, ne peuvent ou n’osent pas faire usage de cette loi, ni d’aucune autre législation protectrice, à l’encontre de ceux qui exercent le pouvoir au village90. L’échec de cette loi amène la Royal Commission on Agriculture in India de 1928 à recommander aux gouvernements provinciaux d’introduire chez eux des lois semblables au Moneylenders’ Act passé en 1927 par le Parlement britannique, lequel stipule notamment que la pratique du prêt à intérêt est soumise à autorisation, que l’intérêt composé est interdit, et que le prêteur doit fournir au débiteur un état exact de son compte sur simple demande91. Un Bihar Moneylenders’Act de ce type est passé en 1938, puis amendé l’année suivante. Il est complété en 1939 par le Bihar Moneylenders’ (Regulation of Transactions) Act. Ces deux lois stipulent notamment qu’un prêteur doit être officiellement autorisé (licensed) s’il veut pouvoir poursuivre un débiteur en justice, qu’il doit tenir sa comptabilité dans des formes imposées et en fournir périodiquement à ses débiteurs les extraits qui les concernent, leur donner obligatoirement un reçu pour chaque versement. Un intérêt maximum est fixé : 9 % sur les prêts garantis, 12,5 % sur les autres. L’intérêt composé est interdit. Enfin le principe du damdupat est déclaré officiellement en vigueur pour tous, musulmans compris. Il est vite évident que la loi n’est efficace que dans le cas de prêteurs professionnels déclarés et de quelque envergure : 2 972 prêteurs seulement opèrent sous « licence » en 1948-1949. Les autres s’en passent, situation qui d’ailleurs n’est pas illégale. Du moins ne peuvent-ils plus provoquer la saisie des biens de leurs clients92.
b. Coopération
35Une arme plus efficace contre l’emprise du prêteur sur la paysannerie aurait pu être le développement du crédit coopératif, qui fut longtemps porteur de grands espoirs.
« L’objet premier de la coopération en Inde », écrit M. Darling, qui servit neuf ans dans le secteur coopératif au Panjab, « est de délivrer le cultivateur d’un système de crédit foncièrement défectueux, et son objet ultime est d’amener la civilisation, au plus vrai sens du mot, à la portée du village... La banque de village représente pour le paysan la meilleure école de formation au caractère et aux habitudes qui seuls peuvent le libérer de l’endettement et faire de lui tout à la fois un bon exploitant et un bon voisin. À cette école, même les plus humbles peuvent passer leur diplôme, en apprenant à compter sur eux-mêmes au lieu de tout attendre du gouvernement, à aider leurs voisins comme ils aimeraient être aidés par eux, à dépenser à bon escient et à s’acquitter ponctuellement de leur dû, à se garder de la prodigalité, et, par-dessus tout, à être réguliers en affaires. »93
36Autonomie, solidarité, loyauté sont donc les maîtres-mots de l’entreprise. Le Co-operative Credit Societies Act de 1904, aboutissement, au bout de vingt-cinq ans, de la maturation de l’idée coopérative dans les milieux coloniaux94, est l’un des rares exemples de législation de l’époque impériale où reparaisse quelque chose de l’ardeur civilisatrice du temps de l’East India Company, cruellement douchée par la Mutinerie de 1857-1858. Il y a du sacerdoce dans l’activité déployée au Bihar au cours des premières décennies de ce siècle par un petit nombre de fonctionnaires, de planteurs, de missionnaires, pour créer et animer des sociétés primaires dans les villages (activité à laquelle rend hommage chaque année le rapport du département coopératif provincial), en attendant que des cadres spécialisés soient formés en assez grand nombre pour les remplacer. Les progrès, pourtant, sont lents en comparaison des besoins, comme le montrent les chiffres du tableau III, extraits de l’Annual Report on the Working of Co-operative Societies.
37Note * : Le déclin observable dans certains de ces chiffres en 1935 est imputable à la dépression des années 1930.
38On avança au départ de façon très empirique, à coups d’erreurs et de corrections. Beaucoup des premières sociétés créées ne vécurent que quelques années. Il s’agissait d’une initiative entièrement venue d’en haut, que ne précédait aucune attente spécifique des paysans eux-mêmes. Le modèle de coopérative adopté était celui de Raiffeissen : les membres de la coopérative sont solidairement responsables jusqu’à concurrence de la totalité de leurs biens (cette caution mutuelle illimitée rend la coopérative solvable, et lui permet d’emprunter à bas intérêt aux banques ou à l’État) ; le ressort de la coopérative est petit (un village, ou un hameau, de manière que chaque membre puisse juger en pleine connaissance de cause du sérieux, des aptitudes et des possibilités de tous les autres, qu’il choisit par cooptation, et qui seront des emprunteurs) ; les associés n’apportent aucune mise dans la société (il n’y a donc ni capital social ni actions – la politique sur ce point sera modifiée à partir des années 1920), et ils ne touchent aucun dividende ; toutes les fonctions dans la société sont gratuites ; les emprunts sont remboursables sur le revenu du capital prêté, ce qui implique que la coopérative ne finance que des investissements productifs (principe en fait inapplicable au Bihar) ; la société, enfin, se constitue un fonds de réserve indivisible (en prêtant à ses membres à un taux d’intérêt supérieur à celui que lui consentent les organismes qui la financent)95. Le nombre minimum de membres est fixé à dix, les candidats à la cooptation doivent obtenir 75 % des voix, la société est gérée par un comité de cinq membres élus pour un an par l’assemblée générale annuelle, laquelle fixe également le montant maximum des emprunts de la société pour l’année, et des prêts qui pourront être accordés à chaque membre. Les comptes de la société sont contrôlés par les inspecteurs du département coopératif du gouvernement provincial, et par les représentants de la banque créancière96.
39Le rapport annuel du département coopératif, après la phase d’euphorie initiale, est ensuite régulièrement mitigé dans son appréciation de la situation. Le département, vers 1930, est contraint de dissoudre autour de deux cents coopératives rurales par an. Un cinquième seulement des sociétés fonctionne de façon réellement satisfaisante. Les causes principales de ce demi-échec sont l’organisation bâclée et la supervision insuffisante (par manque de personnel compétent), ainsi que l’utilisation imprudente, voire téméraire, des fonds, sans parler des cas de malversations caractérisées97. On dénonce couramment l’irresponsabilité des membres des sociétés et l’inexistence flagrante de l’« esprit » coopératif ou mutualiste parmi eux98. On appelle irresponsabilité le fait que beaucoup ne respectent pas les échéances de remboursement des prêts. La cause en est aussi, de toute évidence, la médiocrité ou caractère aléatoire des revenus paysans. Le développement des sociétés est freiné, et celles qui existent sont souvent asphyxiées, par l’environnement d’exploitants de petite envergure et toujours menacés qui réduit leurs activités à peu de chose, et les conduit, sous l’effet aggravant d’une gestion défectueuse, à l’insolvabilité, d’autant plus que beaucoup de membres continuent de contracter des emprunts dans le secteur inorganisé, compromettant ainsi leur propre capacité de remboursement, et amputant le capital de confiance dont jouit la société tout entière99. Les sociétés n’ont d’autres moyens d’empêcher ces manquements qu’en acceptant de financer elles-mêmes les dépenses occasionnées par les cérémonies domestiques ou les pèlerinages de leurs membres, investissements improductifs par excellence du point de vue qui nous occupe, contribuant ainsi à affaiblir leurs propres bases100. À quoi il faut ajouter que landlords, marchands et prêteurs influents voient d’un mauvais œil ces sociétés dont le succès soustrairait la paysannerie à la sujétion où ils la tiennent par le crédit, à moins qu’ils n’en puissent prendre eux-mêmes la direction. C’est dire que la coopérative est souvent en butte à des oppositions dangereuses dans le cadre villageois, et qu’elle constitue un enjeu dans les conflits de factions qui s’y déroulent.
40Le handicap majeur du mouvement coopératif est néanmoins la contradiction de principe qu’il contient en germe, et qui s’épanouit lorsqu’on le greffe sur une paysannerie aussi déshéritée, et où l’inégalité est aussi violente, que celle du Bihar. La coopérative n’échappe pas au principe selon lequel la solvabilité est le fondement du crédit, elle additionne seulement des individus relativement solvables pour leur permettre d’obtenir du crédit à meilleur marché. Elle fonctionne d’autant mieux que ses membres sont plus aisés, et doit exclure de son sein, sous peine de se condamner elle-même, les exploitants sans crédit. Lorsque ceux-ci, loin de représenter une simple frange de la société paysanne, en constituent un pourcentage élevé, la coopérative devient un instrument de la minorité la plus favorisée, dont elle perpétue ou même consolide la situation privilégiée. C’est manifestement le cas au Bihar, où les coopératives deviennent de bonne heure le domaine réservé des paysans dominants, voire des prêteurs eux-mêmes, tendance qui ne fait que s’accuser au Bihar avec le temps, comme le montrent les observations effectuées dans les années 1950101. Le résultat inévitable est que la grande masse de la paysannerie demeure dans la dépendance du prêteur traditionnel. En 1930, les coopératives couvrent moins de 2 % des besoins en crédit de la paysannerie du Bihar-et-Orissa102. Il semblerait que le chiffre soit beaucoup plus bas encore en 1950, à en croire l’échantillon de la Rural Crédit Survey (0,1 % dans le district de Monghyr, 0,2 % dans celui de Bhagalpur), alors que la moyenne indienne est évaluée à 3,1 % (mais la valeur de ce chiffre est douteuse)103. Le Bihar compte alors 3 446 coopératives de crédit. On y dénombre 15 membres de coopératives de crédit pour 1 000 familles, soit 2 % du total des membres de telles coopératives pour toute l’Inde, alors que le Bihar rassemble, en 1951, 5,6 % de la population indienne104. Le bilan, à la fin de l’époque coloniale, est donc insignifiant.
4. Endettement paysan et croissance rurale
41Que l’agriculture, en économie développée, fonctionne et croisse à l’aide du crédit est la chose la plus naturelle. Mais le crédit dont on abuse, disait à peu près l’économiste Charles Gide105, soutient l’agriculteur comme la corde soutient le pendu. On est plus près, avec ce trait, de la situation propre au Bihar. Le paysan bihārī, pourtant, n’en juge pas nécessairement ainsi. La condition de débiteur lui semble faire partie de l’ordre des choses, et il ne solde son compte avec le prêteur, quand il le peut, que si celui-ci l’y contraint. Les dettes contractées par le père passent au fils par héritage, et celui-ci, né endetté, envisage sans effroi de mourir dans cet état. Telle est du moins l’image qu’on donnait volontiers, à l’époque coloniale, du « fatalisme » du paysan endetté106. Cette image n’est peut-être pas sans vérité. Le prêteur, dans l’optique paysanne, a sa fonction légitime, qui est de s’enrichir tout en permettant à d’autres de vivre leur vie, et d’engager les dépenses de prestige qu’impose à tout homme à son niveau la norme du modèle royal.
Pour l’homme du commun, écrit en 1875 le Commissioner de Patna après dix-sept ans d’expérience du Bihar rural, il est normal qu’un landlord puissant et influent ait des dettes, qu’il vive sur un pied de prodigalité fastueuse, et que ses tenanciers le respectent d’autant plus qu’il est plus dépensier. Parce qu’il tient un rang élevé, pense le peuple, il doit dépenser sans compter, et le mahajan a le devoir de lui en fournir les moyens. S’il n’a point de dettes, on s’en émerveille ; s’il est endetté, c’est dans l’ordre des choses. On plaindra même, s’il n’emprunte pas, le mahajan pour son infortune, car, dans l’esprit des gens, s’il ne peut pas prêter son argent au raja, il est privé du champ de ses spéculations.
42La condition de débiteur, naturelle aux grands de ce monde, ne l’est pas moins pour les humbles, bien que l’ordre des facteurs diffère, les dépenses de subsistance passant avant les dépenses somptuaires.
Avant d’effectuer un travail, de porter un message, de donner en location une barque, une charrette ou une chaise-à-porteurs, l’indigène demande immanquablement une avance. L’endettement est associé dans son esprit à tous les actes de la vie. Il ne se sentira obligé de faire quelque chose que s’il est endetté envers quelqu’un.
43L’auteur de ces lignes explique par cette particularité de la personnalité indigène que nombre de débiteurs de sa connaissance ne se soucient nullement de rembourser leurs dettes alors qu’ils en ont les moyens, et que les prêteurs poursuivent pourtant très rarement leurs clients en justice, se contentant de percevoir les intérêts stipulés, et consentant des remises à ceux qui n’y peuvent satisfaire107.
44Sous l’empirisme un peu sommaire de l’administrateur perce sans doute l’intuition juste que la relation entre le paysan et son créancier, s’ils se conforment aux normes reconnues, si le premier est de bonne foi et si l’autre ne se déconsidère pas par une rapacité aveugle, est moins perçue comme un conflit d’intérêts antagonistes que comme le jeu normal de fonctions complémentaires. Cette relation telle qu’elle est permet en effet, dans les conditions ordinaires, la survie du groupe domestique paysan, à un niveau très bas il est vrai, qu’en langage moderne on appellera stagnation. Son extrême pauvreté est l’évidence même, mais le cliché qui le montre perpétuellement au bord de la banqueroute exprime mal, car en termes purement comptables, une situation que l’environnement social, dans la majorité des cas, ne rend pas intenable. Un autre Commissioner de Patna l’exprimait simplement en disant qu’en temps normal, le produit de la terre, jungle et pâtures communales comprises, suffisait à l’entretien du cultivateur, de l’ouvrier agricole, du prêteur et du propriétaire108. C’est pour une part la modernisation, c’est-à-dire en la matière l’individualisation des droits sur la terre et le développement de l’économie de marché qui, en multipliant à la fois le besoin de monnaie et les possibilités de crédit, tire de plus en plus cet équilibre vers son point de rupture, en même temps que la relation entre paysan et prêteur se complique d’une rivalité pour la propriété de la terre. Mais cette évolution, au Bihar, est lente et inégale selon les lieux pendant le siècle qui nous occupe. La commercialisation de l’agriculture n’y est encore que très partielle au moment de l’indépendance, et la mainmise des prêteurs sur la terre, pour les raisons qu’on a exposées, y est modérée. L’économie du rapport paysan-prêteur n’y est pas fondamentalement modifiée.
45Si l’on pose néanmoins la question d’un crédit adapté à la croissance rurale, c’est-à-dire d’un crédit bon marché, aux échéances modulées en fonction de la durée de l’opération qu’il sert, convenablement garanti, proportionné au rendement moyen et à la capacité moyenne de remboursement des exploitations, et enfin sainement organisé109, il est manifeste que le crédit rural tel qu’il fonctionne au Bihar n’en remplit aucune. Le paysan endetté, dans les conditions propres au Bihar, l’est presque toujours de façon chronique. Il sème, travaille et récolte pour subsister, mais c’est son créancier qui empoche le surplus qu’il produit. D’une part, en effet, le service de sa dette absorbe souvent toute la monnaie qui lui reste une fois le prélèvement réglé. D’autre part son créancier, en jetant son dévolu sur tout ou partie de sa récolte, selon les modalités qu’on a décrites, tend à lui fermer l’accès au marché libre, et à l’empêcher ainsi de bénéficier du système des prix, dont il éprouve en revanche toute la rigueur en tant que consommateur (car il est obligé de racheter ou d’emprunter au plus haut prix le complément de grain dont il a besoin au moment de la soudure). Le prêteur capte donc la valeur croissante produite par l’agriculture du fait du trend haussier des prix agricoles pour la partie importante du produit net qui lui est ainsi livrée hors marché. C’est pourquoi ce type de crédit, au lieu d’infuser à une agriculture exsangue le dynamisme qui lui fait défaut, est plutôt de nature à décourager l’esprit d’entreprise. Ce raisonnement, souvent développé110, a toutefois ses limites. Il n’est pas évident en effet que l’esprit d’entreprise, avec sa connotation capitaliste, soit plus développé dans le Bihar colonial chez les exploitants qui échappent à l’endettement que chez les autres. Au chapitre des dépenses, dans toutes les classes de la société rurale, l’investissement productif dans l’agriculture est l’exception111. C’est pourquoi le mouvement de dépossession foncière des paysans endettés par leurs créanciers, qu’ils soient landlords, prêteurs, ou tout simplement paysans riches, a peu d’incidence sur le dynamisme agricole d’ensemble. L’acquéreur prospère n’investit pas dans le fonds qu’il achète, mais se contente le plus souvent de laisser en place l’ancien occupant, avec un statut de métayer congédiable à merci, et assujetti à des conditions écrasantes (le bail à mi-fruits étant le plus favorable), perpétuant ainsi sous une forme aggravée la structure traditionnelle d’exploitation parasitique de la terre. On n’assiste pas là au processus de prolétarisation de la paysannerie qui accompagne, selon la description classique de Lénine, le capitalisme naissant dans l’agriculture. Comme l’écrit très bien le collecteur du district de Gonda dans les Provinces Unies, « le résultat de toutes ces transactions est la création d’une quantité de droits concurrents sur le même sol112. » Ces métayers sont immanquablement soumis au régime du loyer en nature, qui, comme l’ont montré les expériences conduites dans le district de Gaya pendant la première guerre mondiale, entraîne, par le simple effet d’une culture plus négligente, une baisse moyenne de la surface cultivée et des rendements céréaliers au moins égale à 10 % par rapport au régime du loyer en monnaie113. Le transfert de la terre entre les mains d’exploitants pourvus de capitaux apparaît donc paradoxalement à cette époque plus nuisible que favorable à la croissance rurale.
46« Les prêteurs sont manifestement aussi nécessaires à l’agriculteur indien que la semence qu’il sème ou que la pluie qui tombe du ciel pour arroser ses champs », écrit à la fin du xixe siècle le colonial John Strachey, qui fit une carrière brillante dans les Provinces Unies voisines du Bihar. L’opinion des leaders nationalistes en la matière est à peu près la même114. Assurément, le prêteur permet souvent au paysan de ne pas sombrer quand celui-ci, vivant en temps normal à la limite de la subsistance, est victime des aléas de l’agriculture. Et il maintient à flot nombre d’exploitations structurellement déficitaires en prêtant l’indispensable semence, ou de quoi remplacer un bœuf mort, etc. On acceptera même de dire que pour certains, « il est le substitut oriental de l’épargne occidentale : il soulage le cultivateur de la peine d’économiser par lui-même, et le lui fait chèrement payer »115. Mais son rôle bénéfique s’arrête là. Le prêteur cesse souvent de prêter en période de pénurie grave et a fortiori de famine, soit sous l’effet de la contraction du marché monétaire, soit qu’il stocke en prévision de la hausse, soit simplement qu’il craigne de ne pas récupérer sa mise – sauf si ses opérations sont de faible envergure, et que la ruine définitive de ses clients risque d’entraîner la sienne. Il ne se comporte pas en exploitant capitaliste sur les terres qu’il acquiert, car il préfère continuer d’investir ses profits dans le crédit et la spéculation commerciale. Et accepterait-il de financer le développement de l’agriculture autour de lui, comme semblerait l’impliquer cette dénomination de « capitaliste rural » que les sources coloniales lui appliquent si souvent, qu’il n’y parviendrait guère. Car il fonctionne dans l’isolement, sans relations organiques avec le marché monétaire organisé (il a rarement un compte en banque, et transfère ses fonds par mandat), et son champ d’action est relativement étroit116. En outre, les taux d’intérêt qu’il exige pour les prêts traditionnels à la consommation seraient de toute façon ruineux pour l’agriculture commerciale, qui pourtant ne peut se passer de crédit. Loin d’aider le cultivateur à échapper au cercle des contraintes ordinaires dans lesquelles l’agriculture paysanne est enfermée, il contribue à l’y maintenir, aussi bien comme créancier que comme rentier du sol. Il joue à sa place un rôle essentiel dans le maintien des structures traditionnelles du monde rural à travers les transformations du dernier siècle colonial. Comme le disait encore le Commissioner de Patna en 1875, « le raja, le raiyat et le mahajan ne sont que les organes d’une même mécanique. Aucun ne peut se passer des autres sans que toute la machine ne s’enraye »117.
Bibliographie
Abréviations
ARPD :
Annual Report on the Administration of the Patna Division.
BDG :
Bengal District Gazetteers.
BEC :
Bihar-and-Orissa Provincial Banking Enquiry Committee, 1929- 1930 (Patna, 1930), vol. I, Report ; vol. II et III, Evidence.
Dufferin Enquiry :
Report on the condition of the lower classes of the population of India (India Office Records, India, Revenue and Agricultural, Department, Famine Branch, Dec. 1888, proceedings n° 1-24).
RCA :
Royal Commission on Agriculture in India (Bombay 1928), vol. I, Report ; vol. XIII, Evidence taken in Bihar-and-Orissa.
RCB :
Annual Report on the Working of Co-operative Societies in the Lower Provinces of Bengal.
RCBO :
Annual Report on the Working of Co-operative Societies in Bihar-and-Orissa.
RCS :
All-India Rural Credit Survey, Report of the Committee of Direction (Reserve Bank of India, Bombay, 1956), vol. I, The Survey Report (parts 1 and 2) ; vol. II, The General Report.
SAB :
W. W. Hunter, A Statistical Account of Bengal (Londres 1877), vol. XI, Patna and Saran ; vol. XII, Gaya and Shahabad ; vol. XIII, Tirhut and Champaran.
SR :
Final Report on the Survey and Settlement Operations in the District of etc.
SR (révision) :
Final Report on the Survey and Settlement (revision) Operations in the District of etc.
Temple Collection :
Papers of Sir Richard Temple, vol. 161, Condition of Peasantry, Bengal, 1875 (India Office Records, Mss. Eur. F 86).
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Il ne sera question ici que de l’endettement paysan au sens strict, c’est-à-dire de l’endettement contracté par les villageois qui exploitent la terre directement ou indirectement, et qui, sauf s’il est très minime, est garanti sur elle, ou au moins sur son produit. On laisse donc de côté d’une part l’endettement des landlords, et d’autre part celui des ouvriers agricoles, et en particulier, dans ce dernier cas, la question du travail non libre (bonded labour). Il y a quelque artifice à loger ainsi à la même enseigne toutes les catégories de paysans, du plus riche au plus petit. On sera naturellement amené dans le cours de l’exposé à faire des distinctions, mais sans perdre de vue l’unité du problème posé, qui est de décrire l’articulation de l’endettement sur l’économie paysanne, à laquelle tous les cultivateurs du Bihar ressortissent en tant qu’ils exploitent de la terre, et d’évaluer ses effets sur l’évolution de celle-ci au cours du dernier siècle colonial (1850-1950 en dates rondes). Le Bihar dont il est question est le Bihar proprement dit, c’est-à-dire la partie gangétique de l’actuel État du Bihar, à l’exclusion du Chota Nagpur.
2 Cf. Temple Collection.
3 SAB, vol. XII, p. 269 ; ARPD, 1875-1876, par. 60 ; Temple Collection, lettre de C.T. Metcalfe, Commissioner de la division de Patna, au Secrétaire privé du Lieutenant-Gouverneur du Bengale.
4 SR Saran 1903, par. 556.
5 Jack 1916, p. 96.
6 Duffevin Enquiry, lettre (n° 233, 13/4/1888) de E.W. Collin, Settlement Offices, Raj Banaili & Srinagar Estates (Bhagalpur), au Collecteur de Bhagalpur, et lettre (n° 7, 2/5/1888) de J. Beames, Commissioner de la division de Bhagalpur, au Secrétaire du gouvernement du Bengale, département du revenue.
7 G. A. Grierson 1893, pp. 109-110. L’évaluation du volume de l’endettement est confirmée quelques années plus tard par une nouvelle enquête sur la condition paysanne dans le district. Cf. BDG Gaya 1906, p. 152.
8 D’après les SR de Champaran (1900), Muzaffarpur (1901), Saran (1903), Darbhanga (1904), Monghyr (North) (1908), Monghyr (South) (1914), Bhagalpur (1912), Purnea (1908), et Gaya (1919).
9 SR Shahabad 1918, p. 115 ; SR Monghyr (North) 1908, par. 316 ; SR Gaya 1919, par. 152.
10 SR (révision) Saran 1923.
11 SR (révision) Champaran 1922, par. 175.
12 BEC, I, p. 50.
13 Le Seulement Office ? du district de Saran, conscient de ces difficultés, calcule la dette paysanne réelle dans son district en doublant la valeur totale des hypothèques usufruitières. Cf. SR Saran 1903, par. 556. Si les scrupules sont justifiés, le procédé est arbitraire.
14 D’après SR (révision) Champaran 1922, et SR (révision) Saran 1923.
15 BEC, I, p. 51.
16 Ibid., p. 44.
17 L’indice des prix de gros (base 1873 = 100) est à 129 en 1911, culmine à 281 en 1920, puis redescend, mais est encore à 201 en 1928. L’indice des prix de détail, beaucoup plus mouvementé, est à 357 en 1928. Cf. Bhatia 1967, p. 311.
18 Cf. The All-India Rural Credit Survey viewed as a scientific enquiry, in Thorner 1962.
19 RCS, I (1), pp. 181-182.
20 Ibid., pp. 66-67 et 88-89.
21 On trouvera dans les quelques enquêtes villageoises auxquelles l’enquête Dufferin a donné lieu au Bihar des recensements nominatifs de l’endettement paysan mis en rapport avec l’étendue de terre possédée par chaque débiteur. Cf. Dufferin Enquiry, lettre déjà citée du Commissioner de la division de Bhagalpur, et lettre (n° 273R, 3/5/1888) du Collecteur du district de Monghyr au Commissioner de la division de Bhagalpur. Voir aussi BDG Gaya, p. 152 ; SR, Muzaffarpur 1901, par. 924.
22 Voir par exemple Jack 1916, pp. 99-100 ; Darling 1947, p. 211.
23 SR Muzaffarpur 1901, par. 929 ; BEC, II, p. 295.
24 SR Saran 1903, par. 556.
25 Temple Collection, lettre (30/9/1875) du Commissioner de la division de Bhagalpur au Secrétaire privé du Lieutenant-Gouverneur du Bengale.
26 Cf. par exemple ARPD 1893-1894, par. 73.
27 Note on land transfer and agricultural indebtedness in India (Calcutta 1895), p. 38.
28 Chaudhuri 1975 a et b.
29 Sur la genèse du marché de la terre au Bihar, cf. J. Pouchepadass, Terre, pouvoir et marché : la naissance du marché foncier dans la plaine du Gange (xixe-xxe siècles), Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, XXXIV (mai-juin 1979) 3.
30 On trouvera un exposé synthétique de ces évolutions dans RCA, I, par. 363. Sur le rapport entre endettement paysan et prospérité rurale, voir Darling, op. cit. pp. 5, 164, 210, 250, etc., et BDG Gaya, p. 152.
31 A deux exceptions près : SR Champaran 1900, pp. 165-167, et SR Bhagalpur 1912, p. 131.
32 Cf. SR Darbhanga 1904, pp. 124-127 ; SR Muzaffarpur 1901, par. 930 ; SR Saran 1903, par. 156 ; SR Purnea 1908, p. 122 ; SR Monghyr (North) 1908, pp. 102-103 ; SR Shahabad 1918, pp. 120-128 ; SR Patna 1914. p. 44.
33 Nous empruntons ici certains éléments de critique à Chaudhuri 1969.
34 On voudra bien se reporter sur ce point à J. Pouchepadass, L’économie paysanne et le marché dans l’Inde coloniale, in Sociétés paysannes du tiers monde, sous la direction de C. Coquery-Vidrovitch (Paris, Union Générale d’Éditions, à paraître).
35 SR Bhagalpur 1912, p. 131.
36 Nous renvoyons ici aux computations de Blyn 1966.
37 On trouvera des développements substantiels sur la condition économique et sociale spécifique des cultivateurs du Bihar dans A.P. Mac Donnell, Report on the food-grain supply and statistical review of the relief operations in the districts of Bihar and Bengal during the famine of 1873-74 (Calcutta, 1874) ; dans le rapport séparé du Behar Rent Law Committee in Report of the Rent Law Commission, Bengal (Calcutta 1880), vol. II ; et dans H. S. Cunningham, The Behar Ryot, in Report of the Indian Famine Commission (1880) append. 1, pp. 188-190.
38 Nehru 1932, p. 103 ; Report of the Deccan Riots Commission, (Bombay 1876), vol. I, par. 54.
39 Grierson, op. cit., p. 125. On comparera les chiffres de SR Narhan Ward’s Estate in Monghyr district 1898, par. 115.
40 Cf. Mendras 1976, pp. 44-45.
41 Cf. par exemple Government of India : Report of the Agricultural Finance Sub-Committee appointed by the Government of India on the recommendation of the Policy Committee on Agriculture, Forestry and Fisheries (New Delhi 1945), p. 17.
42 Outre les inventaires que nous reproduisons ci-dessus, voir ceux de Nehru 1932, pp. 100-101, et de RCS I (1), pp. 263-305. Nous avons renoncé à utiliser intégralement les résultats de RCS sur ce sujet, car les catégories utilisées font entrer sous des dénominations uniques des motifs d’emprunt qu’il nous paraît essentiel de distinguer : ainsi les dépenses provoquées par les cérémonies, les dépenses de subsistance et les dépenses affectées à l’habitation sont confondues sous la rubrique « dépenses familiales ».
43 BEC, I, pp. 53-54.
44 RCBO, 1914-1915, tableau IV-B. Les chiffres portent sur 753 sociétés primaires de crédit et sur 29 872 prêts consentis par celles-ci à leurs membres, dont le montant total s’élève à 818 991 Rs.
45 BEC, I, p. 135.
46 RCB, 1909-1910, par. 58-61.
47 Il s’agit du fonds de roulement qu’empruntent certains paysans aisés pour se lancer dans le commerce des grains. Ils opèrent comme intermédiaires (couramment appelés beopārī) entre le cultivateur, auquel ils achètent son grain à la récolte, et le marché primaire local, où ils vont le revendre aussitôt.
48 Cf. Chandra 1966, pp. 467-469.
49 Cf. RCA, I, par. 351.
50 Cf. Bose 1976, pp. 65-66.
51 RCS, II, p. 167.
52 RCS, I (2), p. 10.
53 Il s’agit des prêts takāvī, régis par le Land Improvement Act de 1883 et l’ A griculturists’ Loans Act de 1884.
54 RCA, I, pp. 427-431.
55 BEC, I, pp. 29-31.
56 Le Bihar se situait, de ce point de vue, à mi-chemin entre l’Assam, qui comptait 1 prêteur professionnel pour 321,3 villages, et l’État de Madras, qui en comptait 1 pour 1,7 villages. Cf. Census of India 1961, vol. I, part II-B (I), General economic tables, p. 634.
57 RCS I (2), p. 467.
58 BEC, I, par. 78.
59 Voir dans BEC, II, pp. 167-170, l’évaluation des profits nets moyens des prêteurs ruraux dans chaque district du Bihar par le Commissioner of Income Tax du Bihar-et-Orissa. La « fourchette » va de 8,9 % à 14,9 %.
60 Chiffres calculés d’après les SR de Bhagalpur, Champaran, Darbhanga, Muzaffarpur, Saran, Purnea, Monghyr (North), Monghyr (South), et Shahabad.
61 Cf. ce que dit ARPD 1893-1894, par. 73.
62 BEC, I, p. 29, et II, p. 300. Sur les atith, voir BDG Saran, pp. 45- 47.
63 Voir RCS, II, pp. 171-172.
64 BEC, I, p. 27.
65 RCS, I (1), pp. 323-324. et I (2), p. 473.
66 RCS, I (1), pp. 325-345.
67 SAB, XI, p. 335, et XIII, pp. 163 et 296 ; RCA, XIII, p. 190 ; BEC, I, p. 33, et II, pp. 295-297.
68 S.R Champaran 1900, par. 595.
69 SR (révision) Saran, pp. 50-52.
70 SAB, XI, pp. 180 et 335 ; XII, p. 269 ; XIII, pp. 163 et 296 ; BEC, I, p. 33 et II, pp. 295-297 ; RCB 1907-1908, par. 34.
71 SR Narhan Ward’s Estate in the district of Monghyr, par. 106. On évoquera ici l’analyse que fait Turgot du prêt « à la petite semaine » dans le Paris d’avant la Révolution, ou l’on prêtait un écu au taux de 173 1/3 % par semaine : c’est que l’insolvabilité d’un seul emprunteur annulait tout le profit que le prêteur pouvait faire sur trente (Turgot 1828, chap. xiv).
72 Le Brāhmane jouit souvent d’un régime de faveur, cf. Nehru 1932, p. 144.
73 RCA, XIII, p. 190 ; G. E. Owen 1922, p. 77.
74 RCS, I, (2), pp. 558-559 et 592-593.
75 BEC, I, p. 33, et II, p. 296.
76 SR (révision) Saran, p. 150.
77 Comme aujourd’hui M.D. Morris, dans Morris 1966 (n. 13).
78 Darling, op. cit. pp. 185-186.
79 BEC, I, p. 33.
80 RCA, I, p. 447, et XIII, pp. 31, 196, 305.
81 Cf. par exemple Darling, op. cit. pp. 192-193.
82 Turgot 1828 ; Bentham 1818. Voir notamment la lettre II du livre de Bentham, où tout le principe de sa critique se trouve résumé. L’ouvrage comporte également une défense de l’intérêt composé, justifié par l’immobilisation du capital du prêteur que représente une créance impayée. Il a suscité plusieurs réfutations au cours du siècle qui a suivi sa publication.
83 BEC, I, p. 34 ; SR (révision) Saran, p. 51.
84 Ces différents types d’hypothèques sont codifiés dans le Transfer of Property Act (Act IV of 1882), articles 58 et 62.
85 SR Gaya, par. 153 ; SR Saran, par. 535.
86 Ceci est particulièrement vrai dans le Champaran, où les landlords sont puissants, et où les nantissements de droits d’occupation sont beaucoup plus nombreux que les ventes, mais c’est également vrai dans une moindre mesure dans d’autres districts du Bihar : cf. SR Champaran, par. 514 ; SR Monghyr (South), par. 171 ; SR Saran, par. 540 (dans les villages du Hathwa Raj) ; SR Muzaffarpur, par. 861.
87 Note on land transfer, op. cit. pp. 27-32 ; Whitcombe 1972, pp. 218- 233.
88 Les dossiers de ces enquêtes se trouvent dans India Office Records, Bengal, Revenue Department, Land Revenue Branch, août 1894 et août 1898.
89 Jhansi Encumbered Estates Act (1882), Punjab Alienation of Land Act (1900), Bundelkhand Alienation of Land Act (1903), Central Provinces Alienation of Land Act (1916), etc. Cf. RCA, I, p. 418.
90 BEC, I, p. 180 ; RCA, I, pp. 438-439 ; RCS, I (2), p. 403.
91 RCA, I, p. 439.
92 RCS, I (2), pp. 406-415.
93 Darling, op. cit., pp. 229 et 245.
94 L’idée coopérative était dans l’air en Inde depuis les années 1870, lancée d’abord par William Wedderburn, l’un des fondateurs du Congrès National Indien, et reprise par les idéologues du mouvement nationaliste, non sans trouver un écho favorable dans les sphères officielles (cf. Report of the Indian Famine Commission, 1880, appen. 1, pp. 191-192). Elle est relancée de façon décisive par le rapport de Sir F.A. Nicholson, rédigé après une enquête sur la coopération telle qu’elle était pratiquée dans divers pays étrangers, notamment en Italie, et surtout en Allemagne, où fonctionnait le système de crédit mutuel mis au point par F.W. Raiffeissen en 1849, rapport dont l’objet était de formuler des suggestions applicables à la Présidence de Madras (F. A. Nicholson, Report on the Establishment of Agricultural Banks in the Madras Presidency [Madras 1895]), et dont les conclusions sont reprises pour l’Inde entière par la Commission sur la Famine de 1901 (Report of the Indian Famine Commission, 1901, pp. 97-102).
95 RCB, 1906-1907, par. 44-47. Le crédit des coopératives est naturellement bien meilleur marché que celui du prêteur. En 1930, leurs taux d’intérêt au Bihar varient entre 10 et 15 %.
96 BEC, I, p. 118. On laisse de côté ici la question du financement des coopératives rurales de crédit au Bihar, dont on trouvera un exposé sommaire dans G. E. Owbn, op. cit., pp. 77-79.
97 RCBO, 1930, par. 8-10, 13, 56.
98 BEC, II, p. 297.
99 BEC, I, p. 133.
100 RCB, 1909-1910, par. 58-61.
101 RCS, I (2), pp. 372-376 ; Thorner 1964, p. 94.
102 BEC, I, p. 29.
103 RCS, I (2), p. 370, et II, p. 167.
104 RCS, I (2), p. 188.
105 Dans son Cours d’économie politique 3e éd. (Paris 1913).
106 Cf. ce qu’en dit le Registrar of Co-operative Societies, Bihar-and-Orissa, en 1928, dans RCA, XIII, p. 162.
107 Temple Collection, lettre déjà citée de C.T. Metcalfe, Commissioner de la division de Patna.
108 Dufferin Enquiry, J. Boxwell, Commissioner intérimaire de la division de Patna, au Secrétaire privé du Lieutenant-Gouverneur du Bengale, département du revenue (n° 286G, 2/6/1888). On trouvera la même idée développée dans RCS, II, p. 152.
109 RCS, II, pp. 156-157.
110 Cf. Stores 1978, p. 243 ; Chaudhuri 1969, pp. 253-254.
111 SAB, XI, pp. 180 et 335 ; XII, p. 269 ; XIII, pp. 162-166 et 296, etc.
112 W. C. Benett, Final settlement report of Gonda district (1878), p. 67, cité par Whitcombe 1972, p. 227.
113 SR Gaya, par. 127 et 141.
114 J. Strachey est cité par Whitcombe 1972, p. 194. Pour la position nationaliste, voir Chandra 1966, p. 471.
115 G. A. Grierson, op. cit. p. 110, qui retrouve une idée exprimée par J. Boxwell, Commissioner intérimaire de la division de Patna, dans sa lettre déjà citée de Dufferin Enquiry.
116 BEC, I, p. 199.
117 Temple Collection, lettre déjà citée de C.T. Metcalfe, Commissioner de la division de Patna.
Notes de fin
1 Je remercie très vivement ici Mme Martine Todorov, qui a dépouillé au cours d’une mission à Londres une grande partie des publications officielles du gouvernement de l’Inde sur lesquelles ce travail est fondé.
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