Us et usure dans les contes du folklore Indien
Use and usury in Indian folk-tales
p. 63-91
Résumés
Des 24 volumes de contes des différentes régions de l’Inde, édités par P.C. Roy Chaudhury, 14 contes ont été retenus parce qu’ils privilégient une relation d’endettement entre les personnages. Entre la nécessité de rendre, qui constitue l’un des aspects, valable pour tous, du contrat social, et les pactes individuels qui sont arrêtés, selon l’appartenance de caste, les situations et les enjeux particuliers, une interrogation s’impose, liée au statut de l’objet de la transaction, à la place accordée au désir et aux moyens de contenir ou de provoquer ses débordements. De cette interrogation en naît une autre, plus spécifique de la civilisation indienne, et portant sur l’intégration, au sein de l’univers narratif, des différences statutaires et matérielles des personnages et de l’idéologie du contrat, social et théologique, qui motive leurs actions et leurs paroles.
Out of the 24 volumes of folk-tales from the various parts of India edited by P.C. Roy Chaudhury, a selection has been made of 14 tales the characters of which are bound together by a relation of indebtedness. Between the general necessity of giving back what has been borrowed (a mere clause of the social contract, applying to all), and the actual terms agreed upon by individuals, (which may vary according to caste-belonging, context, or what is at stake), questions arise as to the status of the objects involved in such relations, the scope left to desire and the means of containing or triggering its overflow. These questions lead in tum to new ones about the inclusion, within the narrative universe, of the material and statutory differences between the characters, and the ideology of a social and theological contract, which motivate their behaviour and speech.
Texte intégral
1En Himachal Pradesh, tout le monde, paraît-il, connaît cette histoire, « Comment en rembourse une dette1 ». Après treize ans d’exil, les Pandavas décident de se battre contre les Kauravas pour regagner la moitié de royaume qui leur est due. Yudhisthir, à court d’argent, envoie son plus jeune frère Sadev, emprunter au dieu. Le dieu lui demande s’il aura le même plaisir, en lui rendant la somme empruntée, qu’en la recevant. Sadev affirme que oui. Le dieu le renvoie. Nakul et les deux autres frères sont dépêchés auprès du dieu – avec le même résultat. Finalement Yudhisthir se dérange en personne et répond en ces termes à la question-piège du dieu créancier : « O, Kuver, comment cela pourrait-il être ? le débiteur est très heureux quand il obtient le prêt. Quand il rembourse, il le fait avec regret et chagrin. La nature humaine est si fragile. »
2Kuver lui donne alors tout l’argent dont il a besoin.
3Avec ce dieu, pas de marché de dupes. Il va de soi que le créancier ne peut prêter que s’il a confiance en son débiteur. Cette confiance peut reposer sur plusieurs types de garanties : celles qu’offrent les biens, la force de production, l’honnêteté morale. Dépossédé de ses biens, Yudhisthir n’a que sa caution morale à offrir. C’est pourquoi Kuver s’attache à vérifier ce point.
4Ce test psychologique peut sembler primaire ; l’échec répété des frères montre qu’il ne l’est pas, et que la mauvaise foi propre au débiteur est tellement intériorisée qu’il ne la perçoit pas. Gêne, pudeur ou exhibitionnisme qui accompagnent en général toute transaction d’argent induisent des comportements peu recommandés mais inévitables. La pression du débiteur s’exerce dans cette « générosité » dont il se croit capable, dans l’avenir, et qu’il exige, dans le présent, de son créancier. Or, cette générosité, mise à l’épreuve, se révèle être l’effet d’une contrainte.
5C’est la nature ambiguë du prêt qui induit tout ce « psychologisme social », largement illustré par ce qui va suivre. Le prêt a, dans l’instant, toutes les apparences du don, puisque intérêts et remboursements sont différés, et que le bénéficiaire, s’il n’a ni précision ni mémoire, peut en faire abstraction. L’objet prêté est peu à peu intégré aux possessions du débiteur. L’usage fait droit, dit-on. Rendre est douloureux : alors que l’on rend, l’on se croit contraint de donner. Le rôle providentiel du prestateur est bref : lorsqu’il se mue en créancier pour réclamer son dû, c’est un bourreau. C’est en partie aux modifications du statut de l’objet que renvoie cette transformation. L’objet n’est pas un pur support, investi seulement du désir des hommes, et simple prétexte aux relations interpersonnelles. Il n’est pas non plus une pure substance, qui commanderait aux hommes leur conduite. Il est au carrefour de ces deux données, et l’appauvrir au profit de l’une ou de l’autre, c’est, comme le démontrent les frères déboutés par le dieu, obéir à l’idéologie dominante, qui tend à ignorer l’affect qui préside à toutes transactions.
6À l’instar de ce conte, où, en quelques lignes, se trouve évoquée la complexité du rapport qui unit le créancier à son débiteur, les quatorze contes choisis parmi les Folk Tales of India Series2, devraient fournir matière à une réflexion qui prenne appui sur l’appréciation de faits concrets, et qui ne néglige pas la dimension générale et philosophique du phénomène3. C’est au fil des contes, à travers l’observation des usages pratiqués par les hommes dans les situations d’endettement, que nous tenterons de comprendre le regard que la société indienne pose sur ce fait, l’idéologie qu’elle préconise à son propos, les déviances qu’elle supporte et les remèdes qu’elle y apporte.
7Ces contes sont très brefs, leur homogénéité n’est pas parfaite. Les rois, qui jouent dans la première partie un rôle central, confèrent à celle-ci une unité que la seconde ne possède pas, puisque les personnages remplissent diverses fonctions sociales. On y reconnaîtra d’ailleurs les représentants des différentes castes. Toutefois, l’opposition artificielle entre les comportements « royaux » et les autres disparaît au profit de questions plus globales que l’on aborde finalement.
8Le thème central, organisateur, de tous ces récits, est donc cette relation de créancier à débiteur4, soutenue par les mouvements d’objets tangibles, réels. Cette ressemblance structurelle a, bien sûr, des effets sur le contenu. Ainsi, dans une première approximation, la société indienne, si sophistiquée par ailleurs dans son organisation, peut paraître simplifiée, raplatie. Entre les riches (créanciers) et les pauvres (débiteurs), les transactions semblent arrêtées dans des formes répétitives. Les dieux, les rois, les professionnels de l’argent, donnent, prêtent ou achètent. Les artisans, les paysans, les brahmanes, reçoivent, empruntent ou vendent. Mais les données morales se mêlent à ces actions et infléchissent parfois radicalement leur sens. Le principe de réciprocité, implicitement reconnu, n’est pas toujours respecté. Les obstacles abondent ; détours et simulacres sont, on le sait, plus révélateurs que les conduites attendues. Entre la cruauté sadique et la générosité onctueuse, des registres variés du comportement psychologique et social sont couverts, et, ainsi, différentes facettes du pacte qui lie entre elles les personnes sont éclairées. Et, puisque noblesse oblige, nous commencerons par les rois, créanciers et débiteurs.
9« À la sueur du front5 » et « L’arbre à roupies6 » sont deux contes très similaires dans leur déroulement, et différents dans leur conclusion. L’analyse devrait permettre de mieux comprendre les ressorts de cette différence finale. En voici, à la suite, les résumés :
10Dans « À la sueur du front », un pandit très savant et très pieux, apprend que le roi de sa ville est généreux. Poussé par son épouse, plus sensible aux biens terrestres que lui, il se rend à la cour et demande au roi de lui donner quatre paisas qu’il aurait « gagnés à la sueur de son front ». « Je ne veux pas de vos biens, ajoute-t-il, car ils sont teintés de péché. » Le roi réfléchit un instant, puis accepte. « Reviens après-demain », dit-il.
11Le roi, qui n’a jamais travaillé, qui ne sait que donner des ordres, passe la nuit sans pouvoir dormir. Le matin, il revêt des habits troués et déchirés et part en quête d’un travail. Un homme lui propose de puiser de l’eau avec un pot, car il n’a pas l’eau chez lui. Mais le roi se fatigue vite, et laisse échapper le pot qui se casse. Il est renvoyé sans ménagements : « Prends ces quatre pièces et pourtant je ne devrais rien te donner, puisque tu as cassé mon pot », lui dit l’employeur.
12Le pandit reçoit donc les quatre pièces « gagnées à la sueur du front ». Il les remet à sa femme qui les jette dans un récipient. Une plante pousse ; des fruits doux et ronds en tombent chaque jour. Ce sont des perles d’une finesse admirable.
13La reine cherche justement des perles, et elle entend parler de cette source miraculeuse. Le roi rencontre de nouveau, et non sans étonnement, le pandit possesseur d’une telle plante. Ce dernier lui offre toutes les perles qu’il désire, et, ensemble, ils découvrent l’origine du miracle.
Le roi s’écrie : « Si le travail d’une heure donne un tel résultat, combien plus le travail incessant et quotidien doit-il donner... le travail est vraiment le plus noble des dharmas. »
14Le brahmane de « L’arbre à roupies » refuse, comme le pandit, les aumônes du roi, et lui demande n’importe quoi d’autre – même un paisa – gagné à la sueur du front. Le roi n’a rien à lui offrir, et le prie de revenir le surlendemain. Il revêt des habits troués, se rend dans un village, rencontre un groupe d’hommes travaillant sur une route, et propose ses services. Le chef du groupe lui donne une pioche : « Creuse un trou, et rapporte la terre pour la route. »
15Le roi transpire rapidement et ses mains sont si endolories qu’il ne peut plus tenir l’outil. Le chef le renvoie en lui lançant une pièce de quatre annas.
16Le brahmane plante cette pièce dans son jardin. Un arbre pousse, couvert de roupies. Le roi en apprend l’existence et décide d’aller déterrer cet arbre. « Roi, te souviens-tu de ce que tu m’as donné, lui demande le brahmane. Une simple pièce de quatre annas. Mais parce que tu l’avais gagnée à la sueur de ton front, cette pièce a produit cet arbre puissant. L’arbre est à toi. Mais rappelle-toi qu’en fait tu m’as donné quatre annas ».
17Le roi humilié repart les mains vides.
18L’aumône dérisoire que demandent les deux mendiants – qui signifie que l’argent leur importe peu, mais non la manière dont il est obtenu – coïncide (exactement) avec le salaire perçu par le roi. Sans s’être concertés, mendiants et employeurs s’accordent. Les premiers savent, les seconds constatent que le roi est incapable de travailler. Les premiers valorisent la sueur, garantie de la pureté du salaire, alors que les seconds donnent sa valeur réelle au travail. Dans ces deux séquences le roi se laisse manipuler ; le consensus qui apparaît concourt à la démonstration dont il est l’objet.
19Mais en quoi consiste cette démonstration ? pourquoi les rois acceptent-ils de travailler ? que signifie cette mise en scène moqueuse de leurs efforts ? l’obligation, pour le roi, de faire l’aumône, n’implique pas qu’il satisfasse à une demande si exorbitante. On peut tenter de comprendre mieux le bien-fondé de ces récits en se rappelant que le roi7 « qui reçoit l’impôt que lui versent ses sujets, est au service de ces derniers, il travaille, pour eux et en reçoit salaire (...) à la veille de la bataille (Arthaśāstra X3 27), il s’exprime en ces termes : Je suis un salarié pareil à vous. C’est avec vous que je dois jouir de ce royaume. »
20Le roi « salarié » n’est donc pas une invention aberrante et les mendiants mettent, d’une certaine manière, à l’épreuve de la réalité, le contrat qui lie le roi à ses sujets. Quant à l’impureté que le roi risque de contracter en se salissant les mains, en suant, il en est protégé, puisque « les rois occupent la position d’Indra, et sont, comme Brahman, à l’abri de toute impureté » ; ou encore : fabriqué à partir de parcelles divines, le roi est « hors du champ de la pureté ou de l’impureté » (Manu-Smṛti V 93-7)8. Idéellement, donc, les rois ne contreviennent pas à leurs devoirs, ni ne se dégradent. Les mendiants, en demandant au roi de remplir momentanément les fonctions de salarié ordinaire, lui apprennent, ce faisant, de quoi est constitué son trésor. Du travail et de la sueur de ses sujets. Par là même, la générosité royale se trouve replacée dans un contexte plus réel. Les mendiants brahmanes retirent au roi son innocence, lui font prendre en compte le prix humain de son trésor, et la relativité de sa générosité.
21En allant travailler, les rois réalisent par ailleurs l’alliance qu’exige traditionnellement leur fonction, entre la pureté brahmanique des mendiants et eux-mêmes, protecteurs du monde et de leurs sujets. Ce faisant, les rois gagnent des mérites spirituels, et, s’ils ne courent pas travailler après avoir découvert les arbres prodigieux, c’est bien parce qu’ils savent que cette conjoncture exceptionnelle ne vise pas à les prolétariser, mais, au contraire, à les rendre plus dignes de leur fonction, par leur capacité à comprendre ce qui la fonde et la garantit.
22En effet, l’allégorie est claire ; ce qui détermine l’élaboration des arbres magiques, c’est la pureté brahmanique, force de multiplication et d’accroissement ; c’est elle qui transforme ces pièces en graines qui engendrent des trésors ; c’est donc elle qui permet les échanges fructueux avec la nature. Les deux rois sont bien obligés de le reconnaître, avec plus ou moins de grâce.
23Ainsi, le roi extasié qui chante la vertu du travail – le plus noble des dharmas – trouve dans le discours idéologique une « rationalisation » de la bonne fortune qui lui échoit. Il reçoit les perles qu’il cherchait pour complaire à la reine. Le désir violent d’appropriation du second roi le fait repartir les mains vides. Il se conduit en effet comme un usurier ordinaire en voulant se saisir des intérêts du capital donné. Et tout autant que la vertu du travail manuel, c’est ce devoir douloureux que lui rappelle le brahmane : le don ne peut être remis en question, quand bien même le bien initial fructifie jusqu’à se constituer en inépuisable trésor. Le créancier perd tout droit sur lui.
24Un autre comportement attendu se dégage de ces deux récits : c’est qu’il est bon de mépriser l’argent pour pouvoir ensuite s’enrichir. En exigeant l’investissement personnel du roi, en ne lui demandant en contrepartie qu’une aumône ridicule, les deux protagonistes valorisent la participation physique des rois, et le détour se révèle finalement extrêmement fructueux. Dans « Le moment propice9 », l’on retrouve cette idée de participation personnelle. Mais au lieu qu’elle soit accessoire comme précédemment, elle sous-tend en quelque sorte tout le récit, car elle renvoie à un choix plus fondamental au plan économique.
25Une controverse éclate entre le roi et son ministre. Le premier affirme la supériorité de la force de volonté, le second, celle du facteur temps, dans le règlement des affaires humaines. Un pauvre homme vient à passer, et le roi lui fait don de cinq cents roupies. Un aigle les lui vole. Le roi revient quelque temps plus tard, et redonne cinq cents roupies. Le pauvre homme les cache dans un pot contenant de la balle de riz. Un jour qu’il est au marché, sa femme, non prévenue, vend le pot. De nouveau la misère règne dans la maison. Le roi demande alors au ministre d’intervenir. Ce dernier donne au pauvre homme une noisette, et tout se débloque. Le pauvre homme donne la noisette à un pêcheur10 ; le pêcheur promet de lui offrir en compensation le premier poisson de sa pêche ; ce premier poisson contient un énorme diamant. Le pauvre homme le vend, devient riche, et ses affaires prospèrent. Lorsque, un peu plus tard, le roi et son ministre viennent lui rendre visite, l’argent donné par le roi est retrouvé, par une suite d’heureux hasards. Le roi reconnaît qu’il y a des « courants » de fortune que les efforts de la volonté ne suffisent pas à infléchir.
26Dans l’acharnement du sort, qui empêchait les aumônes du roi, non seulement de fructifier, mais de rester la possession de leur destinataire, l’attaque, la critique du « don mécanique » est patente. Le transfert pur et simple d’une somme d’argent, sans réel souci de la demande, est voué à l’échec. La pauvreté de cet homme n’était pas due à sa mauvaise volonté ou à son manque d’efforts, mais à ce hasard malheureux qui marquait depuis toujours son destin, son karman11. Le roi fait donc une erreur fatale en lui appliquant mécaniquement sa vision volontariste du monde. Le ministre, avec une noisette, renverse le courant maléfique. Le fruit est une monnaie d’échange qui fructifie au-delà de tout espoir. L’argent est passif, il se fait prendre, voler, donner ; il cache les désirs, alors que la noisette, mobile et légère, déclenche des rapports clairs. L’argent est donc présent sous deux formes ; la première forme, celle du capital, est la moins intéressante puisque son champ d’existence se réduit à l’absence ou à son contraire. La seconde forme, celle de la monnaie d’échange, est la plus efficace, puisqu’elle induit des rapports avec autrui, déclenche une série de transformations, et finalement rapporte richesse et bien-être. La réapparition miraculeuse du capital, à la fin du conte, vient sanctionner ce choix d’ordre économique. Et, par là même, les comportements moraux correspondant à ces choix sont jugés. Ainsi, la forme brutale du don, qui vise à faire taire la demande d’autrui, à l’isoler, est stigmatisée, tout comme dans les contes précédents où elle est écartée au profit d’actions où le créancier « paie » de sa personne.
27Les trois rois se font humbles ; leur trésor est dédaigné, il est exigé d’eux une véritable prise en considération. La pauvreté est tout d’abord d’ordre matériel ; mais, paradoxalement, le soudain afflux de l’or n’empêche pas le héros à la noisette de subir son sort. Une dimension spirituelle – ou morale – est étroitement liée à l’économique, et c’est l’heureuse conjugaison des deux aspects qui permet de dénouer les situations bloquées, d’instaurer un nouvel équilibre.
28Dans « Le lit magique12 », l’on pourra apprécier la complémentarité des deux dimensions, spirituelle et économique, l’impossibilité de résoudre certains types de dettes par des compensations matérielles.
29C’est à la suite de reproches que lui adresse sa mère que Sital entreprend de construire un lit orné de quatre soldats de bois qui peuvent « bouger et parler comme des êtres humains ». Le roi est acheteur, mais Sital refuse d’en fixer le prix tant que le roi n’en aura pas eu usage. De retour chez lui, le héros subit d’autres reproches, pour sa légèreté et sa naïveté dans cette affaire.
30La première nuit, le roi qui ne peut pas dormir, entend l’un des soldats annoncer à ses compagnons qu’il part se promener pour vérifier « qui est heureux et qui ne l’est pas ». À son retour, il raconte qu’il a tué un dragon qui avait le projet de manger le roi. Le roi vérifie ces paroles et fait envoyer à Sital un chariot d’or, de perles et de pierreries. « Ton lit n’a pas de prix », ajoute-t-il.
31Au cours des trois nuits suivantes, des événements semblables arrivent. Le second soldat tue un cobra caché dans les vêtements du roi ; le troisième découvre et neutralise des soldats qui pillaient le trésor ; le quatrième, enfin, tue l’ennemi mortel du roi. Le roi convoque alors Sital et lui déclare que jamais il ne pourra payer le prix de ce lit. Il le nomme premier ministre et le déclare son ami.
32L’ampleur croissante de la dette que contracte le roi le conduit finalement à abandonner le mode de compensation matériel. Les trois premières fois, le roi « fait envoyer » chez Sital des chariots remplis de richesses : son débit important ne l’empêche pas de garder ses distances. Pourtant, tout comme dans l’ultime épisode, les soldats le sauvent de la mort à deux reprises. Mais l’accumulation de services crée une saturation, et la nécessité de changer de stratégie. De plus, les trois premiers dangers étaient quelconques. Dragon, cobra et voleurs sont les manifestations d’une fatalité anonyme et générale, alors que l’ennemi mortel du roi appartient à une sphère de proximité maximale avec sa victime. La mort qu’il veut donner est tout autant physique qu’affective ; parce qu’elle est chargée de haine, son sens est redoutable.
33Le vide laissé par l’ennemi est immédiatement rempli : le roi y place Sital, son sauveur et son créancier. Au transfert des biens se substitue la transformation affective : la chose donnée – suppression de la haine et de la menace de mort – détermine la chose rendue – l’amitié et le statut social qui rend cette amitié possible. Cette transformation, néanmoins, n’est réalisée qu’en vertu du bon plaisir royal. Quand le roi affirmait que le lit n’avait pas de prix, il en fixait tout de même les limites. Débiteur, sa relation d’autorité avec autrui ne cesse de faire loi. La distance entre les deux personnages diminue, le ministre et ami étant maintenant entré dans la sphère d’intimité que le maître lui a ouverte.
34Inversement, en ne fixant pas le prix du lit, Sital agit magistralement ; le roi est un débiteur idéal, généreux par devoir, et toute l’astuce consiste à le maintenir aussi longtemps que possible dans ce rôle. S’il eût acheté le lit, il aurait eu tout au plus une dette morale à l’égard de Sital, une dette restreinte. Ici, au contraire, la dette couvre l’objet matériel, les services incommensurables qu’il rend, la marque de confiance que le créancier porte à son débiteur. En acceptant de différer le paiement, le roi prend un risque : celui de ne pas pouvoir payer le lit magique, alors que payer un lit ordinaire n’offrait aucune difficulté. Le statut du roi implique, et ses richesses autorisent, une telle attitude. Et quand bien même il accepte momentanément le rôle de débiteur, l’éclat de sa générosité ne permet pas d’oublier le rôle de créancier dans lequel on aime le voir se distinguer.
35Par contraste, dans « Le don de Dieu13 », l’empereur est d’emblée débiteur. Et il le reste, puisque son débit, s’il n’est plus porté au crédit du héros, l’est au crédit du Dieu. Ainsi, là encore, mais autrement, les relations d’endettement impliquent des prolongements et des niveaux que la situation initiale ne laissait pas prévoir.
36Akbar14, l’empereur, se perd au cours d’une chasse et demande l’hospitalité à un paysan. Au moment de partir, il invite le paysan à venir à Delhi lui rendre visite. Un an plus tard, la récolte est mauvaise. Réduit à la famine, le paysan se rappelle l’offre de son hôte. Il se rend à Delhi et va par les rues, interrogeant les passants sur la demeure d’Akbar. Quelqu’un lui indique le palais, et il y entre sans difficultés puisque ce jour-là, l’empereur dispense des aumônes. Ne sachant toujours pas qu’il se trouve dans un palais et qu’il s’agit de l’empereur, le paysan déconcerté par la posture de ce dernier, à demi-couché sur le trône, s’enquiert de son état de santé. Il se fait reconnaître ; Akbar lui donne cinq mille Rs et une invitation à séjourner huit jours dans le palais. Le lendemain, le paysan voit Akbar accomplir le namāz15. Un serviteur lui explique qu’Akbar prie Dieu pour avoir plus de richesses, car Dieu seul donne à l’homme richesses et pouvoir. Parce que l’empereur mendie auprès de Dieu, le paysan se refuse à mendier auprès de l’empereur. Il lui fait remettre l’argent donné, et, sur la route du retour, il s’arrête pour prier Dieu sept jours et sept nuits. Au terme de cette prière, il découvre près de lui une cruche remplie d’or.
37Là comme précédemment, le roi rend au centuple. L’argent, l’hospitalité au palais. Le paysan accepte, jusqu’au moment où il découvre l’origine de la créance royale. L’impossibilité morale d’en profiter s’impose : sa bonté et sa naïveté en donnent raison. Il refuse de s’impliquer dans cette chaîne des obligations et s’adresse directement à Dieu. Il s’agit moins d’une forme savante d’imitation (qui impliquerait la conscience claire du Dieu de l’Islam auquel chacun s’adresse sans intermédiaires) que d’une conséquence de son caractère. Dans cette reproduction de la conduite royale, il y a bien sûr de la subversion. Le paysan se met sur un pied d’égalité avec Akbar, il compte bien que Dieu le traitera pareillement. Mais cette égalité se présente sous une forme ambiguë, car rien n’empêche de penser que Dieu, tout en gratifiant le croyant ordinaire, honore ce faisant son contrat avec le roi, cumulant ainsi dans son don les deux intentions. Le paysan se persuade que la force de ses prières attire sur lui la fortune ; il s’en trouve soulagé. Dieu continue de prendre en charge les dettes du roi, et persiste à occuper sa position de créancier.
38Créancier des hommes et débiteur des dieux, le roi obtient ses richesses en sacrifiant aux dieux, comme l’affirme explicitement ce dernier conte. Cet échange fondamental permet les autres. Dans les deux premiers récits, par contre, c’était la sueur du front, le travail humain qui alimentaient le trésor. Y a-t-il un substrat commun qui se dégage pour les rois, créanciers ou débiteurs, pour leur trésor, pour les comportements que l’on attend d’eux ? Si l’on se remémore les situations précédentes, l’on constate que : pour le roi-créancier, l’argent du trésor est refusé (contes 5 et 6) ; dispersé (conte 9) ; inapproprié (conte 12). Pour le roi-débiteur, l’argent du trésor est refusé (conte 13).
39L’argent du trésor est donc en général inadéquat, sauf dans le conte 12 où il est temporairement accepté. Cette persistance à le désigner dans son imperfection, son incapacité à remplir sa fonction, ne laissent pas de surprendre. Le roi n’a pas un allié très sûr dans son trésor, qui devrait lui permettre de régler ses dettes, de faire son devoir et de donner l’aumône. Deux propositions narratives aident à comprendre ce fait : l’argent du trésor est impur (contes 5 et 6) ; son origine est divine (conte 13), ou, au contraire, humaine. Quel est le lien hypothétique entre ces deux propositions contradictoires ? L’impureté du trésor est due, on se souvient, à la facilité de son acquisition. Et les deux brahmanes rappellent aux rois ce que recouvre cette facilité ; la sueur, l’effort, le travail pénible de leurs sujets. Le sacrifice et la prière seraient-ils alors dénoncés par ce biais comme étant des moyens « faciles » ? la déontologie de l’échange qui s’exprime affirme, de surcroît, que l’on ne peut recevoir de A ce que B lui a donné. L’alliance entre rois et dieux est-elle alors, de ce fait, condamnée ?
40Juxtaposer ces questions ne fournit pas de réponse, puisque les contes répondent à chacune d’entre elles séparément. Les différences de perspectives sont grandes, et par conséquent, sans doute aussi, les milieux sociaux d’où ces contes sont issus. Sur un plan plus général, par contre, l’homogénéité est complète : quelle que soit l’origine du trésor royal, il est tenu à distance. Ses difficultés d’utilisation, son incapacité à servir témoignent d’une attitude précautionneuse, d’une méfiance soulignée à l’égard du pouvoir qu’il représente. Il n’est pas omnipotent, puisque l’amitié, par exemple, constitue la créance certaine. Tout un jeu est déployé ici, entre l’attirance que provoquent les richesses, le pouvoir qu’elles confèrent, et la résistance qui, par ailleurs, se manifeste dans leur manipulation, leur transfert. Le double registre de la valeur – morale et matérielle – continuellement utilisé et diversement combiné, témoigne, jusqu’à maintenant, d’une justice où les humbles et les démunis trouvent leur compte.
41Le roi ne peut donc acheter aisément ses sujets. Il ne le peut qu’au prix de sa propre dépense. C’est cette participation active que lui réclament pandit et brahmane ; c’est le namāz que l’empereur Akbar accomplit ; c’est la reconnaissance d’un principe opposé à la volonté pure, comme le hasard, les courants, les moments propices. C’est, enfin, devant l’abondance des bénéfices, l’impossibilité de rendre en monnaie sonnante, la proposition d’amitié et la consécration ministérielle.
42Le trésor est donc une entité fondamentalement ambiguë. Toujours présent auprès du roi, il est parfois nié, parfois mis en défaut, et son efficacité est le fruit de longs détours. Il est l’agent d’une double transformation, l’enrichissement des débiteurs entraîne l’enrichissement moral des créanciers. L’équilibre atteint débouche sur une image rassurante des rois, prompts à reconnaître leurs torts, à accéder aux demandes, même extravagantes de leurs sujets. Tels qu’ils apparaissent ici, généreux et tempérés, les rois sortent de ces aventures positivement transformés à moins que, comme dans le cas d’Akbar, ils n’échappent à ces épreuves, puisque c’est à Dieu, pourvoyeur de tous et régulateur des affaires humaines, que le récit rend surtout hommage.
43Dieu n’est pas toujours là, comme le montre « L’os du désir16 » – dernier conte « royal » – pour distribuer magnanimement des richesses ; par contre, comme on le verra, le « don de Dieu » peut prendre la forme de la sagesse.
44Au cours d’une chasse, Udaygiri découvre un village dont la beauté l’émeut. Mais ce village ne fait pas partie de son royaume. Il lance alors son armée contre lui afin de le conquérir. Les villageois résistent avec détermination. Mais ils n’ont pas d’armes, et la rivière qui marquait la frontière entre les terres du roi et les leurs se teinte du rouge de leur sang. Un vieil homme se présente alors et demande à voir Udaygiri. Il le prie de bien vouloir lui donner, en échange d’un tout petit os, son poids en or. Le roi croit à une plaisanterie, mais s’exécute. Un māśā d’or, deux māsā, trois même, ne suffisent pas à faire pencher le plateau de la balance. Le roi stupéfait ordonne que son trésor entier soit déversé, que tout l’or qu’il possède soit apporté et pesé. L’histoire se répand, villageois et soldats s’assemblent au tout du prodige. Une crainte les saisit. Le roi se croit au bord du désastre. Il interroge le vieil homme sur son secret :
« O roi, je ne veux pas de ton or, dit ce dernier. Et je te prie de garder l’os. C’est l’os du désir. Tu ne peux jamais nourrir le désir de manière satisfaisante. Tous les royaumes que tu as gagnés ne t’ont pas satisfait, et tu veux encore répandre le sang des enfants innocents et des femmes de ce village. »
45Chancelant, le roi ordonne que tout son or soit distribué aux familles dont les hommes ont été massacrés. Le vieil homme disparaît et le roi devient bienveillant, patient et bon.
46Dans les contes précédents, il s’agissait de corriger les rois qui se trompaient sur la nature des biens échangeables. Notamment, lorsqu’ils s’acquittaient matériellement et mécaniquement d’une obligation qui comportait des aspects spirituels Ce conte-ci est un apologue, qui donne une clef pour interpréter les précédents. Tout l’or du monde ne peut apaiser le désir. Voilà, pour la dernière fois, un trésor qui ne remplit pas sa fonction. Plus léger que l’os, plus léger donc que l’ambition, toujours renaissante et insatisfaite. L’or et le désir placés sur les plateaux d’une même balance symbolisent l’enjeu permanent de tout échange, où le principe d’équivalence, qui sert de règle et de mesure aux partenaires, se trouve mis en échec par le désir, lequel pèse toujours plus lourd que tout l’or d’un roi.
47La mise à nu de ce ressort, de cette énergie aux fins égoïstes, désigne les limites de l’idéal échangiste. Là où le vide propre à l’homme surgit, aucun bien matériel ne peut le combler. Il peut être soigné, trompé même, par toute une procédure qui relève de la religion, de la morale, du droit, le monde ne peut donner à l’être ce défaut d’existence qui est à la fois son destin et sa plaie. Aussi lorsque le roi veut ce qui ne lui est pas attribué, lorsqu’il se remplit du désir de posséder ce village, lorsqu’il lance son désir hors des frontières qui lui sont imparties, il déclenche une guerre, car ses propres débordements trouvent momentanément en elle de quoi s’assouvir. Le contrat social, l’échange bien tempéré, sont là précisément pour contenir ces débordements, à l’intérieur d’un cadre où, au mieux les rôles s’intervertissent (le créancier devient débiteur, ou réciproquement) ou bien s’emboîtent (le débiteur dépend d’un autre débiteur comme dans le cas d’Akbar). À moins que, comme dans ce dernier conte, la position forte induise la violence, sans souci de contrat. Le meurtre, la guerre sont les manifestations d’un désir irrépressible, lâché, possédé par lui-même.
48Le prescriptif est roi. L’aporie du désir trouve ici une issue heureuse parce que ces contes donnent une image positive des rois, prompts, nous l’avons vu à changer leur fusil d’épaule ou à reconnaître leurs faiblesses les plus intimes, comme le fait Yudhisthir dans le conte d’introduction, lorsqu’il avoue le déplaisir qu’il éprouvera à rendre l’argent emprunté au dieu. L’image royale positive qui est restituée finalement n’est pas sans avoir subi des dégradations au cours de son élaboration Le contrat est un apprentissage. La figure du roi, qui incarne traditionnellement ce contrat, sous sa forme humaine la plus haute et la plus sacrée, se constitue à partir de fautes et d’erreurs.
49L’image rassurante qui en est donnée est principalement fondée sur sa capacité d’amendement et de sincérité. Mais chez les hommes du « commun », pour lesquels l’intérêt personnel n’est plus jugulé par le souci de représentation, la menace persiste. Les contes suivants en montrent la force réelle.
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50Dans « Comment une méchante belle-fille fut punie17 », « Ne soyez pas envieux18 », « La conque19 », « L’histoire de Sukhu et Dukhu20 », on observe, grâce à un procédé narratif simple, la mise en jeu de désirs débordants, sur lesquels une trappe se referme sans appel. Sans entrer dans le détail des histoires, voici la trame commune de ces quatre contes. Les héros, ou héroïnes, sont d’une pauvreté extrême. Les dieux s’émeuvent de leur condition et leur viennent en aide. Soudainement, la richesse, la beauté (le mariage, même, parfois, avec un prince charmant) leur échoient. L’envie naît autour d’eux. Dans deux de ces contes, « l’envie » saisit les personnages directement responsables de la misère des héros. Les envieux interrogent les enviés sur leur bonne fortune. Ils s’appliquent ensuite, avec la plus grande minutie, à vivre les mêmes aventures. Mais les dieux clairvoyants ne se laissent pas berner : des gifles humiliantes à la mise à mort, en passant par la laideur dégoûtante et la condamnation au travail pour la vie entière : leurs réponses sont implacables et univoques.
51Aveuglés par le désir de posséder ce qu’autrui possède, ignorant la différence qui les sépare des héros, ignorant que l’innocence ne se contracte pas, ne s’échange pas, les imitateurs échouent lamentablement. Le dénouement réel, joint à une vertu intérieure non entamée, s’oppose à l’orgueil, au mépris d’autrui, à la certitude d’une supériorité absolue.
52Une fois de plus la morale est gagnante, mais au prix de ces différences outrées.
53La pureté de l’intention d’une part, le débordement du désir égoïste de l’autre, sont mis en mouvement à cause d’objets de prestige, de plaisir, de bonheur. Ces objets désirables sont comme les peaux d’un tambour ; à travers eux l’on touche les personnes et presque leurs états d’âme. Ce sont des révélateurs de l’intimité morale et personnelle.
54Les objets, dans ces récits, ne participent pas de l’économie du Hau, ce principe animiste que Mauss croyait voir dans les objets21, et qui, selon lui, les poussait à parcourir les trajets de l’échange. En effet, les objets apparaissent ici comme autant de supports autour desquels s’élaborent et évoluent les faits relationnels. Sur eux, se projettent l’envie, la rivalité, l’image de l’autre, l’image de soi... miroirs aux mille facettes, investis des affects que l’on porte à autrui, c’est à travers eux que se règlent les comptes. Leur neutralité, leur « objectivité », font que l’on peut, selon l’opportunité, les percevoir du dehors ou du dedans comme valeur d’usage ou prétexte de la cause du désir, et les adapter aux exigences de sa relation avec autrui : les posséder, les donner, les détruire. En dénonçant l’outrance des contrastes dans ces quatre contes, mon persiflage n’était que convention du moment. En effet, l’espace créé entre la conduite pure et innocente et son simulacre, permet de voir la capacité essentielle de l’objet, du support relationnel, à enregistrer les configurations morales ou affectives, et à les caricaturer, quand on veut en faire le dépositaire de son désir, et non plus sa manifestation illusoire et transitoire.
55La dépossession d’autrui, l’assouvissement de son propre désir trouvent en la parole un allié puissant. Elle peut, magiquement, neutraliser la dette. Dans « Nagappa l’usurier22 », le personnage est présenté dans son avarice la plus noire. Il fixe des taux d’intérêt élevés, qu’il va chaque jour percevoir, vit dans le dénuement le plus complet, et n’a qu’un seul serviteur, Mada, qu’il ne paie pas, mais qu’il autorise à vivre dans une hutte qui lui appartient. Mada se cache pour cuire son poisson, car Nagappa est végétarien. Un jour que ce dernier rentre de sa collecte plus tôt que d’habitude, il interroge Mada : « Que fais-tu cuire ? – Du poisson. – Fais-en donc cuire chaque jour au moment de mon déjeuner, » ordonne le maître.
56Pour Nagappa, qui ne mange pas de poisson, Mada se ruine. Il se décide finalement à voir son maître. – « Le poisson coûte dix paisas par jour, je ne peux plus en acheter. »
57À ce moment, Nagappa fait sonner des pièces sur le sol. « Je t’ai donné le plaisir d’entendre sonner des pièces, comme tu m’as donné le plaisir de sentir le poisson. Retourne chez toi maintenant23 ».
58Nagappa pose un rapport d’équivalence entre l’odeur du poisson et le bruit des pièces, alors que dans le premier cas il y a dépense et cuisson, travail par conséquent – et dans le second, rien qu’un bruit qui renvoie à lui-même. Cette assimilation métaphorise parfaitement le rapport de Nagappa au monde : le parfum du poisson symbolise l’intérêt, c’est-à-dire un surplus, un profit sans dépense ; le bruit des pièces, c’est la présence rendue sensible du capital et sa manière d’en jouir : sans dépense aussi.
59De même que ce n’est pas le souci de pureté qui a rendu cet avare végétarien, ce n’est pas une esthétique de la suggestion qui le conduit à agir ainsi. Il le prétend, et, ce faisant, piège autrui. Car son attachement épuré aux choses a en fait pour fondement l’attachement le plus possessif qui soit – celui qui conduit à l’immobilisation. La parole lui permettant de passer outre la réalité, il établit un rapport pseudo-égalitaire avec son serviteur, et le contraint à se soumettre, puisqu’il n’essaie pas de briser les liens de dépendance qui l’attachent à ce maître abusif.
60Dans « Le débiteur habile24 », la parole joue aussi un rôle déterminant, mais elle n’est plus spécieuse, car elle ne vise pas à forcer la vérité : elle la dit, mais personne ne l’entend.
61Uderam est un pauvre tisserand endetté auprès des gens de son village. Les mauvais jours persistent et il décide de partir. Il ramasse tous ses effets, et traverse le marché en chantant :
Sanja (sa femme) est partie hier soir
Son fils Basanti aussi
Uderam partira aussi
Avec toutes ses affaires
Au revoir tout le monde, au revoir.
62Les villageois croient qu’Uderam chante parce qu’il est de bonne humeur. Le lendemain, force leur est de constater qu’il a en fait quitté le village. Uderam choisit l’exil parce qu’il lui est intolérable de vivre parmi ses créanciers qu’il ne peut pas rembourser. Mais il part la tête haute, en chantant, et en risquant le tout pour le tout. Il émet tant de signes d’optimisme, de plaisir, que personne ne prête attention à ce qui est dit. Le chant et la poésie ont un effet hypnotique sur les villageois. Mais le leurre n’est possible que parce que ces derniers ignorent la misère extrême de leur débiteur. Et alors même qu’il agit à l’opposé des règles, il apparaît comme une sorte de héros : sa bravoure, son sens de l’honneur, son talent, le regard droit qu’il jette sur autrui sont émouvants et empêchent de le juger avec sévérité.
63La logique abusive de l’avare piège l’autre et lui « coupe » la parole. La parole chantée séduit et enchante par la joie qu’elle exprime. Entre le créancier avare jusqu’au vice et le débiteur acculé, il n’y a, au niveau des règles de l’échange, aucune différence. Tous deux concluent un marché de dupes et paient en monnaie de singe. Mais l’un a le cœur sec et l’autre le cœur pur ; l’un peut payer, mais ne le fait pas ; l’autre, qui ne peut pas payer, donne malgré tout quelque chose : la valeur morale de son comportement, sa dignité intacte.
64Mada, comme Uderam appartiennent à la caste des śūdra, des gens de service. Le premier ne parvient pas à transformer cette situation de service dans laquelle il se trouve. Alors même qu’il dépense pour son créancier, qu’il en fait, dans cette instance, son débiteur, rien ne change. La « dépense » est tournée en dérision. Sa dette – on peut le supposer – est si ancienne, si importante, qu’elle persiste alors même que les rôles sont intervertis. Le tisserand, par opposition, non de caste, mais de mode d’endettement, est endetté auprès d’une communauté : sa dette est fragmentée. Et quand il décide de se dégager de ses obligations à l’égard du groupe, il vérifie ce fait : personne ne le perçoit comme un esclave ; le voir passer et chanter librement ne contredit pas ce qu’on attend de lui.
65À travers ces deux récits, la société pose un regard très circonspect sur les échanges ; l’identité formelle, comme précédemment, est là pour souligner avec vigueur les différences qualitatives et morales qui interfèrent dans chaque cas, et qui obligent à faire, entre la loi et le cas particulier, tout un travail d’ajustement et toute une pesée des choses : qui conduisent à interroger le plan moral tout autant que le matériel.
66Quant aux objets, qui alimentent dans ces deux cas les échanges, ils sont d’ordre symbolique – leur immatérialité confirme à la fois la nécessité d’un support et la diversité qu’il peut revêtir. Usant de la parole pour arrêter les demandes de leurs créanciers, les débiteurs n’éteignent pas pour autant leurs dettes. Simplement, ils l’évacuent, la mettent hors jeu, lui enlèvent toute pertinence par le subterfuge du langage. En exploitant, avec une ironie humiliante, le cadre « échangiste », l’usurier accroît son pouvoir sur son serviteur. Le tisserand continue de devoir de l’argent à ses créanciers, même lorsqu’il sort de ce cadre. Tous deux connaissent leur obligation à l’égard d’autrui et ont le projet délibéré de ne pas la remplir.
67L’objet de la transaction peut donc être immatériel, symbolique. Il peut aussi revêtir une importance capitale, comme, lorsque dans « Comment un capitaine anglais courba la tête devant un chef rebelle »25, le héros s’identifie à lui, en offrant volontairement sa vie pour secourir son ami de fortune.
68Dalabehera s’est réfugié dans la jungle après que les Paikas eurent été vaincus par les Anglais. Il rencontre un jour un homme en grande détresse, qui lui demande où est Dalabehera. « Pourquoi veux-tu savoir cela ? – Parce que j’ai tout perdu, et je sais que Dalabehera est l’ami des désespérés. – Je connais Dalabehera, répond le chef rebelle ; viens avec moi, je crois qu’il peut t’aider. »
69Et Dalabehera conduit l’inconnu devant le capitaine anglais qui avait mis sa tête à prix.
– « Monsieur, est-ce vrai que vous avez offert une récompense de mille roupies pour la tête de Dalabehera ? – Oui, répond le capitaine. – Arrêtez-moi, s’il vous plaît, car je suis celui que vous recherchez. Remplissez votre promesse, et payez la récompense à cet homme infortuné. »
– « Dalabehera, j’ai été trompé, s’écrie le capitaine. Je ne savais pas que vous étiez d’un esprit si élevé. Prenez cet argent pour votre ami, et gardez votre liberté. »
70Avec le capitaine anglais, Dalabehera esquisse un marché : il propose son corps contre mille roupies. Les mille roupies serviront à son ami de rencontre pour survivre. Dalabehera s’attache ainsi à tout jamais cet homme ; ce dernier contracte là une dette « à vie », que seule la mort peut éteindre – ou bien le fait de sauver la vie de son bienfaiteur26.
71À Yama, au créancier suprême, Dalabehera remboursera en mourant la dette qu’il avait contractée, comme tout homme, en venant au monde. « Pour se libérer de la dette envers la mort, il n’y a que deux moyens : satisfaire le créancier, donc, en l’occurrence, s’abolir soi-même ; ou bien se mettre hors de son atteinte (...) la première est celle du sacrifice oblatoire, la deuxième celle de la délivrance27 ».
72L’action du héros se subdivise donc sur plusieurs niveaux. Les deux données du troc initial ont trois destinataires : le capitaine anglais, Yama, et l’ami réduit à mendier. En transformant sa capture en sacrifice oblatoire, Dalabehera satisfait le créancier suprême, et, ce faisant, il vient combler sa dette ultra-mondaine, divine.
73Le capitaine anglais, lui, n’est qu’un instrument. Son plan est réinterprété dans des termes nouveaux, sa logique exploitée dans un sens différent. Il est confronté à un double-bind28. La mise à prix était entre autre une incitation et une délégation de meurtre. Lorsque Dalabehera propose son marché, il dit au capitaine : tu seras mon bourreau et, ce faisant, le bienfaiteur de mon ami. Piège. Le gain entraîne forcément la perte. La générosité du capitaine est aussi un cri de soulagement. Il abandonne tout désir de vengeance, redonne au héros sa vie, abandonne à l’ami sa récompense, réconcilie les deux actions en en répartissant le bénéfice sur les deux personnages.
74Le héros a transformé une situation guerrière en une situation sacrificielle. Il a fait du débiteur un créancier. Cette transformation accule le débiteur, ne lui laisse aucune échappatoire, car elle met à nu, dans un resserrement temporel frappant, le mécanisme déterminant de la dette, et l’injonction qui en découle, celle de rendre.
75Imaginons que le capitaine ait passé outre, qu’il ait fait mettre le héros à mort. Recevoir en « don » ce que l’on désire gagner, vaincre, surmonter, c’est trouver satisfaction dans l’objet même, le fétichiser en quelque sorte. Se priver de l’action qu’implique son accession, c’est, dans ce cas, affronter une déperdition de son être propre et s’endetter auprès d’autrui qui comble le désir. L’homme sacrificiel incarne dans toute sa plénitude l’objet carrefour, dont on a pu voir, dans les contes précédents, qu’il pouvait appartenir à un ordre plus symbolique que substantiel. Accepter ce sacrifice est dangereux pour les hommes, car il réamorce une dette et engendre une frustration (puisqu’il s’abolit). Seuls les dieux et Yama, plus particulièrement, sont en mesure d’en être les débiteurs.
76Après ce détour chez les gens de guerre, les kṣatriyas, où la morale revêt une certaine grandeur, où le code de l’honneur transforme les situations de cruauté en « happy ends », nous aurons parcouru, grâce au dernier conte29, où les héros appartiennent à la caste vaiśya (commerçants et agriculteurs), toute la hiérarchie des castes. Comme on pourra le constater, la relation relatée ici est plus proche de celle rencontrée dans les contes concernant les śūdras, les gens de service. Mais, rappelons-le, c’est l’intérêt porté aux différentes modalités de l’objet, dans les transactions inter-humaines, qui nous a conduit à suivre cette chronologie. L’ensemble des références dont on dispose maintenant devrait permettre de mieux apprécier la spécificité de ce dernier récit, où le merveilleux de l’objet sert le réalisme le plus pessimiste, quant aux relations entre les hommes.
77Comme l’annonce le préambule, il ne peut y avoir aucun amour entre l’usurier et le paysan30. Darling31 l’explique dans son ouvrage situé, comme ce conte, au Panjab ; il montre que les intérêts entre banya (prêteur d’argent) et paysan sont si opposés que le premier utilise tout son arsenal magique pour empêcher les pluies de tomber. Par exemple, pour prévoir sa bonne ou sa mauvaise fortune, il remplit une lampe de ghī. Si la lumière s’éteint, c’est signe que les nuages se disperseront et qu’ainsi les prix monteront.
78Un jour, Shiv Singh va voir le banya Ramanand :
– » Je deviens vieux, Frère, et je n’ai amassé ni grain dans ma grange, ni bijoux dans le coffre de ma femme, ni piété dans le temple. Dis-moi comment on devient riche, afin que je remplisse ma grange comme tu l’as fait. Je veux aussi faire à ma fille cadette une dot d’or, et ériger une pierre en mémoire de ma femme morte, même si je ne peux construire un temple comme celui que tu as construit. »
Le banya réfléchit : « – Tout vient de Bhagvān. Il prend et donne. Va le voir. »
Et le paysan s’en fut avec des rotis pour le pèlerinage. Il rencontre d’abord un pandit qui lui dit – « Va n’importe où, tu trouveras Bhagvān. » Puis un ascète qui ne répond rien ; et, enfin, un très vieil homme.
– « Où vas-tu, lui demande celui-ci. – Je cherche Bhagvān. – Je suis Bhagvān. Que veux-tu de moi ? Le paysan lui raconte son histoire et Bhagvān lui donne une conque. – Quand tu souffles dedans, fais un vœu, tu seras exaucé. Mais attention au banya, car ni Dieu, ni l’homme, ni la magie, ni les prières, ni les malédictions ne peuvent rien contre lui. »
Le paysan heureux rentre au village. Le banya comprend à sa mine réjouie qu’il a rencontré quelque bonne fortune. Il lui extorque son histoire ; le paysan qui se méfie néanmoins n’indique pas comment il faut souffler dans la conque. L’usurier la lui vole et fait venir le paysan.
– « J’ai la conque. Mais quand je souffle dedans, rien n’arrive. Faisons un marché. Je te la rends, mais promets-moi de me donner le double de ce que tu obtiens à chaque fois que tu souffles dedans. »
– « Non, non, répond le paysan, tu veux toujours quelque chose pour rien. L’intérêt, toujours l’intérêt... »
– Tu fais le difficile, dit le banya. Tu sais pourtant que tu auras plus que ce que tu as jamais eu, plus que tes besoins. Regarde, je vis dans une plus grande maison que toi. J’ai plus de fils que toi. Et nous portons de la mousseline, alors que vous portez des habits tissés à la maison. C’est pourquoi je dois avoir deux fois plus que toi. »
79Le paysan comprend que le banya sera toujours deux fois plus riche qui lui. Et ce n’est que parce que sa moisson périssait, faute de pluies, précisément, qu’il souffla dans la conque. Un puits apparut sur son champ, et deux puits sur les champs du banya.
80Frappé d’étonnement et plein d’envie, le paysan se prit à réfléchir sur les causes de sa malchance. Il décide finalement de rendre la monnaie de sa pièce au banya. Soufflant dans la conque il demande : « O Bhagvān, fais-moi aveugle d’un œil. » Un de ses yeux devint aveugle. Mais le prêteur d’argent devint aveugle des deux yeux. Et comme il allait d’un puits à l’autre, il tomba dans l’un d’eux et mourut.
81C’est l’unique fois, dans toute l’histoire de l’humanité, ajoute le conteur, qu’un fermier obtint plus qu’un usurier. Seulement, même dans ce cas, il perdit un œil dans le marché.
82Bhagvān avait prévenu le paysan. Ni Dieu, ni les hommes ne peuvent rien contre le banya. Sans léser le paysan, sans porter atteinte à la fonction de la conque donnée par Bhagvān, le banya ménage l’espace d’un « marché », grâce auquel la conque produit trois objets au lieu d’un seul. Il n’ampute pas le bénéfice que devait en recevoir le paysan ; il y ajoute simplement le sien propre, en le doublant. Le trésor que constitue la conque est là encore, sous condition. Son usage n’est plus limité à des fins égoïstes, mais étendu à deux personnes. On pourrait s’en réjouir, et y reconnaître l’une des propriétés inhérentes à tout trésor. Son amassement, sa stabilité, sa consolidation ont pour corrélat sa dépense. Son propriétaire – surtout s’il est roi, comme nous l’avons vu dans les contes de la première partie – est créancier de tous ceux qui en sont privés.
83L’objet (la conque) est donc exploité selon la cohérence qui lui est propre. Il détermine la transformation physique de son propriétaire (sa « mine réjouie ») ; la transformation du rapport de celui-ci avec le monde matériel brutalement et globalement accessible. Ces transformations, visible ou potentielle, empêchent le secret qui l’entoure de perdurer. Sa fonction de trésor impliquait cette publicité ; trésor infini de surcroît, ses bénéficiaires ne peuvent que se multiplier.
84Mais examinons les moyens par lesquels l’objet acquiert ce statut. Le banya demande deux fois plus. Pourquoi ? Il l’explique complaisamment. Il a plus de fils ; sa famille se vêt d’habits de mousseline. Il fonde donc son exigence sur un état de fait qui doit, en tout état de cause, se perpétuer. Sa richesse implique qu’il s’enrichisse. Pour reprendre la distinction pascalienne32, « le superflu lui est nécessaire ». L’assurance avec laquelle il énonce cet axiome, l’autorité dont il s’investit sont une humiliation supplémentaire pour le paysan, et une provocation cruelle. N’oublions pas les paroles de ce dernier lors de sa requête : il veut mettre du grain dans sa grange, doter sa fille cadette, rendre hommage à sa femme morte. Trois propositions qui désignent trois malheurs : économique, biologique (le banya a des garçons), religieux (le banya a fait construire un temple alors qu’il ne peut honorer sa femme morte). Toute sa misère est là ; la richesse semble pouvoir se jouer de tout.
85À travers des moyens malhonnêtes – vol, chantage – les fruits de la quête du paysan tombent aux mains du banya. Métaphore claire du quotidien, du rapport qui prévaut entre le créancier et son débiteur. Le mode d’enrichissement du premier – l’intérêt – est prélevé sur la force de travail du second. Que l’on se rappelle la « leçon » des brahmanes aux rois qu’ils obligent à travailler de leurs mains. Et la complémentarité est si bien amarrée, elle fonctionne depuis si longtemps, qu’elle persiste au moment même ou elle semblait pouvoir être retournée. Nagappa l’usurier et Mada son serviteur nous ont déjà familiarisés avec ce type de relations ; quoi que fasse le débiteur, il ne peut être perçu comme créancier par son créancier à vie. Mais ici le paradoxe est renforcé, car le paysan avance le capital initial – la conque – et verse les intérêts : les deux puits par exemple. Il est à la fois créancier et débiteur, et responsable de ce fait, à cause de sa parole imprudente.
86La malignité du banya est comparable à celle de Dalabehera : elle piège son interlocuteur dans un double-bind, dont il se libère, non pas comme précédemment « en retirant son épingle du jeu », mais en jouant la carte de « qui perd gagne ». À la cupidité infamante du marché proposé par le banya le paysan répond par la violence corporelle, l’amputation pour lui et l’autre. La solidarité fonctionne donc là encore : il faut que le paysan passe par la perte d’un œil pour que le banya devienne aveugle.
87On pourrait qualifier cette vengeance d’obsessionnelle, afin d’évoquer ce qu’elle a de malsain, de dérangeant et de choquant. Comprendre la torture morale que le banya inflige au paysan est une chose ; constater, que, malgré la garantie de richesses qui lui incombe grâce à la conque, le paysan ne peut en jouir, est autre chose. Le bonheur de l’un est donc à la mesure du malheur de l’autre, de même que le malheur du paysan faisait la fortune du banya. Il faut donc accepter cette radicalisation des positions, pour que le plaisir du paysan soit désempoisonné, qu’il bénéficie pleinement du don de Bhagvān.
88Il ne reste donc qu’à donner quelque chose pour prendre à l’autre, à se mutiler pour que l’autre meure.
89On s’étonnera de la place qu’occupe cette dernière histoire : c’est qu’elle est la seule, parmi tous ces Folk Tales of India Series, à se situer dans un contexte aussi résolument réaliste (cf. le préambule), et surtout, à déboucher sur la mort, à ne pas éluder la violence contenue dans le contrat social, tel qu’on peut l’observer, non seulement dans les contes, mais dans l’histoire factuelle des sociétés33.
90Il s’agit, pour Shiv Singh, de transformer l’aliénation forcée en aliénation volontaire ; d’imposer son sens propre à ce qui était rempli du sens ennemi. Devenu créancier d’un débiteur qui réussit à dévoyer sa position par le double profit qu’il tire de la créance, il a recours au châtiment.
« D’où a-t-elle tiré sa puissance, cette idée primordiale que le dommage et la douleur sont des équivalents », interroge Nietzsche dans La Généalogie de la morale34. Voici en quoi consiste l’équivalence, poursuit-il : « Au lieu et place d’un avantage qui compense directement le dommage causé, il est accordé au créancier une sorte de satisfaction [...] la volupté de faire le mal […] Grâce au châtiment infligé au débiteur, le créancier prend part au droit des maîtres ; il finit enfin lui aussi par goûter le sentiment anoblissant de pouvoir mépriser et maltraiter un être […] la compensation consiste donc en une assignation et un droit à la cruauté. »
91Rendre aveugle le bania appartient à ce type de mécanisme, de même que l’œil perdu du paysan représente la « faute » du débiteur qu’il est par état, l’équivalent, en douleur, de la dette qu’il a depuis toujours contractée avec l’usurier.
92Le pacte social, fondé sur la reconnaissance des droits et des obligations est une tentative pour échapper à l’état de nature qui prévaut ici. En effet, l’aliénation volontaire est la garantie de la liberté individuelle, lorsqu’elle est entendue, comme l’écrit Rousseau35 : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale : et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. » Sur la règle de réciprocité s’appuie, entre autres, le fonctionnement de ce pacte idéal. Les contes montrent à l’intérieur de quelles limites cette réciprocité est observée, quelles sont les bornes assignées à chacun dans les transactions qu’il opère, la part de ce qu’il donne et la part de ce qu’il reçoit. La simplicité narrative permet de mesurer la difficulté impliquée dans chaque action de ce type : la traduction constante de biens moraux en biens matériels, ou réciproquement ; l’ingérence affective, la reconnaissance préalable du statut de chacun, toutes ces données impriment leurs marques particulières, et confèrent à chacune des situations une spécificité réelle. Entre le droit à la cruauté sur lequel s’achève le dernier conte, et la générosité des rois, les différences sociales s’expriment avec netteté. Mais dans cette société hiérarchisée, où la répartition des fonctions est fixée, les comportements affectifs ne sont pas les produits d’un choix individuel, ni les symptômes héroïques d’une liberté et d’une imagination qui se rêveraient seules à l’œuvre. Ils sont inscrits dans le système, comme le prouvent les quatre contes à histoires parallèles (17, 18,19 et 20). La relativisation des valeurs matérielles n’est possible que grâce au système coprésent des valeurs morales, auxquelles adhère la société – sans quoi ces contes resteraient incompréhensibles.
93C’est là que, de nouveau, l’ambiguïté de l’objet mérite d’être soulignée. Comme nous l’avons observé, il n’a ni le statut d’un pur support transitif aux relations interpersonnelles, ni celui d’une substance dont découleraient des « commandements » destinés aux hommes. L’objet participe de ces deux modalités, et c’est le jeu continuel de l’une à l’autre qui permet aux hommes de vérifier leur désir de vérité – et, surtout, leur désir tout court. La contrainte de rendre (illustrée dans tous les contes sans exception) est absolue, irrémissible, et vraie pour tous : dieux, rois, brahmanes, guerriers, paysans, serviteurs. Mais chacun obéit à cette loi selon les moyens et les pouvoirs dont il dispose. Dans les cas extrêmes, on ne rend qu’un équivalent symbolique (chanson du tisserand, bruit des pièces d’or de Nagappa l’usurier) ; dans d’autres, on paye le prix fort – ajouter un surplus en rendant, c’est servir l’intérêt, payer l’usure36, et, dans le cas des rois, cela correspond à la rupture de la dépendance dans laquelle ils étaient momentanément tombés. Le paysan Shiv Singh rend à l’usurier sans jamais pouvoir rendre la somme initiale. Il ne paie que les intérêts. Sa dépendance n’est pas accidentelle, c’est un état. Sa dette est aussi longue que sa vie ; comme l’avoue Yudhisthir, la contrainte de rendre ne fait pas plaisir ; quand on ne peut pas rendre, quand même on le voudrait, la misère est inextricable.
94L’égalité idéale du pacte social est donc illusoire, et la société indienne, comme la montré Louis Dumont37 a plus que tout autre refusé cette illusion. Elle a théorisé l’inégalité que toute société semble inévitablement produire, et elle continue, aujourd’hui, encore, à fonctionner sur ces prémisses de la différence héréditaire. Mais d’une caste à l’autre, il y a des règles d’échange. Ainsi la générosité royale constitue une sorte de remède à l’inégalité constitutive des groupes sociaux. Les rois contractent des échanges d’une qualité supérieure : les profits sont tout à la fois matériels et moraux, leur distribution est juste, l’équilibre obtenu satisfaisant. Mais, remarquons la forme particulière que prend souvent pour le roi « le pacte social » : il est représenté comme un don.
« Or le don entache la liberté d’autrui […] l’acte de retour est une tentative vaine pour reconquérir la liberté perdue : s’il libère de l’obligation contractée, il emprisonne maintenant celui qui reçoit à son tour […] à la différence du contrat, le don introduit une forme récursive d’aliénation en même temps que le moyen éphémère de la conjurer. »38
95S’ils sont des tyrans, comme dans « L’os du désir », les rois risquent tous leurs biens pour un objet qui n’a pour attrait que sa capacité à se refuser – et leur désir, ici du moins, « tombe sur un os ».
96S’ils sont justes, ils paient de leur personne, mais le prix qu’ils paient prend des formes métaphoriques. Deux heures de travail suffisent pour produire des arbres miraculeux, des trésors perpétuels. Bons ou mauvais, les rois sont dans la production de la dépense des richesses. Comme ils détiennent leur royaume, biens, terres et personnes de leurs sujets, ils doivent rendre avec générosité. Le don n’est que l’expression consacrée de cette obligation qui conduit le roi à se proclamer « salarié » comme ses soldats.
97Par contre, les pauvres en sont « à l’état de nature », tel que le décrit Nietzsche. La différence sociale entre l’usurier avare et son serviteur correspond à une appartenance de caste différente ; mais entre le paysan et le banya, il n’y a pas d’écart. « La jouissance de tyranniser est d’autant plus vive que le rang de créancier sur l’échelle sociale est plus bas […] ». Alors que l’inégalité maximale semble garantir la conduite harmonieuse des transactions, la quasi-égalité des statuts, jointe à une grande disparité matérielle, détermine des rapports de force qui débouchent sur la violence, le châtiment moral (humiliation), ou corporel (mutilation). L’échange est bien la structure identique qui caractérise, dans la représentation, les relations interpersonnelles. De même, la dette est-elle constitutive de tout être humain. À ce niveau, les hommes jouissent des mêmes devoirs et des mêmes droits. Dans ces contes, les univers sociaux sont si différenciés que les variations des « droits » et des « devoirs » conduisent à s’interroger sur cette identité formelle et cette égalité d’ordre théologique. L’égalité idéologique est-elle un moyen d’oublier l’inégalité face à face ? Doit-on lire, finalement, dans ces récits, l’orientation volontairement inégalitaire de la société indienne, et les justifications qu’elle en propose ?
Notes de bas de page
1 Comment on rembourse une dette, in K. A. Seethalakshmi, Folk Tales of Himachal Pradesh (Delhi 1971), pp. 88-89.
Notons que, dans le droit musulman, la notion de culpabilité est clairement dégagée. En effet, le règlement de la dette comporte deux aspects différents, liés à des temporalités différentes : l’aspect matériel du contrat, d’une part, qui cesse au moment où la compensation matérielle s’effectue (Haftung en allemand) ; l’aspect moral, de l’autre, contracté au moment même de l’emprunt (Schuld), et qui ne disparaît qu’avec la mort du débiteur. Cf. C. Chehata, Théorie générale de l’obligation en droit musulman hanéfite (Paris 1969), p. 87.
2 Folk Tales of India Series (P. C. Roy Chaudhury, general editor, Delhi) comprennent une vingtaine de volumes publiés en Inde dans une version anglaise. Chaque volume est compilé par un éditeur particulier, et concerne une région particulière du pays. J’indiquerai, au cours du travail, les références particulières à chacun des volumes (date de publication et pagination). Pour le repérage des contes je procéderai ainsi : chaque conte, mentionné d’abord par son titre, est suivi d’un appel de note qui renvoie à ses références bibliographiques. Le numéro de cet appel de note sera utilisé, à chaque fois qu’il est nécessaire, pour désigner ce conte particulier.
3 Que l’on se reporte par exemple aux différentes acceptions des deux mots qui signifient « don » en grec ancien (Benveniste, Problèmes de linguistique générale [Paris 1966] pp. 315-336) : l’un désigne « le don de générosité, de reconnaissance ou d’hommage tel qu’il est incorporé dans l’objet offert… il n’impose pas l’obligation de rendre », tandis que l’autre désigne « le don obligé offert à un chef qu’on veut honorer, ou le don auquel on est tenu à l’égard d’un hôte. » Il inclut toujours l’idée de réciprocité.
4 En utilisant les termes de créancier et de débiteur, l’analyse des relations interpersonnelles se situe d’emblée dans un champ d’ordre économique. Il s’agit ici de dettes au sens restreint, par opposition au sens large que le terme prend parfois, lorsqu’il est appliqué à d’autres champs sémantiques.
5 À la sueur du front, K. P. Bahadur, ed., Folk Tales of Uttar Pradesh (1972), pp. 50-54.
6 L’arbre à roupies, Dr Mrs I. Sheorey, ed., Folk Tales of Maharashtra (1973), pp. 23-25.
7 M. Biardeau et C. Malamoud, Le sacrifice dans l’Inde ancienne (Paris 1976), pp. 200-201.
8 U. N. Ghoshal, ed., A History of Indian Political Ideas (Oxford 1959), pp. 163-164.
9 Le moment propice, K. A. Seethalakshmi, ed., Folk Tales of Tamilnadu (1969), pp. 94-97.
10 Cf. Histoire de Cogia Hassan Alhabbal in Les Mille et une Nuits, T. III, trad. de A. Galland (Paris 1965), p. 211.
11 L’hindouisme soutient la théorie des renaissances, qui implique la notion de karman, ou effet de l’acte. Chacun de nos actes participe à la somme de nos mérites et de nos démérites, et la forme sous laquelle on renaît dépend de cette comptabilité morale. « En quelque état d’esprit qu’on accomplisse une action, on en recueille le fruit dans un corps de qualité correspondante. » Manu, XII, 53-81, cité par L. Renou, Anthologie sanskrite (Paris 1961), p. 199. Dans ce conte, le pauvre homme a une malchance si obstinée qu’elle semble karmique et non hasardeuse.
12 Le lit magique. Folk Tales of Uttar Pradesh, op. cit. pp. 62-67.
13 Le don de Dieu, M. Prakasi, ed., Folk Tales of Bihar (1973), pp. 115- 118.
14 Akbar (1556-1605), empereur de l’Empire Moghol, grand guerrier, grand administrateur, grand politique, est un personnage saisissant par son audace qui, semble-t-il, s’est exercée dans tous les domaines qu’un être humain peut embrasser au cours de son existence. Musulman à l’origine, il aboutit progressivement à l’élaboration d’une religion « akbarienne », inspirée du Coran, de la Bible, des textes religieux hindou, Jaïns et Sikhs. Cf. V. A. Smith, The Oxford History of India (Oxford 1958), pp. 357- 362.
15 Namāz, ou namāj, « Prayer, esp. the prayers prescribed by the Muhammadan law, which are said five times a day. » J. T. Platts, A Dictionary of Urdu, classical Hindi and English (Oxford 1965), p. 1153.
16 L’os du désir, K. A. Seethalakshmi, ed., Folk Tales of Himachal Pradesh (1972), pp. 93-96.
17 Comment une méchante belle-fille fut punie, Folk Tales of Tamilnadu (1969), pp. 75-79.
18 Ne soyez pas envieux, Folk Tales of Tamilnadu (1969), pp. 34-37.
19 La conque, S. Mohanty ed., Folk Tales of Orissa (1970), pp. 59- 61.
20 L’histoire de Sukhu et Dukhu, G. Majumdar ed., Folk Tales of Bengal (1970), pp. 61-72.
21 M. Mauss, Sociologie et anthropologie (Paris 1960), pp. 145-171.
22 Nagappa l’usurier, S. Chandran, ed., Folk Tales of Karnataka (1973), pp. 117-119.
23 Dans les Cinq cents contes et apologues extraits du Tripitaka chinois (Paris 1962), II, p. 195, on trouve le récit suivant :
« Un musicien faisait de la musique devant le roi ; celui-ci lui avait promis mille pièces de monnaie ; mais quand il les réclama, le roi ne les lui donna pas et lui dit : « Quand vous faisiez de la musique, vous avez amusé mes oreilles du vain son ; en vous donnant des pièces de monnaie, j’amuserai aussi vos oreilles. »
24 Le débiteur habile, S. Parmar ed., Folk Taies of Madhya Pradesh (1973), pp. 94-95.
25 Comment un capitaine anglais courba la tête devant un chef rebelle. Folk Tales of Orissa, op. cit. pp. 37-40.
26 Ce conte reprend un très ancien thème narratif que l’on trouve sous trois versions différentes dans le Tripitaka chinois (op. cit.). Le roi abandonne son royaume pour lui épargner une guerre (conte 10) ou pour ne pas causer de souffrances à son peuple (conte ii). Sa tête est mise à prix par son ennemi. Il la donne à un brahmane pour qu’il touche la récompense promise (contes 10, 11 et 191). A partir de cette matrice commune, les récits divergent. Le plus proche de notre conte indique que le roi vainqueur, touché par tant de vertu, replace la tête de l’ancien roi sur son corps. Il recouvre toute sa personne de feuilles d’or et l’assied à la place d’honneur. Au bout de trente-deux ans, il met sur le trône le fils de ce roi décapité. La mort effective est donc suivi par un long processus de réhabilitation au terme duquel l’héritier du héros gagne la place du père. La mort à laquelle Dalabehera échappe ne donne lieu à aucun miracle, mais constitue plutôt une solution « miraculeuse ».
27 C. Malamoud, Le Svādhyāya, récitation personnelle du Veda, Taittirīya-Āraṇyaka, Livre II (Paris 1977), p. 28. « La dette impayée que j’ai ici-bas, le trésor de Yama que j’ai en dépôt, je m’en acquitte, Agni, de mon vivant même, et je te le restitue. », ibid., p. 117. Rappelons aussi pour mémoire le Śatapatha-Brāhmaṇa, I 7, 2, 1-6 traduit par S. Lévi : « Tout être en naissant naît avec une dette due aux Dieux, aux saints, aux Pères, aux hommes […] si on sacrifie c’est que c’est là une dette de naissance due aux Dieux […] si on désire de la progéniture, c’est que c’est là une dette de naissance due aux Pères […] et si on donne l’hospitalité, c’est que c’est là une dette de naissance due aux hommes ; c’est pour eux qu’on le fait […] quant on leur donne à manger. » Doctrine du sacrifice (2e éd., Paris, 1966), p. 131.
28 Le terme double-bind s’emploie lorsqu’il y a sommation de répondre à une injonction paradoxale. Dans la situation intenable qui en découle, toute réponse sera fausse ou inepte (c’est-à-dire renvoie à la malignité ou à la folie). « Soyez spontané », « Ne lisez pas ce signe » sont des double-binds exemplaires. P. Watzlawick, Pragmatics of human communication (New York 1967).
29 Le paysan et l’usurier, M. R. Anand, ed., Folk Tales of Punjab (1974). pp. 11-16.
Ce conte figure aussi dans le recueil édité par F. A. Steel, Tales of Punjab (MacMillan and Co, 1894 ; 2nd edition, Toronto, 1973), sous le titre : The farmer and the money-lender. Mais il débute sans préambule par la phrase : « There was once a farmer who suffered much at hands of a money-lender ». L’éditeur précise que ce conte lui a été narré par « a Jaṭṭ boy in Rohtak ».
30 Je cite le préambule in extenso : « There is a legend that there can be no love lost between the peasant and the moneylender. The peasant scratches the earth with his plough, sows the seed for the harvest and waits for god to bring the rains. The shopkeeper is generally also the moneylender. He advances cash to the peasant on interest, to survive through the waiting time before the harvest ripens. He also offers to help the peasant through the lean times, if there is no rain and no fruit, or when there is some other calamity like a flood. Always, the peasant tends to look ail bone and some flesh. The moneylender has a rounded belly, no neck, and he has flabby, rounded shoulders, with a cunning, evasive smile on his face. The moneylender is clever : He doles out foodstuff and cloth and other good things to the clients for half cash, half credit. He writes down the accounts in his big, red clothcover logbook, in figures about which it is said : “writes Moses-reads god. ’’ The peasant finds that, once he has taken credit from the banya, without paying cash, the interest on the debt goes on increasing by leaps and bounds. And then, all his life, he is paying only the interest and never the first sum he borrowed. As the moneylender makes the peasant’s eldest son also put his thumb impression on paper, he involves the family in debt for ever. »
31 Sir M. Darling, The Punjab peasant in prosperity and debt (Bombay 1947).
32 Pascal, Lettres écrites à un provincial (Paris, Garnier-Flammarion, 1967), pp. 164-165. Dans sa XIIe lettre, Pascal réfute l’opinion de Vasquez, dont se réclament les Pères Jésuites, selon laquelle les riches ne sont pas tenus de faire l’aumône de leur nécessaire ; quant à savoir s’ils sont obligés de donner l’aumône de leur superflu « quoique l’opinion qui les y oblige fût véritable, il n’arriverait jamais, ou presque jamais, qu’elle obligeât dans la pratique. » Reprenant les paroles de saint Augustin, Pascal rappelle : « Nous avons beaucoup de superflu, si nous ne gardons que le nécessaire ; mais si nous recherchons les choses vaines, rien ne nous suffira… souvenez-vous mes frères que le superflu des riches est le nécessaire des pauvres. »
33 J. Pouchepadass, L’endettement paysan au Bihar, ici même, pp. 165- 205.
34 F. Nietzsche, Généalogie de la morale (Paris, Gallimard, 1964), pp. 86-87.
35 J. J. Rousseau, du contrat social (Paris, Éditions Sociales, 1964), p. 68.
36 G. Bataille, Œuvres complètes, (Paris 1976), t. VII, p. 203.
37 L. Dumont, Homo hierarchicus (Paris 1966).
38 R. Guidieri, L’abondance des pauvres (lecture critique de l’ouvrage de M. Sahlins, Stone Age Economics, paru en français sous le titre Âge de pierre, âge d’abondance), Critique [331], avril 1978, 405-424.
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