1 En 1961, 65 % des Français meurent encore à domicile. En vingt ans, cette proportion s’est inversée : en 1987, 66,3 % meurent désormais à l’hôpital. Le chiffre se stabilise ensuite autour de 70 %, pour atteindre, semble-t-il, 72 % en 2001, puis 75 % en 2002. Pour les deux premiers chiffres, voir C. Couvreur, Les nouveaux défis des soins palliatifs, Bruxelles, De Boeck, 1995. Le chiffre de 70 % est le chiffre stabilisé présent longtemps dans l’ensemble de la littérature, voir par exemple R. SebagLanoé, Mourir accompagné, Paris, Desclée de Brouwer, cité (sans date) in A. -M. Mollier, Genèse et élaboration d’une politique publique pour l’accompagnement de la fin de vie, thèse, Grenoble, Université PierreMendès-France, 1995, p. 8. Le chiffre de 2001 est couramment avancé par les professionnels et celui de 2002 l’est par le ministre de la Santé, Bernard Kouchner, à l’occasion d’un colloque organisé en février 2002 par son ministère. Ces chiffres nous ont été fournis par Charlotte Daïen. Mais le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, La mort à l’hôpital, 2009, récuse en partie cette analyse : « environ 58 % des Français meurent dans un établissement de santé : 49,5 % dans un hôpital public ou privé et 8,4 % en clinique privée. Contrairement à ce qui est couramment affirmé, ce pourcentage ne tend pas à augmenter » (Synthèse, p. 3 : signalé à nous par Florence Ollivier).
2 Une étude de The Lancet, publiée par le journal Le Monde le 8 août 2003, montre qu’entre un quart et la moitié des décès ont lieu, en Europe occidentale, à la suite d’une décision médicale, et c’est aussi le cas de plus de 50 % des décès en réanimation en France, F. Michaud-Nérard, La révolution de la mort, op cit, p. 28-29.
3 21 jours, telle serait par exemple, la durée moyenne de présence des mourants en services de soins « palliatifs », qui avouent clairement leur vocation d’administrer, sans ambition curative pourtant, ces populations dans un contexte médical, essentiellement hospitalier.
4 Dr. E. Ferrand et al, « Circumstances of death in hospitalized patient. », art. cité, p. 869.
5 En 1981, 0,35 % de femmes demandaient une amniocentèse, elles sont 6,4 % à le faire en 1995, le nombre de visites prénatales passant pendant la même période de 42,5 % à 73,3 %, et le recours à trois échographies de 14,7 % à 41,9 %, d’après une enquête INSERM, cité in B. Andrieu, Médecin de son corps, Paris, Puf, 1999, p. 45.
6 Un chiffre éloquent à cet égard-même s’il ne porte que sur le service parisien de Port-Royal-et révélant que la mortalité enfantine à l’hôpital a connu une véritable révolution : « 1967, près de 80 % de nouveau-nés de moins de 1 200 grammes décédaient au cours de leur séjour en soins intensifs. En 1984, près de 80 % survivaient », A. Paillet, Sauver la vie., op cit, p. 39.
7 « Tandis qu’au début des années 1970 les réanimations étaient habituellement tentées à partir de 32 semaines d’âge gestationnel ou d’un poids de naissance de 1500 grammes, les réanimations à 28 semaines ou 800 grammes sont devenues plus courantes au début des années 1980, et c’est même d’un seuil de 24 ou 25 semaines dont on parle aujourd’hui », Ibid, p. 39-40.
8 F. Michaud-Nérard, La révolution de la mort, op cit
9 Pour un excellent résumé de la théorie de Giorgio Agamben : « Agamben appelle “ vie nue ” cette forme d’être que le pouvoir souverain pose à l’extérieur de son ordre comme insacrifiable et pourtant tuable. Cette expression désigne un être qui n’a pas d’autre vie que biologique, parce qu’il ne fait pas partie de l’espace politique : c’est au sens propre un survivant, en état de vie végétative, que la mort guette à chaque instant parce qu’aucune instance politique ne le protège, donc un être sans droits, pas même celui de vivre. Agamben reprend, pour éclairer cette notion, la distinction que fait Aristote entre bios et zoe : la “ vie nue ” est pure “ zoe ”, vie animale, elle n’est pas de l’ordre du “ bios ”, vie politique. C’est donc une figure limite : il n’y a jamais de pure vie nue, sinon au moment de la mort ; mais toute la structure du pouvoir souverain se constitue précisément en posant un tel état limite, qu’il tend à faire exister en faisant mourir les vivants qu’il exclut de son ordre. », F. Keck, « Les usages du biopolitique », L’Homme, vol. 3-4, n° 187-188, 2008, p. 305. Giorgio Agamben, comme Agnes Heller et Ferenc Feher, est placé par F. Keck dans la filiation d’un auteur comme Hannah Arendt pour qui la politique moderne porte aujourd’hui davantage sur la vie biologique que sur l’action des individus. À cette liste, il faudrait sans doute ajouter Nikolas Rose.
10 Voir J. Mossuz-Lavau, Les Lois de l’amour Les politiques de la sexualité en France (1950-1990), Paris, Payot, 1991, p. 77.
11 C’est le leitmotiv du « mourir si je veux, quand je veux », ou exprimé dans les termes de l’un de ses sympathisants : l’IVV, pour interruption volontaire de vieillesse.
12 Pour ce basculement de zoe vers bios, voir D. Memmi, « Administration du vivant et sacralité », in J. Lalouette (ed.), L’hôpital entre religions et laïcité, du Moyen Âge à nos jours, Paris, Letouzey et Ané, 2006 et D. Memmi, « La “ dignité ” : une protestation somatisée contre le libéralisme ? », in Ch. Girard et S. Hennette-Vauchez (eds.), Voyage au bout de la dignité Recherche sur un processus de juridicisation, Paris, Puf, 2005. Pour la notion de « biopolitique déléguée », voir D. Memmi, « Administrer une matière sensible : conduites raisonnables et pédagogie par corps autour de la naissance et de la mort », in D. Fassin et D. Memmi (eds.), Le gouvernement des corps Paris, Éditions de l’EHESS, 2004, p. 135-154.
13 Le registre des malformations de Paris enregistre depuis 1981 les cas de malformations et d’anomalies chromosomiques dans la population parisienne (environ 38 000 naissances annuelles). La France dispose de quatre registres de malformations congénitales surveillant les issues de grossesses de 14 départements.
14 C. De Vigan, « Le Registre des malformations de Paris : un outil pour la surveillance des malformations et l’évaluation de leur prise en charge », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 28-29, 8 juillet 2008, p. 250.
15 Agence de biomédecine, Centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal 2007 Rapport 2008, p. 281.
16 I. Perthus et al, « État des lieux des registres de malformations congénitales en France en 2008 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 28-29, 8 juillet 2008, p. 246.
17 F. Daffos et M. Voyer, « d’interruption de grossesse. À propos de 1 226 cas d’IMG entre 1989 et 1999 », in V. Merlesse (ed.), Interruption de grossesse pour pathologie fœtale, Paris, Flammarion, 2002, p. 26 et suiv.
18 Voir D. Memmi, Les gardiens du corps, op cit
19 Témoins, par exemple, de cette difficulté rencontrée par les soignants, mais aussi de leur volontarisme à la surmonter : une enquête effectuée auprès d’eux (M. Dumoulin, « Le mort-né et les soignants de maternité : le mort-né est-il considéré comme une personne humaine ? », Journal international de bioéthique, vol. 7, n° 1, mars 1996, p. 58-64) et la formation dispensée au cours de la même période par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (Les formations de l’AP-HP, Maternité et deuil, 28 novembre 1996, texte ronéot).
20 Tel fut l’objet de l’un de nos ouvrages précédents, D. Memmi, Faire vivre et laisser mourir., op cit
21 Ibid
22 C’est en 1974 encore qu’apparaissent les revendications qui vont aboutir à l’ouvrage de Claude Guillon et Yves le Bonniec, Suicide mode d’emploi, Paris, Éditions Alain Moreau, 1982. Et dix ans plus tard, la mouvance en faveur d’une euthanasie au moins partiellement déléguée aux patients accède à l’espace public. L’ensemble de ce mouvement s’accompagne d’une révolte aussi face au destin biologique après la mort : la première motivation des personnes favorables à la crémation est le refus de la putréfaction destin pourtant normal de la « vie nue ».
23 Voir notamment A. Paillet, Sauver la vie…, op cit
24 Voir les travaux d’Anne Paillet, Sylvie Fainzang, Marie-Christine Pouchelle et Dominique Memmi.
25 Y. Kniebielher, Accoucher., op cit
26 Comme nous l’avons constaté, voir D. Memmi, Faire vivre et laisser mourir., op cit
27 C’est le terme de préférence employé par L. Boltanski (« projet parental », « enfant par projet ») dans son ouvrage consacré à l’avortement, La condition fœtale., op cit.
28 Ibid
29 Ne serait-ce que parce que leurs compagnons ne sont pas obligés d’être présents au moment des entretiens précédant l’avortement-et nos observations in situ confirment cette relative absence.
30 Ce que résume excellemment V. Karady dans son commentaire de l’ouvrage de L. Boltanski sur l’avortement : « Y-a-t-il eu ou non projet d’enfant, dans la relation qui a produit l’engendrement ? C’est là en somme la question disponible pour encadrer la décision. Or sa fragilité est patente. [...] Se référer au projet parental, ce n’est plus se référer à Dieu, à la famille ou à l’État. D’une certaine manière, c’est se référer à soi, à sa volonté et à celle de l’autre (celui avec lequel le projet peut ou non prendre forme). En somme, le projet se configure à l’intérieur d’une relation interindividuelle qui est celle d’un engagement souple, susceptible d’être défait à un endroit et refait ailleurs [...] », V. Karady, « Arrangements avec l’irréversible », Critique, vol. lxviii, n° 695, 2005, p. 334-335.
31 2004, Trulson, p. 191, souligné par l’auteur de l’article.
32 2001, Samuelson, p. 125, souligné par l’auteur de l’article.
33 .2004, Trulson ; 2001, Samuelson.
34 1996, Radestad
35 M. Cuisenier, H. Jansen et al, « Pregnancy following miscarriage : Course of grief and some determining factors », J Psychosom Obstet Gynaecol, vol. 17, n° 3, 1996, p. 168-174.
36 Colloque ANCIC, L’avortement et la contraception, Cannes, 23-24 novembre 2007. Les délais seraient en moyenne d’une à deux semaines pour une IVG contre deux semaines et plus pour une IMG.
37 J. Rowe, P. Nelson et P. Schiller, « Follow-of families. », art. cité, p. 166.
38 .1993, Laroche, p. 62. Et les auteurs d’ajouter : « signalons que le score total de deuil était d’autant plus bas que la grossesse était rapprochée de la mort périnatale et les trois femmes ayant un jumeau survivant avaient les scores les plus bas » (p. 62).
39 2003, Prescrire
40 D. L. Davis et al., « Postponing pregnancy after perinatal death : Perspectives on doctor advice », J. Am. Acad. Child. Adolesc. Psychiatry, vol. 28, n o 3, 1989, p. 481-487.
41 Pour un témoignage récent de parents ayant perdu leurs deux enfants en bas âge dans des circonstances dramatiques, et ayant engendré très vite (dans les deux ans suivants) un autre enfant, voir A. -M. Revol, Nos étoiles ont filé, Paris, Stock, 2010.
42 L. Boltanski, La condition fœtale, op. cit.
43 Voir A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991 ; L’individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, 1995 (rééd. Hachette, coll. « Pluriel », 1996) et La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998.
44 Entretien par mail avec Élisabeth Martineau, 2008. Voir aussi son ouvrage, É. Martineau, Surmonter la mort., op. cit., p. 96-98.
45 Ibid
46 Groupe de réflexion, Diagnostic prénatal, op cit, compte-rendu de la réunion du 9 janvier 1991, p. 57.
47 Entretien par mail avec Élisabeth Martineau, 2008.
48 Ce sont des médecins qui ont milité, après la décision de la Cour de cassation abolissant les seuils préexistants, pour re-instaurer des seuils en deçà desquels on ne pourrait pas traiter un enfant mort-né comme on le fait d’un adulte.
49 Voir pour le travail de fabrication de compromis effectué par le CCNE, D. Memmi, Les gardiens du corps, op cit.
50 Entretien par un obstétricien, Institut de puériculture de Paris, 2000, souligné par nous.
51 C’est aussi ce que montre P. Yonnet dans son chapitre « Enfant désiré, enfant refusé : les deux aspects d’une même logique », quand il parle, mais de façon un peu plus psychologisante, de « division de la conscience » face à l’avortement, P. Yonnet, Familles 1 Le recul de la mort., op cit, p. 136 et suiv. et p. 194 et suiv.
52 Propos entendus au colloque L’enfant mort autour de la naissance., op cit.
53 Entretien avec une sage-femme, Hôpital Tenon, Paris, 2000.
54 1996, Radestad.
55 Observations participantes dans des services de procréation assistée à Paris, 1999 et 2000.
56 On aurait changé sur ce point non sans provoquer des réactions très négatives, C. Bonnet, Un geste d’amour L’accouchement sous X, Paris, Odile Jacob, 1990.