Chapitre V. Les obstacles à la rationalité économique de la grève
p. 150-199
Texte intégral
I. LE POIDS DE LA CONJONCTURE : PATRONS ET OUVRIERS DEVANT LA DÉPRESSION
1Le climat de la grève est la prospérité : la tiédeur du printemps, le feu de la « presse » lui sont favorables. C’est pourquoi son développement a été, après 1896, si vigoureux. A la tendance séculaire, au trend fondamental de croissance, s’ajoute l’impulsion d’un nouveau Kondrarieff de hausse. Tous les mouvements, long et court, s’épaulent. Avant 1896, à l’inverse, les pulsions sont contradictoires : le poids de la conjoncture déprime, infléchit l’élan ouvrier, le réduit à la défensive : Le « refus des bras » perd toute portée quand s’accroît la cohorte des sans-travail. La hardiesse ouvrière de prospérité a pour contrepoint le repli de la stagnation ; à l’image combative, fière et conquérante du gréviste, du producteur, fort de son rôle et sûr de ses droits, se surimpose la physionomie courbée, craintive et humiliée du chômeur.
1. ASPECTS DE LA DEPRESSION
2De 1871 à 1890, la croissance globale de l’industrie française continue, mais à un rythme ralenti ; son taux de croissance annuel est : 1,6 pour la décennie 1875-1884, 1,5 pour 1885-1894, selon J. Marczewski1 ; il se maintient surtout par les commandes de l’Etat dans la première décade ; dans la seconde, par la réduction des importations qui a pour effet d’accroître la demande de produits intérieurs : premiers résultats d’un protectionnisme en voie d’établissement. L’évolution de la population industrielle suggère aussi un ralentissement : entre 1872 et 1876, son taux de croissance annuelle avait atteint 3,95 % ; il tombe à — 0,11 pour 1876-1881 et — 0,68 pour 1881-18862. Le nombre des ouvriers d’industrie passe de 3 151 000 en 1876 à 3 303 000 en 18913. Et la baisse des prix impose une dure tension au profit industriel. Croissance maintenue donc, mais péniblement et avec à-coups : trois « crises » d’inégale intensité jalonnent la période : 1873, 1876-1879, 1883-1886. Les deux premières sont mal connues4 ; la dernière l’est assez bien, grâce à la thèse de J. Néré qui présente pour nous l’intérêt particulier d’avoir choisi comme critère l’évolution de l’emploi.
3Une étude minutieuse des tableaux dressés par les préfets (série F 12) lui a permis d’évaluer l’importance quantitative du chômage pour les principales industries et pour les principales régions. Très imparfaites en raison des carences des sources, ces estimations ont tout de même le mérite de donner un ordre de grandeur : 80 000 à 100 000 chômeurs (sur environ 800 000 travailleurs) pour le bâtiment en 1886 ; 20 000 pour la métallurgie à la même date, soit plus de 20 % ; de 30 000 à 50 000 pour les mines et carrières... Peut-être de 200 000 à 300 000 au plus fort de la dépression, environ 10 % du total des ouvriers d’industrie, voilà qui fixe l’acuité de cette crise et ses limites : elle n’a certes pas atteint les dimensions de celle de 1848. Pour ne prendre qu’un exemple, celui de Paris, d’après la Chambre de commerce, la diminution de l’emploi, dans la capitale, au cours du printemps de 1848, fut en moyenne de 50 à 75 % pour la plupart des industries5 ; or, les ouvriers eux-mêmes, au printemps 1883, parlent de 200 000 sans-travail à Paris, jamais davantage, soit le tiers des effectifs, et c’est un maximum. L’économie française n’est déjà plus totalement libérale ; le Second Empire a introduit les traditions dirigistes qu’a conservées la République6 ; expositions, grands travaux en sont les symboles ; Freycinet continue Haussmann.
4Ce qui rend le chômage de 1883-1886 si lourd à certains, c’est sa concentration en des régions précises, notamment pour les mines et la métallurgie, et J. Néré insiste sur ce point : « Les milliers de chômeurs dégagés par l’évolution de l’industrie métallurgique ne se trouvent pas dilués dans l’ensemble des régions industrielles, ils s’accumulent dans certaines zones où les possibilités de retrouver du travail sont réduites, et qui mériteraient déjà dans une certaine mesure le nom “d’aires déprimées” ». Au total, il s’agit moins d’un déclin global que d’un profond changement de structures, d’une modification de la concentration géographique au profit du Nord et au détriment des vieilles régions industrielles du sud de la Loire. La crise de 1883-1886 est un jalon dans l’histoire du sous-développement de la France méridionale.
5Les souffrances créées par le chômage sont accrues par l’absence de mobilité de la main-d’œuvre dans certains secteurs, par l’accentuation des rigidités dans un marché en voie de fixation : vaste problème que celui-là, sur lequel nous ne possédons encore que des vues fragmentaires. Elles suggèrent un enracinement de la main-d’œuvre ; la sédentarité des ouvriers du textile est connue : on « est » d’une maison, on y meurt ; celle des mineurs est largement acquise : la politique des compagnies fait reculer le vieux type de mineur semi-paysan, moissonneur d’été, et crée des dynasties vouées à la mine. Ainsi, à Bully-Grenay, entre 1871 et 1891, l’apport extérieur se tarit : « le groupe social, détaché de ses origines exotiques, s’est différencié, il est devenu spécifique »7 Le bâtiment se fixe dans ses parties les plus nobles ; Boulé déclare à la commission d’enquête de 1884 que parmi les tailleurs de pierres il y avait autrefois, une vingtaine d’années auparavant, 30 % de sédentaires et maintenant 70 %. L’abondance des grands travaux dans la capitale a retenu les compagnons ; ils ont fait venir leurs familles et les voilà enracinés. Même « il y a à Paris des ouvriers qui ne sont pas mariés et qui certainement ne le quitteront pas, quoi qu’il arrive ; ils préfèrent souffrir à s’en aller... Parce qu’ils ont leurs habitudes à Paris et qu’ils n’ont plus d’attache au pays »8. Le migrant temporaire se fait plus exceptionnel ; de plus en plus, c’est l’étranger, l’Italien surtout. La main-d’œuvre apparaît moins mobile que fluide : le chômeur accepte bien de changer de métier, c’est-à-dire la plupart du temps de se déqualifier, mais il refuse de plus en plus de changer de lieu ; il veut être employé là où il se trouve, d’où l’importance accordée aux chantiers municipaux. La revendication du droit au travail prend des racines. De nos jours, ce problème est au cœur de toutes les difficultés de reconversion industrielle9.
2. PATRONAT ET DEPRESSION
6La condition — et la réaction — ouvrière, en cas de crise, dépendent largement de l’attitude du patronat. Touché dans son profit, celui-ci cherche dans un mouvement naturel à le défendre. On sait que la panoplie de ses armes est, dans l’absolu, relativement variée, mais qu’en fait, assez peu imaginatif, il recourait surtout à la réduction de salaire, cette panacée. Sous la Troisième République, bien que la législation ne lui oppose encore aucune restriction, il ne peut déjà plus en user à sa guise. L’opinion, la morale communes, par-dessus tout la réaction ouvrière, prévisible parce que expérimentée, imposent à l’arbitraire patronal des limites en quelque sorte historiques.
7Aussi le patronat hésite plus qu’autrefois à s’en prendre au taux du salaire. Quoique l’enquête de 1872 témoigne d’une mentalité assez rétrograde dans son ensemble, il s’y trouve pourtant des patrons pour estimer qu’on ne doit « jamais retirer une augmentation de salaire une fois accordée »10 ; grands patrons, en général, ou industriels d’origine étrangère qui estiment archaïque le libéralisme des mœurs industrielles françaises, tel l’Anglais Sydenham, filateur de coton à Doullens (Somme) : « Il ne faut pas s’attendre, dit-il, à ce que tous les patrons soient philanthropes, et il serait à désirer que l’ouvrier soit plus sérieusement protégé par la loi ; et que les conditions de travail soient nettement définies et strictement imposées à tout le monde »11, et il se prononce pour un taux de salaire garanti. En 1878, lors de la crise de l’industrie cotonnière, les fabricants et commissionnaires vosgiens, réunis à l’hôtel de ville de Remiremont, repoussent la réduction de salaire comme néfaste puisqu’elle aura pour effet d’accentuer encore la sous-consommation, cause de mévente : « Nos industriels n’ignorent pas... que lorsque l’ouvrier producteur n’est plus rémunéré suffisamment, il devient à son tour un médiocre consommateur. C’est dans ce cercle vicieux qu’ils ne veulent pas se laisser enfermer en prenant des mesures extrêmes »12. La précocité de ce raisonnement keynésien ne doit pas faire illusion : il demeure isolé. C’est moins la conviction économique que la crainte des grèves qui retient le patronat. Celle-ci est invoquée à Remiremont, comme dans le Nord à la même époque : « A Armentières, ville exclusivement manufacturière de plus de 20 000 âmes, une simple réduction de salaire suffirait à mettre toute cette population ouvrière en mouvement... Et si l’ouvrier de ce pays attend longtemps avant de s’agiter, une fois lancé, il est difficile à contenir »13, déclarent les industriels venus en délégation à la préfecture ; en conséquence, ils ont décidé de faire des stocks, mais ils adjurent le préfet de presser l’avancement du projet de tarif général : Paul Cambon se fait du reste leur chaleureux interprète.
8Que la baisse du taux du salaire ait été pratiquée, pourtant nos documents l’attestent, comme aussi le nombre appréciable de grèves défensives dirigées contre elle (583, soit 19 % du total), comme enfin le recul de l’indice du salaire nominal : — 2,2 % entre 1882 et 1888. Mais elle a ses limites : opérée par les petits industriels plus que par les grands, elle excède rarement plus de 10 % ; au-delà, on risque l’émeute14. Elle est moins assenée que commentée, excusée. Quand les fabricants se « résignent » à baisser les salaires, ils ne le font pas sans précaution. Ainsi, MM. Cocquel et Boulant, veloutiers en coton, « contraints » par la concurrence anglaise d’opérer une réduction de 10 %, adressent à leur personnel une circulaire (assez embarrassée) pour leur expliquer la supériorité de cette mesure sur les autres : « Dans certaines régions, on avait eu l’idée de diminuer les heures de travail ; ce moyen vous serait défavorable... Supposons, en effet, que nous réduisions le travail d’un quart de jour... L’ouvrier qui, par exemple, gagne deux francs, ne gagnerait plus que 1,50 et la marchandise nous reviendrait encore plus cher qu’à présent, parce que les frais généraux seraient toujours les mêmes pour une quantité moindre de produits. » Au contraire, la réduction du salaire, tout en laissant à l’ouvrier la possibilité de gagner 1,80 F, « nous permettra d’essayer de lutter moins désavantageusement contre la concurrence anglaise »15. La plupart du temps, ces abaissements sont présentés comme palliatifs provisoires de la récession. Tel ferronnier des Ardennes réduit les salaires d’un dixième (c’est décidément la mesure) « en promettant de faire cesser cette retenue aussitôt que les affaires reprendront »16. Tel autre (Vieillard, faïencier de Bordeaux), « pour conserver le même personnel, a, d’accord avec lui, limité à 3 F le gain que pouvait faire chaque ouvrier travaillant à ses pièces »17. Embarras, pudeur du vocabulaire, circonspection des procédés auxquels, plus qu’à tout, les travailleurs sont sensibles, illustrent un certain affinement des relations d’entreprise, fruit de longues résistances, mais surtout ils montrent qu’en matière salaire une tradition se crée : son taux est un acquis qu’on ne saurait modifier. L’opinion du temps, si prête à taxer et d’exagérées « les prétentions ouvrières », considère volontiers comme légitime la grève défensive. Lorsqu’en 1883, la compagnie meulière de la Ferté-sous-Jouarre, née d’une concentration de sociétés, décide d’adopter le salaire le plus bas pratiqué par les maisons cartellisées, une grève se déclare ; le ministre du commerce engage le préfet à faire comprendre aux directeurs les dangers de leur attitude : « l’abaissement des salaires résultant de cette fusion, légitime, dans une certaine mesure, les moyens de défense recherchés par les ouvriers »18.
9L’arbitraire se maintient dans les secteurs où les travailleurs, trop nombreux, peu qualifiés, inorganisés, sont sans défense ; il règne en maître dans deux grands domaines : chantiers de chemin de fer, travail à domicile. En Corrèze, où les terrassements des lignes en construction voient affluer les paysans que la terre rejette, la moyenne horaire est tombée en deux ans de 0,35/0,40 à 0,28/0,22, soit une chute de 37 à 40 %19. En Haute-Marne, les terrassiers du canal gagnent 42 c de l’heure en 1882 et 18 c en 1886. Ces réductions entraînent d’ailleurs des grèves souvent vigoureuses, mais aussi des mouvements xénophobes d’une grande brutalité. Quant au travail à domicile, il achève de mourir, du moins dans les campagnes (dans les villes, il se maintient, parce que salaire d’appoint, et féminin). En 1878, dans les cantons liniers du Cambrésis, les salaires journaliers sont tombés à 1 F voire 0,80, soit « à peine les deux tiers de ce qui serait nécessaire pour acheter du pain »20. L’évolution ici est technique, inéluctable : « les ouvriers l’ont compris et ils n’essaient plus de lutter ; les uns ont émigré, d’autres s’occupent aux travaux des champs »21. Le tissage à domicile connaîtra des sursauts d’agonie : grèves du choletais en 1887-1888, du Lyonnais, du Cambrésis en 1889, sont d’ultimes chouanneries opposées à la concentration.
10Pour l’ensemble du monde industriel, la baisse du taux du salaire apparaît comme un comportement malsain et dangereux. La gêne (le remords) qui s’y mêle est le signe d’un code, d’une « morale » du salaire en voie d’établissement22. Les industriels cherchent donc des moyens moins peccamineux de défendre le profit. Dans un premier temps, lorsque la crise est encore modérée, il leur suffit de freiner la production. Cette mesure a le double avantage de soutenir le cours des marchandises en raréfiant l’offre sur un marché saturé, et, dans les cas nombreux où les ouvriers sont payés à la tâche, de restreindre la masse des salaires à verser, tout en conservant le personnel disponible pour une éventuelle reprise. D’après l’enquête de 1893-1897, 34 % des travailleurs étudiés sont payés aux pièces, mais la proportion dépasse 50 % dans les mines et carrières, les usines de textile ou de vêtement (au contraire, elle tombe à moins de 5 % dans le bâtiment). Ce freinage patronal s’exerce de bien des manières : mise en sommeil d’une partie de l’outillage23, distribution au compte-gouttes d’une matière première souvent de médiocre qualité : « Des fabricants... laissent attendre individuellement plusieurs jours les ouvriers avant de leur remettre la chaîne à tisser, et les font encore attendre la trame, dans le but de restreindre la production »24. « D’autres employèrent des matières premières de qualité inférieure exigeant un travail plus difficile de la part de l’ouvrier payé cependant au même tarif que précédemment »25 ; ou encore, « on imagine des réparations aux machines occasionnant d’assez longs chômages pendant lesquels l’ouvrier ne touche aucune indemnité »26. Ces méthodes, les ouvriers sauront les prendre à leur compte dans leur lutte contre le surmenage27.
11Si la crise se prolonge, ces procédés ne suffisent pas. Il faut réduire la durée du travail : en diminuant le nombre d’heures journalières ou, mieux encore parce que plus économique, celui des jours ouvrables. La semaine de cinq jours, avec fermeture le lundi, est très généralement pratiquée en 1876-1879 comme en 1883-188628. On trouve parfois moins : semaine de quatre jours dans les filatures et tissages de Lillebonne en 188829, de trois chez Isaac Holden à Croix (2 000 ouvriers) à l’automne 187730, etc. La fermeture totale des usines, quelquefois envisagée, est plus rarement pratiquée, sans doute parce que mal tolérée par les ouvriers. Dans sa Sociologie du chômage, R. Ledrut montre que ces mises à pied collectives engendrent une assez forte cohésion sociale : « Un groupe structuré de chômeurs se constitue, car l’homme d’âge moyen valide domine dans cette population »31 ; aussi offrent-elles des risques de trouble.
12En troisième lieu seulement les patrons procèdent à des licenciements : non sans précautions. Certains s’efforcent d’aménager le chômage en employant la main-d’œuvre à tour de rôle. Les teintureries de Lyon, en 1876, ont renvoyé le cinquième des ouvriers : « le nombre eut été plus grand si les patrons n’avaient établi un roulement qui leur a permis de conserver une grande partie du personnel »32. Dans les mines du Gard, « le chômage n’atteint les ouvriers qu’à tour de rôle, de manière à ne faire supporter par chacun d’eux... que des réductions de salaire proportionnelles »33. On préfère toujours les débauchages échelonnés aux renvois massifs34. Enfin, les licenciements sont très sélectifs. Toute grande usine se constitue un noyau stable, assez peu touché par les crises, et qu’on escompte fidèle. Selon quels critères ? « On ne garde que les bons »35 c’est-à-dire les qualifiés, les habiles, les rapides, les vigoureux, les disciplinés, les enracinés. « Les ouvriers renvoyés ont été surtout des journaliers choisis parmi les derniers venus à l’usine »36, « de préférence célibataires ou étrangers »37. « Les renvois... n’ont porté que sur des travailleurs de passage étrangers au département »38. « La plupart des ouvriers renvoyés sont étrangers à la localité, n’y ont que peu ou point d’attaches et disparaissent après leur renvoi »39. Les ouvriers de Firminy se plaignent de ce que les patrons conservent de préférence « les ouvriers paysans des environs qui, tout en travaillant à l’usine, cultivent la terre et pourraient se suffire »40. C’est qu’une telle main-d’œuvre présente des caractères de docilité et d’accommodement que n’ont pas les authentiques prolétaires. Manœuvres, vieux41, médiocres, militants syndicaux, « fortes têtes » ; voilà les catégories menacées par les crises, occasions d’épuration technique et disciplinaire. On voit du même coup qui sont les chômeurs : à l’exception des derniers nommés, souvent des marginaux, des ambulants dont la classe ouvrière, en voie de fixation, commence à se défier, des superflus, dont R. Ledrut a si bien décrit l’humiliation, l’isolement et la gêne42. La classe ouvrière n’est pas homogène : il existe en son sein des clivages que la crise et le comportement patronal accentuent. C’est pourquoi les mouvements de chômeurs sont rarement entraînants et moteurs.
13Toutes ces mesures restreignent la production, ce qui est parfois l’effet explicitement recherché. Les industriels vosgiens réunis à Remireront en 1878, estimant que « la véritable cause de la crise est... la grande extension donnée à la production », proposent même de retirer du marché quelques centaines de mille pièces de produits fabriqués43. A Valenciennes, en 1876, les patrons verriers organisent un véritable contingentement de la fabrication, la fixant à la moitié de son volume habituel pour les établissements ordinaires, au tiers pour les plus importants44. Un peu partout, du reste, les crises conduisent les patrons à l’entente : les premiers cartels français sont sortis du mauvais Kondratieff 1873-1896. Mais la limitation de la production, si elle soutient le prix du marché, ne diminue pas intrinsèquement le coût. L’accroissement de la productivité, au contraire, le permet. Depuis longtemps, les économistes ont mis en lumière l’importance de la rationalisation, du progrès technique en phase B. Pour Imbert, l’innovation est le moteur essentiel du renversement conjoncturel. Simiand l’a démontré en ce qui concerne l’industrie houillère ; il distingue nettement les deux voies de la productivité ; intensité accrue de l’effort ouvrier, investissement et mécanisation45. De par leur nature, nos documents font plus souvent état du premier moyen que des seconds : au regard ouvrier, rien de plus scandaleux que la conjonction du chômage et de l’accélération des rendements. Dans les mines de la Loire, où la semaine a été réduite, en 1874, « certains mineurs disent qu’on en profite pour faire faire en quatre ou cinq jours le travail de six »46. A Anzin, en 1882, « la compagnie doit augmenter la somme du travail journalier pour regagner la journée supprimée ; ce qui aboutirait à une réduction de salaire pour une même quantité de travail »47. En 1887, la « revue des bagnes » du Cri du Travailleur (Nord) ne cesse de dénoncer cet accouplement contre nature. Ces temps de crise voient se développer l’effort patronal pour la mutation du salaire au temps en salaire aux pièces, « dans le but de rendre moins onéreuse l’exécution des travaux »48. Le tissage sur deux métiers, qui avait soulevé les graves émeutes de Roubaix (1867), se généralise, de même que, dans les filatures de soie du Midi, le filage à quatre bouts49. La discipline se tend ; pour un rien, les pièces sont refusées ou dépréciées, les amendes pleuvent. Mais les ouvriers sont rivés à leur place par la crainte de la perdre. La statistique des conflits est éloquente : 26 grèves dirigées contre l’accroissement de la productivité, et 583 contre des réductions de salaire indiquent assez les seuils de la résignation et les môles de la résistance ouvrière, et, du même coup, soufflent au patronat la tactique à suivre.
3. ATTITUDES OUVRIERES DEVANT LA DEPRESSION
A. Résistance et résignation
14En temps de crise, la grève est un médiocre instrument. Les années de dépression coïncident avec de forts pourcentages d’échecs (plus de 55 % en 1874, 1877-1879 et 1884-1887) ; sur la courbe des moyennes mobiles des pourcentages de succès (fig. 5), la période 1875-1888 marque un long déficit. Aussi, la tendance est-elle au repli ; le nombre des conflits ne se soutient que par celui des grèves défensives. De 1871 à 1890, on en dénombre 1 056 (36 % du total), représentant 261 000 grévistes (29 %), 3 325 000 journées de grève (33 %) ; elles ont touché 19 270 établissements (13 %) et 1 237 communes (35 %). En 1879 et de 1883 à 1888, leur part est supérieure à 50 % (jusqu’à 69 % en 1885). La courbe des grèves défensives, comparée à celle des grèves offensives, offre de grandes différences : celle-ci est assez nettement cyclique, celle-là indique une croissance plus continue (fig. 7). Du reste, son trend est nettement supérieur : + 4,7 (contre + 1,4 aux grèves offensives). Comment expliquer ce fait ? Par l’aggravation des tensions économiques et sociales ; mais aussi par le développement de l’organisation syndicale qui, si elle conserve un certain pessimisme à l’égard de la grève revendicative, considère l’autre comme inéluctable ; enfin, par le sentiment qu’au-delà des échecs immédiats, la résistance ouvrière met tout de même un frein aux exigences patronales : intuition juste, on l’a vu. La crainte de la grève est le commencement de la sagesse patronale. Quoique marginale et seconde, encore à demi instinctive, la grève défensive, dont nous avons montré les caractères, suppose néanmoins une solidarité en voie de formation, l’acceptation d’un risque majeur : la perte de l’emploi.
15Ce risque, beaucoup le refusent et préfèrent transiger. « Ils s’inclinent devant la loi de la nécessité et n’accusent pas les chefs d’industrie »50. « Nous comprenons que nos patrons ont du mal à faire leurs affaires en ce moment et nous voulons bien, nous aussi, faire des sacrifices », disent les tisseurs de Fiers51. « Pacifiant sur ces motifs et invoquant la perte que [notre patron] éprouvait à faire fabriquer, nous avons continué le travail comme par le passé », déclarent ceux de Sotteville52. Bien des réductions de salaire sont ainsi acceptées, pourvu que le chef d’entreprise garantisse leur caractère provisoire et use de diplomatie. Chez Rogelet, gros tissage de Reims, un nouveau règlement, typique des rationalisations des temps de crise, rencontre l’opposition d’une poignée de militants, mais la majorité des ouvriers « ont prié M. Rogelet de ne point se préoccuper de ce que pourrait dire une trentaine de mauvaises têtes, entre autres le sieur Maillol (le socialiste) qu’ils verraient avec plaisir quitter l’usine »53. La patience, la modération ouvrières sont immenses. Elles ont une double racine : d’abord, la hantise du chômage, ces ténèbres extérieures qui happent l’ouvrier mis à pied. Ecoutons la doléance d’un mineur de la Nièvre, répondant au questionnaire d’enquête de 1884 : il décrit d’une plume familière la dégradation du salaire consécutive au travail à la tâche : « L’ouvrier proteste, mais le patron lui dit : “C’est à vous de travailler ou laisser votre chantier.” Maintenant, à cette proposition, le pauvre mineur se dit : “Comment vais-je faire si je quitte mon travail ? Comment pourrais-je élever ma famille ?” Il se désespère et il se dit : “Il vaut encore mieux travailler et gagner la moitié de ma vie et de ma famille (sic) que de ne rien faire.” Alors il se remet à l’œuvre »54.
16En second lieu, persiste, dans la conscience ouvrière, le sentiment obscur d’un lien, d’une communauté d’intérêt avec un patronat nécessaire. « Une bonne partie des ouvriers croient encore à son utilité », s’étonne le Cri du Travailleur, « qui nous fournira du travail, nous disent-ils, si le patron disparaît ? On a toutes les peines du monde à leur faire comprendre que la production est liée aux besoins de la consommation que la disparition de tous les patrons de l’univers ne peut supprimer »55. Les ouvriers, en somme, admettent leur dépendance, comme ils acceptent la subordination de leur salaire au prix et au profit. La plupart des réponses ouvrières à l’enquête de 1884 incriminent moins les structures capitalistes que cette concurrence étrangère qu’accusent aussi les maîtres. La dénonciation des traités de commerce, l’appel au protectionnisme sont les principaux sujets d’un art de la fugue où se mêlent voix patronales et ouvrières. L’étranger : ses produits, et, pour les ouvriers, sa main-d’œuvre, voilà l’ennemi ! Plus que le sentiment des oppositions de classes, la crise renforçait celui de la communauté des intérêts nationaux56.
B. Mouvements de « sans-travail »
17La grève demeure un privilège de nantis, un refus aristocratique. Rejeté, le chômeur est dans une position d’infériorité, de suppliant. « Cinq ouvriers français, à Marseille, pressés par le besoin, se sont, en trois circonstances, imposés et ont travaillé pendant une journée contre la volonté de l’entrepreneur »57. Le chômeur est un « sans-travail » : le vocabulaire de l’époque exprime bien la carence, le non-être qui le caractérise.
18La « grande dépression » a été cependant marquée dans les pays industriels d’Europe et d’Amérique par des manifestations de chômeurs. Quels ont été l’intensité et le style de ces mouvements en France58 ? Sans prétendre ici à l’exhaustivité, j’ai relevé, dans les archives et la presse, une cinquantaine de manifestations, de 1883 à 1889, ainsi réparties :
19Ces manifestations sont de très inégale ampleur. La première, celle des Invalides, le 9 mars 1883, a été aussi la plus populeuse : 20 000 personnes y auraient pris part, le chômage étant évalué par les ouvriers à 200 000. Partout ailleurs, jamais plus de 5 000, et, plus souvent encore, quelques centaines de participants (200 au Havre en 1886, autant à Toulouse en 1887, qui compterait 1 500 chômeurs...). Foules jeunes à en juger par l’âge des manifestants arrêtés en mars 1883 à Paris : 65 % ont moins de 30 ans59 ; et assez qualifiées : peu de manœuvres. « La masse des manifestants appartient aux corporations sans travail, aux industries des métaux, de l’ameublement, du bâtiment. Beaucoup d’ouvriers du bronze aussi », écrit Le Temps60. « Des gens de métier », dit pareillement le commissaire de police d’un cortège de chômeurs à Béziers61. Autour de ces noyaux durs s’agglutinent, du moins à Paris, des grappes hétéroclites : sur 79 personnes appréhendées, 23 ouvriers du bâtiment, 15 employés ou représentants de commerce voisinent avec 4 journalistes, 1 étudiant, 1 infirmier, 1 fleuriste, 1 artiste dramatique, 2 cultivateurs... : tout ce que peut contenir une rue du centre de la capitale un vendredi après-midi.
20Ces mouvements peuvent revêtir des formes très diverses. Parfois, d’humbles cortèges, formés sur les chantiers stagnants, les quais inactifs, se dirigent vers les mairies pourvoyeuses d’ouvrage et de pain pour rappeler aux pouvoirs locaux leur devoir d’assistance, ainsi à Poitiers en 1888, à Dieppe, au Havre, à Rouen, à La Rochelle en 1889 : réflexe classique, devenu au 19e siècle aussi spontané qu’une habitude. Mais, le plus souvent, les rassemblements sont suscités par des organisations, antérieures (chambres syndicales), ou formées à cet effet : « Ligue des revendications du droit des travailleurs » à Bordeaux en 1886, et surtout, un peu partout, « commissions des ouvriers sans-travail ». Les anarchistes ont joué là un rôle moteur. A Paris, les menuisiers Tortelier et Montant, le cordonnier Raoux ; à Béziers, Cathala ; à Lyon, le serrurier Bordat, le teinturier Gallay ; à Roubaix, à Saint-Etienne..., persuadés que la misère est porteuse de révolte et la crise de rébellion, ils ont tenté de transformer les chômeurs en révolutionnaires, de muer la sollicitation humiliante en fière exigence. « Un peuple de mendiants n’a jamais été un peuple libre », s’écrie Bordat62. Aussi, hostiles au renfermement, ils préconisent les « meetings d’affamés » au grand jour, sur la place publique, moins devant l’Hôtel de Ville qu’ils récusent que dans les beaux quartiers, ceux du luxe et de la finance : Concorde, Saint-Germain, Opéra, Bourse... « Venez étaler vos guenilles en face de la splendeur des riches. Montrez votre misère aux accapareurs, non pour leur faire pitié, mais pour leur faire peur »63. Exhibitionnisme à double fin : se faire voir et voir, terrifier le bourgeois et nourrir par la vision de l’opulence la haine de la propriété. « Il faut prendre. » A Paris (en 1883), au Havre (mai 1886), à Dieppe (février 1889), on signale des pillages de boulangerie : pillages timides, rituels plus que réels, symboles et non jacqueries. Mais des meetings de ce type, il n’y en eut guère qu’une quinzaine.
21Ils ont rencontré bien des obstacles. D’abord l’inertie foncière (« l’avachissement », selon les anarchistes) des chômeurs, qui tient à leur nature même ; ce sont, au départ, les moins organisés ; « ceux qui chôment ne font pas partie des chambres syndicales », déclare le syndicat des peintres en bâtiment de Paris64. Plusieurs « meetings des affamés » durent se disperser faute d’amateurs. Le 7 décembre 1883, il ne vient guère plus d’une vingtaine d’ouvriers place de la Bourse ; le 1er avril 1885, on n’en voit pas place de l’Opéra. Et le 13 août 1886, en dépit d’affiches vengeresses, seul un petit groupe de badauds se forme autour d’un certain Joseph, harangueur habituel de la Bourse, qui est arrêté. A Villeurbanne, « aucun ouvrier ne s’est présenté pour assister à la réunion projetée annoncée cependant par voie d’affiche »65. Dès l’origine, une dure répression a frappé organisateurs et membres des manifestations. Pouget et Louise Michel sont condamnés à six ans de prison, Tortelier et cinq de ses camarades à trois mois, en 1883 ; un tisseur de Roubaix, Poulain, écope de quatre mois pour avoir crié : « Vive la révolution sociale »66. D’importantes mesures policières et militaires sont prises lorsque s’annonce une manifestation : troupes consignées au Petit-Quevilly, à Sotteville, à Saint-Sever67 ; selon Le Temps, en avril 1886, Roubaix, Tourcoing, Armentières sont occupées par les troupes en raison des agitations anarchistes68. Enfin, les socialistes, hostiles à « l’agitation stérile de la rue », royaume des mouchards et des provocateurs, ont systématiquement entravé l’action des syndicalistes anarchistes. Il suffit que ces derniers annoncent une manifestation pour qu’aussitôt les socialistes lancent la leur : ainsi le 14 décembre 1884, trois meetings distincts s’offrent aux sans-travail parisiens ; 3 000 ouvriers se rendent salle Chayne à l’appel des anarchistes, tandis que les possibilistes et socialistes révolutionnaires (guesdistes et blanquistes) attirent respectivement 500 et 300 personnes69. Le conflit syndicat-parti a des racines bien anciennes. Avec les socialistes, d’autre part, les meetings quittent la rue pour les salles closes ; les orateurs tentent de hausser la question au niveau politique ; à l’issue des réunions, des délégations s’en vont porter solennellement les motions élaborées, « mettre en demeure » les mairies et, de plus en plus, les préfectures et le gouvernement70. Les socialistes recherchent le dialogue avec l’Etat, moins, à cette époque, dans l’espoir d’en obtenir quelque avantage que dans le but de démontrer son impuissance et son caractère de classe.
22Aussi ne faut-il pas s’étonner que, soumis à ces influences opposées, les mouvements de « sans-travail » présentent tant d’aspects contradictoires. Le poids du passé éclate dans les thèmes, le vocabulaire. Comment ne pas évoquer l’an II ? Les ouvriers ont des accents de sans-culotte pour dénoncer le complot des « accapareurs » monarchistes : « Les financiers tricolores, bonapartistes, orléanistes honteux forment le pacte de famine pour amener une restauration monarchique »71. A Lodève, les chômeurs conspuent le cercle royaliste72 ; rue de Rennes, à Paris, ils brisent les vitrines de boutiques d’objets de piété73, ils repoussent les prêtres : « Nous ne voulons pas de Dieu... Il n’y a que des hommes, rien que des hommes74. Ils défilent au chant de « La Marseillaise » et de « La Carmagnole ». Autre référence : 1848, invoqué bien plus que la Commune75. Les revendications sont celles de « la Sociale » : du travail ou du pain, même s’il s’y ajoute parfois « du plomb ». « Nous n’avons qu’un désir : travailler. Nous voulons que la République soit la République des travailleurs », dit pour sa défense le menuisier Tortelier. Au sortir de l’audience, la cohorte de ses camarades entonne ce refrain inédit : « Ah ! craignez le flot populaire. — Si l’ouvrier gronde, c’est qu’il a faim. — Vous ne pourrez conjurer sa colère, — Qu’en lui donnant du travail ou du pain »76 ; et à Lille, un autre prévenu répond au président du tribunal que « vive la révolution sociale » signifie : « vivre en travaillant »77. Tout aussi traditionnelle, misérabiliste, demeure la définition du prolétaire : « Nous sommes sans pain, sans habits, beaucoup même sans gîte »78 ; affamés, déguenillés... Les haillons et le pain conservent toute leur puissance symbolique.
23Cependant, un effort est fait pour dégager des revendications précises. Si l’ouverture des chantiers communaux et nationaux demeure la panacée, on demande aussi la fixation d’un salaire minimum, la limitation de la durée du travail ; on refuse la notion d’assistance pour lui préférer celle d’allocation chômage, distribuée non par les bureaux de bienfaisance, mais par les syndicats. Surtout, le plus frappant est le recours constant à l’Etat qui, de plus en plus, apparaît comme l’interlocuteur obligatoire, le gérant du marché du travail ; même les anarchistes, malgré leurs répugnances, s’adressent parfois à lui.
24Mais il convient de ne pas exagérer la portée de ces mouvements. En six ans, moins de 80 000 personnes y ont participé : c’est peu. On comprend mieux, dans ces conditions, la relative indifférence de l’opinion qui, d’abord, surprend : on s’étonne, par exemple, de ne trouver, dans la si vivante correspondance échangée entre Engels et les Lafargue, presque aucune allusion à ces faits. Par leur faible amplitude, ils n’étaient de nature à susciter ni une grande espérance ni une grande peur. Dans une certaine mesure, si cette crise a été « méconnue »79, c’est qu’elle ne s’affichait pas.
C. Mouvements xénophobes
25Parmi les revendications des sans-travail, il en est une qui prend de plus en plus de consistance : la limitation de la main-d’œuvre étrangère et, durant cette période, les manifestations contre les ouvriers étrangers atteignent une ampleur et une violence considérables. La crise aggrave une xénophobie dont les racines sont anciennes et complexes ; la rivalité économique réveille des antagonismes culturels et politiques, et aboutit parfois à un véritable nationalisme ouvrier. Avant d’analyser ces troubles, voyons quels étaient le mode, le volume et les caractères de cette immigration.
1°) Immigration et immigrants
26Son accélération, sous le Second Empire, est liée à l’expansion d’une industrie qui ne peut assouvir sa boulimie de main-d’œuvre dans une population française déjà vieillissante. Le « réservoir rural » ne suffit plus et les « prétentions » ouvrières, stimulées par le plein emploi, entraînent une hausse des salaires que le patronat juge excessive. Les mines notamment connaissent alors un manque de bras dont on a évoqué la persistance jusque vers 1873. Evidemment, l’Etat français n’a pas de doctrine ni d’organisation de l’immigration (d’où, pour le chercheur, l’absence de sources spécifiques et centralisées sur la question)80. Les industriels opèrent pour leur propre compte de façon très empirique et analogue à celle qu’ils emploient pour « lever » en France des travailleurs dans les campagnes81. En cas de besoin, ils envoient un contremaître ou un entrepreneur à l’étranger, véritables sergents recruteurs qui dispensent de belles promesses, bien souvent non tenues. Quand il s’agit des Italiens, l’immigration se fait souvent par chaînes de relations ou de parentèles. En Lozère, en 1868, deux Piémontais, Vani et Peraldo, espèces de marchandeurs d’hommes, font directement venir du « pays » les contingents nécessaires ; honnis des Français, ils n’échappent au lynchage que par l’intervention de la gendarmerie82. Vers 1889, les compagnies minières du Nord commencent à user d’un système d’agences d’immigration établies en territoire belge. Sur le plan théorique, le patronat défend sa traditionnelle liberté d’action dans le domaine de l’emploi ; il la justifie au besoin par la situation démographique française et les exigences des nationaux. L’éventualité d’un recours à des travailleurs d’autres continents est d’ailleurs envisagée. La Société d’économie politique consacre une de ses séances, en 1881, à discuter de l’immigration chinoise ; Paul Leroy-Beaulieu, dans son Essai sur la répartition des richesses, brandit à plusieurs reprises la menace du coolie chinois : « Aux désirs intempérants et aux prétentions excessives de nos ouvriers, il y a un avertissement que l’on doit opposer et dont ils feront leur profit s’ils ont quelque sagesse : Prenez garde aux Asiatiques, ces rivaux qui ont pour idéal du bonheur une écuelle de riz »83.
2°) Nature de l’immigration
27Les recensements, en particulier celui de 1891 qui comporte un dénombrement détaillé des étrangers, permettent de mesurer l’importance et la qualité de l’immigration. De 1866 à 1891, la population étrangère passe de 655 036 à 1 130 211, soit de 1,7 à 2,8 % de la population totale. L’accroissement est fort, surtout entre 1876 et 1881 (environ 300 000) et provient pour une large part de l’afflux des Italiens attirés par les grands travaux (Exposition, plan Freycinet). Le rythme tend ensuite à ralentir. Cependant, de 1881 à 1886, l’augmentation est encore de 125 000, nombre important si l’on songe à l’acuité de la crise et au volume du chômage durant ces années. A partir de 1889, la loi sur les naturalisations d’office réduit le nombre des personnes comptées précédemment comme étrangères. Mais les recensements quinquennaux rendent mal compte des allées et venues d’une main-d’œuvre essentiellement nomade, temporaire, voire saisonnière et parfois journalière. D’autre part, si la proportion des étrangers demeure faible, on ne doit pas oublier qu’ils sont massés dans quelques régions. Des villes comme Roubaix, Tourcoing sont presque à moitié belges ; sur 360 000 habitants en 1881, Marseille compte près de 50 000 Italiens84. C’est la cristallisation en certains points qui crée des problèmes et donne aux contemporains l’impression d’une immigration massive et voyante. Le terme d’invasion, constamment employé pour la qualifier, est, à cet égard, significatif.
28La composition nationale de l’immigration est, en 1886 par exemple, la suivante :
29Belges 432 265, soit 43 % des étrangers
30Italiens 240 733, soit 24 % des étrangers
31Allemands 81 986, soit 8 % des étrangers
32Espagnols 73 781, soit 7 % des étrangers
33Suisses 66 281, soit 6 % des étrangers
34Les autres groupes sont beaucoup moins nombreux. Entre 1872 et 1891, la structure nationale de l’immigration n’a pas changé de façon spectaculaire. Toutefois, les Italiens passent de 15 à 24 %, tandis que les Allemands baissent de 14 à 7 %. Le contingent italien a presque triplé de 1872 à 1891.
35Du point de vue professionnel, les étrangers sont surtout des ouvriers. Ils forment de 6 à 7 % de la population ouvrière active et cette concentration explique la sensibilité des travailleurs manuels, avant tous concernés. Les étrangers travaillent surtout dans les industries chimiques, où ils forment, en 1891, 22 % de la main-d’œuvre, dans les industries extractives (13 %), métallurgiques (12 %), alimentaires (10 %), du vêtement (10 %), du bâtiment (9 %). On peut distinguer en gros trois types de main-d’œuvre : une catégorie hautement qualifiée fournie par les Anglais, les Allemands et certains Belges, ouvriers spéciaux de la métallurgie, de la verrerie ou de secteurs plus artisans comme l’ébénisterie, l’habillement parisien (tailleurs) : véritable « aristocratie » souvent employée à titre expérimental et temporairement85. Puis viennent ces demi-professionnels que nous appellerions aujourd’hui ouvriers spécialisés, telle la majeure partie des Belges, mineurs et ouvriers du textile. Enfin, une masse de manœuvres, terrassiers, ouvriers des industries chimiques ou alimentaires (raffineries de sucre parisiennes, huileries, stéarineries marseillaises, etc.), manutentionnaires des ports. Ce prolétariat, qui confine souvent au sous-prolétariat, se recrute surtout parmi les Italiens et les Espagnols, ces derniers encore très peu nombreux. A ces variantes professionnelles correspondent naturellement des différences de niveau de vie, de mentalité, de comportement, qui tiennent aussi au degré de développement et aux traditions ouvrières du pays d’origine. On insistera sur les deux grandes familles étrangères : belge et italienne.
3°) Comportement des étrangers : Belges et Italiens
36Les Belges forment des groupes denses dans le Nord de la France ; le seul département du Nord en réunit 62 %. Ils exercent souvent des métiers qualifiés ; il n’est pas rare d’en voir à ce titre embauchés dans des usines métallurgiques situées loin de leurs frontières. Ainsi, Aubin (Aveyron) fait venir vers 1880 des lamineurs de Belgique ; même chose à Montataire (Oise) vers 1890. Mais ils peuplent surtout les tissages de Roubaix, les mines : à Anzin, en 1879, sur 14 000 travailleurs, on compte 8 000 Belges. Enfin, ils viennent nombreux aussi comme terrassiers, notamment à Paris, comme journaliers au moment des campagnes sucrières ; ils « descendent » alors jusque dans le centre de la France : en 1886, les sans-travail du Cher se plaignent de leur arrivée.
37Dans la vie quotidienne, les Belges et Français du Nord se confondent. En Flandre, écrit l’ingénieur en chef de Dunkerque, « les ouvriers belges, presque tous Flamands, et les Flamands français ne se distinguent guère les uns des autres ; ils sont de même race, parlent la même langue et vivent en bonne intelligence »86. Il existe, entre les deux populations, un brassage ancien et incessant que la loi de 1889 accentuera.
38Tout différents sont les Italiens, ces premiers-nés du sous-développement méditerranéen. « Piémontais » surtout ou « Napolitains » — ainsi du moins le langage populaire de l’époque distingue-t-il grossièrement gens du Nord et du Sud —, célibataires ou dotés au pays de nombreuses familles, ils sont manœuvres, nomades, préoccupés d’économiser. Les employeurs apprécient leur endurance : « Ils se distinguent des autres ouvriers par leurs habitudes d’ordre et leur sobriété. Ils vivent en commun et ne fréquentent pas les cantines »87. « Ils sont en général laborieux, économes, vivant de peu et envoient à leur famille une bonne part de leurs salaires »88. « Ils sont plus dociles que nos nationaux, font volontiers des quarts d’heure et même des demi-heures en sus de la durée réglementaire »89. « L’Italien, plus dur à la besogne, ne quittera le bateau que lorsque le travail sera complètement terminé, prenant à peine le temps de manger. L’Italien travaillera toute la nuit et sera au travail le lendemain, tandis que le Français qui aura passé la nuit voudra se reposer »90. De telles louanges abondent. Mais au regard prolétaire, rien de plus infamant que cette auréole patronale : « Ce qui caractérise l’ouvrier italien..., c’est qu’il est plus souple, plus malléable ; on lui fait faire tout ce qu’on veut, il baisse le dos et tend la joue pour recevoir un autre soufflet. Au point de vue du christianisme, c’est peut-être beau ; mais comme homme, je trouve que c’est révoltant. Il n’y a pas chez ces ouvriers de dignité personnelle ; ils endurent tout. Si on leur dit de rentrer à la cloche, à une minute près, et cela sous une peine quelconque, ils courbent la tête et obéissent »91. Leur docilité isole les Italiens.
39D’autres traits les séparent encore : leur sens du clan, leur bas niveau de vie, leurs mœurs brutales, leurs habitudes religieuses. Certains ont gardé des coutumes féodales : ils cherchent à entrer dans la clientèle des « acconiers » du port de Marseille en leur offrant des cadeaux ; un contremaître aurait « reçu un superbe remontoir en or, à titre de reconnaissance »92. Leur mode d’existence répugne ; Le Cri du Peuple décrit avec une indignation mêlée de dégoût celui dès raffineurs italiens de Paris : « Ils vivent entre eux, ne se mêlent pas à la population, mangent et couchent par chambrées ainsi que des soldats qui campent en pays ennemi... Ils se mettent huit, dix, quinze dans une chambre ; l’un d’eux est chargé du ménage. La même chambre loge deux chambrées : une de jour, une de nuit. L’équipe qui va au travail est immédiatement remplacée par celle qui en revient. C’est grâce à cette promiscuité répugnante mais fort économique que les ouvriers italiens réussissent sur un salaire de 3,25 F, à mettre de l’argent de côté »93.
40Les Italiens jouent facilement du couteau. Dans les quartiers populeux de Paris — route de Flandre, boulevard de la Révolte — ou de Marseille, des rixes éclatent quotidiennement entre eux ; des bagarres opposent, au sortir du cabaret ou du bal, qui leur vaut des succès, Français et Italiens. Les « faits divers » des journaux sont pleins du récit de leurs éclats. « Encore les Italiens », impriment fréquemment La Bataille ou Le Cri du Peuple dont l’internationalisme de principe, à la « une », cohabite avec une xénophobie instinctive, diffuse dans les rubriques plus modestes. On y parle de la « saugerie » des Méditerranéens, de la « terreur » qu’ils inspirent : « Il ne se passe pas de semaine que leurs couteaux n’aient fait quelque victime »94. « Ils reconnaissent bien mal l’hospitalité que nous leur offrons », commente-t-on le plus souvent.
41Les Italiens étonnent encore par leur piété, du moins par leur attachement à leurs traditions religieuses. « Tristes brutes aveuglées de catholicisme », écrit sans ménagement Le Cri du Peuple. A Marseille, les Napolitains célèbrent au mois d’août leur fête patriarcale ; à l’église de la Major, des milliers de travailleurs se retrouvent pour des fastes religieux que couronne le classique feu d’artifice. C’est au cri de « per Jesus et per la Madona » que les Italiens se ruent à l’assaut des navires à décharger. D’où le nom de « Christos » qu’on leur donne parfois, péjorativement, dans le Midi.
42Pourtant, Belges et Italiens sont loin d’avoir joué un rôle passif dans le mouvement ouvrier. Les premiers ont plus souvent été moteurs que briseurs de grève ; organisateurs de syndicats, ils ont été les initiateurs du socialisme dans le Nord de la France : si, après 1880, la propagande guesdiste se développe rapidement et avec succès, c’est que les Belges avaient sarclé, préparé le terrain. De leur côté, les Italiens ne sont pas rebelles à la revendication. Après 1878 surtout, leur participation aux coalitions va croissante ; ils en ont eux-mêmes déclenchées, ils s’y révèlent particulièrement tenaces, poursuivant parfois la lutte alors que les Français l’abandonnent : ainsi lors de la grève des raffineurs parisiens en 1882.
43Bien entendu, ces remarques ne sauraient faire oublier la réalité de la concurrence économique que représentent les immigrants. Ils sont l’épée de Damoclès des salaires. Si, en période de plein emploi, un modus vivendi s’établit, en temps de crise, le reflux général des chômeurs vers les emplois non qualifiés gonfle démesurément la catégorie des manœuvres. A Marseille, les quais deviennent le refuge de toute une population mise à pied. La lutte pour le pain s’envenime et c’est à ce niveau que les conflits sont les plus violents et les plus nombreux.
44Mais cette concurrence, pas plus que le comportement des immigrants, ne saurait rendre compte de la xénophobie des travailleurs « natifs » : c’est en eux-mêmes aussi qu’il faut en chercher les racines. Leurs propos les peignent d’abord. Ils montrent comment l’ouvrier français se situe dans la pyramide sociale : devenu respectable, il a perdu la mémoire de son propre arrachement, de son ancienne flétrissure. Ces propos illustrent la profondeur du malentendu qu’engendre la rencontre de populations inégalement pourvues ; le mépris du civilisé pour le « primitif », du colonial pour « l’indigène » prend ici sa source. Derrière le Piémontais se cache le « bicot ».
4°) Troubles xénophobes
45Cette xénophobie se manifeste de bien des manières : dans le langage, dans la vie quotidienne, où les communautés se côtoient souvent sans se mêler, ou s’affrontent pour se battre, à l’atelier où les rapports sont aigres : « Les injures pleuvent sur la tête des prolétaires étrangers... On ne néglige rien pour faire à ces concurrents la vie aussi dure que possible »95. Parmi les injures si souvent teintées de racisme inconscient que les grévistes prodiguent aux non-grévistes, au milieu des « sarrazin, bédouin, kroumir, zoulou », venus des expéditions coloniales, on trouve aussi « uhlan, prussien » et surtout « italien ».
46Contenue par le plein emploi, cette xénophobie latente éclate quand les crises attisent les concurrences : c’est pourquoi les troubles de cette nature ont un caractère cyclique marqué dans leur chronologie.
47Sur ces 89 incidents, 58 se situent entre 18S2 et 1889 ; ils culminent durant la dépression, régressent ensuite ; postérieurement, la prospérité de la « belle époque » a dû faciliter les rapports. Les troubles xénophobes sont des mouvements massifs, qui mobilisent aisément beaucoup de monde. Sur les chantiers de la Haute-Marne et de la Meuse, 1 200 à 1 500 terrassiers prennent part aux échauffourées qui visent à chasser les Italiens. A Annonay, en 1886, afin de soutenir soixante mégissiers en grève pour obtenir le renvoi des Italiens, des attroupements de 2 000 à 3 000 personnes se forment plusieurs jours durant autour de l’usine incriminée. A Marseille en 1881, à Aigues-Mortes en 1893, plusieurs milliers de personnes font la chasse aux Italiens. Il faut tenir compte de l’ambiance méridionale ; dans le Nord, les chiffres sont toujours plus modestes. Dans l’ensemble, et pour la période considérée, on peut estimer à environ 50 000 le nombre de participants physiques à des manifestations xénophobes : public populaire et aux neuf dixièmes ouvrier. D’autres formes d’opposition se prêtent à la mesure : à Bordeaux, en 1887, une pétition requérant des pouvoirs publics la limitation de la main-d’œuvre étrangère recueille près de 7 000 signatures.
48La cartographie des incidents montre la prépondérance du Midi méditerranéen. Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault, Aude, Ardèche, Drôme, Lozère en comptent 36 ; avec 19 cas, Marseille est la capitale de la xénophobie. Ensuite viennent Paris : 10, le Nord : 8. Le reste se dissémine tout au long des chantiers de chemin de fer de Freycinet. Bien entendu, les Italiens détiennent la palme :
49Italiens 67
50Belges 11
51Allemands 7
52Espagnols 2
53Et le dénombrement des professions concernées fait éclater le rôle des peu qualifiées : terrassiers, dockers... Le trouble xénophobe est en priorité l’affaire des manœuvres, menacés, pauvres, frustres, plus prompts à l’émeute qu'accessibles à l’organisation.
54Ce tableau ne signifie pas que l’action contre les étrangers ait été limitée à ces seules professions ; beaucoup d’autres y ont pris part, mais sous d’autres formes, plus organisées, sans aller jusqu’aux troubles, ici seuls dénombrés.
55De la simple rixe au mouvement populaire xénophobe, ceux-ci présentent une gamme variée ; mais ils ont des caractères communs. En général, ce sont des manifestations spontanées, éphémères, qui durent rarement plus de quelques jours : brusques et brutales flambées de colère, dont la violence est l’aboutissement normal, quand elle n’est pas leur seul contenu. Cette violence tient en partie aux éléments engagés : terrassiers, dockers, habitués à régler leurs querelles à la force du poing, à coups de pioche. La plupart des manifestations se soldent par des blessés, voire des morts : de 1881 à 1893, une trentaine d’Italiens y ont péri, pour le moins. Ces cadavres italiens émeuvent assez peu l’opinion française : la sensibilité devant la mort s’arrête aux frontières du sous-développement, elle est étroitement sociale. On assiste également à de véritables scènes d’humiliation : dans le Gard, en 1882, les terrassiers de la ligne Alais-Orange veulent chasser les Italiens à coup de pioches ; un Piémontais se traîne aux pieds d’un Français en le suppliant de l’épargner : « Embrasse ma botte », lui répond celui-ci en lui donnant un coup de bâton96. L’humilié trouve plus chétif que lui ; en humiliant à son tour, il cherche à prouver sa supériorité.
56Souvent ouvriers à l’origine, ces troubles se transforment aisément en manifestations populaires xénophobes, véritables épisodes de défoulement collectif où les passions déferlent ; il ne s’agit plus seulement de lutte pour le salaire et l’emploi, mais d’explosion de sentiments chauvins. Ainsi, à Aigues-Mortes, en 1893, où culmine la colère ivre. Le travail des salins est très dur ; beaucoup d’Italiens y sont employés, et aussi toute une population réputée pour sa rudesse. A la suite d’une rixe banale entre travailleurs des deux nationalités, éclatent de graves émeutes, où dix Italiens trouvent la mort, et qui auront des conséquences diplomatiques. Le dossier d’Aigues-Mortes reste à étudier97. Contentons-nous pour l’instant de séquences plus superficielles, celles que nous fait entrevoir par exemple le récit du Petit Provençal, tout plein de bruit et de fureur : « La surexcitation était à son comble. Dès qu’à Aigues-Mortes un Italien était aperçu, il était aussitôt entouré et frappé. Toute la matinée on a entendu des cris : A mort les Italiens ! A ces cris, la foule se précipite du côté des salins où se trouvent les Italiens. Ces derniers, armés, répartirent par les cris : Mort aux Français ! A la vue de la foule armée qui accourut vers eux, les Italiens se barricadèrent dans une ferme. Aussitôt les agresseurs se livrèrent à un véritable assaut, la toiture, les portes et les croisées furent démolies et des milliers de projectiles furent lancés sur les Italiens. Ceux-ci sortirent armés de bâtons, de revolvers, de fourches et de couteaux, et une bagarre épouvantable se produisit. Pendant quelques minutes, le sang coula, la mêlée fut horrible ; les gendarmes firent preuve du plus grand courage. Les Italiens eurent le dessous et le nombre des blessés dépassa cent ; on comptait plus de vingt cadavres... »98. La chasse à l’Italien se poursuivit longtemps à travers champ ; la plupart des « Piémontais » quittèrent le pays.
57Parfois l’élément patriotique est moteur et réveille tous les autres sujets d’antagonisme. A Marseille, en 1881, lors du retour du corps expéditionnaire de Tunisie, le bruit court que le Club Italien a insulté le drapeau français et l’armée99 : durant trois jours, des bandes très nombreuses (10 000 à 15 000 personnes) parcourent la ville et spécialement les quartiers italiens (Mepenti, La Belle de Mai) en criant : « Vive l’armée, vive la France, vive la République ! », et attaquant systématiquement les Italiens ou ceux que l’on croit tels. On les contraint à crier : « Vive la France ! », et s’ils refusent, on les bat, on les jette à l’eau. Les journaux parlent de « scènes horribles de sauvagerie ». Il y eut plusieurs morts, de nombreux blessés100. Un paisible cocher qui discutait avec des consommateurs au comptoir d’un café, ayant le malheur de déclarer qu’il est Niçois, on lui rétorque : « Mais à Nice, toute la population est italienne. Tu es Italien », et on l’assomme. La participation ouvrière à ces troubles n’est pas douteuse : l’instruction judiciaire montre que les bandes d’assaillants sont composées de jeunes désœuvrés, dits « nervis », mais aussi d’authentiques ouvriers des corps d’Etat. Du reste, dans de très nombreuses usines, des délégations ouvrières se formèrent pour demander l’exclusion des Italiens, tandis qu’un « Comité marseillais », dont j’ignore malheureusement la composition, faisait placarder un avis selon lequel tout commerçant ou industriel qui ne renverrait pas immédiatement ses ouvriers italiens s’exposait à voir ses établissements incendiés101... A Arles, en 1888, deux zouaves ayant été tués dans une bagarre après boire avec des Italiens, une émotion populaire soulève la ville. L’instruction établira en fait que les zouaves avaient donné les premiers coups de couteaux. Peu importe, l’exaltation est à son comble et la chasse à l’Italien ouverte. A l’enterrement des zouaves, un ouvrier prononce un discours : « Vaillants défenseurs de la patrie, nous vous vengerons. » Les ouvriers manifestent contre un chantier de construction à La Bariol pour faire renvoyer les Italiens. Les esprits sont tellement surexcités que le sous-préfet demande qu’on ne poursuive pas les auteurs de violence contre les étrangers102. « Quand donc le gouvernement sévira-t-il contre les compatriotes de ces barbares et de ces chenapans à face humaine ? Quand donc flanquera-t-il dehors ces immondes personnages qui viennent enlever le travail à nos nationaux ? », écrit le Travail national, « journal républicain fondé sous les auspices du congrès départemental des ouvriers français de tous les corps d’Etat des Bouches-du-Rhône » et dont le directeur est Bézenet, un des principaux militants du syndicat des ouvriers du port.
58Ainsi, l’analyse de ces troubles fait apparaître un curieux mélange d’arguments matériels et de sentiment national ; les uns épaulant l’autre, sans qu’on puisse toujours dire ce qui prime. Elle montre que la solidarité internationale n’est pas une attitude spontanée. Facteurs économiques et politiques attisent la conscience des différences plus que des similitudes.
5°) L’action syndicale contre les étrangers
59La manifestation violente, incontrôlée, rate souvent son but ; aussi, peu à peu, beaucoup d’ouvriers s’orientent vers une action organisée ayant des objectifs précis : limitation ou exclusion de la main-d’œuvre étrangère. À cet effet, dans plusieurs villes, notamment dans les cités portuaires, se forment des « commissions d’initiative des ouvriers français ». C’est évidemment à Marseille que ce type d’action a pris le plus d’ampleur. En 1886 se réunit un « congrès des ouvriers français de toutes professions et de toutes catégories » qui, dans son appel, invite à « protester contre cette invasion des ouvriers étrangers », car « le travail national est le seul souverain »103. Très vite, les syndicats ont été conviés à intervenir et à sortir de leur indifférence en la matière. En effet, ils n’avaient pas mené d’effort particulier en direction des immigrants ; hormis quelques protestations isolées, la plupart s’étaient fort bien accommodés de la clause de la loi Waldeck-Rousseau interdisant l’admission des étrangers dans leur sein. Mais d’un autre côté, ils n’affichaient pas non plus d’hostilité déclarée ; lorsqu’en 1881, après les émeutes de Marseille, les socialistes proposent pour pallier la concurrence étrangère, l’établissement d’un minimum légal de salaire pour tous, plusieurs syndicats signent la motion en ce sens104. La Chambre des peintres en bâtiment de Paris l’assortit de ces déclarations : « La corporation des peintres pas plus que ses délégués n’avaient jamais eu l’intention de demander l’interdiction du travail des ouvriers étrangers, bien au contraire, ils considèrent tous les ouvriers de tous les pays comme leurs frères internationaux, ils étaient donc bien loin de réclamer leur expulsion. Ils ne demandaient qu’une chose juste et équitable, c’est que les ouvriers étrangers ne viennent pas travailler au-dessous du minimum du salaire des ouvriers français »105.
60Mais la crise rend utopique ces exigences ; l’impatience ouvrière, avide de mesures immédiates, agit sur les syndicats. Les déclarations xénophobes se multiplient dans les réunions de travailleurs. Voici le délégué du 17e arrondissement au congrès ouvrier (nuance possibiliste) de la salle Oberkampf, à Paris : « C’est chez les prolétaires italiens que j’ai trouvé les sentiments les plus anti-français. Quand ils sortent de France, il n’est pas de paroles de mépris dont ils n’usent à notre égard ; ils crachent leur tabac à la frontière en disant : “Assez de tabac français comme ça, viva l’Italia !” J’ai assisté à une fête anniversaire de la bataille de Solférino : ils ont rayé de la liste des soldats tués tous les noms des Français »106. Voilà, publiée sans commentaire dans Le Forçat, de Lille, une lettre d’un correspondant ouvrier : « Ne serait-il pas plus que temps d’attirer l’attention du gouvernement afin d’arrêter l’invasion des hordes flamandes qui finiront par absorber complètement notre pays ? »107. Au premier congrès de la Fédération nationale des syndicats, à Lyon, le porte-parole des peintres-plâtriers, Thibault, dans un rapport « très applaudi », nous dit-on, flétrit les patrons de la ville : « Pendant le chômage de nos concitoyens, des patrons indignes du nom de Français occupaient sans aucune pudeur des étrangers, pendant que... nous qui payons des impôts, nous dont les enfants payent l’impôt du sang à la patrie, nous étions dans la misère, alors que ces hordes d’étrangers venaient nous enlever le dernier morceau de pain »108. Une vive opposition se dessine contre les « cosmopolites », c’est-à-dire les guesdistes qui tentaient de dominer la Fédération : « Avant de s’occuper des étrangers, les cosmopolites feraient mieux de s’intéresser à leurs compatriotes »109 ; elle atteint son paroxysme au congrès de Bordeaux, où l’offensive est menée par les délégués des villes du Midi : Marseille, Béziers, etc., ceux de Bordeaux, et Boulé, du bâtiment, de Paris : « L’ouvrier français est fatigué de montrer l’exemple des bons sentiments et... il est temps pour lui de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’existence de nos nationaux »110. Cette question a contribué à détacher les syndicats du guesdisme, auquel on reproche de subordonner les intérêts ouvriers à des fins politiques. De façon générale, les militants soucieux de maintenir une attitude internationaliste rencontrent alors de grandes difficultés. Au congrès des « ouvriers français » de Marseille, en mars 1886, des responsables du parti ouvrier (Cadenat, Fabre, Parich), venus porter la contradiction, « sont hués... On les prend pour des étrangers »111. Dans la même ville, lors des troubles d’Aigues-Mortes, les anarchistes organisent une réunion pour protester contre les violences infligées aux Italiens ; elle est houleuse ; les anarchistes sont eux-mêmes divisés : « Nous n’accepterons les Italiens, déclare un assistant, que lorsqu’ils auront aboli leur roi »112.
61La plupart des organisations syndicales cèdent à la pression de leurs adhérents. Le ton change. Certaines Chambres (comme celle du bâtiment, à Grenoble113) révisent leurs statuts pour interdire expressément l’admission des étrangers ; d’autres se qualifient de « françaises »114 et mettent la protection du « travail national » au premier plan de leur action115. Celle-ci s’exerce auprès des pouvoirs publics et d’abord des municipalités. Les mesures préconisées sont presque toujours celles-ci : réservation des travaux des communes et de l’Etat aux seuls ouvriers français ; limitation du nombre des étrangers à 10 % des effectifs dans les entreprises privées. Le premier objectif fut très largement réalisé : vers 1893, la plupart des municipalités ont renvoyé les étrangers des services communaux116 ; sur beaucoup de chantiers de travaux publics, on n’embauche plus les étrangers qu’à concurrence de 10 %117. Certaines entreprises privées les imitent : dès 1887, les compagnies maritimes de Marseille, redoutant des incidents, respectent, au moins pour un temps, cette proportion : « Aussi est-ce pour cela que la colonie italienne... n’a pu depuis quelques mois trouver du travail en assez grande abondance et a été obligée de se livrer aux travaux les plus pénibles », écrit le correspondant du Cri du Peuple qui émet le vœu que le gouvernement italien rapatrie une partie de ses nationaux118. Dans l’ensemble, sur ce terrain, le mouvement ouvrier rencontre la compréhension des pouvoirs publics et même du patronat, prêt à des concessions sur ce point plus que sur bien d’autres : beaucoup de grèves qui avaient pour but le renvoi des étrangers ont été couronnées de succès.
62Les syndicats s’efforçaient en même temps de porter le débat sur le terrain législatif. Est-ce leur influence ? Celle des troubles xénophobes ? Le renouveau de tension internationale à cette époque ? Toujours est-il qu’entre 1885 et 1893 de très nombreux projets de loi ont été déposés pour réglementer l’immigration119. Peu ont abouti : la seule mesure concrète est le décret Floquet (2 octobre 1888) obligeant les étrangers à faire une déclaration d’identité. Précisé, assorti de sanctions pour les employeurs qui admettraient des étrangers non déclarés, il est devenu la loi du 8 août 1893.
63Ainsi voit-on se former l’idée, fort populaire, d’un marché national de l’emploi réservé aux seuls citoyens : aspects ouvriers d’un protectionnisme très général.
6°) Conséquences sur la psychologie nationale des ouvriers français
64La crise, en aiguisant les rivalités, a donc été un facteur de renforcement d’un nationalisme ouvrier en plein essor. Mais elle n’en est pas la seule source ; celle-ci vient de plus loin. Les ouvriers sont pris dans un contexte politique général, dans une ambiance émotionnelle auxquels ils n’échappent pas ; ils sont investis par la nation. La défaite de 1870 a été un véritable traumatisme120 que la dépression aggrave. L’opinion compare les difficultés économiques françaises à l’essor allemand qu’elle attribue volontiers aux traités de Francfort, vivement dénoncés dans les dépositions à l’enquête de 1884 ; il lui semble que la France a été vaincue une seconde fois : le thème du « Sedan industriel » a beaucoup de résonance. L’isolement diplomatique, fruit du système bismarckien, le rapprochement germano-italien, la Triple alliance signée en mai 1882, tous ces facteurs proprement extérieurs contribuent à durcir les rapports avec les ressortissants italiens, fondent certains troubles, comme ceux de Marseille en 1881, et colorent la plupart. Economique et politique s’épaulent ou se confondent.
65Parce que quotidiennement mesurée et vécue, la concurrence avec les ouvriers étrangers a conduit les Français à prendre plus vivement conscience de l’existence de l’étranger. Les immigrants apparaissent comme l’avant-garde de la marée plus menaçante encore des produits étrangers. Ils sont aussi le témoignage de la vitalité démographique des pays voisins. Le travailleur étranger détruit la qualité française. Qui sait s’il ne vient pas prendre connaissance de « nos secrets » pour les transplanter chez lui ? Ces Allemands, les « sujets de l’empereur Guillaume », ne sont-ils pas tout simplement des espions ? Pareillement, lors des émeutes d’Aigues-Morres, des ouvriers marseillais émettent l’hypothèse que le gouvernement italien, à la veille de faire faillite, a dépêché des sentinelles pour exciter les Italiens contre les Français de manière à trouver un prétexte de guerre121... C’est, transposé dans la tonalité prolétaire, le thème de la « main de l’étranger », si cher au patronat en cas de grève.
66L’ouvrier français se sent littéralement menacé, cerné, par le puissant développement de certains de ses voisins. L’emploi constant des termes d’ « invasion », de « nuées de sauterelles », de « hordes » pour désigner les immigrants, révèle un mépris mêlé de crainte. D’autant plus — on le répète — que les Allemands, les Italiens sont peut-être la première vague d’une autre immigration : celle des Jaunes, des Africains : le nègre, le coolie chinois se profilent à l’horizon mental de la classe ouvrière. La crainte du péril jaune surtout se fait jour. Du reste, même pour les plus internationalistes, les frontières de la solidarité s’arrêtent aux limites de l’Europe. Tous, sans exception, approuvent l’attitude des Californiens et la cite comme exemple à suivre à l’occasion : « Nous pourrions alors, à l’exemple du peuple californien, demander des garanties contre les Barbares », écrit Le Forçat dans le même article où il reproche à ses lecteurs leur impatience contre les Belges122. Dormoy, un des meilleurs militants guesdistes, parle avec une horreur non dissimulée de ces « sodomistes jaunes » dont le patronat menace les Français123. C’est assurément un autre chapitre qu’il faudrait aborder : la psychologie des ouvriers des pays développés vis-à-vis de ceux qu’ils estiment ne pas l’être.
67Bref : l’ouvrier français considère l’étranger comme la cause de tous les maux qui l’accablent. L’enquête parlementaire de 1884 le montre : ce n’est pas d’abord en termes de lutte de classes que les ouvriers français de cette époque expliquent la crise, et, sur bien des points, leurs conceptions confluent avec celles de leurs patrons. Comme eux, ils réclament l’élévation des droits protecteurs sur les marchandises étrangères, la révision des traités de commerce. Comme eux, ils suggèrent de réserver le marché français aux produits français ; mais en outre ils rêvent de vouer le travail français aux bras français. Là aussi, le vocabulaire est révélateur. Il est sans cesse question de « nos nationaux », de « travail national ». Dans leurs revendications, les travailleurs font appel au patriotisme de leurs concitoyens ; c’est en tant que Français dont les pères ont combattu dans les guerres et les révolutions en tant que citoyens qui ont bien mérité de la patrie, et qui continuent à la servir par le service militaire et l’impôt, que les ouvriers réclament du travail : il est leur héritage, leur patrimoine. Deux placards manuscrits, trouvés en avril 1885 sur le cours Belzunce à Marseille et signés « France », expriment naïvement et avec force ces représentations : « Vous laissez mourir de faim le Français, pour favoriser ceux qui ont la haine de la Patrie, qui vous fait vivre, vous n’avez pas de nationalité. Il n’y en a pas pour les parjures, mais le travail de la France est notre droit, et nous saurons l’obtenir », dit l’un, adressé au directeur des docks, Bruno Hue. Et l’autre : « Depuis trop longtemps on nous berne, on nous pressure de façon ignoble, nous avons fait (93) (48) (70), on nous fait tuer à l’étranger pourquoi ? Si non pour défendre notre travail car sans travail quel est notre avoir sur cette terre, quel est notre patrimoine ?... On nous vole notre sueur, encore si on nous faisait travailler demi-mal, mais non, nous ne sommes bon qu’à payer des impôts, et le peu de travail qu’il y a ce sont les étrangers (souligné dans le texte) qui l’occupe. Hé bien, le travail de la France nous appartient, nous le voulons et nous l’aurons, quand nous saurions de soulever les pavés et de les envoyer à la tête de ceux qui nous exploitent. France »124.
68On passe très vite au nationalisme tout court. Pour défendre leur droit au travail, les ouvriers mobilisent les ressources de l’histoire nationale, ils revendiquent leur rôle dans cette histoire, ils s’identifient à elle, ils la redécouvrent en s’y intégrant. Alors que les socialistes les convient à rejeter ce passé qui est celui de la bourgeoisie : 89, révolution bourgeoise, 70, guerre bourgeoise, pour fonder une histoire nouvelle : celle du quatrième Etat (et combien ce vocable même est riche de réminiscence), les ouvriers s’accrochent presque désespérément aux traditions nationales. C’est aux cris de « vive la France », en brandissant le drapeau tricolore, que les ouvriers de Marseille ou d’Aigues-Mortes, les mineurs de Liévin s’attaquent aux travailleurs étrangers. La controverse qui, à la même époque, oppose partisans du drapeau rouge et tenants du drapeau tricolore, illustre la force d’une tentation125. Au renforcement du sens de la nation correspond un obscurcissement de la conscience de classe ; d’où les résistances que rencontre le socialisme « cosmopolite » et le succès flambant, dans les milieux les plus démunis, du boulangisme, qui a largement exploité le thème du « travail national »126.
69Ces épisodes xénophobes sont riches de sens. D’abord, ils montrent la séduction qu’exercent, par temps de dépression, les solutions nationales, la popularité d’un protectionnisme largement souhaité. La crise n’est pas par elle-même porteuse de révolte ; tout dépend du degré d’organisation de la classe ouvrière. Lorsqu’il est réduit, et c’était le cas, les forces de dispersion l’emportent ; l’énergie ouvrière, détournée de la grève, dérive dans des mouvements défensifs, souvent spontanés, désordonnés, parfois sauvages ; elle hésite entre l’humilité et la fureur. On voit enfin combien la classe ouvrière de cette époque est peu détachée de la nation et comme elle ressent parfois la nostalgie du giron maternel.
II. LE POIDS DU POLITIQUE
1. GRÈVES ET POLITIQUE : TROIS MODÈLES
70L’influence des conditions politiques sur les grèves est très variable selon les époques, les pays. Elle s’exerce de deux manières. Elle dépend d’abord de la politique sociale des gouvernements : dirimante ou permissive. Les grèves éclatent lorsqu’elles en ont la liberté, quand les gouvernements sont tolérants, par obligation ou conviction. Les gouvernements durs, répressifs voient diminuer les grèves ; sociaux ou « faibles », ils les regardent croître. Dans cette perspective cavalière, les repères historiques ne manquent pas. Début de la Monarchie de Juillet, fin du Second Empire, avènement de la République (1878-1880), du Bloc des gauches, Front populaire sont marqués par des vagues de coalitions nées de l’espoir qu’engendre le changement des conditions politiques. Les ennemis de Waldeck-Rousseau disaient que chacun de ses ministères suscitait une recrudescence des conflits sociaux ; pour répondre à ces allégations, il fit établir en 1899 une répartition des grèves selon la chronologie des ministères de l’Intérieur successifs, qui confirme du reste parfaitement ces médisances127 ! A l’inverse, sous l’Empire autoritaire, la République de Thiers et celle de l’Ordre moral, le ministère Casimir-Périer, tous répressifs, c’est le reflux. Ainsi la théorie de Tocqueville, selon laquelle les révolutions sont l’apanage des gouvernements faibles, s’applique-t-elle assez bien aux grèves.
71Cette influence dépend, en second lieu, de la psychologie des ouvriers. La plupart des observateurs (Rist, March, Marchai, et plus récemment Goetz-Girey) s’entendent à reconnaître que, dans cette France du 19e siècle qui dure jusqu’en 1939, les considérations politiques tiennent dans la décision ouvrière de la grève une place notable. Plus latine qu’anglo-saxonne, la France serait une terre de « grèves politiques ». Mais lorsqu’on emploie cette expression, il s’agit de s’entendre sur le sens de la liaison invoquée. Celle-ci peut être causale ou finale.
72Politique, une grève peut l’être par son origine : influence de l’ambiance, du ressentiment ou de l’espérance politiques dans son déclenchement ; ou par ses objectifs, et alors deux cas se présentent :
révolutionnaire, la grève vise à changer le gouvernement ;
ou simplement elle cherche à infléchir sa conduite. En ce dernier sens, la plupart des grèves contemporaines sont politiques, en raison du rôle grandissant de l’Etat dans la vie économique. L’Etat, patron ou planificateur, se substitue de plus en plus aux entreprises privées et devient l’interlocuteur nécessaire des ouvriers.
73En définitive, les relations de la grève avec la politique dépendent pour une grande part des structures industrielles. Dans les pays développés, le gouvernement tend à devenir davantage « administrateur des choses » ; le pur jeu politique perd de son intérêt ; l’événement politique, si fascinant dans les pays d’économie retardataire, voit pâlir son auréole ; l’opinion, mieux informée ou du moins plus sollicitée par l’économique, en perçoit mieux l’impact. L’interprétation des crises fournirait un exemple d’une telle évolution ; de l’ère du soupçon où la crise-complot est attribuée aux machinations du pouvoir, ou de l’opposition, à la critique des options économiques d’un gouvernement, il y a loin. Pareillement, les grèves s’affranchissent de la conjoncture politique et leur courbe épouse plus intimement celle du mouvement économique128. Mais, d’autre part, les habitudes mentales persistent longtemps après les circonstances qui leur ont donné naissance. En France, où le « politique d’abord » est une vieille tradition jacobine qui a modelé jusqu’au visage du marxisme, la difficulté de dégager une opinion économique est patente. De nos jours, la carte des élections sociales (Sécurité sociale) reproduit celle du vote politique129 et l’influence des événements politiques sur les élections professionnelles (comités d’entreprise) est éclatante : l’insurrection hongroise a eu plus de retentissement sur le volume des suffrages accordés à la CG.T. que le programme économique de cette centrale130.
74Les trois types de liaison « grève-politique », que nous avons esquissés, peuvent coexister dans un même conflit : celui de 1920, dont A. Kriegel a montré l’extrême ambiguïté131, en offre un bon exemple. Cette grève charnière est politique par son climat, certes, mais aussi par sa finalité et ceci sur un double plan : tentative de révolution pour les uns, mais bien plutôt de réformation pour les autres, elle est à la fois résurgence du syndicalisme révolutionnaire, en même temps que grève d’un modèle nouveau, « constitutionnelle », selon le mot de Maxime Leroy132.
75Mais la plupart du temps, ces trois modèles correspondent à des strates successives. De nos jours, la grève se veut pression sur le pouvoir maître de l’économie. Entre 1895 et 1920, le syndicalisme révolutionnaire avait cherché à faire prévaloir la grève subversive. Mais l’étude attentive des conflits de cette époque, leur meilleur ajustement à la conjoncture, que souligne E. Andréani, semblent indiquer que le monde ouvrier voyait essentiellement dans la coalition un bon instrument de lutte revendicative. Avant 1890, les grèves à objectifs politiques sont extrêmement rares. On se méprendrait, à mon sens, si on interprétait comme telles les grands mouvements de la fin du Second Empire. Par contre, le climat politique, en raison de ses perturbations mêmes et de l’intérêt qu’y porte la classe ouvrière, a beaucoup d’importance, notamment avant 1880, au temps de la République incertaine.
2. LES GOUVERNEMENTS ET LES GREVES
A. La politique sociale des gouvernements et son influence sur les grèves
76Apparemment connue dans ses grandes lignes, la politique sociale des débuts de l’ère républicaine demande sans doute un réexamen : des travaux en cours ou parus récemment s’y attachent. Plutôt que de répéter ici des banalités, idées reçues aujourd’hui, démenties demain, contentons-nous de tracer d’abord la courbe du taux de répression des grèves (nombre de condamnés pour mille grévistes), calculé à partir des Comptes de la justice criminelle133 (fig. 13). Elle met en évidence la clémence relative, encore hésitante, des tribunaux de l’Empire libéral. Désarçonnée par la loi de 1864, la justice s’est ressaisie : d’où la remontée du taux à 9 ‰ en 1866 ; mais en 1870, il n’est que de 2 ‰. Le caractère répressif du gouvernement de Thiers et, à un degré moindre, de celui de l’Ordre moral apparaît clairement, avec les chiffres exceptionnellement élevés de 13, 15, 18 ‰ en 1872, 1873, 1874. Si la détente qui suit l’avènement de la République modérée n’est pas immédiate (encore 6,7 ‰ en 1878), parce que les Républicains ont été surpris et inquiets de la flambée des grèves qui les a accueillis, elle est ensuite très sensible : de 1879 à 1894, le taux de répression se maintient constamment en dessous de 3 ‰ et tombe, en 1885, à sa valeur la plus faible (0,8 ‰). Ces chiffres illustrent le contrasté des attitudes, ils évoquent des ambiances sociales totalement différentes.
B. Au temps de la République de Thiers
77Dures années pour la classe ouvrière, amputée, endettée, surveillée, soupçonnée, que celles de Thiers et de Mac-Mahon. Paris a perdu près de 100 000 travailleurs : 20 000 à 30 000 tués peut-être, 40 000 arrêtés, le reste en fuite134, creusent « dans notre fortune publique un vide irréparable » que Le Temps qualifie de « nouvelle révocation de l’Edit de Nantes »135. Ce témoin peu suspect a tracé du Paris populaire de l’après-Commune de noirs tableaux, évoqué les sordides vengeances de Monsieur Vautour au terme de juillet, marqué par d’innombrables expulsions136, les perquisitions, les délations, le désespoir des fuyards traqués, seuls dans une campagne hostile137. Si la bourgeoisie industrielle, que la nécessité rend pragmatique et tolérante, intercède — « rendez-nous nos ouvriers » —, la revanche des propriétaires et des rentiers, gens à principe, est terrible : à la mesure de leur frayeur.
78Cette frayeur, elle transpire dans les débats de l’Assemblée nationale, dans la préoccupation soudaine qui porte ces ruraux à s’interroger sur un monde brutalement révélé, à multiplier fébrilement les commissions d’enquête : sur les grèves, les associations, l’insurrection du 18 mars, « les conditions du travail »... « Au lendemain d’une crise sociale sans exemple, l’Assemblée a voulu se rendre un compte exact de la situation de ceux au nom desquels se font les revendications violentes qui bouleversent les pays »138. Elle transparaît aussi dans les rapports de l’administration qui voient partout, notamment dans les nombreuses grèves de 1871-1872, la main de l’Internationale. A Rouen139, à Brassac-les-Mines140, à Limoges, à Roanne..., les préfets la soupçonnent d’avoir fomenté les coalitions : « Je suis assuré que le principe des différentes grèves que nous avons eues à Roanne, depuis cette année, repose sur un but politique. L’Internationale et la société coopérative ne sont pas étrangères à cet état de choses et l’on peut affirmer qu’elles seules ont donné le mot d’ordre aux corps d’état de toute nature »141. Toute migration est suspecte : en 1873, la récession ayant entraîné quelques déplacements de main-d’œuvre en quête d’emploi142, le ministre de l’Intérieur Beulé flaire le complot, il ordonne une enquête : « L’administration supérieure a intérêt à savoir si ce mouvement inusité d’ouvriers doit être attribué seulement à la crise que traversent en ce moment certaines industries du Centre et du Nord ou s’il ne se rattacherait pas plutôt à des motifs politiques »143. Aux yeux de ces notables voués à l’enracinement, tout migrant est anormal, inquiétant, colporteur de subversion : « C’est à ces ouvriers nomades, le plus souvent agents de l’Internationale, que sont presque toujours dues les agitations qui se produisent dans les centres industriels »144. Toute simultanéité, même saisonnière, est le résultat d’un mot d’ordre.
79Réelle ou feinte, cette peur, en tout cas, fonde la politique d’ordre patriotique de la République orléaniste de Thiers. « Le gouvernement de la République doit moins qu’aucun autre souffrir le désordre. Ce n’est pas au moment où tous les capitalistes de l’Europe viennent nous offrir leurs capitaux qu’il faut leur présenter le spectacle de l’anarchie. Les misérables qui troublent l’ordre en ce moment sont les ennemis de la libération du sol »145. Argument classique, habile tactique en ces temps de patriotisme exacerbé, pathologique : la grève est un scandale et le gréviste un traître ; ils rencontrent peu de sympathie, ils méritent la rigueur. D’où l’aggravation des taux de répression. Au sous-préfet de Castres, de Lestaubière, qui, affronté à une dure grève de tisserands, s’interroge et incline à la persuasion — « ceux qui n’ont pas de responsabilité trouvent toujours qu’on agit trop doucement... Il faut tenter d’épuiser tous les moyens d’apaisement et de conciliation... On sait parfaitement quand la répression commence, on ne sait pas quand et où elle s’arrête »146 —, le préfet répond sèchement en condamnant toute casuistique et ordonne « une répression immédiate » : « Faites-moi savoir si je puis annoncer au gouvernement que les coupables les plus compromis sont entre les mains de la justice, ou tout au moins si le public sait que l’instruction est commencée et marchera promptement »147. Dans les départements en état de siège, les grévistes sont traduits devant un conseil de guerre. Que les préfets n’hésitent pas à faire donner l’armée, c’est la consigne de Thiers lors de la grève des mineurs de juin 1872 : « Un second régiment est prêt à partir... Soyez donc tranquille et agissez avec rigueur. Châtiez. Faites que tout cela finisse absolument... Dispersez les bandes par de la cavalerie appuyée d’infanterie. Faites saisir les plus mutins et livrez-les à la Justice »148. Lorsque le préfet télégraphie à Thiers que, dans une échauffourée, deux mineurs ont été tués, une douzaine blessés à coups de baïonnette, il commente : « Depuis, Denain et les environs sont tranquilles... En somme, la situation est excellente, la grève touche à sa fin »149. De dures peines sanctionnent des faits insignifiants : huit mois de prison à un mineur, auteur d’un graffiti annonçant une grève imaginaire150 Des ouvriers sont poursuivis et condamnés à titre préventif : « Ce sera d’un bon effet pour tous ceux qui à l’avenir voudraient faire grève »151.
80Certains voudraient profiter de cette conjoncture pour restaurer l’autorité patronale ébranlée par la « dangereuse », « l’inique loi de 1864 », « ver rongeur qui mine sûrement l’édifice social et qu’il est temps d’arrêter »152. Dès le 1er juin 1871, un projet Peltereau-Villeneuve demande son abrogation pure et simple ; par le canal des chambres de commerce (celles de Rouen, de Paris...)153, de chambres syndicales, notamment d’entrepreneurs du bâtiment154, une pression s’exerce en ce sens, insuffisamment sans doute, car la commission parlementaire chargée d’examiner ce projet, et où siégeaient Tolain et Godin, la repousse et propose seulement un aménagement du droit de grève : les coalisés devraient d’abord soumettre leurs griefs à des tribunaux de conciliation155. Ainsi le patronat de droit divin était bien mort, l’Empire avait achevé de le tuer. Aux yeux des industriels mêmes, la reconnaissance du droit de grève a quelque chose d’irréversible. L’examen attentif des réponses à l’enquête de 1872 le montre. « Quel a été l’effet de la loi de 1864... sur les relations entre les ouvriers et les patrons ? »156. Sur 327 réponses patronales, 97 seulement comportent là-dessus un avis motivé. Trente-trois estiment la loi néfaste, « subversive au principe élémentaire de l’offre et de la demande », « une calamité sociale » ; « l’ouvrier peu à peu s’est habitué à l’idée de se croire des droits au moins égaux à ceux des patrons vis-à-vis desquels il se considérait jusqu’alors comme subordonné »157. Le vice capital réside dans « le fait de grouper les ouvriers et d’en faire une classe à part dans la société ; de leur donner des chefs autres que ceux que leur a assignés la Providence, dans la personne de leurs patrons »158. Mais cinquante-neuf industriels et non des moindres, jugent la loi sans influence déterminante : « Elle n’a pas créé le mouvement, elle l’a facilité et accéléré »159. Il se trouve même cinq réponses pour la justifier : « Elle est bonne parce qu’elle garantit énergiquement la liberté des patrons et des ouvriers »160 ; « elle a obligé les patrons à prendre mieux en considération les intérêts de leurs ouvriers, elle sanctionne un principe juste qui doit être maintenu »161. Si dix-huit patrons préconisent explicitement l’abrogation de la loi, la majorité, par son silence, semble préférer le statu quo. On ne saurait en tout cas parler d’une offensive claironnante et concertée. Résignation ou réalisme : la grève, décidément, entre dans les mœurs.
81En définitive, rien dans ces réponses ne suggère une panique débordante. Quelle a été la profondeur, l’étendue, le contenu et la qualité de la peur née de la Commune ? A cette étude de psychologie sociale, les remarques qui suivent n’ont pas la prétention d’apporter une réponse suffisante. Mais il me semble qu’on a parfois exagéré la gravité du traumatisme. Il apparaît limité dans l’espace et le temps. Insurrection de Paris, la Commune n’a pratiquement pas touché la province et, dans l’enquête de 1872, le patronat s’émerveille plutôt du calme des ouvriers. La peur, d’autre part, s’apaise vite ; son expression, après 1873, s’estompe dans la presse quotidienne ; jusqu’aux grèves de 1878, il y a dans les colonnes des journaux un grand silence sur les questions ouvrières, l’étude des sources l’a montré. A la même époque, les rapports des aristocratiques préfets de l’Ordre moral sentent la campagne. Tous les propos rendent un son rassurant. En affirmant qu’il n’y a pas une, mais des questions sociales, Gambetta avait émietté le danger. Ducarre, dans son rapport sur l’enquête de 1872, le pulvérise162. Curieux rapport que cette apologie de la liberté individuelle, sans aucune référence aux réponses reçues163. Pour Ducarre, la mobilité sociale empêche la constitution d’une « classe » ouvrière ; les ouvriers sont le réservoir du patronat. D’ailleurs, la grande industrie est bien moins importante que la petite, elle tend même à régresser en raison de la vulgarisation des machines : « Il existe un mouvement marqué de retour vers le régime de la production fractionnée. » Paris seul pose un problème, mais il ne faut pas l’exagérer : il « compte à peine pour un sixième de la production industrielle française ». Il est vrai que cet optimisme béat n’était pas partagé par tous et que de vives critiques furent opposées à Ducarre, à gauche mais plus encore à droite, du côté d’Albert de Mun. Le rapport du Père Marquigny sur « la corporation chrétienne et la liberté individuelle », lu le 21 novembre 1875 au congrès de Lille, est presque entièrement consacré à la réfutation des thèses de Ducarre que pourfend aussi le comte de Germiny dans la livraison de janvier 1876 de L’Association catholique. C’est que, peut-être, la peur a été surtout celle des ruraux, séculairement hantés par les désordres de la capitale. Que la Commune ait renforcé chez eux une certaine image toujours présente de la ville dangereuse, « convulsive », c’est bien probable. La peur a été moindre chez les industriels ; aucune trace d’affolement dans leurs réponses de 1872 ; la persistance de bons rapports avec les ouvriers est aussi souvent affirmée que leur dégradation. Peu d’allusion à la Commune, mais bien plutôt aux mauvaises lectures, aux cabarets, aux mauvaises mœurs nées de la promiscuité. Curieusement, ces artisans de l’agglomération rejoignent les ruraux dans la dénonciation des perversions citadines, répétition quelque peu stéréotypée du vieux thème cher au 18e siècle ; dans le rêve, encore souvent exprimé, d’implanter l’usine aux champs, il y a comme un écho nostalgique des projets de Ledoux164 ; signe d’une grande permanence des attitudes, d’une société longtemps rebelle à l’urbanisation, plainte ancienne plus que cri d’une peur récente.
C. L’Ordre moral et les grèves
82Néanmoins, jusque vers 1875, le gouvernement de l’Ordre moral maintient une attitude rigoureuse : forte répression des grèves, refus systématique des autorisations de groupements ou de réunions, dissolution des organisations suspectes. Ainsi à Lyon, en 1874, dix-neuf sociétés ouvrières sont interdites par jugement du tribunal ou arrêté préfectoral ; en 1876, cinq seulement subsistent tant bien que mal165. On perquisitionne à Douai au domicile d’une quinzaine d’ouvriers de diverses professions qui projetaient une chambre syndicale de tous les corps d’Etat166. En 1875, la « caisse de secours pour le cas de chômages résultant de la grève » des tisseurs de Vienne est dispersée167, etc. Les réunions sont étroitement surveillées : à Bourg-de-Péage, trente-huit ouvriers cordiers sont traduits en correctionnelle pour avoir participé à une assemblée où la question de la grève a été agitée168. Les cafés reprennent leur vieux rôle d’asile politique. Les bronziers de Paris veulent-ils se concerter ? Ils se rendent chez un marchand de vin de la rue Saint-Maur, ancien ouvrier boutonnier : « A la réunion, on avait placé sur la table un bouquet pour faire croire à une fête en cas de surprise », écrit un mouchard de la préfecture de police qui est de la partie169. Dans cette atmosphère lourde, seules résistent les vieilles corporations habituées aux mystères compagnonniques, aux relations épistolaires : ouvriers du cuir, fondeurs et mouleurs... Ceux de Nantes écrivent à leurs confrères de Chartres en grève, en leur envoyant quelque argent : « Il faut surtout de la prudence, car dans ce siècle-ci, il faut si peu de chose pour que l’on vous arrête, que l’on est obligé de ne pas tout dire ce que l’on pense. Courage et persévérance »170. Il est du reste difficile, faute de documents, d’apprécier l’importance de la résistance clandestine.
83Ces conditions, jointes à la récession, expliquent le recul des grèves, comme aussi leur caractère inorganisé : en 1875, 1,9 % des coalitions sont dirigées par une chambre syndicale ; c’est le taux le plus faible de toute la période. Mais, en retour, ce recul achève de rassurer : la grève est périmée, dit-on, à droite comme à gauche ; les temps de l’ouvrier « sage » sont venus, dont Le Rappel fait la louange par le truchement de Barberet171 ; la silhouette même du prolétaire s’éloigne à l’horizon apaisé172. Les progrès de l’œuvre des cercles catholiques ouvriers polarisent bien davantage l’attention, pour les uns, aube d’une réconciliation sociale, pour les autres, signe alarmant de l’offensive royaliste et cléricale173. Rasséréné, le gouvernement de l’Ordre moral se teinte de « légitimisme paternel » et desserre son étreinte. D’où, à la faveur de la reprise économique, une renaissance des grèves et des organisations en 1875-1876174, où Paris joue un rôle moteur175. Malgré tout, le taux de répression baisse fortement (5,3 et 4,7 ‰).
84Mais la crise du 16 mai 1877 brouille à nouveau les perspectives, réveille toutes les méfiances antagonistes. Sur les images de propagande électorale, répandues à foison dans les campagnes, le Maréchal à cheval se profile sur fond d’incendie : Paris brûlé par la Commune. Quoique les grèves aient été rares alors, elles ont inquiété, et surtout l’agitation concordante des centres miniers : grève à Lavaveix-les-Mines (Creuse) le 5 juin ; à Nœux-les-Mines, le 8 ; tandis que le 24, à Bézenet, des placards incisifs incitent les mineurs à la révolte176. Interprétés parfois comme une rébellion politique, ces mouvements ont été châtiés vigoureusement ; de dures condamnations (19, de 3 à 15 mois de prison) sanctionnent les mineurs de Nœux, jugés à la hâte, à huis-clos, « dans la crainte que cette affaire fasse du bruit », jugement que l’agent spécial envoyé pour enquête par la préfecture de police estime tout à fait excessif : « Ils ne se sont pas révoltés, ils ont subi l’influence de la troupe sans rien dire. Il n’est pas exact, comme l’ont dit certains journaux, que la troupe ait été reçue à coups de pierre. Cela, je peux l’affirmer »177. Compagnie et pouvoirs publics s’épaulent mutuellement. Pour hâter la reprise du travail, la compagnie renvoie des écoles les enfants des grévistes ; aidée par la gendarmerie, elle fait « des démarches et même des menaces aux mineurs qui sont attachés au sol, c’est-à-dire qui possèdent quelques brins et qui sont établis à Nœux et ses environs. Quelques heures après, tous abdiquaient et demandaient à descendre »178. En même temps se réveille l’intolérance contre les organisations ouvrières : à Lyon, en décembre 1877, elles sont toutes dissoutes, alors qu’elles préparaient le congrès ouvrier179.
85Ainsi, durant toute cette phase, la politique du gouvernement, quels qu’aient été ses fondements psychologiques réels, a profondément entravé le développement du mouvement ouvrier et celui des coalitions.
D. La République opportuniste et les grèves
86La conquête républicaine a été saluée par une salve de grèves qui a planté dans le décor la stature de l’ouvrier. Elle a surpris le pouvoir qui l’a d’abord interprétée comme une machination politique, œuvre sournoise des monarchistes évincés, alliés aux grandes compagnies minières qui, justement, tiennent le devant de la scène. Pourtant, la croissance du mouvement en 1879-1880 rend insuffisante l’explication traditionnelle. A Reims, à Rouen, à Roubaix, les récits des reporters insistent sur la portée sociale des revendications. Après des années de refoulement, les grèves sont le rappel des promesses, l’explosion de l’espoir. Les plus lucides le comprennent. Au niveau des hommes d’Etat, Pierre Sorlin a montré comment ce spectacle a éveillé la conscience engourdie des opportunistes ; du moins des gambettistes que l’auteur oppose au groupe de Ferry. Tandis que les hommes de la Gauche républicaine — les Ferry, Grévy, Casimir-Périer, Andrieux, Wilson... —, par leur fortune et leurs alliances, cousinent avec le grand capital et, par leurs nostalgies campagnardes, demeurent des notables de l’ancienne France180, les gambettistes, moins pourvus, déracinés et attirés par la capitale, sont plus sensibles aux palpitations urbaines181. Gambetta est un des premiers à discerner les contours du quatrième Etat ; en 1880, l’homme du discours du Havre ne nie plus qu’il y ait une question sociale, il en affirme au contraire l’urgence. A quelque distance, Waldeck-Rousseau suit182. L’un et l’autre prennent contact avec les modérés du mouvement ouvrier : l’Union des chambres syndicales ouvrières de France, de tendance barberettiste, et son organe, Le Moniteur des syndicats ouvriers ; le syndicat des mineurs de la Loire, alors dominé par Rondet. Ils disent la nécessité d’une législation sociale ; ils se proclament hostiles aux monopoles. Ceux-ci ont mauvaise presse : leur collusion avec l’Ordre moral, leurs sympathies monarchistes, les pressions abusives qu’ils ont exercées lors des élections de 1877 les ont compromis ; ils font figure de « collaborateurs » et leurs ouvriers de « résistants ». « Il faut reconnaître les services rendus par la classe ouvrière », imprime L’Evénement183. Ils ont perdu la domination absolue de la chose publique ; du moins, ils ne la régentent plus sans frein ni sans fard184. Nulle crainte, nul tremblement n’accompagnent, au reste, la réflexion gambettiste : elle se développe dans l’optimisme, la ferme conviction que la solution est en vue, à portée de la bonne volonté des républicains et de ces « ouvriers modèles » qu’incarnent Barberet et Rondet. Cet espoir, partagé par beaucoup d’ouvriers, attise leur ardeur et lui prête sa coloration, respectueuse d’un pouvoir dont on attend beaucoup. Aussi 1879-1884 sont-elles les années sociales de l’opportunisme, les temps de l’alliance avec la classe ouvrière, rempart de la République ; marquées par un effort législatif, dont la loi sur les syndicats est le résultat le plus notable, et par une détente assez sereine vis-à-vis du mouvement ouvrier, jugé raisonnable et fondé, elles ont l’allégresse des commencements.
87Sur la grève, le regard se modifie. On cesse de voir en elle l’œuvre unique, la fantaisie provocante d’agitateurs, pour considérer ses racines ; on admet, comme Jules Siegfried en 1893, que « les conflits contemporains du capital et du travail résultent pour la plupart de l’expansion de la grande industrie qui repose... sur la concentration et l’anonymat des capitaux »185. Inévitable, la grève est un droit186, une nécessité parfois, juste résistance aux prétentions capitalistes, que les nouveaux préfets peignent souvent comme insatiables187, voire légitime revendication des fruits de l’expansion188.
88D’où le changement de ton des instructions données aux préfets189 qu’illustre bien la circulaire de Waldeck-Rousseau (27 février 1884) « concernant les grèves »190. Sans doute le préfet est gardien de l’ordre ; encore doit-il le faire avec tact, éviter cette impression de guerre civile que suggère toujours le recours à l’armée ; « la gendarmerie est la seule force publique dont vous ayez à user habituellement pour assurer l’ordre et protéger la tranquillité ; c’est là sa mission, c’est là son rôle normal ; la troupe en a un autre, aussi n’y devez-vous recourir qu’à la dernière extrémité » ; de surcroît, cette délicatesse était rendue nécessaire par le caractère plus national et populaire de l’armée. Mais là ne se borne pas le rôle du préfet ; il doit enquêter, concilier, organiser ces « conférences... où les malentendus s’expliquent, où apparaît plus clairement aux yeux des uns et des autres ce qu’il peut y avoir de fondé dans certaines doléances..., de légitime dans certaines prétentions », bref, il doit intervenir. En outre, par une observation continuelle de la vie industrielle, il tentera de prévenir les heurts : un post-scriptum, qui a fait couler beaucoup d’encre, prescrit aux préfets de se mettre « en relations constantes » avec les directeurs d’usines afin « d’être tenus au courant des projets qu’ils peuvent avoir d’apporter, dans les salaires ou dans leurs procédés d’exploitation, des modifications de nature à provoquer des grèves ». La paix sociale conduit à la vigilance économique : cette période a été effectivement la plus féconde en rapports sur la situation industrielle des départements191.
89Enquête, prévention, négociation, arbitrage : tels sont les nouveaux mots d’ordre. Ils traduisent à la fois le désir de la jeune République d’avoir une administration efficace, souci majeur d’un Waldeck-Rousseau192, et celui de la médiation. Waldeck considérait la loi de 1864 comme anarchique parce que favorisant l’affrontement brutal entre les forces adverses ; sa circulaire est le premier maillon d’un effort désormais irréversible ; elle annonce la loi du 27 décembre 1892 sur l’arbitrage et le langage d’un Jules Siegfried. Langage tout modéré certes, qui poursuit avant tout « le maintien de la paix sociale dans l’harmonie nécessaire du capital et du travail »193 ; langage hésitant, balbutiant sur les limites et les degrés de l’intervention. Aux mineurs de Carmaux qui le sollicitent personnellement, le ministre de l’Intérieur, Waldeck encore, fait répondre que « l’action officielle du gouvernement n’a pas à se manifester. L’administration a du moins le devoir de s’employer à l’apaisement du conflit »194 : le gouvernement continue à se dérober dans les brumes du Sinaï. Et pourtant le contraste est réel avec la politique répressive de l’Ordre moral comme avec les consignes de neutralité périodiquement dispensées dans le passé aux administrateurs. « Vous devez vous abstenir d’intervenir dans les négociations engagées entre les patrons et les ouvriers », recommandait en 1865 le ministre de l’Intérieur au préfet de l’Isère ; « l’administration ne doit intervenir que pour maintenir l’ordre »195. Dans la distance des textes, le vieux libéralisme, qui ne croit qu’à « l’ordre naturel des choses »196, agonise.
90Longue et lente agonie : les oppositions au nouveau cours sont fortes. La circulaire Waldeck-Rousseau a suscité une levée de boucliers. Tandis que Le Temps, Le Petit 19e Siècle, Le National en approuvent les termes, les organes d’extrême gauche et d’extrême droite surtout les fustigent. La Patrie, Le Pays, Le Français s’insurgent notamment contre le post-scriptum : « Voilà maintenant les chefs d’usine mis sous la tutelle des préfets ! Un besoin impérieux de domination, de centralisation tourmente décidément les ministres républicains. Il faut que partout ils imposent leur volonté. Le gouvernement n’est plus qu’un service d’inspection qui embrasse tout, tout depuis le secret professionnel jusqu’au secret des consciences. On a commencé par vicier celui-ci ; il était tout logique qu’on terminât par celui-là »197. Eternelle protestation des privilégiés dont la législation limite les avantages ; mais aussi attachement sentimental à une vision du monde ; il nous faudra voir l’ampleur, le contenu mental et social de telles résistances.
91La portée pratique de ces instructions dépend évidemment des préfets auxquels elles sont destinées. Par eux, le verbe se fait chair, l’intention s’incarne ou demeure au ciel des principes. Le corps des préfets, complètement renouvelé lors du triomphe républicain, puis stabilisé, a joué, face à un exécutif fluctuant, un rôle propre que nous étudierons plus tard198. Moteur ou frein, il a contribué à modeler la politique sociale de la République. Mais il n’échappe pas à la conjoncture. De 1878 à 1884, la nouvelle vague des administrateurs, souvent issus des classes moyennes, paraît disposée à l’innovation. A Saint-Etienne, à Montceau, à Cornimont (Vosges), à Roanne, à Carmaux..., certains d’entre eux n’hésitent pas à tenir tête aux industriels, à dénoncer leur âpreté au gain, leur soif d’autorité sans partage, leurs attaches réactionnaires et cléricales. « Ils sont d’une autre époque », écrit le sous-préfet de Roanne, mis au ban de la bourgeoisie locale. Mais cet élan ne dure pas.
92Les années 1884-1886 marquent, en effet, la fin d’une illusion réciproque. Livrés sans défense à la crise, les ouvriers cessent de croire aux capacités réformatrices des gambettistes, tandis que ceux-ci mesurent à leur tour la fragilité de l’alliance ouvrière qui n’était pas inconditionnelle. Illusoire, l’originalité sociale des gambettistes est éphémère ; après 1884, peu de choses distingue un Ferry d’un Waldeck. L’évolution de ce dernier est significative, comme les influences auxquelles il cède. A Anzin, Jules Cambon le convainc du rôle déterminant des meneurs, de Basly199 ; aussi, partisan d’abord d’une médiation vigoureuse, il s’abstient200. A Paris, Camescasse201 lui communique sa hantise du péril anarchiste et, devant les manifestations de chômeurs, le seul souci du ministre est le maintien de l’ordre202. Les critiques des milieux d’affaires ont certainement contribué à émousser sa bonne volonté sociale203. Face aux attaques des radicaux, puis des socialistes, devant les dangers du boulangisme césarien, face à l’émancipation du mouvement ouvrier qu’il fallait bien cesser de considérer comme sage (le barberettisme fut un échec complet), l’Union républicaine, moquée, décriée, refoulée à droite, ne peut plus prétendre incarner la République sociale ; elle se fond dans l’opportunisme menacé. Assiégé de toutes parts, celui-ci, conscient du délabrement du rempart ouvrier, cède à l’attraction rurale ; Waldeck ne rêve-t-il pas d’installer le ministère de l’Intérieur en province, pour le soustraire aux agitations urbaines ? Signe évident du divorce entre la République modérée et la classe ouvrière.
93Aussi note-t-on dès lors un certain raidissement. Pour le pouvoir comme pour l’administration, le devoir d’ordre tend à primer tous les autres. Tandis que les préfets constituent fébrilement des fichiers de « suspects », précieux pour l’historien, la thèse du meneur renaît avec vigueur. Et si le taux de répression demeure faible (en dépit d’une remontée à 4,1 ‰. en 1886), celui d’intervention des troupes augmente : tombé à 3 ‰ en 1882, il est, à partir de 1886, constamment au-dessus de 10, atteint 15 ‰ en 1890. Sans doute s’agit-il le plus souvent de la gendarmerie ; mais en 1886, l’armée occupe Decazeville, Saint-Quentin, Vierzon. En cette dernière ville, comme le préfet manifeste des velléités de réticences vis-à-vis de la Société française de matériel agricole, très liée aux milieux gouvernementaux, le ministre de l’Intérieur, le prudent Sarrien, recommande la circonspection : « Je vous rappelle que votre rôle doit se borner à faciliter officieusement les rapports entre les intéressés sans prendre parti dans aucun sens et assurer le maintien de l’ordre et de la liberté du travail »204. Le Conseil des ministres décide de faire arrêter, à Decazeville, Duc-Quercy et Roche. En 1888, Floquet, un radical dont la classe ouvrière attendait beaucoup, sévit contre les terrassiers en grève, fait charger le cortège funéraire d’Eudes, occuper la bourse du travail205. Surtout, de 1889 à 1892, le ministère de l’Intérieur est aux mains de Constans, un énergique qui ne barguigne pas avec la discipline de la rue. A peine est-il au pouvoir qu’il annule les consignes modérées données aux préfets par Floquet pour la journée du 24 février 1889, les remplace par un refus de recevoir les délégations ouvrières. Lors du 1er mai 1890, il prend d’impressionnantes mesures : mobilisation des forces armées, arrestations préventives... L’année suivante, la fusillade de Fourmies, le premier grand massacre de la Troisième République, allait achever la rupture entre les modérés et la classe ouvrière, hâter la montée du socialisme.
94Et pourrant, il faut y insister : au-delà de ces alternances, de ces fluctuations, image d’un pouvoir ballotté, la tendance fondamentale à la médiation n’est pas sérieusement remise en question. Une courbe continue relie la circulaire aux préfets de 1882, la loi d’arbitrage de 1892, le projet Waldeck-Millerand de 1900206 et même les accords Matignon de 1936. Ces textes traduisent une nouvelle conception des rapports sociaux où la répression est la dernière des solutions. La classe ouvrière forme désormais un groupe de pression qui compte et qu’il faut de quelque manière satisfaire. Chaque grande poussée de grève entraîne une intention, et parfois une réalité de réforme. Quelles que soient leurs motivations, ces réformes ont profondément modifié la société. Ainsi, les velléités opportunistes sont plus qu’un épisode de l’histoire des bons sentiments. Elles illustrent ce trouble, cet ébranlement qui est à l’origine des prises de conscience ; elles ont contribué à instaurer un nouveau style de relations entre le pouvoir et le monde ouvrier, qui, en libérant la grève de l’étau de la répression, a permis d’en normaliser l’exercice.
95Après 1880, le poids du politique s’allège. La courbe des grèves bondit. Plus affranchie du politique, elle obéit davantage à des facteurs économiques.
3. LES OUVRIERS, LA POLITIQUE ET LES GREVES
96Entre 1871 et 1890, les ouvriers n’ont pas utilisé la grève comme arme de la vie politique. Celle-ci a ses moyens spécifiques : pétitions, manifestations, et surtout bulletin de vote. La désertion des ateliers gêne le patron, non l’Etat. Il est significatif que de grands événements, comme le 16 mai 1877 ou l’élection de Boulanger, n’aient entraîné aucune réaction proprement usinière.
97Par contre, l’ambiance, le climat politique ont eu, à maintes reprises, une influence décisive. Parfois refoulante : ainsi la retombée des grèves après 1872, le « recueillement » du mouvement ouvrier entre 1873-1878, ne s’expliquent pas seulement par la détérioration de la conjoncture et les rigueurs du régime ; mais aussi par une sorte d’abstention volontaire, de sourdine mise à la revendication, au bénéfice de la République, frêle enfant que les radicaux invitent à ménager. « Malgré la faim, les ouvriers se sont tus », écrit Barberet. « Pourquoi cette abnégation, poussée jusqu’au stoïcisme ? A cause du mot : République ! Nous disons du “mot”. Car nous n’avions guère alors croe cela »207. Les élections surtout préoccupent les ouvriers. « Ils y mettent un zèle et une activité qui fait le succès de leurs entreprises »208. Si, en 1876, l’organisation de la délégation à Philadelphie marque le pas, c’est à cause de la priorité qui leur est accordée : « La République d’abord, la délégation après »209. Plus généralement, les travailleurs délaissent aisément le terrain ouvrier pour les grandes affaires populaires. Dans l’été 1875, des inondations catastrophiques ayant ravagé le Midi, la presse radicale ouvre des souscriptions, la commission d’initiative pour Philadelphie suspend la sienne « pour ne détourner aucune obole de la souscription en faveur de nos malheureux frères »210 ; et, dans les colonnes du Rappel, les listes des envois ouvriers, individuels ou collectifs (ateliers et syndicats) s’allongent ; pour Paris seulement, ils totalisent 75 000 F, beaucoup plus que n’en suscitera avant longtemps aucune grève ; tandis que de grandes voix orchestrent ce patriotique concert211. Sans doute, la fibre météorologique est une des plus vibrantes en l’âme populaire ; mais aussi, les fortes commotions nationales ont souvent pour effet d’affaiblir le sens de classe.
98A l’inverse, tout succès politique, toute conquête républicaine incite les ouvriers à pousser leur avantage, non seulement par calcul, mais par élan retrouvé. Une victoire électorale entraîne fréquemment des revendications sociales : ayant renversé la municipalité conservatrice, les mineurs de Brassac réclament le départ de l’ingénieur, la diminution des heures de travail212 ; au lendemain d’un scrutin législatif heureux, les risseurs de Ravignonne (Isère) se rendent en cortège à la mairie pour réclamer le rétablissement d’un salaire baissé depuis plusieurs mois213. La formation de gouvernements réputés favorables au « travail » est un puissant stimulant : on les presse d’agir ; qu’ils tardent, et l’impatience éclate. Voyez Floquet, ce radical prometteur, que les ouvriers saluent comme un réformateur214 ; ses velléités déconcertent, puis irritent, et c’est la flambée de l’été 1888. De tels réflexes joueront pour Waldeck, comme pour Clemenceau.
99Plus grand est le changement, l’espoir suscité, plus fort est l’assaut de la vague : 1831, 1936 en sont des exemples. Les grèves de 1878-1880 s’y peuvent comparer. Les ouvriers attendent de la jeune République la récompense de leur fidélité, de leur sagesse. A Cornimont (Vosges), les tisseurs disent « avec une assurance imperturbable » au préfet, désarçonné, « qu’en apprenant l’élection de M. Grévy à la Présidence, ils avaient espéré un changement immédiat de la situation économique et un relèvement des salaires »215. On multiplie les marques d’attachement, de déférence envers les représentants du pouvoir ; époque de pétitions confiantes, de missives respectueuses et cordiales au préfet, ce « bon citoyen ». Ces grèves pacifiques, presque joyeuses, cadencées par « La Marseillaise », ont frappé les observateurs par leur modération. Elles sont l’expression d’un messianisme républicain, persistant en dépit de tous les démentis. Les ouvriers sont fils du Contrat social : ils croient à la puissance du politique au pouvoir du législateur, à la vertu des lois. La déception sera forte : un véritable choc psychologique qui explique le désarroi des temps boulangistes, l’essor du socialisme, la montée de l’anarchisme, la violence de l’antiparlementarisme...
100L’espoir se double d’un désir de revanche sur « l’ennemi du peuple » : ce grand patronat monarchiste qui, lors des élections de 1877, a pesé de tout son poids, multiplié les interventions, fulminé de son échec. A Decazeville, « M. Petitjean, directeur des mines, ayant échoué aux dernières élections municipales, ainsi que plusieurs ingénieurs et hauts fonctionnaires de son administration, aurait déclaré qu’il saurait bien faire repentir les ouvriers de n’avoir pas voté pour lui et ses agents »216. Il en va de même à Montceau217, à Bezenet218. Aussi les mineurs interprètent-ils la baisse des salaires de 1878 comme une brimade ; leurs grèves prennent l’allure d’un règlement de comptes où économie et politique s’imbriquent étroitement.
101Ce n’est d’ailleurs que le commencement d’une vaste rébellion contre les « tyrans industriels ». Dans les localités isolées, dominées par l’usine, la lutte pour le pouvoir est ouverte. A Anzin, la chambre syndicale a entrepris de déloger des municipalités les représentants de la Compagnie219 ; le renvoi de 140 militants, meneurs de cette campagne, est le nœud de la grève : « c’est pour les empêcher de devenir conseillers municipaux d’Abscon, d’Escaudain, de Denain, qu’on les a remerciés »220. A Carmaux où « nul n’a de l’avancement s’il n’est recommandé par les curés..., ou remarqué par son assiduité à la messe »221, à Decazeville où la Compagnie dispute la mairie au docteur Cayrade, à Bessèges où la chambre syndicale multiprofessionnelle est présente à chaque scrutin, à Montceau où un véritable soulèvement iconoclaste éclate en 1882 contre les prêtres et les croix222, dans ces bordures du Massif central, terres classiques du refus, la politique est au fond de toutes les grèves. Elles opposent aux compagnies la communauté villageoise fortement structurée. Commerçants menacés par les économats, petits notables frustrés d’honneurs et de pouvoir, appuient les ouvriers, leur font crédit, les encadrent hébergeant leurs réunions, rédigeant leurs textes. A Bessèges, où un fichier de police particulièrement bien fait permet une analyse précise du milieu protestataire, les artisans et commerçants fournissent 35 % des militants ; le Cercle des Travailleurs a été fondé par l’écrivain public-épicier Jourdan, le cordonnier Dumas, l’horloger Bracourt, le confiseur Bruno Manifacier...223. Boutiques, échoppes, cabarets sont les clubs, les centres nerveux d’une action de contestation qui, débordant infiniment le salaire, concerne les franchises communales. On y retrouve l’accent du vigneron de La Chavonnière, des villageois d’Azais qui reprochaient à leurs gouvernants d’être muets : « Ils ne causent jamais, ne répondent à rien », à leur curé d’être despote : « Il se mêle de tout, il veut tout gouverner », et se plaignaient qu’on les empêchât de danser224. Ces conflits sont un épisode d’une lutte ancestrale pour l’autonomie et pour la liberté.
102Ainsi, les grèves ne se déclenchent pas au hasard. Prises isolément, elles peuvent sembler accidentelles ; dans leur masse, elles paraissent dotées d’une forte nécessité. Des fluctuations régulières animent leurs courbes hebdomadaires, mensuelles et saisonnières. Au sein d’une croissance globale, les oscillations annuelles offrent plus de complexité. Maîtresse des principales fluctuations, et de la nature même de la grève, la conjoncture économique ne saurait seule expliquer la profondeur de certaines retraites, l’ampleur de certaines offensives. Les circonstances politiques pèsent ici très lourd et fournissent la clef des poussées majeures.
103Avant toute stratégie élaborée et explicitée, la grève se profile comme une décision où composent des facteurs, des considérations multiples. Elle révèle une grande attention aux conditions du marché, une estimation souvent remarquable de la situation politique. A cette lumière, la classe ouvrière française de 1880 manifeste une intuition exercée de ses intérêts, un sens aigu de ses « affaires ». Elle se comporte comme un agent économique organisé. Faut-il voir là le fondement matériel de la « conscience de classe » ? Ou, au contraire, une possibilité d’adaptation au système existant ?
104Toutefois, bien des aspects de la naissance des grèves échappent à la rationalité. La résonance de quelques mouvements, leur caractère de vague épidémique déjouent le calcul et la corrélation. Le ressentiment, la haine refoulée, l’espoir d’un monde meilleur, tout un ensemble de représentations collectives, jettent — en 1880, en 1890 — les ouvriers hors de l’usine comme poussés par une force irrésistible. La grève dépasse alors le jeu économique. Cri, fête, projet ou rêve, elle cesse d’être démarche raisonnée de producteurs, pour se muer en geste populaire, révolte globale aux significations multiples.
Notes de bas de page
1 J. Marczewski, 1965 b, CXIX.
2 D’après les calculs de J.-C. Toutain, 1963, p. 130.
3 Cf. ibid., p. 165.
4 Sur ces deux récessions, voir ci-dessus (p. 84 et sq.) où j’ai réuni divers éléments statistiques sur la production et les prix.
5 Cf. T.J. Markovitch, 1965 a.
6 Sur le rôle de l’Etat comme régulateur de l’emploi par les grands travaux sous le Second Empire, on verra la thèse de L. Gitatd, 1952.
7 Ph. Ariès, 1948, p. 236. R. Trempé, 1971, a fait pour Carmaux l’histoire de cette mutation.
8 Spuller, Enquête parlementaire, Procès-verbaux, p. 17.
9 Cet enracinement est un des caractères du marché du travail français, surtout comparé au marché américain.
10 Arch. nat., C. 3 022, Ardèche, directeur de la papeterie Canson et Montgolfier à Annonay.
11 Atch. nat., C 3 019, Somme.
12 Arch. nat., F 12 4 655, Vosges, préf.-min. Com., 24 mars 1879. C’est moi qui souligne.
13 Arch. nat., F 12 4 665, préf. du Nord (Paul Cambon)-min. Com., 24 mars 1879.
14 A Amiens, en 1889, une réduction de 20 % est considérée comme intolérable : barricades dans les rues, émeutes.
15 Arch. nat., F 12 4 654, Somme, préf.-min. Com., 10 octobre 1878.
16 Arch. nat., F 12 4 667, Ardennes, préf.-min., 9 juillet 1890.
17 Arch. dép. Gironde, M 1 188, com. pol. Bordeaux, 22 juin 1886.
18 Arch. nat., F 12 4664, Seine-et-Marne, min. Com.-préf., 13 mars 1883.
19 Arch. nat., F 12 4665, Corrèze, préf.-min. Com., 2 mars 1889 : « Les paysans, ayant des besoins moindres que ceux du véritable ‘cheminaud’, habitués à vivre de peu, ont grossi beaucoup la population ouvrière des chantiers, et leur nombre toujours croissant, peut être considéré comme une des causes de l’avilissement du prix de la main-d’œuvre. »
20 Arch. dép. Nord, M 581/141, pièce 8, s.-préf.-préf., 20 avril 1878.
21 Arch. dép. Nord, ibid., pièce 2, préf.-min. Com., 8 mai 1878. Mais, ajoute le préfet, la décadence du tissage à domicile est freinée : « la population est trop dense pour que l’agriculture puisse suffire à ses besoins et la plupart des ouvriers sont retenus au sol par la propriété d’une maison et par la certitude de ne pas trouver ailleurs d’ouvrage. Force leur est donc de continuer à travailler à leurs métiers avec des rémunérations dérisoires ».
22 Sur la tradition qui s’est établie de ne pas baisser un taux de salaire, voir les remarques de l’ouvrage contemporain de E. Chevallier, 1887, p. 254, et les citations qu’il fait de l’enquête de 1884.
23 Arch. dép. Marne, 186 M 13, préf.-min. Com., 5 mai 1873 : « Quelques-uns laissent chômer une partie de leur matériel pour ménager et prolonger le travail » ; Arch. dép. Rhône M, Grèves antérieures à 1879, com. pol. de la Croix-Rousse, 24 novembre 1876 : « les tisseurs possédant 3 ou 4 métiers n’en ont plus qu’un seul d’occupé et les fabricants ne leur donnent qu’une pièce l’une après l’autre. »
24 Arch. dép. Nord, M 500/6, com. pol. Armentières, novembre 1884. C’est la même chose dans les tissages de l’Isère en 1886, cf. Arch. nat., F 12 4658, préf.-min.
Com., 9 avril 1886 : « Les tisseurs attendent quelquefois un ou deux jours la livraison de la matière première que le patron est obligé de retarder pour pouvoir faire durer le travail jusqu’à la fin de la saison. »
25 Arch. dép. Nord, M 619/3, préf.-min. Com., 1880.
26 Ibid.
27 Cf. G. Friedmann, 1964, p. 279 et sq., sur le freinage ouvrier.
28 II y a de ce fait d’innombrables exemples dans les rapports des préfets, dans F 12 et les séries M.
29 Arch. dép. Seine-Maritime, M, Grèves 1882-1889, maire-s.-préf., 30 juin 1888.
30 Arch. nat., F 12 4654, Nord, préf.-min., 4 novembre 1877.
31 R. Ledrut, 1966, p. 505.
32 Arch. dép. Rhône, M, Grèves antérieures à 1879, com. spéc.-préf., 22 novembre 1876.
33 Arch. dép. Gard, 14 M 447, s.-préf.-préf., 22 novembre 1876.
34 Arch. dép. Puy-de-Dôme, M 045-57, rapport gendarmerie du 19 juin 1878 : les houillères de Saint-Eloy ont renvoyé 200 ouvriers par paquets de 40.
35 Arch. nat., F 12 4664, Seine-Maritime, préf.-min. Com., 2 juillet 1888.
36 Arch. dép. Gard, 14 M 447, s.-préf. d’Alais-préf., 13 mars 1884.
37 Arch. dép. Loire, 92 M 14, pièce 1, maréchal des logis de Saint-Chamond, 20 février 1874.
38 Arch. dép. Gard, 14 M 447, comme ci-dessus.
39 Arch. dép. Seine-et-Oise, IV M 11/1, préf.-min., 12 janvier 1874.
40 Arch. dép. Loire, 10 M 81, pièce 115, com. pol. Saint-Etienne, 27 octobre 1883.
41 Le renvoi des boiseurs, ouvriers âgés, a été une des causes de la grande grève d’Anzin en 1884.
42 R. Ledrut, 1966 ; cf. notamment le chapitre intitulé « Infériorité sociale et humiliation », p. 467.
43 Arch. nat., F 12 4654, Vosges, préf.-min. Com., 10 septembre 1878.
44 Arch. nat., F 12 4653, Nord, préf.-min., 21 février 1876.
45 F. Simiand, 1907, p. 267 et passim : « C’est dans les périodes de compression des prix de vente, dans les périodes de restriction des frais et notamment des frais de main-d’œuvre... et d’augmentation du rendement moyen que l’indice du machinisme s’accroît et seulement alors. » Ainsi en est-il en 1875-1878 et surtout 1882-1885.
46 Arch. dép. Loire, 92 M 14.
47 Arch. nat., F 12 4253, Nord, préf.-min., 2 octobre 1882.
48 Arch. dép. Loire, 92 M 14 ; c’est l’expression employée par le directeur de la Compagnie de la marine à Saint-Chamond.
49 Arch. dép. Gard, 14 M 447, par exemple.
50 Arch. dép. Nord, M 627/1, s.-préf. d’Avesnes-préf., 20 septembre 1876.
51 Arch. dép. Orne, M, Grèves, s.-préf. de Fiers, 19 décembre 1888.
52 Arch. dép. Seine-Maritime, 14 M, lettre des ouvriers au préfet, décembre 1880.
53 Arch. dép. Marne, 194 M 12, s.-préf.-préf., 4 juillet 1883.
54 Arch. nat., C 3368, Nièvre.
55 4-11 décembre 1887.
56 L’examen des réponses ouvrières parisiennes à l’enquête de 1884 montre toutefois que les ouvriers n’oubliaient pas les responsabilités du « Capital » et des « Monopoles ».
57 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2340, préf.-min., 11 février 1887.
58 Ces manifestations sont fort peu connues. J. Maitron s’y est intéressé en raison du rôle joué par les anarchistes et il a conté notamment la toute première manifestation parisienne du 9 mars 1883 : cf. 1951, p. 161 et sq. J. Néré a étudié la succession des mouvements parisiens : cf. 1958, t. II, p. 48 et sq.
59 La liste des personnes arrêtées à la suite des meetings parisiens du vendredi 9 mars et du dimanche 11 mars 1883 à Paris est donnée par Le Citoyen et la Bataille des 12 et 13 mars. Ces listes comportent les noms, âges et professions.
60 Le Temps, 10 mars 1883.
61 Arch. dép. Hérault, 4 M 3613 (94), rapport du com. pol. de Béziers à propos d’une manifestation de chômeurs dans cette ville en 1888.
62 Arch. nat., F 12 4662, Rhône, préf.-min., 17 mars 1886.
63 La Bataille, 8 février 1885, appel de la commission exécutive des ouvriers sans travail au meeting de la place de l’Opéra du 9.
64 Le Citoyen et la Bataille, 24 avril 1883.s
65 Arch. nat., F 12 4662, Rhône, préf.-min. Com., 7 avril 1886.
66 Le Citoyen et la Bataille, 24 mars 1883.
67 Ibid.
68 Le Temps, 22 avril 1886.
69 La Bataille, 14 décembre 1884.
70 Ibid., 8 décembre 1883, appel au meeting du 7 décembre 1883.
71 Ibid., 8 décembre 1883, appel de la commission ouvrière au meeting du 7 décembre 1883.
72 Le Cri du Peuple, 26 décembre 1883.
73 Le Citoyen et la Bataille, 11 mars 1883.
74 Ibid., 5 avril 1883.
75 Je n’ai trouvé dans ces manifestations qu’une seule référence à la Commune.
76 Le Citoyen et la Bataille, 5 avril 1883.
77 Ibid., 24 mars 1883.
78 La Bataille, 8 février 1883.
79 Selon l’expression de Simiand : « une enquête oubliée sur une grande crise méconnue », 1934.
80 A plusieurs reprises, le ministère de l’Intérieur, inquiet de l’ampleur des heurts, a procédé à des enquêtes, ainsi en 1881, après les troubles de Marseille, en 1893, après les émeutes d’Aigues-Mortes. Mais, à ma connaissance, les réponses, qui auraient pu fournir un tableau d’ensemble, ne se trouvent rassemblées dans aucune série ; quelques minutes ont été retrouvées çà et là dans les archives départementales. La fonction des autorités est d’abord de surveillance et c’est dans les rapports des commissaires de police et des préfets qu’on trouve le plus de renseignements, mais sans périodicité. Dans la presse, d’humbles rubriques comme les « faits divers » où revit la rue, les « tribunes de lecteurs » où s’exprime l’opinion populaire, sont d’une grande richesse pour l’analyse des rapports concrets et quotidiens.
81 Sur la conduite et les méthodes de ces agents recruteurs tant en France qu’à l’étranger, cf. l’interpellation Le Senne, 31 août 1890, aux Débats parlementaires.
82 Arch. nat., BB 18 1766, rapport du proc. gén. du 22 mars 1868 sur les rixes de Lozère.
83 P. Leroy-Beaulieu, Paris, 1883, p. 474, et également p. 43, 407, 473.
84 Sur la colonie italienne de Marseille, en 1881, voir l’article de G. Liens, 1967, p. 3 ; l’auteur donne une analyse professionnelle et démographique de cette colonie ; il montre la diversité des provenances : Napolitains, Génois, Piérriontais, Toscans se groupent par quartiers, exercent des professions différentes. « Il existe entre eux des antipathies souvent vives, tout particulièrement entre Napolitains et Génois » (p. 4).
85 Sur le rôle joué par les ouvriers anglais comme techniciens et cadres, on trouvera quelques indications dans J. Vidalenc, 1958.
86 Arch. dép. Nord, M 610/8, rapport du 29 juillet 1881.
87 Arch. nat., BB 18 1766, rapport du proc. gén. de Mende, 22 mars 1868.
88 Arch. nat., F 12 4659, Bouches-du-Rhône.
89 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2035.
90 Ibid.
91 Spuller, Enquête parlementaire, Procès-verbaux, p. 26, déposition de Bacle, de la Chambre syndicale des ouvriers carreleurs.s
92 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2031.
93 Le Cri du Peuple, 21 mars 1885.
94 Ibid., 4 août 1884. Voici, à titre de preuves, quelques références à ces faits divers, prises au courant de dépouillements, nullement systématiques sur ce point : La Bataille, 20 août, 9 et 13 septembre 1882 ; 22 octobre 1883 ; 10 avril 1885. Le Cri du Peuple, 28 mai, 4 septembre, 25 décembre 1884 ; 24 avril, 21 mars 1885, 23 juillet, 18 novembre 1886. L’Intransigeant, 3 et 20 août, 11 novembre 1881, etc.
95 La Défense des Travailleurs, 22 juin 1884.
96 Arch. nat., F 12 4657, Gard.
97 Cf. Arch. nat., BB 18 1947.
98 Le Petit Provençal, 19 août 1893.
99 Sur les troubles de juin 1881 à Marseille, on lira l’importante étude de G. Liens, 1967.
100 3 morts, 21 blessés, d’après G. Liens, p. 12.
101 Sur cette affaire, très nombreux articles dans Le Petit Marseillais, Le Temps, notamment des 21 et 22 juin ; compte rendu d’audience dans La Gazette des Tribunaux.
102 Sur l’affaire d’Arles, cf. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2035, notamment deux lettres du s.-préf. d’Arles des 13 et 14 mars.
103 Assez nombreux documents dans Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2032.
104 Le Citoyen, 27 juillet 1881.
105 Ibid., 4 octobre 1881.
106 Le Temps, 20 mai 1883.
107 22 octobre 1883. Il semble que la publication de cette lettre ait échappé à une partie de la rédaction du journal. Dans le numéro suivant (29 octobre), un article de première page, signé « La Rédaction », tente une mise au point et insiste sur le rôle positif des Belges dans les grèves.
108 Congrès de Lyon, 1886, compte rendu imprimé, p. 258.
109 Ibid., p. 165 ; propos de Frojet, délégué des selliers de Paris.
110 Congrès de Bordeaux, 1888, compte rendu imprimé, p. 16.
111 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2032, com. central, 7 mars 1886.
112 Ibid., M 6 2035.
113 Arch. dép. Isère, 166 M 2, com. pol., 11 mars 1888.
114 Ainsi la Chambre syndicale des fumistes et vitriers français de Paris, des ouvriers français de Paris, des ouvriers français du port de Marseille, de Saint-Louis-du-Rhône, e
115 Le syndicat des peintres en bâtiment de Paris, internationaliste en 1881, déclare en 1883 : « Nous luttons tous contre cette invasion. Nous ne pouvons nous en accommoder au nom de la solidarité internationale puisque cette solidarité n’existe pas » : Le Citoyen et la Bataille, 19 mai 1883 ; celui des ouvriers boulangers de Paris appelle les travailleurs à se syndiquer « afin d’empêcher les étrangers d’envahir tous nos ateliers... Il faut que l’on réagisse avec vigueur contre cet envahissement » : ibid., 23 mai 1883.
116 A Marseille, en 1893, à la suite des incidents d’Aigues-Mortes, la municipalité renvoie tous les Italiens qu’elle occupait dans le service de voierie, en commençant par les plus jeunes ; ils sont remplacés par des Français venus de la bourse du travail : Arch. dép. M 6 2035.
117 Arch. dép. Nord, M 610/16, préf.-min. de l’Int., 13 septembre 1893 : les entrepreneurs du port de Dunkerque prennent vis-à-vis de la municipalité l’engagement de n’employer que 10 % d’étrangers.
118 18 avril 1887.
119 L’étude de ces projets de loi a été faite par J. Néré, 1958, t. II, p. 79 et sq. Sur le décret de 1888 et la loi de 1893, cf. P. Pic, 1902, p. 149 et sq.
120 C. Digeon, 1959, a étudié les aspects culturels de ce traumatisme.
121 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2035, réunion anarchiste.
122 22 octobre 1883.
123 Congrès de la Fédération nationale des syndicats à Montluçon, 1887, compte rendu imprimé, p. 70. Au niveau des leaders socialistes on pourrait citer maint texte surprenant. En voici un, de Jules Guesde, Le Citoyen, 7 mai 1882, éditorial intitulé « La vraie solidarité » : « C’est à coups de couteaux que les ouvriers californiens ont accueilli les machines humaines au rabais au moyen desquelles on a cherché à les mettre en coupe réglée. C’est aux cris de : ‘A bas les hommes jaunes ! dehors John Chinaman !’ qu’est allé aux urnes le parti socialiste américain. C’est une loi d’expulsion contre les hordes asiatiques qu’il a arrachée aux deux chambres du congrès. Et nous estimons qu’il a bien fait... Nous croirions faire injure à notre prolétariat en admettant un seul instant qu’en pareille occurrence il put hésiter à agir de même » (souligné par moi).
124 Arch. dép. Bouches-du-Rhône, M 6 2032 ; on trouve dans ce dossier les originaux de ces deux placards.
125 En 1886, à l’issue du congrès des syndicats, à Lyon, l’Union syndicale de Bordeaux se divise sur cette question. Les organisateurs du congrès de Bordeaux doivent renoncer à imposer le drapeau rouge et s’expliquent longuement sur la signification complémentaire des deux emblèmes : cf. compte rendu cité, p. 33-34.
126 L’analyse du contenu de deux journaux boulangistes destinés à la classe ouvrière, fondés en 1888 et intitulés Le Travail national, l’un à Marseille, l’autre à Bordeaux, montre la juxtaposition des thèmes : défense des intérêts ouvriers et xénophobie exacerbée.
127 Arch. nat., F 7 12912.
128 Telle n’est pas l’opinion de Ch. Tilly et E. Shorter, Strikes m France (1830-1968), à paraître.
129 Rev. Fr. Sc. Vol., numéro spécial de 1953, « Elections sociales et élections politiques ».
130 J. Commaille, 1966.
131 A. Kriegel, 1964, t. I, p. 457-547, notamment p. 457 et 529.
132 « Cette substitution de grèves constitutionnelles aux grèves simplement corporatives est un fait très important, car ce n’est plus seulement son patron que l’ouvrier regarde et veut remplacer, mais son gouvernant », cité par A. Kriegel, 1964, p. 529.
133 A.P.O., t. I, p. 49 et 50, donne les chiffres jusqu’en 1896.
134 J. Rougerie, 1964 a, estime plausibles les évaluations de l’enquête menée en octobre 1871 par « une fraction du conseil municipal de Paris » ; Le Temps, 9 juillet 1871, remarque de son côté qu’entre les élections du 8 février et celles du 2 juillet, cent mille électeurs ont disparu.
135 Le Temps, 9 juillet 1871 : « ... l’assemblée de 1870 sera responsable devant nos neveux de cette nouvelle révocation de l’Edit de Nantes ».
136 12 juillet 1871 : « Les mairies de certains arrondissements, où la population est mélangée d’ouvriers, de petits employés, d’industriels de petit acabit... ont été encombrées de locataires dépossédés. Ces pauvres gens, dont on avait retenu les meubles, misérable gage d’une dette que la loi n’a pas encore précisée, n’avaient pour logement que le pavé, pour subsistance que la bienfaisance publique. »
137 Le Temps, 7 août : vingt-sept partisans de la Commune ont été arrêtés à Creil : « ces hommes, appartenant pour la plupart à la classe ouvrière, avaient d’abord demandé aux bois et aux bosquets la liberté qu’on voulait leur ravir à Paris ; mais poussés par la nécessité, ils ont dû enfin implorer la compassion des campagnards. C’est là que la gendarmerie a tendu ses filets ».
138 Arch. nat., C 3024, rapport préparatoire à l’enquête, 1872.
139 Arch. dép. Seine-Maritime, M, Grèves 1871 ; préf.-min. de l’Int., 8 novembre 1871 : « Je n’en ai pas moins la certitude que ce mouvement a été préparé et concerté entre le parti de l’Internationale et le parti radical. »
140 Arch. dép. Puy-de-Dôme, M O 159, préf. de la Haute-Loire à son collègue du Puy-de-Dôme, 6 janvier 1872.
141 Arch. dép. Loire, 92 M 13, s.-préf. de Roanne-préf., 26 avril 1872.
142 Cf. ci-dessus p. 137-138.
143 Arch. dép. Sarthe, M 86 ter, circul. du min. de l’Int., 21 octobre 1873.
144 Arch. dép. Loire, 92 M 13, pièce 5, 20 juin 1873.
145 Arch. dép. Nord, M 626/7, pièce 347, Thiers au préf., 25 juillet 1872.
146 Arch. dép. Tarn, IV M2 65, s.-préf.-préf., 16 avril 1872.
147 Ibid., préf.-s.-préf., 17 avril 1872. Dès lors, l’instruction fut en effet rapidement menée, et le 10 mai, le tribunal correctionnel de Castres prononça plusieurs condamnations.
148 Arch. dép. Nord, M 626/7, pièce 179, Thiers au s.-préf. de Valer.ciennes. 25 juillet 1872.
149 Ibid., pièce 204, préf. à Thiers, 29 juillet 1872. Deux cents arrestations furent opérées et 52 mineurs furent condamnés à des peines allant de 15 jours à deux ans de prison.
150 Arch. dép. Loire, 92 M 13, pièce 30, préf.-min., 20 juin 1873.
151 Arch. préf. pol., BA 168, rapport de police du 9 mars 1874.
152 Arch. dép. Rhône, M, Grèves 1871-1877, « pétition adressée à l’Assemblée Nationale par la chambre syndicale des entrepreneurs de travaux du bâtiment de Lyon », 15 mars 1872. Texte intéressant où on peut lire entre autres : c Cette dangereuse loi de 1864... n’a produit que le mal ; c’est à elle que notre pauvre et chère France actuelle est en partie redevable des malheurs qui l’ont frappée. »
153 Arch. dép. Seine-Maritime, M, Grèves 1871, rapport de la chambre de commerce de Rouen « sur l’opportunité de la création de chambres de conciliation des travailleurs » ; le rapport conclut à l’abrogation pure et simple de la loi de 1864 et à l’inopportunité des chambres de conciliation. Sur le mémoire de la chambre de commerce de Paris qui concluait à l’abrogation de la loi, voir Levasseur, 1907, p. 643.
154 Outre le mémoire de la chambre syndicale des entrepreneurs de Lyon, voir La Réforme du Bâtiment, avril 1872.
155 Le Radical, 24 janvier 1872.
156 C’est la question 12 du questionnaire B, « Des salaires et des rapports entre les ouvriers et les patrons ».
157 Arch. nat., C 3023, Rigaud frères, fabrique de gants, Saint-Junien.
158 Arch. nat., C 3021, Forges de Crau, Haute-Savoie.
159 Arch. nat., C 3021, Conseil d’hygiène de Lyon.
160 Arch. nat., C 3022, Chambre de commerce de Roanne.
161 Arch. nat., C 3021, Drevon, teinturier de Lyon. La chambre de commerce de Bordeaux estime pour sa part : « la loi de 1864 est bonne, car il faut que les prétentions justes aient le moyen de se produire d’une façon pacifique et régulière », C 3022. Pleyel et Wolf, fabricants de pianos à la Plaine-Saint-Denis, pensent que la liberté des coalitions existe et doit exister dans tous les Etats modernes, C 3020.
162 Journal officiel, 15-21 novembre 1875. L’enquête a paru aussi en un volume, Paris, Guillaumin, 1877, Bibl. nat., Le 89 40.
163 Les réponses reçues sont analysées de façon extrêmement sommaire par le secrétaire de la commission Louis Faure, dont le travail est publié dans les annexes 7, 8, 9.
164 M. Ozouf, 1966.
165 Arch. dép. Rhône, M 264.
166 Le Rappel, 26 décembre 1874, publie deux lettres de Lefebvre à Barberet qui font le récit des perquisitions et se terminent de façon bien modérée : « Vive le travail qui fait vivre ! Vive la liberté qui fait battre nos cœurs ! » ; nouvelle lettre signée « les citoyens perquisitionnes », 7 janvier 1875.
167 Arch. dép. Isère, 166 M 2.
168 Arch. dép. Drôme, M, Grèves, rapport com. pol. du 4 janvier 1875.
169 Arch. préf. pol., BA 172.
170 Arch. dép. Loire-Atlantique, 1 M 2309, lettre du 15 août 1874.
171 Sur Barberet, cf. Sorlin, 1966, p. 236 ; Moutet, 1959 et 1967.
172 Sorlin, notamment p. 252, note 52.
173 H. Rollet, 1948, p. 35 : il y aurait 35 000 ouvriers dans les cercles, en 1878. Sorlin, 1966, p. 240 : à Rennes, en 1878-1880, il y a neuf cercles comptant 250 travailleurs et la principale chambre syndicale a trente membres.
174 Cf. ci-dessus p. 86-87.
175 Moutet, 1967.
176 Arch. nat., F 12 4654, Creuse, pour la grève de Lavaveix ; pour celle de Nœux (Pas-de-Calais), ibid., et Arch. dép. Pas-de-Calais, M 1803, surtout Arch. préf. pol., B A 186, rapports et notes de l’agent secret envoyé sur place ; pour Bézenet, Arch. nat., F 12 4654.
177 Arch. préf. pol., BA 186, pièce 23, rapport du 13 juin.
178 Arch. préf. pol., BA 186, pièce 27, rapport agent secret au préf. pol., 15 juin 1877. « Relativement aux arrestations, on trouve... que Monsieur le sous-préfet et M. Leroux de Bretagne, président du tribunal, ont été trop sévères. »
179 A.P.O., t. I, p. 47 ; Arch. nat., F 7 12488 : diverses pièces font état d’une rentrée dans la clandestinité des organisations ouvrières à Lyon.
180 Par certains aspects, ils présentent bien des analogies avec les notables que décrit A. J. Tudesq, 1964.
181 Sur ce parallèle, qu’avait bien discerné Seignobos, 1921 b, p. 76, cf. P. Sorlin, 1966, p. 192 et sq. ; et p. 323.
182 Cf. P. Sorlin, 1966, notamment : « Les idées sociales de Waldeck-Rousseau », chapitre auquel je renvoie une fois pour toutes, p. 236-298.
183 A. Pradel, 10 mai 1880.
184 J. Lhomme situe vers ces années 1879-1880 de la conquête républicaine, la fin du monopole politique de la grande bourgeoisie : cf. 1960.
185 Circulaire du 23 janvier 1893 du ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies aux préfets, signé Jules Siegfried ; Arch. nat., F 22 234.
186 Circulaire Waldeck, 27 février 1884 : « L’administration ne saurait voir, dans les grèves, que la mise en pratique d’un droit, et elle méconnaîtrait ses devoirs si elle songeait à en entraver la manifestation. » Le 14 novembre 1885, le commissaire central de police de Lille donne à ses subordonnés des instructions en prévision de grèves probables : « Placés entre deux intérêts intimement liés et cependant en lutte, nous devons rester complètement neutre, ne rien dire, ne rien faire qui puisse donner le moindre doute de notre parfaite impartialité. » Arch. dép. Nord, M 619/7, pièce 7.
187 Lors d’une grève de carriers à Euville (Meuse), le préfet justifie totalement l’attitude ouvrière par l’énormité des bénéfices qui retire toute excuse à la baisse des salaires, F 12 4659 préf.-min., 16 mai 1883 ; même attitude du ministre du Commerce lors d’une grève défensive des meuliers de La Ferté-sous-Jouarre, 1883.
188 En 1880-1882, de nombreux rapports préfectoraux insistent sur l’intense activité économique et les bénéfices réalisés.
189 P. Sorlin, 1966, p. 289 : « Depuis 1880..., les ministres opportunistes invitent les préfets à intervenir discrètement auprès des intéressés et à faciliter le règlement des grèves. » Cf. aussi J. Néré, 1958, p. 296-300.
190 On trouve cette circulaire dans Arch. nat., F 7 12773, avec tout un dossier de coupures de presse relatives aux réactions de l’opinion.
191 A ce sujet, cf. J. Néré, 1955.
192 P. Sorlin, 1966, p. 203 et sq.
193 Circulaire du 23 janvier 1893 relative à l’application de la loi de 1892, min. Com. Jules Siegfried aux préfets.
194 Arch. dép. Tarn, IV M2 68, pièce 12.
195 Arch. dép. Isère, 166 M 1, min. de l’Int.-préf., 7 mars 1865.
196 « En dehors de l’ordre naturel des choses, on ne saurait rencontrer de terrain ferme et consistant », écrit Paul Leroy-Beaulieu, 1888, p. 211.
197 La Patrie, 7 mars 1884.
198 Cf. la troisième partie.
199 Sur l’évolution de Jules Cambon lui-même dans la grève d’Anzin, cf. Arch. dép. Nord, M 626/13 : « La conduite brutale de la compagnie m’a fortement indisposé contre elle », écrit-il au ministre le 26 février 1884 (pièce 116). Et le 22 mars : « Il est intolérable qu’une population nombreuse soit opprimée par une bande de fanatiques et d’ambitieux » ; le 24 : « Le temps des négociations est passé, et aujourd’hui, si cette grève ne finit point, l’opinion générale en fera peser la responsabilité sur la faiblesse de l’autorité. » Waldeck est très sensible aux opinions de son préfet.
200 P. Sorlin, 1966, p. 290 et sq.
201 Préfet de police de 1881 à 1885.
202 P. Sorlin, 1966, p. 274 et sq.
203 Ibid., p. 277.
204 Arch. dép. Cher, M 23, télégramme ministériel, 21 août 1886.
205 J. Néré, 1958, p. 377.
206 On en trouvera le texte dans J. Huret, 1902, p. 227 et sq.
207 Barberet, 1886, p. 26 ; id., in Le. Rappel, 4 janvier 1874.
208 Arch. nat., C 3021, Bouches-du-Rhône, rapport du directeur d’une stéarinerie, 1873.
209 Les Droits de l’Homme, 27 mai 1876.
210 Le Rappel, 27 juillet 1875.
211 Appel de Victor Hugo, dans Le Rappel, 23 juillet 1875 : « Qu’ils viennent des Rois ou des éléments, tous les fléaux peuvent frapper la France, aucun ne l’abattra... ».
212 Le Temps, 1er décembre 1871.
213 Arch. dép. Isère, 166 M2, préf.-min. de l’Int., 22 août 1881.
214 J. Néré, 1958, cite plusieurs faits en ce sens, par exemple p. 322, l’adresse du congrès des mineurs de France réunie à Carmaux en avril 1888. Elle « invite le cabinet Floquet à réaliser les espérances des ouvriers mineurs..., déclare que le congrès est décidé à le soutenir de toutes ses forces contre la coalition de tous les ennemis du progrès », etc.
215 Arch. nat., F 12 4655, Vosges, préf.-min. Com., 20 février 1879. Le préfet ajoute : « Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à rencontrer chez les ouvriers vosgiens une aussi complète ignorance des notions économiques les plus simples et des idées aussi absurdes sur le rôle du Gouvernement en matière de grève. »
216 Arch. préf. pol., BA 186, rapport d’agent au préf. de pol., 17 mars 1878.
217 Arch. préf. pol., BA 185, rapport de l’agent Lombard au préf. de pol., 6 mars 1878 : « Le personnel de la mine a été battu et tenu à l’écart aux élections du conseil général et municipal. Depuis cet échec... ils n’ont cessé de répéter aux ouvriers, à ceux surtout qui sont connus pour leurs opinions républicaines, que s’il n’était pas donné satisfaction à leurs réclamations ou à leur désir ils devaient s’en prendre à la municipalité actuelle, qui détenait tout pouvoir. »
218 Arch. préf. pol., BA 186, pièce 45.
219 Arch. dép. Nord, M 595/13, pièce 6 : compte rendu d’une réunion présidée par Fauviau, secrétaire de la chambre syndicale d’Aniches, le 18 novembre 1883 ; il invite à faire « acte de révolutionnaires... en chassant, par le bulletin de vote, tous ces bourgeois que vous avez placés à la tête de vos administrations, pour y mettre des ouvriers intelligents... ».
220 Arch. dép. Nord, M 626/12, pièce 17, s.-préf. de Douai-préf., 3 mars 1884.
221 Arch. dép. Tarn, IV M2 68, pièce 151, com. spéc.-préf., 25 octobre 1882. Pour la description de la situation à Carmaux, on lira R. Trempé, 1971.
222 Pour un bref récit des événements, et leurs aspects anarchistes, cf. J. Maitron, 1951, p. 139.
223 M. Perrot, 1959.
224 P.-L. Courrier, 1822, p. 134.
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