1 Léon Blum, Souvenirs sur l’Affaire (1935), préface de Pascal Ory, Paris, Gallimard, 1981, p. 83 sq.
2 Pierre Nora, « Le retour de l’événement », in Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, I, Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard, 1974 (version remaniée d’un article paru dans Communications, 18, 1972, sous le titre « L’événement monstre »), p. 210-229, cit. p. 211, 213, 220, 221. Sur l’articulation entre histoire événementielle et histoire contemporaine, voir aussi Gérard Noiriel, Qu’est-ce que l’histoire contemporaine ?, Paris, Hachette, 1998.
3 Une remarque s’impose d’emblée : c’est pour des raisons de commodité que je qualifie ces affaires du nom d’un (et un seul) des protagonistes-dans le premier cas, d’un homme, dans le second, d’une femme. On pourrait aussi parler de l’affaire Anita Hill, ou de l’affaire Thomas vs. Hill. La question se complique dans le second cas : outre Bill Clinton, d’autres noms pourraient figurer dans l’appellation-en particulier, Ken Starr ou Paula Jones. Le choix opéré dans chacun des deux cas ne prétend rien signifier. Reste que, l’appellation étant un enjeu, les effets de signification ne se réduisent pas aux intentions. Le parallèle entre les deux noms de Clarence Thomas et Monica Lewinsky fonctionnerait alors comme contraste, plutôt que comme rapprochement.
4 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Éd. de Minuit, 1969, cit. p. 68-69, 190-193 et 14. Je remercie Michel Feher qui m’a guidé vers (et dans) cette lecture.
5 Pour un récit plus détaillé, voir supra le chapitre 5, que j’avais écrit à chaud, fin octobre 1991. Depuis lors, la bibliographie sur le sujet est bien sûr devenue imposante. À défaut de prétendre faire ici la synthèse des analyses développées par les uns et les autres, je me propose de revenir sur cet écrit ancien, et d’analyser à la lumière de la notion d’événement les recherches que j’ai conduites depuis lors, pendant cette période d’une décennie – d’une affaire l’autre, de l’affaire Thomas à l’affaire Lewinsky. Il s’agit de comprendre ce que veut dire travailler sur l’actualité.
6 David Brock sera le premier à évoquer Paula Jones en 1993. Il s’illustrera bientôt également avec une biographie au vitriol de Hillary Rodham Clinton. Dès mars 1992, il publie une dénonciation calomnieuse d’Anita Hill (« a bit nutty, and a bit slutty » : « un peu timbrée, un peu traînée ») dans un magazine conservateur, The American Spectator ; il la développe dans un livre, The Real Anita Hill : The Untold Story, New York, The Free Press, 1993. Pour rétablir les faits, voir deux enquêtes journalistiques fiables : Timothy M. Phelps, Helen Winternitz, Capitol Games : The Inside Story of Clarence Thomas, Anita Hill, and a Supreme Court Nomination (1992), New York, HarperPerennial, 1993 ; et surtout Jane Mayer, Jill Abramson, Strange Justice. The Selling of Clarence Thomas (1994), New York, Plume, 1995.
7 Cette analyse des sondages de 1991 reprend, en les reformulant quelque peu, les conclusions de Jane Mansbridge, Katherine Tate, « Race Trumps Gender : The Thomas Nomination In the Black Community », Political Science & Politics, XXV, 3, septembre 1992, p. 488-492.
8 Cf. Jill Abramson, « Reversal of Fortune : Image of Anita Hill, Brighter in Hindsight, Galvanizes Campaigns. A Year After Hearings, She Inspires Many Women To Challenge Incumbents. More Voters Believe Her Now », The Wall Street Journal, 5 octobre 1992, p. A1. Voir un récapitulatif des différents sondages dans The New York Times, 7 octobre 1992, p. A14 (article de Neil Lewis). Toutefois, les journalistes ne mentionnent pas les réponses par sexe et par race : ils s’intéressent plus à la mutation qu’aux clivages. Pour les chiffres détaillés, voir The Gallup Poll Monthly, octobre 1992, p. 35.
9 Sur Tailhook, on retiendra particulièrement deux livres : Jean Zimmerman, Tailspin : Women at War in the Wake of Tailhook, New York, Doubleday, 1995 ; et, pour un cadre plus large, comprenant entre autres le harcèlement des jeunes filles dans les académies militaires devenues mixtes, Linda Bird Francke, Ground Zero : The Gender Wars in the Military, New York, Simon & Schuster, 1997.
10 Anita Hill, « The Dismal Reality Remains. Getting Rid of Packwood Is the Easy Part », Newsweek, 18 septembre 1995, p. 34.
11 Charles R. Lawrence III, « The Message of the Verdict : A Three- Act Morality Play Starring Clarence Thomas, Willie Smith, and Mike Tyson », in Anita Faye Hill, Emma Coleman Jordan (dir.), Race, Gender, and Power in America : The Legacy of the Hil-Thomas Hearings, New York, Oxford University Press, 1995, p. 105-128. On pourrait prolonger la pièce avec d’autres actes, c’est-à-dire d’autres faits divers impliquant des figures médiatiques : songeons à l’accusation d’inceste portée contre le cinéaste Woody Allen, ou à celle de pédophilie à l’encontre du chanteur Michael Jackson.
12 Dana Priest et Jackie Spinner, « Issue of Race Emerges in Aberdeen Courtroom : Defense Says Army Targets Black Instructors », The Washington Post, 6 mai 1997, p. A1.
13 Je me permets de renvoyer à un autre article qui a ponctué mon travail, mais cette fois dans une série raciale : Éric Fassin, « L’Amérique en noir et blanc. Cultures ethniques et politique des races après O. J. Simpson », Esprit, mars 1996, p. 35-50 (sur ce point précis, voir p. 37).
14 Voir toutefois Marjorie Garber, « Moniker », in Lauren Berlant, Lisa Duggan (dir.), Our Monica, Ourselves : The Clinton Affair and the National Interest, New York University Press, 2001, p. 175-202.
15 Cette première lecture, je l’ai développée dans trois textes complémentaires : le plus ancien, antérieur à l’affaire, en fournissait les clés d’interprétation : « Une morale de la vérité. Journalisme et pouvoir dans la culture politique américaine contemporaine », Esprit, 11, novembre 1996, p. 172-185 ; « Le roi médiatique américain est nu », Le Monde, 20- 21 septembre 1998, p. 1, 14 ; « La stratégie Monica. L’affaire Lewinsky et le verdict des urnes », in Universalia 1999, Encyclopædia Universalis, 1999, p. 192-194. Je voudrais ici compléter cette interprétation, en la replaçant dans le cadre des recherches menées durant toute cette période, dans la logique rétrospective annoncée ci-dessus.
16 David Brock, « His Cheatin’Heart », The American Spectator, décembre 1993. Michael Isikoff, passé du Washington Post à Newsweek, établit le contact avec Linda Tripp. Il évoque le lien avec l’affaire Thomas (mais aussi la référence à Watergate) dans un livre très éclairant sur sa démarche : Michael Isikoff, Uncovering Clinton : A Reporter’s Story, New York, Crown Publishers, 1999. L’effet de série ne renvoie pas seulement à l’affaire Thomas, mais aussi, en de multiples points, à l’un ou l’autre des éléments de la série sexuelle : par exemple, c’est en se souvenant d’un détail peu ragoûtant de l’affaire Michael Jackson que l’avocat de Paula Jones lance l’idée de « caractéristiques distinctives » censées permettre d’identifier le Président par son anatomie intime.
17 Jeffrey Toobin, A Vast Conspiracy : The Real Story of the Sex Scandal That Nearly Brought Down a President, New York, Random House, 1999, p. 7 (livre par ailleurs très éclairant). Toobin est aussi l’auteur d’ouvrages sur d’autres grandes affaires-le procès Simpson, l’élection contestée entre George W. Bush et Al Gore.
18 Jeffrey Rosen, The Unwanted Gaze : The Destruction of Privacy in America (2000), New York, Vintage, 2001, p. 143-144.
19 William J. Bennett, The Death of Outrage : Bill Clinton and the Assault on American Ideals, New York, The Free Press, 1998, en particulier p. 17.
20 Catharine MacKinnon, « Harassment Law Under Siege », The New York Times, Op-Ed, le 5 mars 1998. Gloria Steinem, « Feminists and the Clinton Question », ibid., 22 mars 1998. L’éditorial du Times est publié le 25 mars 1998 : « A Feminist Dilemma ». Susan Faludi le discute dans « Sex and the Times », The Nation, 20 avril 1998, p. 5-6. Katha Pollitt, « Bill and Monica », également dans The Nation, 21 septembre 1998, p. 9. À l’inverse, on notera que ce sont souvent celles et ceux qui ont critiqué, tout au long des années 1990, les errements et les excès du féminisme, qui lui reprochent alors sa modération-comme Christina Hoff Sommers ou Elizabeth Fox-Genovese, Norman Podhoretz et Andrew Sullivan, et même Camille Paglia. Les déçus du féminisme sont constants au moins sur un point : leur déception.
21 Wendy Kaminer, « Feminists, Puritans, and Statists », Dissent, printemps 1999, p. 15. Jean Cohen, Andrew Arato, « Politics By Other Means ? Democracy and the Clinton Crisis », Dissent, été 1998, p. 65. L’article d’Ellen Willis, d’abord publié dans Dissent, printemps 1998, p. 8-10, est repris dans L. Berlant, L. Duggan (dir.), op. cit., «’Tis Pity He’s a Whore », p. 237-245. Barbara Ehrenreich, « How Bill Screwed Us All », The Guardian, 24 janvier 1998, p. 1.
22 Anita Hill, « A Matter of Definition », The New York Times, Op-Ed, 19 mars 1998.
23 Evelyn Nieves, « Condit Is Quietly Heading Toward Run for an 8th Term », The New York Times, 25 octobre 2001. Confirmation empirique (à la première personne) de ce désintérêt brutal : fait exceptionnel, aucun des dizaines d’ouvrages consultés pour cet article n’était absent des rayons à la bibliothèque de la New York University, début octobre 2001-ni sur l’affaire Thomas, ni sur l’affaire Lewinsky, ni sur le harcèlement sexuel.
24 La référence à l’Affaire apparaît chez le très sérieux juriste Richard Posner, An Affair of State : The Investigation, Impeachment, and Trial of President Clinton, Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 11. Le titre « Monica Dreyfus » est celui d’un article de Tomasz Kitlinski, Pawel Leszkowicz, et Joe Lockard, repris dans L. Berlant, L. Duggan (dir.), op. cit., p. 203-222. Son ironie provient sans doute du détour par le Moyen-Orient que proposent les auteurs.
25 Stephanie Guttmann, The Kinder, Gentler Military : How Political Correctness Affects Our Ability To Win Wars (2000), New York, Encounters, 2001.
On notera que le titre détourne une expression du Président Bush (le père). Le sous-titre de la première édition (Lisa Drew-Scribner) était aussi éloquent : Can America’s Gender-Neutral Fighting Force Still Win Wars ? Le compte rendu de la psychologue Carol Gilligan, l’une des références pendant les années 1990 sur l’incompréhension entre les sexes, avec son livre In a Different Voice, paraît dans le New York Times du 7 mai 2000 : « Make War, Not Nice »