Du corps mutilé aux membres magnifiés
From Body in Fragments to Body Fragments
p. 77-97
Résumés
Dans la céramique attique, la représentation d’un morceau mutilé ou de plusieurs morceaux d’un seul corps appartient à une esthétique souvent difficile à cerner pour le spectateur moderne, celle de la violence, de la torture et de l’outrage. Parallèlement à ces images souvent faites pour le plaisir visuel et intellectuel des convives, il en existe d’autres où des membres isolés opèrent à la fois en tant qu’ornements, agents figuratifs et signes. Ce faisant, ils participent à plusieurs types de dynamique visuelle. Ainsi, une jambe, une main, un sexe, représentés en dehors de tout contexte figuratif, suffisent pour orner seuls la surface céramique. Ailleurs, les membres isolés renforcent la densité sémantique de l’image : c’est le cas des épisèmes mais aussi du motif de l’œil unique. Ce dernier doit être distingué du motif des yeux qui, lui, interagit directement avec le spectateur tout en insufflant de la vie à la surface du vase. Toutefois, le membre isolé, modelé, partie intégrante du vase, peut aussi participer de manière active à l’expérience du banquet en permettant tout un jeu de manipulations à la fois ludiques et érotisées.
In attic vase-painting, scenes celebrating charming and desirable youths coexist with scenes showing youthful bodies in pieces. This means that the aesthetics of violence, torture and outrage must have been appreciated as much as the aesthetics of the beautiful and intact body. In other cases, isolated, autonomous and therefore magnified body fragments serve as ornaments, signs and figurative agents and as such they participate in different kinds of visual dynamics. Thus, a phallus, an arm, a foot are sufficient to adorn the vase’s surface. But, an isolated member may also have a narrative function since it can serve as an eye-catcher reinforcing the content of the scene; this is the case of shield devices or of the floating eye. The latter should be distinguished from the pair of eyes that interacts directly with the beholder and, at the same time, animates the surface of the vase. Finally, when the body fragment is a part of the vase’s body, it actively participates to the symposion’s experience by allowing playful and eroticised manipulations.
Entrées d’index
Mots-clés : vase attique, corps en morceaux, morceaux de corps, signe, agent figuratif
Keywords : attic vase-painting, body in pieces, body fragment, sign, figurative agent
Texte intégral
1Dans leur majorité, les images des vases attiques s’organisent autour du corps et de ses parures : athlètes en plein exercice, guerriers dans le feu du combat, femmes parées pour séduire, dieux et déesses en toute majesté, sont quelques-unes des figures qui véhiculent l’esthétique du beau corps juvénile, rayonnant de cette force d’attraction physique que les Grecs appellent charis. Mais à côté de cette esthétique faite pour réjouir le regard du spectateur, il existe une autre esthétique du corps, plus difficile à cerner, celle du corps démembré ou mutilé et celle des membres isolés. Alors que la mise en scène du corps en morceaux entre dans la logique visuelle de la violence, de la torture et de la transgression des normes, celle des membres isolés entre dans une toute autre logique, elle-même binaire : tantôt celle de la focalisation et du renforcement de la narration, tantôt celle de la mise en valeur et de la magnification. Aussi éloignées que puissent paraître ces trois logiques, il existe des cas où elles se juxtaposent au sein de la même image et, ce faisant, elles brouillent nos propres jugements esthétiques et éthiques autour du corps1.
Corps violentés et torturés : de la distinction des parties à la tête
2À la première catégorie d’images, celle de la violence et de la torture2, appartient le cas de Penthée, roi des Thébains qui, pour ne pas avoir voulu reconnaître le culte de Dionysos, a été dépecé à mains nues par les femmes de Thèbes et par Agavé, sa propre mère, prises de mania dionysiaque. Figuré sur des vases destinés au banquet, l’acte du démembrement à vif se présente comme un vrai spectacle où le jeu des gestes et les jets de sang mettent en valeur chacun des membres de Penthée3.
3La plus ancienne représentation connue de la mort tragique de Penthée se trouve sur un psycter fragmentaire d’Euphronios (520-515 av. J.-C.)4 où le tronc sanguinolent du jeune roi est écartelé par deux femmes, dont l’une s’appelle Galênê (« la Calme »), nom plein d’ironie vu la violence de la scène. Toutefois, l’image la plus sanglante de la mort de Penthée se trouve sur un stamnos du Peintre de Berlin (490-480 av. J.-C.)5, où ses membres ruisselant de sang – la tête, l’épaule, une cuisse, une jambe ainsi que les entrailles6 –, sont brandis par des femmes armées de thyrses. Par la dispersion des lambeaux sur la surface vasculaire, l’image reproduit la dynamique du « lancer rituel » des ménades, rapporté par les sources littéraires7. L’image se prête aussi à une sorte de jeu visuel : elle invite le banqueteur à parcourir avec son regard le vase afin de reconstituer le corps de Penthée, compositio membrorum qui est aussi présent dans les textes8. Enfin, sous l’anse, la présence d’un lion miniaturisé en position d’attaque évoque la sauvagerie des ménades agissant comme des fauves déchaînés9.
4Le lien entre les bacchantes thébaines en mania et les fauves prédateurs est de nouveau suggéré sur une coupe de Douris (vers 480 av. J.-C.)10 où deux des ménades portent des peaux de panthère (fig. 1). Leurs manteaux bigarrés ainsi que leurs bras et armes forment une sorte de cadre autour du tronc de Penthée. Le torse et l’abdomen tordus, les os arrachés à la cavité iliaque, le jeune homme a toutefois l’air d’être encore en vie. Devant ce spectacle prodigieux, ce thauma, un satyre à l’extrême droite de la scène, bondit tout en esquissant un geste d’étonnement ; les mains près du visage avec les paumes ouvertes. Vu de face, il croise le regard du banqueteur et l’interpelle pour qu’il y participe en tant que témoin11. Le reste du corps de Penthée (deux cuisses et une jambe) est porté sur l’autre côté du vase par des ménades qui se meuvent au rythme de l’aulos joué par un satyre ; au milieu de la scène, la présence majestueuse de Dionysos, trônant, accentue l’idée de la punition divine12.
5Dernier exemple, l’un des deux côtés d’une coupe du cercle du Peintre de Nicosthenès (vers 520 av. J.-C.)13 représente quatre ménades, une portant un askos et trois autres portant deux bras et un pied de Penthée. Sous l’anse, un lièvre, renvoie au sparagmos et en même temps rappelle le prologue des Euménides d’Eschyle où l’on apprend que Dionysos et les Bacchantes ont tramé pour Penthée la mort du lièvre (v. 25-26). L’autre côté du vase représente des guerriers en combat, leurs corps étant mis en valeur par leur nudité et leurs diverses postures. Enfin, le médaillon représente un satyre en train de danser. Autrement dit, le peintre juxtapose sur la surface de la coupe, trois types de corps : le corps déchiré, incomplet et outragé de Penthée, les beaux corps des guerriers en pleine action et le corps hybride, voire monstrueux du satyre.
6Les images de la mort de Penthée sont les images d’une transgression opérant sur plusieurs niveaux : d’abord, parce que le corps de Penthée, martyrisé, est assimilé au corps d’une victime animalière abandonnée à la rage des ménades lors du sparagmos. Puis, parce que les femmes thébaines, ayant quitté leurs activités au sein de l’oikos, non seulement s’adonnent à une pratique proprement masculine, la chasse, mais se comportent aussi comme des animaux sauvages. La déviation à la fois visuelle et sémantique de ces images est d’autant plus manifeste lorsqu’on pense aux images de la prothesis (exposition du cadavre) où ce sont les femmes qui, après avoir nettoyé et apprêté le corps du défunt, se lamentent autour de son lit funéraire.
7La mort atroce de Penthée est proche de celle d’Orphée, aède, fils d’Œagre, roi de Thrace, tué par les femmes du pays pour avoir enchanté leurs époux avec sa musique14. Démembré, son cadavre a été jeté dans le fleuve Euros alors que sa tête et sa lyre se sont déposées sur les rivages de l’île de Lesbos. Les similitudes entre les deux jeunes hommes sont frappantes : tous les deux d’origine non-athénienne, ils meurent par des femmes « sauvages » dans un espace extérieur à la cité. Leur mort est une mort anti-héroïque à l’opposé de la « belle mort » au champ de bataille : leur corps mutilé est une inversion iconographique par rapport au beau cadavre intact du guerrier. Toutefois, en image, le corps d’Orphée n’est pas traité de la même manière que celui de Penthée ; il n’est pas dépecé, mais tué à l’aide d’armes diverses ou décapité. Et à la différence de Penthée, Orphée continue d’exister après son meurtre à travers sa tête qui prophétise15.
8Alors qu’on dispose de plusieurs vases représentant Orphée assailli par des femmes thraces maniant diverses armes (pierres, rochers, broches, pilons, haches et épées), il n’y en a que deux représentant sa décapitation. Il s’agit d’un lécythe à fond blanc (490-480 av. J.-C.)16 et d’une hydrie attribuée à un peintre maniériste ancien (480-470 av. J.-C.)17 (fig. 2) ; dans les deux cas, la tête du poète est portée comme un trophée par une femme au costume barbare et armée d’une épée. Ce schéma fait songer d’un côté, aux femmes thébaines brandissant les membres de Penthée, de l’autre, à Persée tenant triomphalement la tête de la Gorgone18.
9Ailleurs, les peintres ayant occulté la violence de la décapitation, insistent sur les capacités prophétiques de la tête d’Orphée. Ainsi, sur une hydrie du Groupe de Polygnotos (vers 440 av. J.-C.)19, un homme couronné20 descend, à l’aide de cordes, un terrain escarpé afin de consulter la tête d’Orphée posée au sol : de taille surnaturelle, vivante, elle attire les regards et l’attention non seulement de l’homme mais aussi des six femmes tenant des instruments de musique, sans doute des Muses21. Sur une autre coupe du Peintre de Ruvo 1346 (410-400 av. J.-C.)22, la tête d’Orphée, les yeux et la bouche ouverts, prophétise en présence d’Apollon et d’un scribe qui, assis sur un rocher, transcrit ses paroles sur une tablette ; la scène est complétée sur le revers par la présence des deux Muses.
10Autre malheureux décapité, Dryas, fils de Lycurgue, roi thrace. Frappé de folie par Dionysos pour avoir persécuté le dieu lui-même et son thiase, Lycurgue tue son fils croyant couper un cep de vigne. Sur une hydrie du Peintre du Louvre G433 (425-400 av. J.-C.)23, le roi, nu, brandit des deux mains une double hache vers son fils dont il a déjà coupé la tête tenue par une ménade. À l’arrière, deux statues de culte esquissent un geste qui rappelle celui du satyre sur la coupe de Douris, signe d’étonnement devant cet infanticide. On retrouve ici la force de la violence féminine et surtout celle de la violence dionysiaque ; tout se passe d’ailleurs sous le regard du dieu assistant, en compagnie d’Ariane, au meurtre transformé là aussi en spectacle.
11La décapitation intervient dans un autre contexte, celui de la prise de Troie, la guerre étant une situation qui mobilise le paroxysme. Sur une hydrie du Groupe de Léagros (510-500 av. J.-C.)24, les Troyens ont réussi à récupérer le corps mutilé de Troilos, tandis qu’Achille bondit sur un autel en brandissant la tête de celui-ci contre les Troyens. La posture d’Achille est en écho avec celle de l’athlète qui, figuré sur l’épaule du vase parmi d’autres athlètes, s’apprête à lancer le disque (fig. 3)25. Les deux registres sont à la fois complémentaires et opposés. Complémentaires, parce que l’entraînement à la palestre permet au citoyen de développer des qualités physiques indispensables à la guerre – l’agilité, la promptitude, la discipline et l’endurance à la douleur – et en même temps, de s’initier à l’esprit agonistique26 ; la figure d’Achille, « le meilleur des Achéens », incarne au mieux cette force et excellence virile. Opposés, parce que si l’image de l’épaule célèbre l’idéal civique du kaloskagathos, l’image de la panse semble mettre en question l’aretê de ce même Achille emporté par sa colère meurtrière ; le cadavre décapité du jeune Troilos et sa tête utilisée comme projectile sont les signes de sa fureur transgressant les normes du combat27. Car, pour les Grecs, le corps, même celui de l’ennemi, doit demeurer intact et intègre ; la mutilation, la décapitation, la défiguration sont des pratiques propres aux populations barbares28. La présence de l’autel donne à l’acte d’Achille les accents d’un sacrilège.
12Il en va de même sur une amphore tyrrhénienne du Peintre de Timiadès (570-550 av. J.-C.)29, où Achille, après avoir planté la tête du jeune Troilos sur sa lance, menace avec celle-ci Hector et les Troyens qui le suivent. Le corps décapité du jeune prince gît au sol, derrière l’autel d’Apollon Thymbraios, semblable à une tombe30. La présence de l’autel, redoublée par l’inscription « bomos », renvoie à l’idée du sacrifice perverti : le corps du jeune prince est mis en pièces comme s’il était un animal sacrificiel31. Le bucrane sur le bouclier d’Hector va dans le même sens32. Toutefois, la présence d’Hermès et d’Athéna, une couronne à la main, derrière Achille, octroie à ce dernier une certaine légitimité, montrant que les dieux restent toujours du côté des Grecs.
13Décapiter un guerrier est certes un sacrilège ; mais décapiter un enfant désarmé et utiliser sa tête afin d’assommer un vieillard suppliant est un double sacrilège. C’est précisément cet acte de violence anti-héroïque que représente un lécythe non-attribuée (vers 500 av. J.-C.)33 : Néoptolème, fils d’Achille, s’apprête à achever le vieux Priam réfugié sur l’autel de Zeus, en utilisant comme arme la tête de son petit-fils, Astyanax ; d’un seul geste, Néoptolème marque l’éradication de l’oikos royal de Troie. L’iconographie de la mort d’Astyanax, contaminée ici par celle de Troilos, fusionne le comportement hybristique de Néoptolème avec celui de son père34.
14Achille et Néoptolème ne sont pas les seuls héros grecs à s’acharner contre leurs ennemis au-delà de leur mise à mort. Tydée, l’un des Sept chefs contre Thèbes, héros valeureux mais de nature sanguinaire, commet lui aussi un acte de violence inouïe ; mortellement blessé par Mélanippos, il arrive à l’abattre mais dans un accès de démence, fend son crâne et dévore sa cervelle. Athéna qui voulait dans un premier temps soigner Tydée et le rendre immortel, épouvantée de son outrage, change d’avis et lui ôte le don de l’immortalité. Un cratère en cloche, attribué au Peintre d’Eupolis (vers 450 av. J.-C.) met en scène ce moment précis : Tydée assis sur un rocher – signe de son caractère sauvage35 – voit Athéna et Athanasia (l’Immortalité) s’éloigner de lui, tandis que la tête de Mélanippos, vue de face, gît au sol (fig. 4)36.
15Cas unique, une phiale de taille monumentale (d : ca. 41,5 cm) mais malheureusement très fragmentaire37, découverte dans un sanctuaire étrusque à Pyrgi, représente sur le côté intérieur un banquet alors que, sur le côté extérieur, est figuré un contre-banquet : il s’agit de la Mnêstêrophonie, le massacre des prétendants de Pénélope par un Ulysse en colère, désireux de se venger contre les usurpateurs de sa fortune. Au-dessous d’un lit, on distingue la tête coupée d’un homme, les lèvres encore entrouvertes ; il s’agit sans doute de l’augure Leiodès dont la tête a roulé dans la poussière lorsqu’il était en train de demander grâce à Ulysse (Odyssée XXII, 328-329).
16Dans toutes les images qu’on vient de commenter, les actes du démembrement et de la décapitation du corps sont la manifestation d’une démence ou d’une colère démesurée38 : frénésie dionysiaque (Penthée, Dryas), sauvagerie féminine (Penthée, Orphée), courroux héroïque (Troïlos, Astyanax, Mélanippos, Leiodès), ce sont des états d’âme qui inversent les codes iconographiques : les femmes se comportent comme des chasseurs ou guerriers sauvages, les héros se déchaînent comme des fauves, les rites des funérailles et du sacrifice se trouvent pervertis en sacrilèges, le banquet se transforme en massacre, le père tue son propre fils. La démence et la colère engendrent des expériences limites comme la frayeur, la vengeance, le désarroi, la supplication, l’outrage, la souillure, expériences qui, sur le plan visuel, ne peuvent que fasciner le spectateur et explicitent, dès lors, la mise en scène de parties du corps spécifiques, comme la tête, signe d’une violence extrême.
Membres isolés : jambe, œil, phallos, sein, bras et main
17Il existe par ailleurs diverses images où des morceaux de corps opèrent à la fois comme ornements, agents narratifs et éléments de focalisation ; leur présence plus ou moins discrète accroche le regard et renforce la densité sémantique de la scène. Figurés sur la surface ronde des boucliers, dans le champ de l’image ou ajoutés au corps du vase en tant qu’éléments modelés, ces morceaux de corps renvoient à l’ensemble de l’image, que ce soit sous forme d’écho, de répétition, d’intensification ou de prolongement.
18L’image d’une hydrie du Groupe de Léagros (520-510 av. J.-C.) renvoie à notre première catégorie, celle de la torture (fig. 5)39. Il s’agit de nouveau d’une scène de l’Ilioupersis : on y voit Achille qui, dans sa folie meurtrière, lance le jeune Troilos contre un autel sur lequel se trouve un trépied. À côté, Priam est accroupi sous le bouclier d’Athéna, dont l’épisème est une jambe40. Le choix de ce motif est loin d’être anodin : en écho avec le corps disloqué de Troilos, il renforce le comportement hybristique d’Achille qui, l’ayant attrapé par la jambe, traite l’adolescent comme une arme ; ignorant la supplication de la femme derrière les créneaux des murs de Troie, le fils de Pélée s’apprête à verser du sang humain sur l’autel, acte qui entraînera la souillure de l’espace sacré.
19Or l’outrage le plus grave d’Achille est celui qu’il a infligé au cadavre d’Hector : attaché au char de son tueur, traîné dans la poussière, abandonné sans sépulture, livré aux chiens et aux oiseaux, Hector se trouve privé de son geras thanontôn, de sa belle mort, de sa gloire de guerrier. C’est de nouveau un épisème qui renforce le sacrilège d’Achille sur une hydrie du Groupe de Léagros (520-510 av. J.-C.)41 : sous forme de triscèle (trois jambes qui tournoient), il souligne d’une part, la vélocité et l’empressement d’Achille, héros « aux pieds légers » en train de monter sur son char, de l’autre, l’immobilité raide du cadavre d’Hector aux jambes liées42.
20Parmi les membres-focalisateurs, l’œil tient la première place43. Cela est dû au fait qu’il y a tout un réseau de regards qui s’articule autour et sur les vases : d’une part, des regards intra-iconiques signalant différents types de rapports entre figures, regards qui tantôt se croisent tantôt se détournent ; de l’autre, des regards extra-iconiques, entre les figures et l’usager du vase, ce dernier étant interpellé comme témoin de la scène qui se transforme ainsi en spectacle.
21Lorsque l’œil figure en tant qu’épisème, il évoque l’éclat aveuglant du bouclier, surface réfléchissante qui paralyse l’ennemi tout en protégeant son porteur44. Un lécythe du Peintre d’Achille (440-435 av. J.-C.)45 met en scène le départ d’un guerrier dont le bouclier est orné d’un œil vu de profil (fig. 6) : de taille imposante, peint en rehaut brun et surmonté de sourcil vu de face, il a une fonction autre que prophylactique. Agent narratif, il redouble le regard que le guerrier porte sur son épouse tout comme le casque redouble le regard que celle-ci porte sur son époux. Ce jeu de regards croisés et fixes matérialise toute la charge émotive de la scène qui orne, ne l’oublions pas, un lécythe à destination funéraire.
22Sur un cratère à la manière de Lydos (560-530 av. J.-C.), l’œil ne se trouve plus sur un bouclier mais flotte entre deux guerriers en duel46. Sa présence inattendue redouble et renforce leur face à face ; en même temps, elle est en écho avec ce que Glaucos dit à Hector dans un passage connu de l’Iliade XVII, 166 : « mais toi, tu n’oses pas affronter Ajax au grand cœur, en le regardant dans les yeux en pleine huée ennemie, ni le combattre face à face, parce qu’il est plus fort que toi. » L’image du cratère rappelle celle, plus élaborée, d’un pinakion produit en Grèce de l’Est et attribué au Groupe d’Euphorbe (vers 600 av. J.-C.)47 : au centre de la composition, entre Ménélas et Hector en train de se battre pour récupérer la dépouille d’Euphorbe, s’imposent deux grands yeux disposés de part et d’autre d’un triangle orné de losanges. La stylisation extrême du motif n’est pas contradictoire avec sa force figurative : représenté de face et semblable au visage casqué du guerrier, il donne à voir au spectateur ce que Ménélas et Hector voient lors de leur affrontement. En même temps, il captive le regard du spectateur de sorte qu’un jeu de miroir s’installe entre ce dernier et le vase devenu un objet animé puisque doté de la vision.
23Pour retourner aux épisèmes, je me permets ici d’en citer un qui est sans parallèle et qui se trouve sur une coupe de Douris (490-480 av. J.-C.) représentant le départ des guerriers48. Il ne s’agit pas d’une partie corporelle mais d’un corps incomplet, celui d’un satyre acéphale et ithyphallique. La partie supérieure ressemble étrangement à un canthare, le vase de Dionysos aux anses verticales, lui-même utilisé comme épisème. Il existe des exemples où le canthare est représenté comme un objet composite49: sur une coupe du Peintre de Nicosthenès (vers 520 av. J.-C.)50, le bouclier d’un hoplitodrome est orné d’un canthare accosté de deux phalloi. Dans la même logique, le bouclier de son voisin est orné d’une corne à boire en forme de phallos sur lequel est posé un oiseau (fig. 7) ; nous avons ici des vases anthropomorphisés par l’ajout d’un sexe masculin, vases qui existent en réalité et qui renforcent l’ambiance érotique du banquet51.
24Les épisèmes sur la coupe de Douris et du Peintre de Nicosthenès nous rappellent que dans la céramique attique, les membres isolés fonctionnent non seulement en tant qu’ornements, signes et éléments focalisateurs au sein des images, mais aussi comme parties intégrantes du vase lui-même permettant plusieurs types de manipulation.
25En effet, le corps céramique étant conçu comme un corps humain pourvu d’un visage (l’intérieur de la coupe), d’un pied, d’une épaule, de lèvres, d’oreilles (anses), il se prête facilement à divers effets d’animation qui mobilisent sa nature manufacturée52. Une coupe à la manière du Peintre de Lysippidès (vers 520 av. J.-C.)53 en constitue un bon exemple : ses flancs extérieurs sont ornés d’un masque de satyre aux yeux écarquillés, entouré d’une énorme paire d’yeux. Ce double décor ophtalmique crée l’impression que la coupe est douée de la vue, qu’elle est un prosôpon54. Lorsque le banqueteur soulève la coupe pour boire, celle-ci devient une sorte de masque dionysiaque offert au regard des autres convives ; pendant qu’il boit, le banqueteur change ainsi momentanément d’identité. L’effet d’animation est renforcé par les anses ayant l’air d’oreilles, mais aussi par le pied en forme de sexe masculin, matérialisation du jeu de mots entre pous (pied) et peos (phallus)55. Qu’il tienne la coupe par les anses ou par le pied, le buveur se trouve impliqué dans un jeu forcément érotique comme le prouve l’image d’une autre coupe à yeux56. Mais il y a plus. Très large (d : 34. 4 cm), la coupe d’Oxford est difficile à manier et exige beaucoup d’adresse pour ne pas verser une goutte : le buveur se trouve ainsi obligé de boire rapidement. Il est probable que la coupe ait pu être utilisée dans une sorte de beuverie de compétition, poluposia57, pendant laquelle le buveur prouve sa résistance à l’effet du vin, sa dextérité et son élégance.
26Moins connue, une coupe contemporaine, aujourd’hui à Compiègne, est également pourvue d’un pied en forme de phallus (fig. 8)58. Or, ici sa présence est en lien direct avec la figure d’athlète qui, entièrement nu et tenant des haltères, figure sur chaque côté, entre deux gros yeux. Si le phallus rehausse l’idée de l’excellence virile que l’athlète incarne, les yeux évoquent le plaisir que le spectateur, à savoir le banqueteur, éprouve en le contemplant.
27Objets de plaisir à la fois visuel et tactile, les vases anthropomorphisés participent de l’esprit ludique et érotique du banquet. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre un autre type de vase extrêmement rare que l’on appelle mastos59: ici le banqueteur est invité à manier un sein féminin alors que le manque de pied fait qu’on ne peut pas déposer le vase avant de l’avoir vidé. Autrement dit, le banqueteur est obligé de boire d’un seul trait (amusti) dans l’esprit de poluposia. Comme l’a montré Helene Coccagna, ce type de vase évoque les verbes helkô et spaô qui renvoient aussi bien à la beuverie qu’à l’allaitement60. Autre particularité du vase, la perle qu’on ajoutait parfois entre le « mamelon » et le fond ; ainsi, lorsqu’il était saisi par le buveur, le mastos produisait un son de grelot61.
28En mobilisant la vue, le toucher, le goût et l’ouïe, le mastos est un objet synesthésique de premier ordre. Je ne citerai ici qu’un seul exemple, le mastos de Londres (520-500 av. J.‑C.)62 : orné d’une paire d’yeux, de sourcils et d’un nez, il peut être vu aussi bien comme un visage que comme un sein ; il se présente comme un objet de nature hybride, tout comme le sont les satyres qui figurent sous ses anses (fig. 9).
29Laissons la forme céramique pour retourner à l’image elle-même. Moins souvent, des membres du corps sont représentés sur certains types de vases de manière autonome, en dehors de tout contexte narratif. Focalisés et pour cela magnifiés, ces membres opèrent à la fois comme ornements et signes à part entière ; or, dans leur cas, ce n’est pas le contexte narratif qui les charge de sens mais le contexte d’usage social du vase ainsi que son contenu63.
30À cette catégorie de vases appartiennent les « Spotlight Stamnoi » (460-450 av. J.-C.), à savoir des stamnoi dont l’épaule est ornée, sur l’un des côtés, d’une seule image à l’échelle miniature et sans cadre, tandis que le reste du vase est entièrement recouvert de vernis noir64. Leurs images sont en lien direct avec le cadre du banquet dans lequel le stamnos est utilisé ; de manière générale, elles renvoient au monde dionysiaque (satyres, gorgoneion) et à celui des mythes (sirène, Pégase, satyre portant les armes d’Héraclès), aux plaisirs symposiaques (lyre), aux valeurs viriles (lion, coq, boxeur) et civiques (tête d’Athéna). Parmi ces stamnoi, celui qui se trouve au Vatican (fig. 10)65, représente un sexe masculin, motif tout à fait adapté à l’ambiance érotisée du banquet et à l’appréhension du vase comme corps.
31On retrouve la logique du membre du corps isolé sur le couvercle des pyxides de type D (fin vie-ive siècle av. J.-C.) : il s’agit de petites boîtes cylindriques pourvues d’un couvercle plat66. Celui-ci est la seule partie à recevoir une image elliptique ou abrégée, parfois représentée comme un extrait d’une scène plus large que le spectateur est invité à imaginer67. De manière générale, l’effet visuel produit est proche de celui des boucliers analysés plus haut. Une pyxide à Londres (fin ve siècle av. J.-C.)68 représente le bras et la main droite d’un homme qui tient une épée suspendue au brassard de son bouclier ; ce dernier est matérialisé par le couvercle de la pyxide (fig. 11). Deux autres pyxides ne représentent que des mains dont une porte sans doute un bracelet (main féminine ?) : on imagine l’effet lorsque l’usager les saisit de sa propre main. Moins générique, l’image d’une pyxide d’Olynthe (début ive siècle av. J.-C.) représente une jambe chaussée d’une sandale ailée, sans doute celle d’Hermès ou de Persée69. Enfin, deux pyxides renvoient directement à l’esprit érotique du banquet. La première (vers 470 av. J.-C.)70 représente le fameux phallus aillé, le seul morceau du corps qui a une vie autonome, qui vole et qui sert lui aussi d’épisème71; figuré près d’une éponge et d’un aryballe, il prend la place en quelque sorte d’un jeune athlète. La seconde pyxide (ive siècle av. J.-C.) représente une scène insolite72 : on y retrouve un phallus ailé, nommé Philônidês, face à trois sexes féminins dont celui de gauche est désigné comme hê aulêtris Anemônê (la joueuse d’aulos Anémone). Le choix de mettre ainsi en valeur différentes parties du corps est sans doute lié au contenu de ces pyxides utilisées aussi bien par des hommes que des femmes, contenu qui était souvent lié à la toilette du corps : de l’onguent et autres substances cosmétiques73.
32Les exemples étudiés prouvent que le membre isolé est un élément pictural apprécié aussi bien par les peintres que par les potiers. Capable d’opérer à la fois en tant qu’ornement, agent figuratif et signe polyvalent, il participe à plusieurs types de dynamique visuelle. Ainsi, sur les « Spotlight Stamnoi » et les couvercles des pyxides de type D, une jambe, une main, un sexe, représentés en dehors de tout contexte figuratif, suffisent pour orner seuls la surface céramique ; leur sens est plus ou moins ouvert à des interprétations en fonction de l’usage, du dispositif visuel du vase et des projections du spectateur. Ailleurs, les membres isolés peuvent avoir une fonction narrative puisqu’ils renforcent la densité sémantique de l’image : c’est le cas des épisèmes mais aussi du motif de l’œil unique tel qu’on le voit sur le cratère à la manière de Lydos. Le motif de l’œil doit être distingué du motif des yeux qui, lui, interagit directement avec le spectateur tout en insufflant de la vie à la surface du vase ; en outre, sa présence renforce souvent l’aspect spectaculaire de l’image. Enfin, la représentation au sein d’un contexte narratif d’un seul morceau mutilé (par exemple la tête d’Orphée, de Troilos, d’Astyanax) ou de plusieurs morceaux d’un seul corps (comme ceux de Penthée) appartient à une autre esthétique, celle de la violence, de la torture, de l’outrage, esthétique qui est sans doute aussi appréciée par les convives que celle du beau corps intact. Il s’agit d’images d’excès qui, dans leur majorité, ont été faites pour être vues et commentées dans le cadre du banquet. Mais le membre isolé n’opère pas seulement en image ; modelé, partie intégrante du vase, il peut participer de manière active à l’expérience du banquet en permettant tout un jeu de mouvements et de manipulations à la fois ludiques et érotisées : c’est le cas des coupes phalliques et des mastoi. Inséré dans une dynamique de gestes et de regards, faisant système avec la surface céramique et les autres éléments figuratifs, le membre isolé ne fonctionne jamais seul.
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10.1017/S0048671X00002836 :Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier chaleureusement Florence Gherchanoc et Stéphanie Wyler pour m’avoir invitée à participer à leur troisième rencontre sur le « corps en morceaux ». Je voudrais aussi remercier Françoise Frontisi-Ducroux et François Lissarrague pour leurs corrections et suggestions précieuses.
2 Sur le démembrement et la décapitation, voir Chazalon à paraître.
3 Pour une analyse de ce thème iconographique voir LIMC VII, s.v. « Pentheus » (J. Bažant-G. Berger-Doer), p. 306-317 ; Villanueva-Puig 2009, p. 59-77.
4 Boston, Museum of Fine Arts 10.221 ; ARV2 16.14 ; Para 322 ; Add2 153 ; BA 200077 ; Denoyelle, Pasquier 1990, p. 160-163, n. 32 ; Chazalon à paraître. Une touche de rehaut rouge sur l’œil indique que celui-ci a été arraché.
5 Oxford, Ashmolean Museum 1912.1165 ; ARV2 208.144 ; Para 343 ; Add2 194 ; BA 201963 ; Padjett 2017, p. 300-301, n. 49.
6 Comme Ludi Chazalon l’a bien remarqué, dans l’ensemble d’images de la mort de Penthée, on ne voit jamais le bassin et donc le sexe de Penthée : voir Chazalon à paraître.
7 Sur la dispersion rituelle des membres des animaux par les membres du thiase, voir Halm-Tisserant 2004, p. 126-130.
8 Dans un passage perdu de la fin des Bacchantes d’Euripide (408-406 av. J.-C.), pièce qui est pourtant bien postérieure à notre image, Agavé ayant retrouvé la raison, essaie de recomposer le corps de son fils (frg. 3, 1466-1471). De la même manière, Hécube se lamente au-dessus du cadavre de son fils Astyanax, en s’adressant à ses différentes parties (Euripide, Les Troyennes 1156-1250) : voir Villanueva-Puig 2009, p. 58, citant l’article de Zeitlin 1991, notamment p. 84.
9 Dans les Bacchantes d’Euripide, Agavé croit tenir dans sa main la tête d’un lion alors qu’il s’agit de la tête de son fils (v. 1278).
10 Fort Worth, Kimbell Art Museum AP2000.02 ; BA 11686 ; Lissarrague 2013, p. 168-169.
11 Frontisi-Ducroux [1995] 2012, p. 243.
12 Joannis Mylonopoulos suggère que les membres de Penthée sont présentés à Dionysos comme de la viande sacrificielle : voir Mylonopoulos 2013, p. 81.
13 Paris, Musée du Louvre G69 ; ARV2 133.21 ; Add2 177 ; BA 201114.
14 Il s’agit de la version que les peintres attiques semblent avoir retenue.
15 Sur l’iconographie de la mort d’Orphée, voir Lissarrague 1995 ; LIMC VII, s.v. « Orpheus », p. 81-105 (M.-X. Garezou).
16 Kiel, Antikensammlung B500 ; Para 357.19bis ; Add2 212 ; BA 352525.
17 Paris, Cabinet des Médailles 456 ; ARV2 588.72 ; BA 206863.
18 Le dossier a été finement étudié par Frontisi-Ducroux [1995] 2012, p. 127-152. Voir aussi Chazalon à paraître.
19 Bâle, Antikenmuseum und Sammlung Ludwig BS481 ; BA 3735.
20 Le consultant de l’oracle a été identifié comme le poète Terpandre originaire de Lesbos.
21 De même, sur une autre hydrie, la tête d’Orphée est posée aux pieds d’Apollon encadré des deux Muses : Dunedin, Otago Museum E48.266 ; ARV2 1174.1 ; BA 215555.
22 Cambridge, Corpus Christi ; ARV2 1401.1 ; Add2 373 ; BA 250142.
23 Rome, Villa Giulia 55707 ; ARV2 1343 ; BA 217561. Sur le personnage de Lycurgue en général, voir LIMC VI, s.v. « Lykourgos I », p. 309-319 (A. Farnoux).
24 Londres, British Museum B326 ; ABV 362.28 ; Add2 96 ; BA 302023.
25 Dans les Troyennes d’Euripide (v. 1121), le corps d’Astyanax est cruellement lancé comme un disque (diskêma pikron) du haut des tours : voir Laurens 1984, p. 221.
26 D’ailleurs, pendant qu’Achille, en colère contre Agamemnon, refuse de participer au combat, ses guerriers s’amusent à lancer disques et javelots, et à tirer à l’arc : cf. Homère, Iliade II, 774-775.
27 Sur le personnage ambivalent d’Achille, voir Hoff von den 2005.
28 Cf. par exemple Hérodote, Histoires IX, 79. Sur ce point, voir Muller 2014.
29 Munich, Antikensammlungen 1426 ; ABV 95.5 ; Para 36 ; Add2 25 ; BA 310005.
30 Voir l’amphore tyrrhénienne du même peintre à Londres (British Museum 1897.0727.2) représentant la mort de Polyxène au dessus du tombeau d’Achille : ABV 97.27 ; Para 37 ; Add2 26 ; BA 310027.
31 Durand, Lissarrague 1999; Mylonopoulos 2013.
32 On retrouve le même schéma sur une amphore tyrrhénienne du Peintre de Prométhée (560-550 av. J.-C.) où Achille brandit la tête de Troilos en la tenant du bout de sa longue chevelure : Florence, Museo Archeologico Etrusco 70993 ; ABV 95.6 ; Para 36 ; Add2 25 ; BA 310006.
33 Athènes, Musée National 11050 ; BA 15004 ; LIMC VII, s.v. « Priamos », n. 119, pl. 410.
34 Sur la mort d’Astyanax voir Touchefeu 1983, p. 21-27 ; LIMC II, s.v. « Astyanax I », p. 929-937 (O. Touchefeu).
35 D’après Nikolaus Dietrich, les rochers ne désignent pas un espace naturel, extérieur à l’oikos, mais opèrent en tant qu’attributs et prolongements corporels des figures humaines ou divines : voir Dietrich 2010.
36 Marché ; ARV2 1073.4 ; Add2 325 ; BA 214435 ; Shapiro 1993, p. 34-35.
37 Sur cette phiale, voir Baglione 1988. La phiale est attribuée par Dyfri Williams (CVA London, The British Museum 9, p. 23) à Onésimos (vers 590 av. J.-C.).
38 Sur la colère, nécessaire au guerrier pour atteindre la gloire, et ses limites, voir Wees van 1992, p. 126-167.
39 Munich, Antikensammlungen 1700 ; ABV 362.27 ; Para 161 ; Add2 96 ; BA 302022.
40 Sur le rapport entre représentations visuelle et poétique des épisèmes, voir Jubier-Galinier, Laurens 2007; Lissarrague 2007, Lissarrague 2009a et Lissarrague 2009b. Sur les épisèmes représentant le corps humain, en partie ou en entier, voir Lissarrague 2015.
41 Boston, Museum of Fine Arts 63.473 ; Para 164.31bis ; Add2 96 ; BA 351200.
42 L’idée de la vélocité est également visualisée par la divinité ailée qui domine la scène, par l’eidôlon ailé de Patrocle mais aussi par les chars figurés sur l’épaule.
43 Sur le motif de l’œil en général, voir entre autres Steinhart 1995 ; Martens 1992, p. 284-363.
44 Sur l’effet de miroir que le bouclier crée une fois astiqué et huilé, voir Frontisi-Ducroux, Vernant 1997, p. 191-192.
45 Athènes, Musée National 1818 ; ARV2 998.161 ; Para 438 ; Add2 313 ; BA 213983.
46 Marché ; Para 46.1bis ; Add2 32 ; BA 350355 . Sur la présence de l’œil au sein des images représentant des combats guerriers, voir Steinhart 1995, p. 8-15.
47 Londres, British Museum 1860.4-4.1. Pour une analyse fine de ce motif ophtalmique, voir en dernier lieu Squire 2018, notamment p. 12-16.
48 Paris, Musée du Louvre G124 ; ARV2 436.110 ; Add2 238 ; BA 205156.
49 Corps hybride qui rappelle le vase par excellence de Dionysos, la figure du satyre acéphale sur le bouclier permet d’articuler le monde de la guerre à celui du banquet évoqué par la coupe représentée dans le champ de l’image.
50 Cambridge, Fitzwilliam Museum 29.24 ; ARV2 134.5 ; Add2 177 ; BA 201120.
51 Sur les vases en tant qu’épisèmes des boucliers, voir Lissarrague 2009b, et notamment sur la corne à boire et le canthare, p. 242-243.
52 Sur le vase en tant que corps, voir Lissarrague 1987, p. 56-59 ; Martens 1992, p. 284-359 ; Chazalon 2013.
53 Oxford, Ashmolean Museum 1974.344 ; BA 396. Le jeu de regards est complété par celui du gorgoneion occupant le médaillon entouré d’une scène de banquet. Pour une analyse de la coupe entière, voir entre autres Boardman 1976 ; Lissarrague 1987, p. 56-57 ; Neer 2002, p. 41-42 ; Isler-Kerényi 2007, p. 190-193.
54 Sur les coupes à yeux, voir Ferrari 1986 ; Frontisi-Ducroux 1991, p. 177-188 et Frontisi-Ducroux [1995] 2012, p. 214-224 ; Villanueva-Puig 2004 ; Rivière-Adonon 2011.
55 Sur ce point, voir Levine 2005, notamment p. 58.
56 New York, Metropolitan Museum 56.171.61 ; ARV2 50.192 ; Para 325 ; Add2 162 ; BA 200402.
57 Sur la poluposia, voir Wecowski 2014, p. 42-47.
58 Compiègne, Musée Vivenel 1098 ; BA 11150 ; Galoin 2001, p. 113, fig. 44.
59 Sur ce type de vase, voir Greifenhagen 1977 ; Isler-Kerényi 2007, p. 197-200 ; Coccagna 2014 avec bibliographie précédente.
60 Euripide, Les Phéniciennes 987 (nourrir l’enfant) ; Euripide, Cyclope 417 (amustin helkusas = boire d’un seul trait). Le lien du vase à la maternité n’est visible que sur le mastos de Würzburg (Martin von Wagner Museum der Universität L391 ; ABV 262.45 ; Para 115 ; Add2 68 ; BA 302277) où l’on voit une femme tenant un enfant dans ses bras, en présence de deux satyres, d’Hermès et de Dionysos. Le couple mère/fils a été interprété comme Ariane et Oinopion : voir Coccagna 2014, p. 408-409.
61 Mertens 1979, notamment p. 23.
62 Londres, British Museum B376 ; BA 313.
63 Sur les objets représentés de manière isolée sur les vases, voir Lissarrague 2006.
64 Pour une analyse de ce type de stamnoi, voir Philippaki 1967, p. 89-93.
65 Philippaki 1967, pl. 18.3.
66 Sur ce type de pyxide et son iconographie, voir Oakley 2009.
67 Il n’y a que deux pyxides de ce type où le décor se trouve sur les parois : Oakley 2009, p. 60.
68 Londres, British Museum E770 ; ARV2 1360.2 ; BA 223026 ; Oakley 2009, n. 28, fig. 10.
69 Salonique, Musée Archéologique 38.305 ; BA 9023284 ; Oakley 2009, n. 30, fig. 11.
70 Athènes, Musée National, Collection d’Acropole 2.573 ; ARV2 312.2 ; BA 203216 ; Oakley 2009, n. 92.
71 Sur le phallus ailé, voir Boardman 1992.
72 Athènes, Musée National 2510 ; BA 43665 ; Oakley 2009, n. 94, fig. 17.
73 Sur les contextes de découverte, surtout domestiques et funéraires, voir Oakley 2009, p. 63.
Auteur
EHESS, ANHIMA UMR8210
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Des femmes en action
L'individu et la fonction en Grèce antique
Sandra Boehringer et Violaine Sebillotte Cuchet (dir.)
2013