1 D’une manière générale, les ensembles d’éléments prenant la forme d’un réseau relèvent de la classe des taxinomies logiques sans pour autant que cette dernière catégorie se résume à la première. Ainsi, les notions de voisinage ou de nationalité qui relèvent des taxinomies logiques ne sont pas transposables en l’état dans une approche en termes de networks studies (étude des réseaux), là où celle d’amitié par exemple l’est. Au contraire, la plupart des ensembles mathématiques relèvent de facto des taxinomies typologiques. Notons enfin que, bien souvent, les taxinomies sont à la fois logiques et typologiques : ainsi l’ensemble constitué par les membres d’une même espèce (animale ou végétale) dans la classification linnéenne fait fond sur une taxinomie logique (l’origine commune de ses éléments), laquelle se déduit de facto de caractéristiques anatomiques partagées, qui en font aussi une taxinomie typologique.
2 Pour les périodes anciennes, il convient de mettre à part deux auteurs : William Halse Rivers d’un côté, qui dans son ouvrage Kinship and Social Organization (1914) mais surtout au travers d’entrées d’encyclopédie, « Marriage » et « Mother Right », parues l’année suivante dans l’Encyclopædia of Religion and Ethics (1915a et 1915b) éditée par James Hastings, chercha à définir la nature de l’objet parenté et ce indépendamment des sous-catégories qui le constituait (filiation, alliance, etc.). Edmund R. Leach de l’autre côté, qui dans son stimulant article « Repenser l’anthropologie » (1968) s’efforça de définir précisément (même s’il s’agissait plus pour l’ethnologue et mathématicien qu’il était d’une spéculation logique que d’une affirmation théorique) ce qu’il appelait alors la « fonction parentale », notion qui a bien des affinités avec ce que j’entends ici par « lien parental », comme nous allons le voir.
3 Dans sa variante anglophone de parenthood que j’évoquerai par la suite, il a depuis ses débuts été présenté dans la littérature anthropologique anglophone sur la parenté.
4 Le concept sera aussitôt repris par de nombreux travaux anglophones sur la parenté. Par exemple, comme l’indique son titre, dans l’excellent ouvrage collectif, Dividends of Kinship : Meanings and Uses of Social Relatedness, dirigé par Peter Schweitzer et publié la même année (2000).
5 L’expression est trompeuse car elle ne désigne en réalité qu’une petite partie des travaux récents sur ce thème. Principalement ceux d’auteurs qui, dans une démarche d’ailleurs bien plus pragmatique que théorique, vont étudier les usages « instrumentaux » de la parenté, en mettant l’accent sur le débat public ou politique et sur les usages pratiques et sociétaux de celle-ci.
6 Cela pose bien sûr la question du point d’origine et, dans la majeure partie des récits anthropogoniques, ce sera le démiurge ou d’autres « » qui engendreront l’espèce humaine. Mais comment penser la genèse autrement ? Cependant, passés ces temps anhistoriques (du rêve des aborigènes, de l’âge d’or des Grecs, de la Genèse chrétienne, etc.), ce sera aux humains de chair et de sang à qui échoira dans toutes les mythologies le privilège de donner naissance aux enfants de l’un et l’autre sexe.
7 Maurice Godelier (2004) place même ce constat au cœur de sa réflexion sur la parenté-que les humains considèrent toujours que les composantes de leur être ne sont pas exclusivement humaines. Mais cette affirmation est fausse. Il est aisé de constater que cet auteur accorde une extension universelle à des étiologies singulières, historiquement et culturellement déterminées. Ainsi, dans nos sociétés occidentales, l’idée d’une intervention supranaturelle dans la reproduction ne fait sens que durant le seul Moyen Âge chrétien : elle n’existe pas dans l’Antiquité païenne et est remise en question dès la Renaissance. L’intrusion du numineux n’a plus aucun rôle à jouer (sauf pour les croyants orthodoxes) dans notre idéologie laïque actuelle qui réduit la génération à un processus exclusivement biologique et fait i de toute transcendance. Or, ce modèle « » occidental est, mondialisation oblige, en passe de tenir lieu de représentation universelle commune. Nous pouvons donc affirmer que toutes les sociétés pensent qu’il faut des humains pour produire d’autres humains, alors que seulement certaines d’entre elles, et ce seulement à certaines périodes, ajoutent à cet impératif la nécessité de l’intervention d’autres acteurs, divins notamment.
8 À l’exception des cas d’abandons complets ou d’expositions bien entendu, qui équivalent souvent à une mort sociale pour le nouveau-né. Rappelons-nous ainsi que ce sont les enfants exposés plutôt que les captifs de guerre qui fournissent la base de la main-d’œuvre servile à Rome (Veyne, 1978).
9 « Kinship as a symbol system is built on consanguineal and affinal elements » (traduit par nos soins).
10 La polygamie ne fait pas exception. Si cette forme d’union admet synchroniquement une pluralité de couples, elle se restreint, diachroniquement, à lier un enfant à un seul d’entre eux. Dans la polygynie, la descendance n’est jamais considérée comme « » à toutes les femmes et chaque enfant est exclusivement lié à sa propre mère. Il en va de même pour la polyandrie où chaque enfant n’a qu’un père.
11 Je représente ici la génération supérieure en y incluant deux individus pour indiquer la possibilité d’un couple. Mais ce n’est qu’un artifice graphique et, comme je l’ai souligné, le lien de parenté peut aussi bien être porté par un individu isolé. Il en va de même pour la génération inférieure.
12 Bien entendu, le fait que, dans une société donnée, la relation entre plusieurs adultes - qu’on l’appelle alliance, mariage, couple, etc., peu importe - n’apparaît pas comme un élément pertinent de la relation de parenté comme le montre le cas b de la figure suivante (fig. 8 b), ne signifie pas que ces institutions n’existent pas. Cela arrive parfois (Na étudiés par Cai, 1997 ; Sénoufos Nafara ethnographiés par Zempléni, 1991 ; etc.), mais c’est loin d’être fréquent. Cette absence signifie juste que seule la relation à l’un des adultes est prise en considération en tant que relation de parenté.
13 La nature relationnelle de la parenté qui transparaît dans son mode opératoire et sa construction de proche en proche ne concerne d’ailleurs pas que le lien parental lui-même. Nous pouvons ainsi étendre cette opération d’inclusion pas à pas des « » à la gestion des interdits matrimoniaux. Ainsi, suivant le même principe, si une personne m’est interdite au mariage, alors toutes les personnes par lesquelles il me faut obligatoirement « » pour décrire la relation que j’entretiens avec elle le sont également. Cette proposition ne vaut, précisons-le, que pour la description la plus économique d’une relation : si par exemple j’ai épousé ma cousine et que j’ai une fille avec elle, je ne pourrai pas en conclure que la fille de ma cousine m’est interdite alors que ma cousine ne l’était pas. La relation la plus économique pour décrire la fille de ma cousine dans ce cas est de la désigner comme ma fille. À ma connaissance, les seules exceptions à cette règle du « à pas » dans l’expression des interdits incestueux tiennent à l’existence de certains interdits exprimés sur des catégories globales : par exemple, si je pose pour règle que je n’ai pas le droit d’épouser des personnes d’une autre génération généalogique que la mienne, alors je pourrai épouser ma cousine, mais pas sa fille par exemple. Je remercie Klaus Hamberger pour la discussion enrichissante que nous avons eue sur ce point. De telles exceptions ressortissent cependant plus, à mon avis, à la catégorie des interdits statutaires (fondés sur des différences d’âge, de génération, de caste, de classe, de richesse, etc., entre les conjoints) qu’aux conceptions locales que les acteurs ont de la prohibition de l’inceste.
14 Reposant dès lors à nouveaux frais le débat classique de l’anthropologie initié par l’anthropologue Alfred Kroeber en 1909 dans son article « systems of relationship » (le débat initié par Kroeber concernait au premier chef la construction des terminologies, mais il fut par la suite étendu à l’idée de parenté elle-même), à savoir celui de la nature en extension ou en compréhension des phénomènes de parenté, en tranchant assez nettement en faveur de la première perspective (voir aussi Désveaux [2001] qui, dans les chap. 17 et 20 de son Quadratura Americana, défend ce même point de vue).