Précédent Suivant

10. Impact écotoxique des contaminants chimiques

p. 220-221


Texte intégral

1Le nombre de molécules chimiques retrouvées dans les écosystèmes terrestres et aquatiques ne cesse de croître. La dangerosité de certaines de ces molécules pour les êtres vivants est suspectée, voire avérée. C’est le cas des pesticides* utilisés en traitement agricole et urbain (herbicides), ou domestique (insecticides), des conservateurs (parabènes) utilisés dans les produits d’hygiène et de soins, des plastifiants, des phtalates, ou encore du bisphénol A, qui fait aujourd’hui l‘objet d’une interdiction d’usage en France compte tenu de son activité de perturbateur endocrinien.

2La première approche de l’évaluation de l’impact écotoxique des contaminants chimiques dans les écosystèmes terrestres et aquatiques concerne la mesure de l’impact des polluants sur les individus inféodés à ces milieux, qu’il s’agisse d’organismes autochtones ou d’organismes « modèles », comme le poisson zèbre, la daphnie ou la truite arc-en-ciel pour les milieux aquatiques. En effet, toutes les molécules chimiques, minérales ou organiques, d’origine naturelle ou anthropique, sont susceptibles dans certaines conditions de concentration, de biodisponibilité* ou de mélange, de perturber la physiologie des organismes avec des conséquences directes plus ou moins graves, comme la mort ou l’incapacité à se reproduire. La pression chimique toxique peut également conduire à des effets plus indirects, se traduisant par une diminution de la résistance de l’individu face aux multiples stresseurs de son environnement, tels que la modification de la qualité de son habitat (ressources trophiques, température), les agressions naturelles (prédation, pathogènes*, parasites…). En écotoxicologie, les travaux de recherche qui visent la compréhension et la mesure des mécanismes biotiques* et abiotiques*, conduisant à des impacts directs ou indirects des polluants chimiques sur les organismes, sont à la base des évaluations du risque des substances. Ils alimentent les dossiers d’autorisation de mise sur le marché des molécules de synthèses (les substances en général, les pesticides, les biocides*, les substances pharmaceutiques, les cosmétiques) imposées par les réglementations européennes telles que REACH* (Regulation on Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals). Ils sont aussi à la base de la définition des normes chimiques de qualité environnementale, nécessaires à la mise en œuvre de la DCE* (Directive-cadre sur l’eau) (cf. V.2)

Effet toxique

3Avec l’exposition à une ou plusieurs molécules présentes dans son environnement, l’expression d’un effet toxique chez un individu implique que ces substances pénètrent dans l’organisme via les différentes voies d’entrée possibles (respiratoire, alimentaire, cutanée), passent des barrières cellulaires, subissent ou non un certain nombre de transformations biochimiques (biotransformations le plus souvent médiées par des enzymes) conduisant à des métabolites* actifs ou inactifs ; le produit initial et/ou les métabolites actifs atteignant ensuite une ou plusieurs cibles moléculaires avec lesquelles ils interagiront.

4Le stockage dans les tissus graisseux, les transformations métaboliques et l’excrétion vont permettre d’éliminer les composés chimiques toxiques ou non. Les mécanismes d’action toxique qui conduisent à des effets nocifs sur les individus exposés à des composés chimiques biodisponibles sont variés, souvent mal connus, d’autant plus qu’ils peuvent différer selon les espèces animales et végétales concernées. Il peut s’agir de perturbations ou de destructions de structures cellulaires (surfaces membranaires, par exemple), d’interactions chimiques avec des constituants de la cellule (telle que des liaisons aux protéines, aux acides nucléiques*), de modulations d’activités enzymatiques*, ou encore d’effets indirects suite au relargage ou au déséquilibre de concentrations de molécules endogènes dans l’organisme. Par exemple, du fait de leur structure chimique, certaines molécules peuvent mimer la présence d’hormones chez les animaux aquatiques et terrestres (vertébrés ou invertébrés), ou inhiber leur activité et conduire à des perturbations endocriniennes. En effet, les hormones produites pas le système endocrinien assurent la transmission de messages chimiques dans l’organisme via l’interaction avec des protéines de la cellule appelées « récepteurs ». Cette liaison au récepteur conduit à la régulation de certains gènes et à des modifications du métabolisme cellulaire des organes cibles. En mimant l’action des œstrogènes par exemple, certaines substances chimiques comme des pesticides (DDT*, atrazine), des PCBs* (polychlorobiphényles), sont des causes de l’altération de la maturation sexuelle chez les poissons (féminisation des mâles) ou de perturbation du développement chez les reptiles et les batraciens. D’autres substances comme le TBT* (tributylétain) sont connues pour induire le développement d’organes sexuels mâles chez des femelles de gastéropodes marins.

Image

Rejets et déchets : des sources de danger toxique. © L. Mignaux/MEDDE-MLETR

La propagation des effets

5Selon l’espèce et le stade de vie de l’organisme exposé, ces phénomènes moléculaires et biochimiques (dommages à l’ADN, suppression de réponses immunitaires, perturbations de la régulation hormonale) induits précocement au niveau cellulaire auront des conséquences plus ou moins graves à des niveaux d’organisation biologique plus complexe, par exemple au niveau des tissus et des organes (déformations osseuses, nécroses tissulaires, tumeurs). Ils pourront également se traduire par des altérations de fonctions physiologiques, comme le développement, la croissance, le comportement, la reproduction, ou par la diminution des capacités de survie des juvéniles ou des adultes. Ces effets nocifs observables sur les individus vont se propager au niveau de la population, entraînant des modifications de sa structure en âges, par exemple le vieillissement de la population suite à des mortalités accrues des juvéniles sensibles à l’exposition à la contamination chimique, ou du fait de la chute de la fécondité des adultes, pouvant aller jusqu’à l’extinction. Au sein d’une population, la pression chimique toxique sur les individus les plus sensibles peut être mesurée également au niveau moléculaire, avec la modification de la structure génétique de la population. Conséquences de l’élimination des individus les plus sensibles, les effets toxiques peuvent conduire dans certains cas à des altérations de fréquences de gènes au sein des populations exposées (disparition de certains gènes sensibles ou au contraire apparition de gènes de résistance), et ainsi conduire à une diminution de la diversité génétique des populations.

La réponse des individus

6Les perturbations biologiques au niveau moléculaire (évolution de l’expression de gènes, de protéines, activités enzymatiques*…), tissulaire (atteinte à l’intégrité des tissus), sur les fonctions physiologiques et les traits de vie associés (taux de reproduction, de croissance), ou encore sur le comportement (alimentaire, respiratoire, déplacement) font l’objet de mesures en laboratoire pour comprendre et décrire l’impact des substances, et dans le milieu pour établir un impact chimique toxique. Au laboratoire, lors de bioessais, il est aisé de mesurer la plupart de ces paramètres au niveau individuel sur des échantillons de population. Dans le milieu, pour des raisons pratiques, il est souvent plus délicat de mesurer des réponses comme la croissance ou la reproduction sur des individus, et le plus souvent est mise en œuvre la mesure de réponses moléculaires et biochimiques (appelées « biomarqueurs* »). Le développement et l’accessibilité accrue aux technologies dites « omiques* » sont des facteurs favorables à l’acquisition des connaissances sur les mécanismes d’action des molécules chimiques sur les individus, en associant les réponses moléculaires aux conséquences physiologiques, et ce sur un grand nombre d’espèces. C’est également une opportunité de développement d’outils de diagnostic d’impact chimique toxique sur les individus dans leur milieu.

Bibliographie

Références bibliographiques

L'évaluation du risque toxique dans les milieux aquatiques. Quels outils pour quelles perspectives, Sciences Eaux et Territoires, n° 1, www.setrevue.fr/levaluation-du-risque-toxique-dans-les-milieux-aquatiques, 2010.

Les perturbateurs endocriniens en 12 projets. Comprendre où en est la recherche, Les cahiers de la Recherche, Décembre 2012.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.