8. Mesure de la qualité des eaux par satellite
p. 216-217
Texte intégral
1La couleur des eaux de rivières, de lacs ou de l’océan que nous pouvons apprécier avec nos yeux est le résultat de l’interaction entre la lumière et les composants présents en solution ou en suspension dans le milieu aquatique. En termes techniques, la couleur des eaux correspond à la variation spectrale des processus d’absorption et de diffusion de la lumière solaire incidente par la colonne d’eau (cf. II.14), dans le spectre « visible » (400-700 nm). Intuitivement, une eau plus ou moins marron, verte ou bleue nous renseigne sur sa « qualité » et/ou sa nature. La mise en œuvre technique de cette méthode ne reste pas limitée à l’utilisation des yeux, et des instruments spécifiques ont été développés (radiomètres*, spectrophotomètres*), afin de mesurer et de quantifier objectivement la couleur des eaux naturelles. En outre, cette méthode présente le grand avantage d’être réalisable depuis l’espace grâce aux satellites, offrant une capacité de suivi sans égal de n’importe quel point du globe.
2Ce sont les éléments « optiquement actifs » qui vont définir quels sont les paramètres de qualité des eaux qui pourront être suivis à partir de l’analyse de la couleur des eaux enregistrée par un capteur de télédétection*. Trois composants présents dans l’eau interfèrent avec la lumière : les matières en suspension* (MES), d’origine minérale ou organique ; le matériel organique coloré dissous, qui représente une partie de la matière organique en solution ; et enfin, les pigments photosynthétiques présents dans le phytoplancton*, comme la chlorophylle. Les molécules d’eau interfèrent également avec la lumière, en absorbant totalement la lumière dans le domaine de l’infrarouge.
3L’absorption et la diffusion de la lumière par les particules en suspension dépend à la fois de la quantité de matière présente, de sa distribution en taille et de sa composition minérale ou organique. En théorie, on pourrait craindre que la couleur des eaux soit très aléatoire au sein d’une même rivière ou d’un bassin versant*. Heureusement, des travaux récents montrent que les gammes de variations minéralogiques et granulométriques des MES minérales à la surface d’une rivière ou d’un lac, durant le cycle hydrologique, sont suffisamment réduites pour supporter une utilisation précise de la télédétection multispectrale, afin d’estimer la concentration de particules dans les eaux. Ceci ouvre la voie à l’observation systématique de la couleur des eaux par satellite, comme moyen de suivi de l’évolution des ressources en eaux continentales.
La mesure des flux sédimentaires
4L’analyse du spectre des eaux nous renseigne non seulement sur la quantité de matières présentes en suspension mais aussi sur leur origine minérale ou organique et leurs caractéristiques physiques. En mesurant la couleur de l’eau durant le cycle hydrologique, sur plusieurs années et en plusieurs points des rivières et lacs, il devient possible de mesurer les flux de matière sédimentaire* à la surface des cours d’eaux et d’identifier leurs sources au sein des bassins-versant. Ces données permettent de suivre l’intensité des processus d’érosion* en relation avec les processus naturels (pluie, nature des sols) ou avec les activités humaines (changements d’occupation des sols). En utilisant des capteurs satellites offrant une revisite fréquente, d’un à trois jours, comme les capteurs MODIS* (satellites Terra et Aqua) ou MERIS* (satellite ENVISAT), il est possible de suivre finement l’évolution des flux sédimentaires. Ces analyses ont ainsi permis de mettre en évidence, dans le bassin du fleuve Amazone, une augmentation des flux sédimentaires sous l’influence de changements de régime des pluies, favorisant l’augmentation de l’érosion* des sols dans la Cordillère des Andes. La densité des réseaux hydrologiques étant souvent largement inférieures aux recommandations de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), les données spatiales permettent de compléter les observations de terrain ou même de pallier leur absence dans le cas de bassins non jaugés. Jhan Carlo Espinoza Villar et son équipe ont ainsi démontré en 2013 qu’il est possible de suivre avec précision la quantité de matière transportée par un fleuve dans le cas de régions mal instrumentées.
Le suivi de l’eutrophisation
5Les pigments photosynthétiques, présents dans le phytoplancton et qui participent à la photosynthèse, absorbent plus ou moins la lumière selon les longueurs d’onde de la lumière solaire. Le pigment principal, la chlorophylle-a, absorbe plus particulièrement les lumières bleue et rouge et moins la lumière verte, ce qui explique pourquoi les algues nous apparaissent souvent de cette couleur. L’intensité et la position spectrale de ces maximums ou minimums d’absorption nous renseignent sur la quantité d’organismes présents, mais aussi sur les espèces. Plusieurs capteurs satellites permettent déjà d’identifier ces caractéristiques spectrales, notamment ceux de la série Landsat. Ces capteurs sont notamment utilisés pour suivre les processus d’eutrophisation dans des lacs, qui se traduisent par une croissance incontrôlée du phytoplancton, comme les cyanobactéries* suite à un apport en nutriments excessif, et peuvent gravement polluer l’écosystème. Ces apports sont souvent le résultat des activités agricoles, ou dus au défaut de traitement des eaux urbaines. Leurs conséquences peuvent être amplifiées par la variabilité climatique et notamment les extrêmes hydrologiques.
6Les perspectives de développements de cette technique sont grandes, grâce au nombre croissant de nouveaux capteurs installés à bord de satellites lancés dans les prochaines années, tels que Sentinel-2 et Sentinel-3, de l’Agence spatiale européenne, qui offriront des images tous les 3 à 5 jours de toutes les surfaces continentales et permettront d’observer les rivières et les lacs avec précision. La génération suivante sera constituée de capteurs imageurs à haute résolution spatiale embarqués dans des satellites géostationnaires* qui permettront d’observer de manière quasi continue les ressources en eaux, avec une résolution horaire ou même inférieure. Des capteurs hyperspectraux spatiaux verront également bientôt le jour, permettant une mesure spectrale très fine, ce qui améliorera les capacités de caractérisation des matières transportées par les eaux (granulométrie* des particules, type de microalgues). Le défi résidera dans l’intégration de ces données dans une stratégie globale d’observation des impacts des changements globaux, aux côtés des réseaux de mesures conventionnels et des outils de modélisation.
Bibliographie
Références bibliographiques
• E. VILLAR et al. – The Integration of Field Measurements and Satellite Observations to Determine River Solid Loads in Poorly Monitored Basins, Journal of Hydrology 444: 221-228, 2012.
• J.-M. MARTINEZ et al. – Increase in Suspended Sediment Discharge of the Amazon River Assessed by Monitoring Network And Satellite Data, Catena 79 : 257-264, 2009.
Auteur
Hydrologue, Chargé de recherche de l’IRD, GET, Toulouse, p. 216.
jean-michel.martinez@ird.fr
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2012