6. Les micropolluants et les nanoparticules
p. 212-213
Texte intégral
1Les « contaminants chimiques » sont des composés d’origine synthétique ou naturelle introduits dans l’environnement par l’activité humaine. Ils sont en nombre quasi illimité, car l'utilisation de molécules, à la fois dans l'industrie, dans l'agriculture ou par les individus, a abouti à la contamination généralisée de l'environnement et, notamment, des milieux aquatiques. Ces molécules, appelées « micropolluants » (en raison de leurs concentrations de l’ordre du microgramme par litre), se retrouvent dans le milieu aquatique à des concentrations certes faibles, mais potentiellement effectrices d’un impact pour les organismes et les écosystèmes aquatiques.
2Le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen ont adopté la Directive Cadre sur l'Eau (DCE*) en octobre 2000, visant à protéger et/ou à restaurer la qualité des écosystèmes aquatiques. L'application de la DCE a conduit à un renforcement de la réglementation sur les micropolluants, avec des listes de substances prioritaires régulièrement révisées. Néanmoins, à côté des contaminants classés prioritaires depuis des années (les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques*, les Poly-ChloroBiphényles, les pesticides, les métaux lourds…), de nombreuses substances beaucoup moins étudiées, appelées polluants « émergents », ont fait leur apparition. Il s’agit de composés dont la présence et l’impact sont peu ou pas documentés. En cela, ils s’opposent aux polluants dits « classiques », comme les pesticides, ou les substances prioritaires, pour lesquels la présence dans l’environnement est bien connue et l’impact avéré. Ces polluants émergents sont très variés : médicaments à usage humain ou vétérinaire, produits de soin corporels, détergents, retardateurs de flamme utilisés pour réduire le risque de combustion d’un matériau (figure)…
Les micropolluants
3La question des contaminants émergents est étroitement liée à la performance des méthodologies analytiques disponibles concernant leur surveillance dans les différents compartiments de l’environnement, notamment dans un milieu aussi dilué que le milieu aquatique. Ainsi, avec le développement des différentes techniques de spectrométrie de masse* et de chromatographie* couplées à des méthodologies de préparation de l’échantillon donnant accès à des protocoles de plus en plus performants et sensibles, de nombreuses classes de micropolluants, dont les médicaments et les produits de soin corporel, ont pu être détectées à l'état de traces dans le milieu aquatique. Cependant, il reste nécessaire d'améliorer les procédures analytiques, notamment en termes de sensibilité et de gamme de composés détectés permettant de balayer une grande variété de classes chimiques de façon à mieux appréhender la notion d’exposition des organismes à ces mélanges complexes.
Augmentation du nombre de substances chimiques, identifiées et analysées (suivies), dans les écosystèmes aquatiques. D’après Roose et al., 2011
4Actuellement, les médicaments font partie des composés les plus étudiés. De nombreuses données quant à leur présence dans les eaux de surface ont été publiées ces 15 dernières années. Une particularité de ce groupe de contaminants est que même s’ils ne sont pas persistants (c’est-à-dire non-résistants aux dégradations), ils peuvent être considérés comme des composés « pseudo-persistants » dans le milieu aquatique, du fait de leur introduction continue. De nombreuses études ont en effet montré que les composés pharmaceutiques sont introduits par les rejets des stations d'épuration (STEP, cf. IV.10), qui ne les éliminent pas complètement. Certains d’entre eux peuvent être présents à des niveaux allant jusqu'au microgramme par litre, dans les rivières, les ruisseaux, les lacs et même dans les eaux souterraines, certaines de ces ressources étant captées pour produire de l’eau destinée à la consommation humaine.
Les nanoparticules
5Depuis une dizaine d’années, les nanoparticules manufacturées* (NPM) suscitent l’intérêt grandissant de la communauté scientifique. Cependant, leur emploi dans la vie courante (produits ménagers, cosmétiques, peintures...) soulève beaucoup d’interrogations. Il existe, en effet, un contraste saisissant entre cet intérêt considérable et les données fragmentaires collectées sur leur comportement dans l’environnement et leur impact. Étant donné les fortes productions et utilisations des NPM ces dernières années, il est facile d’envisager un relargage massif de ces espèces nanométriques dans les différents écosystèmes, notamment aquatiques. Dans ce contexte, identifier et prédire leur devenir dans l’environnement représentent des enjeux économiques, environnementaux et sociétaux prioritaires. Les faibles données dont nous disposons nous permettent déjà d’identifier le caractère toxique des NPM et sa grande dépendance de l’échelle nanométrique. Contrairement à des contaminants chimiques « classiques », les nanoparticules présentent de nombreuses propriétés propres aux colloïdes*, ce qui complexifie la détermination de leur présence, ainsi que leur caractérisation dans les systèmes naturels, car la caractérisation de leur impact demande à expliciter au-delà de leur simple concentration, taille, forme et surface ce qui, à l’état de traces dans un milieu complexe, est encore un challenge..
6Une famille spécifique de nanoparticules carbonées, les fullerènes, retient d’autant plus l’intérêt que des récentes études ont montré leur présence dans des eaux de rivières, côtières et en sortie de STEP, allant jusqu’à plusieurs milliers de microgrammes par litre. Bien que totalement hydrophobes et ne se solubilisant que dans le toluène, ces espèces sont capables de s’agréger en milieu aqueux, ce qui leur permet de se stabiliser. Alors que le comportement du fullerène élémentaire peut s’expliquer par des paramètres propres aux contaminants organiques, celui des agrégats requiert la prise en compte d’autres paramètres physiques, comme la taille, la forme, la spéciation* de surface… Parmi ces paramètres, certains vont induire des interactions avec les contaminants déjà présents dans l’environnement et ainsi complexifier leur présence et donc leur cycle biogéochimique. L’association des NPM avec les colloïdes naturels est également un des éléments clés additionnels de la compréhension de leur devenir dans l’environnement. Des études ont montré que la matière organique naturelle peut aisément stabiliser les nanotubes de carbones en milieu aqueux et également contrôler les interactions entre les NPM et les contaminants organiques et minéraux. À l'état dispersé et donc stabilisé, le transport des NPM en milieu aqueux et dans les milieux poreux se voit considérablement augmenté, ainsi que leur biodisponibilité* pour les bactéries et autres organismes vivants.
7Que ce soit pour les micropolluants ou les nanoparticules, un des enjeux des années à venir sera de développer une meilleure connaissance de leurs produits de transformation. En effet, au-delà des contaminants classiques et émergents, il est important également de considérer les composés résultant de processus de transformation affectant les molécules et les nanoparticules parentes. De nombreux composés issus des transformations des molécules mères se retrouvent dans le milieu naturel et doivent également être pris en compte car parfois plus toxiques que les composés initiaux. Les difficultés relèvent soit des faibles concentrations, soit des interactions que ces contaminants ont avec les composés des milieux nécessitant la combinaison d’approches complémentaires spécifiques (connaissance des milieux, des contaminants, des outils analytiques…) et donc résolument une forte interdisciplinarité.
Bibliographie
Références bibliographiques
• M.-H. DÉVIER, P. MAZELLIER, S. AÏT-AÏSSA et H. BUDZINSKI – New Challenges in Environmental Analytical Chemistry : Identification of Toxic Compounds In Complex Mixtures, Comptes Rendus Acad. Sci. Chimie, 14, 766, 2011.
• J. GIGAULT, B. GRASSL et G. LESPES – Chemosphere, 86, 177, 2012.
Auteurs
Chimiste de l’environnement, Directeur de recherche au CNRS, EPOC, Université de Bordeaux, Bordeaux, p. 204, p. 212.
h.budzinski@epoc.u-bordeaux1.fr
Chimiste analyticien, Chargé de recherche au CNRS, EPOC, Université de Bordeaux, p. 212.
julien.gigault@u-bordeaux.fr
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2012