3. Composition chimique des eaux et variabilité naturelle
p. 206-207
Texte intégral
Cycle de l’eau et composition chimique des eaux
1La composition chimique d’une eau, avant toute perturbation anthropique, est contrôlée par son milieu environnemental (atmosphère, biosphère, sols et roches). En suivant le cycle de l’eau, depuis l’atmosphère vers les eaux continentales puis les océans, la concentration des eaux en éléments majeurs et traces et leur composition chimique changent grandement. Les précipitations atmosphériques sont faiblement concentrées en éléments majeurs (du µg/L au mg/L) et majoritairement composées d'ions sodium (Na+), chlorure (Cl–) et sulfate (SO42-), alors que les rivières et les nappes sont plus concentrées (10 à 102 mg/L) et composées surtout d'ions calcium (Ca2 +), magnésium (Mg2 +) et bicarbonate (HCO3-) (figure 1) (cf. I.4).
2Les eaux d’origine fluviale, une fois déversées dans les océans, voient leur concentration augmenter par évaporation. La teneur en sels dissous des océans atteint 35 g/L et leur composition est chlorurée-sodique (87 % de NaCl), car les minéraux les moins solubles, comme les carbonates précipitent. Il reste alors en solution dans l’eau de mer les minéraux les plus solubles, comme le sel NaCl.
Facteurs et processus de contrôle
3La composition naturelle des précipitations est contrôlée par des gradients côte-intérieur, dus à la diminution des teneurs en chlorure d’origine océanique et à l’augmentation relative d’ions de sources continentales (comme le calcium) et par des gradients altitudinaux, correspondant à l’augmentation des précipitations (effet de dilution) et à la diminution des poussières d’origine continentale. Les concentrations des différents ions, à l’exception du calcium, diminuent des côtes vers l’intérieur des terres, mais leur rapport avec la concentration en chlorure issu des océans augmente. Ces eaux de pluies alimentent les rivières et leur teneur en éléments est concentrée par évapotranspiration*. En l’absence de roches évaporitiques* contenant du sel, le chlorure des rivières provient des pluies. Les eaux de pluies peuvent aussi se charger en éléments, en passant à travers la canopée des arbres, lessivant ainsi les dépôts secs d’éléments fixés sur les végétaux et gagnant ou perdant des éléments par échange avec le feuillage. Ces « pluviolessivats* » ont des teneurs 3 à 10 supérieures aux pluies, notamment pour le potassium, le sulfate et le chlorure.
4Les eaux de pluies et pluviolessivats percolent ensuite dans les sols et se chargent en acide carbonique (H2CO3), acide faible naturel issu de la minéralisation/oxydation* des matières organiques. Ces solutions de sols, acides et riches en CO2, participent à l’hydrolyse et à la dissolution des minéraux des roches, libérant dans les rivières et les nappes des cations, de la silice (SiO2) et du carbone inorganique dissous (CID*). Ces processus d’altération contrôlent la composition chimique des eaux continentales et la consommation de CO2 atmosphérique (figure 2) (cf. III.30).
Fig. 1 – Moyennes mondiales (mg/L) des concentrations des eaux de pluies et de rivières et des eaux marines en éléments majeurs (SiO2 : silice dissoute, Ca : calcium, Mg : magnésium, Na : sodium, K : potassium, Cl : chlorures, SO4 : sulfates) et en carbone (CID : carbone inorganique dissous, COD : carbone organique dissous)
5Ainsi, dans les eaux drainant des roches silicatées, les bicarbonates HCO3 libérés proviennent totalement du CO2 atmosphérique, alors qu’ils ne représentent que la moitié seulement pour les eaux drainant les roches carbonatées, l’autre moitié venant des carbonates des minéraux. Le pourcentage de HCO3 issu du CO2 atmosphérique varie donc de 50 à 100 % en fonction de la nature des roches : 67 % pour l’ensemble des continents ainsi que le bassin de l’Amazone, 57 % sur la Garonne (carbonates plus abondants) et 77 % sur le Congo (silicates plus abondants). L’altération des roches libère des éléments en solution dans les rivières et forme des minéraux secondaires dans les sols, notamment des argiles*, des oxydes de fer et d’aluminium. Le type et le taux d’altération dépendent de l’intensité des pluies, du drainage* et de la température. Plus le climat est chaud et humide, plus le degré d’altération est avancé et plus son intensité est élevée, passant dans les sols de la formation d'argiles à la formation d'oxydes de fer et d'aluminium. Sur roches granitiques par exemple, il est possible de caractériser ces différents types d’altération à partir de la composition des eaux qui s’écoulent, en calculant le rapport moléculaire (RE) entre cations et silice. Ce rapport est équivalent au rapport moléculaire entre silice et alumine des minéraux secondaires formés dans les sols. Enfin, les composés organiques sont essentiellement fournis, dans des conditions naturelles, par la minéralisation des matières organiques, qui libèrent principalement dans les eaux du carbone organique dissous (COD*), du carbone organique particulaire (COP*), de l’azote organique et du nitrate, et par la production de plancton. Le flux de COD est directement proportionnel à l’intensité du drainage et au stock de carbone organique dans les sols. Les teneurs en azote et en phosphore des eaux naturelles restent faibles (du µg/L au mg/L). Les feux de forêts peuvent aussi libérer des composés organiques, dont la composition moléculaire est assez différente de celle des sols ou des tourbières*. La composition du COD varie suivant la source et la nature des processus qui ont conduit à sa libération dans les eaux. La nature de la végétation (forêt de feuillus ou de résineux, toundra, steppes, savanes, prairies…), l’âge de la matière organique des sols et son degré d’évolution jouent un rôle important sur la composition du COD et COP dans les eaux.
Modifications naturelles de la composition des eaux
6Après acquisition de la signature géochimique, la composition des eaux de rivières peut être modifiée lors de leurs transferts de l’amont vers l’aval par différents processus chimiques, physiques et biologiques naturels, comme le dégazage de CO2 à l’interface eau/atmosphère (cf. III.19), et aussi la production phytoplanctonique, la formation de diatomées*, les échanges avec la végétation riveraine et les macrophytes aquatiques, ou encore les échanges avec les nappes souterraines, les apports d’affluents à signatures géochimique et biologique différentes, ainsi que les interactions entre éléments dissous-matières en suspension* et/ou sédiments de fond, la précipitation* ou la dissolution de minéraux, les interactions avec les biofilms de rivières ; ou la dégradation des litières* en milieux aquatiques. La composition chimique de l’eau est fortement modifiée à l’échelle temporelle lors des événements de crues, en raison de contributions variables des eaux venant de différents réservoirs et des écoulements : pluies, ruissellements de surface et subsurface (sols), nappes. Les processus d’érosion chimique et physique sont alors très actifs.
Fig. 2 – Acquisition de la composition chimique des eaux par l’altération des roches carbonatées (1) et des roches silicatées (2), sous l’action de l’acide carbonique (H2 CO3) produit par la minéralisation de la matière organique dans les sols (en orange). Cette altération libère du carbone inorganique dissous (CID) dans les rivières. P : photosynthèse, R : respiration, D : dégazage de CO2, PP : production de phytoplancton
7Enfin, de nos jours, les impacts anthropiques de nature diverse (contaminations diffuses par retombées atmosphériques, intrants agricoles, contaminations ponctuelles urbaines et industrielles…) perturbent ces équilibres et ces processus naturels, entraînant une modification importante de ces compositions chimiques naturelles de l’eau de pluie, des rivières, des nappes et des océans.
Bibliographie
Références bibliographiques
• M. MEYBECK – Les fleuves et le cycle géochimique des éléments, Thèse doctorat d’état, Université Paris 6, 1984.
• J.-L. PROBST – Géochimie et hydrologie de l’érosion continentale, Sciences Géologiques, Mém. 94, Éditions de l'Institut de Géologie, Strasbourg, 1992.
Auteurs
Hydrologue et biogéochimiste, Directeur de recherche au CNRS, ÉCOLAB, Toulouse, p. 206, p. 208.
jean-luc.probst@ensat.fr
Biogéochimiste, Directrice de recherche au CNRS, ÉCOLAB, Toulouse, p. 206.
anne.probst@ensat.fr
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