2. Vers quelles normes de qualité ?
p. 204-205
Texte intégral
1L’eau est à la fois un solvant* et un substrat (cf. II.8). Elle transporte de nombreuses substances chimiques et constitue un milieu de vie pour des organismes. La composition de l’eau est extrêmement variable d’un endroit à l’autre. Selon les lieux, les cultures, les époques et en fonction des usages de cette eau, les substances qu’elle contient seront jugées désirables ou non (cf. V.22). Les normes fixant les critères officiels de bonne qualité de l’eau dépendent du contexte historique et politique, de l’état des connaissances et des technologies, du type d’eau considéré et des pratiques qui lui sont associées.
2Les chimistes se sont intéressés à la qualité de l’eau avant que la pollution ne devienne une préoccupation publique. Au XVIIIe siècle, la composition en sels des eaux utilisées pour la boisson (fontaines, sources, thermes) était déterminée à partir des résidus solides après l’évaporation. Longtemps, le critère de qualité de l’eau s’est résumé à sa dureté*. Avec l’augmentation des adductions publiques urbaines et le développement des égouts, les responsables des services d’hygiène dans les grandes villes, comme Paris et Londres, se sont inquiétés de la dégradation de la qualité des rivières et des risques de choléra. Le lien entre la teneur en matière organique de l’eau et sa réaction aux oxydants puissants (appelé aujourd’hui « la demande chimique en oxygène ») fut établi après 1850, ce qui permit une meilleure correspondance entre la qualité mesurée par les experts et la perception des populations. Les pouvoirs publics ont d’abord géré les problèmes de pollution en sécurisant certaines ressources pour l’eau potable (par des ouvrages et des normes de potabilité) et en sacrifiant certaines rivières pour qu’elles servent d’exutoires aux effluents industriels et urbains. Néanmoins, dans les années 1960-1970, partout en Europe, l’intensification des usages de l’eau généra une augmentation des conflits autour du partage de cette ressource et les pouvoirs publics remirent en cause cette politique des « rivières sacrifiées ». Ils envisagèrent alors des méthodes de dépollution des eaux. En France, les pêcheurs en rivières menèrent plusieurs actions contentieuses et de lobbying pour demander que la pollution soit condamnable, dès qu’elle causait une mortalité piscicole. La première loi sur l’eau de 1964 fut adoptée en réponse à cette définition jugée trop étroite de la pollution. Elle institua les agences financières de bassin et imposa le premier inventaire national de la pollution des rivières, réalisé en 1971.
Normes et réglementations
3Deux types de mobilisations sociales jouent le rôle d’aiguillon auprès des pouvoirs publics pour réglementer la qualité de l’eau. Les lanceurs d’alerte sont des observateurs, qui, du fait de leur profession, de leurs activités de loisir ou de leur lieu de vie, sont bien placés pour percevoir, à travers un faisceau d’indices, qu’une pratique liée à l’eau est dangereuse ou génère des injustices, et qui cherchent à attirer l’attention des décideurs pour que le problème soit pris en charge. Lorsqu’une réglementation plus sévère est adoptée et qu’elle contraint certaines activités économiques, les premiers à se mettre aux normes ont un avantage compétitif et ont intérêt à ce que la réglementation soit appliquée pour éviter les distorsions de concurrence. Il y a donc aussi une demande de normes qui provient de l’industrie. Le caractère néfaste de certaines caractéristiques de l’eau sur un usage ou l’environnement peut prêter à controverse. Les normes sont des compromis à un instant donné, fondés sur l’état des connaissances sur les risques, le caractère réaliste du contrôle, les techniques alternatives et les intérêts économiques.
4L’adoption de normes de qualité pour l’eau au niveau national ou international est un phénomène récent, caractéristique d’une conception moderne du rôle de l’État, selon laquelle un gouvernement doit se préoccuper du bien-être de la population en instaurant des procédures, fondées sur des savoirs experts. Le paradigme selon lequel « la dose fait le poison » a justifié une méthode classique de régulation des rejets par des seuils, depuis le décret napoléonien de 1810 sur les établissements dangereux, insalubres ou incommodes, jusque dans les réglementations de l’Union européenne dans les années 2000. Les normes ont d’abord porté sur les meilleures techniques disponibles (obligation de moyens), puis sur les rejets eux-mêmes (émission), sur leur dilution dans le milieu (immission*) et, plus récemment, sur leurs effets toxiques et écologiques sur le milieu. Longtemps, les normes furent homogènes sur tout le territoire national. La création de zonages tenant compte de milieux plus vulnérables date des années 1990.
Limitations
5Parmi les différentes réglementations fixant des normes pour la contamination chimique, le règlement européen REACH* (enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des produits chimiques) met en œuvre, depuis 2007, un système intégré d'enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des produits chimiques. Dans le domaine de l'eau, la Directive Cadre sur l'Eau (DCE*) adoptée en 2000 par l'Union européenne, a établi un cadre pour l'action communautaire en matière de qualité de l'eau et son objectif est de parvenir à un bon état des différentes masses, tant d’un point de vue chimique que biologique. Les réglementations et les normes associées sont un progrès dans la gestion de la qualité de l’environnement, mais elles souffrent néanmoins de quelques limites. L'application de la DCE a certes conduit à un renforcement de la réglementation sur les micropolluants (cf. V.6), avec des listes de substances prioritaires régulièrement révisées (dont la production et l’utilisation doivent être proscrites) ; cependant, ces listes sont limitées à un nombre faible de composés, ce qui ne reflète pas la réalité de l’exposition chimique. Malgré des avancées notables, en particulier en termes d’homogénéisation des listes, au niveau européen et également de par l’introduction des normes de qualités environnementales, qui ont l’avantage de proposer un seuil de non-toxicité européen et consensuel, il est maintenant bien démontré par des études scientifiques, et bien admis par les organismes de réglementation, que la surveillance de la contamination chimique de l'eau, basée sur une liste définie de substances prioritaires spécifiques, est insuffisante pour dépeindre correctement la contamination chimique qui affecte la qualité de l’eau. Certains toxiques agissent à très faibles doses et de manière différente en fonction de la présence d’autres substances. Ainsi, depuis plusieurs années, des méthodes alternatives basées sur des outils biologiques ont été développées. Ces outils permettent de détecter les composés toxiques présents et peuvent, dans certains cas, renseigner sur le mode d’action et la nature des effets toxiques des composés impliqués. Néanmoins, un cap de plus doit être franchi en associant diagnostic chimique et biologique couplé. De nouvelles stratégies de surveillance, intégrant un large éventail de contaminants chimiques, pertinents d’un point de vue écotoxicologique, doivent être définies et appliquées pour une meilleure surveillance. Le développement de ces stratégies passe par l’utilisation de méthodes non conventionnelles en amont des normes, basées sur des approches combinant les analyses dirigées par les effets biologiques d’un toxique sur le milieu et des analyses de criblage, tant chimiques que biologiques, les plus larges possible.
Une eau est de bonne qualité lorsqu’elle permet de préserver le milieu et les usages. Ici, la pratique du surf sur le mascaret à Saint Pardon sur la Dordogne exige une qualité compatible avec la baignade. © G. Bouleau
Bibliographie
Références bibliographiques
• B. BARRAQUÉ – Prospective de la qualité de l'eau, Ingénieries-EAT vol. spécial prospective, 41-50, 1997.
• G. BOULEAU – Pollution des rivières : mesurer pour démoraliser les contestations. Des plaintes des pêcheurs aux chiffres des experts. In Une autre histoire des "Trente Glorieuses". Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre, La Découverte, 2013.
• L. CARBONARO-LESTEL et M. MEYBECK – La mesure de la qualité chimique de l’eau, 1850-1970, La Houille Blanche, 9, 25-30, 2009.
Auteurs
Socio-politiste, Ingénieure-chercheuse à l’Irstea, ETBX, Bordeaux, p. 204.
gabrielle.bouleau@irstea.fr
Chimiste de l’environnement, Directeur de recherche au CNRS, EPOC, Université de Bordeaux, Bordeaux, p. 204, p. 212.
h.budzinski@epoc.u-bordeaux1.fr
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2012