20. Changements climatiques et conflits d'usage de l'eau
p. 198-199
Texte intégral
1Lorsque le climat change, cela influence la ressource en eau disponible pour les usages domestiques, agricoles, industriels et énergétiques, ainsi que ceux liés aux loisirs, au tourisme et à la protection environnementale, par le biais, non seulement, des précipitations ou de l'évaporation, mais aussi des milieux récepteurs dans leurs dimensions superficielles et souterraines. Ces modifications posent aux usagers de l'eau des questions pouvant devenir conflictuelles sous deux aspects : elles changent la ressource disponible et modifient les besoins et, par conséquent, les demandes. Les situations conflictuelles entre usages sont souvent liées à la superposition de plusieurs changements : climatique, mais aussi démographique, économique, politique, énergétique, technologique, d'aménagement ou d'occupation des territoires. Il est souvent difficile et même impossible d'isoler l'un ou l'autre signal, dans la mesure où ils sont généralement interdépendants (cf. I.5).
2Les trois exemples proposés ci-après mettent en avant la neige et les glaciers, car ils sont directement et indiscutablement influencés par la variabilité climatique, qu'il s'agisse de précipitation ou de température.
Le développement local face à la fonte des glaciers
3Au Pérou, le littoral de l'Océan Pacifique et le versant ouest de la Cordillère des Andes font partie des régions les plus arides de la Planète, avec des totaux annuels de précipitations qui ne dépassent pas quelques dizaines de millimètres par an. C'est pourtant là que se concentre la très grande majorité des activités humaines du pays avec les plus grandes villes, dont la capitale, Lima. L'essentiel de la ressource en eau provient des précipitations d'altitude, dont les plus importants réservoirs sont constitués par des glaciers (cf. III.6), que toutes les études montrent en rapide récession. Non seulement ils fournissent l'eau nécessaire aux populations, à leur agriculture traditionnelle ou à leurs besoins énergétique et industriel, mais ils alimentent aussi des infrastructures d'élevage et de grandes cultures irriguées dans la frange littorale, qui, tout en fixant les populations, soutiennent une partie des exportations du pays. Dans un contexte où la ressource en eau issue de la neige et des glaciers est en déclin, c'est tout cet équilibre entre usages qui est de plus en plus difficile à maintenir entre des intérêts économiques et sociaux qui divergent et deviennent des sources de conflit nécessitant des choix techniques ou réglementaires en situation de pénurie.
Plaines agricoles menacées
4Autre exemple, dans l'une des régions historiquement les plus peuplées de la Planète, la plaine du Pendjab est pour le Pakistan un indispensable grenier à céréales. Tributaire depuis toujours du grand fleuve Indus descendu du plateau tibétain, elle est sillonnée par un réseau dense de canaux issus du fleuve et de ses affluents de l'ouest de l'Himalaya. Ce réseau, l'Indus Basin Irrigation System, est piloté par un ensemble d'ouvrages, principalement construit dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le plus important se situe à Tarbela, au nord d'Islamabad. Géré par la Water and Power Development Authority, il régule non seulement les entrées d'eau dans le système d'irrigation, mais fournit aussi en énergie les populations de la capitale. Il doit en outre compléter le dispositif d'approvisionnement en eau potable. Schématiquement, la moitié de l'eau provient de la fonte de la neige et des glaciers (cryosphère*) ; le reste est apporté pour l'essentiel par la mousson. Le problème climatique pour une gestion concertée d'un tel ouvrage est central. D'une part, les apports au réservoir voient leur régime changer par le biais de l'évolution volumique et temporelle des pluies de mousson et de la fonte de la cryosphère. D'autre part, les besoins en eau de l'immense plaine agricole doivent s'adapter aux nouvelles conditions climatiques. Si la priorité est généralement donnée à la fourniture d'eau domestique, l'arbitrage entre les usages énergétiques et agricoles nécessite de prendre des décisions qui sont sources de frustration pour les usagers finaux, d'autant que la capacité du réservoir est menacée par l'accumulation de sédiments liée à une érosion* que le changement climatique aggrave.
Le lac Parón, au Pérou dans la Cordillère Blanche. © IRD, P. Chevallier
Recours à la neige artificielle
5Si les deux exemples précédents concernent des besoins fondamentaux, le loisir et le tourisme peuvent aussi devenir une source de conflit, lorsqu'ils influencent directement la ressource disponible. Les stations de sports d'hiver font de plus en plus appel à l'enneigement artificiel pour pallier les précipitations neigeuses déficitaires ou mal distribuées. Le principe est simple : des gouttelettes d'eau sont pulvérisées dans l'atmosphère froide et celles-ci retombent sous forme de cristaux de neige (cf. II.16). Cette pratique est devenue une nécessité pour les stations de moyenne montagne, où la couverture neigeuse hivernale n'est d'ores et déjà plus assurée. Pour cela, il faut construire des réservoirs en altitude qui stockent de l'eau prélevée sur les précipitations. Cette eau n'est alors plus disponible pour les autres usages : domestiques, agricoles, industriels ou énergétiques, usages pourtant essentiels à l'équilibre écologique et économique des milieux montagnards. À cela il faut ajouter qu'un réchauffement de l'atmosphère risque de rendre caduques des équipements dont la condition nécessaire de fonctionnement est l'existence prolongée de températures suffisamment basses.
Du changement climatique aux changements globaux
6Ces trois exemples montrent que le changement climatique fait partie des changements planétaires susceptibles de créer des situations de conflit entre usages de l'eau. Par ailleurs, il peut apparaître facile d'attribuer au changement climatique des nuisances générées par d'autres causes, en particuliers lorsqu'elles relèvent d'une mauvaise gestion ou de défauts d'aménagements. En effet, évoquer un changement climatique pour lesquels, selon l'angle juridique, tout le monde/personne est responsable, permet parfois de minimiser des conflits entre usagers et aménageurs, plutôt que de se poser des questions souvent plus complexes (cf. VI.2).
7Il ne faut cependant pas s'y tromper. Ces changements qui impactent ou sont impactés par les usages de l'eau, ainsi que les conflits qu'ils génèrent, sont tributaires du cycle hydrologique. Le climat est le moteur du cycle de l'eau et, s’il se grippe, tous les usages qu'il entraîne sont atteints et le risque de conflits entre eux augmenté.
Bibliographie
Références bibliographiques
• A. CHABREUIL et M. PETIT (dir.) – Climat, une planète et des hommes, E. ORSENNA (prés.), Le Cherche-Midi, 2011.
• P. DESENNE – Cordillère Blanche, les rivières de glace, Un film coproduit par Europimages, France 5 et IRD, 2003.
• A. ALBINA – Les empires de l'Indus, l'histoire d'un fleuve, Actes Sud, 2011.
• Y. LACOSTE (éd.) – Géopolitique de l'eau, Hérodote, n° 102, La Découverte, 3e trimestre 2001.
Auteur
Hydrologue, Directeur de recherche à l'IRD, HydroSciences, Montpellier, p. 198.
pierre.chevallier@ird.fr
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2012