17. Les usages récréatifs de l’eau
p. 192-193
Texte intégral
1L’étendue maritime que le poète Virgile (Ier siècle av. J.-C.) qualifiait de « vacuité », celle des eaux de transition et des marais considérés comme des lieux diabolisés, s’est dotée de nouvelles fonctions sociales à partir du XVIIIe siècle. La découverte de la « Robinsonnade » (ou des loisirs au bord de l’eau) par le roman de Daniel Defoe, puis l’aménagement médical des thermes et des stations balnéaires, en passant par l’invention du rivage consacré aux loisirs, sont à la source de la vaste appropriation des littoraux par l’homme, à finalité récréative. Avant cela, dès le XVe siècle, l’exploration des étendues maritimes et des sources fluviales à travers le monde par les explorateurs ont fait des ports les bases de départ d’un vaste terrain de jeu aquatique. Des sources du Nil, aux tours du monde à la voile en passant par les croisières transatlantiques ou la découverte des fonds marins, l’éventail est vaste. Il dépasse aujourd’hui les enjeux économiques ou de découvertes scientifiques pour s’inscrire dans un « vivre pour vivre », caractéristique de la société des loisirs. Au XIXe siècle, avec l’urbanisation, la ville fluviale, les chemins de halage et les lacs et rivières complètent l’espace de jeu qui s’inscrit jusque dans la conception de l’habitat humain. Le développement des piscines, bases de plein air, centres nautiques, descentes de rivières ou lieux de bien-être (hammam, bains douches, hydrothérapie) témoigne d’un « bien-être dans l’eau » qui contamine l’ensemble de la société au fil du temps et des pratiques culturelles (figure 1) (cf. VII.5).
De la cure au plaisir de l’eau
2Au XIXe siècle, les pratiques hygiénistes et romantiques investissent le littoral. Des établissements de bains de mer se développent à Dieppe dès 1822, puis au Havre, à Deauville et sur l’ensemble des littoraux. Les villes d’eau attirent d’abord les élites européennes. Qu’elles soient eaux minérales ou eaux de mer, les mêmes vertus thérapeutiques leurs sont attribuées (cf. V.3). Par ailleurs, les activités sportives prennent, au milieu du XIXe siècle, une place importante dans la sociabilité des clientèles des stations. Les Sociétés des Régates ou les Yacht Club répandent le goût « des choses de la mer » autour d’activités telles que la voile, le canotage ou la natation. Les périssoires (canots de plaisance), les cabines de plage, les promenades et les costumes de bains témoignent de la montée en puissance d’un homo aquens*. Les guides baigneurs s’effacent au profit des maîtres nageurs ; et aux bains thérapeutiques succède la natation. Au XXe siècle, les terrains de jeux se multiplient et se diversifient pour répondre aux demandes des populations urbanisées. En France, la circulaire Mazeaud institue, en 1975, la création des bases de plein air à la fois espace de pratiques sportives et poumon vert. Plus de 140 bases sont recensées en France, dont 3 000 ha pour la seule région Ile-de-France, dédiées aux pratiques sportives et de loisirs structurées autour de plans d’eau.
Fig. 1 – Eau et loisirs : les grandes dates
Une diversification des pratiques récréatives
3Les sports de nature, notamment nautiques, rassemblent des millions de pratiquants en France. Les activités de nage (baignade, natation, plongée, water-polo) mobilisent 21 millions de pratiquants. La pêche récréative regroupe 3,7 millions d’adeptes. Mais la gamme de pratiques est encore plus vaste. Cette attractivité se traduit en enjeux économiques. Le tropisme* balnéaire fait des lacs, rivières et littoraux des sites particulièrement convoités. En France, les 5 500 km de côtes, les 74 fleuves, les 416 rivières, les 1 714 canaux et les 153 lacs de plus de 1 000 ha, font l’objet d’une mise en tourisme qui génère 200 000 emplois. Première destination touristique, le littoral français accueille 35 millions de vacanciers par an et représente, en été, 40 % des nuitées touristiques sur 4 % du territoire. Après la « mode » médicale et contemplative des stations thermales, puis des stations balnéaires, apparaissent désormais des stations dites « sportives ». Elles s’appuient sur les activités physiques où la nature devient partenaire de jeu, source d’exploration de soi et de l’environnement. Ces phénomènes communs à la plupart des sites de « bord de l’eau » offrent un éventail de possibilités inscrit dans la variation morphologique du site, le nombre d’accès et de services ou encore la météorologie modulant les pratiques de loisirs.
Des pratiques plus accessibles
4De la plage, ouverte et sauvage, aux pontons, en passant par les ports de plaisance, les piscines (présentes dans près d’un camping sur deux) ou bien encore les sites artificiels de canyoning, une grande variété d’équipements donne accès aux activités ludiques liées à l’eau. En l’absence d’une harmonisation européenne sur la définition et le recensement des équipements aquatiques, hormis pour les eaux de baignade, il est difficile d’établir une comparaison continentale. Mais la France, depuis les années 1960, a développé une politique forte et spécifique d’équipements sportifs qui a peu d’équivalent. Le territoire compte ainsi 249 stades d’eau vive et de kayak, 591 sites de plongée, 2 090 sites de pêche, 673 ports de plaisance, 1 163 points de baignade aménagée, 2 315 sites d’activités nautiques et aquatiques et 6 362 piscines (figure 2). La multiplication des structures artificielles vise à donner accès aux sensations procurées par le jeu avec l’élément, tout en se situant à proximité des zones urbaines les plus denses au niveau démographique (Aquaboulevard dans le 15e arrondissement de Paris, par exemple). L’activité présente, en plus, dans un cadre aseptisé tel que celui des canyoning parcs, une sécurité accrue ; et, moins technique que dans les espaces naturels, la pratique se fait plus accessible à un large public. Enfin, les activités de loisirs reconfigurent les paysages aquatiques autant qu’elles participent à remodeler le rapport des pratiquants à l’environnement. Elles participent à la renaturation de sites industriels désaffectés après avoir été pointées du doigt comme source essentielle d’anthropisation des zones sensibles (lagunes, marais, dunes). Elles constituent autant d’immersions que de constructions de la nature. Pour autant, les pratiquants n’investissent pas que des paysages « de vacances », limités à la station balnéaire. Les pratiques se déploient aussi à proximité directe de zones urbaines, de sites industrialisés ou encore de friches industrielles, comme c’est le cas par exemple au sein de l’estuaire de la Seine qu’elles participent à redéfinir et à réenchanter.
Fig. 2 – Bassins de natation. Source MJS, 2015
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Références bibliographiques
• A. CORBIN – Le territoire du vide : l'Occident et le désir du rivage, 1750-1840, Flammarion, 1988.
• B. EVARD – La côte, un terrain de jeu ? De l’utilitaire au récréatif, PUR, 2014.
• D. FÉMÉNIAS et O. SIROST – Fleuves, estuaires et cours d'eau : représentations et pratique, Vertigo hors série n° 10, 2011.
10.5962/bhl.title.42312 :• J. MICHELET – La mer, Gallimard, 1935.
Auteurs
Socio-géographe du sport, Maître de conférences à l’Université de Rouen, CETAPS, Rouen, p. 192.
barbara.evrard@univ-rouen.fr
Sociologue du sport, Maître de conférences, Normandie Université, CETAPS, Rouen, p. 192.
damien.femenias@univ-rouen.fr
Sociologue du sport, Professeur à l’Université de Rouen, CETAPS, Rouen, p. 192.
olivier.sirost@univ-rouen.fr
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012