16. Eau urbaine : évacuation et assainissement
p. 190-191
Texte intégral
1Ce n’est qu’à partir des années 1850 que les premiers vrais réseaux d’assainissement* ont été construits dans les grandes métropoles, en réponse à d’énièmes épidémies de maladies hydriques, comme le choléra (cf. V.20). Il ne s’agissait alors que d’évacuer les eaux résiduaires urbaines des centres urbains vers le milieu naturel (cours d’eau, lacs, estuaires…). Face au développement démographique et à l’augmentation de la pollution rejetée, à la fois domestique et industrielle, les processus d’auto-épuration naturelle ne pouvaient cependant plus permettre d’assurer le maintien d’une bonne qualité chimique et biologique des milieux aquatiques, dont la qualité s’est fortement dégradée. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître en Grande-Bretagne les premiers systèmes industriels d’épuration utilisant des bactéries fixées sur un support et 1914 pour la conception des systèmes à boues activées. En France, en 2013, 38 % des stations d’épuration urbaines (STEU) utilisaient un système à boues activées (soit 74 % de la pollution traitée en France) et 26 % des installations reposaient sur des systèmes à bactéries fixées (soit 21 % de la pollution traitée en France), dont 14 % sont des filtres plantés de roseaux*, essentiellement utilisés en milieu rural. Les 36 % restants correspondent à d'autres systèmes moins techniques, comme les lagunes.
Fonctionnement des stations d’épuration
2La préoccupation première des concepteurs de station d’épuration était d’éliminer la pollution organique facilement biodégradable, favorable au développement de microorganismes pathogènes*. Ce n’est que beaucoup plus tard (1970-1980) que les pollutions à l’azote et au phosphore ont été prises en compte. Leur rejet dans les milieux aquatiques est nocif et favorise le surdéveloppement de certaines formes de végétation aquatique, ce qui conduit à une mauvaise oxygénation du milieu aquatique. La maîtrise de l’élimination du phosphore par des bactéries reste complexe et une déphosphatation chimique par précipitation*, grâce à l’ajout de sels d’aluminium ou de fer, est souvent préférée comme traitement principal ou de finition. L’élimination de l’azote est réalisée en combinant une oxydation* de l’azote ammoniacal (présent dans les eaux résiduaires domestiques) ou résultant de l’ammonification* de l’azote organique (protéines…) par l’oxygène, grâce à des bactéries nitrifiantes*, puis une réduction bactérienne des nitrates en azote gazeux.
3Si cette dernière étape est réalisée dans des bassins non aérés, l’élimination du carbone organique biodégradable, tout comme la nitrification, nécessitent l’apport d’oxygène. La consommation d’énergie nécessaire à cet apport, au brassage des bassins et au pompage des fluides est un important poste de dépense. Or, tout gestionnaire cherche à minimiser la consommation de son installation, tout en respectant les normes de rejet et de rendement de dépollution auxquels il est assujetti, en fonction du milieu récepteur dans lequel l’effluent* final est rejeté. Cela passe par une optimisation du traitement, au niveau, certes, de la conception de l’installation, mais aussi de sa conduite : une forte variabilité de la pollution entrante, en termes à la fois de composition, de concentration et de débit est observée à l’échelle de la journée, de la semaine et de l’année. Elle est due aux variations de l’activité humaine, tant domestique qu’industrielle, et aux aléas météorologiques. Le développement de stratégies de conduite est délicat à faire sur des installations réelles, dont le fonctionnement ne peut être dégradé. Le recours à des outils informatiques permettant de représenter dans une station d’épuration virtuelle finement le comportement de vrais ouvrages est donc appréciable. Un tel outil a été développé dans le cadre d’une collaboration internationale.
Traitement des effluents
4Pour satisfaire ses besoins en énergie, une station d’épuration peut aussi en produire grâce au méthane issu de la digestion anaérobie* des boues activées en excès. Les bactéries, en consommant la pollution apportée par les eaux résiduaires, voient leur population croître. Le bon fonctionnement de la station d’épuration nécessite de maintenir la population bactérienne constante, et donc d’en soutirer. L’élimination de ces boues* en excès, que ce soit par épandage pour fertiliser des sols ou par incinération, soulève des questions. La digestion anaérobie, outre la production de méthane, substituable au gaz naturel, permet de réduire le volume des solides à éliminer.
5La digestion anaérobie produit, outre le méthane, du dioxyde de carbone (CO2). Ce gaz est aussi abondamment produit lors du traitement biologique aérobie* des eaux résiduaires. C’est un gaz à effet de serre, mais il fait partie d’un cycle court (car issu de la respiration des bactéries) et n’est pas comptabilisé dans les bilans suivant les règles du GIEC. En revanche, le protoxyde d’azote (N2O) est un sous-produit des réactions de nitrification et de dénitrification*. Son potentiel de réchauffement climatique est 300 fois supérieur à celui du CO2, contre 36 fois pour le méthane. Même s’il existe encore aujourd’hui des incertitudes sur les quantités de N2O dégagées, car les mesures sur site sont délicates, de nombreux travaux visent à mieux comprendre sa production dans le métabolisme de l’azote afin de trouver les clés permettant de limiter son émission.
6Matière organique biodégradable, azote et phosphore ne sont pas les seuls éléments transportés par les eaux résiduaires. Elles charrient également un grand nombre de micropolluants, présents à des concentrations de l’ordre du microgramme par litre (voire même du nanogramme ou du picogramme par litre). En milieu urbain, ils proviennent de produits d’usage domestique (détergents et biocides*) et personnel (savons, shampoings, dentifrices…), de médicaments plus ou moins bien métabolisés (cf. V.6)… Si les métaux se retrouvent souvent dans les boues en excès, les molécules organiques ont des devenirs divers en fonction de leur hydrophobicité* et de leur biodégradabilité. Celles qui demeurent dans la phase* aqueuse sont rejetées vers le milieu naturel, où elles peuvent interférer avec le développement de la faune aquatique. Parmi celles-ci, les molécules qui miment le comportement des hormones, tout en causant des anomalies physiologiques et de reproduction (perturbation endocrinienne), suscitent beaucoup d’inquiétudes, tout comme les antibiotiques ou leurs résidus, qui favorisent la dissémination de la résistance aux antibiotiques (cf. V.10). Le post-traitement des effluents, par des techniques comme l’ozonation* ou l’adsorption* sur du charbon actif* combinée à une ultrafiltration* (déjà utilisées pour la production d’eau potable) est proposé pour réduire les risques et a commencé à être implanté, notamment à la sortie de certaines stations d’épuration en Suisse. Cependant, ce post-traitement a un coût et le consommateur sera amené à prendre une décision quant à ce qu’il accepte de payer. L’aspect sociologique ne doit pas être dissocié des considérations techniques. Une meilleure connaissance des conséquences du rejet dans le système d’assainissement de certaines substances (médicaments non utilisés, diluants de peinture…) ou de certains macro-déchets (lingettes…) permettrait déjà d’améliorer le fonctionnement des installations d’épuration et, donc, la qualité des milieux aquatiques.
Schéma de principe du traitement des eaux usées. D'après Tout savoir sur l'eau du robinet, CNRS Éditions, 2013. © E. Godet
Bibliographie
Références bibliographiques
• SIAAP – L’assainissement des eaux usées en agglomération parisienne : principes et procédés, Cité de l'eau et de l'assainissement.
• EAUFRANCE – État des lieux de la conformité des stations de traitement des eaux usées, Les Synthèses, n ° 3, octobre 2011.
• A.-E. STRICKER et A. HÉDUIT – Phosphore des eaux usées. État des lieux et perspectives, Rapport Cemagref, 2010.
Auteur
Chimiste, Directrice de recherche au CNRS, LRGP, Nancy, p. 190.
marie-noelle.pons@univ-lorraine.fr
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2012