15. Eau urbaine : production et distribution de l’eau potable
p. 188-189
Texte intégral
1L’eau potable est à la fois un produit et un service. Un produit, parce qu’il est livré en grande quantité (150 l/j/hab en moyenne, en France) dans chaque habitation ; et un service public, parce que si la ressource en eau a une valeur écologique et symbolique très importante, elle n’a pas de valeur économique en elle-même, car elle est gratuite dans la nature, les infrastructures de captage, de traitement, de stockage et de distribution, nécessitent des investissements très importants et une gestion rigoureuse. C’est un service public urbain placé sous la responsabilité des communes ou de leurs regroupements (cf. I.9). Les principes généraux des services publics s’appliquent à celui de l’eau : continuité du service, égalité des usagers, adaptabilité. Ce dernier principe impose aux services d’eau de respecter le « droit à l’eau » qui figure dans la loi française et fait partie des « droits humains » définis par l’ONU (cf. VI.6). Aujourd’hui, en France, environ 5 millions d’habitants sont équipés de systèmes d’assainissement individuels.
Un réseau unique de distribution
2La mise à disposition d’une eau de bonne qualité et en quantités suffisantes est un facteur essentiel de santé publique*. L’eau qui sert à l’alimentation (boisson : 1 à 2 l/J/hab et cuisine : 5 à 10 l/j/hab) doit respecter des règles strictes de composition définies par l’OMS au niveau mondial ou par une directive qui s’impose à tous les Etats membres au niveau européen (cf. I.11). Mais l’utilisation de l’eau pour l’hygiène corporelle (douches : 15 à 20 l, bains : 80 à 100 l) nécessite également une eau de bonne qualité (cf. IV.5). Les lavages (vaisselle : 15 l, linge 30 à 40 l) et l’évacuation des déchets (toilettes : 10 l) pourraient se satisfaire d’une eau de moins bonne qualité. Cette question fait débat depuis le développement des systèmes de récupération des eaux de pluies, les autorités sanitaires étant réticentes à autoriser la connexion de ce type d’eau au réseau général de chaque habitation.
3Les villes ne sont pas équipées d’un double réseau qui alimenterait distinctement les usages exigeants en qualité et ceux qui ne le sont pas. Les raisons en sont d’abord économiques, son doublement, même avec des sections plus petites, renchérirait considérablement le coût du service. Mais il existe également des contraintes techniques et sanitaires (cf. V.18). La présence résiduelle de traces de matière organique dans l’eau distribuée favorise le développement de films bactériens sur les parois des canalisations et peut engendrer une dégradation de la qualité (troubles, couleur, goûts). Plus les vitesses d’écoulements et les sections des canalisations seront importantes, moins cet effet de parois se développera. À cet égard, un réseau unique est préférable à un double réseau. Il est donc globalement plus efficace d’aligner les paramètres de qualité sur l’usage le plus exigeant : la boisson. Il existe cependant quelques exceptions ; certains grands immeubles d’habitations sont équipés de systèmes de recyclage des eaux grises* (peu souillées) pour alimenter les chasses d’eau des toilettes (au Japon, notamment). Des grandes villes comme Paris disposent d’un réseau d’eau brute (eau filtrée, non traitée) pour certains usages municipaux, ou d’eau recyclée à partir des eaux usées, réservée à l’arrosage ou au lavage des chaussées, comme dans de nombreuses villes australiennes, en Californie, au Japon.
Captage et traitement
4Le point de départ du système urbain de distribution de l’eau est le captage de la ressource. Les eaux souterraines, souvent privilégiées,, sont prélevées soit au niveau de sources naturelles, soit par des forages plus ou moins profonds. Les ressources souterraines sont en général de meilleures qualités et de composition plus stables que les eaux de surfaces et ne nécessitent que peu de traitements pour rendre l’eau potable. Mais le renouvellement naturel des nappes doit être préservé et il ne faut pas prélever plus que ce que permet la recharge annuelle de chaque aquifère*. Lorsque ce n’est pas possible, ou lorsqu’il n’y a pas de ressources souterraines disponibles à proximité, l’eau potable est produite à partir d’eaux de surface et nécessite des traitements de potabilisation plus importants. La potabilisation de l’eau se fait au maximum en 4 étapes, qui correspondent à l’élimination de particules ou de composés chimiques de plus en plus petits par des procédés de décantation, de filtration, d’adsorption et de désinfection. (cf. V.12). Depuis les années 1990, l’utilisation de membranes est apparue comme une alternative. Les membranes de micro, d’ultra ou de nano filtration peuvent remplacer tout ou partie de l’usine classique de traitement de potabilisation (cf. V.13).
Entretien et renouvellement
5Les réseaux constituent les pièces maîtresses du système de distribution, ils représentent plus de 80 % de la valeur économique du patrimoine des services d’eau dans les pays développés. La longueur des canalisations dépend fortement de la densité urbaine. Ainsi, une agglomération étendue comme celle de Bordeaux possède environ 3 000 km de réseaux pour 650 000 habitants, alors qu’avec la même population, l’agglomération toulousaine n’en a que 1 500 km. La durée de leur amortissement technique est très longue. Dans beaucoup de grandes villes européennes, en particulier à Paris ou à Londres, certaines canalisations posées il y a plus d’un siècle sont encore en service. Mais les réseaux sont aussi dotés des nombreux équipements de manœuvre (vannes, systèmes de purges, compteurs) et de sécurité (protection cathodique contre la corrosion, systèmes anti coups de béliers, clapets de sécurité). Les réservoirs ou les châteaux d’eau insérés dans le système de distribution permettent d’assurer la pression de service, de faire face aux pointes de la demande et de limiter la taille des canalisations. La gestion optimale d’un réseau d’eau suppose de faire varier le niveau de remplissage des réservoirs, de manière à répondre à la demande de pointe du matin et du soir, tout en bénéficiant des tarifs d’heure creuse du système d’alimentation électrique.
6Un réseau d’eau potable est exploité sous pression et il se différencie à cet égard du réseau d’eaux usées, qui présente un écoulement à surface libre. La pression minimale pour assurer le confort des usagers, en particulier le service des étages élevés, est de 2 à 3 bars. Il est impératif que cette pression soit maintenue en permanence, car les canalisations sont installées dans un environnement souterrain qui peut être pollué. En effet, les réseaux n’étant jamais parfaitement étanches, une pression interne continue permet d’éviter les risques d’intrusions d’eau polluée. Le réseau d’eau potable assure également le service de lutte contre les incendies, là encore le maintien d’une pression de service suffisante est essentiel.
7L’entretien et le renouvellement des canalisations sont les clés de l’efficacité technique et économique d’un service d’eau. Les indicateurs de performances sont le rendement (quantité d’eau perdue) et le taux de rupture qui est le nombre de ruptures de canalisations entraînant des fuites rapportées à la longueur du réseau. Deux indicateurs sont nécessaires pour juger de l’efficacité d’un réseau d’eau potable. D’abord le rendement global, qui est le pourcentage d’eau distribuée par rapport à l’eau produite. Il dépend de l’extension du réseau ; ainsi, à Paris, qui est une ville très dense, le rendement du réseau est supérieur à 95 %, alors que dans une zone urbaine beaucoup moins dense, un rendement de 80 % peut être considéré comme satisfaisant. Pour tenir compte de l’extension du réseau, le second indicateur utilisé est l’indice linéaire de pertes, qui est la quantité d’eau perdue par unité de longueur du réseau. La gestion des réseaux mobilise des techniques issues de l’épidémiologie pour optimiser les stratégies de remplacement des canalisations (cf. V.10).
8Ainsi, un dispositif complexe se cache derrière le robinet. Il nécessite un entretien et une surveillance permanente pour assurer la qualité du service et délivrer une eau répondant à toutes les normes de qualité requises pour préserver la santé humaine.
Bibliographie
Références bibliographiques
• R. BOURRIER et B. SELMI – Techniques de la gestion et de la distribution de l’eau, des ressources à la consommation écogérée, Édition du Moniteur, 2011.
• A. EUZEN et Y. LEVI – Tout savoir sur l’eau du robinet, CNRS Éditions, 2013.
Auteur
Ingénieur conseil, Ancien professeur à l’École Nationale des Ponts et Chaussées, Paris, p. 188.
jean-luc.trancart@club-internet.fr
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