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11. Stocker l’eau

p. 180-181


Texte intégral

1La ressource en eau varie quantitativement en fonction des cycles météorologiques : épisodes pluvieux succédant à des périodes sèches, saisons et années plus ou moins sèches. Par ailleurs, certains usages de l’eau sont également soumis à de fortes fluctuations à l’échelle annuelle, voire interannuelle, comme l’irrigation des cultures, l’alimentation en eau potable de zones touristiques ou la production de neige artificielle. Le stockage de l’eau est donc bien souvent indispensable pour répondre aux besoins humains. Hormis quelques régions dotées de nappes souterraines puissantes, ce stockage se fait le plus souvent dans des réservoirs créés par des barrages.

Histoire des barrages

2La construction des barrages a connu ses premiers développements importants au Moyen-Orient et autour de la Méditerranée. Le premier grand barrage répertorié est celui de Kafara près de Memphis, Égypte, datant d’environ-2 600 ans. Sa hauteur atteignait 14 m et il stockait un volume de 0,5 million de m3. Sous l’empire romain, les techniques de construction des barrages se sont diversifiées, avec le souci de l’économie des matériaux. Les ouvrages étaient le plus souvent constitués d’un mur épais en maçonnerie ou en béton, auto-stable ou s’appuyant côté aval sur un remblai de terre ou sur des contreforts. Les Romains ont appliqué également au domaine des barrages la technique de la voûte qu’ils maîtrisaient parfaitement pour leurs édifices ou leurs ponts. Le barrage de Baume, de 12 m de hauteur, près de Saint Rémy de Provence, dont il ne reste que des traces, est ainsi le premier barrage-voûte répertorié. Les réservoirs permettaient le stockage d’eau pour l’alimentation des villes, l’irrigation, mais ils avaient aussi parfois un usage d’agrément. À partir du VIIe siècle, les Arabes ont, au fur et à mesure de leurs conquêtes au Moyen Orient, en Asie du Sud-ouest et en Afrique du Nord, construit de nombreux barrages. S’inspirant des techniques yéménites, ces ouvrages étaient le plus souvent constitués de deux murs externes en maçonnerie enchâssant un noyau en terre.

3Au XVIIIe siècle, la révolution industrielle en Europe a augmenté les besoins en eau et en énergie. La construction des barrages s’est accélérée et les ingénieurs ont commencé à en rationaliser la conception. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que les actions de l’eau internes au barrage ou à sa fondation soient totalement comprises et intégrées dans les calculs. La rupture du barrage de Bouzey (1895) a ainsi amené Maurice Lévy à mettre en évidence l’action des sous-pressions et à proposer un critère de dimensionnement. Puis, suite aux nombreuses ruptures de barrages en remblai, en particulier aux États-Unis, Wolmar Fellenius a proposé une méthode pour calculer la stabilité des remblais en prenant en compte la piézométrie. Enfin, la rupture du barrage de Malpasset (1959) a mis en évidence l’effet des sous-pressions dans la fondation des barrages-voûtes et a amené Pierre Londe à proposer une méthode de calcul des coins rocheux de fondation.

4Outre la stabilité d’ensemble, l’érosion* peut également conduire à la ruine d’un barrage. Pour se prémunir de l’érosion externe, à la surface d’un barrage en remblai, il faut le doter d’un évacuateur de crues capable de laisser transiter les crues extrêmes sans débordement. En France, pour un barrage de classe A (hauteur supérieure à 20 m), la crue extrême est associée à une probabilité annuelle d’occurrence de 10-5. Autre cause de rupture : l’érosion interne. Sous l’effet des circulations d’eau dans le remblai ou dans la fondation, les particules fines du sol peuvent être arrachées et transportées vers l’aval, ce qui appauvrit le barrage de l’intérieur, augmente sa perméabilité et accélère le phénomène d’érosion jusqu’à la rupture. La plus spectaculaire fut celle du barrage de Teton en 1974, lors de son premier remplissage. La prévention de ce phénomène réside dans un dispositif de filtration et de drainage* correctement dimensionné, selon des règles formalisées tout d’abord par Karl von Terzaghi puis constamment améliorées depuis.

Image

Ouvrage à buts multiples, le barrage de Puylaurent (73 m de hauteur et 220 m de longueur en crête) sert à la régulation du Chassezac, à l'irrigation de la vallée et à la production hydroélectrique. Mis en eau en 1996, il est le barrage-voûte* le plus récent construit en France © P. Royet

5Aujourd’hui, il y aurait 60 000 grands barrages (hauteur supérieure à 15 m) dans le monde. Le tiers de ces ouvrages a comme utilisation principale l’irrigation – l’hydroélectricité, l’alimentation en eau et l’atténuation des crues étant les trois autres usages principaux. Plus de la moitié des barrages ont des usages multiples, à l’image du barrage de Serre-Ponçon. La construction de nouveaux ouvrages se poursuit dans le monde à un rythme élevé, en particulier dans les pays émergents, pour l’hydroélectricité et l’irrigation, mais elle ralentit en Europe de l’Ouest. Sur les ouvrages existants, les programmes importants de travaux concernent l’amélioration de leur sécurité, l’augmentation de leur capacité ou l’optimisation de leur exploitation. Certains de ces projets sont rendus nécessaires par l’accroissement de la production d’énergie éolienne et solaire, dont le caractère intermittent nécessite des capacités de stockage de l’énergie pour lequel les stations de pompage-turbinage (cf. IV.10) sont aujourd’hui encore le moyen le plus efficace à grande échelle. Des barrages de taille plus modeste se construisent encore pour la production de neige artificielle, pour des usages de loisirs ou pour l’atténuation des crues, plus rarement pour l’irrigation ou l’eau potable.

Impacts sur l’environnement

6Les barrages ne sont pas sans dommages pour l’environnement. En atténuant les crues, ils modifient le régime hydrologique et diminuent la mobilité du lit des cours d’eau. Ils constituent des obstacles à la libre circulation des espèces aquatiques migratrices. La transformation de masses d’eau courantes en masses d’eau stockée dans les retenues entraîne une élévation de la température et de l’évaporation et, s’accompagne parfois de phénomènes d’eutrophisation*. Mais c’est surtout la dynamique sédimentaire que les barrages viennent perturber en entraînant un dépôt des sédiments dans les retenues, cet envasement venant diminuer le volume utile du réservoir. La captation des sédiments par les retenues provoque un déficit à l’aval des barrages, ce qui entraîne une érosion du lit, pouvant provoquer une déstabilisation des berges et un affouillement* des ponts. L’envasement des barrages est très variable selon les régions et les pays. À l’échelle mondiale, la capacité des nouveaux barrages ne compense pas la perte due à l’envasement des réservoirs existants et ce sujet, pour lequel les contremesures sont coûteuses et pas toujours efficaces, doit être la première préoccupation dans les pays exposés à ce phénomène.

7Supprimer les barrages qui n’ont plus d’usage avéré est donc une option à considérer pour restaurer le fonctionnement « naturel » du cours d’eau. C’est ce qui a été mis en œuvre récemment en France pour le barrage de l’Ayrette (Hérault) ou celui de Poutès (Haute Loire). Cependant, la gestion des sédiments contenus dans la retenue est souvent le principal problème qui se pose lors de la démolition, ce poste pouvant représenter jusqu’à 90 % du coût, comme ce fut le cas pour le barrage de Kernansquillec (Côtes-d’Armor).

8Même s’ils sont aujourd’hui de plus en plus sûrs et dotés d’une longévité qui peut largement dépasser le siècle (pour autant qu’ils soient bien entretenus), les barrages ont une durée de vie qui est liée à la pérennité de leurs usages et à l’envasement plus ou moins rapide de leur retenue.

Bibliographie

Références bibliographiques

• G. W. ANNANDALE – Reservoir Sedimentation, In Encyclopedia of Hydrological Sciences, Wiley, 2006.

• N. J. SNHNITTER – A History of Dams. The Useful Pyramids, Balkema, 1994.

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