9. L’eau, source mécanique d’électricité
p. 176-177
Texte intégral
Le temps des moulins
1L'humanité a toujours utilisé la force de l’eau pour assurer sa subsistance et améliorer sa qualité de vie. Ainsi, au cours des premiers siècles de notre ère, une machine emblématique de l’irrigation, la noria (grande roue munie d’ailettes et de godets à sa périphérie), est mise en mouvement par le courant des rivières voisines et permet d’élever l’eau. Dès le Moyen Âge, les roues (généralement en bois) des moulins à eau tournent pour la petite industrie locale, comme le broyage des céréales, la découpe du bois ou le travail des métaux. L’énergie hydraulique des rivières ou des fleuves est ainsi transformée en énergie mécanique de rotation grâce à la force de l’eau. C’est l’ère de l’hydromécanique. À la fin du XVIIIe siècle et à la veille de la révolution industrielle, plusieurs dizaines de milliers de moulins sont en fonctionnement en France (cf. IV.3). Cependant, les roues des moulins ont des productivités très médiocres. Plus de la moitié de la force de l’eau est perdue par frottements mécaniques et dans les écoulements parasites. De nombreux scientifiques français et étrangers (Euler, Burdin, Fourneyron, Boyden, Francis…) s’intéressent alors à cette machine hydraulique afin d’en améliorer les performances. Ces divers pionniers conçoivent progressivement la « turbine » hydraulique, adaptant mieux la forme de la roue à l’écoulement qui la fait tourner et à la chute d’eau utilisée. Ainsi en 1827, un brillant ingénieur de l’École des Mines de Saint-Étienne, Benoit Fourneyron, installe dans une forge de Franche-Comté une turbine de conception innovante d’une puissance mécanique* de 6 ch (cheval-vapeur*) et avec un rendement* remarquable de 80 %. Au milieu du XIXe siècle, plusieurs turbines Fourneyron sont installées aux États-Unis et en Europe.
De l’eau à la lumière
2En 1869, l’inventeur belge Zénobe Gramme met au point la dynamo, une génératrice de courant électrique continu. Puis en 1883, le Français Lucien Gaulard et le Serbe Nikola Tesla inventent l’alternateur. Cette nouvelle machine génère du courant alternatif, qui a l’avantage d’être transportable sur de plus longues distances que le courant continu. En couplant l’arbre d’une turbine hydraulique à une dynamo ou un alternateur, l’énergie de l’eau est transformée en énergie mécanique, puis en électricité. C’est le début de l’hydroélectricité, alors appelée aussi « houille blanche » par le célèbre Pyrénéen Aristide Bergès, car les glaciers deviennent la « mine » de l’électricité. L’éclairage à la lumière électrique est un symbole de modernité, et les petites industries s’affranchissent de la proximité des cours d’eau. À une autre échelle, l’énorme potentiel (100 000 ch, soit 74 MW) des chutes du Niagara est utilisé en 1896 pour alimenter en courant électrique alternatif la ville de Buffalo, à plus de 30 km.
Fig. 1 – La puissance de la lame d’eau en déversement au-dessus du barrage de Pinet lors d’une crue du Tarn. © J. Groussier
Fig. 2 – Une roue de turbine Pelton. © P. Crausse
3Malgré les efforts de nombreux chercheurs, seulement trois types de turbines se sont révélés bien adaptés à l’hydroélectricité, autorisant de bons rendements (au moins 80 %) aux points de fonctionnement les plus fréquents. Ces turbines équipent à l’heure actuelle la plupart des centrales dans le monde et portent les noms de leurs inventeurs : Pelton pour des chutes supérieures à 200 m, Francis pour les moyennes chutes et Kaplan en basses chutes. Leurs performances sont optimisées lors de la phase de conception en minimisant les pertes d’énergie d’origine mécanique et hydraulique. Par exemple, dans les centrales de haute altitude, les turbines Pelton remplissent un rôle bien précis : satisfaire la demande en électricité aux heures de pointe tout en conservant des rendements de l’ordre de 90 %. Enfin, des groupes réversibles (turbine-pompe) sont utilisés pour le stockage de l’eau dans des barrages ou dans des usines marémotrices* comme celle de La Rance, en Normandie. Une autre forme d’exploitation des courants marins à l’aide d’hydroliennes (hélices fonctionnant sur le principe des éoliennes) commence à atteindre une phase industrielle.
Une grande aventure humaine et industrielle
4La production d’électricité grâce à la force de l’eau va changer le monde au cours du XXe siècle. En effet, les industries choisissent leur implantation en fonction du potentiel hydraulique de sites permettant la production d’électricité nécessaire à leurs activités et favorable à la création de grands pôles urbains. Par exemple, dans les Alpes, en Savoie, douze grands barrages (de plus de 20 m de haut) associés à des équipements hydroélectriques sont construits dans les 30 ans après la Seconde Guerre mondiale. Des vallées industrielles comme la Maurienne ou la Tarentaise vont ainsi connaître un développement humain et économique considérable.
5L’énergie d’origine hydraulique est naturelle, propre et renouvelable. Elle peut se stocker (cf. IV.11) et s’adapter rapidement à la demande, ce qui n’est pas le cas des autres sources d’énergie. Son rôle de modulation* est décisif dans la production d’électricité. En France, elle représente de l’ordre de 13 % de la production nationale d’électricité et 70 % de la part provenant des énergies renouvelables. Bon nombre d’usines construites au début du XXe siècle sont encore en fonctionnement, signe d’une belle durabilité, et les potentiels d’aménagements sont immenses dans beaucoup de pays. Les installations peuvent aller du gigantisme comme en Chine ou au Brésil, à la microcentrale pour les besoins d’un petit village.
Fig. 3 – Principe du couplage d’une turbine Francis avec un alternateur pour la production d’électricité dans une centrale de moyenne chute. Source : P. Crausse
6Pendant longtemps, l’électricité a été produite principalement pour les besoins de l’industrie (notamment de guerre), la protection de l’environnement étant négligée. En raison de son impact, l’implantation des barrages doit maintenant respecter des contraintes à la fois écologiques (préservation du milieu naturel et des espèces vivantes, modification du bilan carbone des régions boisées, prévention des risques d'accidents majeurs…) et économiques (régulation des régimes des cours d’eau, rationalisation des ressources). Les possibilités de nouvelles réalisations de grands ouvrages s’en trouvent réduites et, à l’avenir, des technologies à plus petite échelle devraient plutôt s’imposer.
Bibliographie
Références bibliographiques
• G. MAURIN – Histoire du service de la production hydraulique (1946-1962), Association pour l’Histoire de l’Électricité en France, 1995.
• P.-L. VIOLLET – Histoire de l’énergie hydraulique, Presses des Ponts et Chaussées, 2005.
• HYDROWEB – www.hydroweb.fr.
Auteurs
Hydraulicien, Professeur des Universités, IMFT, Toulouse, p. 176, p. 178.
pierre.crausse@yahoo.fr
Mécanicien des fluides, Directeur de recherche au CNRS, IMFT, Toulouse, p. 176, p. 178.
henri.boisson@imft.fr
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2012