5. Impacts de l'utilisation de l'eau par l'agriculture
p. 168-169
Texte intégral
1Du fait du développement de l’irrigation, les prélèvements d’eau par l’agriculture ont triplé au cours des 50 dernières années, pour atteindre aujourd’hui 70 % des prélèvements à l’échelle mondiale. À la fin des années 2010, l’agriculture pluviale, à l’origine de 60 % de la production végétale, couvrait 80 % des terres cultivées dans le monde contre 20 % pour l’agriculture irriguée (40 % de la production mondiale). Le développement de l’irrigation entraîne un abaissement du niveau des nappes, une réduction du débit des rivières, la salinisation des nappes côtières, et des impacts liés aux aménagements (barrages, retenues collinaires…). Que ce soit dans le cas de l’agriculture pluviale ou irriguée, l'intensification agricole a pour conséquences l’assèchement de zones humides, l’apport de sédiments par érosion* des sols, ou bien encore une pollution diffuse par des nutriments ou des produits phytosanitaires, plus communément nommés pesticides*.
Origine et conséquences de la pollution azotée
2Les sols contiennent naturellement de l’azote, mais en quantité insuffisante pour une production de plus en plus intensive, ce qui a conduit l’agriculture moderne à accroître l’usage de fertilisants azotés. Leur apport peut se faire soit sous forme de nitrate, soit sous forme d'ammoniac ou d'urée*, lesquels sont transformés par les micro-organismes du sol en nitrate. Si une grande partie de l’azote est consommée par les plantes, une fraction peut être entraînée via les flux d'eau. En France, la présence de nitrate dans les eaux continentales provient à environ 66 % de l’agriculture, les eaux usées domestiques et industrielles en étant les autres sources.
3Une partie du nitrate peut pénétrer lentement (1 à 2 m/an) en profondeur avec l'eau de pluie, et il peut s'écouler plusieurs dizaines d'années entre le moment où se produit l'apport d'azote et celui où le nitrate correspondant se retrouve dans la nappe. Ce temps de réponse explique que la concentration en nitrate dans les nappes continue à croître longtemps après la réduction des apports de fertilisants. Les apports d'azote, couplés à ceux de phosphore (majoritairement d’origine domestique), conduisent à l'eutrophisation* des eaux de surface, qui se manifeste par un développement excessif des végétaux, avec comme corollaire une baisse de la concentration en oxygène dissous dans l'eau (voire même une anoxie*) lorsque toute cette matière organique est dégradée. Cette situation est néfaste pour de nombreuses espèces. Le risque d'eutrophisation* est présent dès que la concentration en nitrate dans l'eau dépasse 1 mg/l. Une autre conséquence négative concerne la production d’eau potable, la norme appliquée en Europe étant de 50 mg/l de nitrate. Les effets possibles sur la santé d’un excès de nitrate sont liés à la transformation des ions nitrates en nitrites et à la production de nitrosamines* au niveau du tube digestif. Les nitrites sont aussi à l’origine d’un risque de méthémoglobinémie* aiguë (réduction de la capacité du sang à transporter l’oxygène), principalement chez le nourrisson. Les risques de cancers liés aux nitrosamines sont moins bien établis (cf. V.20). Divers procédés permettent d’éliminer le nitrate des eaux utilisées pour la production d’eau potable, mais pour un coût non négligeable.
En 2010, en France métropolitaine, 1,6 million d'hectares de terres sur un total de 29,2 millions cultivés étaient irrigués, soit 6 % de la superficie agricole utilisée. Source : www.cieau.com
4Il est très difficile de lutter contre cette pollution, si ce n'est en réduisant les apports en fertilisants et en les adaptant aux besoins des cultures et aux caractéristiques des sols. La mise en place de cultures hivernales intermédiaires permet de limiter l’érosion des sols et de consommer une partie de l'azote, réduisant ainsi les flux de nitrate.
La pollution par les pesticides
5Les pesticides sont majoritairement utilisés en agriculture pour le contrôle de divers organismes nuisibles. Une partie des pesticides épandus est entraînée par ruissellement ou par infiltration dans les cours d’eau et les nappes. Le risque maximal de transfert correspond aux averses qui se produisent peu de temps après l'application.
6La liste des substances retrouvées est liée à l'intensité de leur utilisation actuelle ou passée. En France, par exemple, la contamination des cours d’eau est quasi généralisée, essentiellement par des herbicides en métropole et par des insecticides en outre-mer. Les eaux souterraines sont moins contaminées, mais on y retrouve des produits de dégradation d’herbicides, y compris de molécules interdites depuis plus de 10 ans en raison du temps de réponse souvent important de ces systèmes.
7Par définition toxiques, les pesticides ont des effets délétères qui sont rapidement détectables au niveau des individus, alors qu’ils sont beaucoup plus longs à se manifester à l’échelle de l’écosystème. L'interdiction des molécules les plus toxiques a supprimé les cas de mortalité massive d'organismes non-cibles, mais d’autres effets (sur la reproduction ou le comportement, par exemple) ont des conséquences indirectes, souvent différées, sur les réseaux trophiques* ou sur la diversité des communautés. La seule solution pour réduire la pollution par les pesticides est de diminuer leur usage, voire de s’en passer si possible.
Des évolutions encourageantes…
8L’impact de l’agriculture sur l’eau en Europe s’est légèrement réduit au cours des dernières années, grâce à la mise en œuvre de réglementations comme la directive « nitrates » ou la Directive-cadre sur l’eau, qui a notamment pour objectif l’atteinte du bon état des masses d’eau et qui se décline dans les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les Schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE). La nature diffuse des pollutions agricoles et le temps de réponse des systèmes constitue un frein à la réduction des impacts. Les niveaux de prélèvement et de pollution restent élevés dans de nombreuses régions et les coûts liés aux actions mises en place sont très importants, avec une répercussion directe sur le prix de l’eau. Le chemin est donc encore long à parcourir et les efforts entrepris devront être accrus et poursuivis pendant encore longtemps.
Bibliographie
Références bibliographiques
• L. BASILICO et N. DOMANGE – Captages d’eau potable et pollutions diffuses : quelles réponses opérationnelles à l’heure des aires d’alimentation de captage “Grenelle” ? Les Rencontres de l’Onema, www.onema.fr/IMG/Synthese_captage.pdf, 2011.
• F. DENIER-PASQUIER – La gestion et l’usage de l’eau en agriculture, Les avis du Conseil Économique, Social et Environnemental, www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2013/2013_11_gestion_eau_agriculture.pdf, 2013.
• OCDE – Qualité de l'eau et agriculture – Un défi pour les politiques publiques, Études de l'OCDE sur l'eau, OECD Publishing, 2012.
• J. MARGAT et V. ANDRÉASSIAN – Idées reçues : l’eau, Le cavalier bleu, 2008.
Auteur
Écologue et écotoxicologue, Directeur de recherche à l’INRA, EFPA, Rennes, p. 168.
thierry.caquet@rennes.inra.fr
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