25. L'eau : milieu et ressource
p. 142-143
Texte intégral
1En surface comme en profondeur, l’eau circule : dans les fleuves, les rivières, les ruisseaux, et les fossés, mais aussi dans les nappes souterraines, d’où elle s’échappe par les sources (naturelles) et par les puits (artificiels) (cf. III.10). Si l’eau circule par de multiples chemins, ces derniers se croisent et se recroisent ; il ne faut donc parler que d’un unique cycle des eaux continentales (et surtout pas d’un cycle souterrain pour les nappes, qui serait parallèle à un cycle en surface pour les rivières). Une évidence souvent oubliée par ceux qui tentent de compter les « ressources » en eau et qui mène souvent à des doubles comptes malencontreux, car ils surestiment les ressources réellement disponibles.
L’alimentation des milieux aquatiques
2Pour comprendre le fonctionnement de l’alimentation des milieux aquatiques, il faut s’appuyer sur celui du bassin versant*. Il s’agit du territoire alimentant un cours d’eau, un lac ou une nappe souterraine (cf. III.26). Toute goutte d’eau de pluie qui tombe sur le bassin versant est susceptible (à moins qu’elle ne soit utilisée en chemin) de s’écouler par gravité vers le cours d’eau ou le lac en question. Les limites du bassin versant sont le plus souvent fixées par le relief (lignes de partage des eaux, qui séparent différents bassins versants). Parfois, la complexité du sous-sol fait que des zones situées pourtant au-delà des limites topographiques du bassin (c’est-à-dire à l’extérieur de la ligne de partage des eaux) contribuent à l’alimentation de la rivière ; et inversement, des zones situées sur le bassin peuvent s'écouler vers une autre rivière. Le bassin souterrain et le bassin apparent en surface ne se recouvrent alors que partiellement.
3Au sein des bassins versants, les eaux ne restent pas immobiles : sous l’effet de la gravité, elles sont en mouvement constant, passant d’un compartiment à un autre. Ainsi, une goutte de pluie peut ruisseler à la surface du sol ou s’infiltrer, selon la perméabilité du sol et l’intensité de la pluie. Mais la goutte qui a ruisselé pourra s’infiltrer un peu plus loin, et celle qui s’est infiltrée pourra réémerger par la suite. À toutes les échelles d’espace et de temps, ce phénomène se reproduit : ainsi, en été, les rivières sont essentiellement alimentées par le suintement des nappes souterraines (une « source » n’étant rien d’autre qu’un suintement concentré dans l’espace), dans d’autres cas, en période pluvieuse, ce sont les rivières qui alimentent les nappes (c’est notamment le cas en milieu aride).
4Cette interconnexion présente à toutes les échelles d’observation a une conséquence pratique très importante : si tous les systèmes visant à évaluer les ressources en eau d’un pays ont pris l’habitude de distinguer des ressources souterraines ou en surface, il ne faut voir là qu’une façon de recenser notre connaissance des flux suivant les milieux où nous pouvons les capter. Il ne faudrait surtout pas être tenté d’additionner les écoulements de surface et les écoulements souterrains pour aboutir à une ressource totale : ce serait nier l’unicité du cycle de l’eau (les écoulements souterrains, à l’exception de ceux qui se jettent directement en mer, transitent par les cours d’eau de surface) et ne pourrait que mener à une surestimation illusoire de la ressource en eau.
Exutoire Fig. 1 – Le bassin versant, unité élémentaire de génération de l’écoulement. Source V. Andréassian
Fig. 2 – Alimentation réciproque des nappes et des rivières, ou comment l’eau des nappes souterraines se retrouve dans les rivières et vice-versa. Source V. Andréassian
Des usages également interconnectés
5Les interactions existantes entres les différents compartiments des écoulements naturels mènent à la question de la compétition qui peut exister entre différents usages de l’eau, qu’il s’agisse d’usages « naturels » (ceux des écosystèmes) ou d’usages humains. Il faut pour cela distinguer les usages in situ et les usages ex situ. Les statistiques se concentrent généralement sur les usages ex situ de l’eau, qui sont les plus faciles à quantifier, car ils supposent un prélèvement. Mais il existe un ensemble d’usages de l’eau qui ne nécessitent ni consommation, ni prélèvement et qui viennent pourtant en concurrence directe avec les usages ex situ. Il y a d’abord la navigation : une péniche circulant sur une rivière ou dans un canal ne consomme pas à proprement parler d’eau. Mais si l’eau du canal a été dérivée pour irriguer des cultures, alors la péniche n’avancera pas. Le transport par voie d’eau suppose donc la réservation d’une certaine quantité d’eau, qui n’est donc pas disponible pour une autre utilisation, du moins tant qu’elle se trouve dans le canal. Il en va de même pour les activités touristiques et sportives, telles que la baignade et la pêche, et pour des activités de production aquacoles. Aucune de ces activités ne consomme d’eau à proprement parler, et pourtant sans eau, elles sont impossibles. La production d'énergie mécanique (moulins) ou électrique (usines hydroélectriques) ne consomme pas non plus d’eau, elle ne consomme que son énergie potentielle en la transférant d’un point haut à un point bas. Dans le cas d’écoulements en zone côtière, là où l’eau douce vient se jeter en mer, il serait facile d’imaginer que toute l’eau douce restante pourrait être prélevée. Pourtant, un écoulement minimal d’eau douce souterraine de la terre vers la mer est nécessaire pour éviter l’intrusion des eaux salées le long de la ligne de côte. Sinon, les puits situés en zone côtière deviendront tôt ou tard inutilisables, en raison de la progression des eaux marines salées. Enfin, il faut élargir la notion d’usage de l’eau à l’ensemble des espèces dont l’eau est le milieu de vie : les écosystèmes aquatiques ne peuvent subsister que si un flux minimal d’eau leur est réservé, en étiage* comme en crue. Même l’eau des crues joue un rôle écologique important, car ces conditions extrêmes permettent non seulement la reproduction de certaines espèces, telles que le brochet, mais aussi le transport des sédiments et débris organiques ou encore la réalimentation de certaines nappes souterraines.
6L’eau est une ressource unique, qui se différencie de toutes les autres ressources naturelles par la complexité des connexions entre les compartiments qu’elle traverse, les usages qu’elle permet et les écosystèmes qu’elle soutient. Prélevée « pure » dans le milieu naturel, elle est rejetée « usée » dans ce même milieu : une part non négligeable de ce qui est extrait du « gisement » revient après usage à ce même gisement, en en altérant les qualités. Heureusement, les rivières possèdent une certaine capacité d’auto-épuration (cf. V.17).
Bibliographie
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Références bibliographiques
• V. ANDRÉASSIAN et J. MARGAT – Allons-nous manquer d’eau ? Le Pommier, 2014.
• V. ANDRÉASSIAN et J. MARGAT – Rivières et rivaux, les frontières de l'eau, Quae, 2012.
10.14375/NP.9782746733718 :• D. BLANCHON – Atlas Mondial de l’eau, Autrement. 2013.
Auteur
Hydrologue, Directeur adjoint scientifique à l’Irstea, Antony, p. 142.
vazken.andreassian@irstea.fr
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