14. Les adaptations des petits mammifères dans les milieux extrêmes
p. 120-121
Texte intégral
1Depuis 225 millions d’années, l’ordre des mammifères a conquis notre planète et résisté à tous les changements survenus. D’après le dernier décompte, les mammifères seraient représentés par 5 416 espèces, dont 80 % ayant un poids inférieur à 20 kg. Cette dernière catégorie est dominée par les rongeurs, dont on dénombre 2 277 espèces, et qui ont conquis tous les habitats terrestres, des déserts aux zones humides.
Adaptation à la vie désertique et semi-aquatique
2L’eau constitue environ 70 % de la masse corporelle des mammifères (cf. II.22). Les déserts couvrent plus de 35 % de la surface de la Terre. Le milieu désertique est caractérisé, d’une part, par une sécheresse extrême (précipitations < 50 mm/an, végétation rare à absente) et, d’autre part, par une amplitude thermique journalière forte avec une intense chaleur pendant la journée (55 à 70°C au sol et autour de 0°C la nuit). Pour s’adapter à ces conditions extrêmes, les rongeurs et les macroscélides* (petits mammifères à trompe) ont développé plusieurs mécanismes physiologiques. Ils n’ont plus besoin de boire et ils possèdent la capacité de concentrer l’urine à l’aide de fonctions rénales modifiées et de structures particulières du rein. Ainsi, l’urine des rongeurs désertiques (rats kangourous, gerboises…) atteint des concentrations records de 3 000 à 9 000 millions de moles par litre (contre 1 200 pour les êtres humains). Les crottes du rat kangourou de Merriam sont 2,5 fois plus sèches que celles du rat, car il assimile 90 % de la nourriture ingérée. De plus, les femelles produisent un lait hautement concentré, qui ne contient que 50,4 % d’eau (comme celui des baleines et des phoques), et récupèrent l’eau en consommant l’urine et les crottes des jeunes. La récupération de l’eau des plantes consommées et des fluides corporels est indispensable. L’eau métabolique créée par les cellules lors de l’oxydation de la nourriture peut être suffisante, mais certains rongeurs (rats kangourous, souris à poche d’Amérique du Nord et rat des sables diurne) subsistent à l’aide des plantes riches en eau, comme les cactées ou les plantes halophytes (vivant sur sols salés). Le rat des sables récupère l’eau à partir d’un végétal dont les feuilles contiennent 90 % d’eau, mais ont également de fortes teneurs en sel et acide oxalique. D’autres rongeurs ont résolu le problème en devenant « carnivores » et/ou insectivores. Par exemple, la souris sauterelle du Sud des déserts d’Amérique du Nord consomme des scarabées, des scorpions et des sauterelles riches en eau. D’autres rongeurs de milieux arides entrent en torpeur pour subsister pendant la saison sèche et stocker des réserves de graisse dans leur queue. Ils ont tous un pelage de couleur pâle pour résister à la chaleur (figure 1) et construisent des terriers profonds (de 1 à 2 m) pour se protéger durant la journée des rayons du soleil.
Fig. 1 – Une gerbille champêtre dans les steppes semi-arides de l’Est du Maroc. © C. Denys
Fig. 2 – Exemple de crânes de rongeurs vus de dos. (1) Le rat des rochers des savanes d’Afrique. (2) La souris des marécages des forêts d’altitude d’Ouganda. (3) Le rat aquatique des forêts de marécages d’Afrique centrale. © C. Denys
3Dans les zones humides, les rivières et les deltas, vivent des rongeurs semi-aquatiques, comme le castor ou le ragondin en zone tempérée ou le capybara en Amérique du Sud (plus gros rongeur du monde). Le rat aquatique d’Afrique, le rat des marécages à longs pieds et la souris des marécages de Delany, eux, vivent dans les marécages de la forêt tropicale africaine. Tous ces animaux aquatiques ont des papilles rénales à la structure particulière, qui leur permettent de produire une urine moins concentrée. Ces rongeurs consomment des plantes et des insectes aquatiques, ainsi que des petits poissons. Le rat aquatique d’Afrique est un excellent nageur, qui utilise ses longs et larges pieds pour se propulser dans l’eau. Des études ont montré que son cerveau et sa boîte crânienne sont plus développés que ceux des autres rongeurs de la même famille (figure 2). Cette modification est probablement liée à son mode de vie : pour chasser dans l’eau ou sur les bords de rivières, ils plongent leur museau enflé prolongé par de longs poils sensoriels qui détectent les moindres vibrations.
Adaptation aux nouveaux phénomènes
4Les adaptations aux milieux extrêmes sont le résultat d’une longue évolution gouvernée par la sélection naturelle. Les modifications des paysages et du climat récentes ont des conséquences importantes sur les petits mammifères, comme pour le rat de Martinique, qui s’est éteint en 1902. L’aridification du climat accélérée par la déforestation peut compromettre la survie des rongeurs très spécialisés des forêts marécageuses, qui vivent en petites populations isolées. Dans les savanes et les zones semi-arides, le développement intensif des monocultures irriguées favorise la dominance de certaines espèces ravageuses de cultures. L’extension actuelle du Sahara vers le Sud s’accompagne de l’arrivée de nouveaux rongeurs dans les zones sahéliennes. Ainsi, trois espèces de gerbilles qui n’étaient pas présentes au Sénégal ont fait leur apparition dans les années 1989-1999 au nord du pays et, depuis, constituent les espèces les plus abondantes. Ces nouveaux arrivants, ou espèces invasives*, perturbent les communautés animales originelles et des transferts de parasites et de virus peuvent s’effectuer, avec un risque d’émergence de nouvelles maladies pour l’espèce humaine. Une augmentation forte des pluies de mousson entraîne, par ailleurs, une surmortalité des jeunes et une diminution forte des populations de rats des rizières et de forêt au Vietnam et au Cambodge.
5La vitesse d’acquisition des adaptations physiologiques aux milieux extrêmes n’est pas encore clairement établie, mais elle se produit certainement plus lentement que celle de l’augmentation de la température globale prévue pour 2050 par les différents modèles climatiques.
Bibliographie
Références bibliographiques
• J. F. MERRITT – The biology of Small Mammals, The John Hopkins University Press, Baltimore, 2010.
• D. WILSON et D. M. REEDER – Mammal Species of the World. A Taxonomic and Geographic Reference, The John Hopkins University Press, Baltimore, 2005.
• G. R. SINGLETON, L. A. HINDS, C. J. KREBS et D. M. SPRATT – Rats, Mice and People: Rodent Biology and Management, Australian Centre for International Agricultural Research. Canberra, 2003.
Auteur
Paléontologue et zoologue, Professeure au Muséum National d’Histoire Naturelle, ISYEB, Paris, p. 120.
denys@mnhn.fr
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