7. Les masses d’eau superficielle continentales
p. 106-107
Texte intégral
Des environnements jeunes et dynamiques
1Les masses d’eau superficielle continentales, principalement les lacs et les rivières, constituent des milieux de vie bien souvent jeunes et en pleine évolution. Beaucoup d’entre eux sont apparus par exemple dans les Alpes et leurs piémonts il y a moins de 10 000 ans. Les lacs sont des étendues d’eau douce dont la taille et la profondeur sont importantes, ce qui les distingue des étangs ou des mares. Ils se différencient également des fleuves et des rivières qui concentrent l’eau dans des chenaux et la drainent alors vers l’aval. Dans certains cas, la rivière peut avoir sur son cours, un lac. C’est le cas du lac de Constance pour le Rhin ou encore des lacs Saint-François, Saint-Louis ou Saint-Pierre pour le Saint-Laurent. La distinction entre fleuve et lac (fluvial) devient alors très subtile.
2Un lit fluvial présente un style, un certain tracé en plan. L’écoulement peut s’exprimer dans un seul lit ou dans plusieurs, les lits peuvent être rectilignes, sinueux, voire à méandres. Ces critères permettent ainsi de classer les styles. Certains sont assez statiques, le tracé du chenal varie peu au cours du temps alors que d’autres sont au contraire très instables. Les rivières à méandres des piémonts peuvent se déplacer latéralement de plusieurs mètres par an et recouper leur bras par débordement tous les 20 à 30 ans. Les rivières en tresses qui présentent un vaste corridor graveleux ou sableux au sein duquel serpente en étiage* un ensemble de bras en eau, sont les plus mobiles latéralement. Cette dynamique latérale est un moteur écologique essentiel qui explique la diversité végétale des corridors fluviaux à l’origine d’une diversité de milieux inégalement renouvelés (cf. II.23). C’est pour cette raison que l’érosion* des berges a été récemment réhabilitée, alors qu’elle a longtemps été considérée comme un risque à combattre. Elle est en réalité source de bienfaits, car elle maintient une infrastructure naturelle en bonne santé, garante de paysages de qualité et d’aménités, de processus autoépuratoires, des formes fluviales dynamiques favorisant les échanges d’eau entre la surface et la subsurface. Aujourd’hui, tout l’enjeu est de conserver ces corridors exceptionnels, tout en satisfaisant les usagers et les riverains. C’est l’esprit de l’« espace de liberté » ou de l’« espace de bon fonctionnement ».
Exemple d’une métamorphose fluviale, l’Arve, rivière typiquement en tresses en 1936 est en 2000 une rivière à chenal unique sinueuse à la suite d’une extraction massive de ses granulats. Cette simplification du tracé en plan et une mobilité de plus en plus réduire du chenal ont un impact significatif sur la qualité écologique de ce corridor. Sources : photographies aériennes de l’IGN
Une histoire fluviolacustre complexe
3L’origine des lacs est liée à différents facteurs, qu’il s’agisse du vent, des cordons dunaires qui isolent des zones littorales en creux, comme dans les Landes, ou encore de contextes tectoniques ou volcaniques. D’autres lacs peuvent être liés à des glissements de terrain ou à des éboulements qui viennent obstruer les vallées. Bien des lacs sont, enfin, associés à l’histoire glaciaire, notamment dans la zone alpine et sa périphérie. Ils bénéficient des surcreusements glaciaires dans des environnements sensibles à l’érosion ou encore des obstacles à l’écoulement que constituent les moraines frontales et latérales. Les grands lacs alpins sont ainsi le résultat de la fonte des glaces à la fin de la dernière période froide, le Würm, il y a environ 20 000 ans. Le lac du Bourget, dont la profondeur moyenne est voisine de 85 m, résulte d’un surcreusement spectaculaire consécutif à l’affrontement de deux grands glaciers de vallée, ceux du Rhône et de l’Isère. Dans la zone anciennement englacée, la fonte des glaciers de vallée a libéré de très nombreux milieux lacustres, les lacs Léman, du Bourget ou d’Annecy n’étant que les derniers témoins de cette période. Un grand lac s’étendait ainsi dans le Grésivaudan, la combe de Savoie, le secteur de Lavours ou la vallée de l’Arve (figure). De plus petites tailles, les lacs d’altitude ont une origine assez semblable aux grands lacs. Ils apparaissent au fur et à mesure du retrait glaciaire et certains sont ainsi très jeunes.
4De fait, l’histoire lacustre et l’histoire fluviale se complètent et s’interpénètrent, illustrant le contexte très dynamique de ces milieux, souvent jeunes et éphémères, et expliquant en grande partie notre cadre environnemental. Les apports fluviaux amont sont généralement chargés en alluvions*, qui, progressivement, comblent les milieux lacustres et forment à leur interface des milieux écologiquement intéressants, les « deltas lacustres ». Le cours du Rhône est à ce titre assez particulier, puisqu’il s’écoule de Genève à Lyon dans des secteurs anciennement lacustres. Ces environnements fluviaux sont généralement très sensibles aux pressions humaines et peuvent enregistrer des enfoncements spectaculaires à l’origine de nombreuses nuisances pour les riverains. C’est le cas des vallées de l’Arve ou du Fier, où plus de 10 m d’enfoncement ont été observés à la suite de prélèvements de granulats dans le lit des cours d’eau au cours des années 1970-1980. Entre Lyon et Pierrelatte, le Rhône a ensuite construit sa plaine alluviale dans les niveaux anciens qui avaient été façonnés par les écoulements proglaciaires formant un vaste lit de tressage à l’aval du glacier würmien, dont le front était alors localisé à l’est de Lyon il y a plus de 20 000 ans. Le fond de vallée est alors plus pentu, plus étroit et plus sec, du fait du caractère drainant des dépôts alluviaux grossiers. Au-delà de Pierrelatte, le Rhône a construit une plaine récente aux dépens de la mer, dont la remontée, au moment de la fonte des glaces de la dernière période froide (la transgression* post-glaciaire, il y a environ 15 000 ans), a atteint près de 100 m. Le delta du Rhône constitue ainsi le témoin le plus récent de cette lutte entre les alluvions fluviatiles et les eaux marines. La plaine alluviale est beaucoup plus large et des digues sont nécessaires pour se protéger de l’inondation du fleuve et tirer partie de ces plaines fertiles. Le fleuve étant mobile, ces ouvrages sont soumis à de fortes pressions et ces terrains sont également des zones à risques. Les crues de 2003 l’ont malheureusement rappelé.
Diversité des styles fluviaux
5Ce cadre environnemental régit en grande partie la diversité des corridors fluviaux. Les styles se succèdent longitudinalement au fur et à mesure qu’évoluent les conditions de pente et de résistance des formes et le rapport de force entre le volume d’eau écoulée et le volume de sédiments disponibles. La succession longitudinale classique est ainsi centrée sur le triptyque « rectiligne – tresses – méandres », le style en anastomoses, caractérisé par des chenaux multiples relativement stables et sinueux s’imposant parfois localement au sein de ce continuum. Typique des zones à faible pente soumises à des apports en sédiments fins, ce style est souvent observé dans les zones anciennement englacées encore déconnectées des sources sédimentaires amont. Sur un tronçon donné, le style fluvial n’est pas immuable, il évolue lui aussi et des formes d’hybridation peuvent ainsi émerger. Le Rhône, dans le secteur de Brégnier-Cordon, présentait ainsi un style à méandres localement en anastomoses lorsque le transport solide était peu actif, notamment durant la période médiévale. Ce style a alors été éventré par une vague sédimentaire récente à l’époque moderne, un style en tresses s’imposant sur le bras principal alors que ses marges présentent des chenaux d’anastomoses, témoins du style ancien. Cette hybridation, souvent temporaire, fait de tels sites des lieux exceptionnels en matière de diversité écologique. Sous l’effet des pressions humaines successives, le style peut in fine évoluer encore, bien souvent vers un style à chenal unique figé.
Bibliographie
Références bibliographiques
• J.-P BRAVARD et A. CLEMENS (dir.) – Le Rhône en 100 questions, Zone Atelier Bassin du Rhône, 2008.
• B. MONTUELLE et A. CLÉMENS (dir.) – Le tour des grands lacs alpins naturels en 80 questions, Zone Atelier Bassin du Rhône. 2015.
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L'eau à découvert
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