5. Dynamiques temporelles du cycle de l'eau
p. 102-103
Texte intégral
1La variabilité temporelle des différents termes du cycle de l’eau est pilotée au premier ordre par les forçages atmosphériques* qui conditionnent l’occurrence des systèmes précipitants (vents, humidité, ensoleillement). Selon leur étendue et leurs caractéristiques physiques, les systèmes hydrologiques agissent comme des filtres, qui vont amortir de manière plus ou moins forte la variabilité de l’entrée pluviométrique, caractérisée par une forte intermittence temporelle, se superposant aux cycles diurne et saisonnier et à la variabilité interannuelle et décennale, voire milléniale. C’est ainsi que les grandes ères climatiques ont une signature hydrologique encore visible aujourd’hui, à travers l’existence de grandes nappes d’eau fossiles, qui ne sont plus alimentées et dont la datation isotopique montre que leur formation peut remonter à plusieurs milliers d’années.
Les dynamiques temporelles associées aux systèmes convectifs
2Les systèmes précipitant se caractérisent parfois par une grande variabilité spatiale et temporelle de la pluie qu’ils génèrent, notamment lorsqu’ils sont associés à une forte turbulence* atmosphérique. L’absorption de l’eau par les sols et les temps de transit dans les réseaux de drainage amortissent l’effet des pics d’intensité les plus élevés, associés à des cellules convectives, dont la durée de vie est de l’ordre de quelques minutes. Il existe néanmoins des configurations où cet amortissement est réduit au minimum : sols saturés par des pluies antérieures, réseaux de drainage obstrués par des obstacles naturels – une conjonction de facteurs observée lors des inondations de Nîmes le 3 octobre 1988. Mais il existe aussi des cas où une pluie extrêmement intense tombe pendant quelques heures sur des sols secs, qui réagissent comme des surfaces quasiment imperméables (cf. VI.19). À Vaison-la-Romaine, lors de la crue de l’Ouvèze du 22 septembre 1992, une vague d’eau de 17 mètres s’est abattue sur le village, engloutissant constructions et campings des bords de la rivière et causant 47 victimes. La montée des eaux s’est produite en 5 heures, les deux tiers de la pluie étant tombés en moins de 2 heures. Même dans ce cas exceptionnel, la soudaineté de la montée des eaux n’exclut pas un fort lissage de la variabilité temporelle des précipitations (figure 1). Ce lissage se retrouve dans la dynamique temporelle de la décrue qui s’étale sur 24 heures – en lien avec la vidange des petits réservoirs de subsurface, qui se sont remplis durant les heures de forte pluie, contribuant ainsi à filtrer dans la réponse hydrologique les hautes fréquences de la variabilité temporelle de la pluie.
Fig. 1 – Intensité horaire des pluies tombées (en bleu) sur Vaison-la-Romaine entre le 22 et le 23 septembre 1992, et réponse hydrologique (en rouge) de l’Ouvèze. Source T. Lebel
3D’autres configurations amplifient la réponse hydrologique à des pluies violentes de plusieurs heures, par exemple lorsqu’un système précipitant se propage de l’amont vers l’aval d’un bassin suffisamment pentu pour que sa réponse rapide crée une concomitance entre l’onde de crue et l’onde pluviométrique ou bien lorsqu’une mosaïque de petits bassins est activée avec des décalages tels que les différentes réponses individuelles rentrent en résonance lorsqu’elles rejoignent le drain principal. Un autre cas de figure bien spécifique est celui des crues nivales : la dynamique lente de la fonte des neiges peut se trouver accélérée par un épisode pluvieux intense avec une limite pluie-neige située très haut en altitude. Il est à noter que le réchauffement climatique des massifs montagneux va accroître la probabilité d’occurrence de ces crues nivales en dehors de leur période habituelle de printemps.
Régimes hydrologiques, cycles saisonniers, variabilité interannuelle
4Le régime hydrologique* est la réponse moyenne d’un système hydrologique au climat qui le gouverne. Le cycle saisonnier des débits de rivière dépend de la taille du bassin versant* drainé et des conditions de sol et de végétation qui y prévalent. Les climats tempérés sont souvent associés à une végétation bien développée et les régimes hydrologiques y sont assez réguliers au cours de l’année – ce qui n’exclut pas des inondations catastrophiques pour certaines configurations météorologiques exceptionnelles, comme à Paris en 1910 ou en Europe centrale en 2002 et 2013. À l’inverse, dans les régions tropicales où le régime pluviométrique de mousson impose une alternance de saison humide et de saison sèche, les régimes hydrologiques sont fortement dépendants de la taille des bassins considérés. En Afrique de l’Ouest, en Inde ou en Australie, beaucoup de bassins de tailles déjà conséquentes (quelques milliers de km2) coulent de manière épisodique, même en saison des pluies. Les très grands bassins, tels que le Nil ou le Niger, présentent quant à eux une onde de crue saisonnière bien connue, qui se forme en amont, dans des zones à forte pluviométrie, du fait d’une longue saison des pluies et de précipitations plus intenses, en raison de la présence de reliefs (Montagnes d’Éthiopie pour le Nil, Fouta-Djalon de Guinée pour le Niger). Cette crue s’étale le long de son parcours en même temps qu’elle se convolue avec les apports plus erratiques des zones semi-arides traversées – là où la mousson pénètre moins en profondeur et de manière plus sporadique – avant de rejoindre la mer. Les climats arctiques, ou d’altitude, sont également associés à des régimes hydrologiques fortement saisonniers, du fait du manque de précipitations liquides en hiver.
Fig. 2 – À Niamey, jusqu’aux années 1990, la crue du Niger était unimodale avec un pic début février, généré par les pluies tombant sur le Fouta Djalon en été (zone A), à quelques milliers de kilomètres en amont. Depuis le début des années 1990, l’hydrogramme saisonnier est devenu bimodal, un premier pic bien marqué apparaissant au mois de septembre : c’est la crue « rouge », générée par les pluies locales (zone B) du cœur de la saison humide qui érodent le sable rouge. Pour la première fois en plus de cent ans d’enregistrements, la crue rouge a dépassé en intensité la crue noire, en 2012 et 2013. Les courbes représentent l’hydrogramme moyen sur 20 ans et les zones grisées l’enveloppe des 16 années médianes. Source T. Lebel
5Le réchauffement climatique, et les modifications qu’il entraîne dans les climats régionaux, impacte déjà de manière visible le régime de certains cours d’eau. Même si la détection des changements de régime hydrologique* est difficile au plan statistique, les crues à répétition en Europe centrale au printemps sont la manifestation d’un renforcement des intensités pluviométriques, combi né avec la hausse des températures responsable d’une fonte plus brutale du manteau neigeux. En région tropicale, le réchauffement global se traduit par un climat plus extrême (périodes sèches plus longues et plus sévères, épisodes pluvieux plus intenses), et une modification du régime saisonnier des écoulements comme illustré par le cas du Niger à Niamey (figure 2).
Bibliographie
Références bibliographiques
• B. HINGRAY, C. PICOUET et A. MUSY – Hydrologie, une science pour l'ingénieur, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009.
• L. LLIBOUTRY – Traité de Glaciologie, Tome 1 : Glace, neige, hydrologie nivale, Dunod, 1964.
• D. R. MAIDMENT – Handbook of Hydrology, Mc Graw Hill Inc., 1993.
Auteur
Hydro-climatologue, Directeur de recherche à l'IRD, Directeur du LTHE, Grenoble, p. 102.
thierry.lebel@ujf-grenoble.fr
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