21. L’activation des protéines membranaires
p. 88-89
Texte intégral
1Les membranes sont des composantes essentielles des cellules, car elles permettent d’isoler le milieu aqueux intracellulaire et de diviser les cellules en compartiments distincts. En ce sens, elles rendent possible leur bon fonctionnement. Elles sont composées principalement de lipides, qui, en s’auto-assemblant, forment des bicouches fines (2 à 3 nanomètres d’épaisseur) à cœur hydrophobe* et imperméables à la plupart des espèces solubles (hydrophiles), comme les ions, les protéines et autres nutriments. Pour contrôler la grande la variété de fonctions biologiques nécessaires à la machinerie cellulaire (transport de matière, capture et stockage d’énergie, balance ionique, reconnaissance cellulaire…), les cellules ont recours à des protéines membranaires* enchâssées dans ces bicouches lipidiques (cf. II.20). Ce sont des chaînes d’acides aminés, qui se replient de façon à enfouir leurs domaines hydrophobes (souvent des hélices) au cœur des bicouches lipidiques, alors que les chaînes plutôt hydrophiles, qui relient ces domaines, forment des boucles repliées, qui s’étendent dans les milieux aqueux intra- et extra-cellulaires. L’eau est souvent qualifiée de « lubrifiant de la vie », en raison de son rôle promoteur de mouvements des protéines globulaires qu’elle hydrate, et qui sont essentielles à leur fonction. Pour décrire le rôle crucial joué par l’eau dans le fonctionnement de certaines protéines membranaires, nous prendrons comme exemple le domaine transmembranaire impliqué dans la signalisation électrique.
Cerveau et cœur
2Afin de communiquer avec l’extérieur, les cellules excitables doivent importer et exporter des ions et transmettre, ainsi, des signaux électriques. Parmi les composés essentiels des membranes de ces cellules se trouvent des protéines transmembranaires dédiées, appelées « canaux ioniques ». Ils sont très sélectifs et permettent de distinguer des espèces ioniques très similaires, de même charge, comme le sodium et le potassium, qui ne se différencient l’un de l’autre que par leur rayon ionique. L’ouverture et la fermeture des canaux ioniques sont souvent contrôlées par des stimuli comme le changement du potentiel transmembranaire*, le pH, la température ou encore l’amarrage de petites molécules spécifiques. Les canaux sont donc souvent classifiés selon leur sélectivité et leur mode d’ouverture/fermeture. Ainsi, un canal ouvert par un changement de potentiel transmembranaire et sélectif au potassium est appelé « canal potassique voltage-dépendant », tandis qu’un canal sélectif au sodium est appelé « canal sodique voltage-dépendant ».
Fig. 1 – Canal ionique sensible au voltage, enchâssé dans une membrane lipidique, montrant les domaines pore (rose) et le domaine sensible au voltage (DSV orange). Source M. Tarek
3Cette famille de canaux est particulièrement cruciale pour la transmission de l’influx nerveux le long des axones* des neurones, ou encore dans les cellules cardiaques. Chaque canal est constitué de quatre sous-unités, qui forment un pore central permettant le transport sélectif des ions, entouré de quatre domaines transmembranaires auxiliaires dits « domaines sensibles au voltage (DSV) », qui régulent la dépendance au voltage. Chaque DSV est formé par quatre hélices transmembranaires, dont une, S4, mobile, porte plusieurs acides aminés chargés positivement. Afin de stabiliser ces éléments, les autres hélices et les lipides qui entourent les canaux portent des groupements chimiques chargés négativement, qui s’apparient avec les charges positives. Pour compléter cet assemblage, de manière à créer un ensemble énergétiquement stable et fonctionnel, des molécules d’eau provenant des milieux intra- et extra-cellulaires pénètrent dans le corps de la protéine et viennent hydrater l’intérieur des 4 DSV, ce qui leur confère une forme de sablier. Les deux crevasses d’eau ne sont alors séparées que par une fine cloison hydrophobe* (septum) résultant de l’association charge-charge entre certains résidus du DSV, parmi lesquelles celles de S4.
4Il est impossible d’observer ce motif d’hydratation de manière expérimentale directe, et les chercheurs ont recours à des techniques de modélisation moléculaires pour étudier les propriétés et les implications des crevasses d’eau dans le fonctionnement de canaux sensibles au voltage. Une meilleure connaissance actuelle de ces dernières a été possible grâce à des simulations de dynamique moléculaire* (DM).
5Lors d’un changement dans le potentiel transmembranaire, l’hélice S4, qui contient la série de charges positives, se déplace au travers de la membrane. Son déplacement peut être suivi par électrophysiologie* en enregistrant les courants correspondant au transport de ses charges de part et d’autre de la membrane. Les simulations DM ont révélé que ces courants résultent précisément du transport de chacun des acides aminés chargés de S4 au travers de la cloison connectant les crevasses. Ainsi, la pénétration de molécules d’eau dans le domaine voltage-dépendant est à l’origine de la grande sensibilité de chaque canal ionique aux faibles variations du voltage transmembranaire. En l’absence d’eau, pour activer le canal, il faudrait transporter les charges d’un côté de la membrane à l’autre, une distance considérablement plus longue, requérant une énergie beaucoup plus grande.
Fig. 2 – Lors d’une mutation génétique, un changement d’un acide aminé au centre du DSV permet une accessibilité accrue à l’eau qui peut alors favoriser un transport d’ions. Source M. Tarek
Maladies génétiques
6Des découvertes récentes ont mis en lumière le fait que la topologie de ce domaine « hydraté » peut conférer d’autres propriétés aux DSV. Ainsi, une variation minime résultant de la distribution d’une séquence d’acides aminés appropriée dans S4 déstabilise partiellement la fine cloison hydrophobe, ce qui entraîne la formation d’un filet d’eau au sein du DSV. C’est le cas pour les canaux voltage-dépendants conducteurs de protons, cruciaux pour la mobilité des spermatozoïdes et, donc, pour la fertilité masculine. D’autres recherches ont montré que ce phénomène de déstabilisation du septum peut avoir un effet délétère, car il peut conduire à l’apparition de courants ioniques aberrants. Ces « courants de fuite », qui se créent au travers d’un DSV normalement imperméable aux ions, prennent naissance grâce à la présence de l’eau. Des dizaines de mutations de ce genre ont été à ce jour impliquées dans des maladies génétiques, telles que les arythmies cardiaques, l’épilepsie ou encore les paralysies périodiques musculaires. Alors même que d’autres mutations sont en cours d’étude, caractériser ce genre de phénomène au niveau moléculaire et, donc, considérer la topologie fine des DSV et les quelques molécules d’eau présentes dans ces domaines transmembranaires paraît crucial, afin d’envisager de nouvelles approches thérapeutiques individualisées.
Bibliographie
Références bibliographiques
• G. MACAGNO – Mille milliards de cellules, Ellipses, 2001.
• J. YOH-KAHN – Histoire de la science des protéines, EDP sciences, 2006.
• J.-M. DUBOIS – Canaux ioniques cellulaires, Polytechnica, 2000.
Auteurs
Chimiste, Directeur de recherche au CNRS, SRSMC, Nancy, p. 88.
mounir.tarek@univ-lorraine.fr
Chimiste moléculaire, Chercheuse au SRSMC, Université de Lorraine, Nancy, p. 88.
lucie.delemotte@gmail.com
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012