11. Confiner les liquides pour les comprendre : microfluidique et nanofluidique
p. 68-69
Texte intégral
1Transporter, aiguiller et stocker des tonnes d’eau est un problème qui a commencé à être résolu pour contrôler l’irrigation des cultures, il y a plus de 7 000 ans. Paradoxalement, effectuer ces mêmes opérations sur des volumes de liquides comparables à celui d’une goutte n’a été possible qu’à la fin du XXe siècle. La microfluidique est précisément l’ensemble des outils et la science dédiés au transport des liquides aux échelles inférieures au microlitre. Cette révolution technique est à la fois née de besoins et de moyens de manipulation nouveaux.
2La microélectronique a permis en 50 ans de réduire la masse d’un calculateur de plusieurs tonnes à quelques grammes, tout en augmentant fortement sa puissance de calcul. La microfluidique a émergé du détournement des techniques de microfabrication de circuits intégrés, principalement la lithographie, pour la production de réseaux de canaux fluidiques de largeurs comprises entre la dizaine et la centaine de micromètres, le diamètre typique d’un cheveu (figure 1). Ces techniques de gravure du silicium ont alors rapidement laissé place à des méthodes de lithographies douces, simples, peu coûteuses et permettant la réalisation de microcircuits en matériaux plastiques. Ces méthodes ont initié l’invasion des laboratoires de recherches en physique, chimie et biologie par des puces microfluidiques, qui sont passées du statut d’instrument de pointes à de simples consommables ces vingt dernières années. La motivation initiale de ce détournement était technique. Miniaturiser un laboratoire de chimie sur une puce permet de réduire les risques et les coûts, tout en augmentant la précision et la parallélisation des analyses.
Sonder les propriétés des fluides
3Au-delà de l’immense spectre d’applications offert par la microfluidique, celle-ci constitue aussi un formidable outil pour comprendre comment les fluides s’écoulent. Aux échelles macroscopiques, les écoulements de l’eau et de tous les liquides sont décrits par trois relations entre les variations temporelles et spatiales du champ de vitesse de ces milieux continus. Les deux premières sont la conservation de la masse* et celle de l’impulsion* (le produit de la masse par la vitesse), deux lois physiques universelles. La troisième relation relie la force requise pour mettre un liquide en mouvement à la vitesse à laquelle il s’écoule. Cette relation constitutive est spécifique à la structure microscopique de chaque liquide. Pour des liquides simples comme l’eau, elle est caractérisée par une seule quantité, la viscosité*, qui quantifie la résistance aux écoulements. Mais l’ajout de très faibles quantités de polymères ou d’inclusions peut radicalement modifier cette relation. La simple addition de quelques grammes d’agar dans un litre d’eau peut la transformer en un solide mou. Comprendre la façon dont un gel, une émulsion ou une mousse s’écoulent nécessite de sonder ces matériaux sous l’échelle à laquelle ils nous apparaissent comme des milieux continus. C’est le couplage intime entre le mouvement du liquide et les déformations des objets qui y sont dispersés aux échelles micrométriques qui conditionnent les propriétés mécaniques macroscopiques de ces systèmes. La microfluidique couplée aux outils de microscopie modernes permet de sonder ces fluides complexes à ces échelles. Sans avoir à imposer de grandes vitesses d’écoulement, leur confinement permet de solliciter et de déformer fortement les constituants ou la structure des fluides complexes sur des échelles de temps courtes devant le temps de relaxation de leur structure.
Exalter les écoulements en les confinant
4En poussant davantage la miniaturisation des canaux dans lesquels les fluides s’écoulent, pouvons-nous espérer encore mieux les comprendre ? Répondre à cette question est l’un des enjeux de la nanofluidique, qui étudie le transport fluidique à des échelles nanométriques, c’est-à-dire quelques diamètres moléculaires. Des nanocanaux existent dans la nature, les aquaporines, des protéines transmembranaires omniprésentes dans le corps humain, dont le canal interne est de taille nanométrique et dont les propriétés de filtration sont remarquables, avec à la fois une grande perméabilité à l’eau et une grande sélectivité vis-à-vis des autres molécules (cf. II.18). Quelles sont les échelles sous lesquelles même des liquides comme l’eau, simples du point de vue de la mécanique, ne s’écoulent plus conformément à l’intuition que nous fournit notre monde macroscopique ? Des études expérimentales et numériques ont montré la validité des équations hydrodynamiques volumiques pour des confinements allant jusqu’à 1 nanomètre. L’un des défis de la nanofluidique est maintenant de caractériser les écoulements dans des canaux encore plus petits. Un paramètre important en nanofluidique est la friction du liquide à la paroi. La vitesse du fluide est usuellement nulle à la paroi, c’est une « condition limite de non-glissement ». Il est cependant aussi possible que le liquide glisse à la paroi. Cette « longueur de glissement » correspond à la distance à laquelle il faudrait extrapoler le profil de vitesse pour atteindre une vitesse nulle. Il a récemment été montré que cette longueur peut être de l’ordre de la dizaine de nanomètres pour un liquide simple, comme de l’eau en écoulement près d’une paroi hydrophobe*. Le glissement conditionne les lois des écoulements dans des canaux de taille comparable à cette longueur caractéristique. Au-delà de l’intérêt en termes de réduction de friction, des chercheurs ont récemment mis en évidence la très haute perméabilité de membranes synthétiques constituées de nanotubes de carbone. Ces nouveaux matériaux laissent entrevoir de nouvelles révolutions possibles pour la dessalination de l’eau de mer et la conversion énergétique.
Fig. 2 – Résultat d’une simulation numérique du transport de molécules d’eau au travers d’un nanotube de carbone. © J. Reese
Bibliographie
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Références bibliographiques
• P. TABELING – Introduction à la microfluidique, Belin, 2003.
10.1039/B909366B :• L. BOCQUET et E. CHARLAIX – Nanofluidics, from Bulk to Interfaces, Chemical Society Reviews, 39, http://arxiv.org/pdf/0909.0628.pdf, 2010.
Auteurs
Physicien, Professeur à l’École Normale Supérieure de Lyon, Lyon, p. 68.
denis.bartolo@ens-lyon.fr
Physicienne, Chargée de Recherche au CNRS, ILM Université Claude Bernard, Lyon, p. 68.
cecile.cottin-bizonne@univ-lyon1.fr
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2012