9. L’eau au cœur de l’électrolyse et des piles à combustible
p. 64-65
Texte intégral
« L’eau, décomposée en ses éléments par l’électricité, sera un jour employée comme combustible. L’hydrogène et l’oxygène qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisable. »
Jules Verne, L’île mystérieuse, 1874.
1L’eau est un solvant* universel (cf. II.8), dont la dissociation a permis de définir le concept de Bronsted-Lowry* de l’acido-basicité (donneur-accepteur de protons), et elle sert de modèle de base pour tout type de milieu : moléculaire, sels fondus* ou liquide ionique*. La présence de l’eau est prépondérante dans un grand nombre de solvants, mais elle peut aussi se trouver à l’état de traces et avoir une forte influence sur les propriétés physico-chimiques des espèces dissoutes. L’eau joue un rôle primordial dans des dispositifs électrochimiques très variés de par la nature des électrodes, électrolytes et de par les applications visées. En effet, l’électrolyse de l’eau ou sa décomposition à l’aide d’une énergie fournie par un générateur de courant ou de potentiel, bien qu’étant connue depuis plus de cent ans, tend à devenir un enjeu stratégique pour produire le fameux « vecteur énergétique » du futur, la « molécule décarbonée de l’hydrogène ». Plutôt que décomposée, cette eau peut être produite à travers une pile à combustible* ou pile à hydrogène, générateur électrochimique qui fait réagir en douceur de l’hydrogène et de l’oxygène pour produire de l’électricité, de la chaleur et, précisément, de l’eau. Ces technologies prennent un grand essor, car elles répondent aux besoins actuels de produire plus d’énergie et de façon plus propre à partir de ressources renouvelables (soleil, vent, biomasse, eau…). Un aspect primordial est la diversité de solutions pour la mise en œuvre, tant de l’électrolyse de l’eau, que de sa production à travers une pile à combustible. Il existe des gammes de température allant de l’ambiante jusqu’à 900°C, des pressions allant de l’atmosphérique à des dizaines de bars, des matériaux d’électrodes allant du métal noble à des familles diverses de composés, et des électrolytes allant du milieu aqueux aux électrolytes solides, en passant par des sels fondus, des liquides ioniques ou des solvants organiques. Il s’agit donc d’un monde très riche du point de vue scientifique et technologique.
L’eau comme source énergétique : l’électrolyse
2La vision la plus simple de l’électrolyse de l’eau est donnée en milieu aqueux acide (figure 1). La réaction globale est la suivante : 2H2O = 2H2 + O2. Les réactions d’oxydation* de l’eau et de réduction* des protons ont lieu, respectivement, à l’anode (pôle positif) et à la cathode (pôle négatif) d’un électrolyseur. À l’anode : 4H+ + 4e- → 2H2 ; et à la cathode : 2H2O → O2 + 4H+ + 4e-.
3D’après les données thermodynamiques associées aux réactions mises en jeu, la décomposition de l’eau nécessite un apport énergétique externe important. L’enthalpie de dissociation* de l’eau en H2 est égale à + 285 kJ/mol à 298 K ; elle n’est donc pas spontanée et requiert un apport d’énergie externe provenant, par exemple, d’un générateur de courant. Ce type de processus peut aussi avoir lieu à plus haute température, notamment avec un électrolyte à oxyde solide fonctionnant à 800°C, ce qui permet d’économiser l’énergie électrique du générateur et d’utiliser directement de la vapeur d’eau à haute température et pression provenant, par exemple, des réacteurs nucléaires. Vu le parc nucléaire français actuel, une production massive d’hydrogène dans ces conditions est très attractive.
L’eau produite par les piles à combustible
4Contrairement à l’électrolyse, les piles à combustible font réagir spontanément l’hydrogène et l’oxygène de l’air pour produire de l’énergie électrique, thermique et de l’eau. Ce sont des générateurs électrochimiques utilisant des cellules dites « galvaniques » (en hommage au scientifique italien, Luigi Galvani 1737-1798). Il existe un grand nombre de dispositifs de ce type, différenciables par leur température d’utilisation et par la nature de l’électrolyte (solution conductrice d’ions qui sépare l’anode et la cathode). À l’anode : 2H2 → 4H+ + 4e-. À la cathode : O2 + 4H+ + 4e- → 2H2O. Et la réaction globale : 2H2 + O2 ↔ 2H2O + énergie.
5Les piles à combustible ont de nombreuses applications, comme la production stationnaire d’énergie électrique et thermique à plusieurs échelles, allant de véritables centrales au résidentiel ; le portable et les microsystèmes ; et les transports automobile, naval et bientôt aérien. Des flottes de voitures et d’autobus à pile à combustible ou hydrogène existent déjà depuis plus de vingt ans (figure 2). L’utilisation de piles à combustible est en croissance continue, toutes technologies confondues, comme le montre la puissance annuelle installée dans le monde (figure 3).
6Pour conclure, l’eau est une source énergétique extraordinaire permettant de produire de l’énergie décarbonée à travers l’hydrogène, ce « vecteur énergétique » libérant trois fois plus d’énergie que la quantité équivalente d’essence. Si l’énergie nécessaire à l’électrolyse de l’eau est d’origine renouvelable (solaire, éolienne, géothermique…), le procédé peut être considéré comme propre. Par ailleurs, il est possible d’allier la cogénération d’énergie électrique et thermique, à travers des piles à combustible, à la production d’eau. Ces idées simples sont à la base d’applications très variées, innovantes du point de vue conceptuel et des matériaux utilisés et de grand enjeu sociétal sur les plans économique et environnemental.
Bibliographie
Références bibliographiques
• F. LAPICQUE et M. CASSIR – Procédés de conversion d’énergie : batteries, piles à combustible et procédés non électriques, L’Actualité chimique, 2010.
• M. CASSIR – Les piles à combustible et les batteries : des technologies « vertes » pour l’énergie, In Le développement durable à découvert, A. EUZEN, L. EYMARD et F. GAILL (dir.), CNRS Éditions, 2013.
Auteur
Physico-chimiste, Électrochimiste, Professeur des Universités à Chimie ParisTech, IRCP, Paris, p. 64.
michel.cassir@chimie-paristech.fr
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