1. L’eau, omniprésente et étonnante
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Texte intégral
1Que d’eau ! Elle est partout, aux confins du système solaire dans les comètes du nuage de Oort*, sur les lunes glacées des planètes géantes, dans les cailloux que nous foulons tous les jours (au moins 1 % en poids), en nous bien sûr, et même dans le soleil, en quantité supérieure aux océans terrestres ! Mais comment fait-elle pour s’adapter à tous ces environnements ? Car la molécule d’eau est presque dérisoire, maigrichonne (3 Å de diamètre, soit 3 dixièmes de milliardième de mètre), et constituée par les deux éléments les plus communs dans le cosmos (l’hydrogène H et l’oxygène O). Et pourtant, sa forme en V si singulière n’a été identifiée que dans les années 1930, et depuis lors, ses capacités ne cessent de fasciner les chercheurs.
2Lorsqu’une molécule d’eau rencontre une autre molécule d’eau, elle n’a de cesse, avec l’une de ses deux mains (les atomes H, chargés positivement) d’attraper l’un des deux pieds de l’autre (ces derniers représentent alors l’excès d’électrons porté par l’oxygène) pour former une « liaison hydrogène ». Lorsqu’elles sont en masse, elles forment un réseau dans tout l’espace, où chacune d’elles s’agrippe par les mains et par les pieds à quatre voisines (figure). Comme dans une farandole en 3D, elles changent constamment de partenaire : elles lâchent un pied, puis pivotent pour attraper un autre pied libéré, ce « pas de danse » s’effectuant en seulement 2 picosecondes…
3En présence d’un corps étranger (un soluté), et suivant sa nature, elles ont deux réactions. Soit elles s’empressent de tendre les mains pour s’accrocher à lui (le soluté est dit « hydrophile* »), soit elles s’en détournent (le soluté est dit « hydrophobe* ») et elles continuent leur farandole en prenant bien soin de l’éviter. Ainsi, les gaz comme le dioxyde de carbone (CO2) ou le diazote (N2) sont peu solubles dans l’eau, car ils sont hydrophobes. En dessous de 0°C, l’eau adopte une autre stratégie, elle se réorganise pour enfermer ces gaz dans des cages rigides, mais instables (les hydrates de gaz ou clathrates*). Le fond des océans et le pergélisol* contiennent une quantité gigantesque de méthane, un gaz à effet de serre, qui pourrait être relâché dans l’atmosphère avec le réchauffement climatique.
4Lorsqu’elles rencontrent un sel, comme NaCl (sel de cuisine), les molécules d’eau l’entourent pour tenter de séparer les ions positifs des ions négatifs (Na+ et Cl–). Elles tirent fort afin que quelques molécules puissent s’immiscer entre les ions en formant alors un écran si efficace que les ions ne se voient pratiquement plus et sont emportés chacun de leur côté (écrantage diélectrique*). Au contact des roches, l’eau a trouvé une autre astuce pour y pénétrer : elle s’arrache un bras (c’est la dissociation de la liaison OH). Une fois installée, elle modifie la roche en s’agrippant à tous ses éléments. Comme l’eau de mer pénètre profondément dans le manteau terrestre (par la subduction* océanique*), elle joue un rôle important dans le volcanisme en se mélangeant au magma. Une lave volcanique riche en eau voit sa viscosité* augmenter considérablement lorsque l'eau s'en échappe (lors de la remontée du magma), ce qui peut rendre le volcan beaucoup plus explosif et dangereux.
5Pour finir, la contribution de l’eau au fonctionnement du vivant reste encore un mystère, mais il se dévoile peu à peu. Dans le milieu intracellulaire, l’eau recouvre les protéines et les acides nucléiques* et facilite certains redéploiements moléculaires au détriment d’autres, processus à la base de leur activité biologique. En d’autres termes elle met de l’huile dans les rouages.
Auteur
Physicien, Directeur de recherche au CNRS, LPTMC, Paris, p. 49.
guillot@lptmc.jussieu.fr
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