12. Les grands enjeux de l’eau au xxie siècle
p. 42-43
Texte intégral
1Il y a 25 ans, l’hydrologue suédoise Malin Falkenmark présentait l’indice de pénurie en eau. Fondé sur un calcul simple – la division de la ressource en eau disponible par le nombre d’habitants –, cet indicateur fait apparaître une vaste zone allant du Maroc au Pakistan, où les problèmes sont censés être les plus graves. S’il souligne les cas où les ressources sont physiquement limitées, l’indice de pénurie en eau masque d’autres problèmes : ainsi, dans des pays à la ressource abondante, comme la République Démocratique du Congo, les maladies liées à l’eau font encore des ravages. Les enjeux liés à l’eau ne peuvent être appréhendés en ne considérant que le volume d’eau disponible, car il faut aussi prendre en compte la capacité des États à amener l’eau là où sont les besoins et quand ils surviennent. Bien des États souffrent plus d’un manque criant d’investissement dans le domaine de l’eau que d’une pénurie physique.
2Pour comprendre les enjeux contemporains liés à l’eau, il faut donc considérer l’imbrication de l’eau avec les questions de développement, de sécurité alimentaire, de développement urbain et de santé, qui s’articulent à différentes échelles. La « bonne » gestion de l’eau constitue l’un des défis majeurs du XXIe siècle : la résolution des problèmes liés à la « crise de l’eau » entraînera une amélioration dans d’autres domaines, comme la santé publique et l’alimentation. Mais si cette crise s’aggrave, toutes les autres activités humaines en subiront les conséquences.
Trois défis majeurs
3L’eau tient une place centrale dans la satisfaction des besoins humains fondamentaux : sans irrigation, la production alimentaire mondiale s’effondrerait, sans accès à l’eau potable et à l’assainissement*, il serait impossible d’améliorer les conditions sanitaires des populations, et sans protection des ressources en eau, la plupart des écosystèmes verraient leur situation rapidement se dégrader.
4L’agriculture irriguée est de très loin le secteur qui prélève et consomme le plus d’eau dans le monde : 2 700 km3 par an, soit 70 % du total mondial, 90 % pour le volume consommé (cf. IV.4). Deux facteurs poussent à l’augmentation de cette demande : d’une part, la hausse continue de la population mondiale et d’autre part, les changements de régime alimentaire. La hausse du niveau de vie entraîne, en effet, celle de la part de l’alimentation carnée, qui demande plus d’eau pour sa fabrication. Le quatrième Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau prévoit ainsi que la demande agricole devrait passer de 3 100 à 4 000 millions de mètres cubes par an de 2010 à 2030, y compris en prenant compte les progrès techniques.
5Dans le même temps, la demande pour satisfaire un autre besoin humain fondamental – l’accès à une eau salubre et donc la lutte contre les maladies liées à l’eau, qui font au moins 1,8 million de morts chaque année selon l’OMS – augmente rapidement. Huit cents millions d’êtres humains n’ont toujours pas un accès minimal à l’eau potable en 2015 (soit 25 litres par personne et par jour à moins de 200 mètres du domicile). Des progrès ont été réalisés depuis l’an 2000 pour réaliser cet « objectif du Millénaire » (réduire de moitié la part de la population n’ayant pas cet accès minimal), puisque la proportion d’habitants ayant « accès à l’eau » est passée de 76 % à 89 % au niveau mondial entre 1990 et 2012, et de 48 % à 64 % pour l’Afrique sub-saharienne. Mais cela est sans compter les 4 milliards d’habitants n’ayant pas un accès satisfaisant (en terme de qualité, de pression, d’absence de coupures d’eau prolongées). Par ailleurs, plus d’un tiers des habitants de la planète n’a pas accès à un assainissement décent et une minorité utilise un système de traitement des eaux usées satisfaisant. L’accès à l’eau et à l’assainissement est un enjeu de justice sociale. Plus les populations sont pauvres, moins elles ont accès à l’eau et plus elles paient cher, notamment à cause de la multiplication des intermédiaires.
6Enfin, s’il est possible de résoudre temporairement les problèmes liés à l’eau par la construction d’immenses barrages ou de transferts d’eau à grande distance, les catastrophes comme celle de la Mer d’Aral ont montré que les prouesses techniques ne servent à rien si la protection des hydrosystèmes aquatiques n’est pas prise en compte. Avec les techniques actuelles, la ressource « brute » peut devenir plus facilement disponible, mais à cause de la baisse de la qualité, induite par les pollutions industrielles, agricoles et urbaines, l’eau ne peut parfois plus répondre aux besoins et le coût de son traitement augmente. Au niveau mondial, le risque est bien celui d’une pénurie d’eau de « bonne qualité » qu’il est difficile à quantifier.
Diversité et complexité des enjeux
7Ces trois défis montrent la complexité des enjeux liés à l’eau, où s’entremêlent des questions agricoles, sanitaires, environnementales, climatiques (comme la variabilité des précipitations) et géopolitiques (comme la dépendance vis-à-vis des Etats). Sur la carte du monde (figure), trois grands groupes apparaissent, selon les enjeux dominants. Dans les pays anciennement industrialisés, les problèmes liés à la pollution de l’eau et à la destruction des milieux aquatiques sont les plus pressants. À l’inverse, les États les plus pauvres, surtout en Afrique subsaharienne, et secondairement en Amérique latine et en Asie, sont confrontés à des questions d’accès à l’eau et à l’assainissement, ainsi qu’à la faible maîtrise des ressources pour l’agriculture. Enfin, en Afrique du Nord et en Asie occidentale, la pression sur la ressource est la question la plus importante. Dans ces États, où les prélèvements dépassent en moyenne 50 % de la ressource disponible, des problèmes aigus de pénurie physique apparaissent lors de périodes de sécheresse prolongée. Des facteurs peuvent venir aggraver ces problèmes et créer des conflits aigus, comme la variabilité des précipitations et donc du débit des cours d’eau, ou encore la dépendance vis-à-vis de pays tiers, comme l’Égypte dans le bassin du Nil.
Représentation spatiale des enjeux liés à l'eau. Les facteurs d’ordres climatiques (comme la variabilité des précipitations), géopolitiques (comme la dépendance vis-à-vis des États voisins) ou économique (comme le manque de capacité d’adaptation) sont représentés. Source D. Blanchon
8Enfin, dans certains États, différents problèmes se combinent. Cela est le cas de l’Afrique du Sud, qui connaît à la fois des problèmes graves de pollutions industrielles liés notamment à l’exploitation des mines, de non-accès à l’eau potable et à l’assainissement pour les populations défavorisées dans les townships et des pressions importantes dans de nombreux bassins versants surexploités, le tout aggravé par une forte variabilité des précipitations qui oblige à construire de vastes barrages et un système complexe de transferts d’eau. Des régions de grands pays, comme l’Ouest des États-Unis, la Chine du Nord ou la plaine indogangétique sont confrontées à la coalescence des problèmes liés à l’eau.
Bibliographie
Références bibliographiques
• M. FALKENMARK – Global Water Issues Confronting Humanity, Journal of Peace Research, vol. 27, n° 2, 1990.
• FAO Aquastat – www.fao.org/nr/water/aquastat/main/indexfra.stm
• P. LAWRENCE, J. R. MEIGH et C. A. SULLIVAN – The Water Poverty Index: an International Comparison, Centre for Ecology and Hydrology, 2003.
• UNESCO/WWAP – Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002269/226962f.pdf, 2014.
• D. BLANCHON – L’eau, une ressource menacée ? La documentation photographique, dossier n° 8078, 2010.
Auteur
Géographe, Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre, Institut Universitaire de France, Nanterre, p.42.
dblanchon@u-paris10.fr
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2012