5. Eau, climat et biodiversité
p. 28-29
Texte intégral
1La planète Terre, en raison de sa position particulière autour du Soleil, présente de l’eau en surface sous forme liquide, solide et gazeuse. Cette eau provient du dégazage de la Terre par le biais du volcanisme et de l’intense bombardement météoritique qu’a connu la planète, principalement entre 4,5 et 4 milliards d’années avant notre ère. D’après les données isotopiques obtenues sur des roches très anciennes, la Terre était à cette époque beaucoup plus chaude qu’actuellement. Puis, le climat a connu une alternance de périodes froides et chaudes, ce qui a conduit à une modification de la distribution de l’eau entre ses trois phases. Les données de terrain montrent, par exemple, qu’il y a 700 millions d’années, le climat devait être particulièrement froid, avec une planète probablement entièrement gelée. Des périodes très chaudes ont aussi été révélées de la même manière, avec des climats tropicaux aux pôles. Ces grandes variations climatiques sont le résultat de l’insolation que nous recevons du Soleil, mais aussi de nombreux paramètres, tels que la position des continents, la mise en place des grandes provinces basaltiques libérant des gaz à effet de serre (CO2, H2O…).
L’eau, régulatrice du climat
2La vie s’est développée principalement dans les océans, avec l’apparition d’organismes très simples. Elle s’est ensuite complexifiée très progressivement et il a fallu attendre près de 4 milliards d’années pour que la végétation se développe sur les continents. Cette « colonisation » des continents par les végétaux a modifié de nombreux cycles, notamment ceux du carbone et de l’eau. En effet, la végétation a la capacité de stocker ou d’échanger du CO2 avec l’atmosphère. De plus, par sa capacité à pomper de l’eau au niveau des racines dans le sol et à en réémettre par les feuilles (processus d’évapotranspiration, cf. III.19), elle impacte profondément le cycle de l’eau. À titre d’exemple, dans les régions tropicales, où il pleut environ 1 500 mm d’eau par an, 1 150 mm repartent dans l’atmosphère et seuls 350 mm sont exportés par le biais des rivières jusqu’à l’exutoire* des bassins versants.
3S’il est admis que le climat modifie le cycle de l’eau, le rôle essentiel joué par l’eau comme régulateur du climat est beaucoup moins bien connu. Les observations de l’évolution des étoiles du même type que le soleil ont permis d’établir que l’insolation solaire reçue par la Terre a augmenté de 25 % depuis sa formation. Par ailleurs, l’activité volcanique qui libère du CO2 dans l’atmosphère n’a pas été constante. Sans mécanisme régulateur, il serait impossible d’expliquer l’évolution des climats de notre planète. La Terre, du fait de l’augmentation de l’insolation qu’elle reçoit du soleil, devrait se réchauffer, ce qui n’est pas observé.
4Le mécanisme régulateur, tel qu’il a été proposé il y a très longtemps par Jacques-Joseph Ebelmen, puis par James Walker, dans les années 1980, a été confirmé depuis par des études récentes sur l’altération des roches silicatées (granite, gneiss, basaltes…). L’altération a pour effet de libérer des ions Ca2 + contenus dans les minéraux silicatés, qui sont transportés par les fleuves et les rivières, puis précipitent sous forme de carbonate (CaCO3) marins ou continentaux. Ce mécanisme a comme conséquence de consommer du CO2 atmosphérique. Parmi les paramètres qui contrôlent l’intensité de l’altération se trouvent, entre autres, la quantité d’eau et la température, tous deux étant des paramètres climatiques.
5Cette longue histoire des interactions entre le climat et le cycle de l'eau va sans doute connaître de nouveaux et rapides changements dans les décennies à venir. En effet, avec le réchauffement du climat, les océans et les continents émettront plus d'eau vers l'atmosphère. Globalement, la tendance est donc à l'augmentation des précipitations. Mais, la distribution temporelle, et surtout géographique, des pluies sera modifiée par rapport à la situation actuelle. D'une manière générale, le contraste entre les régions sèches et humides, et entre les saisons sèches et humides, augmentera. En France, par exemple, les étés devraient être plus secs et les hivers plus humides. Par ailleurs, les événements pluvieux extrêmes devraient augmenter en intensité et en fréquence aux latitudes moyennes et dans les régions tropicales.
Réponse du vivant au changement global
6De nombreuses composantes du bilan hydrique seront donc modifiées à brève échéance, en particulier le ruissellement et l'évapotranspiration*, ce qui jouera sur la disponibilité en eau pour les sociétés humaines, comme pour l'ensemble des organismes vivants. S’il faut s’attendre à des inondations plus fréquentes et plus violentes dans les régions tropicales, notamment pendant la saison des moussons, un grand nombre de pays connaîtront une raréfaction de la ressource en eau, saisonnière ou permanente. La France, par exemple, devrait subir des étiages plus sévères en raison de débits moyens annuels des cours d'eau inférieurs de 20 % en moyenne d’ici 2070, jusqu’à 40-60 % dans les bassins Adour-Garonne ou Seine Normandie. Des restrictions de prélèvements seront inévitables, qui auront un impact négatif sur la production d’électricité et les rendements agricoles, voire le trafic fluvial, comme en 2003 sur le Rhin. Les nappes phréatiques* auront plus de mal à se recharger et leur niveau devrait baisser, d’une dizaine de mètres sous certains plateaux du sud-ouest. Les zones humides, très riches en espèces, régresseront et, du fait de la sécheresse des sols, la productivité primaire* de bien des écosystèmes sera plus faible qu’actuellement.
Aux latitudes moyennes, les événements pluvieux extrêmes devraient augmenter dans les années à venir. © W. Kay
7La disponibilité en eau et la température sont deux déterminants majeurs de la distribution des espèces, en milieu aquatique comme en milieu terrestre. Les organismes vivants répondent de deux manières aux changements climatiques : l’adaptation à moyen et long termes et le déplacement à court terme. Dans les rivières, la truite commune tend actuellement à régresser à la périphérie de son aire de distribution actuelle, alors que le vairon gagne du terrain un peu partout. Le saumon, espèce migratrice, pourrait disparaître totalement de certains bassins d’ici 2100, dans le cas du scénario climatique le plus pessimiste.
8Les végétaux terrestres, ainsi que les espèces animales et les micro-organismes qui leur sont associés, devront migrer de 100 à 150 km vers le nord en un siècle. Bien des êtres vivants perdront la course de vitesse avec les zones climatiques. Ainsi, les taux d’extinction prévisibles dépendent pour une large part des capacités de migration. Dans le cas des plantes européennes, par exemple, le taux d’extinction passe de 7 %, sous l’hypothèse d’une capacité de migration sans limite, à 22 % sous l’hypothèse d’une absence totale de capacité de migration. Les assemblages d’espèces seront donc très différents de ce que nous connaissons aujourd’hui, et les écosystèmes connaîtront très probablement une période de désorganisation, transitoire mais intense, avant d’emprunter de nouvelles trajectoires d’évolution.
Bibliographie
Références bibliographiques
• J. GAILLARDET, M. ROTARU, M. STEINBERG et J. TRICHET – Les climats passés de la Terre, P. DE WEVER (dir.), Vuibert, 2016.
• J.-F. DECONINCK – Paléoclimats. L'enregistrement des variations climatiques, Vuibert, 2014
Auteurs
Géochimiste, Directeur de recherche retraité du CNRS, Ancien directeur de l’OMP, Toulouse, p.28.
sebelbalilu@orange.fr
Écologue, Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, Paris, p.28.
abbadie@biologie.ens.fr
Géochimiste, Professeur à l’Université Paul Sabatier, Géosciences Environnement Toulouse, Toulouse, p.28, p.174.
jerome.viers@get.obs-mip.fr
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2012