3. L’eau et les origines de la vie
p. 24-25
Texte intégral
1Tout organisme vivant, de la simple cellule à la méduse, contient une très grande quantité d'eau (de 70 % à 99 % pour la méduse). Les tardigrades (ou « oursons d’eau ») sont les animaux les plus résistants que nous connaissons, et ils ne retrouvent leurs propriétés vitales, après dessiccation*, qu’en recouvrant les 99 % d’eau perdue en cryptobiose (cf. III.15). La vie sans eau liquide est aujourd’hui inimaginable.
L’eau, indispensable à la vie
2Depuis ses origines, 90 % de l’histoire de la vie s’est déroulée dans l’eau et l’analyse isotopique* de l’oxygène 18O/16O extrait du plus vieux minéral connu, le zircon (découvert en Australie et datant de -4,4 milliards d’années), révèle que la Terre abritait déjà à cette époque un ou plusieurs océans d’eau liquide. Contrairement aux océans actuels, dont le pH est légèrement basique (aux environs de 8), le pH des premiers océans était alors inférieur en raison du niveau élevé de CO2 (0,1 à 1 atmosphère). Des conditions très acides ou très basiques, telles que celles rencontrées près des sources hydrothermales, qu’elles soient sous-marines ou de surface, auraient donc pu permettre le déroulement des premiers événements chimiques précurseurs du vivant (chimie pré-biotique*).
3Charles Darwin, fondateur de la théorie de l’Évolution, déclarait en 1871 : « Mais si (et oh !, quel grand si) nous pouvions concevoir, dans quelque petite mare chaude, en présence de toutes sortes de sels d'ammoniac et d'acide phosphorique, de lumière, de chaleur, d'électricité, etc., qu'un composé de protéine fût chimiquement formé, prêt à subir des changements encore plus complexes, au jour d'aujourd'hui une telle matière serait instantanément dévorée ou absorbée, ce qui n'aurait pas été le cas avant l'apparition des créatures vivantes ».
4Ainsi, la recherche des origines de la vie se concentre principalement sur les voies de passage d’une chimie pré-biotique à une biologie simple dans l’eau, au sein d’une cavité rocheuse, où des cycles d’hydratation et de sécheresse ont pu se produire sur des surfaces minérales. Des traces fossiles de formes cellulaires datant de 3,5 milliards d’années ont été retrouvées dans les stromatolithes* qui gisent dans des eaux saumâtres* (figure). En plus des analyses sur le terrain, beaucoup de recherches sont menées en laboratoire. Certains chercheurs reproduisent l’environnement où s’épanouissent les sources chaudes sous-marines, qui jaillissent de volcans des rides océaniques situées en moyenne à 3 000 m de profondeur, d’autres alternent les périodes de sécheresse et d’hydratation en surface (dans une « mare chaude »), d’autres encore font intervenir des argiles* ou des sulfures de fer. Enfin, des recherches sont menées sur les glaçons, les gouttelettes finement dispersées dans les brouillards et les nuages, qui peuvent rester liquides bien au-dessous de 0°C (cf. II.2) et qui auraient pu favoriser sur Terre l’apparition d’un grand nombre de composés organiques, dissous, concentrés et prêts à réagir chimiquement.
Les stromatolithes* résultent de l’activité de Cyanophycées (algues bleues) qui piègent et cimentent avec du carbonate de calcium CO3Ca des particules détritiques. Une fine lamination indiquant une croissance par encroûtements successifs produit des monticules qui affleurent au niveau de la mer. © P. Harrison
Scenarii d’apparition de la vie
5Dès les années 1920, Alexander Oparin (1894-1980) et John Haldane (1892-1964) ont proposé, dès les années 1920, le scénario dit de « l’océan primitif », sorte de « soupe pré-biotique » dans laquelle se seraient déposées des molécules organiques formées dans l’atmosphère réductrice et entraînées par les nombreuses pluies se déversant sur la planète. Ces molécules, méthane (CH4), ammoniac (NH3), eau (H2O) et hydrogène (H2) auraient réagi dans l’eau du bouillon primitif pour former des molécules simples, acide cyanhydrique (HCN produit de la réaction du méthane et de l’ammoniaque) et formaldéhyde* (HCHO issue de la combinaison de l’eau et du méthane). Le mélange de formaldéhyde et d’acide cyanhydrique dans l’eau, bénéficiant d’un apport d’énergie thermique, électrique (éclairs) ou photonique (UV solaire) aurait progressivement évolué pour donner les briques élémentaires du vivant et les vésicules (coacervats*), premières « niches écologiques » capables de concentrer et de rapprocher les réactants* pré-biotiques. Stanley Miller a testé cette formidable hypothèse en construisant en 1953 le premier appareillage capable de reconstituer les conditions primordiales. Grâce à ce réacteur, il a réussi la synthèse pré-biotique de cinq acides aminés artificiels en tout point identiques aux acides aminés naturels, éléments de base des protéines de toutes les cellules vivantes.
6Dans les années 1960, Juan Oro a combiné cinq molécules d’acide cyanhydrique (HCN) et obtenu les bases azotées de nos acides nucléiques*, supports moléculaires des chromosomes. Dans ces conditions, la principale voie de synthèse conduit à l’adénine* constitutive de l’ARN (acide ribonucléique) et de l’ADN (acide désoxyribonucléique), mais aussi des coenzymes* et de l’ATP* (adénosine triphosphorique), molécule-clé, responsable du stockage de l’énergie chimique de nos cellules. Enfin, la combinaison, en laboratoire, de molécules de formaldéhyde permet de fabriquer des sucres, en particulier un sucre à cinq atomes de carbone, le ribose*, éléments de base de la molécule d’ARN.
7Beaucoup de questionnements subsistent pour reconstituer de manière stable et quantitative la biomasse primitive en suivant toutes les étapes décrites ci-dessus. Des interrogations portent, par exemple, sur la composition de l'atmosphère primitive, ainsi que sur la teneur et sur la concentration des molécules dans le vaste océan primitif. La présence de CO2 est essentielle pour maintenir l'effet de serre, sans lequel il n'y aurait pas d'eau sous forme liquide sur Terre. Par ailleurs, récemment, de la matière organique a été recréée en conditions d’oxydo-réduction dites « neutres » (atmosphère riche en CO2). Le modèle d’atmosphère proposé pour la synthèse organique est donc compatible avec l’exigence d’eau liquide, sans laquelle il n’y aurait ni chimie pré-biotique, ni vie possible sur notre planète.
La vie ailleurs ?
8Il n’existe pas d’eau liquide à la surface de Mars, pourtant la sonde Mars Express (ESA) a montré qu'il devait y avoir, il y a très longtemps, une atmosphère et des océans. L’existence de glace d’eau au niveau de la calotte polaire nord et la présence de roches sédimentaires salines de types évaporites*, d’argiles et d’autres niches possibles en sub-surface, sont les signes positifs encourageant la recherche de traces de vie passée sur « la planète rouge » (cf. VII.13). La découverte par la sonde Cassini-Huygens (NASA/ESA) de puissants geysers d’eau liquide sur un satellite de Saturne, Encelade, montre que des réactions chimiques en solution aqueuse sont possibles sous la calotte de glace. Des mélanges d’eau et d’ammoniaque ou de méthane et d’éthane existant un peu partout dans les planètes géantes, quels fluides, quelle chimie, quels types d’énergie permettraient à une forme de « vie » de se développer dans ces environnements ?
Bibliographie
Références bibliographiques
• M.-C. MAUREL – Les origines de la vie, Editions SYROS, 1994.
• M.-C. MAUREL – D’où vient la vie ? Editions Le Pommier, 2014.
• P. FORTERRE, L. D’HENDECOURT, C. MALATERRE et M.-C. MAUREL – De l’inerte au vivant. Enquête scientifique et philosophique, Ed. La ville brûle, 2013.
• Les Origines de la vie, La Recherche, numéro spécial, février 2013.
Auteur
Biologiste, Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, ISYEB, Paris, p.24.
marie-christine.maurel@upmc.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012