2. Origine(s) de l'eau sur Terre
p. 22-23
Texte intégral
1L'habitabilité d'une planète dépend de nombreux paramètres : si la planète est trop petite, et donc trop légère, son atmosphère s’échappera rapidement… Mais parmi tous, la présence d'eau liquide reste l'élément central. Comprendre l'origine de l'eau sur Terre, c'est répondre à la condition nécessaire à l'apparition de la vie et c’est également un moyen d'appréhender la présence de vie extraterrestre.
Sans eau notre planète serait morte
2L’origine de l’eau sur Terre est une vieille question scientifique, qui, par manque de données temporelles et spatiales, reste largement ouverte. En l'état des connaissances, la Terre apparaît globalement pauvre en eau. La présence, en abondance, d’eau à la surface (masse des océans ~ 1,4 1021 kg) ne saurait cacher le fait que le manteau terrestre (qui s’étend sous la croûte jusqu'à 2 900 km de profondeur) est vraisemblablement pauvre en eau. La plupart des échantillons dont on dispose donne des valeurs de l’ordre de 250 milligrammes par kilogramme de roche. De par sa taille (~ 4 1024 kg) il contient néanmoins l'équivalent d’un océan (soit ~ 1021 kg).
3Dans le manteau, l'eau, ou plutôt l’hydrogène, n'est pas présente sous forme d'H2O liquide ou vapeur, mais sous la forme de groupements hydroxyles (OH-), qui pénètrent dans les minéraux (le plus abondant étant l'olivine). Ils sont en général en concentration très faible, mais ont des effets significatifs sur les propriétés physiques du manteau, puisque l’eau peut abaisser localement la température de fusion des roches de l’ordre de 200°C et leur viscosité* d'un facteur 100. La présence d’eau rend le manteau plus ductile et permet l'existence de grandes cellules de convection*, dont la tectonique des plaques et le volcanisme en sont les expressions de surface.
4Enfin, sans eau, l'atmosphère de notre planète ressemblerait à celle, très épaisse, de Vénus (96 % de CO2 et 3,5 % de N2). Sur Terre, l'eau a dissous en grande partie le CO2 atmosphérique pour laisser une atmosphère riche en azote et donner naissance au cycle du carbone* (cf. III. 18).
La distribution de l'eau sur Terre
5Sur Terre, la formation de la croûte océanique au niveau des dorsales océaniques* est associée à une intense activité hydrothermale (interactions entre la roche et l’eau de mer), dont les fumeurs noirs* témoignent du transfert vers la surface d'éléments essentiels aux cycles bio-géochimiques (fer, manganèse, zinc, cuivre). Elle aboutit surtout à la formation de minéraux hydratés. Par exemple, la serpentine se forme aux dépens de l'olivine, la première contenant 12 % en poids d'eau alors que la seconde n'en contient que quelques dizaines de mg par kg. La croûte océanique voit ainsi sa concentration en eau multipliée par plus de 100. Sans un retour massif de l'eau de la croûte océanique, l'eau des océans disparaîtrait en moins de cent millions d'années.
6L'eau piégée dans la croûte océanique est libérée en profondeur dans les zones de subduction*. Au fur et à mesure de l’enfoncement de la plaque océanique dans le manteau, la pression et la température augmentant, les réactions métamorphiques* libèrent l’eau et conduisent à la formation de nouveaux minéraux pauvres en eau. Ainsi, plus de 98 % de l'eau retournerait à la surface et un état stationnaire entre cette eau piégée dans la croûte et celle libérée dans les zones de subduction serait atteint depuis l'Archéen (soit depuis plus de 2,5 milliards d'années). Les océans auraient donc atteint leur taille actuelle depuis cette époque.
7L'eau n'est cependant pas répartie de manière homogène dans le manteau. Il existe des variations latérales ; par exemple, les basaltes montrent des teneurs en eau variables de plus d'un facteur quatre. Il pourrait aussi exister des variations avec la profondeur, pouvant aller jusqu'à un facteur 50. Le conditionnel est requis, les échantillons terrestres plus profonds que 250 kilomètres restent exceptionnels et se limitent à 300 diamants. La nature de leurs inclusions minérales permet de déduire leur profondeur de formation et de plonger jusqu’à ~ 800 km. Avec si peu d’échantillons, le cycle de l’eau est donc généralement étudié de manière indirecte. Les données expérimentales aux hautes pressions et températures montrent que si les minéraux du manteau supérieur (jusqu'à 410 km) ne peuvent accommoder de grandes quantités d'eau, ceux de la zone de transition manteau supérieur-manteau inférieur (410-660 km), peuvent, quant à eux, contenir jusqu'à 2,6 % en poids d'eau. De plus, les zones à faible vitesse sismique (autour de 410 km profondeur) et surtout la découverte récente d'une inclusion de ringwoodite (un polymorphe de haute pression de l'olivine) dans un diamant contenant au moins 1,5 % d'eau en poids démontrent que la zone de transition peut être au moins localement très riche en eau. En extrapolant à son ensemble, il pourrait y avoir l'équivalent d'un océan dissous dans la zone de transition. Pour le manteau inférieur (660-2900 km), les données expérimentales suggèrent que peu d'eau pourrait rentrer dans les minéraux existants. Mais les compositions chimiques considérées restent souvent très simples, ainsi l'étude d’inclusions minérales de diamants du manteau inférieur devrait bientôt apporter une première estimation des teneurs en eau potentiellement présentes. Pour le noyau de la Terre (2900-6400 km), aucune donnée ne permet d'appréhender avec précision sa concentration en hydrogène.
Une vue d'artiste des conditions régnant à la surface de la Terre il y a 4,4 milliards d'années. Cette vue est à l'opposé de celle qui a longtemps prévalu, décrivant la Terre comme un milieu hostile, chaud et dépourvu d'eau. © D. Dixon www.cosmographic.com, avec autorisation
Provenance de l’eau sur Terre
8La plupart des scientifiques s’accordent pour dire que, durant sa formation, la Terre a dû perdre la majorité de son eau, dite primordiale, puis acquérir tardivement l’eau que nous voyons aujourd’hui. Mais il n’y a pas encore de consensus, ni sur la chronologie ni sur les composants apportés. Les modèles d'accrétion des planètes (en général) prédisent un épisode de fusion globale durant les premières centaines de millions d'années, conséquence de la libération de l'énergie gravitationnelle et nucléaire. L’histoire de la Terre (en particulier) a été marquée par la formation de la Lune. Les similitudes géochimiques entre la Terre et la Lune (mais aussi la grande taille de la Lune et la courte distance Terre-Lune) attestent d'une formation conjointe des deux objets via un impact entre la proto-Terre et un impacteur de la taille de Mars, aboutissant là encore à la fusion globale des deux corps. Une telle histoire suggère que l'eau terrestre (et bien sûr celle de la Lune) ait pu être évaporée… pour être ensuite apportée il y a environ 4,4 milliards d'années, par des corps primitifs riches en eau, tels que des chondrites* ou des comètes. Sur la base des rapports isotopiques de l'hydrogène, l’hypothèse d’un apport d’eau provenant de chondrites carbonées (celles qui ressemblent le plus au soleil et qui contiennent jusqu'à 20 % d'eau en poids) serait la plus vraisemblable.
9Pour comprendre si la Terre a perdu l'intégralité de son eau avant qu'elle ne soit apportée plus tardivement, il faudrait avoir accès à l'eau primordiale ou à celle apportée tardivement. Bien sûr, cela est impossible, tout ayant, en effet, été effacé et mélangé par l'érosion* et la tectonique des plaques. Là encore, ce sont des évidences indirectes, via la géochimie des gaz rares et de l'azote, qui permettent de conclure à la présence d'eau primordiale sur Terre, mais un bilan reste en l'état impossible à faire. Malgré les difficultés soulignées, de grandes avancées ont néanmoins été réalisées. Des zircons âgés de près 4,4 milliards d'années préservent, dans l’abondance des isotopes* de l'oxygène, la trace d'interactions hydrothermales, démontrant de facto la présence d'eau. Cette observation prouve que, très tôt dans l'histoire de notre planète, les conditions étaient favorables à l'apparition de la vie.
Bibliographie
Références bibliographiques
• F. ROBERT – L’origine de l’eau dans le système solaire telle qu’elle est enregistrée par son rapport isotopique D/H, L’environnement de la Terre primitive, Presses Universitaires de Bordeaux, 2001.
• www.eau-seine-normandie.fr/index.php?id=7213
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L'eau à découvert
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