Discussion
p. 77-79
Texte intégral
Géologie et lignes de rivage
M.-A. Courty
1Mme Lippmann, vous parlez d’un paléosol rouge donc avec une pédogénèse rubéfiante et une altération contemporaine de l’Atlantique que vous attribuez à une amélioration climatique. Vous ne proposez pas d’analyse pédologique pour donner des arguments et vous ne démontrez pas que ce paléosol pourrait simplement être un paléosol colluvié, de formation plus ancienne. Une rubéfaction peut très bien se dérouler dans le Jura sous un climat tout à fait tempéré sans qu’il y ait une amélioration climatique notable ; il suffit simplement de précipitations importantes supérieures à 800 millimètres. Il y a des sols rouges très anciens en Italie qui sont très bien connus.
M. Lippman
2En ce qui concerne les analyses pédologiques, elles ont été effectuées, c’est évident. Ce sont des sols qui ne sont pas extrêmement évolués, ils sont totalement décalcifiés, c’est important et il y a une proportion notable de fer libre. Quant à leur couleur rouge, je ne pense pas qu’à l’heure actuelle il y ait des sols de ce type qui se forment en Italie sous la couveture forestière. Les seuls qu’on observe sont plutôt bruns, noirs mais ils n’ont pas un caractère rouge.
3Maintenant sur la question de l’héritage, ces sols rouges se forment sur des formations colluviales ou alluviales extrêmement épaisses qui sont systématiquement de couleur claire, blanche ou jaune. Il aurait donc fallu admettre qu’on ait des poches de sol rouge qui se soient conservées bien à l’abri pendant que le reste des versants aurait été soumis à une très violente rhexistasie pour être ensuite mis en place, après une couverture de débris de couleur claire.
M.-A. Courty
4Mais je crois que ce n’est pas du tout impossible. On retrouve le même phénomène dans la vallée de l’Yonne où je suis en train d’étudier un remplissage de structures protohistoriques par des sols rouges. Je traduis ces sols rouges par une pédogénèse rubéfiante au cours de l’Atlantique final et même au cours du Subboréal.
5Je suis obligée d’envisager une phase d’érosion de sol rouge située sur les versants adjacents à la vallée.
M. Lippmann
6Les sols rouges, lorsqu’ils sont érodés, d’abord lorsqu’ils sont colluviés, ont un faciès particulier ; ils sont très souvent mélangés à des débris calcaires.
7En Italie je connais bien des sols colluvionnés ; en général ils n’ont pas cette structure argileuse très homogène sur une grande épaisseur qu’ont les sols atlantiques.
P. Olive
8M. Bazile a envisagé au cours de l’Holocène des variations de 5 à 6 m du niveau de la Méditerranée. Comment explique-t-il ces variations de 5 à 6 m dans de petites périodes de temps ?
F. Bazile
9Je me refuse d’abord d’établir une relation de cause à effet entre climat et variations de la mer holocène. Il y aurait peut être là un débat à ouvrir.
10Je peux simplement vous donner la façon dont nous avons procédé. En ce qui concerne les bas niveaux nous nous sommes souvent référés à des niveaux de tourbes datés et à des traces d’exondations qui sont sensibles dans les étangs du littoral languedocien, mais, vous remarquerez que les bas niveaux sont souvent portés avec des points d’interrogation. Il est assez difficile de les évaluer de façon très précise. Pour les hauts niveaux c’est assez facile car on peut prendre les niveaux des hauts de plages, de cordons et il n’y a pas tellement de problèmes. Mais pour les bas niveaux c’est un peu plus compliqué; il s’agit souvent d’évaluations et la plupart du temps nous avons un point d’interrogation. Nous notons, par exemple, un bas niveau vers 7600-7700, c’est intéressant de faire la corrélation avec le site cardial du port de Leucate qui se retrouve sous 5 à 6 m d’eau à l’heure actuelle. Pour le Néolithique moyen, le Chasséen par exemple, dans l’étang de l’Or, se trouve fréquemment à des cotes de moins 2 m N.G.F. et là nous avons des paléo-sols avec des traces d’exondations nettes qui marquent un bas niveau, mais vous donner exactement la cote c’est toujours très difficile.
J.-E. Brochier
11A propos des sols, je voudrais donner un renseignement que j’ai obtenu à partir de l’étude sédimentologique de Font-Juvénal. Il y a un phénomène très net, c’est qu’il y a une seule période très marquée de stabilité des versants ; elle se trouve exactement à la charnière Atlantique-Sub-boréal et elle est précédée par une très nette rupture d’équilibre sur le versant qui domine l’abri. Sur ce point il y a là un parallèle avec les résultats de Jorda.
M. Lippmann
12Oui, il y a quand même beaucoup d’arguments qui convergent pour montrer qu’il y a une phase de biostasie bien marquée à l’Atlantique.
A. Gallay
13Si vous le permettez, j’aimerais faire une remarque à propos de la séquence holocène des Alpes à propos de la communication de M. Jorda. Il se trouve que je suis frappé de l’homogénéité des séquences dans les différentes régions des Alpes. Si on prend la séquence à l’intérieur du Valais dans les Alpes centrales, on a à peu près la même chose : sur les moraines des séries de limons ont une forte composante éolienne et se terminent par une pédogénèse rouge bien datée dans ce cas particulier par des restes du Néolithique qui se trouvent jusque en surface et qui se rattachent au Néolithique moyen, aux environs de 3200. On peut être assuré que la pédogénèse de surface de sédiments est antérieure à cette date ; par la suite on a des phases de reprise d’érosion très fortes qui contiennent du matériel du Bronze final remanié et qui sont du Sub-Boréal.
M. Jorda
14Pour prolonger ce que vous venez de dire, il y a trois ans avec J. Vaudour, de l’Institut géographique d’Aix-en-Provence, nous avions fait une synthèse pour le colloque Emberger sur l’évolution morphogénique sur le pourtour de la Méditerranée pendant la période historique au sens large mais en réalité nous incorporions à l’intérieur presque tout l’Holocène. Et on s’est aperçu en faisant un tableau de synthèse de ces séquences successives qu’il y avait une homogénéité tout à fait remarquable sur tout le pourtour de la Méditerranée. Il y a donc homogénéité dans les Alpes mais il y a aussi sur le pourtour de la Méditerranée une évolution qui est presque identique partout, alors cela pose un problème quand même important ; pendant un certain nombre d’années on a pensé que l’homme était l’un des moteurs, disons les plus efficaces, de l’évolution du milieu à partir de la période néolithique. Il me semble que, si l’on tient compte de l’homogénéité que l’on rencontre sur le pourtour de la Méditerranée dans des secteurs ou l’homme n’est pas intervenu au même moment et en même temps avec la même vigueur, il faut admettre que le paramètre paléo-climatique a été un élément déterminant. Ce qui me paraît le plus important, c’est de discuter d’une part le moment à partir duquel l’homme devient un élément déterminant et deuxièmement la pondération nécessaire entre ce qui relève de l’évolution naturelle du milieu et ce qui relève de l’action anthropique. Je crois que c’est peut-être là que la réflexion est la plus difficile, mais aussi la plus payante. Et c’est peut-être là qu’il y a le plus de point de rencontre entre ce que font les géomorphologues, les sédimentologues, les palynologues, les préhistoriens et même les historiens.
J.-D. Vigne
15Pour ajouter un point de vue de fauniste aux interprétations données par Mme Lippman, sur l’érosion des sols au Sub-Boréal, il semble effectivement que les défrichements ont eu une grande importance de même que la péjoration climatique. Mais je voudrais insister sur l’importance du sur-pâturage qui a dû commencer dès la fin du Néolithique et qui a dû avoir une influence considérable sur les terrains qui avaient été défrichés antérieurement encore.
G. Camps
16Je m’adresse à M. Jorda au sujet de sa dernière remarque concernant d’une part l’uniformité des phénomènes climatiques et ce que vous avez appelé des impacts non continus de l’influence humaine. Comment pouvez-vous affirmer que l’homme ne soit pas intervenu d’une manière aussi générale que les phénomènes climatiques parce que généralement ce que nous connaissons de l’occupation humaine est dû simplement aux recherches, et il y a des régions où les recherches sont peu développées mais où la présence de l’homme peut être aussi importante qu’ailleurs.
M. Jorda
17Je pense que le cas des Alpes françaises du Sud est tout à fait significatif. On n’a pas de traces de présence de l’homme avant l’Age du Bronze, mais il est fort probable que l’homme avait déjà pénétré ces milieux. Je crois que le problème n’est pas de nier le rôle de l’homme qui a eu un impact plus ou moins important en fonction de plusieurs paramètres. Le premier paramètre ce sont les conditions naturelles du milieu, les conditions du moment. Il est évident que si l’action anthropique intervient à un moment de déséquilibre climatique, et à mon sens c’est le cas du passage de l’Atlantique au Sud-Boréal, il est évident que son activité, même modérée, va être très prégnante sur le milieu, mais s’il intervient au contraire dans une période de relative stabilité morphogénique et morphoclimatique, par conséquent son action peut apparaître plus légère. Je crois donc que c’est tout cela qu’il conviendrait d’analyser.
M. Lippmann
18Sans oublier les problèmes de temps de latence aussi, dont je crois il faut tenir compte, c’est-à-dire que si en Italie par exemple les manifestations d’érosion des sols se manifestent un peu tard par rapport à la fin de l’Atlantique, c’est peut-être aussi parce qu’il a fallu un certain temps pour défricher une certaine couverture pour pouvoir mettre en route des processus d’érosion.
A. Gallay
19Dans le cas des Alpes centrales les analyses polliniques montrent que l’intervention de l’homme est importante seulement à partir de la Tène. J’ai l’impression que pour le Néolithique et l’Age du Bronze les communautés étaient suffisamment restreintes et dispersées pour qu’elles n’aient pratiquement pas d’impact sur la végétation et la sédimentologie. La bascule se fait au niveau de la période de la Tène, mais pas avant.
G. Camps
20Effectivement dans les milieux difficiles comme les Alpes, il est certain que l’impact humain au Néolithique a été très faible.
J.-E. Brochier
21D’après les résultats de Font-Juvénal, malgré un habitat assez dense, depuis la 2e partie de l’Atlantique, les ruptures d’équilibre des versants sont nettes au début de la période historique ; pendant l’habitat maximum du Néolithique moyen il n’y a quasiment pas d’érosion de versant ; en fait l’impact de l’homme sur le milieu pour ce qui est des stabilisations de versants est très faible.
J.-L. Vernet
22A ce stade de la discussion on est un peu tenté évidemment d’intervenir au niveau de la végétation. Un certain nombre de choses ont été dites par mes collègues concernant donc les Alpes du Sud et la région peri-méditerranéenne du domaine climatique sub-humide. Il est clair que le schéma qui a été donné au niveau géomorphologique est le même au point de vue de la végétation ; là où ça se complique c’est lorsqu’on va dans des domaines climatiques qui ne sont plus du tout du méditerranéen sub-humide, c’est-à-dire des domaines beaucoup plus arides, et beaucoup plus chauds, les processus sont beaucoup plus drastiques. Je crois qu’il faut souligner qu’on doit bien considérer les domaines climatiques bien différents de façon à ne pas mélanger un petit peu les arguments.
G. Jalut
23Je voudrais simplement préciser quelques données sur l’action de l’homme dans le milieu pyrénéen (qui se trouve dans la partie occidentale du bassin méditerranéen) pour dire que cette action de l’homme sur le milieu à moyenne altitude se manifeste en gros entre 4000 et 5000 B.P. Et c’est surtout avec un cap à 4000 B.P. que vraiment on enregistre à moyenne altitude -1 300, 1 400, 1 500 mètres - des phases d’érosion, d’une part et des phases de déforestation très importantes.
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