Étude des datations radiocarbone du Néolithique ancien en France méditerranéenne
p. 37-44
Résumés
Le Néolithique ancien de la Méditerranée occidentale est daté par la méthode du 14C. Les nombreuses dates recensées (132 dont 71 pour la France) permettent de cerner le déroulement de ce cycle culturel. Les dates ont été converties en âge réel à partir des tables de calibration du groupe de Tucson. Une étude quantitative des dates calibrées utilise la méthode des histogrammes. La répartition des sites datés est comparée à celle des sites connus (distance à la mer, région). La question de la représentativité des datations est posée. Les résultats montrent la nécessité d’augmenter la série de dates du Néolithique ancien et le danger d’interprétations hâtives. La calibration des dates en âge réel est également indispensable.
The 14C dates of Early Neolithic of the West mediteranean basin are collected. The numerous dates (132 with 71 for the Southern of France) allow to study the progress of this cultural cycle. The 14C dates are expres-sed in calibrated age (Tucson group). The quantitative studies use a method of histograms. The distribution of the sites is compared to dated-sites (distance of sea, region). Their representative characters are debated. This paper resuit in the necessity of increase the Early Néolithic série of 14C dates and in the danger of hurried conclusion. The calibration of 14C dates appear also essential.
Note de l’auteur
Note portant sur l’auteur1
Texte intégral
1Le Néolithique ancien de la Méditerranée occidentale peut être restitué dans le temps grâce à la méthode du radiocarbone. L’exploitation des datations obtenues depuis plusieurs dizaines d’années est une chose assez répandue. Mais très peu se sont posés la question d’une part du déroulement du cycle « Néolithique ancien », d’autre part de la représentativité des datations absolues en notre possession.
2Les dates 14C sont souvent lues comme des « événements » et non pas comme des pièces (aux bornes quantifiées) d’une structure temporelle. Dans cette petite étude les dates sont prises sans jugement, et nous ne discuterons pas a priori une date jugée « ancienne » ou « récente ». C’est une observation découlant des remarques précédentes : les dates données, avec la valeur en plus ou en moins d’un écart de confiance, ont 32 % d’être fausses ou faussées (68 % de sécurité ; pour atteindre un seuil de 95 % il faut tenir compte de deux écarts types) ; la durée du phénomène « Néolithique ancien » ne peut être comptabilisée en années conventionnelles 14C, et donc avant de discuter de quelques centaines d’années il est préférable de « calibrer » les dates radiocarbone en années réelles.
Les datations absolues disponibles
3A ce jour 71 dates ont été publiées. Elles proviennent de 26 gisements de la France (continentale) méditerranéenne. Cinq d’entre elles sont sur coquilles et sont donc vraisemblablement à suspecter.
4Nous avons figuré ces dates parmi celles en provenance d’Italie, Corse, Espagne, Portugal, Malte, Algérie (Fig. 1). Elles s’intègrent tout à fait les unes aux autres. Elles sont classées selon leur ancienneté, en tenant compte d’un seul écart type, dit de sécurité ou confiance, en plus ou en moins de leur valeur centrale. Elles sont regroupées par millénaires selon une pratique courante.
5Ces dates, qui sont en fait des durées durant lesquelles le phénomène (de carbonisation) s’est déroulé à 68 % de chance, peuvent être mesurées en périodes de 50 ans. Des histogrammes peuvent être tracés.
6La figure 2 regroupe sur deux graphes les dates 14C en années conventionnelles BC provenant des sites du Languedoc méditerranéen et de Provence. En Languedoc 41 dates forment un histogramme très proche d’une loi normale. Il s’établit entre 5400 et 3500 BC en prenant en compte ses extrémités peu représentatives. On peut estimer que la série de dates est bien caractéristique de l’histogramme entier entre 4900 et 3900 BC. Le pointement du graphique se situe aux environs de 4400 BC. En Provence les résultats connus provoquent la partition des dates en deux groupes ; le plus ancien, significatif vers 5800-5400 BC, est nettement séparé d’un autre ensemble à l’allure bimodale, voire trimodale. Ce second ensemble présente un profil avec des pics aux environs de 4600, 4100 et 3700 BC. Les 24 dates provençales pourraient être insuffisantes pour autoriser une interprétation de ces variations intercycliques ; mais la poursuite de cette étude montrera qu’il s’agit en partie de l’effet de l’unité de mesure (en années 14C non converties). Pour ce qui est du groupement ancien, il s’agit dans 5 cas sur 7 de dates obtenues sur coquilles (marines). Les physiciens ont confirmé les extrêmes réserves des archéologues à leur sujet. Elles sont donc à rejeter, sans que l’on puisse les corriger. Parfois elles semblent « acceptables » comme la date la plus ancienne en Languedoc (collectée sur coquille terrestre à l’abri Jean Cros). On pourrait alors s’interroger sur le vieillissement de ces dates dû aux matériaux employés pour la mesure, en particulier en s’interrogeant sur sa proportion : est-elle supérieure à celle de l’écart-type une fois, deux fois ou davantage ? Dans l’attente aucune équivoque ne doit subsister et les dates sur coquille sont à éliminer.
Sites et séries de dates en âge réel
7les tables de calibration préconisées par le « groupe de Tucson » permettent de convertir les âges en années 14C conventionnelles en âge réel. Les datations sont données en intervalles avant J.C. avec 95 % de sécurité. Il est alors bien évident que ces dates seront moins bien approchées que celles mesurées avec 68 % de sécurité seulement. Leur exactitude ne peut être mise en doute, sinon leur précision.
8Les dates du Néolithique ancien de la France méditerranéenne ont été converties en années calendaires. Les 6 plus anciennes dates 14C n’ont pas été calibrées car elles atteignent la limite actuelle de l’évaluation du 14C atmosphérique par la mesure sur bois : 7240 BP. Quatre de ces dates sont « sur coquilles ». C’est aussi le cas de la date la plus ancienne (Abri Jean Cros 5210 ± 130 BC) qui se convertit en –6530 –5505 avant J.C. (Figure 2).
9L’histogramme que l’on peut réaliser avec ce corpus de dates en âge réel est donc celui de cycles de durées variables durant lesquelles les phénomènes datés se sont déroulés. Il est de profil régulier et tend à épouser le développement d’une loi normale. De 6000 à 4300 avant J.C. il est bien significatif ; deux queues de graphe s’étalent de 6550 à 6000 avant J.C. et de 4300 à 3900 ans avant J.C. (Figure 3).
10La durée globale du cycle « Néolithique ancien » serait donc de 1700 à 2650 ans mais plus proche du premier nombre. C’est aux environs de 5300 avant notre ère que ce cycle est à son apogée. La régularité du graphique tranche nettement du profil chahuté des dates non calibrées. La discussion dans le détail de certaines dates 14C, que nous n’aborderons pas ici, se doit de prendre en compte cette constatation.
Chronologie régionale, sites à plusieurs dates
11Lorsque l’on cherche à mieux cerner les composantes du cycle régulier que l’on vient de constater, il est possible de s’interroger sur son organisation spatiale. Nous avons donc décomposé ce cycle en graphiques régionaux selon le découpage Provence, Languedoc oriental, Languedoc occidental. Mais il nous a paru utile de préciser dans chaque région l’impact des stratigraphies datées pour le Néolithique ancien, c’est-à-dire de faire apparaître les sites possédant plusieurs datations. La figure 4 a été établie selon ces modalités simples. Les trois graphes sont classés selon l’ancienneté générale (ou moyenne) des dates recensées.
12En Languedoc occidental les datations cumulées de l’Abri Jean Cros (même en excluant celle obtenue sur coquille) se placent dans la partie ancienne de la série de dates : entre 5800 et 5500 avant J.C. Les données de la grotte Gazel comme celles de la grotte de Camprafaud sont celles de stratigraphies montrant d’ailleurs (Gazel) une évolution stylistique de la poterie ; leurs dates sont très logiquement étalées sur toute la série. Elles constituent la majeure partie des datations récentes ce qui correspond à l’« Epicardial » qui y fut défini.
13En Languedoc oriental les deux sites majeurs de La Poujade et de Montclus apparaissent comme assez différents des autres sites régionaux. Globalement ils sont plus anciens. En Provence les dates connues à Châteauneuf-lès-Martigues (deux séries de datations) sont conformes à l’ensemble régional. Les dates de Fontbrégoua actuellement disponibles sont en majorité assez récentes et expliquent pratiquement à elles seules le décentrage de la série provençale au regard des deux autres régions.
14Ces trois histogrammes ont des profils relativement réguliers et complémentaires. Le regroupement des dates par site permet de mieux concevoir le danger de comparer en les assimilant les documents « anciens » de Montclus par exemple avec ceux plus récents de Fontbrégoua. Le cycle général du Néolithique ancien (figure 3) est donc uniquement un cadre de réflexion.
Représentativité des sites datés
15La chronologie actuelle du Néolithique ancien est approchée à partir d’un nombre restreint de sites dans chaque région. Il y a très peu de moyens pour étudier le caractère représentatif de ces sites où des conditions de conservation, des hasards de découvertes, etc. ont permis de rassembler le matériel de datation générale du Néolithique ancien.
16Nous connaissons un inventaire des découvertes de mobiliers attribués à cette période. Les sites qu’il concerne sont présentés sur la carte (figure 5). Les sites datés sont disséminés dans toute la France méditerranéenne. L’importance de la mer Méditerranée pour cette période n’est plus à démontrer. Aussi avons-nous opéré un décompte des sites selon leur éloignement de la mer. Ce sont des valeurs approximatives données pour plus de sécurité en classes : gisements « maritimes » à moins de 25 km de la mer, gisements entre 25 et 35 km, entre 35 et 50 km, et gisements éloignés de plus de 50 km des côtes (à vol d’oiseau). On pourrait, en Languedoc du moins, pratiquement transcrire cette information de distance à la mer en données sur l’altitude du site (grossièrement sites maritimes ou côtiers, de plaine, collinaires et pré-montagnards).
17Les sites « datés » ont été ventilés sur des graphiques distincts selon cette information géographique élémentaire (Figure 6). Les sites les plus nombreux connus par leurs dates sont ceux qui sont les plus éloignés de la mer. Leur histogramme régulier est donc très proche de l’histogramme général (Figure 3). Les autres histogrammes sont de plus faible amplitude et celui des sites de 25 à 35 km est d’allure bimodale.
18Même de manière grossière on ne lit pas sur ces quatre graphes un rajeunissement des histogrammes selon que l’on s’éloigne des côtes. Les quatres catégories de sites datés s’inscrivent sensiblement dans la même tranche chronologique mais leurs pointements indiquent cependant quelques différences.
19Dans chacune de ces quatre séries nous avons isolé les dates les plus anciennes connues (en prenant donc la date la plus ancienne de chaque site). L’histogramme que nous avons tracé pour chaque catégorie de site n’est pas réellement significatif car il ne comporte que quelques dates. Mais il traduit cependant des faits objectifs. La figure 7 montre que de 5800 à 5300 environ les sites tendent à présenter des dates plus récentes au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la mer. Mais les sites pré-montagnards et éloignés de plus de 50 km de la mer, les plus nombreux, sont également « anciens » ; leur apogée se situe aux environs de 5500-5400.
20Les sites datés sont-ils représentatifs des sites connus, ne serait-ce qu’à travers cette composante géographique de distance à la mer ?
21Nous avons donc établi les données suivantes : distance à la mer par région des sites totaux connus, des sites ayant fait l’objet de datations, et des dates connues (un site est comptabilisé autant de fois qu’il possède de dates).
22Les dates tendent à sureprésenter les sites à plus de 50 km (48 % pour 30 % seulement de sites connus) et à niveler les différences des autres catégories. Ainsi les 31 % des sites éloignés de 35 à 50 km ne sont représentés que par 17 % des dates recensées. De même les 18 % de dates recensées sur des sites de 25 à 35 km, très proches des 16 % des sites de cette catégorie connus, n’ont été collectés que sur un échantillon de 8 % des sites. Toutes les distorsions de ces chiffres entre eux indiquent clairement que les données précédentes ne sont pas caractéristiques de l’ensemble des sites connus pour le Néolithique ancien, du seul point de vue de la géographie élémentaire.
23En distinguant les régions peut-on trouver des données plus conformes ?
Représentativité régionale des dates
24La figure 8 reprend les décomptes précédents mais selon une distinction régionale. Nous avons figuré également les différences entre les deux séries de valeurs calculées pour les sites (totaux) et les dates (X par site). Le graphique permet de visualiser rapidement les surreprésentations de dates (pour les trois régions selon des proportions différentes) provenant de la catégorie « plus de 50 km » et en Languedoc occidental pour celle « 35-50 km » ; à l’inverse on observe qu’en Provence et Languedoc oriental les sites « 35-50 km »et en Languedoc occidental les sites « maritimes ou côtiers » sont mal représentés par des datations.
25Les valeurs des écarts entre les répartitions sont souvent très importantes. Et l’on peut confirmer la mauvaise représentativité des séries de dates régionales au regard de l’ensemble des sites.
26Les résultats les plus significatifs seraient ceux des sites de la zone 25-35 km pour deux régions ; les sites du Languedoc occidental, ceux de la région la plus éloignée de la mer, également.
27La figure 9 permet de comprendre le tracé bimodal que nous avions signalé (figure 6) à propos des sites à 25-35 km de la mer. Provence et Languedoc occidental s’opposent nettement. Dans cette dernière région le graphe pointe aux environs de 5600 avant J.C, et en Provence vers 4600. Cette distinction marquante de près d’un millénaire peut ne représenter qu’une différence particulière entre des sites insuffisamment nombreux pour être significatifs. Cette remarque est sans doute généralisable, mais les faits restent cependant présents.
28La figure 10 indique les différences entre les valeurs des sites à plus de 50 km de la mer et les graphes globaux. Seules en Languedoc occidental les valeurs connues paraissent significatives des sites totaux (38 % de dates pour 30 % de sites dans cette catégorie).
Pour conclure très provisoirement
Les dates radiocarbone du Néolithique ancien converties en années calendaires « réelles » permettent d’étudier la durée du cycle « Néolithique ancien » et son déroulement. On retiendra que son apogée est aux environs de 5200-5300 avant J.C. pour environ 1700 à 2000 ans de durée. Il est évident qu’une telle plage temporelle qui représente un grand nombre de générations humaines doit être abordée avec prudence quels que soient les résultats obtenus (cf. les dates des plus anciens sites de la Figure 7).
Les dates en notre possession forment un corpus qui n’est pas représentatif des sites datés ; il ne correspond pas non plus à l’image de la distribution des gisements connus en France méditerranéenne. Ces deux remarques importantes sont établies à partir de la seule donnée géographique de distance à la mer. D’autres sériations seraient possibles qui indiqueraient sans doute les mêmes différenciations.
L’éloignement de la mer ne paraît pas, malgré les remarques restrictives précédentes, pertinent pour expliquer la structure du cycle « Néolithique ancien ». Les gisements les plus anciens sont provençaux, mais certains sont datés par des mesures sur coquilles (figure 2) et les autres dates sont principalement celles de l’abri de Châteauneuf dont la série du laboratoire de Cologne. A l’opposé les dates les plus récentes ne concernent pas des sites particuliers. Les plus éloignés de la mer (plus de 50 km, soit un jour de marche) ne sont pas les plus récents. Ces derniers sont provençaux, dans la zone intermédiaire de 25 à 35 km de la côte, que l’on aurait pu penser, dans un schéma de migration maritime, plus rapidement occupée.
Ce n’est qu’en multipliant les dates que, statistiquement, les données actuellement en notre possession permettront de lire la structure réelle du cycle du Néolithique ancien. Mais les remarques que nous avons pu faire éclaireront peut-être certains débats actuels ; en particulier nous insisterons sur le « grand intérêt » de convertir les dates radiocarbones en années réelles, ceci pour éviter des débats sans raisons sur certaines valeurs centrales de dates 14C.
Notes de fin
1 Centre d’Anthropologie des Sociétés Rurales, EHESS/CNRS, 56, rue du Taur 31000 Toulouse.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956
Colloque organisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984
Charles-Robert Ageron (dir.)
1986
Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale
Actes du Colloque International du CNRS (Montpellier, 26-29 avril 1983)
Jean Guilaine, Jean Courtin, Jean-Louis Roudil et al. (dir.)
1987
La formation de l’Irak contemporain
Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’état irakien
Pierre-Jean Luizard
2002
La télévision des Trente Glorieuses
Culture et politique
Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (dir.)
2007
L’homme et sa diversité
Perspectives en enjeux de l’anthropologie biologique
Anne-Marie Guihard-Costa, Gilles Boetsch et Alain Froment (dir.)
2007