Avant-propos
p. 139-143
Texte intégral
1Le nombre de traductions de littératures étrangères en français a fortement augmenté depuis les années 1980. Dans cette partie, on examinera tout d’abord (chapitre 5) quelles sont les langues et les genres qui y ont le plus contribué. L’analyse des nouveautés recensées par la base de données Electre fait apparaître le poids des traductions de l’anglais et des genres à grande diffusion, comme la littérature pour la jeunesse et le polar, dans cette croissance. Elle s’accompagne d’une diversification des éditeurs, qui s’observe notamment pour les langues semi-périphériques comme l’espagnol et l’italien, ainsi que pour les langues périphériques. Cette diversité, qui va d’une soixantaine pour les langues périphériques comme le néerlandais, le suédois et l’hébreu à près de 500 pour l’anglais, masque cependant le contraste entre d’un côté une concentration élevée autour d’une trentaine de maisons (Gallimard en tête), qui publient deux tiers des traductions, de l’autre une forte dispersion. La traduction a en effet été investie pendant cette période par de nouveaux venus dans le champ éditorial, à la faveur notamment de la politique d’aide à l’intraduction mise en place à partir de la fin des années 1980. Même phénomène de concentration entre quelques mains d’un côté et dispersion de l’autre chez les traducteurs, signe que la diversification de l’offre aura permis à un certain nombre d’entre eux de se professionnaliser, les autres pratiquant la traduction à titre occasionnel, à côté d’une activité principale d’universitaire, enseignant du secondaire ou autre, comme l’illustrent les cas de l’italien et de l’espagnol (ainsi que du finnois et de l’hébreu, traités dans la troisième partie).
2L’examen du poids relatif des genres traduits dans les différentes langues révèle des variations qui tiennent non seulement à l’accumulation différenciée de capital symbolique – la poésie espagnole par exemple –, mais aussi à l’opposition entre pôle de grande production et pôle de production restreinte. Les logiques spécifiques à ce dernier sont analysées au chapitre 6 à travers une approche transversale des collections et domaines de littératures étrangères chez quelques éditeurs. Il se caractérise en particulier par une diversité linguistique élevée, à l’opposé du pôle de grande production. Mais la recherche de l’originalité quant à la langue traduite peut entrer en contradiction avec la politique d’auteur, qui constitue le mode d’accumulation de capital symbolique à ce pôle. Elle tient aussi à la séparation encore dominante dans le monde éditorial en France entre littérature en français et littérature traduite (identifiée à la « littérature étrangère »). En outre, la valorisation des œuvres à ce pôle s’inscrit dans une tension entre particularisme et universalisme, et entre politisation et dépolitisation.
3Si les ouvrages provenant de l’anglais ont le plus contribué, numériquement, à l’augmentation des traductions littéraires en français, les littératures italienne et hispaniques ont connu un taux de croissance très élevé. Dans les deux cas, on note un intérêt particulier pour la littérature contemporaine et pour le polar (avec des auteurs comme Manuel Vazquez Montalbán et Andra Camilleri). On constate également pendant cette période un lent processus de féminisation des auteurs et des traducteurs, qui s’observe pour d’autres langues, avec de fortes variations (l’édition littéraire anglo-américaine étant la plus féminisée). Mais les ressemblances cachent là encore des enjeux différents. Alors qu’on peut parler d’une vogue de la littérature italienne en France, non exempte de quête de profit commercial, à la suite du succès du Nom de la Rose d’Umberto Eco et de l’avènement d’une nouvelle génération d’écrivains (chapitre 7), l’essor des traductions de l’espagnol est marqué par le déplacement de l’intérêt de l’Amérique latine à l’Espagne à l’issue du franquisme et de la découverte d’auteurs du 20e siècle méconnus, la littérature participant à ce titre de la (re)construction de la mémoire historique (chapitre 8). Il faut également voir dans ce déplacement l’effet du développement de l’édition espagnole et de la domination croissante qu’elle exerce sur l’aire hispanophone, alors même que la longue période de renfermement durant la dictature franquiste avait rendu possible l’émergence d’une édition locale en Amérique latine.
4À l’opposé, la chute du mur en 1989 semble avoir entraîné une baisse d’intérêt pour les traductions des littératures des pays de l’Est, après un engouement passager au tournant de 1990. L’analyse de leur cas permet de s’interroger sur les enjeux de la circulation des œuvres dans un contexte de forte politisation et sur les effets du passage à l’économie de marché (chapitre 9). À la différence de l’Espagne, la libéralisation des échanges n’a contribué à faire découvrir presque aucun auteur méconnu, la mise en place de circuits illicites dès le milieu des années 1950, et leur essor depuis les années 1970 ayant rendu possible l’importation des œuvres des écrivains frappés d’interdiction de publication dans leur pays.
5Le dernier chapitre de cette partie propose une approche transversale d’un des genres qui a connu une véritable floraison pendant cette période le polar. Les traductions ont participé de sa légitimation en France dans les années 1980, et de sa structuration. La décennie suivante est marquée par une diversification des langues traduites, qui reflète l’expansion de ce genre partout dans le monde.
Auteur
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Translatio
Le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation
Gisèle Sapiro (dir.)
2008