Du bon usage des noms
p. 101-108
Texte intégral
1L’aboutissement d’une protection de l’origine est la réservation d’un nom. Or, l’acte de nommer ne va pas de soi : une dénomination peut désigner des produits différents selon les régions ; une indication géographique accolée au nom peut faire référence au lieu de commercialisation et non de production. Plus généralement, la société locale fait rarement état de l’origine des produits avec lesquels elle est familiarisée.
2L’origine géographique prend une importance croissante en France. Les services de l’État chargés d’en contrôler le bien-fondé, notamment ceux de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, adoptent une attitude de plus en plus rigide, au risque d’aboutir à des situations parfois inextricables.
Un nom des villes pour un produit des champs
3Le nom peut témoigner de l’histoire locale d’un produit. La dénomination d’une charcuterie ou d’un fromage correspond quelquefois à l’endroit où ils étaient commercialisés : fourme de Montbrison dans la Loire, cerise de Vignola en Émilie-Romagne ou alheira de Mirandela, dans le Trás-os-Montes. Certes, l’alheira est fabriquée à Mirandela et dans ses environs, mais elle est également confectionnée à l’intérieur d’une zone bien plus large. C’est à partir du moment où Mirandela a été desservie par le chemin de fer que l’alheira a commencé à porter le nom de la ville depuis laquelle elle était diffusée sur le marché.
4Les produits ancrés localement portent un nom générique, tant leur proximité avec les consommateurs est grande. Nombre de fromages sont nostrale – c’est le nom qu’on leur donne en Italie – sur le lieu de leur fabrication, terme que l’on peut traduire en France par les produits « d’ici », de chez nous, de pays, comme l’on parle d’un jambon de pays. Le haricot catalan s’appelle « de Castellfollit del Boix » depuis que les producteurs ont choisi de le valoriser ; jusqu’alors, c’était le haricot du coin, celui – et le seul – que l’on cultive « chez nous ». C’est la reconnaissance extra-locale et la commercialisation à l’extérieur de la zone de production et de consommation qui font naître une distinction par l’origine. La tomme devient de Savoie, le bleu de Sassenage ou de Gex, le beurre de Bresse, le fromage de chèvre pélardon des Cévennes.
La rosette
La rosette s’inscrit historiquement dans un périmètre assez large qui inclut la Loire, la Haute-Loire, le nord de l’Ardèche, le Rhône, la Saône-et-Loire, l’Ain. Produit festif, elle était réservée aux repas de cérémonie et aux périodes de fin d’année. Elle garde aujourd’hui ce statut à la campagne et, dans les fermes où l’on tue encore le cochon, la consommation de cette charcuterie reste en principe réservée à une « grande occasion ». La mêlée est la même que celle du saucisson, mais les morceaux sont bien dénervés et bien dégraissés.
Parallèlement à cette réalité domestique diffuse, une zone de tradition artisanale et industrielle de salaisonnerie due à des conditions climatiques favorables s’est peu à peu dessinée dans les monts du Lyonnais. Dès la fin du siècle dernier, plusieurs entreprises s’installèrent dans la région et firent sa renommée. L’activité de « saucissonnerie » se développa tout particulièrement autour de Saint-Symphorien-sur-Coise, dans le Rhône, qui allie de bonnes conditions de sèche et une situation géographique privilégiée, faisant de cette bourgade un haut lieu du saucisson, de la rosette et du saucisson de Lyon.
Cette charcuterie rustique a peu à peu conquis ses lettres de noblesse par le biais des artisans, charcutiers et petites entreprises dans la seconde moitié du xixe siècle. Les savoir-faire se sont perfectionnés pour acquérir un niveau d’excellence dans les phases techniques les plus délicates, en particulier le travail du boyau et la surveillance de l’affinage de cette grosse pièce.
Le boyau de rosette est irrégulier, épais et nécessite de nombreuses opérations, à différents stades de l’élaboration, pour obtenir la pièce finale de forme tronconique droite. Une fois embossé, le saucisson était bridé, c’est-à-dire ficelé, avec attention : un jeu savant d’entrecroisement de montants verticaux et de tirants horizontaux, renforcés par un ficelage diagonal ayant pour objectif de tenir la viande et de redresser le boyau. Cette pratique a quasiment disparu.
La viande est toujours choisie dans les morceaux nobles, « tous les jolis morceaux du porc » (épaule, jambon, longe). Elle provient habituellement de coche, c’est-à-dire de la femelle qui a déjà eu une ou deux portées ; le gras de bardière représente environ 25 à 30 % de la mêlée, « 30 kg pour 100 kg ». L’épaule, réputée pour être goûteuse, nécessite un dénervage attentif. L’assaisonnement est constitué de poivre, de sel et d’ail dont on enlève le germe. Tous les anciens insistent sur la nécessité de moudre finement le poivre et le poivre en grain semble être apparu récemment dans la mêlée : « Ça alors, c’est une mode ! ». La mêlée est embossée dans le boyau, puis la rosette est piquée pour évacuer l’air qui pourrait rester emprisonné. Elle est mise à étuver 24 heures et placée au séchoir deux ou trois mois, « sans la presser », c’est-à-dire sans trop activer l’affinage afin d’éviter un croûtage.
Le travail habile et coûteux en main-d’œuvre du ficelage ou bridage a laissé la place à l’utilisation du filet élastique. En revanche, le boyau naturel continue d’être utilisé par de nombreux artisans. Il impose un travail de préparation important, mais l’épaisseur de sa paroi autorise un affinage incomparable ayant des répercussions directes – que les connaisseurs apprécient – sur le goût. Le boyau naturel recollé, permettant d’obtenir à moindre frais un boyau de la taille d’une rosette, mais beaucoup moins épais et d’apparence régulière, a fait son apparition dans les années 1950 et a autorisé une industrialisation rapide des procédés. Dans un cas comme dans l’autre, la sèche d’une grosse pièce nécessite des compétences, ce qui explique en partie que la fabrication de cette charcuterie soit pour l’instant assez faiblement délocalisée.
5Le cas de la rosette montre comment la notoriété grandissante d’un produit peut entraîner des perturbations dans des modes de dénomination déjà compliqués, rendant de ce fait la situation de moins en moins lisible. Dans les régions qui la fabriquent traditionnellement, on la nomme simplement « rosette », et rosette de Lyon a longtemps désigné le saucisson de Lyon. Dans les endroits où on ne la connaît pas localement, elle s’appelle rosette de Lyon. Dans ces mêmes zones, le saucisson de Lyon, ou saucisson lyonnais, désigne le saucisson à cuire. Le saucisson de Lyon,tel qu’on le connaît dans cette ville et vendu sous ce nom, est quasiment inconnu du reste de la France, si ce n’est dans certaines épiceries fines réputées (voir infra, p. 16).
6D’après les témoignages recueillis auprès d’anciens professionnels salaisonniers, les faiseurs de Saint-Symphorien-sur-Coise dans le Rhône ont nommé cette charcuterie rosette jusque dans les années 1950. Ils se sont mis à l’appeler rosette de Lyon quand les transactions commerciales se sont amplifiées. Parallèlement aux artisans charcutiers, un certain nombre de petites et moyennes entreprises fabriquent de la rosette, et l’on trouve une diversité relativement grande dans ses appellations : rosette lyonnaise, rosette des monts du Lyonnais, rosette des monts de Tarare, selon leur implantation géographique, ou bien rosette tout court. Enfin, les quelques entreprises qui produisent les plus gros tonnages sur un mode industriel, dans la proche banlieue ou dans les départements voisins, la nomment rosette de Lyon1.
7À la lumière de ce qui vient d’être dit à propos de la rosette, du saucisson de Lyon ou du cervelas, la relation entre la dénomination et le produit soulève des questions qu’il importe d’identifier sous peine de ne plus du tout savoir de quoi l’on parle. Par ailleurs, le glissement de sens d’une dénomination, comme on peut l’observer pour le saucisson de Lyon, peut contribuer à faire disparaître une charcuterie tout à la fois spécifique et produite à une faible échelle.
8La présence de variantes, fréquentes dans les produits transformés, a des répercussions sur les systèmes de nomenclature locaux. Le saucisson de couenne prend le nom d’andouille, de gueuse, de murson ou de saucisse de couenne selon les microrégions où il est fabriqué et qui couvrent une partie de l’Ardèche, de la Drôme, de l’Isère et de la Loire. Les diots de Savoie portent le simple nom de saucisse en Haute-Savoie. Les saucisses de choux sont répandues dans le Chablais et la haute vallée de l’Arve où elles se nomment aussi pormonaises. Dans une partie du massif de Belledonne et des Bauges, on appelle ces mêmes saucisses diots de choux. Un même produit porte ainsi des noms différents et des produits différents portent le même nom. La brique du Forez, dans la Loire, s’est appelée chèvreton jusqu’à ce que la législation française lui interdise cette dénomination considérée comme trompeuse. Aujourd’hui, le terme brique désigne à la fois des fromages faits à partir de lait de vache, de chèvre ou de mélange, selon un caillé présure ou lactique.
La réservation des noms
9D’accès public, l’Indication géographique protégée (IGP) autorise l’usage du nom à tous ceux qui respectent le cahier des charges et se trouvent dans le périmètre établi. Toutefois, cette réservation peut conduire à des exclusions contestables. En effet, contrairement aux AOC, la certification à laquelle les producteurs doivent adhérer pour pouvoir continuer à utiliser le nom protégé est lourde et coûteuse et nombre d’artisans se sentent assez éloignés d’elle, quand ils en sont informés ! Or ils représentent un maillon fort dans la filière, si l’on se place sur le terrain de la légitimité. Ce sont eux qui sont à l’origine du transfert des productions domestiques vers la sphère artisanale et qui les ont fait connaître. Si la réflexion menée actuellement par les professionnels de la charcuterie aboutit, n’auront désormais plus le droit de vendre la rosette de Lyon sous ce nom que les producteurs qui respecteront le cahier des charges et les procédures de contrôle associées. Les petits faiseurs devront se plier à cette procédure sous peine de ne plus avoir le droit de le commercialiser sous ce nom. À cela, les gros faiseurs rétorquent que, de toute façon, ces petits producteurs entrent dans une logique de proximité et vendent un produit déjà connu de l’acheteur. Néanmoins, cela soulève un vrai problème d’éthique.
10La question se pose avec moins d’insistance pour les AOC. Le cahier des charges est conçu différemment, il n’a pas cette dimension normative visant à l’exhaustivité dans ses descriptifs et tend plutôt à pointer les passages obligés qu’implique le lien au terroir. Par ailleurs, les contrôles sont assurés par l’INAO ; l’assistance technique se trouve souvent partiellement prise en charge par des organismes publics et tous les producteurs installés dans la zone de protection ont le droit d’utiliser le nom s’ils respectent les conditions de production. Cela étant dit, lorsque l’appellation picodon de la Drôme et de l’Ardèche vit le jour, les producteurs locaux ardéchois qui fabriquaient selon « leur » méthode, à partir d’un caillé présure, durent débaptiser ce fromage pour l’appeler caillé doux de Saint-Félicien. Les petits producteurs – certes peu nombreux – qui continuent de fabriquer le pélardon dans son berceau d’origine, en suivant la voie traditionnelle du caillé présure, n’ont plus le droit de lui donner ce nom depuis que l’AOC a été obtenue.
11Pour une IGP comme pour une AOC, et conformément au règlement européen 2081/92, il n’est pas possible d’enregistrer une dénomination devenue générique (par exemple « chou de Bruxelles » ou « champignon de Paris ») ou entrant en conflit avec une variété végétale, une race animale, une marque, compte tenu de sa notoriété et de sa durée d’usage2.
Origine, provenance, montagne... les affres de la protection des noms
12La Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) se montre sourcilleuse sur l’usage des noms de lieu, en passe d’être réglementé de plus en plus sévèrement. L’élargissement à l’Europe de la protection de l’origine géographique a en effet provoqué un débat de fond sur l’utilisation des dénominations faisant état d’un lieu dans les modalités d’application de cette réglementation choisie par l’État français. Il a été envisagé pendant un temps d’interdire aux producteurs d’utiliser un nom géographique pour nommer leur produit, à moins qu’ils n’entrent dans le cadre des procédures de protection en vigueur. Dans cette perspective, tout produit faisant état d’un nom de lieu aurait dû bénéficier d’une IGP pour avoir le droit d’être mis sur le marché. En d’autres termes, cela revenait à supprimer l’indication de provenance pour ne retenir que celle de l’origine. Ces questions sont ardues à démêler, comme le montrent les avatars de la loi Montagne.
13Cette loi votée en 19853 instaure dans ses articles 33 et 34 relatifs aux produits agricoles et alimentaires une protection du terme « montagne » et de toutes les références aux zones de montagne sous les deux formes : « appellation montagne », réservée aux produits sous AOC, sous Label rouge et sous Certification de conformité et « indication de provenance montagne », assez peu cadrée. L’ambiguïté entre appellation et provenance, renforcée par les termes propres à cette unité géographique qu’est la montagne, rendait la loi difficile à appliquer. À quelle catégorie faire appartenir les dénominations ? Le Jura par exemple est-il un massif ou un département ? La loi de janvier 1994 sur l’application française des réglementations de protection européennes résolut dans la foulée l’usage du terme montagne. Dès lors, toutes les productions de montagne durent obtenir un Label rouge ou une Certification de conformité pour pouvoir continuer de faire état de leur provenance. Les producteurs n’eurent plus le droit, comme ils en avaient pourtant l’habitude, de rapprocher le lieu de production et la dénomination de leurs produits. Saucisse de Magland, murçon de La Mure, vacherin d’Abondance, grataron d’Arèches, miel d’Ardèche et de nombreuses autres productions furent touchés et basculèrent dans l’illégalité. Cette mesure s’avéra inapplicable et l’administration chargée de son contrôle choisit de fermer les yeux devant cette situation littéralement ingérable. La tolérance trouva toutefois ses limites car, à la suite des poursuites engagées par la justice française contre des producteurs salaisonniers du Tarn utilisant l’indication « Monts de Lacaune » sans s’être pliés à la loi, la question est revenue sur le devant de la scène. La Cour européenne de justice interpellée dans ce cadre rendit le 7 mai 1997 un arrêt déclarant l’appellation « montagne » contraire au droit communautaire. La législation française prévoyant que les matières premières doivent provenir des zones de montagne françaises pour bénéficier de l’appellation a été jugée discriminatoire à l’encontre des marchandises importées des autres États membres car elle était susceptible de présenter une entrave à la libre circulation des marchandises. Le décret français du 15 décembre 2000 donne la dernière mouture des conditions d’utilisation du terme montagne : « L’aire géographique de toutes les opérations de production, d’élevage, d’engraissement, d’abattage et de préparation, de fabrication, d’affinage et de conditionnement des denrées alimentaires, autres que les vins, et des produits agricoles non alimentaires et non transformés utilisant le terme montagne, de même que la provenance des matières premières entrant dans l’alimentation, doit être située dans une zone de montagne en France répondant aux critères définis aux articles 3 et 4 de la loi du 9 janvier 1985 susvisée4. » Les productions de montagne ne nécessitent plus un signe de qualité pour pouvoir faire état de leur origine. Quant aux denrées issues d’un État membre de l’Union européenne, elles peuvent utiliser librement le terme (art. 4).
14Beaucoup de producteurs montagnards engagés dans des démarches de protection considèrent que cette mention valorisante ne fait que brouiller un peu plus les cartes. Il arrive même que l’attribution de la mention montagne soit franchement discutable : c’est le cas du fromage industriel dénommé « Tartiflette » (ressemblant furieusement au reblochon mais sans avoir à en respecter le cahier des charges) qui a obtenu cette distinction parce que fabriqué en Auvergne !
15La France s’est provisoirement sortie de ce guêpier. Il n’en demeure pas moins que l’usage des noms de lieu reste un épineux problème que les services de la DGCCRF ont du mal à appréhender et dont ils se méfient beaucoup. L’appellation « boudin de Bresse », utilisée à l’occasion d’une action de valorisation des productions locales, a donné lieu à des échanges fournis entre la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et les responsables de l’opération5. Les termes choisis pour rassembler ces produits – Spécialités de chez nous – étaient déjà sujets à caution car susceptibles de laisser croire au consommateur que ces denrées faisaient appel à des matières premières locales. La dénomination « boudin de Bresse », quant à elle, fut examinée sous toutes les coutures. Vu la composition de cette charcuterie (comprenant, outre du sang, de la semoule de blé ou du riz cuits dans du lait, des oignons, des épinards, du gras de porc, de la crème ou du lait entier), n’était-il pas préférable selon cette administration de l’appeler « boudin de Lyon à la crème » ou bien « boudin de Bourgogne » ? Ces deux dénominations sont extraites du Code des usages de la charcuterie, des salaisons et des conserves de viande, ouvrage répertoriant un certain nombre de recettes et servant de référence6. Toutefois, ce code ne prend pas en compte l’ensemble des recettes traditionnelles de charcuterie, ni a fortiori leurs variantes. La recette du boudin de Bresse, un peu différente de celle du boudin de Lyon ou de Bourgogne, n’y est pas répertoriée. Proposer de donner par défaut et de peur d’une utilisation abusive le nom d’une autre région à une charcuterie locale dont la composition, qui plus est, n’est pas exactement la même, montre bien à quelles incohérences peut mener une trop grande méfiance. La dénomination « boudin de Bresse » a fini par être acceptée. Il fallut alors, dans une logique d’indication de provenance, soigneusement mentionner dans le descriptif d’engagement signé par les producteurs que les matières premières provenaient du marché local. Comment fait-on pour s’y procurer les épinards en hiver ?
16La protection présente un impact positif chez les professionnels. Fédérative et structurante, elle amène les différents acteurs à négocier ensemble le devenir des produits visés. Il faut toujours garder en mémoire le rôle qu’elle joue, par essence pourrait-on dire, dans la défense de la typicité des productions agricoles et alimentaires locales et traditionnelles. Sans elle, il y a fort à parier que les produits se réclamant de cette famille et accessibles à l’échelle européenne n’auraient été qu’un pâle reflet de la réalité, soumis à la seule loi du marché et de la concurrence. Mais cette réglementation interroge, du fait même de la nature de ce domaine. La relation entre les caractères des produits et leur prise en compte dans le cadre d’un processus de protection pose des questions nouvelles. La dimension historique est difficile à explorer, mais elle est possible à appréhender, à condition de s’en donner les moyens. L’identification des zones de protection repose sur des critères bien identifiés, qui sont cependant soumis à l’épreuve des différents intérêts en présence et des acteurs appartenant à des sphères qui se recoupent et s’interpénètrent : le politique, le technique, le professionnel et l’économique. Quant aux savoir-faire, ils posent les questions sans doute les plus délicates, car ils doivent être mis en perspective avec une culture locale qui évolue et ils côtoient une notion tout à la fois au cœur des interrogations et peu aisée à cerner : la tradition.
17Ces productions ont longtemps été peu attractives. Le culturel a pu ainsi avoir l’opportunité de se déployer d’une façon relativement préservée de l’économique. Beaucoup « vivaient leur vie » dans un contexte où la tradition de fabrication ou les signes d’identification de l’origine laissaient les opérateurs économiques indifférents... Aujourd’hui, à la fois méconnues et surestimées, elles font l’objet d’une grande prise en considération. La réglementation de protection promue à l’échelle européenne complexifie beaucoup la situation car il s’agit, derrière la protection du nom, de protéger le mode d’obtention et l’origine géographique dans une logique de libre circulation s’accompagnant des procédures de contrôle de la qualité et de l’hygiène. Ce télescopage entre le culturel et le marchand est d’autant plus fort que les produits localisés dans le temps et l’espace agissent dans notre société comme une puissante caisse de résonance.
18Concernant l’identification d’une zone ou la mise au point d’un cahier des charges, ce sont les fondements même du produit qui sont mis à l’épreuve de l’économie et de la culture. Au final, cette négociation, au cas par cas, privilégie certains critères, oriente les choix vers une protection plutôt qu’une autre, révèle une exigence plus ou moins grande pour le maintien d’une identité patrimoniale, facilite ou non le compromis qui permettra à chaque protagoniste de trouver son compte. Et c’est encore cette négociation qui met en musique les différents critères, les fait exister avec plus ou moins de pertinence, au détriment parfois du produit lui-même et de certaines catégories de professionnels, lorsque les forces en présence sont par trop inégales. Encore faut-il que les producteurs aient toutes les cartes en main ; c’est la raison pour laquelle il s’avère opportun d’établir des états des lieux pertinents en amont de toute démarche de protection.
Notes de bas de page
1 Les données lexicographiques peuvent contribuer à mieux cerner une aire liée à un produit. À cet égard, les atlas linguistiques sont de précieux outils, car ils indiquent la façon dont sont nommés des objets de la vie courante dans les parlers locaux. Par exemple, pour la rosette, nous avons utilisé : Gardette et Durdilly, 1976, Atlas linguistique et ethnographique du Lyonnais.
2 Institut national des appellations d’origine, (2003), Guide du demandeur d’Appellation d’origine contrôlée (AOC)/Appellation d’origine protégée (AOP), p. 15 ; Institut national des appellations d’origine et ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 2001, Guide du demandeur d’indication géographique protégée, p. 7.
3 Loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.
4 Décret en Conseil d’État 2000-1231 du 15 décembre 2000 relatif à l’utilisation du terme « montagne », Journal officiel, n° 292 du 17/12/2000, p. 20108.
5 Partenariat entre le Syndicat mixte Bresse-Revermont-Val de Saône et le CNRS, dans le cadre d’un programme européen Leader et du Contrat global de développement Bresse-Revermont-Val de Saône.
6 CTSCCV, 1997, Code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viande.
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