Les créoles
p. 415-420
Texte intégral
1La présence, au sein du chapitre intitulé « variétés et diffusion du français », d’une section consacrée aux créoles pourrait apparaître aux yeux des uns comme superflue ou inutile, et à ceux de certains autres comme attentatoire à « l’autonomie linguistique » de ces langues. Ce choix se justifie cependant tout à fait à la fois par l’origine même de ces parlers qui constituent des formes d’évolutions spécifiques du français, même s’ils sont, en synchronie, des systèmes linguistiques très nettement autonomes, et par le dessein originel de F. Brunot qui avait lui-même largement abordé ce problème et en avait souligné l’intérêt au tome VIII de l’H.L.F. dans les livres IV et V de la troisième partie. Il faut souligner qu’il l’avait fait avec une justesse de perspective et de vue étonnante si l’on songe au caractère lacunaire et limité de l’information dont il pouvait disposer.
2Il n’est cependant pas inutile de rappeler quels sont les pays où sont en usage des créoles français, car F. Brunot n’en fait pas lui-même un recensement exhaustif. On distingue dans le monde deux grandes zones créolophones : la région américano-caraïbe avec la Louisiane, Haïti (autrefois Saint-Domingue), la Guadeloupe (ainsi que ses dépendances : Marie-Galante, la Désirade, les Saintes, Saint-Barthélemy), la Martinique, Saint-Thomas (Îles Vierges), la Dominique, Sainte-Lucie, Grenade, les Grenadines, Trinidad (la Trinité), et la Guyane française ; la zone de l’Océan Indien avec la Réunion (autrefois Île Bourbon), l’Île Maurice (ancienne Île de France qui forme un seul État avec l’Île Rodriguez, la troisième Mascarcigne) et l’archipel des Seychelles. Quoique certains de ces pays n’aient jamais été colonies de la France, la présence de créoles français y est toujours en relation, directe ou indirecte, avec la colonisation française aux xviie et xviiie siècles et il paraît souhaitable de réserver la dénomination « créoles » aux parlers qui se sont constitués à cette époque1.
3Les dernières décennies du xixe siècle sont marquées par un sensible changement des attitudes à l’égard de ces systèmes linguistiques qui, au cours des siècles précédents, n’avaient fait l’objet que de remarques allusives de la part des auteurs de récits de voyages ou de séjours « aux Îles ». Les premiers témoignages sont, en effet, ceux de missionnaires comme le Père Pelleprat qui fournit quelques renseignements sur « le langage des Nègres » aux Petites Antilles (1655) et nous offre quelques exemples de ce parler qui se distingue du « baragouin » des Caraïbes sur lequel nous avons des informations par d’autres auteurs comme Bouton, en 1640, ou Rochefort, en 1658. Durant toute la période qui va du début de la colonisation au milieu du xixe siècle, les créoles sont unanimement considérés comme du « français abâtardi » : « langage de l’Européen, langage volontairement corrompu pour faciliter sa compréhension » (Chevillard, 1659) ; « langage grossier qui n’est qu’une fausse imitation de notre langue » (Chanvalon, 1743) ; « mauvais patois » (Girod-Chantrans, 1785), etc. Toutes ces appréciations qui concernent des parlers différents témoignent d’une large identité de vues et du peu d’intérêt qui leur est porté. Il est communément admis que cet « abâtardissement » de notre langue s’explique par les insuffisances mentales des esclaves qui se sont essayés à l’apprendre et à la parler. La définition que donne du mot créole, en 1869, le Grand Dictionnaire Universel du xixe siècle exprime implicitement ce point de vue et montre que l’existence de parlers créoles dans l’Océan Indien demeure ignorée : « Créole : français corrompu que parlent les habitants des colonies françaises d’Amérique anciennes ou actuelles... Les nègres qui naissent dans les colonies montrent des qualités physiques ou morales presque égales à celles des blancs créoles et supérieures à celles des Africains. » C’est précisément à cette époque que vont se manifester les signes d’une évolution que marque essentiellement l’apparition de descriptions de ces systèmes linguistiques. Le plus souvent, elles sont bien entendu conduites par référence au système français et ne mettent pas toujours en évidence, de ce fait, les traits spécifiques de ces parlers. Par ailleurs, apparaissent les premières études sur les créoles de l’Océan Indien qui vont révéler l’existence d’un ensemble linguistique dont les caractères ne peuvent que difficilement s’expliquer par le recours commode au substrat africain.
4La première de ces descriptions est celle que donne J. J. Thomas (1869, 2.6) du créole français de la Trinité. L’auteur, lui-même créolophone, en dépit de maladresses de méthode du type de celles que nous avons mentionnées, a le mérite essentiel de décrire son parler comme une véritable langue, ce que souligne d’ailleurs le titre même de son livre. La plupart des études qui vont alors se succéder sont l’œuvre de créolophones, le plus souvent blancs, et elles alimenteront, dans les années suivantes, la réflexion et la spéculation des linguistes européeens : A. de Saint-Quentin, Introduction à l’histoire de Cayenne (1872, 2.6) — guyanais — ; J. Thuriault, « Étude sur le langage créole de la Martinique », Bulletin de la Société Académique de Brest (1874) ; Ch. Baissac, Étude sur le patois créole mauricien (1880, 2.6) ; A. Fortier, auteur de nombreux travaux sur le créole louisianais2 ; R. de Poyen-Bellisle, Les sons et les formes du créole dans les Antilles (1894, 2.6). Ces travaux sont d’étendue et de qualité très inégales ; ils offrent néanmoins une information plus sûre et plus complète que les textes écrits en créole par des lettrés qui constituaient, auparavant, les seules sources de renseignements3.
5Ces dernières ne disparaissent d’ailleurs pas et continuent à être un des modes essentiels de connaissance de ces parlers. En effet, dès la seconde moitié du xviiie, mais surtout depuis le début du xixe siècle, s’était développé dans les pays créolophones un courant de littérature créole « burlesque ». La chanson de Saint-Domingue « Lisette quitté la plaine », publiée par Moreau de Saint-Méry (1797), daterait de 1757 et serait la première illustration du « travestissement » créole de genres littéraires français. Le modèle le plus imité est incontestablement La Fontaine dont la première parodie paraît avoir été celle de Chrestien (en créole mauricien, 1820). On trouve des œuvres du même genre dans la plupart des créoles et nombre d’entre elles connaissent plusieurs éditions successives : A. de Saint-Quentin (1872, 2.6), en guyanais ; L. Héry (1883), Esquisses africaines : une première édition des fables en créole réunionnais de ce volume avait été publiée en 1828 ; F. A. Marbot (1885), Fables de la Fontaine travesties en patois martiniquais : ce volume avait déjà connu quatre éditions, la première remontant à 1846 ; G. Sylvain, Cric ? Crac ! Fables de la Fontaine racontées par un montagnard haïtien, 1901. Nous ne mentionnons que les ouvrages de quelque étendue ; on pourrait y ajouter les fables en créole louisianais qu’offrent à cette époque les Comptes Rendus de l’Athénée Louisianais (A. Mercier, 1890 ; J. Chopin, 1896, 1897).
6On peut percevoir d’ailleurs une certaine évolution et, dans un ouvrage comme celui de G. Sylvain, le caractère burlesque s’atténue au profit d’une recherche d’expression littéraire plus proprement créole. C’est le signe de la naissance d’une littérature écrite en créole dont la première illustration est le roman que donne, en guyanais, sous le pseudonyme de Parépou, A. de Saint-Quentin : Atipa, roman guyanais, Paris, 1885. Les œuvres en créole qui ne se rattachent pas à la tradition burlesque demeurent encore rares ; on peut signaler les Poèmes créoles (Haïti, 1905 ?) de J. Lhérisson dont le célèbre roman La famille des Pitite Caille, sans être écrit en créole, fait cependant à cette langue une large place, tant au plan de la description ou de l’évocation de la vie créole, qu’à celui des dialogues reproduits souvent dans cette langue. Cette veine romanesque trouvera sa forme la plus achevée dans l’œuvre de J. Roumain, Gouverneurs de la rosée (1944).
7Il faut également faire une place à la littérature religieuse ou « sacrée ». Quoique de tels textes créoles existent dès le début du xixe siècle, ils deviennent, semble-t-il, plus nombreux après l’abolition de l’esclavage, peut-être parce que les masses créolophones se trouvent alors moins contraintes à la conversion obligatoire. On trouve alors, dans les deux zones créolophones, des traductions ou des adaptations créoles des Évangiles (1894, The Gospel of St Mark, translated in the French patois of the West Indies ; traductions des Évangiles faites en créole mauricien entre 1885 et 1900 par S. H. Anderson) ou de catéchismes (Rouzaud, 1873, catéchisme créole pour Haïti et les autres Antilles ; 1890, catéchisme de Kersuzan en créole haïtien). On doit constater qu’aux Antilles, ces ouvrages sont souvent considérés comme propres à être utilisés dans des pays dont les créoles sont difficilement intercompréhensibles ; on peut donc, de ce fait, avoir quelques doutes sur la valeur de témoignage linguistique de tels textes.
8Les études de folklore demeurent encore, à cette époque, une des sources d’information les plus importantes sur les langues et cultures créoles. Des proverbes, des chansons, des contes des différents pays sont publiés, le plus souvent sous forme d’articles dans des revues scientifiques françaises (Revue des traditions populaires) ou américaines (Journal of American Folklore) comme dans des publications régionales (Comptes Rendus de l’Athénée Louisianais) ; on peut aisément trouver les références de ces travaux dans la bibliographie de J. Reinecke (1975, 0.1). Commencent cependant à paraître des ouvrages plus étendus où la présentation des documents, sans avoir toujours la rigueur d’une approche réellement ethnographique, dépasse déjà largement le stade de l’anecdote : J. J. Audain, Proverbes créoles, Port-au-Prince, 1887 ; Ch. Baissac, Le folklore de l’Île Maurice, 1888 ; L. Hearn, Gombo zhèbes, little dictionary of Creole proverbs, 1885 (créole louisianais) ; A. Fortier, Louisiana studies, 1894 ; A. Fortier, Louisiana folktales, 1895. Par là se trouve esquissé le courant de recherche qui conduira, quelques décennies plus tard, à l’élaboration de la monumentale collection consacrée aux contes populaires des Antilles par E. C. Parsons : Folklore of the Antilles, French and English (1933-1943).
9L’apparition de descriptions assez systématiques et rigoureuses des différents parlers des deux zones, comme le sensible accroissement de l’étendue et de la qualité de la documentation en créole vont favoriser à cette époque le développement d’études théoriques, le plus souvent à caractère comparatiste, sur la genèse et la structure des créoles. Le premier des travaux de ce genre est sans doute l’ouvrage d’A. Van Name4. Les dimensions de cette analyse sont limitées, mais elle présente l’originalité de comparer pour la première fois des créoles issus de diverses langues européennes. C’est surtout après 1880 que va se développer un mouvement d’intérêt très vif pour les études créoles, d’autant plus remarquable que vont s’y engager quelques-uns des plus éminents linguistes de l’époque. L’exemple le plus caractéristique est sans doute celui d’H. Schuchardt qui, entre 1881 et 1914, consacre un nombre considérable de ses travaux à ces parlers. Cette attention passionnée s’explique sans doute par le fait que Schuchardt, comme d’ailleurs plusieurs autres romanistes, espérait mettre en évidence des processus d’évolution linguistique pouvant éclairer les modes et les conditions de formation des langues romanes. Schuchardt lui-même, sur un plan plus général, voyait aussi dans l’étude des « langues de contact » (du « sabir » méditerranéen aux créoles) un champ de recherche particulièrement riche pour l’élaboration et la vérification de ses hypothèses concernant aussi bien les changements et les contacts linguistiques que le rôle et l’importance relative des substrats5.
10Tous les linguistes qui s’intéressent aux créoles ne sont pas d’aussi haute volée ; ils méritent cependant souvent attention. A. de Coelho, à partir d’études portant sur les créoles portugais, élargit son champ d’investigation et essaye de mettre en évidence des traits commun à l’ensemble des parlers (1880). Le rôle des substrats serviles, limité selon lui, serait au contraire essentiel pour L. Adam qui, en 1883, publie Les Idiomes négro-aryens et maléo-aryens, dont l’originalité est d’offrir, pour la première fois, une approche des créoles français des deux zones. En effet, l’analyse des « structures » des parlers guyanais, trinitéen et mauricien amène l’auteur à la conclusion (soulignée par le titre même de son livre) qu’il s’agit là de langues mixtes, le substrat étant africain dans les deux premiers cas, malgache dans le troisième. Quoique les fondements scientifiques d’un tel ouvrage soient fragiles, voire inexistants, il sera, en partie, à l’origine du mythe de la mixité des créoles. Il faut cependant reconnaître à L. Adam le mérite d’avoir souligné que la différence de peuplement servile des deux zones rendait hasardeux le recours à un substrat africain commun ; en fait, l’hypothèse de l’africanité de ces parlers trouvera l’essentiel de ses fondements moins dans des analyses linguistiques que dans le désir très vif de certains auteurs, antillais en particulier, de trouver à ces langues et à ces cultures des racines africaines en contestant, par là même, la relation génétique avec le français. C’est ainsi qu’on en viendra à des formules comme celle de S. Sylvain définissant, contre toute vraisemblance, le créole haïtien comme « une langue ewe à vocabulaire français6 ».
11La plupart de ces travaux ne sont cependant pas des études de terrain et le manque d’informations sûres demeure un handicap considérable pour le développement de ces études ; on voit cependant apparaître les premières bibliographies : H. Gaidoz, « Bibliographie créole » (1881-1882, 0.1) — mais ces travaux s’inspirent, semble-t-il, de l’ouvrage de Coelho — ; Sauzier, « Bibliographie des patois créoles des Mascareignes » (1904, 0.1) ; ce type de recherche prend par là un caractère de plus en plus scientifique. Des méthodes rigoureuses de dépouillement, de traitement et d’analyse des informations sont désormais mises en œuvre. Le gros article de Dietrich, « Les parlers créoles des Mascareignes » (1891, 2.6), illustre parfaitement cette approche nouvelle, mais en même temps en souligne les évidentes limites, puisque l’auteur se livre en particulier à une minutieuse étude phonétique à partir de textes écrits d’auteurs divers dont il doit bien reconnaître l’incohérence graphique. Nous n’évoquerons que pour mémoire les cas d’imposture, heureusement rares, comme celui d’A. J. Verrier dont l’étude continue à être citée, aujourd’hui encore, dans toutes les bibliographies à propos du créole réunionnais, alors que l’auteur décrit en fait le mauricien en plagiant Baissac (« Le patois créole de la Réunion », 1906).
12Les travaux de Schuchardt sont nombreux et variés7 ; en ce qui concerne les créoles français, ils ont porté en partie sur les parlers de l’Océan Indien et ont suscité, en particulier à la Réunion, quelques recherches locales qui visaient, à l’origine, à répondre aux demandes d’information de l’illustre linguiste allemand8. Sans vouloir résumer ses principales conclusions, on peut cependant noter que, selon lui, la genèse d’un créole comporte, préalablement à la créolisation, un stade de pidginisation qui s’opère essentiellement à partir d’une seule langue, par des processus de simplification. Il convient donc, à ses yeux, de ne pas porter au compte des langues africaines, par exemple, des phénomènes qui caractérisent la créolisation en général, ces dernières langues étant souvent trop nombreuses et trop différentes pour constituer un substrat cohérent. Il faut ajouter que le nombre de parlers étudiés par Schuchardt est impressionnant : une vingtaine de créoles issus de différentes langues européennes de colonisation ont été analysés par lui et son œuvre demeure, jusqu’à nos jours, d’une ampleur inégalée.
13Le point de vue exposé quelques années plus tard par A. Meillet n’est pas très éloigné de celui de Schuchardt, mais repose sur une connaissance et une analyse beaucoup plus superficielles de ces parlers9. Meillet refuse lui aussi aux créoles le caractère de langues mixtes et affirme qu’ils sont issus du système français. L’analyse reste cependant un peu sommaire et surtout sous-estime l’autonomie linguistique des parlers en cause, en raison même du caractère « franco-centriste » des descriptions sur lesquelles elle se fonde. Le but de Meillet est essentiellement de mettre en évidence la continuité linguistique par l’étude de la relation entre français et créoles.
14On peut considérer qu’à l’époque envisagée, la plupart des créoles ont à peu près acquis les caractères structurels qu’ils possèdent aujourd’hui. Les grandes immigrations d’engagés africains ou indiens liées au développement de la culture sucrière sont terminées ou sur le point de l’être. Si l’on considère, à titre d’exemple, le créole mauricien, pour lequel on dispose d’une bonne description, celle de Baissac (1880, 2.6), on constate que les points de divergence avec l’usage actuel sont en nombre réduit et d’importance limitée. Il est d’ailleurs caractéristique que parmi les quelques évolutions que nous allons signaler, des traits que nous donnons comme disparus se retrouvent, en fait, chez des locuteurs âgés ou dans certaines régions de l’île, même s’ils sont sortis de l’usage le plus courant :
15On constate que la liste est réduite. C’est dans le domaine lexical que les divergences sont les plus sensibles, en raison en particulier d’apports lexicaux indiens relativement récents et que, de ce fait, le créole rodriguais, très voisin du mauricien pourtant, ne présente pas.
16Les changements les plus importants, à Maurice comme ailleurs, se situent bien davantage au plan sociolinguistique et touchent au statut et aux fonctions des créoles qui, quoiqu’ils jouent encore partout le rôle de langue de statut social inférieur dans des situations de diglossie, connaissent, dans la plupart des cas, un incontestable mouvement ascendant ; or celui-ci conduit, sinon encore à une réelle promotion, du moins à une reconnaissance de leur existence et de leur identité.
17La période 1880-1914 est à bien des égards essentielle dans l’histoire des études créoles. Elle l’est d’abord par le fait que l’intérêt qu’on leur porte désormais n’est pas seulement celui que peut susciter l’étrangeté ou le pittoresque de ces bizarres variétés de français tropical corrompu par l’usage servile ; apparaissent désormais des études qui se veulent objectives et déjà, pour certaines, scientifiques. Certes la plupart pèchent encore par une excessive fidélité au modèle descriptif français qui occulte en partie les spécificités des systèmes créoles. Dans le domaine littéraire, l’évolution est moins sensible et l’essentiel des œuvres en créole demeure parodique, même si se manifestent les premiers signes d’une expression littéraire créole et si les études des folkloristes révèlent l’existence d’une riche tradition de récits oraux. L’essentiel nous semble que, si la linguistique créole n’est pas encore tout à fait née, les linguistes, romanistes en particulier, commencent à percevoir l’extraordinaire champ d’investigation que constituent les domaines créolophones, surtout pour l’étude de l’évolution et du changement linguistiques. Schuchardt a le mérite essentiel d’avoir ouvert une voie où s’engageront par la suite Meillet, Vendryès, Jespersen, ou Hjelmslev. Il reste cependant alors beaucoup à découvrir ; c’est, pourrait-on dire, la linguistique générale qui a découvert l’importance de ce terrain de recherche : au cours du demi-siècle qui va suivre, on prendra peu à peu conscience de l’intérêt considérable que peut avoir pour la linguistique française elle-même l’étude de parlers qui offrent non seulement des renseignements nouveaux sur des aspects à peu près inconnus du français populaire et/ou régional ancien, mais constituent aussi, à des degrés et dans des contextes divers, des formes spécifiques et radicales d’évolution du système linguistique français.
Notes de bas de page
1 Cf. Chaudenson, Les créoles français (1979, 2.6), pp. 23-36 ; cette position est d’ailleurs déjà celle de F. Brunot, quoiqu’il limite un peu abusivement l’usage du terme en ne songeant qu’à des populations serviles d’origine africaine : H.L.F., t. VIII, 3e partie, 1135.
2 Parmi lesquels : A. Fortier (1884-1885, 2.5) (1915, 2.5).
3 On pourra aisément trouver des références plus complètes dans les deux bibliographies spécialisées dont on dispose aujourd’hui : I. Vintila Radulescu, Le créole français (1975,0.1) et surtout A Bibliography of Pidgin and Creole Languages de J. Reinecke, S. Tsutaki, D. De Camp, I. Hancock et R. Wood (1975, 0.1).
4 A. Van Name, « Contribution to Creole grammar », Transactions of the American Philological Association, I, pp. 123-67 (1869-1870).
5 L’œuvre de Schuchardt était tombée un peu dans l’oubli, en partie sans doute en raison du fait qu’elle est presque totalement écrite en allemand. Des études récentes l’ont cependant remise à l’honneur (G. Meijer et P. Muysken, « On the Beginnings of Pidgin and Créole Studies : Schuchardt and Hesseling », in A. Valdman, Pidgin and Creole Linguistics, 1977). Voir dans la Bibliographie générale de ce volume : H. Schuchardt (1882, 2.6) et (1888, 2.6).
6 S. Comhaire-Sylvain (1936, 2.6), p. 178.
7 Voir ci-dessus, note 5.
8 Vinson, 1882 ; Volcy Focard, 1884, Bulletin de la Société des Sciences et des Arts de la Réunion.
9 Meillet évoque le problème des créoles dans un article « Le problème de la parenté des langues », Scientia, 1914, pp. 403-425 ; cette étude est surtout connue parce qu’elle a été reprise plus tard dans Linguistique historique et Linguistique générale (pp. 76-101).
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Histoire de la langue française 1880-1914
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