Quelques faits de syntaxe d’après la littérature à grande diffusion
p. 217-236
Texte intégral
1A la variabilité innovatrice du lexique s’oppose la stabilité relative de la syntaxe : c’est un fait bien connu. Une période de trois ou quatre décennies apparaîtra ainsi comme une réelle unité synchronique. Il est même bien difficile de déceler, comparativement aux décennies antérieures, les nouveautés ou du moins les tendances évolutives – même si l’on donne à la notion de syntaxe son sens le plus large qui en fait un synonyme approché de grammaire.
2Nul doute que la langue littéraire peut durablement innover en matière de syntaxe : à preuve l’emploi dit « pittoresque » de l’imparfait, exploité notamment par les Goncourt, et dont on connaît la fortune dans la langue journalistique d’il y a quelques années. Mais il faut convenir qu’en ce domaine l’évolution vient plus souvent de la spontanéité de l’usage familier. C’est donc la langue parlée qu’il faudrait prioritairement saisir. A défaut de pouvoir le faire, on se rabattra sur la langue de la littérature à grande diffusion, dont il est sûr qu’elle a eu une forte influence sociologique – et partant linguistique. Le choix s’est porté, dans l’immense champ qui reste à défricher, sur les suppléments littéraires du Petit Journal (SPJ) et du Petit Parisien (PP), ainsi que sur le Monde illustré (Monde). Du premier on a dépouillé une année complète (1893) et quelques fascicules postérieurs ; du second les numéros de janvier à juillet 1890, du troisième un trimestre (juillet-septembre 1896). A quoi on a ajouté, dans le foisonnement de la littérature « populaire », quelques ouvrages dont le succès a été marquant et quelques autres distribués en prix dans les écoles communales ou les lycées (comme Le Parrain de Cendrillon) ou dont la lecture a alimenté durant toutes ces décennies les exercices scolaires (Le Tour de la France par deux enfants). Hâtons-nous de dire qu’en dehors de la diffusion, qui a été considérable, on chercherait en vain dans tout cela quelque unité. Grande est la distance entre telle page de Pierre Loti parue au SPJ ou telle nouvelle de Guy de Maupassant donnée au PP et la chronique d’un Simon Levai (SPJ), le « Courrier de Paris » de Pierre Véron (Monde) ou encore le naïf « bulletin orphéonique » de E. Mas et les conseils culinaires de « Cousine Jeanne » (SPJ).
3Pourtant, on est frappé, dans l’ensemble, par une réserve, une timidité rhétorique, des maladresses toutes scolaires. Elles donnent tout leur prix aux hardiesses des rares passages où se réflètent la langue familière et l’usage parlé. Permanences et survivances : voilà ce qui l’emporte -et de beaucoup- sur des innovations bien timorées.
I) Permanences et survivances
A) Permanences
4Les tendances classiques et rhétorisantes d’une langue qui se ressent de l’apprentissage scolaire du latin apparaissent aussi bien dans la syntaxe du nom, dans celle du verbe que dans la construction de la phrase.
1) Syntaxe du nom et du pronom
a) Articles
5• L’article défini peut encore apparaître devant les noms géographiques féminins ou masculins à initiale vocalique, dans l’emploi de complément adverbial ou de complément déterminatif : à la Chine pour en Chine ; de la France pour de France. Littré mentionne aller à la Chine, mais ajoute : « on commence à dire de préférence : en Chine » :
... ils sont originaires de la Chine (T. F. deux enfants, 168)
... un désert de l’Afrique. (T. F. deux enfants, 179) dans l’Auvergne (T. F. deux enfants, 129)
... le plus beau de l’Europe,... (T.F. deux enfants, 85)
6• L’article des précède quelquefois l’adjectif :
je veux des beaux enfants... (Gyp, 59)
... poussant des petits cris de souris... (SPJ, 1893, 173)
Il lui semble que c’est bien des grands mots pour un coup de pelle. (Line, 205)
7Mais de l’emporte. La préposition s’impose aussi, devant l’adjectif, pour rendre la valeur partitive :
Voilà de bonne besogne (Line, 44)
Quand les idées auront avancé, elles supprimeront de certains faits,... (SPJ, 1893, 322)
8Elle est de règle en phrase négative, interrogative, voire exclamative :
A-t-on échangé de souhaits durant la semaine qui vient de s’écouler ! (PP, 5. 1. 90, 2)
9Des peut avoir valeur indéfinie :
Des gens l’ont trop oublié en 1870-71 (SPJ, 1893, 346)
10• L’absence d’article obéit aux règles actuelles ; en dehors de l’emploi prépositionnel (en fer), attributif (être reine) ou locutionnel (avoir peur), elle paraît avoir déjà une couleur archaïsante :
Jamais peut-être voix plus émue n’a plaidé la cause du prolétaire avec une éloquence plus passionnée (SPJ, 1893, 397)
il n’est grande fête officielle sans une représentation de gala à l’Opéra (SPJ 1893, 343)
Il n’est bruit, depuis quelque temps, que d’un fait étrange : ... (PP, 6. 4. 90, 7)
En cette maison vous trouverez fille à marier. (SPJ, 1893, 334)... ne parlons pas commerce... (SPJ, 1893, 314)
... qui n’a jamais rêvé que batailles, que destructions, que carnages (PP, 23. 3. 90, 2)
11On notera quelques locutions aujourd’hui désuètes :
... à qui il donne mauvais exemple. (SR, 33)
... vous donnerez prétexte à quelque mauvaise affaire. (SPJ, 1893, 314)
... nous pourrions prendre leçon des Allemands (SPJ, 1893, 330) c’est grand hasard si... (T.F. deux enfants, 258)
Les chevaux normands, dont la ville de Caen fait grand commerce,... (T. F. deux enfants, 247)
C’est ce qui s’est passé en Égypte où l’Angleterre a si gros intérêt à avoir la haute main sur tout. (SPJ, 1893, 48)
Oui, chaque famille riche devrait se charger ainsi d’un enfant pauvre et j’ai idée que ce serait le meilleur socialisme qu’on pût prêcher (SPJ, 1893, 14)
b) Autres déterminants et pronoms
12• Le démonstratif s’accompagne fréquemment de là ; c’est peut-être une des caractéristiques de la syntaxe nominale de l’époque :
Cette supériorité-là est celle que... et cette cause-là n’a garde d’exister... (SPJ, 1893, 226)
... il n’y a aucun motif d’autoriser cet écart-là [« un tel écart »] (SPJ, 1893, 174) Il ne le connaîtra pas ce vingtième siècle-là, ce pauvre palais de l’Industrie. (Monde, 18)
13On trouve aussi : ceux-là qui/que, apparemment sans valeur emphatique particulière :
... ceux-là qui avaient parlé de Versailles...
Ceux-là que charment ces perspectives... (Monde, 98)
14• Pour les indéfinis, on notera
15– l’emploi encore possible de certain sans article :
Il y avait certain livre de piété intitulé... (SPJ, 1893, 394) Mais certain jour il advint que... (SPJ, 1893, 402)
C’est presque la consistance de certaine substance dont le maniement est interdit : ... (Line, 191)
16– La fréquence de quelque :
On lui amena une petite ouvrière, un air doux et simple, quelque couturière ou quelque fleuriste. (SPJ, 1893, 10)... mais son oeil, triste encore, semblait attendre d’André quelque autre chose. (T.F. deux enfants, 10)
17– l’emploi pronominal (et non nominal) de quelqu’un pour l’inanimé :
D’abord, je regarde les jolis visages et, dès que j’en ai découvert quelqu’un, je ne sais plus m’en éloigner. (SPJ, 1893, 66)
Tant qu’elle a eu en poche la pièce de six sous ou quelqu’une de ses subdivisions monétaires, Line... (Line, 109-110)
18– la souplesse de n’importe :
semez n’importe dans quel vase... du blé, de l’orge... (SPJ, 1893, 230)
Il ne faut pas faire de cadeaux à tort et à travers, n’importe à qui, hors de propos. (SPJ, 1893, 230)
19– la valeur indéterminée de un... quelconque (« quelque ») :
Connaissez-vous une femme qui ne se plaigne pas d’un malaise quelconque ? (SPJ, 1893, 14)
Après le crime, Eyraud se rendit dans les bureaux de l’huissier Gouffé, rue Montmartre, afin d’y voler des papiers, mais, dérangé par un bruit quelconque, il eut peur et prit la fuite. (PP, 2. 2. 90, 7)
Les retardataires du matin auront le loisir [dans le wagon-bar] de pouvoir utiliser la demi-heure de trajet en savourant leur chocolat ou un petit déjeuner quelconque,... (Monde, 131)
20– la possibilité de tout... quelconque :
... il était interdit... d’enclore sa propriété et tout terrain quelconque de murs, haies ou fossés. (SPJ, 1893, 282)
21– La post-position courante de aucun construit avec sans :
La caisse est tout simplement vernie sans peinture aucune. (Monde, 131)
22• Dans un tableau aussi rempli de tours aujourd’hui vieillissants, chaque pour chacun fait figure d’exception rarissime :
... deux trains d’une vingtaine de voitures chaque... (Monde, 21)
c) Pronom personnel
23L’emploi de on pour nous remonte au moyen français. On ne s’étonne donc pas de le voir largement attesté :
Chérie, on s’est encor très mal quittés. Pourquoi ?
Mais pourquoi ? On s’était promis, l’autre jour,
de toujours bien s’aimer ! (Toi et moi, 60)
24Ce qui frappe bien plus, s’agissant de on, c’est la diversité toute classique de ses emplois :
25• on pour ils :
L’enfant et la bonne vieille avisèrent un banc à l’écart sur une place, et l’on s’assit pour se reposer en mangeant une belle pomme que la marchande avait offerte à Julien. (T.F. deux enfants, 50)
Mlle Pulchérie était fort inquiète ; mais on ne lui donna pas le temps de gronder, tant on l’accabla vite sous le fardeau des grosses nouvelles qu’on rapportait. (Cendrillon, 196)
26• on pour je :
Et donnez-moi vos mains, vilaine,
et mettez vos yeux dans les miens.
Si vous saviez comme on vous aime ! (Toi et moi, 57)
27La néologie est plutôt du côté de nous, dans le tour nous deux mon frère :
Voul’-vous qu’on joue au radeau, tous les quatre ?... Ça sera plus amusant qu’nous deux ma sœur ? (Gyp, 89)
2) Syntaxe du verbe
a) Emploi des temps
28• D’usage quotidien, le passé simple et le passé antérieur se rencontrent à toutes les personnes, dans le dialogue aussi bien que dans le récit :
Lorsque nous apprîmes, il y a quelques jours... (SPJ, 1893, 327)
Vous laissâtes faire. (SPJ, 1893, 314)
Ce chapeau démodé, ce chapeau d’autrefois,
fut ton chapeau ? Tu es bien sûre ?
Et toutes ces vieilles figures,
ce sont les gens qui te connurent
avant moi ?
(Toi et moi, 17-18)
En un instant, les deux hommes l’eurent ligotté [sic],... (SPJ, 1893, 173)
29• De même l’imparfait du subjonctif, soit par concordance, soit dans le sens d’un « conditionnel présent » (pour être et avoir) :
... Vous mériteriez que je vous crevasse les yeux ! (Cendrillon, 17) De cette magnifique apothéose, nous avons voulu que nos lecteurs conservassent un souvenir ; ... (SPJ, 1893, 16)
Elle avait voulu que son mari et son fils l’accompagnassent au Bon Marché... (SPJ, 1893, 34)
Fallait-il donc que disparussent, frappés subitement, étrangement, tous ceux sur qui nous pouvions fonder notre espoir ? (SPJ, 1893, 327)
N’eussé-je que cette gloire-là, je m’estimerais encore heureux (Cendrillon, 212)
30• De même encore le plus-que-parfait du subjonctif, soit après si ou comme si, soit dans le sens d’un « conditionnel passé » :
... Comme si une main invisible les eût secoués. (T.F. deux enfants, 46)
Pourtant, il m’en souvient, autrefois je les eusse bien ardemment aimés. (Cendrillon, 254)
Ils lui eussent ordonné de s’ouvrir les veines, pour le plaisir de voir couler son joli sang rouge, qu’elle se fût déchirée avec joie. (Cendrillon, 12)
... les bonbons qu’il eût achetés n’eussent certes pas valu ceux qu’il m’a portés (SPJ, 1893, 226)
... et je veillerai sur lui comme vous l’eussiez fait vous-même. (T.F. deux enfants, 10)
31• Cependant, le récit peut se conduire entièrement au passé composé, notamment dans le compte rendu journalistique :
Dans la nuit, l’escadre a été rejointe par la première division... Vers deux heures de l’après-midi, M. Félix Faure a débarqué à Brest... Après une visite à l’hôpital maritime, il y a eu un banquet offert par la ville. (Monde, 102)
32• Et malgré tout le passé simple vieillit. A preuve tel exemple où il cède indûment la place (sans valeur répétitive) à l’imparfait :
La police est arrivée une heure après que tout était terminé. (Monde, 130)
33• Au contraire, l’imparfait dit « pittoresque » est désormais tombé dans le domaine public. Voyez la première phrase du Tour de la France par deux enfants (p. 5) :
Par un épais brouillard du mois de septembre, deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine.
34ou encore :
Quelques heures après être partis de Paris, et après avoir traversé Chartres, célèbre par sa belle cathédrale gothique, nos voyageurs descendaient du chemin de fer. (T.F. deux enfants, 299)
A deux heures, le Président s’embarquait à son tour à bord du même bâtiment qui allait bientôt mouiller en rade. (Monde, 83)
Quoi qu’il en soit, leurs racontars émurent les braves soldats chargés sur le sol étranger de défendre l’honneur du drapeau national, le commandant de la place de Melilla ordonna une sortie imprudente et bientôt il trouvait la mort au milieu de ses troupes. (SPJ, 1893, 367)
35• Les temps surcomposés s’emploient rarement et toujours dans les conditions syntaxiques du passé antérieur (en proposition temporelle, avec certains adverbes de temps...) :
et dès qu’ils ont eu mis le pied sur la terre française, les Russes ont pu avoir une idée de... (SPJ, 1893, 335)
Line a eu vite fait de prendre la mesure de Mademoiselle... (Line, 130) Bien au contraire, Line ne l’a pas eu plus tôt accompli qu’elle s’est sentie toute soulagée et satisfaite. (Line, 96)
36• Les besoins journalistiques imposent aussi le « conditionnel » de l’information incertaine :
Il avait alors appuyé la main sur le bouton de la sonnerie électrique pour avoir du secours, mais Mme Wittorska, revenant à elle, lui aurait dit : ... (PP, 1. 6. 90, 8)
37• Enfin certaines périphrases verbales, d’usage courant à l’époque, ont depuis beaucoup vieilli :
... lorsqu’un charpentier vint à tomber d’un échafaudage. (T.F. deux enfants, 9)
... la pauvre fille se prit à pleurer. (T.F. deux enfants, 61)
Elle riait d’un rire navré, elle pensa se jeter dans ses bras,... (SPJ, 1893, 10)
Il a manqué m’fiche du plomb tout à l’heure !... (Gyp, 64)
Le pauvre gars était à s’amuser dans les rochers (SR, 122)
Il y a quinze ans, lors de l’expédition du Tonkin, un personnage connu allait répétant : ... (SPJ, 1900, 258)
... la Garonne alla s’élargissant de plus en plus... (T.F. deux enfants, 213)
b) Constructions verbales
38On relève des constructions anciennes, tombées depuis en désuétude ou totalement disparues :
39• aider à qqn à :
pour leur aider à digérer plus facilement la boule de son ou la légendaire brioche,... (SPJ, 1893, 166)
... il lui aidait à écosser sa récolte de haricots. (T.F. deux enfants, 40). Construction encore usitée dans les régions méridionales et, sous l’influence germanique, dans l’Est.
40• aimer à faire qqc. :
J’aime toutefois à penser que... (SPJ, 1893, 170)
41• aimer à ce que :
Oui, tu aimes à ce que je te fasse honneur... (PP, 12. 1. 90, 2)
42• commencer à faire qqc., « par » :
Je commencerai à m’adresser à son mari (SPJ, 1893, 86)
43• commencer de faire qqc. :
(l’heure où)... les sorcières commencent de danser dans les halliers. (Line, 216)
44• espérer de faire qqc. :
... on ne peut guère espérer de traiter ainsi des quantités énormes... (Monde, 22)
45• essayer de qqc. :
Tu as essayé de mon secret, Hassan, lui dit-elle ; ... (SR, 61)
Nos amis essayent d’un nouveau moyen de locomotion. (Famille F., 33)
46• être paresseux à faire qqc. :
Il ne faut jamais être paresseux à écrire quand on doit le faire. (T. F. deux enfants, 41)
47• forcer de faire qqc. :
Julien (...) la força de s’asseoir. (SPJ, 1893, 10)
48• s’informer à qqn de qqc. :
Ils marchaient depuis une bonne demi-heure et n’avaient encore rencontré personne à qui s’informer du chemin ; ... (T.F. deux enfants, 100)
49• se mêler de, « à » :
... et de temps en temps les bœufs ou les moutons se mêlaient aussi du concert. (SR, 147)
50• menacer qqn de qqn :
La concierge, celle qui m’avait menacée des gendarmes, ... (Cendrillon, 251)
51• se périr :
Mlle Merruau vient de se périr ; ... (SPJ, 1893, 10)
52• persuader à qqn de faire qqc. :
... je persuadai au père Button de transporter son fumier dans un coin du jardin (SR, 12)
il a réussi à leur persuader que... (SPJ, 1893, 362)
53• raisonner qqc. :
... parce que je raisonnais ce que je faisais... (SR, 11)
54• rappeler qqn à qqc. :
... M. Blampignon rappela ses jeunes compagnons au but du voyage... (Cendrillon, 172)
55• se sentir qqc. :
... je lui demandai s’il ne se sentait point la fièvre... (SR, 48)
56• servir faire qqc. :
A quoi sert me turlupiner à mon tour, ... (Monde, 18)
c) Compléments adverbiaux
57• Quelques locutions prépositives anciennes restent en usage. Ainsi :
... l’heure (...) où les bêtes féroces errent alentour des tanières... (Line, 216)
Cinq minutes après, Jack et Line cabriolent sur le sable alentour de l’animal, ... (Line, 131)
... Annette voulait le placer vis-à-vis le lit pour le voir dès le matin en s’éveillant... (SR, 9-10)
... une chambre... qui était située vis-à-vis la forge... (SR, 132). Pierre en tira un troisième pour Camille de dessous le théâtre. (Cendrillon, 74)
Il fut alors convenu entre eux que Châtaignette irait à Nevers en octobre, au lieu et place du père Ducroy (P. march. de marrons, 9)
En outre des œuvres précédemment citées on doit à Edmond de Goncourt... (Monde, 54)
... que ceux qui ont forfait au devoir et à l’honneur, quand ils devaient, à raison de leur haute situation, fournir le bon exemple à ceux... (SPJ, 1893, 18) sous peine de la vie (PP 6. 4. 90, 2)
Quant à présent du moins. (SPJ, 1893, 322)
58• De peut avoir encore le sens pleinement causal (« à cause de ») :
C’est l’heure douteuse où de la lumière confuse une petite angoisse vient au cœur, ... (Line, 215)
59• Les prépositions en et dans paraissent avoir une extension qu’elles ont perdue :
Mme de Chéligny chante en perfection... (SPJ, 1893, 36)
« ... nous serons mieux pour causer dans l’intérieur, ... » (Cendrillon, 187)
Vous parlez sérieusement dans ce moment-ci ? (Gyp, 39)
dans ces derniers temps... (SPJ, 1893, 218)
60• A noter aussi l’emploi prépositionnel fréquent de aussitôt :
... la partition (...) éditée aussitôt la première représentation... (SPJ, 1893, 270)
61– et l’ancienne construction après + subst. + part, passé :
Un soir qu’il en jouait [de la flûte], après la forge fermée, le père Harrison... (SR, 135)
62• Les adverbes et locutions adverbiales appellent peu de commentaires. On mentionnera cependant :
63– l’adverbe alentour :
Je tourne et retourne alentour, comme certaines plantes autour du soleil. (SPJ, 1893, 66)
64– tantôt au sens de « bientôt » :
... voilà tantôt cinq mois qu’il est parti. (T.F. deux enfants, 181)
65– tôt au sens de « aussitôt » :
... pourchassée par toutes les troupes de la région tôt mobilisées. (Monde, 138)
66– ne... guère au sens de « pas grand-chose » :
Un mois seulement pour connaître le mari qu’on prend pour toute sa vie, ce n’est guère, surtout quand... (SR, 7)
67– l’emploi adverbial de matin :
... il vous prendra dans sa voiture si vous allez le trouver assez matin. (T.F. deux enfants, 34)
68– avec ensemble « sans exception », qui paraît être un régionalisme :
... on se plaint de lui [de l’estomac] avec ensemble. (SPJ, 1893, 366)
69• Dans la classe des conjonctions et locutions conjonctives, outre vu que (SR, 91, Monde, 61) et durant que (Line, 9), aujourd’hui vieillies, on relèvera la variété d’emploi de que ; mais ce n’est pas propre à l’époque :
Des livres, des cahiers, de l’encre, et des crayons, que ça n’en finissait plus ! (SPJ, 1893, 74)
Tout le monde était monté dans les wagons, que l’enfant restait hésitante sur la chaussée, ... (Cendrillon, 50
Mademoiselle est partie que maman continue sur le même mode. (Line, 80)
Notre maison marcha bien comme cela jusqu’en 1846, qu’Annette fut demandée par le père Button pour le plus jeune de ses fils... (SR, 6)
c’est donc bien gai là-bas que tu m’oublies ? (Toi et moi, 108)
« ... Est-ce qu’il est Breton, qu’il a appelé sa barque la Bretonne ?... » (SR, 113)
70On est frappé aussi par la souplesse toute classique de la coordination :
... si elle accepte d’obtempérer à l’invitation qui lui est signifiée, ce n’est pas avec une hâte irréfléchie ou qu’elle éprouve aucun sentiment exagéré de confusion... (Line, 4)
71De tels exemples cependant sont rares.
d) Négation
72• L’emploi sans ne en « situation forclusive » (phrase interrogative, hypothétique, principale négative...) reste tout à fait usuel et sans la nuance archaïsante, très forte pour rien, moins forte pour jamais, que l’on ressent aujourd’hui :
Est-ce que je saurais jamais faire rien de pareil ? (Cendrillon, 235)
Savez-vous rien de plus triste que ce spectacle... (PP, 12. 1. 90, 3)
Et avant que Marie David ait pu rien dire... (PP 19. 1. 90, 7)
Je ne veux pas qu’elle accuse personne. (Cendrillon, 43)
Je n’avais pas besoin de rien vous demander... (SR, 171)
Je ne crois pas que jamais la tourbe de ces parasites criminels de notre état social ait grouillé avec plus d’intensité et d’impudence qu’aujourd’hui. (SPJ, 1900, 258)
Il ne faudrait pas comprendre la signification du mot savoir-vivre pour supposer que l’« usage » puisse nous forcer en aucune circonstance à manquer aux lois du sens commun (SPJ, 1893, 174)
... incapable de rendre service à personne (SR, 181)
... et qui me défend absolument de rien changer au programme affiché le premier jour... (Cendrillon, 207)
Il m’est impossible de leur faire aucune réponse sérieuse. (SPJ, 1893, 38)
... [les manches] des corsages étant devenues tellement importantes qu’on renonce à les loger sous l’enveloppe d’aucun manteau léger. (SPJ 1893, 30)
73• Plus rarement, le forclusif se construit sans de devant l’adjectif indéfini autre :
il ne restait plus devant eux rien autre chose, ... (T.F. deux enfants, 276)
En 1842, cette terre n’appartenait à personne autre qu’aux belliqueuses tribus canaques qui... (SPJ, 1893, 370)
74• Point paraît quasiment aussi vivant que pas :
Oh ! ne hoche point la tête. (Cendrillon, 208)
Sa lettre était bien humble, et point maladroite... (SPJ, 1893, 10)
– Point du tout, dit André. (T.F. deux enfants, 48)
75et l’on relève aussi non plus que, aujourd’hui bien vieilli :
Je ne vais pas compter parmi les oiseaux de Paris ceux du Jardin des Plantes ou des oiseleurs du quai, non plus que les grues du trottoir, ... (SPJ, 1893, 165)
76• Le ne explétif s’omet rarement :
Tout le monde est d’avis qu’il est impossible de mieux voir Paris qu’on ne l’a fait et... (Famille F., 42)
77Il arrive même qu’il s’étende à la phrase négative comportant aussi :
On voudra bien remarquer que jamais sous les « tyrans », soit royaux, soit impériaux, les soulèvements populaires n’ont été écrasés par des répressions aussi meurtrières que ne le furent, en 1848 et 1871, les mouvements républicains châtiés par la République. Dame ! Qui aime bien châtie bien... (SPJ, 1898, 210)
3) Syntaxe de la phrase
78Impossible de rendre compte ici de la diversité des phrases. Mais un des modèles que visiblement les auteurs se proposent est la phrase qui équilibre les deux parties mélodiques, montante et descendante. Ainsi ces passages du Tour de France par deux enfants :
Et les deux orphelins, perdus au milieu de cette grande et triste solitude de la montagne, élevèrent dans une même prière leurs jeunes coeurs vers le ciel (23). Réconforté par ce souvenir plus puissant que tous les obstacles, priant l’âme de son père de leur venir en aide dans ce voyage vers la patrie perdue, il sut mettre à attendre le même courage qu’il avait mis à agir. (23)
Et tous les trois, se recueillant en face du vaste horizon des Alpes silencieuses, qui étincelaient maintenant sous les pleins rayons du soleil, élevèrent dans une même prière leurs âmes jusqu’à Dieu. (87)
79Au demeurant, on ne craint pas les reprises oratoires :
Mais, répétons-le encore, il est indubitable que, si réellement une conspiration à tir continu est organisée contre la vie des souverains, empereurs, rois, chefs d’État à n’importe quel titre, il est, dis-je, indubitable que le « service international de police », dont il a été plus haut question, ne soit, lui aussi, organisé (SPJ, 1900, 258) Camille, affligée de l’impression qu’elle causait, et ayant l’angoisse d’un second baiser à donner, Camille, qui se sentait déjà ravie d’avoir embrassé sa petite soeur, et qui s’était dit qu’elle voulait se faire aimer de son petit frère, Camille suppliant et avançant les lèvres pour bien montrer qu’il ne s’agissait que d’une caresse, prit le bord de la barcelonnette à deux mains, et s’y cramponna. (Cendrillon, 10)
80ni les inversions hardies, avec ou sans reprise pronominale :
... très coupable est un homme qui... (SPJ, 1893, 301)
Et nombreux, trop nombreux ils sont, ces gens-là ! (SPJ, 1893, 170)
B) Survivances
81Alors que tout ce qui précède appartient peu ou prou à l’usage ordinaire, certains faits, rares en comparaison des faits concurrents, apparaissent comme plus ou moins archaïsants.
1) Syntaxe du pronom personnel
82a) Ainsi, le pronom personnel peut précéder le groupe verbal au lieu de s’adjoindre à l’infinitif ; mais la construction moderne l’emporte de beaucoup :
Qui l’eût pu croire ? (Line, 203)
... pour qu’on le veuille pratiquer une fois de plus. (Monde 18)
Cette note gaie... faut-il l’aller chercher là-bas au pied des Alpes... ? (SPJ, 1893, 218)
... le projet qui nous doit doter d’un Théâtre Lyrique... (Monde, 18)
... il nous va falloir renommer dare-dare une Chambre des députés... (SPJ, 1893 242)
Les femmes et les hommes coquets ont le tort immense de trop étudier leurs défauts physiques, de les vouloir guérir à toute force (SPJ, 1893, 382)
... ils estiment qu’ils se doivent faire redouter. (SPJ, 1893, 224)
... le lit le plus sauvage qui se puisse imaginer (T.F. deux enfants, 209)
Seulement on n’y peut rien laisser... (T.F. deux enfants, 224)
Si le képi mérite d’être chanté par les poètes, on n’en peut guère dire autant du chapeau haut de forme. (PP, 20. 4. 90, 2)
... tu n’en pourrais suivre de plus pittoresque... (T.F. deux enfants, 210)
83De même en tournure impersonnelle :
mais en France les émotions sont vives et peu durables, il n’y faut pas que rien se prolonge trop longtemps. (SPJ, 1893, 373)
84Cette syntaxe autorise l’effacement de l’infinitif en phrase coordonnée :
On avait cru que l’état d’avancement de la moisson permettrait de hâter l’entrée en campagne. Et sans doute on l’aurait pu, mais... (Monde, 98) [« on aurait pu la hâter »]
85– là où la syntaxe moderne conduit à l’effacement de l’auxiliaire ; dans l’exemple suivant, cet effacement paraît hardi, à cause de la négation :
il doit être mis au lit et ne le quitter qu’au bout de douze à quatorze heures. (PP, 12. 1. 90, 8)
86b) Les pronoms non prédicatifs (pronoms « conjoints ») peuvent être séparés de l’infinitif par des adverbes :
Je veux d’ailleurs... vous bien rassurer. (Cendrillon, 265)
... assez pour (...) se bien rendre compte de... (SPJ, 1893, 282)
... tout juste assez pour ne pas avoir l’air de se trop moquer du public... (SPJ, 1893, 245)
87– notamment par l’adverbe négatif :
Les obèses feront sagement de n’en pas abuser. (SPJ, 1893, 310)
... il serait messéant de n’y pas être allé... (SPJ, 1893, 210)
... afin de ne la point oublier. (SPJ, 1893, 322)
... il est infiniment plus sage de ne les point admettre à... (SPJ, 1893, 166)
Il fallait même n’en plus sortir jamais. (SPJ, 1893, 213)
88c) Enfin les pronoms en et y renvoient encore facilement à l’animé, même aux deux premières personnes :
-... vous pensez à moi en parlant ainsi ?
- Oui, j’y pense. (Cendrillon, 154)
89- Qu’est-ce que tu penses de moi (...) ? Je suis sûre que tu en penses du mal (Line, 250)
Quant à sa mère, elle ne voulait pas y songer. (Cendrillon, 39)
En effet, je la regardais, et je ne pouvais pas en détacher mes yeux. Annette avait toujours été une jolie fille... (S. R., 14)
2) Syntaxe de la négation
90a) La postposition du « forclusif » par rapport à un auxiliaire à l’infinitif reste fréquente :
Elle regrettait de ne l’avoir pas retenu. (Cendrillon, 60)
il est assez fort [le costume d’hiver] pour supporter de n’être pas doublé. (SPJ, 1893, 397)
J’ai déjà déclaré ne vouloir pas me mêler ici des... (SPJ, 1893, 362)
... cette souffrance de ne pouvoir plus faire sa toilette (Pierre Loti, SPJ, 1893. 79)
91b) En revanche les quelques exemples de pas sans ne en phrase interrogative apparaissent comme tout à fait désuets :
Voilà-t-il pas un grand malheur, parce qu’on gobelotte une bonne fois à leurs dépens ! (PP, 4. 5. 90, 7)
Vaut-il pas mieux que je parte ? (SPJ 1893, 11)
« ... Dirait-on pas que... » (SPJ, 1893, 266)
... « Qu’as-tu fait, barbare,
Es-tu pas de France et de Navarre
Le garçon le plus malfaisant ? » (SPJ, 1914, 109)
3) Syntaxe du relatif
92a) Le pronom relatif qui, précédé de préposition, peut avoir pour antécédent, comme dans la vieille langue, un substantif de l’inanimé (ou de l’animé non humain) :
... la glycérine ne ride pas, -à moins de rencontrer exceptionnellement un épiderme à qui elle ne convienne point. (SPJ, 1893, 166)
Catherine (...) se relevait comme une pauvre plante à qui on verse généreusement l’eau et la lumière. (SR. 190)
... des ailes du papillon à qui elles donnent vie. (SPJ, 1893, 362)
... ces bêtes ont pour lui une prédilection injustifiée. La première sur qui Line mettra la main paiera pour toutes. (Line, 189)
93b) Quant au relatif sans antécédent, il n’est pas beaucoup plus attesté que dans la langue littéraire d’aujourd’hui :
« J’élève mes enfants comme il me convient, dit-elle. Mais je ne dois rien à qui n’est pas à moi. » (Cendrillon, 111)
Il envoie gratuitement l’exposé scientifique de sa découverte à qui lui en fait la demande. (SPJ, 1900, 260)
4) Autre archaïsme littéraire
94Que si en tête de phrase (Imitation de quod si ?) :
Eh bien ! Nous exigerons trois concurrents s’il le faut pour les hautes divisions, mais ce que nous ne voulons plus, c’est être dupes. Que si les « excellences » nous boudent, nous nous en passerons. (SPJ 1893, 246). Toutefois, les organisations de ce genre ne peuvent réussir pleinement qu’à la condition de rencontrer, dans tous les groupes participants, la même bonne volonté jointe à une égale somme de travail. Que si, par exemple, dans un ensemble réunissant trois chorales et une société instrumentale, il se trouvait seulement un directeur négligent ou indifférent, le succès général serait certainement compromis. (SPJ, 1893, 358)
II) Hardiesses et... maladresses
95A côté de cette surabondance de traits littéraires et archaïsants, les quelques écarts paraîtront bien timides. La plupart au demeurant se relèvent dans les passages de langue parlée ou de langue populaire. Ailleurs on notera sans doute quelques tendances innovatrices, mais à peine perceptibles. Et il faut convenir que les maladresses l’emportent de beaucoup sur l’invention.
A) Hardiesses de la langue parlée et du langage populaire
96On enregistre d’autant plus volontiers les hardiesses de la langue parlée et du langage populaire. A vrai dire, aucun des faits consignés ici n’est propre à la période étudiée. Mais on verra au moins que ce sont des traits encore en usage dans le français familier ou populaire d’aujourd’hui.
1) Effacements
97a) Absence du pronom personnel :
Le colonel grognait :
- Ferait mieux d’essuyer les capsules (SPJ, 1893, 191)
Monsieur !... Monsieur !... Faut jamais blasphémer. (Gyp, 42)
« Voyez-vous, mam’selle, moi, n’y a que ça pour me remettre d’aplomb. » 5Famille F. ? 105)
98b) Absence de ne :
J’peux pas, y a pas force majeure (Famille F., 98)
- J’ai pas le temps, bourgeois, j’vas remiser. (Famille F., 31)
- Ecoutez, vu la situation, j’vous demandrai rien pour le service. (SPJ, 1893, 67)
Mais j’pensais point qu’elle partirait si vite... (Gyp, 3)
2) Hésitations sur l’auxiliaire, notamment au pronominal
S’ils [les sourcils] ont tombé à la suite de rougeurs, pellicules ou autres affections de la peau... (SPJ, 1893, 390)
Alors je m’ai dit que je me torcherais le pif dans la soie. (SPJ, 1893, 166)
J’m’ai laissé arracher ma dent (PP [Gyp], 9. 3. 90, 6)
3) Syntaxe de l’interrogation
99a) L’inversion à vrai dire reste courante en langue orale soignée :
« Ah ! ah ! les voyez-vous, ces méchants-là ! » crie la troupe des lycéens. (P. march. de marrons, 12)
- Le jures-tu, quoi qu’il arrive ? (SPJ, 1893, 5)
100Et certaines des formes paraîtraient aujourd’hui bizarres :
Sera-ce plus difficile qu’un examen ? (Cendrillon, 250)
-... Et d’abord, sont-ce bien des concurrents ? (Gyp, 246)
101b) Mais chaque fois qu’il s’agit de rendre la langue familière, on est frappé par la généralisation du que « universel » doublant le mot interrogatif :
Qui qu’ c’est qui gagne ? (Gyp, 138)
Quoi qu’ y-t’faut encore ? (Gyp, 83)
J’ai demandé à maman quoi que c’était « pubidond »... (PP [Gyp], 9. 3. 90, 6)
En quoi qu’ c’est abominable ? (Gyp, 181)
Lequel qu’ c’est ? (Gyp, 138)
Où qu’c’est qu’il est Roué ? (Gyp, 139)
- Monsieur ! Sauvez mon mari !
- Ousqu’il est votre mari ? (Famille F., 98)
Combien qu’ c’est qu’il y a de maîtres ? (Gyp, 187)
Et puis, pourquoi qu’on ne lui peint pas les cheveux d’une autre couleur ? (Line, 138)
- Alors, comment que t’as su que je m’appelais Jeanne ? (PP, 6. 4. 90, 8)
Tiens, depuis quand que t’as des jardins dans ta maison, toi ? (PP, 18. 5. 90, 5)
102Notons aussi :
103c) la forme c’est-y :
C’est-y les trains-de-way que vous voulez dire ? (Famille F., 76)
- C’est-y point malheureux d’avoir un veau malade à l’étable... (SPJ, 1893, 67)
104d) le ce que exclamatif :
Ce que vous êtes bon, Monsieur ! (Gyp, 45)
Ma petite Aza !... Ce que je suis contente !... (Gyp, 51)
105e) l’absence d’inversion en tournure exclamative :
Combien il y a de gaillards comme cela dans cette société mêlée de Paris où se heurtent les aventuriers de toutes les nations. (PP, 30. 3. 90, 2)
4) Syntaxe du relatif
106a) Là aussi le que « universel » est bien attesté ; il remonte comme on sait à l’ancien et surtout au moyen français :
Des types qu’on sait seulement pas d’où qu’ils sortent ! (Gyp, 156)
Oh !... pour c’qu’est d’ça, oui qu’on l’connaît !... (Gyp, 4)
107b) Les fautes dans l’emploi du relatif complexe apparaissent notamment, comme une caractéristique du langage populaire, dans les passages humoristiques :
« ... ça et une bonne pipe, y a rien de tel pour vous ravigoter un homme, et subséquemment des jeunesses comme duquel vous resplendissez... » (Famille F., 105)
B) Tendances innovatrices ?
108Tous ces faits sont ressentis comme des écarts par rapport à la norme admise. Dès lors que l’on se propose de noter des tendances innovatrices dans le langage même de celui qui écrit, la tâche se complique terriblement et la moisson s’amenuise. En voici cependant un tableau esquissé.
1) Constructions épithétiques ou attributives
109a) Substantif en emploi épithète :
... les préparations genre benzine (SPJ, 1893, 238)
... la cantinière nouveau style (Monde, 115)
« ... mais, au fond, comme on lui donne de bons principes, de l’éducation première qualité, Pierre m’aime plus qu’il ne méprise mon métier, ... » (Cendrillon, 109)
110b) Procédés néologiques d’intensification :
Savez-vous quel est le plus coquet et le plus comme il faut des bouquets de corsage ? (SPJ, 1893, 246)
Les modes suivantes sont tout ce qu’il y a de plus dernier genre (SPJ, 1893, 158)
- Mon cher, des femmes tout ce qu’il y a de plus chic. (Monde, 179) le crépon si en vogue (SPJ, 1893, 230)
111c) Épithète (participe ou complément déterminatif) construite avec le démonstratif :
Nous ajouterons aujourd’hui quelques considérations à celles développées dans notre dernier Bulletin relativement au... (SPJ, 1893, 397)
Nous en avons par-dessus la tête des livres... Ceux pour les examens, les concours, et toutes les balançoires avec lesquelles on nous a monté des bateaux quand nous étions gosses, nous suffisaient bien ! (Gyp, 205)
2) Emplois adverbiaux de prépositions
112On sait que l’emploi adverbial de après est fort ancien :
... il la lançait, puis bondissait après et la rattrapait. (T.F. deux enfants, 289)
« ... Il faut porter deux litres de marrons tout de suite ; on attend après... » (P. march. de marrons, 12)
113– et plus encore le sens temporel de devant « auparavant » :
... les jeunes filles (...) pourraient, comme devant, recevoir cette instruction, ... (SPJ 1893, 222)
114En revanche, avec, pour, contre ou devant au sens local ont en emploi adverbial une apparence néologique :
Ils estiment (...) que la politique des crises n’est pas de nature à faciliter au pauvre monde le moyen de gagner son pain, -ni surtout de lui faciliter le fricot pour manger avec. (SPJ, 1893, 386)
De même et plus justement encore justice bien ordonnée doit-elle s’exercer d’abord sur elle-même, -aussi bien contre que pour. (SPJ, 1893, 274)
Elle aperçut une photographie posée sur la cheminée dans un cadre-chevalet, et resta devant à l’étudier, par contenance. (SPJ, 1893, 10)
3) Antéposition de l’adjectif
115L’ancien français antéposait librement ou presque l’adjectif qualificatif. La langue classique et surtout la langue post-classique usent de l’antéposition avec plus de réserve. Une des caractéristiques de notre corpus est au contraire la facilité avec laquelle l’antéposition se pratique. Il faut certes faire la part des réminiscences poétiques et aussi des tournures humoristiques. Mais la fréquence du phénomène mérite d’être signalée. Quelques exemples en vrac :
M. Fenouillard jette sur l’horizon un circulaire regard. (Famille F., 34)
... les chapeaux garnis de claires fleurs... (PP, 30. 3. 90, 2)
... qui faillit aboutir à une définitive rupture. (Monde, 130)
... dépaysées dans notre étroite époque (Monde, 22)
le funèbre colis (PP, 2. 2. 90, 7)
... quelques gaies et bienveillantes paroles... (SPJ, 1893, 338)
l’historique palais (Monde, 98)
l’impérial voyageur (Monde, 98)
... un volatile à jaune plumage (Monde, 115)
M. de Nolhac en ferait un méritoire usage. (Monde, 22)
les noirs sapins (T.F. deux enfants, 18)
... d’une trop nombreuse police (Monde, 98)
... au gai mais par trop primitif papillotage de drapeaux (SPJ, 1893, 330)
... aux jours de publiques réjouissances (SPJ, 1893, 330)
Les premières bouchées furent absorbées dans un religieux silence. (SPJ, 1893, 29)
... voilà pourquoi elle ressentait plus de secret orgueil de les immoler à son frère. (Cendrillon, 14)
sous le vert manteau dont la vigne le recouvrait (SR, 66)
4) Adverbes d’intensité
116a) L’adverbe très se trouve couramment placé en locution verbale :
Elle avait très sommeil ce matin, ... (Line, 79)
117– exceptionnellement auprès d’un participe passé :
Les gigots doivent être très battus avant d’être embrochés. (SPJ, 1893, 54)
118Quant à l’emploi absolu de très, il est critiqué :
Lorsque quelqu’un demandait : « Cet homme est-il très riche ?... » par exemple, on était dans l’habitude de répondre : « Oui » ou « Oui, il est très riche ». Mais aujourd’hui, il y a une autre façon d’affirmer : « Cet homme est donc très malade ? - Très. » Voilà un des derniers décrets du snobisme... mais qui n’est pas snob n’est pas forcé de s’y soumettre. Ann Seph. (SPJ, 1900, 262)
119b) Une des caractéristiques de l’époque est l’emploi comme quantificateur de l’adverbe joliment, une mode qui n’a pas survécu :
... et je vais joliment m’appliquer à vendre, allez ! (T.F. deux enfants, 94)
Vous aimez joliment la mer, tout de même. (T.F. deux enfants, 235)
Elle a joliment d’effronterie, cette petite, d’oser prendre ainsi son Jack par la main, ... (Line, 145)
5) Tournures diverses réputées incorrectes
120La plupart des tournures que l’usage correct a bannies sont déjà fort largement attestées. Par exemple :
malgré que : ... malgré qu’il n’ait pas six mille francs de rente..., j’ai absolument voulu... (Gyp, 51)
même que : Même que je me répétais tout à l’heure les quatre départements de la Bourgogne (T.F. deux enfants, 105)
de manière/façon à ce que : de manière à ce que le fruit soit suspendu au-dessus sans y toucher... (PP, 11. 5. 90, 8)
de façon à ce que... (Monde, 98)soi-disant : ... une photographie soi-disant posthume. (SPJ, 1893, 298)
voire même : ... le plus honnête peut, sans le vouloir, devenir voleur, voire même brigand. (SPJ, 1900, 258)
Nous avons reproduit ici des cérémonies de mariage à bicyclette, en ballon, voire même en aéroplane. (SPJ, 1914, 106)
comme commutable avec en : ... la plupart des femmes de Paris ont un cerveau inférieur comme poids à la moyenne de celui des femmes canaques. (SPJ, 1893, 210)
C’est donc aux directeurs qu’il appartient d’équilibrer pour le mieux comme volume sonore et comme nombre par pupitre les divers éléments dont il dispose. (SPJ, 1893, 374)
le tour c’est aimable à lui : C’est d’ailleurs fort gracieux à lui de... (SPJ, 1893, 282)
Que de raisons à lui pour se souvenir que... (SPJ, 1893, 218)
6) Syntaxe pronominale
121Le démonstratif ça renvoie familièrement à l’animé, humain ou non :
Ça chante, ça dessine, ça vous connaît les auteurs et ça ne saurait pas chauffer une tasse de tisane à son père qui grelottait de fièvre. (SPJ, 1893, 74)
Qu’est-ce que cela mange, les chamois ? (T.F. deux enfants, 92)
C) Maladresses du discours scolaire.
122On voit que les tendances innovatrices représentent fort peu de chose. Dans cette langue tout compte fait proche des modèles traditionnels et scolaires, on est frappé bien plus par la syntaxe maladroite de bon nombre de passages.
1) De quelques abus
123a) Ainsi la tournure impersonnelle, notamment pronominale ou passive, apparaît avec une fréquence typiquement élevée :
Il se fait énormément de revers, larges, hardis, genre Directoire. (SPJ, 1893, 30)
... il se verrait des choses autrement dignes d’étonnement. (SPJ, 1893, 218)
Comme il lui est observé que... (Line, 12)
... enfin, nous a-t-il été déclaré, ... (SPJ, 1893, 226)
Quand la question posée n’est pas d’un intérêt général, il y est répondu par lettre... (SPJ, 1893, 175)
- Monsieur, lui fut-il répondu, il faut que... (SPJ, 1893, 163) Il m’a été répondu de plusieurs côtés à la fois. (SPJ, 1893, 326)
... il en sera reparlé plus tard... (SPJ, 1893, 256)
Eh bien, il fut ajouté foi à cette bourde énorme. (SPJ, 1893, 362)
Si l’effectif réuni le permet, il sera formé deux groupes de 600 chanteurs chacun. (SPJ, 1893, 325)
... un grand savant... préparait un spectacle comme il n’en avait jamais été offert. (Cendrillon, 215)
124b) Même propension immodérée pour l’emploi épithète du participe présent. Ainsi dans SPJ, 1893 :
S’il ne s’agissait, en effet, que de quelques cas isolés se produisant d’une manière pour ainsi dire exceptionnelle... (166)
... sa calotte colossale devant recouvrir sans appuis intermédiaires une surface d’un hectare, ... (170)
... à volants la recouvrant entièrement. (174)
... une robe de voile unie... n’ayant pour tout ornement qu’un biais de... (174)
Les récentes fêtes venant d’avoir lieu dans toute la France (...) ont montré... (349)
125Le participe présent suit notamment le pronom un et les démonstratifs :
... il n’en est pas une donnant un intérêt de beaucoup supérieur à 3 50 %. (SPJ, 1893, 175)
... avait décerné le premier prix à celle portant l’épigraphe : ... (SPJ, 1893, 218) ... celle ayant trait à la réparation des erreurs judiciaires... (SPJ, 1893, 174)
126Il s’appose aussi bien à l’objet qu’au sujet :
En cet instant, elle voit passer de loin, lui faisant un signe amical, un vieil ami de son grand-père... (P. march. de marrons, 6)
127Et l’on ne craint pas de l’accompagner des conjonctions les plus diverses :
Plusieurs groupes (...) quiconque ne se trouvant pas sur l’itinéraire... (SPJ, 1893. 333)
2) Maladresses en tout genre
128On pourrait rassembler un florilège de maladresses diverses. Quelques illustrations suffiront :
129a) Pléonasmes :
Puis alors, dans chaque crêpe, on... (SPJ, 1893, 342)
puis ensuite, on les entretient soigneusement. (SPJ, 1893, 262)
puis après, elle redescend pendant six autres heures, ... (T.F. deux enfants, 224) mais en revanche, la pluie arrive (Famille F., 29)
Cette fois, malgré tout et quand même, nous donnons... (SPJ, 1893, 16)... sur le point de bientôt jouer un très mauvais tour aux... (SPJ, 1893, 245)
Les générations de praticiens qui se sont succédé à la Faculté (...) ont applaudi à sa parole facile, pittoresque et toujours nourrie de faits... lorsqu’il ne s’agissait uniquement que de médecine opératoire ; la plupart aussi, hâtons-nous de le dire, ont sévèrement jugé son mépris de la thérapeutique et des soins postopératoires... (Monde, 86)
130b) Mauvaise incidence de c’est :
Nos parents ne sont pas riches ; c’est tout ce qu’ils peuvent faire de nous donner de l’éducation ; ... (S. R., 96)
131– ou cumul de présentatifs :
c’est aussi pourquoi c’est lui qui fut choisi pour... (SPJ, 1893, 338)
132c) Cascades de mots grammaticaux :
Il y a seulement ceci qui est que la nature alerte, prompte et pétulante de Line n’est point faite pour s’appesantir sur le passé. (Line, 204)
... car la température ne laisse pas que d’être très rude... (PP, 4. 5. 90, 6)
133d) Croisements syntaxiques :
N’y a-t-il donc pas de place dans le cœur d’un homme pour plusieurs amours, si différents les uns des autres, en même temps que si légitimes, que la jalousie de quelque part qu’elle vienne me paraît être ici une monstruosité (SPJ, 1893, 166) [que consécutif tout à fait inattendu...]
** *
134Ce tableau syntaxique fait naître, il faut en convenir, une image doublement déformée. D’une part le choix de la littérature à grande diffusion en limite nécessairement la portée ; on trouvera dans d’autres chapitres des remarques éparses sur la syntaxe littéraire ou la grammaire du langage populaire ; mais il a fallu choisir, et le critère de diffusion a paru important. D’autre part les faits relevés ne représentent en nombre qu’une infime partie de l’ensemble. En réalité, l’immense majorité des phrases ne se distingue en rien de la syntaxe d’aujourd’hui. Des pages entières pourraient être, du moins pour la grammaire, quasiment contemporaines. C’est qu’à l’évidence l’essentiel de la grammaire d’aujourd’hui est antérieur de beaucoup à 1880.
Bibliographie
Le Petit Journal. Supplément illustré. 1893. 3/7/1898. 19/8/1900. 5/4/1914. [SPJ].
Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré. Janvier-juin 1890. [PP].
Le Monde illustré. Juillet-septembre 1896. [Monde],
Bruno (G.), Le Tour de la France par deux enfants. Devoir et patrie. [Texte primitif]. Paris, Belin, [1876], 312 p. [T.F. deux enfants]
Christophe, La Famille Fenouillard, Paris, Colin, 1965, 272 p. (d’après l’éd. originale). [Famille F.]
Colomb (J.), Simples récits, Paris, Hachette, 1905, 205 p. (Bibl. des écoles et des familles). [SR]
Géraldy (P-), Toi et moi, Paris, Stock, 1920 [1913], 148 p.
Gyp, La Petite pintade bleue, Paris, Calmann-Lévy, 1914, 291 p. [Gyp]
Lichtenberger (A.), Line, Paris, Plon, 1905, 255 p.
Mme Malassez, La Petite marchande de marrons, Paris, Hachette, [1906], 16 p. [P. march. de marrons]
Ulbach (L.), Le Parrain de Cendrillon, Paris, Hetzel, Calmann-Lévy [1888], 272 p. [Cendrillon]
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