Chapitre premier. L’acte de déclarer
p. 77-102
Texte intégral
Les déclarations des droits de l’homme
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789)
1Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les Droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. – En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen.
2Article 1. – Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
3Article 2. – Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
4Article 3. – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
5Article 4. – La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.
6Article 5. – La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
7Article 6. – La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
8Article 7. – Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.
9Article 8. – La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
10Article 9. – Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi.
11Article 10. – Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.
12Article 11. – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
13Article 12. – La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.
14Article 13. – Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
15Article 14. – Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
16Article 15. – La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
17Article 16. – Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution.
18Article 17. – La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
Déclaration de 1793
19Le peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme, sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer, avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l’objet de sa mission. – En conséquence, il proclame, en présence de l’Être suprême, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen.
20Article premier. – Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
21Article 2. – Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.
22Article 3. – Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.
23Article 4. – La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale ; elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société ; elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible.
24Article 5. – Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics. Les peuples libres ne connaissent d’autres motifs de préférence, dans leurs élections, que les vertus et les talents.
25Article 6. – La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui : elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait.
26Article 7. – Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. La nécessité d’énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.
27Article 8. – La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés.
28Article 9. – La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent.
29Article 10. – Nul ne doit être accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Tout citoyen, appelé ou saisi par l’autorité de la loi, doit obéir à l’instant ; il se rend coupable par la résistance.
30Article 11. – Tout acte exercé contre un homme hors des cas et sans les formes que la loi détermine, est arbitraire et tyrannique ; celui contre lequel on voudrait l’exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force.
31Article 12. – Ceux qui solliciteraient, expédieraient, signeraient, exécuteraient ou feraient exécuter des actes arbitraires, sont coupables, et doivent être punis.
32Article 13. – Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimé par la loi.
33Article 14. – Nul ne doit être jugé et puni qu’après avoir été entendu ou légalement appelé, et qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement au délit. La loi qui punirait des délits commis avant qu’elle n’existât serait une tyrannie ; l’effet rétroactif donné à la loi serait un crime.
34Article 15. – La loi ne doit décerner que des peines strictement et évidemment nécessaires : les peines doivent être proportionnées au délit et utiles à la société.
35Article 16. – Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
36Article 17. – Nul genre de travail, de culture, de commerce, ne peut être interdit à l’industrie des citoyens.
37Article 18. – Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît point de domesticité ; il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance, entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie.
38Article 19. – Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
39Article 20. – Nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi, et de s’en faire rendre compte.
40Article 21. – Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
41Article 22. – L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.
42Article 23. – La garantie sociale consiste dans l’action de tous, pour assurer à chacun la jouissance et la conservation de ses droits ; cette garantie repose sur la souveraineté nationale.
43Article 24. – Elle ne peut exister, si les limites des fonctions publiques ne sont pas clairement déterminées par la loi, et si la responsabilité de tous les fonctionnaires n’est pas assurée.
44Article 25. – La souveraineté réside dans le peuple ; elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable.
45Article 26. – Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais chaque section du souverain assemblée doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté.
46Article 27. – Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres.
47Article 28. – Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.
48Article 29. – Chaque citoyen a un droit égal de concourir à la formation de la loi et à la nomination de ses mandataires ou de ses agents.
49Article 30. – Les fonctions publiques sont essentiellement temporaires ; elles ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs.
50Article 31. – Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.
51Article 32. – Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité.
52Article 33. – La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.
53Article 34. – Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
54Article 35. – Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.
Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen (5 fructidor an III, 22 août 1795)
55Le peuple français proclame, en présence de l’Être suprême, la Déclaration suivante des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen.
Droits
56Article premier. – Les droits de l’homme en société sont la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété.
57Article 2. – La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui.
58Article 3. – L’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. L’égalité n’admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs.
59Article 4. – La sûreté résulte du concours de tous pour assurer les droits de chacun.
60Article 5. – La propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
61Article 6. – La loi est la volonté générale, exprimée par la majorité ou des citoyens ou de leurs représentants.
62Article 7. – Ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché. Nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
63Article 8. – Nul ne peut être appelé en justice, accusé, arrêté ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites.
64Article 9. – Ceux qui sollicitent, expédient, signent, exécutent ou font exécuter des actes arbitraires, sont coupables et doivent être punis.
65Article 10. – Toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de la personne d’un prévenu, doit être sévèrement réprimée par la loi.
66Article 11. – Nul ne peut être jugé qu’après avoir été entendu ou légalement appelé.
67Article 12. – La loi ne doit décerner que des peines strictement nécessaires et proportionnées au délit.
68Article 13. – Tout traitement qui aggrave la peine déterminée par la loi est un crime.
69Article 14. – Aucune loi, ni criminelle, ni civile, ne peut avoir d’effet rétroactif.
70Article 15. – Tout homme peut engager son temps et ses services ; mais il ne peut se vendre ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable.
71Article 16. – Toute contribution est établie pour l’utilité générale ; elle doit être répartie entre les contribuables, en raison de leurs facultés.
72Article 17. – La souveraineté réside essentiellement dans l’universalité des citoyens.
73Article 18. – Nul individu, nulle réunion partielle de citoyens ne peut s’attribuer la souveraineté.
74Article 19. – Nul ne peut, sans une délégation légale, exercer aucune autorité, ni remplir aucune fonction publique.
75Article 20. – Chaque citoyen a un droit égal de concourir, immédiatement au médiatement, à la formation de la loi, à la nomination des représentants du peuple et des fonctionnaires publics.
76Article 21. – Les fonctions publiques ne peuvent devenir la propriété de ceux qui les exercent.
77Article 22. – La garantie sociale ne peut exister si la division des pouvoirs n’est pas établie, si leurs limites ne sont pas fixées, et si la responsabilité des fonctionnaires publics n’est pas assurée.
Devoirs
78Article premier. – La Déclaration des droits contient les obligations des législateurs : le maintien de la société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs devoirs.
79Article 2. – Tous les devoirs de l’homme et du citoyen dérivent de ces deux principes, gravés par la nature dans tous les cœurs : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir.
80Article 3. – Les obligations de chacun envers la société consistent à la défendre, à la servir, à vivre soumis aux lois, et à respecter ceux qui en sont les organes.
81Article 4. – Nul n’est bon citoyen, s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux.
82Article 5. – Nul n’est homme de bien, s’il n’est franchement et religieusement observateur des lois.
83Article 6. – Celui qui viole ouvertement les lois se déclare en état de guerre avec la société.
84Article 7. – Celui qui, sans enfreindre ouvertement les lois, les élude par ruse ou par adresse, blesse les intérêts de tous : il se rend indigne de leur bienveillance et de leur estime.
85Article 8. – C’est sur le maintien des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail, et tout l’ordre social.
86Article 9. – Tout citoyen doit ses services à la Patrie et au maintien de la liberté, de l’égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l’appelle à les défendre.
Condorcet (Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de) (1743-1794)
87Souvent présenté comme « le dernier des encyclopédistes », Condorcet, entré à 26 ans à l’Académie des sciences en tant que mathématicien, poursuit aussi une œuvre d’économie politique et de « mathématique sociale » dès avant la Révolution. Il participe à celle-ci dès la convocation des États généraux. Ses contributions et discours portent sur tous les thèmes importants de l’époque. Après avoir été membre du comité de Constitution de la Convention, il s’oppose au Comité de salut public et est menacé d’arrestation. Recherché, il rédige pourtant son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, avant d’être arrêté et trouvé mort en prison en mars 1794.
88On trouvera plus loin le texte de son premier projet de Déclaration des droits de l’homme, rédigé en 1789, ainsi qu’un extrait de l’Exposition des principes et des motifs du plan de constitution, rédigé pour la Convention en 1793. Outre la clarté avec laquelle ces textes discutent du statut des droits et de l’acte de leur déclaration, leur importance vient de ce qu’ils formulent aussi bien un équilibre qui restera au cœur de la tradition libérale, entre les exigences de liberté et de sûreté ; tout en défendant vigoureusement des principes tels que le droit d’un peuple à changer de constitution, que Condorcet fera inscrire en 1793, et qui doit être rattaché à sa propre interprétation de l’histoire et du progrès. C’est dans la triple direction du débat contemporain de la Révolution, du lien avec le reste de son œuvre, et de leur grande influence postérieure, qu’il faudrait poursuivre l’étude de ces textes.
89On peut se reporter notamment pour ce faire à : E. et R. Badinter, Condorcet, Fayard, 1988 ; K.M. Baker, Condorcet, raison et politique, Hermann, 1988 ; G.G. Granger, La Mathématique sociale du marquis de Condorcet, PUF, 1956 ; C. Kintzler, Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen, SFIED, 1984, Coll. « Folio Essais », 1987 ; et à l’utile colloque Condorcet, Minerve, 1989.
90Œuvres de Condorcet : Œuvres complètes, éd. Condorcet-O’Connor et Arago, 12 vol., 1847-1849 ; Sur les élections et autres textes, Fayard, 1986 ; Esquisse..., éd. A. Pons, Garnier-Flammarion, 1988.
Projet de déclaration des droits (février 1789)
Avertissement
91Une déclaration des droits doit être entendue par tous les citoyens, parce qu’il est utile et surtout juste que tous soient instruits de leurs droits, qu’ils connaissent les limites naturelles et nécessaires des pouvoirs créés par la société, qu’ils puissent réclamer contre l’abus de ces pouvoirs, qu’ils soient enfin prémunis contre les erreurs où de fausses idées sur la nature et l’étendue de leurs droits pourraient les entraîner.
92Il serait facile de réduire les droits des hommes à un petit nombre de maximes ; mais est-on sûr que tous les entendraient de la même manière, qu’ils ne se tromperaient pas sur les conséquences de ces maximes ?
93On a vu des peuples instruits de ces maximes générales, pénétrés de leur importance, ardents pour les défendre, tantôt en laisser violer tranquillement les conséquences les plus évidentes, et tantôt les exagérer.
94Les citoyens Anglais souffrent patiemment la tyrannie de la presse des matelots qui est une violation ouverte de la liberté naturelle, et se refusent à l’établissement d’une police régulière. Ils ne croient pas légitime de forcer un citoyen à sacrifier une partie de ses possessions à l’utilité publique, même après un dédommagement complet, et ils trouvent très simple qu’il ne leur est permis de vendre leur laine qu’à un manufacturier Anglais. Ils croiraient leur sûreté violée, s’ils étaient jugés autrement que par un Juré unanime, et ils souffrent qu’une foule d’actions indifférentes continuent d’être mises au rang des crimes.
95Il est donc nécessaire qu’une déclaration des droits des hommes renferme les conséquences de ces droits, les plus immédiates et les plus évidentes ; il faut surtout qu’elle renferme celles auxquelles les lois connues des Nations éclairées ont souvent porté atteinte.
96Tel est l’esprit dans lequel j’ai rédigé cette déclaration des droits, extraite d’un ouvrage plus étendu, où j’avais essayé de tracer une exposition des droits des hommes aussi complète que mes lumières ont pu me le permettre.
Déclaration des droits
97Le but essentiel de la société est d’assurer à tous ceux qui la composent la jouissance entière et paisible des droits mutuels qui dérivent de leur nature et de leurs rapports entre eux.
98Ainsi aucune autorité établie dans la société et par elle, ne peut légitimement soit par aucun acte, soit même par une loi générale et consentie par la pluralité, ni violer, ni restreindre aucun de ces droits, ou aucune de leurs conséquences évidentes ; et l’exposition de ces droits annonce à la fois les devoirs et les limites du pouvoir social qui n’a d’autorité légitime que pour les maintenir.
99Les droits des hommes peuvent se réduire :
À la sûreté de la personne ;
À la liberté de la personne ;
À la sûreté de la propriété ;
À la liberté de la propriété ;
À l’égalité ; car il ne peut exister aucun motif fondé sur la raison pour qu’un homme retire de la société des avantages plus grands qu’un autre homme, à l’exception de ceux qui sont la suite nécessaire de ses qualités individuelles ou de son droit de propriété.
100Les conséquences essentielles de ces droits sont contenues dans les maximes suivantes.
Pour la sûreté des personnes
101I. Aucun homme ne pourra être puni que pour une action qui renferme une violation évidente et grave du droit d’autrui, qui ait été définie et déclarée criminelle par la loi.
102II. Aucun accusé ne pourra être puni que d’une peine déterminée par la loi, après avoir été déclaré coupable par un tribunal légalement établi, soumis à la lettre de la loi, indépendant de tout autre pouvoir. Il ne pourra être condamné que par une pluralité qui fasse légitimement présumer la certitude du crime ; et il doit avoir la liberté de récuser, sans alléguer de motifs, un assez grand nombre de Juges pour être assuré de l’impartialité de ceux qui restent.
103III. La loi ne pourra établir la peine de mort, que pour les délits contre la vie des citoyens ou contre la sûreté publique et elle n’ajoutera à la perte de la vie aucun supplice qui la rende plus lente ou plus douloureuse.
104IV. Tout accusé jouira d’une liberté entière d’user de ses moyens naturels de défense, ce qui entraîne nécessairement la publicité de la procédure, la liberté de se choisir des conseils, de conférer avec eux dans tout le cours de l’instruction, d’avoir communication, pour soi et pour ses conseils, de tous les actes de la procédure, et de pouvoir faire entendre des témoins en sa faveur.
105V. La loi ne pourra autoriser, pour parvenir à la connaissance des coupables, ni l’emploi de la torture, ni l’usage du mensonge ou de la ruse.
106VI. Aucun pouvoir social ne pourra employer une force armée contre les citoyens, sinon dans les cas déterminés par la loi, sous une forme réglée par elle ; et ceux qui disposent de cette force seront toujours responsables de l’usage qu’ils en auront fait.
Pour la liberté de la personne
107I. Aucun citoyen ne pourra être arrêté que suivant une règle prescrite par la loi, et pour des cas déterminés par elle, ni retenu en prison qu’en vertu du décret d’un Juge rendu d’après une loi qui fixe le genre des accusations, et le degré de preuves nécessaire pour autoriser la détention.
108II. Sous aucun prétexte la durée de la détention ne pourra être indéfiniment prolongée par le retard du jugement.
109III. Tout homme pourra faire de ses facultés tout usage dont il ne résulte aucune violation du droit d’autrui, sans être assujetti ni à aucune peine, ni même gêné par aucune formalité ; d’où résulte le droit de se rendre librement d’un lieu à un autre, et de choisir sa résidence soit dans l’État, soit hors de l’État ;
110Le droit d’exercer tous les métiers, et de n’être exclu d’aucune profession ;
111Le droit d’exercer librement toute espèce de culte, de professer toutes les opinions qu’on croit vraies, d’écrire sans que les lettres ou les papiers puissent être soumis à aucune inspection, enfin la liberté de la Presse, c’est-à-dire, le droit d’imprimer sans être assujetti à aucun règlement, sauf à être puni, suivant la loi, pour les libelles contre les particuliers et contre la conduite privée des hommes chargés de fonctions publiques, ou pour les invitations à troubler par la force la paix de la société, et l’exécution des lois, seuls délits que l’on puisse commettre par l’impression.
112IV. Aucun homme ne pourra être soumis à aucun service personnel ni particulier ni public, ni civil, ni militaire, sinon volontairement ou d’après un engagement contracté librement et pour un temps limité.
Pour la sûreté de la propriété
113I. Aucun homme ne pourra être privé de la propriété dont il jouit qu’en vertu d’un jugement rendu suivant la loi, d’après les formes qu’elle a prescrites, et par un tribunal qu’elle a institué.
114II. Aucun homme ne pourra être soumis à payer aucun autre impôt que ceux qui sont nécessaires à la sûreté, à la tranquillité et à la prospérité commune, et qui auront été établis suivant la forme prescrite par la constitution.
115III. Tout impôt dont la perception entraîne soit des atteintes aux droits des hommes ci-dessus énoncés, soit même seulement des frais inutiles, ou enfin qui n’est pas proportionnellement réparti, est injuste, par quelque autorité qu’il ait pu être établi.
116IV. Aucun homme ne pourra être privé de sa propriété pour qu’elle soit employée à des objets d’utilité publique, sinon après en avoir reçu un dédommagement complet, fixé contradictoirement d’après des principes déterminés par la loi.
Pour la liberté de la propriété
117I. Chacun pourra faire de sa propriété tout usage qui n’est pas contraire au droit d’autrui.
118Ce qui renferme la liberté indéfinie pour tout individu de vendre les produits de ses possessions, où, à qui et quand il veut, d’acheter d’autres denrées, de les échanger, de les revendre, sans être assujetti à aucune gêne, ni à aucune formalité, et la liberté de cultiver sur ses terres telles productions qu’il voudra.
119II. La propriété ne pourra être soumise, sous aucun prétexte, à aucune servitude arbitraire ou irrachetable.
120III. Les transmissions de propriété ou de jouissance, les achats et les ventes, les locations, les échanges ne pourront être soumis à des droits, ni à des formalités inutiles pour la sûreté des propriétaires.
Pour le droit d’égalité naturelle
121I. Tout citoyen doit jouir également du droit de Cité ; en conséquence chacun doit exercer une influence égale dans la partie de rétablissement d’une puissance publique et de la confection des lois à laquelle tous les citoyens concourent immédiatement ; et chacun doit contribuer également à l’élection des représentants chargés d’exercer les autres parties de ces fonctions, et être également éligible pour ces places de représentants.
122II. Tous les citoyens seront soumis également aux mêmes lois.
123III. Il ne sera exigé pour aucun emploi public d’autres conditions que celles qui paraissent nécessaires pour le bien remplir.
124IV. Il ne doit être attribué à aucune fonction aucun privilège, aucune prérogative qui ne soit une suite nécessaire de l’exercice de cette fonction.
125V. Tous doivent supporter d’une manière égale, et proportionnellement à leur revenu, la charge des mêmes impôts.
126VI. Les atteintes portées aux droits des citoyens par ceux que la société a revêtus d’un pouvoir quelconque, ne demeureront pas impunies ; et la loi, après avoir déterminé d’une manière précise celles de ces atteintes qui doivent être mises au nombre des délits, doit établir un tribunal pour en juger, et des peines pour les réprimer.
127VII. La loi ne pourra sous aucun prétexte instituer aucune distinction héréditaire.
128VIII. Aucune loi ne sera promulguée, aucun impôt ne sera levé, aucune autorité publique ne sera établie que par le vœu de la pluralité des citoyens ou de leurs représentants, élus, assemblés et exerçant ces pouvoirs suivant les formes prescrites par la constitution, qui ne pourra elle-même être faite que par des représentants expressément revêtus de ce pouvoir, et choisis pour l’exercer.
129IX. Les lois qui établissent et règlent la constitution, c’est-à-dire, la forme, les devoirs et les droits des diverses parties de la puissance publique, ne seront point perpétuelles, mais elles pourront être changées, à des époques déterminées, par des Conventions qui seront toujours distinctes des Assemblées permanentes revêtues du pouvoir Législatif ; et ces deux pouvoirs ne pourront jamais être réunis.
130[...]
Exposition des principes et des motifs du plan de constitution
131[...] Une déclaration des droits adoptée par le peuple, cette exposition des conditions auxquelles chaque citoyen se soumet à entrer dans l’association nationale des droits qu’il reconnaît dans tous les autres, cette limite posée par la volonté générale aux entreprises des autorités sociales, ce pacte, que chacune d’elles s’engage à maintenir à l’égard des individus, est encore un puissant bouclier pour la défense de la liberté, pour le maintien de l’égalité, et en même temps un guide sûr pour diriger les citoyens dans leurs réclamations. C’est là qu’ils peuvent voir si une loi est contraire aux obligations que la société entière contracte envers chacun d’eux ; si une loi n’est pas un des devoirs des dépositaires de la volonté commune, si la constitution actuelle offre une garantie suffisante des droits reconnus par elle ; car autant il serait dangereux que le peuple ne déléguât point la direction de ses intérêts, autant il le serait, aussi qu’il abandonnât à d’autres mains la conservation de ses droits.
132[...]
133Une constitution, d’après le sens naturel de ce mot, devrait renfermer toutes les lois qui concernent l’établissement, la formation, l’organisation, les fonctions, le mode d’agir, les limites de tous les pouvoirs sociaux.
134Mais du moment où l’on attache aux lois renfermées dans la constitution une irrévocabilité qui leur est propre, du moment où elles ne peuvent être changées, comme les autres lois, par un pouvoir toujours subsistant dans la société, il devient nécessaire de n’y renfermer, parmi les lois relatives au système social, que celles dont l’irrévocabilité ne nuirait pas à la marche de ce système, ne forceraient pas à convoquer trop souvent un pouvoir extraordinaire.
135En même temps il faut que les changements qui dépendent de la volonté d’un corps législatif unique, ne puissent lui permettre d’envahir le pouvoir, de corrompre l’esprit même de la constitution, en paraissant ne changer que des formes indifférentes. Ce défaut, dans une constitution où le peuple a des moyens légaux d’en obtenir la réforme, conduirait également à des convocations trop fréquentes de conventions nationales.
136Tout ce qui tient au corps législatif, aux limites des pouvoirs, aux élections, aux dispositions nécessaires pour garantir les droits des citoyens, doit donc être développé avec le plus grand détail, et déterminé de manière à ne pas laisser craindre que l’action sociale éprouve des lenteurs, des embarras, ou des secousses.
137Une constitution expressément adoptée par les citoyens, et renfermant des moyens réguliers de la corriger et de la changer, est le seul moyen de soumettre à un ordre régulier et durable une société dont les membres, éclairés sur leurs droits, et jaloux de les conserver, viennent de les recouvrer, et ont pu craindre de les reperdre encore.
138Devant ces salutaires dispositions doivent également disparaître l’enthousiasme et la défiance exagérée, la fureur des partis et la crainte des factions, la pusillanimité, pour qui toute agitation est la dissolution de l’État, et l’inquiétude qui soupçonne la tyrannie dès qu’elle aperçoit l’ordre ou la paix.
139Dans toute grande société qui éprouve une révolution, les hommes se partagent en deux classes : les uns, s’occupant avec activité des affaires publiques, par intérêt ou par patriotisme, se montrent dans toutes les disputes d’opinion, se distribuent dans toutes les factions, se divisent entre les partis : on les croirait la nation entière, tandis que souvent ils n’en sont qu’une faible portion.
140Les autres, livrés à leurs travaux, retenus dans leurs occupations personnelles, par la nécessité ou l’amour du repos, aiment leur pays sans chercher à le gouverner, et servent la patrie sans vouloir y faire dominer leur opinion ou leur parti ; forcés ou de se partager entre des factions, de donner leur confiance à des chefs d’opinion, ou de se réduire à l’inaction et au silence, ils ont besoin qu’une constitution leur montre d’une manière certaine quel est leur intérêt et leur devoir, afin qu’ils puissent apprendre sans peine vers quel but ils doivent réunir leurs efforts ; et dès qu’une fois leur masse imposante s’est dirigée vers ce but commun, la portion active des citoyens cesse de paraître le peuple entier ; dès lors les individus ne sont plus rien, et la nation seule existe.
Emmanuel Sieyès (1748-1836)
141L’abbé Sieyès devient célèbre avec la publication retentissante, en 1789, de son livre intitulé Qu’est-ce que le Tiers État ? qui accompagne les débuts de la Révolution. Il joue un rôle important dans cette dernière, à la fois comme écrivain et théoricien, et comme homme politique. Mais, comme le note Jean Tulard, dans sa préface à la réédition de Qu’est-ce que le Tiers État ?« l’échec de la Constitution de 1791, c’est en grande parte [le sien] ». Élu au Directoire, il fait confiance à Bonaparte avant d’être évincé par lui. Ses interventions furent déterminantes au début de la Révolution, et nombre des formules que l’on trouve dans le projet de Déclaration qu’on lira plus loin ont influencé la rédaction définitive de la Déclaration de 1789.
142L’intérêt de ce texte est d’inscrire la Déclaration dans son contexte, de chercher à l’y adapter et, dans le même temps, d’en justifier le contenu par une philosophie politique qui le mène à mettre au jour d’emblée les tensions entre les droits politiques et ce que l’on appellera plus tard les « droits sociaux ». La réflexion de Sieyès, inscrite plus encore que celle de Condorcet dans l’événement même de la révolution, en sort cependant par les contradictions dont elle témoigne, et qu’elle tente de prendre en compte.
143On peut se reporter notamment à : Paul Bastid, Sieyès et sa pensée, 1939, réédité en 1970 ; Jean-Denis Bredin, Sieyès, la clé de la révolution, Éditions de Fallois, 1988 ; François Furet (éd.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Flammarion, 1988.
144Œuvres de Sieyès : Qu’est-ce que le Tiers État ? suivi de L’Essai sur les privilèges, PUF, coll. « Quadrige », 1989. Le texte de L’Exposition raisonnée... et du projet de Déclaration est publié par S. Rials, in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette, Coll. « Pluriel », 1988.
Premier projet de déclaration (20-21 juillet 1789)
Observations
145Il est deux manières de présenter de grandes vérités aux hommes. La première, de les leur imposer comme articles de foi, d’en charger la mémoire plutôt que la raison. Beaucoup de personnes soutiennent que la loi doit toujours prendre ce caractère. Quand cela serait, une déclaration des droits du Citoyen n’est pas une suite de lois, mais une suite de principes. La seconde manière d’offrir la vérité est de ne la pas priver de son caractère essentiel, la raison et l’évidence. On ne sait véritablement que ce qu’on sait avec sa raison. Je crois que c’est ainsi que les Représentants des Français du dix-huitième siècle doivent parler à leurs Commettants.
146Il est aussi deux méthodes pour être clair. La première consiste à retrancher de son sujet tout ce qui exige de l’attention, tout ce qui sort des choses triviales que tout le monde sait d’avance. Il faut en convenir, rien n’est plus simple et plus clair, pour la foule des lecteurs, qu’un travail exécuté sur ce plan ; mais, si l’on veut traiter son sujet, le présenter tel que sa nature l’exige, dire tout ce qui lui appartient, et écarter ce qui ne lui appartient pas : c’est à un autre genre de clarté qu’il faut aspirer. Celle-ci ne dispense pas de l’attention.
147Au reste, on trouvera à la fin de ce petit Ouvrage, une suite de maximes dans le goût des déclarations de droits déjà connus, et propres au grand nombre de Citoyens moins accoutumés à réfléchir sur les rapports des hommes en société.
Reconnaissance et exposition raisonnée des droits de l’homme et du citoyen
148Les Représentants de la Nation Française, réunis en Assemblée Nationale, reconnaissent qu’ils ont par leurs mandats la charge spéciale de régénérer la constitution de l’État.
149En conséquence, ils vont, à ce titre, exercer le pouvoir constituant ; et pourtant, comme la représentation actuelle n’est pas rigoureusement conforme à ce qu’exige une telle nature de pouvoir, ils déclarent que la constitution qu’ils vont donner à la Nation, quoique provisoirement obligatoire pour tous, ne sera définitive qu’après qu’un nouveau pouvoir constituant, extraordinairement convoqué pour cet unique objet, lui aura donné un consentement que réclame la rigueur des principes.
150Les Représentants de la Nation Française, exerçant dès ce moment les fonctions du pouvoir constituant,
151Considèrent que toute union sociale, et par conséquent toute constitution politique, ne peut avoir pour objet que de manifester, d’étendre et d’assurer les droits de l’homme et du citoyen.
152Ils jugent donc qu’ils doivent d’abord s’attacher à reconnaître ces droits ; que leur exposition raisonnée doit précéder le plan de constitution, comme en étant le préliminaire indispensable, et que c’est présenter à toutes les constitutions politiques l’objet ou le but que toutes, sans distinction, doivent s’efforcer d’atteindre.
153En conséquence, les Représentants de la Nation Française
154Reconnaissent et consacrent, par une promulgation positive et solennelle, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen.
155L’homme est, de sa nature, soumis à des besoins ; mais, de sa nature, il possède les moyens d’y pourvoir.
156Il éprouve dans tous les instants le désir du bien-être ; mais il a reçu une intelligence, une volonté et une force : l’intelligence pour connaître, la volonté pour prendre une détermination, et la force pour l’exécuter.
157Ainsi le bien-être est le but de l’homme ; ses facultés morales et physiques sont ses moyens personnels : avec eux il pourra s’attribuer ou se procurer tous les biens et les moyens extérieurs qui lui sont nécessaires.
158Placé au milieu de la nature, l’homme recueille ses dons ; il les choisit, il les multiplie ; il les perfectionne par son travail : en même temps il apprend à éviter, à prévenir ce qui peut lui nuire ; il se protège, pour ainsi dire, contre la nature avec les forces qu’il a reçues d’elle ; il ose même la combattre : son industrie va toujours se perfectionnant, et l’on voit la puissance de l’homme, indéfinie dans ses progrès, asservir de plus en plus à ses besoins toutes les puissances de la nature.
159Placé au milieu de ses semblables, il se sent pressé d’une multitude de nouveaux rapports. Les autres individus se présentent nécessairement, ou comme moyens, ou comme obstacles. Rien donc ne lui importe plus que ses rapports avec ses semblables.
160Si les hommes voulaient ne voir en eux que des moyens réciproques de bonheur, ils pourraient occuper en paix la terre, leur commune habitation, et ils marcheraient ensemble avec sécurité à leur but commun.
161Ce spectacle change, s’ils se regardent comme obstacles les uns aux autres ; bientôt il ne leur reste que le choix entre fuir ou combattre sans cesse. L’espèce humaine ne présente plus qu’une grande erreur de la nature.
162Les relations des hommes entre eux sont donc de deux sortes : celles qui naissent d’un état de guerre, que la force seule établit, et celles qui naissent librement d’une utilité réciproque.
163Les relations qui n’ont d’origine que la force, sont mauvaises et illégitimes. Deux hommes, étant également hommes, ont, à un égal degré, tous les droits qui découlent de la nature humaine. Ainsi tout homme est propriétaire de sa personne, ou nul ne l’est. Tout homme a le droit de disposer de ses moyens, ou nul n’a ce droit. Les moyens individuels sont attachés par la nature aux besoins individuels. Celui qui est chargé des besoins, doit donc disposer librement des moyens. Ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir.
164[...]
165Nous n’avons exposé jusqu’à présent que les droits naturels et civils des citoyens. Il nous reste à reconnaître les droits politiques.
166La différence entre ces deux sortes de droits consiste en ce que les droits naturels et civils sont ceux pour le maintien et le développement desquels la société s’est formée ; et les droits politiques, ceux par lesquels la société se forme. Il vaut mieux, pour la clarté du langage, appeler les premiers, droits passifs, et les seconds, droits actifs.
167Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif : tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc., mais tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics ; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l’état actuel, les enfants, les étrangers, ceux encore qui ne contribueraient en rien à soutenir l’établissement public, ne doivent point influer activement sur la chose publique.
168Tous peuvent jouir des avantages de la société ; mais ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs, les véritables membres de l’association.
169L’égalité des droits politiques est un principe fondamental. Elle est sacrée, comme celle des droits civils. De l’inégalité des droits politiques, sortirait bientôt les privilèges. Le privilège est, ou dispense d’une charge commune, ou octroi exclusif d’un bien commun. Tout privilège est donc injuste, odieux et contradictoire au vrai but de la société. La loi étant un instrument commun, ouvrage d’une volonté commune, ne peut avoir pour objet que l’intérêt commun. Une société ne peut avoir qu’un intérêt général. Il serait impossible d’établir l’ordre, si l’on prétendait marcher à plusieurs intérêts opposés. L’ordre social suppose nécessairement unité de but, et concert de moyens.
170Une association politique est l’ouvrage de la volonté unanime des associés.
171Son établissement public est le résultat de la volonté de la pluralité des associés. On sent bien que l’unanimité étant une chose très difficile à obtenir dans une collection d’hommes tant soit peu nombreuse, elle devient impossible dans une société de plusieurs millions d’individus. L’union sociale a ses fins ; il faut donc prendre les moyens possibles d’y arriver ; il faut donc se contenter de la pluralité. Mais il est bon d’observer qu’alors même il y a une sorte d’unanimité médiate ; car, ceux qui unanimement ont voulu se réunir pour jouir des avantages de la société, ont voulu unanimement tous les moyens nécessaires pour se procurer ces avantages. Le choix seul des moyens est livré à la pluralité ; et tous ceux qui ont leur vœu à prononcer, conviennent d’avance de s’en rapporter toujours à cette pluralité. De là deux rapports sous lesquels la pluralité se substitue, avec raison, aux droits de l’unanimité. La volonté générale est donc formée par la volonté de la pluralité.
172Tous les pouvoirs publics, sans distinction, sont une émanation de la volonté générale ; tous viennent du peuple, c’est-à-dire, de la Nation. Ces deux termes doivent être synonymes.
173Le mandataire public, quel que soit son poste, n’exerce donc pas un pouvoir qui lui appartienne en propre, c’est le pouvoir de tous ; il lui a été seulement confié ; il ne pouvait pas être aliéné, car la volonté est inaliénable, les peuples sont inaliénables ; le droit de penser, de vouloir et d’agir pour soi est inaliénable ; on peut seulement en commettre l’exercice à ceux qui ont notre confiance ; et cette confiance a pour caractère essentiel d’être libre. C’est donc une grande erreur de croire qu’une fonction publique puisse jamais devenir la propriété d’un homme ; c’est une grande erreur de prendre l’exercice d’un pouvoir public pour un droit, c’est un devoir. Les officiers de la Nation n’ont au-dessus des autres citoyens que des devoirs de plus ; et qu’on ne s’y trompe pas, nous sommes loin, en prononçant cette vérité, de vouloir déprécier le caractère d’homme public. C’est l’idée d’un grand devoir à remplir, et par conséquent d’une grande utilité pour les autres, qui fait naître et justifie les égards et le respect que nous portons aux hommes en place. Aucun de ces sentiments ne s’élèverait dans des âmes libres, à l’aspect de ceux qui ne se distingueraient que par des droits, c’est-à-dire, qui ne réveilleraient en nous que l’idée de leur intérêt particulier.
174Ici peut se terminer l’exposition raisonnée des droits de l’homme et du citoyen, que nous avons voulu offrir à la Nation Française, et que nous nous proposons à nous-mêmes, pour nous servir de guide dans l’ouvrage de la constitution auquel nous allons nous livrer. Mais, afin que ces droits éternels soient connus de tous ceux à qui ils appartiennent, et qu’ils puissent être plus aisément retenus, nous en présentons à toutes les classes de citoyens, la partie la plus essentielle en résultats faciles à saisir, dans la forme suivante.
175Article premier. – Toute société ne peut être que l’ouvrage libre d’une convention entre tous les associés.
176Article II. – L’objet d’une société politique ne peut être que le plus grand bien de tous.
177Article III. – Tout homme est seul propriétaire de sa personne ; et cette propriété est inaliénable.
178Article IV. – Tout homme est libre dans l’exercice de ses facultés personnelles, à la seule condition de ne pas nuire aux droits d’autrui.
179Article V. – Ainsi, personne n’est responsable de sa pensée, ni de ses sentiments ; tout homme a le droit de parler ou de se taire ; nulle manière de publier ses pensées et ses sentiments, ne doit être interdite à personne ; et en particulier, chacun est libre d’écrire, d’imprimer ou de faire imprimer ce que bon lui semble, toujours à la seule condition de ne pas donner atteinte aux droits d’autrui. Enfin, tout Écrivain peut débiter ou faire débiter ses productions, et il peut les faire circuler librement tant par la Poste, que par toute autre voie, sans avoir jamais à craindre aucun abus de confiance. Les lettres en particulier doivent être sacrées pour tous les intermédiaires qui se trouvent entre celui qui écrit, et celui à qui il écrit.
180Article VI. – Tout citoyen est pareillement libre d’employer ses bras, son industrie et ses capitaux, ainsi qu’il le juge bon et utile à lui-même. Nul genre de travail ne lui est interdit. Il peut fabriquer et produire ce qui lui plaît, et comme il lui plaît ; il peut garder ou transporter à son gré toute espèce de marchandises, et les vendre en gros ou en détail. Dans ces diverses occupations, nul particulier, nulle association n’a le droit de le gêner, à plus forte raison de l’empêcher. La loi seule peut marquer les bornes qu’il faut donner à cette liberté comme à toute autre.
181Article VII. – Tout homme est pareillement le maître d’aller ou de rester, d’entrer ou de sortir, et même de sortir du Royaume, et d’y rentrer, quand et comme bon lui semble.
182Article VIII. – Enfin, tout homme est le maître de disposer de son bien, de sa propriété, et de régler sa dépense, ainsi qu’il le juge à propos.
183Article IX. – La liberté, la propriété et la sécurité des citoyens doivent reposer sous une garantie sociale supérieure à toutes les atteintes.
184Article X. – Ainsi, la loi doit avoir à ses ordres une force capable de réprimer ceux des simples citoyens qui entreprendraient d’attaquer les droits de quelque autre.
185Article XI. – Ainsi, tous ceux qui sont chargés de faire exécuter les lois, tous ceux qui exercent quelque autre partie de l’autorité ou d’un pouvoir public, doivent être dans l’impuissance d’attenter à la liberté des Citoyens.
186[...]
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