Annexes
p. 203-216
Texte intégral
I. Lettre des universitaires parisiens destinée à attirer l’attention du ministre de l’Éducation nationale sur le sort de M. Boris Vildé (janvier 1942).
1Ce jeune savant, âgé de trente-trois ans est détenu depuis bientôt dix mois sous une inculpation longtemps inconnue de sa famille et de ses amis et très grave aux dires de son avocat. Il importe de signaler au tribunal militaire allemand que l’inculpé n’est pas un aventurier ou un bolchevik, mais une personnalité scientifique de haute valeur. Il appartient à une bonne famille russe qui a dû fuir la révolution bolcheviste et s’est réfugiée en Estonie. C’est là que le jeune Vildé a été élevé de huit à vingt ans. Il a fait ses études au gymnase puis à l’université de Tartu (Dorpat), où il s’est familiarisé à la fois avec la langue estonienne et la langue allemande. Un séjour de deux années en Allemagne où il a pu apprécier la culture allemande et où il s’est fait de nombreux amis, lui a permis de se perfectionner dans la pratique de l’allemand. À l’Université de Paris, où il a été étudiant pendant plusieurs années, il a développé ses connaissances de philologie et de littérature allemande en prenant avec distinction sa licence d’allemand.
2Sa parfaite connaissance de la langue esthonienne qu’il avait acquise dans sa jeunesse l’inclinait naturellement vers l’étude de la langue et des choses finnoises pour lesquelles il ne tarda pas à se passionner. Il demanda et obtint diverses missions ethnologiques en Esthonie et en Finlande. En ce dernier pays, il a étudié à l’université d’Helsinki et s’est lié avec divers savants.
3Sa curiosité scientifique s’est étendue à l’Extrême Orient : il a pris (sic) le diplôme de japonais à l’École des Langues Orientales et s’est perfectionné dans la connaissance de la civilisation de ce pays à l’École des Hautes Études (Ve section).
4Partout où il a étudié, Boris Vildé a donné à ses maîtres l’impression d’une personnalité exceptionnellement douée, d’un esprit des plus mûrs, très averti des problèmes scientifiques qui se posent pour le linguiste et l’ethnographe, en particulier dans le monde finno-ougrien. Ses maîtres le considèrent comme la plus précieuse recrue en ce domaine presqu’insoupçonné en France et fondaient en lui de grands espoirs.
5Naturalisé Français, s’étant distingué dans l’accomplissement de son devoir militaire de façon à mériter pendant la guerre les grades de brigadier, puis de maréchal-des-logis chef, il est considéré vraiment comme un des nôtres. Il mérite que l’attention du secrétaire d’État à l’Éducation Nationale se porte sur lui.
6Naturellement, il ne peut être question de tenter de peser, si peu que ce soit, sur le tribunal militaire. Tout ce que les maîtres et amis de Boris Vildé demandent, c’est que le secrétaire d’État veuille appuyer la présente note de sa double autorité de ministre et de membre de l’Institut.
7Signée par : Joseph Vendryes, Doyen de la Faculté des Lettres, Membre de l’Institut,
8Gabriel Lebras, Professeur à la Faculté de Droit, Président de la IVe section à l’École des Hautes Études,
9Mario Roques, Professeur au Collège de France, Président de la IVe section à l’EHE, Membre de l’Institut,
10Paul Pelliot, Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut,
11André Mazon, Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut, Membre de la Société finno-ougrienne,
12Olivier Martin, Professeur à la Faculté de Droit, Membre de l’Institut,
13Paul Boyer, administrateur honoraire de l’École des Langues Orientales vivantes.
14Ajouté au bas de la liste : Carcopino.
15AN, F60, 1573, dossier n° 242, Affaire du Musée de l’Homme.
II. Lettre du commandant militaire allemand au délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, Fernand de Brinon, annonçant le verdict et reprenant les arguments de la défense de Boris Vildé.
16Le 18 avril 1942
17Monsieur le Délégué général,
18J’ai l’honneur de vous adresser sous ce pli une note relative à la condamnation à mort par le tribunal militaire allemand de M. Boris Vildé.
19À l’encontre des arguments développés par le tribunal, la défense avait exposé ce qui suit.
201. Affaire de La Résistance.
21Vildé ne porte la responsabilité que pour les 2 premiers numéros auxquels il a collaboré, il ne saurait la porter pour les autres numéros parus après son arrestation et rédigés par des personnes qui ont agi en hors de sa collaboration.
22Le texte des deux premiers numéros démontre qu’il s’agit bien d’une lutte contre l’Allemagne, mais uniquement d’une lutte des esprits et dans le cadre de la France. La Résistance s’était proposé de travailler à la libération du Peuple français sans pouvoir indiquer à ses lecteurs à quelle date et par quel moyen cette libération pourrait être atteinte. Le premier numéro stipule en particulier que les auteurs deLa Résistance n’ont qu’un seul et unique but : le désir de faire revivre une France pure, propre et libre.La Résistance n’a en aucune manière invité ses lecteurs à commettre des actions quelconques en faveur de l’Angleterre ou au préjudice de l’armée allemande, elle n’invite personne à fournir des renseignements militaires aux adversaires de l’Allemagne, à transporter en zone libre des soldats anglais, à se livrer à des actes d’espionnage. Bien au contraire, dans le deuxième numéro, elle précise qu’il faut éviter des actions individuelles et attendre que les ordres soient donnés pour une action commune ; mais elle ne dit pas à quelle époque ces ordres, interviendront. Il faut donc voir dans La Résistance une action purement française quoique d’esprit antiallemand.
23La revue devait être considérée au point de vue juridique comme une distribution illégale de tracts tombant sous les dispositions de l’ordonnance du Militär Befehlshaber du 10 mai 1940. C’est du reste cette disposition qui a été invoquée dans l’acte d’accusation et qui a, par ailleurs, formé la base d’une condamnation intervenue devant le même tribunal contre l’accusé Maître Nordmann, avocat à la Cour, qui fut condamné à deux ans de réclusion. La disqualification juridique au cours de l’audience a été assez surprenante, elle n’est intervenue que postérieurement à l’époque où l’accusation pour espionnage s’est révélée injustifiée.
242. L’aide prêtée à Weil-Curiel a été motivée par l’intervention d’un certain Gaveau dont l’activité d’agent provocateur a été reconnue au cours des débats. Weil-Curiel voulait retourner en Angleterre et Vildé s’est contenté de lui indiquer l’adresse d’un pharmacien en Bretagne, M. Dizerbo, à Quimper, qui passait pour être en mesure de faciliter le passage des Français en Angleterre. Mais il s’est révélé par la suite que Weil-Curiel n’a pu fuir ; il a même été arrêté et les conditions dans lesquelles il s’est évadé après son arrestation sont restées mystérieuses. Comme Vildé n’était pas lui-même en relations avec l’Angleterre, mais qu’il n’a fait que donner une indication à un agent, il n’apparaît pas qu’il ait pu commettre par là le crime d’actes en faveur de l’ennemi ; mais tout au plus une complicité (Beihilfe) punie en droit pénal allemand du quart de la peine prévue pour le fait principal.
25Conclusions
26Il y a donc lieu de retenir que La Résistance et, en particulier ses deux premiers numéros, ne porte aucun préjudice, quel qu’il soit à l’armée d’occupation ou à l’Allemagne. Au cours des débats, le commissaire du gouvernement l’a reconnu expressus verbis.
27Il est d’autre part certain que l’indication de l’adresse de M. Dizerbo à Weil-Curiel est restée sans aucune suite, ce dernier n’ayant pu en profiter, cette communication n’a pu causer aucun préjudice à l’armée allemande.
28Ces circonstances, en dehors de la valeur intellectuelle de Vildé, de sa personnalité en tous points remarquable, militent en faveur d’un recours en grâce.
29Veuillez croire M. le Délégué général à l’assurance de ma haute considération.
30AN, F60, 1573, dossier n° 242, Affaire du Musée de l’Homme.
III. Note sur l’affaire Vildé et attendus du jugement.
31Par le jugement du tribunal militaire du Commandement du Grand Paris,
32Section B N° S.T.L. V 150-163/41, en date du 17 février 1942, Monsieur Boris Vildé, né à Saint-Pétersbourg le 8 juillet 1908, naturalisé français en 1936 a été condamné à mort et à 2 ans et 6 mois de travaux forcés pour avoir prêté aide et assistance à l’ennemi, avoir favorisé un inculpé qui voulait se cacher et avoir été détenteur de deux revolvers.
33Monsieur Boris Vildé était attaché à la direction du Musée de l’Homme. Son dernier domicile était : 53 rue Boucicaut, à Fontenay-aux-Roses. Il a été arrêté à la date du 26 mars 1941 et se trouve depuis cette date en détention préventive à la prison de Fresnes.
34Avant de donner lecture des attendus du jugement, le Président du Conseil de Guerre a tenu à faire une déclaration de principe à l’adresse de tous les accusés de l’affaire Vildé. Il a dit que le tribunal voyait en eux des adversaires qui se sont cru en droit de continuer la guerre contre l’Allemagne et qui ont, par conséquent, le droit d’être considérés de façon chevaleresque comme adversaires de l’armée allemande. La résistance contre l’occupation honore tout homme plus que la lâcheté et les concessions continuelles. Cependant, en temps de guerre, chacun des adversaires en présence doit défendre sa propre peau et le jugement n’est rien d’autre qu’un acte de légitime défense du Peuple allemand contre tous ceux qui cherchent à le combattre. Il ne s’agit pas, en l’espèce, de criminels, mais d’accusés qui ont des conceptions honorables et le tribunal a tenu à observer vis-à-vis d’eux une entière courtoisie. Il est possible que pareil jugement apparaisse dur, mais il ne faut pas oublier que les actes reprochés aux accusés ont été commis pendant la guerre, sont dirigés contre le Peuple allemand et ne manquent pas de la plus grande dureté. Le tribunal est un tribunal militaire allemand qui doit en première ligne défendre les ressortissants de sa propre nation.
35En ce qui concerne l’accusé Boris Vildé, le président du tribunal a déclaré en particulier : le tribunal respecte Vildé et le considère comme un homme droit, brave et sérieux. C’est un honneur pour la France de constater comme elle a réussi à enthousiasmer cet homme pour elle et c’est un honneur pour Vildé d’avoir eu l’occasion de défendre la France, sa Patrie d’adoption, comme il l’a fait.
36Dans ses différents détails, le jugement repose sur les faits et considérations suivants :
371° M. Boris Vildé a été avec d’autres accusés à l’origine de la distribution d’un tract appelé La Résistance. Ce tract prétend uniquement vouloir servir la France et vouloir lutter pour sa libération. Il est cependant inexact qu’il s’agisse en l’espèce d’une activité uniquement française. La Résistance vise au contraire à provoquer la lutte contre l’Allemagne sur tous les fronts, elle présuppose qu’à un moment donné, après l’affaiblissement militaire qui pourrait se produire, des soulèvements auraient lieu, simultanément en Grèce, en Yougoslavie, en Pologne, en Hollande et c’est pour combattre l’Allemagne à ce moment là ensemble avec d’autres nations qu’elle a été créée. Elle est donc bien un moyen d’activité en faveur de l’ennemi.
38Il est exact que Vildé ne s’est occupé de la rédaction que des deux premiers numéros ; il doit néanmoins supporter, par des considérations militaires, la responsabilité pour les autres numéros qui ont paru postérieurement à son arrestation. Cette revue est d’autant plus dangereuse qu’elle est bien rédigée, elle ne contient pas les mensonges habituels et grossiers qu’on lit dans les tracts anti-allemands, les faits sont judicieusement réunis et méthodiquement présentés. La revue doit nécessairement enthousiasmer chacun qui est opposé à l’occupation ; c’est précisément dans son caractère sérieux et méthodique que réside le danger qu’elle peut présenter pour l’Allemagne. Le tribunal considère donc que les dirigeants de cette revue se sont rendus coupables d’actes en faveur de l’ennemi et doivent être condamnés à mort en vertu de l’article 91 du code pénal allemand.
392° Vildé a prêté aide et assistance à Weil-Curiel pour se rendre en Angleterre. En agissant ainsi, il savait fort bien qu’au moment où les armes font défaut, le seul moyen d’agir efficacement contre l’occupation consiste dans une activité de propagande. Weil-Curiel était ici le mandataire du général de Gaulle, sur la personne duquel aucun jugement ne doit être prononcé à cette audience, mais le fait est que le général de Gaulle continue la guerre contre l’Allemagne ; Weil-Curiel avait l’intention de lui apporter des renseignements de France et de continuer son activité anti-allemande par les moyens qui seraient mis à sa disposition. Il n’importe pas de savoir si Weil-Curiel était mobilisable ou non, il est un fait qu’il se trouvait auprès du général de Gaulle, qu’il a reçu de lui une mission et qu’après avoir accompli cette mission, il a voulu retourner en Angleterre afin de reprendre des relations de propagande avec le général de Gaulle.
40La guerre actuelle est une guerre totale et l’union de toutes les forces morales de renseignement et de propagande est une des activités des plus importantes.
41Vildé avait donc pour but de livrer un combat aux Allemands sur le terrain de la propagande et de l’activité de propagande et cette volonté se manifeste tant par la création de La Résistanceque par les facilités qu’il a accordées à Weil-Curiel pour se rendre en Angleterre.
423° Le Tribunal a admis en faveur de Vildé qu’il n’a pas commis le crime d’espionnage, ses explications sur ce point sont dignes de foi, par conséquent, il est acquitté de ce fait.
434° Le Tribunal a également admis que Vildé ne s’est pas occupé du transport en zone libre des trois soldats anglais qui font, par ailleurs, l’objet des considérations du jugement en ce qui concerne d’autres accusés. Du reste Vildé se trouvait à ce moment là en zone libre. Le tribunal constate expressément qu’en zone libre, il avait toute faculté pour agir comme il le voulait, sans que son action puisse tomber sous l’application des lois allemandes.
445° Vildé reconnaît qu’au moment de la perquisition, il se trouvait en possession illégale de deux revolvers et qu’il doit de ce fait être condamné. Le tribunal lui applique la peine de deux ans de réclusion.
456° Vildé a aussi aidé Nordmann à se soustraire aux recherches des autorités allemandes et doit de ce fait supporter une condamnation de un an de réclusion. Ces deux peines sont confondues en une peine totale de deux ans et six mois de réclusion.
46Il peut être dit comme conclusion que le point de départ de Vildé est erroné. Vildé qui est hostile au communisme pouvait penser qu’en raison du pacte germano-russe, les Allemands seraient amenés à faire des concessions particulièrement pénibles, par exemple au sujet de la Finlande, des Pays Baltes et de la Bessarabie. Cette erreur est honorable pour Vildé, mais elle n’est pas susceptible de modifier le présent jugement.
47AN, F60, 1573, dossier n° 242, Affaire du Musée de l’Homme.
IV. Note verbale présentée le 23 février 1942 par Fernand de Brinon au commandant en chef des forces militaires allemandes en France.
48L’ambassadeur de France, Délégué du gouvernement français dans les Territoires occupés a l’honneur d’appeler la bienveillante attention de M. le général, Commandant en chef des Forces militaires allemandes en France, sur le cas de 10 personnes condamnées à mort par le tribunal militaire de Paris le 17 février 1942.
49Il s’agit de : Mesdames Leleu, Oddon, Simmonot.
50Messieurs Vildé, Lewitsky, Andrieux, Walter, Nordmann, Sénéchal, Ithier.
51Madame Leleu, mère de deux enfants a perdu son mari, officier aviateur de réserve, tué pendant la campagne 1939-1940. Avec un grand courage, Madame Leleu, dès la disparition du chef de famille s’est efforcée de remettre sur pied le garage que dirigeait auparavant son mari. La loyauté et la fermeté d’âme dont elle a constamment fait preuve méritent considération.
52Mademoiselle Oddon est la fille du lieutenant-colonel d’infanterie, Albert Oddon, mort le 11 novembre 1920, de la suite de ses blessures.
53Quant aux accusations dont elle est l’objet, il semble que Mademoiselle Oddon ait cherché avant tout à rendre service à des personnes de ses relations et qu’elle ait obéi davantage à des mobiles sentimentaux qu’à l’intention de nuire à l’armée allemande.
54Madame Simmonot appartient également aux milieux universitaires. Son père, professeur agrégé d’allemand a consacré ses travaux à la publication d’une grammaire allemande et à des recueils de textes allemands destinés à l’enseignement. Le mari de la prévenue est docteur ès Sciences naturelles, docteur en Médecine, professeur à l’École Nationale d’Alfort et chef du laboratoire de physiologie au Centre de prophylaxie mentale de la Seine. Il semble d’après les indications qu’a pu recueillir la Délégation que Madame Simmonot ait été impliquée dans l’affaire dans les mêmes conditions que Mademoiselle Oddon, sans avoir eu conscience de la gravité de ses actes.
55Monsieur Boris Vildé est une personnalité scientifique de grande valeur. Appartenant à une famille russe qui a dû fuir la révolution bolcheviste, il a d’abord vécu en Estonie, puis en France. Il est devenu une autorité en matière ethnographique et linguistique, notamment pour l’estonien et le finlandais. Il a été chargé à ce titre de diverses missions scientifiques en Estonie et en Finlande. Ancien élève de l’université d’Helsinki, il compte de nombreuses amitiés dans les milieux finlandais. L’estime et la sympathie dont il jouit dans les cercles universitaires se sont manifestées par l’adresse qu’ont bien voulu signer à son sujet le doyen de la Faculté des Lettre et plusieurs professeurs au Collège de France, des membres de l’Institut et de l’Académie française. Enfin, Monsieur Carcopino, ministre de l’Instruction nationale lui-même.
56Monsieur Vildé est un ancien combattant de la guerre 1939-1940, qu’il a commencée comme simple soldat et qu’il a terminée comme sous-officier. L’activité qui lui est reprochée en faveur de l’ennemi s’est bornée à la collaboration à un journal qui n’apparaît pas comme ayant été d’inspiration étrangère et dont la diffusion a été des plus restreintes. Elle ressortit plutôt à la distribution illégale de tracts qu’à l’aide à l’ennemi. C’est d’ailleurs la première inculpation qui a été retenue à l’encontre de Monsieur Nordmann, accusé dans la même affaire. Par ailleurs, le caractère même de ces écrits, ainsi que l’a reconnu dans son réquisitoire le ministère public, n’était pas de nature à porter atteinte à l’armée allemande. Quant à l’appui que Monsieur Vildé a donné à Monsieur Weil-Curiell, il s’est limité à une indication d’adresse, dont l’intéressé n’a pu faire usage. Elle est donc restée sans résultat pratique.
57Monsieur Lewitsky, naturalisé Français, est également russe. Ayant dû émigrer en France à l’âge de 16 ans, il a acquis à force de sacrifices un haut degré de culture intellectuelle. Obligé de gagner sa vie par des travaux manuels, entré au musée du Trocadéro en qualité de manœuvre, il a par son érudition attiré l’attention de la direction qui l’a chargé de travaux importants. Collaborateur de la revue Muséion, il a été délégué par la France au congrès des Sciences anthropologiques et ethnographiques en 1938 et à été boursier à la Recherche scientifique de 1938 à 1941. Il importe de noter que l’accusation d’espionnage n’a pas été retenue par le tribunal sur le fond de l’affaire, les conditions formulées en ce qui concerne Monsieur Vildé sont à plus forte raison valables pour Monsieur Lewitsky.
58Monsieur Andrieux Jules est un grand mutilé de la guerre de 1914-1918, marié et père de deux enfants. Son attitude n’avait jamais été empreinte d’hostilité systématique envers l’Allemagne. L’accusation dont il a été l’objet (espionnage) se concilie difficilement avec le point de vue adopté par le Tribunal et selon lequel l’organisation mise en cause avait une activité de propagande et non une activité de renseignements. Or c’est à lui (sic) que devaient, d’après l’acte d’accusation, aboutir les renseignements recueillis par Monsieur Andrieu.
59Monsieur Walter, aviateur pendant la guerre, a été condamné pour espionnage. Il importe de remarquer que les renseignements qu’il a recueillis ne sont pas pratiquement parvenus à une puissance ennemie. Il paraît n’avoir été entraîné à ces agissements que par des manœuvres d’un agent provocateur.
60Monsieur Nordmann, ancien secrétaire de la Conférence des avocats, a été condamné pour avoir prêté une certaine somme à Monsieur Weil-Curiel, lequel avait l’intention de se rendre en Angleterre. En fait Monsieur Weil-Curiel n’a pu mettre son projet a exécution. On ne peut donc prétendre dans ce cas qu’il y ait eu, en réalité, un avantage pour l’ennemi ou un dommage causé au Reich, condition exigée par la loi allemande pour que l’acte incriminé puisse être qualifié d’aide à l’ennemi.
61Monsieur Sénéchal, âgé de 19 ans, beaucoup plus jeune que les autres codétenus, et d’une culture intellectuelle beaucoup moins développée, a évidemment subi l’influence des personnes avec les quelles il s’est trouvé en contact. Il apparaît qu’il n’a pas eu pleine conscience de la gravité de ses actes. En effet, l’accusation d’espionnage n’a pas été retenue contre lui. Les facilités qu’il a procurées, une seule fois du reste, à des aviateurs anglais, pour traverser la ligne de démarcation, n’ont pas en fait, apporté un avantage à l’armée britannique puisque ces deux aviateurs ont été internés par la suite. D’autre part, Monsieur Sénéchal avait facilité le passage de la ligne à de nombreuses personnes dans le seul but de rendre service et l’intention de nuire à l’armée allemande n’est donc pas le mobile qui l’a poussé dans le cas en question.
62L’ambassadeur de France, Délégué général du gouvernement français dans les Territoires occupés croit devoir souligner en premier lieu la tenue morale dont les accusés ont fait preuve, et qui est bien en harmonie avec leur caractère. Il relève d’autre part que bon nombre d’entre eux sont intellectuellement des personnalités d’élite. Or les milieux intellectuels auxquels ils appartiennent, et qui jouissent en France d’un grand prestige et y exercent une considérable influence, se sont constamment montrés, autant qu’attachés à leur liberté de jugement, doués de largeur d’esprit et soucieux de probité intellectuelle.
63Un large geste de clémence envers les condamnés ne risquerait pas d’être faussement interprété par eux ; ils en apprécieraient au contraire toute la générosité. En revanche, une sanction rigoureuse y créerait une particulièrement vive émotion.
64L’ambassadeur de France, Délégué général du gouvernement français dans les Territoires occupés formule l’espoir que le général Commandant en chef des Forces militaires allemandes en France voudra bien prendre en considération ces éléments et envisager une mesure de grâce envers les intéressés.
65AN, F60, 1573, dossier n° 242, Affaire du Musée de l’Homme.
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