Le procès
p. 153-162
Texte intégral
1Le procès de l’affaire du Musée de l’Homme s’ouvre le 6 janvier 1942. Un amalgame de circonstances difficiles à démêler lie entre elles les dix-sept personnes du groupe en un seul dossier qui par la suite recevra ce nom210.
2Aux côtés de Vildé et de Lewitsky, le chef et son adjoint, se tient Pierre Walter, l’Alsacien, un homme lui aussi très secret, devenu chef de groupe, c’est-à-dire leur successeur. Yvonne Oddon est là également, bien que Lewitsky ait tout fait pour la disculper, affirmant qu’elle s’est engagée par légèreté, motivée par sa passion pour lui et le souci d’agir comme lui, sans comprendre la portée de ses actes. Les informations manquent sur Georges Ithier, chargé des liaisons, autrement dit courrier, et agent de la compagnie KLM. Il avait été arrêté sur la ligne de démarcation et la gendarmerie avait alors simulé son exécution. Quant à l’avocat Léon Nordmann, il est accusé d’avoir diffusé Résistance, ainsi que ses deux confrères, Jubineau et Étienne. Ayant été en relation avec Élisabeth de la Bourdonnaye qui l’a caché, celle-ci a été arrêtée sous ce chef d’inculpation. Nordmann est aussi accusé d’être lié à André Weil-Curiel. Ce résistant de la première heure avait pu rejoindre le général de Gaulle à Londres mais, revenu et arrêté, il compromet tous ceux qui ont été en contact avec lui à Paris, c’est-à-dire Vildé et Nordmann211. Agnès Humbert a elle aussi été incarcérée. Pour avoir commis l’imprudence de transporter dans son sac les dessins de Creston, Alice Simmonot a été arrêtée avec son mari Henri, professeur de physiologie à Saint-Antoine, contre lequel les charges seront abandonnées. Mais Alice avait dans son sac, en plus des plans de Saint-Nazaire, la formule du cocktail Molotov. Enfin, Jacqueline Bordellet et le libraire Mueller ont été arrêtés avec Walter. Émile Mueller, libraire rue Monsieur le Prince à Paris, qui entreposait les cartes et les plans à transmettre en zone non occupée, se trouve lui aussi accusé d’espionnage.
3Au dossier de l’accusation figure ensuite Sylvette Leleu, qui a trente et un ans et dirige un garage. Veuve d’un aviateur et mère de deux enfants, elle vient d’une famille très connue dans le Nord ; elle-même est chef d’un groupe. Selon la lettre de la Commission d’armistice qui enquête sur les arrestations de Français portées à sa connaissance, le motif de son incarcération reste vague. Elle aurait « facilité le recrutement de jeunes Français pour l’Angleterre212 ». Également originaire du Nord, un vétéran, invalide de la Grande Guerre, l’instituteur Jules Andrieu, est inculpé d’espionnage « en tant que membre de l’organisation de Vildé ». A leurs côtés se tient René Sénéchal, apprenti dans le garage des Leleu, âgé de dix-huit ans. Il a porté des messages, mais, en d’autres circonstances, a aussi caché deux aviateurs britanniques rescapés d’un avion abattu. Un ancien pilote, spécialisé dans les vols de nuits, Daniel Héricauld - sans doute un pseudonyme -, s’ajoute à la liste.
4Le déroulement du procès a été retracé par ceux des protagonistes qui ont survécu à la guerre. Il est néanmoins difficile de s’en faire une idée exacte. La seule version actuellement connue du procès-verbal allemand est la traduction française des arrêtés du tribunal, conservée aux Archives nationales, dans le dossier de l’agent double Albert Gaveau. Après la guerre, Gaveau sera en effet poursuivi, mais l’original du dossier restera à Berlin, en zone d’occupation soviétique, avant qu’Agnès Humbert, apprenant la mise en examen du traître, n’avertisse la justice française de sa correspondance passée avec le juge allemand. Invité à témoigner, ce dernier fournira les documents en sa possession. Lors du procès Gaveau, Irène et Évelyne Lot seront invités à la barre. En se fondant sur leur récit, deux décennies plus tard, l’auteur soviétique qui enquêtera à Paris sur les traces laissées par Vildé affirmera qu’un militaire français de l’armée d’occupation, occupé du tri des archives retrouvées après la défaite allemande, aurait mis la main sur le dossier du procès du Musée de l’Homme et l’aurait envoyé à Paris pour servir de pièce à conviction dans le procès de Gaveau, puisque les accusations lancées contre les résistants reposaient essentiellement sur les dénonciations de ce dernier213. Cette version semble mal établie. Par ailleurs, les plaidoiries et le réquisitoire sont consultables aux mêmes Archives nationales, dans le fonds consacré aux papiers de Fernand de Brinon.
5Le tribunal siège à la prison de Fresnes, dans un baraquement construit pour l’occasion à l’intérieur de la cour. Sur la table du tribunal militaire flotte un drapeau nazi noir et rouge. Au mur, une carte avec des lignes de plusieurs couleurs retrace les itinéraires, à travers toute la France, de Vildé, Sénéchal et Ithier. Pour les accusés, dans ce décor très IIIe Reich, il ne s’agit que d’une simple comédie ; les avocats ne s’y trompent pas, et affirment qu’ils plaident pour des cadavres214. Maître Julien Kraeling, avocat à la Cour d’appel, défend Vildé, en première ligne. Lewitsky est défendu par Maître Jean Burughuru. Leur confrère Maître Willhelm plaide pour Walter. Un avocat russe, Strelnikoff, assure la défense d’Andrieu.
6Pour leur comparution, les accusés se habillés avec élégance et plaisantent, provoquant la colère du procureur nazi Gottlob. Boris Vildé est l’accusé principal. Pâle, amaigri, il porte un pull de laine blanche sur lequel se détache sa physionomie tourmentée. Il a la bouche légèrement contractée et ses yeux brillent d’une lumière intense. Lewitsky, lui aussi, est très maigre. Jean-Paul Carrier, associé au groupe, remarque que son attitude correspond à sa réputation d’esprit critique, éloigné des pressions du moment215.
7Agnès Humbert mémorise les moindres détails de la scène : « Les officiers prennent place, ils sont quatre. Le président du tribunal, grand, mince, jeune, l’air intelligent et distingué. Le procureur, qui me produit un aussi mauvais effet qu’à la prison de la Santé, et deux assesseurs, vieux, gros, gras, tondus, à tête porcine... Il semble absolument furieux que nous ne nous laissions pas impressionner par cette mise en scène. » « Le lendemain, continue Agnès Humbert, même jeu qu’hier. Interrogatoire d’identité et présentation des accusés au procureur par le président. Il lui dit avoir à juger dix-huit nationalistes français. Le mot nationaliste m’amuse fort. Je ne pensai pas m’entendre appliquer ce qualificatif. » Le président ajoute : « J’ai tellement étudié cette affaire de Résistance que je peux vous dire en toute sincérité connaître la vie de ces gens-là mieux que la mienne216. »
8Le président du tribunal militaire allemand, le capitaine Ernst Roskothen, se lance dans un éloge étonnant des prévenus. Il attire l’attention sur le fait que Vildé a eu la force morale d’étudier en prison le sanscrit et le japonais. Il fait part aux accusés de ses sentiments respectueux à leur égard. Il sait, dit-il, qu’ils se sont conduits en bons Français, et que son dur devoir à lui est de se conduire en Allemand. Pendant les débats, il souligne le rôle joué dans chacune des arrestations par Gaveau dont seul le témoignage étaye l’accusation.
9Pour le reste, si les détails suggèrent une certaine incohérence dans l’atmosphère, on ressent aussi un flou dans la logique des inculpations. Pendant leurs interrogatoires, les accusés ont contesté dans l’ensemble les recoupements opérés par les Allemands. L’accusation d’espionnage est retenue contre Agnès Humbert, Vildé et Lewitsky, sans que ni tenants ni aboutissants ne soient établis. Elle devrait tomber d’elle-même faute de preuves matérielles, mais demeurent les autres chefs, tout aussi graves.
10Après la guerre, il sera établi que « la mission du groupe avait été la transmission de renseignements militaires, passages en Angleterre, évasion de milliers [sic] de réfractaires, prisonniers, évadés, d’aviateurs, qui ont été hébergés, habillés et évacués217 ». Mais au procès, l’accusation insiste sur la propagation de nouvelles au service de l’ennemi - comprendre : les ennemis du IIIeReich - par la rédaction et la diffusion du journal Résistance. Dans le cas particulier de Vildé, l’accusation retient aussi contre lui d’avoir possédé deux revolvers. Un délit grave, la possession d’armes à feu étant à elle seule passible de peine de mort.
11Pour l’essentiel, les débats se réduisent à une lutte acharnée entre le procureur et Vildé, lequel ne se départit jamais de son mutisme en ce qui le concerne, mais intervient pour sauver ses compagnons, Lewitsky, Sénéchal ou Nordmann, le procureur s’acharnant particulièrement sur le « juif Nordmann ». Gottlob prononce son réquisitoire le 11 février218.
12L’avocat de Boris, Maître Kraeling, rapporte à Irène que Boris se défend avec courage et même intrépidité : il a lu une déclaration rédigée en allemand, sans qu’on l’interrompe, véritable acte d’accusation contre l’Allemagne qui avait bafoué la France et sa culture. « Les avocats plaident habilement », observera Jean-Paul Carrier. « Ils essayaient de tout cœur de sauver ces hommes, même en sacrifiant aux dieux du jour... » Agnès Humbert, moins généreuse, les jugent suaves, insinuants et considèrent qu’ils donnent aux accusés des conseils odieux.
13Cette procédure marque une différence voulue avec la pratique des prises d’otages, arrêtés au hasard, en représailles après un sabotage ou un attentat, et exécutés de façon expéditive, par fournées. L’effet s’en fait néanmoins sentir sur les rapports entre forces d’occupation allemandes et les résistants arrêtés.
14L’ingénieur Jacques Bonsergent avait été le premier otage fusillé par les Allemands, le 23 décembre 1940. Pour Hitler, qui se préparait à attaquer l’URSS, le gros des forces allemandes devait, à terme, être dirigées vers l’Est ; en France, un dispositif réduit devait suffire. Aussi les instructions venues de Berlin le 26 mars 1941 ont-elles imposé une politique de représailles sévères en réponse aux attentats commis contre les forces d’occupation. Or, pendant l’été 1941, après l’attaque allemande contre l’URSS et l’entrée des communistes en résistance, les attentats contre les militaires allemands se sont au contraire multipliés, entraînant des exécutions par dizaines. Cette répression brutale a pris au piège les autorités de Vichy dans la mesure où les Allemands entendaient les y associer en les obligeant à prendre des initiatives d’arrestations contre les juifs et les communistes. Au 25 octobre 1941, quelque six cents otages sont aux mains de l’ennemi, qui en a déjà exécuté plus de cent, dont cinquante à Bordeaux et quarante-huit à Nantes, en une seule fois.
15À la fin d’octobre, Otto Abetz, l’ambassadeur du Reich en zone occupée, intervient contre l’exécution d’un second groupe de cent otages à Nantes. Il plaide à Berlin pour que l’on ménage la sensibilité de l’opinion française afin de consolider la politique de collaboration. Un répit intervient, mais les attentats reprennent. Hitler exige alors que l’on fusille trois cents otages. La collaboration de la France ne l’intéresse pas, c’est un pays vaincu, qui doit subir sa loi, tandis que lui-même accumule les succès militaires en Russie. Une illusion qui se désagrège lorsque l’avance des armées allemandes est stoppée dans les faubourgs de Moscou et qu’une terrible bataille s’engage, prélude à la défaite de Stalingrad.
16Le commandement de la Wehrmacht à Paris tente de convaincre la police politique que les massacres produisent des effets néfastes sur l’opinion française qui acceptait plus ou moins passivement l’occupation. Lorsque Hitler avait exigé que l’on fusillât trois cents otages, le commandant militaire des forces d’occupation, Otto von Stülpnagel, avait suggéré de les remplacer par cinquante juifs et communistes, d’où la rafle par la police de Vichy, le 12 décembre, et l’internement au camp de Compiègne de sept cents personnes, des juifs, des Russes, des communistes ou de simples suspects219...
17Le lieutenant-colonel Speidel, chef d’état-major de Stülpnagel, confie ses appréhensions à l’un de ses subordonnés parisiens, l’écrivain Ernst Jünger, comme lui officier de la vieille école. Ils se voient comme les derniers représentants d’une caste militaire qui avait fourni à l’Europe sa structure hiérarchisée, ceci pendant une dizaine de siècles ; ils constatent que les principes qui la guidaient ne sont plus respectés depuis que l’armée subit la tutelle de la police politique. Ils s’accordent dans le plus grand secret pour contrer les directives venues de Berlin.
18À la fin d’octobre 1941, Speidel avait chargé Jünger de constituer un dossier sur la lutte qui opposait pour l’hégémonie en France le général en chef et le parti nazi, dossier enfermé dans un coffre secret du bureau de l’écrivain à l’Hôtel Majestic, siège du commandement militaire. Au début de l’année 1942, Ernst Jünger est mis à contribution pour préparer un rapport sur les otages fusillés. Il traduit en allemand leurs lettres d’adieu et les joint en annexe. Il garde ces messages déchirants comme des documents destinés aux temps à venir. Il note que les mots qui reviennent le plus souvent sont « courage » et « amour », plus souvent encore qu’ « adieu » et « espoir ». Il a suivi de près le déroulement de l’affaire du Musée de l’Homme et lorsqu’il évoque dans ses notes des propos échangés sur la bestialité de la répression, on devine que son interlocuteur, qu’il nomme le Président, n’est autre que le capitaine Roskothen220. Le 15 janvier 1942, le lieutenant-colonel Speidel transmet au grand état-major de l’armée, à Berlin, le rapport secret où il dénonce la politique des exécutions collectives en critiquant ses effets sur la politique d’occupation221.
19Ce rapport, dans sa traduction française, s’intitule « Mesures préventives et punitives prises par le commandant militaire supérieur en France pour la lutte contre le sabotage ». Le titre évite le mot représailles, une notion juridique qui ne peut s’appliquer qu’à des États. À la lecture de ce rapport d’une centaine de pages, on constate le soin que manifeste, à cette date, l’armée d’occupation pour situer son action dans la légalité des conventions sur le droit de la guerre et des conditions d’occupation militaire conséquente à la conclusion d’un armistice. Les conventions de La Haye de 1899 et 1907 avaient défini les droits et devoirs respectifs des occupants et des occupés. Le cadre juridique de l’occupation par une armée étrangère, ainsi codifié, se plaçait sous le signe de la civilisation. Il s’agit, plaident les militaires, de respecter ces règles et, pour l’occupant, de ne pas s’immiscer dans le monde des civils, de traiter avec eux par l’intermédiaire d’un pouvoir local qui les représente. Ces derniers, en revanche, sont tenus à un devoir de non belligérance, notion qui implique l’illégalité des attentats et autres actions dirigées contre les forces armées de l’occupant.
20Le droit des gens et les précédents sont invoqués pour établir que seules sont justifiées les exécutions personnelles, en nombre limité. Les conclusions du rapport se distinguent donc résolument des pratiques de l’administration politique et traduisent le souci des forces d’occupation de ne pas avoir à affronter en pays occupé une sédition engendrée par un excès de cruauté jugé contre-productif.
21En février 1942, Otto Abetz part à Berlin plaider en faveur de la « collaboration » et se heurte au refus de Hitler. A son retour, il confie à Stülpnagel, dans une lettre du 13 février, toute son amertume de voir la France « traitée en accusée222 ». Il repart à Berlin le 18 où il sera retenu jusqu’au 14 mars, une absence prolongée qui marque un nouveau raidissement de la part de l’Allemagne. Le 16 février, un attentat anti-allemand a eu lieu à Paris...
22La tournure prise par les rapports franco-allemands n’est donc en rien propice à la mansuétude. Certes, les accusés du Musée de l’Homme ne sont pas des otages, mais des inculpés destinés à être jugés. Néanmoins le climat dramatique créé par les exécutions d’otages influence l’issue des délibérations. A Berlin, où seule importe la situation sur le front de l’Est, les rapports envoyés par l’ambassadeur du Reich à Paris restent sans effet. Si Abetz n’intervient pas directement en faveur des accusés du Musée de l’Homme, il souhaite néanmoins éviter l’exécution d’une personnalité aussi charismatique que Vildé ; il prévoit déjà le scandale qui agitera les milieux intellectuels parisiens, dont il cherche à cultiver l’amitié.
23A cet égard, il est intéressant de noter l’intervention du président du Comité d’entraide des émigrés russes en France auprès du délégué du gouvernement de Vichy dans les territoires occupés. Ancien du monde du spectacle, Iouri Gerebkoff (Georg pour les Allemands), arrivé à Paris dans les fourgons de l’armée d’occupation, est chargé de contrôler les Russes apatrides et les faire collaborer. Installé au 4 de la rue Galliera, il conforte sa politique par le journal qu’il publie, le Parijskii Vestnik223.
24Pour la plupart d’entre eux, les émigrés russes estiment avoir déjà beaucoup sacrifié au monstre de l’Histoire et se gardent bien de prendre parti. Les rumeurs sur les crimes allemands dans les territoires de l’Est leur paraissent d’ailleurs exagérées par la propagande alliée. Même certains juifs se font des illusions sur la bienveillance des Allemands envers les émigrés russes ; par fatalisme ou goût excessif des idées, ils pensent que l’antibolchevisme leur servira de caution. Pourtant, certains émigrés s’engagent activement dans la Wehrmacht dans l’espoir de libérer le peuple russe de la dictature stalinienne. Les Cosaques en particulier, des Caucasiens, des Baltes aussi. Néanmoins la plupart des émigrés, tolérés sans trop de mansuétude sur le territoire français, se gardent d’exprimer des opinions qui pourraient les ostraciser ; certains apportent par ailleurs leur soutien aux prisonniers russes exploités par les Allemands.
25Le comité Gerebkoff délivre des attestations et des certificats de nationalité à partir des documents russes d’avant la révolution. Les falsifications deviendront de plus en plus nombreuses avec le tournant pris par la guerre en 1943. Dans l’immédiat, les Allemands attendent de lui qu’il leur fournisse des spécialistes pour collaborer avec les bureaux de Speer et des volontaires émigrés pour le front de l’Est. Ces derniers seront sacrifiés en première ligne. Gerebkoff a aussi pour tâche de recenser les émigrés en notant les juifs et les autres, mais en la circonstance, beaucoup refusent de coopérer. Il fait en quelque sorte office de consul pour les affaires émigrées. C’est un « collaborateur », mais il se comporte également en avocat de sa communauté, assimilant les services qu’il rend aux Allemands à un échange de bons procédés.
26Le Comité d’entraide intervient donc, le 16 février 1942, pour demander que l’on ne jette pas l’opprobre sur les Russes blancs. En fait, il proteste contre un article du Matin qui assimile la dictature sanglante des bolcheviks au régime tsariste. « Dans les circonstances actuelles, le retour des émigrés russes dans leur pays est très probable et je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt de la France nouvelle que des milliers de Russes quittent le sol français avec le souvenir d’offenses inutiles et imméritées224. » Après la guerre, rejoignant d’autres émigrés impliqués dans la collaboration, Georg Gerebkoff finira tranquillement ses jours en Espagne.
27Tout cela montre la position difficile des émigrés russes, suspects d’abord en tant qu’ennemis potentiels, et auxquels on ne laisse d’autre issue autre que celle de se compromettre dans les projets d’Europe nouvelle. Qui s’en écarte court le risque de se voir amalgamé aux communistes. Il faut donc un courage certain aux proches pour plaider la cause de ceux qui sont détenus en tant qu’ennemis de l’Allemagne. Aussi est-ce dans un climat très nerveux que les amis et les familles des accusés du Musée de l’Homme se livrent à d’ultimes tentatives pour obtenir la clémence du tribunal.
Notes de bas de page
210 Ministère de la Défense, archives du bureauRésistance. Le dossier « Affaire du Musée de l’Homme » contient les documents de la liquidation du réseau, c’est-à-dire la mise au clair, en particulier, du sort et du rôle effectif de ses nombreux membres, réguliers ou occasionnels.
211 DBMOF, « André Weil-Curiel », par Nicole Racine-Furlaud.
212 AN, F60 1573, dossiers Affaire du Musée de l’Homme.
213 AN, Z6/810, dossier 5677 et Raïssa Raït-Kovaleva,op. cit.
214 AN, 72A J60, article d’Aveline,op. cit.
215 AN, 72 AJ 66, récit de Carrière.
216 Agnès Humbert, op. cit., p. 146 et suiv.
217 Ministère de la Guerre, archives du Bureau Résistance, dossier de l’Affaire du Musée de l’Homme.
218 Voir annexe II, p. 205.
219 Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français, ou l’envers de la Collaboration, Paris, Fayard, p. 432-458.
220 Ernst Jünger, Journal de guerre et d’occupation, 1939-1948, Paris, 1965, p. 118 et 135-136.
221 Déposé aux AN, AJ 260. Résumé en français établi par l’historien Henri Michel pour le Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale.
222 Barbara Lambauer, op. cit., p. 457-458.
223 Marina Gorboff, La Russie fantôme, Lausann/Paris, L’Âge d’Homme, 1995, p. 127 et 190 et Laurent Joly, Vichy dans la « Solution finale ». Le Commissariat général aux questions juives, Paris, Grasset, 2006, p. 559.
224 AN, F60 1507 DGTO, dossier émigrés russes, lettre du 16.02.1942.
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